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Fils d’un cordonnier relativement aisé d’Amsterdam, Gerbrand Adriaensz. Bredero a été surtout connu de son vivant comme auteur de théâtre. Sa comédie Spaanschen Brabander (Le Brabançon espagnol, 1617) est particulièrement savoureuse : « la pièce vaut par son réalisme intense. Adaptés ou inventés, les personnages sont pétillants de vie : petits vieux à l’esprit caustique, fossoyeur, fileuses babillardes, exempts à la main lourde… Chacun parle le langage qui convient […] Le comique revêt des aspects très variés, depuis la gaudriole jusqu’à l’humour le plus fin* ». « Il veut peindre le vice avec assez de relief pour le faire détester », a-t-on pu écrire à son sujet. Ce qui est sûr, c’est que l’Amstellodamois n’avait aucun rival dans le genre de la farce.
Même s’il disait ne posséder que quelques rudiments de français : « een slechte Amstelredammer (die maar een weynich kints-School-frans in 't hoofd rammelde) », ceux-ci lui ont permis d’adapter en néerlandais la tragicomédie Lucelle de Louis Le Jars (1576), de traduire de la poésie, de s’inspirer d’une traduction française de L’Eunuque de Térence pour composer une de ses meilleures comédies : Moortje (La Petite Négresse, 1615) ou encore d’écrire le sonnet – certes pas forcément irréprochable – que nous reproduisons ci-dessous (extrait du volume posthume Groot Lied-Boeck).
* Pierre Brachin, La Littérature néerlandaise, Armand Colin, 1962, p. 43-44.
Journal des Arts, des Sciences et de Littérature, 15 Messidor an 13
SONNET
Orsus Adieu Amour, adieu Espoir & Crainte,
Vous troubleras non plus mon Ame ni mon Cœur.
Alors, je prie toy mon Dieu & mon Sauveur !
Allumez mon Esprit d’Amour devot & Saincte :
L’Amour du Monde n’est que tromperie & fainte
Leger & inconstant, vollant, & sans valeur,
Sans rayson, sans Conseil, accompagnie de peur,
En amitie faus, contrefaict par contrainte.
Mays l’Amour de vertu est seulement fondée
A l’unique de la Divine Trinitée,
Qui gouverne le Ciel, qui gouverne la Terre !
O Pere eternel scrivez avecq tes doicts
Au millieu de mon Cœur, tes belles bonnes Loys,
Que je t'en puis servir d’un amour volontaire.
page de titre d'un ouvrage posthume de Bredero (1621)
« Ce n'est pas l'inspiration extérieure qu'il faut attendre, c'est l'inspiration intérieure (…) La vie intérieure comporte aussi la vie éthique ou morale, les scrupules, les choix, la volonté raisonnée. Cette vie intérieure est l'état proprement poétique. »
Max Jacob
P. Boskma par Tafil Musovic
Frison de naissance et de cœur, Pieter Boskma s’est affirmé en trente ans comme le grand lyrique des Pays-Bas. Il n’a pas choisi la poésie, c’est elle qui l’a choisi. On retrouve chez lui des accents d’un Herman Gorter (1864-1927), l’auteur de Mai (1889), long poème qui reste le chef-d’œuvre de la génération des Tachtigers (poètes des années 1880). Lui aussi a pour sa part, un siècle plus tard, appartenu brièvement à un groupe de poètes qu’on a appelé les Maximaux : « Pour moi, Maximaal est essentiellement un plaidoyer pour le lyrisme qui vient tout droit du cœur ».
Parmi les poèmes qui l’ont marqué dans sa jeunesse, mentionnons-en deux, de poètes à la fois novateurs et traditionnels, le Paul van Ostaijen (1896-1928) d’Avondgeluiden (Soir sonore) :
Métairies claires derrière la lisière
le long des champs bleus le long eux de la lune
entends le soir sur les pavés au loin
le fer des chevaux (...)
et le Lucebert (1924-1994) de er is alles in de wereld het is alles :
il y a tout dans le monde cela est tout
le sourire canin et fou de la faim
les peurs ensorcelées de la douleur et
le grand vautour grand soupir les grands
les vieux les lourds rossignols
cela est tout dans le monde il y a tout (...)
Pieter Boskma affirme que le genre poétique correspond à sa nature paresseuse. Il n’en a pas moins publié une dizaine de recueils dans lesquels il pratique son art avec gravité et humour, mariant thèmes et approches contrastés ; la langue parlée côtoie avec aisance le vers élégiaque, le sublime et le magique la réalité la plus crue. Il fait partie des rares poètes qui ne succombent pas à la doxa ra- tionalisante ; la poésie lui permet et de peindre, et de chanter, et de parler et de philosopher. Imprévisible, il publie en 2002 un poème épique de près 250 pages, La Comédie terrestre. Terrestre, il l’est en laissant parler l’être physique, érotique, organique, viscéral.
Le titre de son dernier recueil, L’heure violette, est emprunté à un vers de T.S. Eliot. Comme dans certains poèmes antérieurs évoquant des figures de peintres, on retrouve dans ces pages une attention accrue pour la lumière ; Boskma ayant quitté Amsterdam, la nature semble devoir occuper do- rénavant une place de plus en plus grande dans son œuvre. À l’instar du romancier de tout premier plan Gerard Reve (1923-2006), il lui arrive de dédier ses œuvres à la Vierge (Notre-Dame de la Médaille miraculeuse, La Dame de tous les Peuples, Notre-Dame de Heiloo…).
L’auteur a aussi donné un court roman, Une photo de Dieu, et des nouvelles réunies sous le titre Occidentaux. Si François Nourissier a publié sous un pseudonyme féminin le roman Seize ans, Pieter Boskma a pour sa part donné sous celui de Laura van der Galiën (jeune fille présentée comme étant née en France) un recueil intitulé Zeventien (Dix-sept ans, 1996). Il a aussi publié des pastiches du poète Gerrit Achterberg (1905-1962) en les faisant passer pour des poèmes inédits de son grand prédécesseur ; tout le monde ou presque est tombé dans le panneau, y compris les plus grands spécialistes de cet auteur.
Œuvres
Virus virus (poèmes, avec Paul van der Steen, 1984)
Quest (Quête, poèmes, 1987)
De messiaanse kust (Le Rivage messianique, poèmes, 1989)
Tiara (Tiare, poèmes, 1991)
Een foto van God (Une photo de Dieu, roman, 1993)
Simpel heelal (Simple cosmos, poèmes, 1995)
In de naam (Au nom, poèmes, 1996)
Te midden van de tijden (Entre les temps, poèmes, 1998)
Het zingende doek & De geheime gedichten (Le Tableau qui chante & Les Poésies secrètes, poèmes, 1999)
De aardse komedie (La Comédie terrestre, roman-poème, 2002)
Puur (Pur, poèmes, 2004)
Altijd weer dit leven (Cette vie, toujours, anthologie, postface Joost Zwagerman, 2006)
Westerlingen (Occidentaux, nouvelles, 2006)
Het violette uur (L’Heure violette, poèmes, 2008)
Doodsbloei (Floraison de mort, poèmes , 2010)
Pieter Boskma a aussi donné plusieurs plaquettes illustrées par Pieter Bijwaard, un recueil des œuvres poétiques de l’un de ses amis, décédé en 1991, Paul van der Steen (avec qui il avait fondé et dirigé la revue Virus), une anthologie de poèmes de Herman Gorter… Il a fait partie de l’équipe fondatrice de la revue entièrement consacrée à la poésie Awater dont il est resté rédacteur jusqu’en 2003. La plupart des œuvres de Pieter Boskma sont publiées par In de Knipscheer et Prometheus/Bert Bakker.
Voici deux poèmes de Pieter Boskma, tels qu’ils ont paru dans l’anthologie Le Verre est un liquide lent. 33 poètes néerlandais, Farrago, 2003 :
Muette toute et douce tu es
toute muette que toute douce je
tu es comme tout à coup moi parfois
toi des couleurs une nuit entière
toi et encore un je plus doux
que toi tout à coup toi qui rit en toi
car tu es silence doux tout
en toi et rire et que tu
qu’en plus tu et au surplus
peux t’ouvrir et au surplus
te refermer un peu même un peu
plus que moi un peu comme
un peu comme moi.
(In de naam)
La lumière jaune de Van Goyen
darde en effleurant les dunes,
de la résurrection des morts
au commencement des temps.
La gerçure des bouleaux nus
luit à croire l’écorce couverte d’or,
et, sur les dalles funéraires, les noms
trouvent un second souffle.
D’une vitre éclabousse un soleil
cru qui chute à travers les nuages.
Une flamme près des hauts fourneaux
se propage dans l’épaisseur du cœur.
C’est alors que, de l’asile d’aliénés de la nuit,
Malevitch crache son Carré Noir.
(Het zingende doek & De geheime gedichten)
(trad. D.C.)
En septembre 2010, Pieter Boskma a publié Doodsbloei, « journal de deuil » sous forme poétique – une suite de plus de 250 poèmes proches du sonnet, hommage impres- sionnant à sa compagne disparue. Le premier tirage de cette « épopée » a été vendu en une semaine.
Fils d’une orpheline, lui-même enfant non reconnu - du moins a-t-il prétendu tout cela et bien d’autres choses pour tromper son lecteur -, Jan Arends a mené une vie de solitaire ponctuée de plusieurs internements en asile. Ces séjours comme ses obsessions masochistes lui inspireront un magnifique texte en prose, Keefman (1972), monologue d’un aliéné qui s’adresse à son psychiatre (dont il existe une traduction de J. Arons sous le titre Monsieur Roquet dans Le Fou parle, revue trimestrielle d'art et d'humeur, n° 28, juin 1984, p. 29-37). Ce texte a été adapté pour la scène tandis que la vie de l’écrivain a été portée à l’écran.
Son œuvre restreinte (moins de 500 pages) se compose en partie de poèmes « télégraphiques » dans lesquels domine l’incapacité de vivre : « Même / la caresse d’une main / me fait / mal ». Son premier recueil porte en exergue cette mention en français : de quelques petits mots / que les autres n’ont pas. Jan Arends s’est défenestré le 21 janvier 1974, le jour de la parution de son second recueil.
Œuvres de Jan Arends
1965 Gedichten (Poèmes)
1972 Keefman (Keefman)
1974 Lunchpauzegedichten (Poèmes à l’heure du lunch)
1974 Ik had een strohoed en een wandelstok (nouvelles, posthumes)