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amsterdam - Page 2

  • Un poème de Bredero (1585-1618)

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    Un sonnet en français

      

    Bredero, poème, théâtre, Amsterdam, Pays-Bas, comédie

    Seul portrait connu de G.A. Bredero

    (gravure de Hessel Gerritsz., 1619)

     

     

    Fils d’un cordonnier relativement aisé d’Amsterdam, Gerbrand Adriaensz. Bredero a été surtout connu de son vivant comme auteur de théâtre. Sa comédie Spaanschen Brabander (Le Brabançon espagnol, 1617) est particulièrement savoureuse : « la pièce vaut par son réalisme intense. Adaptés ou inventés, les personnages sont pétillants de vie : petits vieux à l’esprit caustique, fossoyeur, fileuses babillardes, exempts à la main lourde… Chacun parle le langage qui convient […] Le comique revêt des aspects très variés, depuis la gaudriole jusqu’à l’humour le plus fin* ». « Il veut peindre le vice avec assez de relief pour le faire détester », a-t-on pu écrire à son sujet. Ce qui est sûr, c’est que l’Amstellodamois n’avait aucun rival dans le genre de la farce.

    Même s’il disait ne posséder que quelques rudiments de français : « een slechte Amstelredammer (die maar een weynich kints-School-frans in 't hoofd rammelde) », ceux-ci lui ont permis d’adapter en néerlandais la tragicomédie Lucelle de Louis Le Jars (1576), de traduire de la poésie, de s’inspirer d’une traduction française de L’Eunuque de Térence pour composer une de ses meilleures comédies : Moortje (La Petite Négresse, 1615) ou encore d’écrire le sonnet – certes pas forcément irréprochable – que nous reproduisons ci-dessous (extrait du volume posthume Groot Lied-Boeck).

     

    * Pierre Brachin, La Littérature néerlandaise, Armand Colin, 1962, p. 43-44.

     

    Bredero, poème, théâtre, Amsterdam, Pays-Bas, comédie

    Journal des Arts, des Sciences et de Littérature, 15 Messidor an 13

     

     

    SONNET

     

    Orsus Adieu Amour, adieu Espoir & Crainte,

    Vous troubleras non plus mon Ame ni mon Cœur.

    Alors, je prie toy mon Dieu & mon Sauveur !

    Allumez mon Esprit d’Amour devot & Saincte :

     

    L’Amour du Monde n’est que tromperie & fainte

    Leger & inconstant, vollant, & sans valeur,

    Sans rayson, sans Conseil, accompagnie de peur,

    En amitie faus, contrefaict par contrainte.

     

    Mays l’Amour de vertu est seulement fondée

    A l’unique de la Divine Trinitée,

    Qui gouverne le Ciel, qui gouverne la Terre !

     

    O Pere eternel scrivez avecq tes doicts

    Au millieu de mon Cœur, tes belles bonnes Loys,

    Que je t'en puis servir d’un amour volontaire.

     

     

    Bredero, poème, théâtre, Amsterdam, Pays-Bas, comédie

    page de titre d'un ouvrage posthume de Bredero (1621)

     

     

     

  • Francis Jammes à Anvers et Amsterdam

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    Cahiers Francis Jammes 1

     

     

    couvcahiersJammes1.png

     

     

    Pour saluer la parution du magnifique premier Cahier Francis Jammes – qui explore entre autres les liens entre Georges Rodenbach et Francis Jammes (article de Jean-Louis Meunier) –, nous reproduisons ci-dessous quelques pages que le poète d’Orthez a consacrées, dans ses Mémoires (Les Caprices du poète), à sa visite chez Max Elskamp et à la ville d’Amsterdam d’où il a ramené un célèbre poème. Effectuant entre fin mars et début avril 1900 l’un de ses rares voyages à l’étranger, le jeune homme prend plusieurs fois la parole devant une assistance bien garnie. Son séjour à Bruges est en partie gâché par des bambocheurs qui l’empêchent de dormir. Il aura toutefois le plaisir de s’entretenir avec plusieurs confrères belges, dont Camille Lemonnier et Thomas Braun, lequel l’a accueilli chez lui à Bruxelles. Jammes croise aussi sans doute dans cette même ville Frantz Melchers, peintre néerlandais injustement oublié, qui avait illustré le poème On dit qu’à Noël quelques années plus tôt.

     

    Francis Jammes chez Thomas Braun à Maissin (Belgique) 

     

     

    couvJammesRomanvandeHaas.pngMax Elskamp ! J’ai dit quelle place je lui réserve dans la poésie et dans mon cœur. Ce fut si singulier, cette visite ! J’arrive devant une riche maison, ni belle ni laide, qui portait le numéro 138 du boulevard Léopold. On ne pouvait rien induire de sa façade, sinon, et c’est la vérité, qu’elle figurait l’ordre, le confort, l’honnêteté d’un intérieur commercial… Commercial, dans ce grand sens antique où les imposants vaisseaux ouvraient leurs ailes vers les Indes. Le père de Max Elskamp était, en effet, négociant. C’est lui qui me reçut avec une affabilité parfaite, me fit monter par de somptueux appartements jusqu’au troisième étage, m’introduisit dans la cellule de son fils. Aussitôt, avec un sourire plein de grave bonté, il se retira. J’avais devant moi un jeune homme que je savais me comprendre et m’aimer à travers mes poèmes, comme à travers les siens je l’aimais et le comprenais. Mais ce jeune homme, de cinq ans plus âgé que moi, venait d’ailleurs ; je veux dire :de terres inconnues à ma race. Cette figure géométrique, aux yeux bridés, ce corps anguleux et fin, ces pieds rejoints ainsi que des nageoires caudales, je ne les avais jusque-là observés que dans les gravures représentant ces peuplades vêtues d’épaisses toisons et vivant parmi les eiders et les phoques sur la banquise. Elskamp parlait fort bien notre langue, à voix basse. La pièce exiguë où il travaillait s’ornait de quelques palmes desséchées, de quelques armes exotiques lui rappelant les longs voyages qu’il avait accomplis sur mer, par goût, sur de périlleux voiliers, où tel le dernier des matelots, il manœuvrait, mangeait mal, couchait aufrancis jammes,anvers,amsterdam,max elskamp,poésie,traduction,georges rodenbach hamac. Du brumeux Anvers, il avait gagné la Sicile aux vins d’or, et de là passant les détroits, il avait rayonné sur d’étranges contrées dont il contait les mœurs. Auprès de ces panoplies étaient piquées au mur de nombreuses cartes célestes, et des tables toutes remplies de signes utiles à cette astronomie qui était sa passion, et dont il s’occupait, non en amateur, mais en savant. À côté de la presse à bras, qu’il avait établie lui-même, et où il tirait, sur de rares papiers, les chefs-d’œuvre simplifiés de ses dessins sur bois et de sa typographie, brillait, oblique et mystérieux, son télescope.

    « De même, Jammes, me disait-il, que vous affectionnez les fleurs que vous voyez revenir à des époques fixes, j’aime les étoiles dont j’attends le retour durant que le cycle de ma vie n’est point encore refermé. Celle que vous pouvez observer là, sur ce plan sidéral, ma sœur et moi la croiserons sans doute encore, ma pauvre sœur malade, mais il est écrit que mon père ne l’apercevra plus, même s’il devenait centenaire. Elle s’effacera, ce soir, à notre horizon, telle qu’une renoncule qui cesse de briller. »

    JammesKerkTitre.png[] Le peu que je visitai de la Hollande me donna un sentiment bien autre de grandeur que la Belgique, si j’excepte Anvers le merveilleux. Amsterdam me prit tout à fait. J’ai exprimé sa majesté dans un poème du Deuil des primevères. De même que Marseille est la porte de l’Orient, Amsterdam est la porte du Septentrion, mais ces deux villes se comprennent l’une l’autre. Amsterdam reluit comme un coffre d’ancien navigateur où seraient contenus les trésors des Mille et une Nuits. Des aras, semblables à des tulipes géantes, perchent dans l’ombre de ses salons solennels où trônent de larges femmes rubicondes. Isaac Laquedem passe dans la rue, se multiplie comme la Mère Gigogne ; de son manteau rouge et bleu sortent mille juifs et juivillons, vêtus le plus curieusement du monde, qui fourmillent sur le marché au bric-à-brac. Bonnets de loutre, képis, gibus, bonnets de coton, sarraus, tabliers, tuniques, plastrons d’escrimeur, dolmans de hussard, culottes de zouave, bottes marines, guêtres de laine, sabots, caoutchoucs, tout leur est bon pour se vêtir. Mais on ne peut qu’être ému par de vieilles faces où les rides s’inscrivent comme les caractères du Vieux Testament, ces paupières rouges, ces cheveux et ces barbes pareils aux toiles d’araignée du grenier de Pharaon, ces enfants dont les yeux brillent ainsi que des deniers, ces femmes superbes et calmes comme des vases patinés par le temps.

     

    Francis Jammes

     

     

    Francis Jammes en langue néerlandaise

     

    Korte levensschets van Guido de Fontgalland (La Vie de Guy de Fontgalland), adapté et augmenté d’une neuvaine par W. de Voort, La Haye, Cedo Nulli, 1931, 28 p.

    Kerk in bladergroen (L’Église habillée de feuilles), trad. et introduction Anton van Duinkerken, Utrecht, Spectrum, 1945, 56 p.

    Het crucifix van den dichter (Le Crucifix du poète), trad. Jos Nyst, illus. A.P. Stokhof de Jong, Heiloo, Kinheim, 1947, 85 p.

    De roman van de haas (Le Roman du lièvre), trad. Jean Duprés, Amsterdam, Van Oorschot, 1949, 51 p. 

    JammesDialogueMallarméTitre.pngUne traduction du Rosaire au soleil (Rozenkrans in het zonnelicht) a été réalisée sans jamais trouver déditeur. Par ailleurs, diverses publications contiennent un ou deux poèmes ou de courts passages de l’œuvre en prose en version néerlandaise.

     

    Le célèbre éditeur de Maastricht A.A.M. Stols a publié deux volumes de la correspondance de F. Jammes :

    Dialogue. Stéphane Mallarmé - Francis Jammes. 1893-1897, introduction et notes de G. Jean-Aubry, La Haye, Stols, 1940.

    Francis Jammes et Valery Larbaud, lettres inédites, introduction et notes de G. Jean-Aubry, Paris/La Haye, Stols, 1947.

     

     

    FrancisJammesFrieseKoerier1968.png

    article publié dans le Friese Koerier du 03/07/1968,

    année du centenaire de la naissace du poète

     

    Association Francis Jammes

     blog de Mikaël Lugan,

    directeur de publication des Cahiers Francis Jammes  

     

     

     

  • Une page de Paul Gadenne, Amsterdam 1950

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    Enquête René Char

     

     

    GadennePortrait.png

    photo de couverture de la revue nord', n° 43, avril 2004

     

     

     

    Nommé conservateur à Bibliothèque Inguimbertine de Carpentras – où il fait peindre ou tapisser ses appartements tout en noir –, Georges Bataille s’entretient régulièrement avec son ami René Char. C’est à la suite de propos qu’ils échangent que ce dernier va poser, en mai 1950, dans la revue Empédocle, la question pour le moins ouverte : « Y a-t-il des incompatibilités ? » en demandant à des écrivains d’y répondre. Cette « Enquête René Char » amène Paul Gadenne à écrire, fin juin 1950, alors qu’il séjourne en Hollande, les lignes qui suivent.

     

    Gadenne9.jpgVotre questionnaire me parvient à Amsterdam où je suis en passant, et j’y réponds entre deux averses et deux tables. Je suis venu dans ce pays non en touriste, mais pour vérifier quelques-uns des événements, quelques-unes des structures de ma vie intérieure. – J’ose me servir de cette expression abhorrée : il y a des terreurs que je ne veux pas subir. [Ce qui me met dans une position spéciale, un peu spécieuse, qui échappe à la compétence de l’entourage le mieux disposé, et même m’instruit assez sur moi-même, et sur autrui : il serait peut-être prétentieux de souhaiter autre chose.

    C’est déjà répondre à la question, et je voudrais que l’on sente toute la modestie, toute la nostalgie même que je me permets d’introduire dans cette enquête.]*

    Gadenne19.jpgC’est déjà répondre à la question. Je suis un voyageur dont le type ne se rencontre plus. Aussi les réponses qui parviennent à mes propres questions, sur le terrain modeste de la vie quotidienne, témoignent-elles d’un décalage, et sont-elles faites d’éléments que mon attention n’enregistre pas. Cela revient à se savoir assez seul, ce qui est notre condition même, et le prix de notre authenticité. Déjà c’est un fait, en mainte occasion il y a des incompatibilités entre le monde des hommes et moi.  Et je veux bien accepter pour moitié la responsabilité de ces incompatibilités, c’est moi qui les crée autant que le monde : elles sont la preuve de mon existence. J’existe par ce conflit toujours ouvert et que je ne veux pas laisser éteindre, même s’il me tue. La force brutale n’a aucune chance de m’impressionner, elle peut me supprimer tout au plus. « Except my life », comme dit si bien lord Hamlet. Et peut-être qu’Ariel ne pourrait subsister sans Caliban. Mais il est vrai aussi qu’il ne peut que le combattre – à moins qu’il ne puisse l’éclairer. Tel est le mystère.

     

    Amsterdam 30 juin 1950

     

    *Le passage entre crochets correspond à une deuxième version.

    (source : La Rue Profonde. Carnets Paul Gadenne, n° 1, p. 102-103)

     

     

    paul gadenne,flandre,amsterdam,littérature,didier sarrouDans l’article « Paul Gadenne et les Flandres » (Deshima, n° 4, 2010, p. 253-264), Didier Sarrou s’interroge sur la place qu’accorde Gadenne à sa région natale dans ses écrits. Les « Carnets Paul Gadenne »  – que l’on doit au même Didier Sarrou – , en particulier le n° 4,  offrent quelques passages sur la Flandre française (Armentières, Cassel…). Une petite sélection :

     

     […] il [un de ses cousins qu’il retrouve à Armentières, médecin qu’il apprécie beaucoup] me révèle le profit qu’il y a pour moi à me replonger un instant dans l’atmosphère d’une vie saine, à remonter vers mes sources, à voir ce qu’une intelligence un peu élevée a su tirer de son propre milieu, sans se « déraciner », mais au contraire en puisant à un haut degré les puissances de son espèce, de sa race. Ce qui manque aux autres, ce n’est point l’intelligence, c’est la clarté, c’est le sens et la puissance d’organisation.

    Gadenne41_0001.jpg[…] Madeleine [nièce de Gadenne], huit ans, toujours câline, vient s’appuyer contre moi, ou s’assied sur mes genoux en me regardant, la tête un peu renversée. Je sens contre ma main qui la retient sa hanche menue sous sa robe, et je plonge dans ses yeux qui rêvent. La vue de cette petite fille me fait redescendre des hautes régions où je planais et me ramène aux douces réalités de la vie. Vivre ainsi, avec une petite fille sur les genoux.

    […] Quand les gens se mettent en colère, ils aggravent leur patois, pour donner plus d’énergie à leurs paroles. Ou quand ils racontent une histoire qui exige de la vivacité, et en général dans toutes les occasions où ils sont passionnés. Le patois dispose de tours plus vifs, plus pittoresques que le français et ces histoires perdraient beaucoup à être racontées en bon langage.

    […] Visite à Eugénie (d’Armentières). Son mari, qui apparaît juste au moment du Dubonnet me dit : « Vous savez, il vaut mieux aimer les livres que les femmes. Quand un livre vous embête, on le met de côté. Mais les femmes !... »

     

     

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    Un extrait de la nouvelle Baleine lu par Marie

     

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  • Une page de Jean Lorrain

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    Monsieur de Bougrelon

    à Amsterdam

     

     

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    biographie de Jean Lorrain par  Thibaut d'Anthonay, 2005

     


     

     

    Célèbre auteur décadent, Jean Lorrain (1855-1906), dans son roman Monsieur de Bougrelon (1897), nous emmène en Hollande en faisant « débuter son récit à Amsterdam, au cours d’une tempête, avec une entrée en matière à la française : deux messieurs déambulent dans les rues, ignorant les musées et les lieux touristiques, car ils connaissent la ville. Ils sont intrigués par le nom d’un bar, Café Manchester, et se retrouvent ainsi dans un bordel dès la quatrième page. Les femmes y sont laides et gentilles, le “paisible et familial intérieur hollandais” s’y avère haut en couleur ; ces dames boivent bière et genièvre à un rythme accéléré. Mais cela n’est pas le thème du récit. C’est de monsieur de Bougrelon qu’il s’agit, qui rentre dans ce café et qui nous est décrit comme “ce cadavre peint, corseté, maquillé et cravaté”. Il propose à nos deux Français de leur servir de guide. On apprend qu’il était venu à La Haye dans le sillage d’un ami (qui avait été obligé de s’enfuir à cause d’un duel). Plus tard, monsieur Bougrelon s’est retrouvé à Amsterdam et y est resté.

    jean lorrain,monsieur de bougrelon,amsterdam,littérature française,pays-bas,fin de siècleAprès le premier chapitre, Amsterdam passe rapidement au second plan. C’est le décor de promenades qui ont, en fait, lieu de manière imaginaire : sorte de Barbey d'Aurevilly et de Des Esseintes, Bougrelon raconte ses souvenirs de conquêtes féminines, de plaisirs et d’amitiés aristocratiques. Il passe sans s’arrêter devant les chefs-d’œuvre du Rijksmuseum, avant de descendre dans les caves où se trouvent les salles où sont conservés les costumes qu’il compare à des sarcophages : “ces spectres ont laissé là leurs linceuls de velours et de soie”, dit-il, mais ces derniers recèlent “des baisers, de la folie, de l’amour et des larmes”. Pour le déjeuner, il emmène ces messieurs manger des crustacés dans une taverne de marins : la cabine d’un paquebot situé derrière la Gare centrale. Il leur conte l’histoire de la chaste Barbara, qui fut assassinée, ou plus précisément mangée, par son domestique. Il reconnaît les pupilles de cette dernière dans les yeux d’un caniche à Monnickendam. Une “hypothétique luxure”, c’est là l’essentiel. On rend une brève visite au Musée Fodor, la rue Zeedijk est également mentionnée, tout comme les villes de Zaandam et de Haarlem, mais le récit revient rapidement aux souvenirs de Bougrelon dont l’imagination transforme manteaux de fourrures et pots à conserves en œuvres d’art. Il disparaît au coin d’une rue pluvieuse, tout aussi soudainement qu’il était apparu, mais les deux hommes le revoient une dernière fois, sur l’estrade d’une taverne de marins, un violon sous le menton. » (source) Il disparaît et ne reste que la nostalgie d'une époque que nous n'avons pas vécue, d'un Ness autrement affriolant. 

     

    Bougrelon3.png

     

    Le début du roman

     

    Amsterdam, c’est toujours de l’eau et des maisons peintes en blanc et noir, tout en vitres, avec pignon sculpté, et des rideaux de guipure ; du noir, du blanc se dédoublant dans l’eau. Donc c’est toujours de l’eau, de l’eau morte, de l’eau moirée et de l’eau grise, des allées d’eau qui n’en finissent plus, des canaux gardés par des logis pareils à des jeux de dominos énormes : ça pourrait être funèbre et pourtant ça n’est pas triste, mais c’est un peu monotone à la longue, surtout quand il gèle et que l’étain figé des canaux ne mire plus les belles petites maisons de poupée, perron en l’air et tête en bas.

    Il faisait donc grand vent, ce jour-là, sur l’Amstel, un vent à balayer les balayeurs eux-mêmes ; sur le Dam, c’était le spectacle déjà trop de fois vu de la station des tramways et de la foule autour ; bonnets de fourrure rabattus sur des oreilles violettes, conducteurs et cochers fleuris de couperose, engoncements de cache-nez ; et ces étranges petits vieux Bougrelon4.pngqui, une éternelle goutte de gel au bout d’un nez rouge, vous vendent plus cher qu’au bureau des correspondances d’omnibus : mais il faut bien que tout le monde vive, et l’étonnement de s’entendre dire dangüe pour merci, et celui de recueillir sur le revers de son gant leur grelottante roupie est un des plaisirs du touriste en Hollande...

    Oh ! ces peuples du Nord ! D’ailleurs, le Hollandais est plutôt laid, et la Hollandaise lui ressemble ; les vieilles dames à chapeaux de velours noir, sur bonnets de dentelle ornés à la tempe de plaques d’or ajourées, font évidemment mieux dans les vieux tableaux de maîtres que dans l’ambiance des rues ; le Seadeck (le Rydeck d’Amsterdam) ne s’éveille qu’à la nuit. Quant au Ness, où de braves et plantureux gaillards blonds, roses, gras et la figure épanouie raccrochent innocemment au seuil des bouges, boudinés dans de longues houppelandes de portier d’hôtel, il était pour nous sans mystère ; nous l’avions déjà aussi trop visité et c’est bien là l’ingratitude humaine, car ce Ness nous avait-il assez ravi le premier soir.

    Bougrelon2.pngAvions-nous assez aimé ces lourdes portes s’ouvrant brusquement pour laisser apparaître derrière une rangée de tables un entassement de chairs et de paillons, dressés comme un dessert sur une lointaine et lumineuse estrade. « Dames françaises, entrez, messieurs, on parle français », et c’était de la part des bons géants joufflus des révérences et des sourires à pleines lèvres, mais des bons sourires honnêtes, des sourires ignorés à Paris ; ils n’en lâchaient pas une minute le cordon qu’ils tenaient à la main, et c’était le long de cette rue du Ness, c’était à chaque seuil la même soudaine apparition de nudités et d’étoffes flamboyantes, la même offre patriotique, dames françaises, et le même salut.

    Ah! que de dames françaises dans tous les Ness des brumeuses Belgiques ! des lointaines Hollandes et de tous les pays !

    Ah! qu’on est fier d’être Français quand on voyage à l’étranger.

     

    jeanlorrainsignature.png

     

     

    Les illustrations (détails) sont de Marold et Mittis.

    Elles agrémentent la première édition.

     


     

    Monsieur de Bougrelon a été traduit en néerlandais par Jeanne Holierhoek

    sous le titre Denkbeeldige genietingen

    (sans doute une façon de reprendre celui de l'un des chapitres : Hypothétiques luxures),  Amsterdam, Meulenhoff, 1978. 

     

     

     

  • Alexandre Cohen : les années anarchistes (4)

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    ALEXANDRE COHEN

    LES ANNEES ANARCHISTES (4)

     

    Alexandre Cohen

    correspondant de Recht voor Allen à Paris

     

    Trait d’union, Cohen l’est aussi dans ces années entre les anarchistes parisiens et les sympathisants hollandais. Avant l’arrivée de Christian Cornelissen (1864-1946) qui fut appelé à jouer un grand rôle à la charnière des deux siècles dans l’essor de l’anarcho-syndicalisme, Alexandre Cohen assure le passage des nouvelles entre Paris et les principales villes néerlandaises. Certes, des journaux anarchistes français et autres pamphlets circulent dans le Royaume batave tout comme des traductions d’articles ou d’ouvrages des doctrinaires ; Proudhon, E. Reclus et Pelloutier par exemple exercent alors une influence certaine dans ces milieux aux Pays-Bas. (62) D’autres individus très actifs s’emploient aussi à diffuser nombre d’écrits comme J.C.Ph.H. Methöfer, H.J. van Steenis ou encore F.W.J. Drion. (63) Mais la présence de Cohen sur place permet à Recht voor Allen de diffuser une information de première main, alors même qu’on ne pouvait se permettre de passer par le circuit coûteux et déjà traditionnel des agences de presse. Cohen l’affirme lui-même, avec sa franchise habituelle : « Si les lecteurs de RvA sont un tant soit peu au courant de la vie politique et de la situation des différents partis en France, je crois y avoir contribué pour une grande part. » (64) Sa position facilite aussi la publication d’essais de F. Domela Nieuwenhuis en France.

    A. Cohen, 1894 (publié dans le journal Morgenrood)

    PortraitCohen1894.gifDurant son long séjour à Paris, Cohen expédie plus de 70 articles que F. Domela Nieuwenhuis place dans son journal devenu un quotidien en 1889. La plupart de ces textes figurent sous l’intitulé « Parijsche Brieven » (« Lettres parisiennes ») ; on devait à d’autres les rubriques « Amsterdamsche Brieven » (« Lettres amstellodamoises ») et « Rotterdamsche Brieven » (Lettres rotterdamoises). (65) Cohen est selon ses propres dires le seul correspondant rémunéré du journal (66), un « salarié » d’ailleurs en permanence débiteur de F. Domela Nieuwenhuis. Il publie ses papiers sous le pseudonyme de Souvarine, quelquefois sous celui de Demophilus ou Demophile et parfois sous son patronyme. Quelques articles portent un titre particulier et quatre sont des boekbeschouwing ou boekbeoordeling (compte rendu ou recension critique d’un ouvrage). Ses « Lettres » traitent bien entendu d’événements de fraîche date (bien qu’elles soient parfois publiées plusieurs semaines après leur rédaction) et de faits souvent très marquants : décapitation, explosion d’un puits de mine, grève, boulangisme, attentats, commémoration des victimes du coup d’État du 2 décembre 1851, colonisation, suicide de Boulanger, vie parlementaire... Pas une seule des multiples personnalités évoquées dans ses articles ne s’en tire sans égratignures. L’extrait suivant de la « Lettre parisienne » du 13 mai 1892 illustre assez bien la teneur de l’ensemble :

    Il n’est pas très compliqué de dresser le bilan des dernières escroqueries gouvernementales. Plus de 60 révolutionnaires étrangers, anarchistes ou non, ont été mir nichts, dir nichts expulsés sans qu’ils se soient rendu coupables d’autre chose que du refus de démordre de leurs idées. Les socialistes officiels (puisse feu monsieur G. me pardonner ce qualificatif) avec Guesde à leur tête, ont applaudi sans retenue cette mesure gouvernementale et ce dernier a même estimé utile de déclarer, à l’occasion d’une interview accordée au rédacteur du Figaro, que tous les anarchistes peuvent être classés en 3 catégories, à savoir : les menteurs, les idiots et les mouchards. Kropotkine est, toujours selon le ci-dessus nommé..., un hurluberlu, un fou sans la moindre valeur. Dans le même temps, tous les journaux commentaient – le plus réactionnaire en première ligne – l’exquis ouvrage de Kropotkine La Conquête du Pain dans les termes les plus favorables. Point n’est besoin d’ajouter à ce petit échantillon pour juger de la loyauté et de l'honnêteté de certains intrigants.

    Ajoutons que des arrestations se sont également produites sur tout le territoire, au total plus de 200.

    La meilleure preuve que ces arrestations n’étaient en rien justifiées réside certainement dans le fait que presque tous les prisonniers ont été remis en liberté après le 1er mai ; ils ont toutefois été traités au cours de leur détention de la plus vile des manières, comme des chiens. Plusieurs d’entre eux sont tombés malades suite au traitement alimentaire enduré. Ils doivent en partie ce traitement extrêmement brutal à ce qu’on les a considérés comme l’âme de la presse révolutionnaire. Le but recherché, entendez la disparition des journaux, n’a pas été atteint et ceux-ci paraissent aux dates prévues, avec un contenu plus révolutionnaire et plus violent que jamais. Les souscriptions ouvertes pour soutenir les épouses et les enfants des camarades emprisonnés ont rapporté infiniment plus qu’on ne l’avait espéré ; à la grande irritation et à la grande surprise des bourgeois, des dons de 5, 10 et même 20 francs figurent sur les listes. Parmi les souscripteurs, on relève les noms de personnalités des lettres très en vue à Paris. Le tirage de La Révolte a augmenté de 1000 exemplaires, celui du Père Peinard de 2500 et le journal L'Endehors, fondé il y a peu, qui prend un tour de plus en plus révolutionnaire et qui compte parmi ses collaborateurs les meilleures plumes de la nouvelle génération, voit le nombre de ses abonnés croître continuellement.

    Messieurs, c’est bien ainsi, continuez à taper dans le mille. Plus nous rallions de gens, mieux c’est !

    Ce sont nos ennemis qui nous font la meilleure propagande. Et les vieux grecs qui soutenaient que les dieux ont frappé de cécité ceux qui voulaient les corrompre avaient certainement eu à souffrir eux aussi de gouvernants aveugles.

    Ce n’est pas aujourd’hui qu’on pourra les guérir. Les gouvernants, j’entends ! (67)

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    Recht voor Allen, n° 105 (R. Spoor, Uiterst links, p. 70)

     

    La vie parisienne et mille activités absorbent Cohen mais les soucis d’argent se dissipent rarement, même s’il a touché un petit héritage. Et si le journal de Domela Nieuwenhuis ne représente l’assurance que d’une maigre rentrée d’argent, il ne faut pas en déduire pour autant qu’il bâcle les nombreux papiers qu’il expédie. Cohen est en effet un maniaque et « aucun de mes manuscrits n’est envoyé sans avoir été au préalable relu et encore relu, sans que les feuillets aient été comptés et numérotés etc. » (68) Ses articles sont hauts en couleur et d’une couleur qui tranche avec celle du S.D.B. Là n’est pas la moindre des contradictions. Il hait les sociaux-démocrates :

    Je demeure celui que j’ai toujours été : un révolutionn aire qui veut renverser l’ordre régnant, quelle que soit la manière utilisée et en recourant à tous les moyens possibles. Cependant, mes yeux se sont ouverts à beaucoup de choses qui m’étaient jusqu’alors cachées ; et s’il en est une dont je ne veux en aucun cas entendre parler, c’est de sacrifier un tant soit peu ce qui fait le propre de l’homme à l’idée de communauté. Pour parler en toute franchise, je choisis la société actuelle, que je hais comme la peste avec toute la haine dont je dispose – et elle n’est pas insignifiante ! – par-dessus l’État coercitif que nous propose la firme Liebknecht, Guesde et Cie. Ces gens là, je les poursuivrai jusqu’à ma mort de la dérision, de l’ironie et de la force probante qui sont miennes. Pour le reste, je suis et je combats aux côtés de ceux qui veulent mettre fin à l’oppression par la révolution, et peu me chaut que ceux-ci se disent communistes, socialistes ou anarchistes. (69)

    Cette même confession (moins la haine), Alexandre Cohen la renouvellera quelques années plus tard aux lecteurs de sa revue De Paradox : « Plus odieuse encore que la perspective d’un régime social-populacier est à mes yeux l’idée d’être gouverné par un sanhédrin de “savants” : des économistes, des psychologues, des anthropologues, des anthropométeurs, des criminologues, des concepteurs de matérialisme historique. Mais cela est rien moins que la social-démocratie, ni plus ni moins. (...) Pourquoi je m’en prends par prédilection à la social-démocratie et non aux autres partis politiques ? Non – comme le prétendent certains – par haine ou antipathie à l’égard de ces chefs d’orchestre d’une chapelle sans valeur artistique. Mais parce que la social-démocratie est le proche avenir, un avenir de fous. » (70)

    La particularité du socialisme hollandais et la personnalité de F. Domela Nieuwenhuis permettent de comprendre comment des individualistes comme Cohen ont pu publier leurs écrits dans les colonnes de Recht voor Allen : « Le S.D.B. existait depuis peu de temps, il était tout sauf très structuré et pouvait plutôt passer pour un mouvement tournant et fonctionnant autour de Recht voor Allen et de son rédacteur en chef Ferdinand Domela Nieuwenhuis. (...) Il est sûr que Domela Nieuwenhuis avait très tôt subi une influence libertaire qui se traduisait surtout par des prises de position tranchées et critiques à l’égard de l’autoritarisme des sociaux-démocrates allemands. » (71) Un F. Domela Nieuwenhuis assez compréhensif pour ne rien modifier à la prose de Cohen : « Bien que nous ne suivions pas Cohen dans toutes ses assertions et que nous estimions exagérés les qualificatifs qu’il emploie, nous ne souhaitons pas l’empêcher de dire pleinement ce qu’il entend dire, ce d’autant plus qu’étant sur place, il est peut-être mieux en mesure que nous de juger des événements. » (72) Et s’il arrive parfois au leader socialiste de refuser un papier de Cohen, il est sommé epistolairement par ce dernier de justifier sa décision.

    Si le socialisme en France se divise en courants derrière de fortes personnalités, le socialisme hollandais, par nature, éclate lui en tous sens. Seul F. Domela Nieuwenhuis draine alors derrière lui des fidèles qui l’imiteront en 1897-1898 lorsqu’il tournera le dos au socialisme autoritaire pour s’engager dans la voie du socialisme libre et devenir ainsi la grande figure historique de l’anarchisme.

    Les autres activistes, anarchistes de la première heure, pouvaient difficilement tirer leur épingle du jeu sans fréquenter un tant soit peu le cercle de Recht voor Allen. Avant 1885, il n’est guère question d’anarchisme aux Pays-Bas (73) et ce sont dans les années qui suivent des membres du S.D.B. et collaborateurs de Recht voor Allen qui tenteront tant bien que mal de diffuser les idées libertaires (B. van Ommeren : De Vrije Pers = La Presse Libre ; J. C. Ph. H. Methöfer : De Anarchist = L’Anarchiste ; J. J. Bersch : De Oproerkraaier = L’Agitateur). F. Domela Nieuwenhuis va jusqu’à leur avancer de l’argent, argent investi dans cette presse qui justement ne le ménage aucunement ! (74)

    F. Domela Nieuwenhuis (1846-1919)

    PortraitDomelaNieuwenhuis.jpgChacun défendant son église, le moindre prétexte alimente des querelles. Ces athées - pour beaucoup des vrijdenkers (75) - ouvraient les chapelles qui manquaient encore à la mosaïque confessionnelle qu’étaient les Pays-Bas. Bref, un joli tableau. Une touche barbouillée : « Si on désire retenir une caractéristique générale (...), on peut définir les anarchistes de Rotterdam comme étant ceux du refus de Dieu, les anarchistes de La Haye comme ceux du refus du gouvernement et les anarchistes d’Amsterdam comme ceux de l’acceptation de toutes les négligences possibles et imaginables. » Une touche couleur œil au beurre noir : « ...on tenait dans des salles à Amsterdam des réunions particulièrement animées durant lesquelles on s’emportait. Cela n’avait pas grand-chose à voir avec des débats purement théorico-historiques (...) : il était question d’en découdre sur l’existence politique des groupes qui s’opposaient à cette occasion et il n’était pas rare que des adversaires en vinssent aux mains. » Et une touche teintée d’encre sanguine: « Recht voor Allen était encore trop souvent en 1890 le terrain sur lequel divers socialistes livraient bataille pour des questions de principe ou de tactique. Souvent, cela tournait à des querelles d’hommes. Aussi, en vue du congrès de Heerenveen, on avait reçu des propositions visant à repousser tout débat sur les questions propices à faire naître de telles querelles. Clemens écrivit par exemple dans le numéro du 17 octobre 1890 de Recht voor Allen : “Le parti révolutionnaire néerlandais va-t-il péricliter entre les mains des chamailleurs ? ... Que nous ont encore apporté les derniers jours ? Le journal De Anarchist ne publie pas un seul numéro et pas un seul article qui ne contiennent des passages grossiers et offensants pour Domela Nieuwenhuis en particulier et le S.D.B. en général ; et Recht voor Allen ne fait que répondre par des remarques désobligeantes à l’égard de Croll et des anarchistes. Le pire est qu’il ne s’agit pas seulement d’un combat d’idées mais d’une polémique entre personnes qui met en jeu bien d’autres choses que les principes de chacun.” » (76) » Et pour couronner le tout, H.J. van Steenis en arrive à soupçonner un de ses compagnons nommé Van der Voo, traducteur de Jean Grave, de l’avoir vendu à la police : « Tout cet épisode est significatif du climat dans lequel les anarchistes opéraient alors. “Rendre la justice” dans son propre clan n’était pas non plus un phénomène inconnu dans les pays étrangers. Pour les anarchistes qui rejettent l’État et ses organes tels que la police et la justice, c’était là l’unique manière de résoudre les problèmes internes. » (77) En la matière, Cohen ne fait pas non plus exception à la règle, lui qui traite – pour ne retenir qu’un exemple – Christian Cornelissen de « bestiole limaceuse et toquée », de « sophiste et casuiste nauséeux ». (78)

    Il arrivait de temps à autre que ces révolutionnaires fissent le coup de poing hors de leurs rangs, en particulier avec les royalistes. Le soir du 19 février 1888 par exemple, Alexandre Cohen et son « ami » socialiste Vliegen tombent à La Haye sur des étudiants en goguette fêtant l’anniversaire de Guillaume III ; résultat : ils brûlent le drapeau orange. (79) Cohen affirme que lui et son compagnon étaient les seuls éléments agressifs de la section de La Haye ; mais l’article de Recht voor Allen du 26 février 1887 portant sur les événements survenus à Amsterdam à l’occasion du précédent anniversaire du roi, montre une fois de plus que l’on comptait d’autres « excités » dans les rangs anarchistes (80).

    Frank van der Goes (www.dbnl.org)

    FrankvanderGoesPortrait.gifSortis de prison ou hors de portée des orangistes, les révoltés se battaient et se dévoraient entre eux. À en croire l’essayiste F. van der Goes (1859-1939), le mouvement libertaire rassemblait pourtant des gens respectables et a priori peu portés au pugilat : « L’anarchie est dans les Pays-Bas d’aujourd’hui la forme de pensée qui recrute la plus grande partie de ses adeptes parmi les gens cultivés. Il est surprenant de voir à quel point l’anarchie touche les hommes de sciences, les gens de lettres et ceux qui ont acquis une spécialisation professionnelle ou technique. » (81)

     

    (62) D. Gevers souligne ce point dans son introduction à l’article « Anarchisme in Frankrijk en Nederland », in La France aux Pays-Bas: Invloeden in het verleden, Kwadraat, Vianen, 1985, p.201-239.

    (63) Voir par exemple à propos de textes de revues françaises repris dans la presse anarchiste néerlandaise, sur les contacts avec E. Reclus et sur un article de Van Steenis traduit en français : J.M. Welcker, Heren en Arbeiders in de vroege Nederlandse Arbeidersbewering 1870-1914, Van Gennep, Amsterdam, 1978, p. 397, 413, 461, 463, 464 et 488.

    (64) Lettre à F. Domela Nieuwenhuis, 30 août 1893.

    (65) B. Bymholt, op. cit., p. 258 et 395.

    (66) A. Cohen, op. cit., 1976, p. 146.

    (67) Recht voor Allen du 24-25 mai 1892, dans A. Cohen, op. cit., 1980, p. 146-147.

    (68) Lettre à F. Domela Nieuwenhuis, 6 août 1895. Ce soin porté à la rédaction et à l’envoi de ses écrits est souvent spécifié dans sa correspondance. Il cousait par exemple très soigneusement les feuillets. Toute sa vie, il est également resté attaché au mot juste, à la qualité stylistique. « Je choisis mes mots dans le souci d’être le plus compréhensible possible » (De Paradox, p. 55).

    (69) Lettre à F. Domela Nieuwenhuis, 30 août 1893.

    (70) A. Cohen. De Paradox, p. 105-106.

    (71) J. Moulaert, op. cit., p. 90.

    (72) Note de la rédaction sous l’article de Cohen publié dans Recht voor Allen du 24-12-1891 ; voir A. Cohen, op. cit., 1980, p. 143.

    (73) L. G. J. Verberne, De Nederlandse arbeidersbeweging in de negentiende eeuw, Het Spectrum, Utrecht-Antwerpen, 1959, p. 126.

    (74) J. M. Welcker, op. cit., p. 390-391.

    (75) L. G. J. Verberne, Gesciedenis van Nederland in de jaren 1850-1925, I, Het Spectrum, Utrecht-Antwerpen, 1957, p. 80-81. Les vrijdenkers ou « libres-penseurs » contribuèrent à répandre l’athéisme dans les rangs socialistes.

    (76) Successivement : J.M. Welcker, op. cit., p. 397 ; B.W. Schaper, « Anarchisme en Socialisme », in Anarchisme: Een miskende stroming?, Polak & Van Gennep, Amsterdam, 1967, p. 104 ; B. Bymholt, op. cit., p. 608.

    (77) J. M. Welcker, op. cit., p. 477.

    (78) Lettre à F. Domela Nieuwenhuis, 29 août 1897. Voir sur cet anarchiste qui passa également une grande partie de son existence en France : Tussen anarchisme en sociaal-democratie: « Het Revolutionaire Kommunisme » van Christiaan Cornelissen (1864-1943), ingeleid en geannoteerd door Bert Altena & Homme Wedman, Anarchistische Uitgaven, Bergen, 1985. En français : H. Wedman, « Christian Cornélissen 1864-1943 », Les Temps maudits, revue syndicaliste révolutionnaire éditée par la CNT-AIT, n° 5, mai 1999, p. 79-92. En anglais : H. Wedman, « Cristiaan Cornelissen. Marxism and Revolutionary Syndicalism », in M. van der Linden (réd.), Die Rezeption der Marxschen Theorie in den Niederlanden, Trier, 1992, p. 84-105 ; ou encore, en anglais : J. Stein, « Freedom and Industry. The Syndicalism of Cristian Cornelissen », Anarcho-Syndicalist Review, 28, printemps 2000, p. 13-19.

    (79) A. Cohen, op. cit., 1976, p. 135.

    (80) Voir B. Bymholt, op. cit., p. 430-431.

    (81) F. van der Goes, « Het Koningschap in Nederland » (1891), Uit het werk van Frank van der Goes, De Wereldbibliotheek, Amsterdam, 1939, p. 37.