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littérature - Page 27

  • Vondel

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    Joost van den Vondel (1587-1679)

    par J.A. Alberdingk Thijm

     

     

    Tu es, ô Vondel, l'étoile du Nord la plus belle qui brille en ton ciel.

         Jacint Verdaguer     
     

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    couverture de la biographie consacrée à Vondel par Piet Calis

     

    Petite évocation de l'un des plus grands écrivains hollandais du passé, Vondel, à travers un texte de Josephus Albertus Alberdingk Thijm (1820-1889). Ce patronyme difficile à prononcer pour un Français était celui d'un érudit du XIXe siècle qui, de son vivant, a exercé une énorme influence. Dans son immense production, on relève d'ailleurs un ouvrage consacré au poète du Siècle d'or : Portretten van Joost van den Vondel (1876). J.A. Alberdingk Thijm était le père d’un Tachtiger, l’écrivain Lodewijk van Deyssel (1864-1952). Il a collaboré à plusieurs revues françaises et publié, dans notre langue, De la littérature néerlandaise à ses différentes époques (1854). Les chapitres de ce livre avaient paru peu avant dans une revue néerlandaise dont les premiers numéros étaient entièrement rédigés en français : L'Astrée. C'est au deuxième volume de cette publication, celui de l'année 1842, que sont empruntées les pages (p. 49-50) ci-dessous. Il existe plusieurs traductions et adaptations des pièces de Vondel dont une que l'on doit à Jean Giono : Joseph à Dothan. La pièce avait alors été jouée au théâtre d'Orange.

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    Avant Giono, un autre grand Provençal avait été invité à goûter du vers de Vondel : « Le 17 Novembre, Amsterdam solennisera le troisième centenaire de la naissance de Vondel, le plus illustre poète du Siècle d’or de la Hollande. En même temps que sa littérature nationale, dont cette fête est comme une consécration, trois lyres étrangères ont été conviées à célébrer le Dante néerlandais, Frédéric Mistral pour la France, Jacinto Verdaguer pour l’Espagne, et Alexandre Baumgartner pour l’Allemagne. Vondel a chanté, en quatre grands poèmes, tout le système de la Révélation divine dans le drame de l’humanité. Il a trouvé avant Milton ses deux chefs-d’œuvre : son Lucifer, son Adam en exil, – la preuve historique en est faite. – Enfin son théâtre, dont une défense, la première, de la reine Marie Stuart, ainsi que ses vers lyriques et ses satyres, sont encore populaires dans son pays... Mais c’est surtout parce qu’il a formé, épuré et rendu classique la langue poétique de la Hollande, cet idiome glorieux qui ne veut pas mourir, c’est parce qu’il a compris et ennobli le parler de sa race, que les deux plus grands poètes du Félibrige, Mistral et Verdaguer, honoreront l’Altissimo poeta du Parnasse néerlandais. » (Paul Mariéton, La Revue félibréenne (1887-1888), I, Paris, 1888, p. 48). Le futur prix Nobel répondra à M. W.J. Brouwers, membre de la Commission pour le centenaire de Vondel : « Toutes les fois qu’un peuple, s’arrachant aux préoccupations du jour et aux dissensions misérables qui divisent les hommes dans tous les pays, s’élève, d’un essor unanime, vers l’admiration de la vertu ou du génie, toutes les sympathies humaines, de près comme de loin, s’unissent à la fête. Dans le siècle le plus glorieux de votre histoire, Vondel a eu l’insigne gloire d’interpréter magistralement, dans la langue de sa race, les enthousiasmes religieux, patriotiques et poétiques de sa race ; et tous ceux qui gardent au cœur le culte de l’idéal, saluent avec respect la mémoire du poète que la Néerlande honore, et les vrais patriotes qui célèbrent en chœur sa commémoraison. La poésie de Provence sympathise d’ailleurs avec la Hollande d’autant plus volontiers que le nom le plus illustre de l’histoire hollandaise, celui des princes d’Orange, est d’origine provençale, et nous n’avons pas oublié que les plus hauts ancêtres de vos stathouders et rois, qui, au XIIIe siècle, régnaient aux bords du Rhône, dans la cité d’Orange, avaient fait de leur cour un foyer littéraire pour notre langue d’oc. Les princes Raimbaut d’Orange et Guilhem d’Orange comptent même au nombre de nos troubadours célèbres. Je suis heureux, monsieur, que le centenaire de Vondel m’ait fourni l’occasion de rappeler aux bons Hollandais ce trait d’union de nos souvenirs héroïques, et je vous prie de m’excuser si la proximité de vos fêtes ne m’a pas permis de mettre en rimes provençales l’expression de mes sentiments très cordiaux. » (F. Mistral, La Revue félibrénne (1887-1888), I, Paris, 1888, p. 94.)

     

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    des éditions originales (1640 à 1659)

     
     
     
  • Coq ou aigle ?

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    SATIRE DE LA FRANCE ET DU PEUPLE HOLLANDAIS :

    PIETER VAN WOENSEL (1747-1808) (1)

     

     

     

    CoqVanWoensel.pngÀ la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, le coq français, revigoré et l’œil grand ouvert, les ergots plantés dans la terre d’Europe et la queue bien fournie en plumes, chante à tue-tête. Tel apparaît-il du moins selon la gravure reproduite en regard de la page de titre d’un almanach amstellodamois, De Lantaarn (La Lanterne), qui a connu cinq numéros entre 1792 et 1801. (2) Le lion batave a alors perdu de sa superbe et le temps n’est plus où il poursuivait le fier et belliqueux volatile dans les représentations signées par les artistes de la République, contemporains du Roi Soleil. Il y va de tellement bon cœur ce coq, qu’il commence à se prendre pour un aigle.

    Il ne faudrait pas croire pourtant que la publication en question avance une prose pro-française. Bien au contraire. Pieter van Woensel, son unique rédacteur et illustrateur, ne fait pas  de la propagande : son art est tout d’observation ironique, il manie la fable et l'allégorie dans une veine satirique. Il ne cesse de tourner la France en dérision sans se montrer pour autant plus complaisant à l’égard de ses compatriotes. Tout ce qui figure la volonté annexionniste des dépositaires de la Révolution est critiqué sans détour – si ce n’est celui de l’humour – et tout ce qui a trait à la société politique hollandaise se voit également fustigé. Il faut dire qu'entre les concitoyens du polémiste, les dissensions n'ont jamais été aussi profondes. Tel le coq, Pieter van Woensel se dresse au-dessus de la mêlée et s’il a des raisons de déchanter devant le spectacle que lui offrent les hommes, il déchante avec virulence et truculence ; ses mots ont le dentelé de la crête et la stridence du chant matinal.

     

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    À l'instar de bien des auteurs de son temps et de son pays, Pieter van Woensel est un bourgeois : né à Haarlem, il est médecin, fils de médecin. Mais il appartient à cette race de bourgeois dont les malles n’ont guère le temps de prendre la poussière. Voyageur invétéré, agent secret, célibataire endurci, rien ne le retient d’aller s’établir dans de lointaines contrées pour y exercer son art dans des corps d’armée. Et, à la différence des inséparables romancières Elizabeth Wolff et Aagje Deken, qui allèrent couler un doux exil « volontaire » à Trévoux (3), ce ne furent pas les changements de régime qui le poussèrent pour sa part à franchir les frontières.

    Peu de temps après l’obtention de son diplôme à l’université de Leyde, le 23 novembre 1770, Pieter van Woensel est déjà sur les routes. Il prend le chemin de Saint-Pétersbourg. Il va demeurer en Russie pendant six années. L’ouvrage qu’il en rapporte, De tegenwoordige staat van Rusland (État présent de la Russie, traduit en français d’après la version allemande, 1783), publié en 1781, est dédié à Catherine la Grande. L’intérêt qu’il porte à cette puissance et à cette dame se manifestera en d’autres occasions et dans d’autres écrits. L’année qui suit la mort de la Tzarine, il promène de nouveau son œil aiguisé sur les bords de la Neva, mais c’est lors d’un passage précédent dans la capitale russe, suite à un séjour en Turquie et en Crimée, qu’il se désolidarise de la politique menée par la tzaricide. La guerre turco-russe ne l’a pas laissé indifférent.

    O. Praamstra, Busken Huet. Une biographie, 2007

    CouvBuskenHUetBio.jpgLes textes de Pieter van Woensel relatifs à la Russie n’auront pas, semble-t-il, un grand retentissement. En tout cas, ils modifieront peu l’image que les Bataves se font alors de ce pays. Le propagateur de la russophilie aux Pays-Bas sera en fait l’un des rares commentateurs de l’œuvre de Pieter van Woensel, le critique Conrad Busken Huet, dans les années 1880. (4) Le turbulent cosmopolite Van Woensel  était en quelque sorte du voyage lorsque « le Sainte Beuve néerlandais » faisait parvenir sa prose parisienne à ses compatriotes. Ce périple posthume aura-t-il mis du baume à l’âme de celui qui, en philosophe désabusé, écrivait : « Celui qui n’a cessé d’arpenter le monde en tous sens se trouve mécontent, gâté et malheureux pour le reste de ses jours ? » (5)

    Dans les publications de Pieter van Woensel, la Turquie n’est pas en reste. En 1791 et 1795 sont édités à Amsterdam les deux tomes de ce qui est tenu pour son meilleur travail : Aanteekeningen, gehouden op eene reize door Turkijen, Natoliën, de Krim en Rusland, in de jaaren 1784-1789 (Notes consignées à l’occasion d’un voyage en Turquie, en Anatolie, en Crimée et en Russie durant les années 1784-1789). C’est sous un pseudonyme oriental que paraît d’ailleurs De Lantaarn : « AMURATH-EFFENDI, Hekim-Bachi », ce qui peut s’entendre comme « Monsieur Amurath, médecin-chef », Amurath étant un prénom courant en Turquie. Les cinq numéros de De Lantaarn datent respectivement de 1792, 1796, 1798, 1800 et 1801. Seule la dernière fournée porte le véritable nom de l’auteur. Dans cette revue, celui qui était plus un auteur de second plan qu’un écrivain pur sang (6) se sent pousser des ailes. Il enrichit la littérature batave d’une composante féroce et ironique. Dans certaines de ses pages, on sent poindre Multatuli.

    S’il est des genres que Pieter van Woensel ne manie pas (roman, poésie bien tournée, tragédie...), il est en revanche à son aise dans les petites pièces très ciblées. Aucun sujet ne le rebute : il expose son point de vue sur l’influence néfaste des prêtres en matière de gouvernement, donne son avis sur la natalité, dresse un tableau des persécutions religieuses, disserte sur l’instruction publique, illustre son essai sur l’érudition aux Pays-Bas par un âne portant des encyclopédies contre ses flancs, se prononce sur le divorce, laisse parler le médecin à certaines occasions – quelques-unes de ses études ont d’ailleurs été traduites en français –, s’adonne à la logique, évoque avec ironie Bonaparte... C’est que l’homme a acquis au cours de ses voyages la faculté de se garder de toute idée trop réductrice, d’un nationalisme trop poussé ou de préjugés comme ceux concernant l’esclavage et la situation des juifs. « Une opinion ou façon de voir garantie ou consacrée par la tradition n’a, en tant que telle, aucune valeur pour lui ; il considère la réalité d’un œil “impartial” et personnel. Il célèbre sans détour la “clarté de discernement” qui ne s’appuie en aucune façon sur une autorité, encore moins une autorité religieuse ; il tient bien plutôt à considérer les choses détachées de toute appréciation historique grâce à une force de l’esprit et une capacité de penser propres. En quelque domaine sur lequel il laisse aller sa pensée, cet “esprit libre”, indépendant, tente de percer le cœur des choses. » (7) Le recul qu'il peut prendre est d'autant plus grand qu'il n'était pas en Hollande lors des années de la fièvre patriote.

    Portrait de Pieter van Woensel

    PietervanWoenselPortrait.gifRéceptif aux idéaux des Lumières, de plain-pied dans son époque (8), Pieter van Woensel - qui aimait se vêtir à la russe - désire malgré tout souligner son particularisme et faire parler son expérience d’homme. « Je préfère m’écarter des chemins qui ont la faveur de tous plutôt que systématiquement embêter les autres et m’embêter moi-même. » (9) Les armes dont il dispose pour faire valoir sur le papier sa singularité et ses qualités sont un style et une manière propres d’appréhender la réalité.

    Quant au style, l’arme semble à double tranchant. Son néerlandais est « savoureux, vif et tend parfois au langage parlé, ce que personne parmi les écrivains officiels ne se serait autorisé ». (10) Simplicité donc, non appréciée de tous (11), et simplicité parfois gâchée par une certaine emphase (12). Le manque de « professionnalisme » de l’auteur se fait aussi sentir et l’artifice gratuit n’est pas rare. Cependant, la langue de Pieter van Woensel est dans la droite ligne de son attitude : « on reconnaît à son usage de la métaphore un sens inné de la réalité des plus remarquables. » (13)

    La problématique de l’observation de la réalité lui tenait particulièrement à cœur ; en 1772 déjà, un travail relevant de sa formation médicale avait vu le jour sous le titre De Konst van waarnemen (L’art d’observer). Sa réflexion ira bien entendu en s’approfondissant, soutenue d’un côté par ses lectures et, de l’autre, par une capacité intellectuelle et un bon sens innés plutôt rares. (14) Aussi parvint-il à cette formule : « Observer, c’est : par les perceptions, qui pénètrent l’âme, connaître les objets qui engendrent ces perceptions en elle. » (15) Mais ce postulat ne vas pas l'empêcher de jouer avec ses dons d'observation en pratiquant la satire sur des modes plus ou moins prononcés, plus ou moins burlesques.

    En refusant ainsi de s’occuper de ce qui n’est pas perceptible, saisissable, vérifiable, Pieter van Woensel alimente son anticléricalisme. Le publiciste ne se prive pas en effet de jeter des pierres sur tout ce qui exhale parfums ou relents bibliques ; la religion ne peut qu’exercer une mauvaise influence sur l’entendement et sur l’esprit. Le catholicisme – pourtant peu en grâce dans la Hollande d’avant 1853 si ce n’est justement sous la République Batave – est même sa tête de Turc : ce dogme n’est-il pas responsable de la mort de 33 095 890 de personnes ? (16) À côté de la religion et des questions sociales, ce sont les phénomènes et les événements politiques qui font le pain quotidien du rationaliste Pieter van Woensel lorsqu’il n’est pas au chevet de ses malades.

    WoenselTêteCheval.pngDeux des textes qui se dégagent de cette production kaléidoscopique sont des satires politiques figurant dans De Lantaarn de l’année 1800 et reprises, dans une version augmentée, dans le volume de 1801 : Lucca (Le Sénat de Lucques) et Historie van een Trojaansch Paerd (Histoire d’un Cheval de Troie). La première, basée sur les Lettres d’Italie (1788) de Dupaty, est une critique cocasse du système parlementaire. Les institutions visées sont les assemblées qui se sont succédées au nord de la Meuse et du Rhin à la fin du XVIIIe siècle. Pieter van Woensel reste un démocrate convaincu, mais il se plaît à dénoncer tous les travers que le régime nouvellement en vogue révèle dans la pratique : Rousseau, Montesquieu et Locke ne sortent pas indemnes des séances parlementaires, en particulier celles qui se tiennent près des plans d’eau de ’s-Gravenhage le long desquels le poète-représentant du peuple Loosjes se dégourdit les jambes. (17)

    Rien n’empêche donc un homme « éclairé », patriote à ses heures et opposé au Stadhouderat, de ridiculiser les anti-orangistes qui se partagent le pouvoir comme on se partage un ballot de caramels. (18) Contradiction ? « Is de man vlees of vis ? » se demandait-on alors. N’est-il ni chair ni poisson ? En réalité, Pieter van Woensel est égal à lui-même. Il provoque, déboussole et se moque. Il se définit par opposition : « Les flagorneries et nous, ça fait deux » (19), comme l’annonce la formule placée en exergue à de De Lantaarn. Il saisit tout ce qui passe à la portée de ses yeux et de ses oreilles pour enfermer dans ses mots et ses illustrations le ridicule et la bêtise des politiciens et des penseurs. Ses convictions cèdent sans doute parfois le pas à son goût du paradoxe ; cela fait partie du jeu. Mais il est une position dont il ne démordra point : son opposition à la domination française, d'abord relative puis effective au début du XIXe siècle.

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    L’histoire débridée qu’est au bout du compte l’Histoire d’un Cheval de Troie - le texte le plus célèbre de Van Woensel - se veut, plutôt qu’un poème, un dessin. Ce cheval, plus grand que la girafe, le plus grand de tous les animaux répertoriés à ce jour (1800), est tellement grand qu’il se croit plus grand encore qu’il n’est, au point d’étirer ses quatre pattes sur toute l’Europe, tellement grand qu’il considère de haut tous les petits nains qui peuplent cette terre tout juste deux fois plus grande que lui, tellement grand que personne n’ose le rosser – la peur des ruades, des coups de sabots et autres représailles fait trembler tout le monde –, ce cheval si grand est né de l’accouplement d’un paon et d’un serpent.

    Du serpent, il a hérité deux langues pour susurrer et s’exprimer (l’âne de Don Quichotte n’était-il pas doué de la même faculté ? Don Quichotte dont Van Woensel donnera d’ailleurs une traduction en 1802) ainsi qu’un appétit féroce ; du paon, il a hérité un torse bombé et une tendance à se dandiner sur ses deux membres antérieurs. Sans compter qu’il est affublé d’un museau retroussé au-dessus des gencives, museau qui dispense d’une part une haleine « gracieuse » exhalant des senteurs qui, telles celles du lys blanc, risquent fort de faire tourner la tête aux gens, et d’autre part une haleine fétide autorisant ces mêmes gens à retrouver leurs esprits. Or ce cheval tellement grand à deux langues, au torse bombé et à l’haleine fleurdelisée ne sait pas même nager et doit attendre les grands froids pour franchir les fleuves. (20) Ce Cheval fabuleux, c’est, on l’aura compris, la France, la France révolutionnaire qui exporte un peu trop cavalièrement ses Lumières.

    En fin de compte, ce Cheval de Troie a piètre figure. Et ceux qui ont fait appel à lui et qui l’ont cru sur parole n’en ont l’air que plus crédules. Aussi, Pieter van Woensel n’hésite pas à rebaptiser son pays du nom de Bestiania, pays « dont la plupart des habitations sont des écuries, habitations correspondant à la nature des habitants ». Bestiana était auparavant gouvernée par le Stalhouder, mais les « aboiements » des patriotes ont attiré l’attention du Cheval de Troie et lui ont mis l’eau à la bouche (21). Ce dernier, sous couvert d’émancipation, a imposé sa volonté et va faire valoir sa cupidité.

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    Il suffit d’observer l’illustration de Pieter van Woensel pour voir combien cet animal est bien peu séduisant sous son air bonasse et à quel point les habitants de Bestiania méritent d’être raillés. De ses gros naseaux, le Cheval a « reniflé » la situation ; puis il s’est avancé en terrain conquis, porteur de la Déclaration des droits de l’Homme et de ces belles paroles : « Croyez bien que rien n’est plus cher à notre cœur magnanime que votre liberté et votre prospérité car nous ne sommes capables, vous le savez, ni de flatter ! ni de mentir. »

    Woenselperroquet.pngLors de l’arrivée du canasson libérateur, le peuple est enthousiaste : tout le monde est au balcon, on salue, on chante, on festoie dans un esprit de kermesse et on lit la Déclaration des Droits. Le petit singe est de la fête, qui brandit au bout d’un bâton le chapeau de la liberté (un bonnet phrygien bien singulier) et le perroquet y va de son bon mot : « les droits coco. » (22) Et n’est-ce pas Pieter van Woensel lui-même qui complète le tableau en signant de sa présence la caricature ? N’est-ce pas lui ce marchand de légumes qui interpelle ses compatriotes de son « kool ! kool ! kool ! » (« chou ! chou ! chou ! ») alors que tous n’ont que « Liberté ! Égalité ! Fraternité ! » à la bouche ?

    WoenselKool2.pngC’est ce même personnage qui, dans Le Sénat de Lucques, tentait vainement de ramener ses collègues à la raison : « Appelé par les habitants de Lucques – pour mes compétences en matière chouicole et pataticole – au gouvernement du pays, pour lequel je n’ai aucune compétence à moins qu'il ne soit question de le labourer, je pensais faire le plus grand honneur à ce choix en ouvrant le moins possible la bouche. Mais, sachant par expérience que l’on peut commettre une sottise sans passer pour ridicule, j’entends ne point me distinguer de mes confrères. [...] je vous supplie, je vous implore, je vous conjure de ne pas imputer ce que je vais dire et qui va vous déplaire (ce qui me déplairait) à un esprit de chicane, mais à l’amour de l’État... » (23)

    L’Historie van een Trojaansch Paerd compte bien d'autres sous-entendus et de multiples jeux de mots destinés à grossir les défauts de tous. La jaunisse que contracte le Cheval illustre bien entendu son désir de récolter beaucoup d’or (24) ; les passages relatifs au vêtement du Stalhouder et aux perruques orientent notre attention sur la superficialité de la classe dirigeante.

    WoenselTêteCheval.pngLa satire de Pieter van Woensel repose en grande partie sur l’art de jouer avec le lecteur, lecteur pris à témoin et en même temps ridiculisé puisque, considéré individuellement, il n’est autre que l’un des personnages représentés sur l’illustration. Et bien que maltraité, le lecteur doit se fier aux propos de l’auteur « car les Bestianiens composent un peuple propre, probe, popote, serviable, vraiment bon, simple, pas surdoué, peu sagace  et guère maniéré ; peuple étranger à la flatuogornerie, aux façons, aux ronfleries et au tintamarre qui entrèrent dans le pays avec le Cheval de Troie. »

    Ce jeu est possible grâce à l’intervention incessante de Pieter van Woensel lui-même dans le récit : l’auteur prend position, critique, s’implique, se présente comme le seul défenseur de la vérité, rejette les conventions littéraires, avance son courage, en appelle à un ange gardien. Il est celui qui ose dire les vérités entre quatre yeux ; ses propos déguisés mettent à nu la réalité tant les allusions sont claires (au risque de manquer parfois de subtilité). Mais l’humour garde toujours le dessus : « Je n’ai pas besoin de raconter [cela], dit-il, puisque vous en fûtes les témoins directs... », autrement dit, témoins de votre propre bêtise ; et, plus loin : « Amurath est tout aussi habitué à ne pas être cru lorsqu’il dit la vérité, que certaines personnes sont habituées à l'être lorsqu’elles font prendre des vessies, que dis-je, des vessies bien pleines pour les lanternes les plus lumineuses. » Cet humour constitue le trait d’union entre paragraphes et brefs chapitres qui s’enchaînent de manière apparemment désordonnée au long de la bonne cinquantaine de pages que compte cette histoire. (25)

    Digressions, petits contes, confidences de l’auteur, rappels historiques, tout trouve sa place dans cette fresque aux coloris insaisissables. Animé par un souci de véracité, Pieter van Woensel en appel à des écrivains de renom, cite ses sources, se justifie (26), mais l’ironie et l’humour l’emportent encore dans ce domaine : « Horace détourne ses condisciples de toute entreprise périlleuse, et Le Livre de la Cuisinière Hollandaise nous commande de laisser tomber par terre tout ce qui brûle la main. » Ainsi, plutôt que de satisfaire à son principe de rationalité par le recours au sérieux et à l’argumentation scientifique, Pieter van Woensel estime qu’un peu de bon sens habillé de verve littéraire est préférable à tout lorsqu’il est question de faire la peau à la stupidité.

    WoenselHomme.pngMais un tel bon sens aurait pu coûter cher. Si d'autres, patriotes revenus de leur enthousiasme, critiquèrent le rôle grandissant de la France, Pieter van Woensel s’affirma sans doute comme l'un des auteur parmi les plus incisifs. Il n’eut pas toutefois à beaucoup se plaindre du sort que lui réserva le pouvoir. Les deux principales satires de 1800 - ainsi sans doute que les trois textes sur Bonaparte - entraînèrent la saisie de l’almanach, saisie « effectuée par le Citoyen La Pierre, Agent de la Police intérieure », comme l’annonce Van Woensel lui-même dans De Bij-Lichter (L’Éclaireur de secours), un supplément au De Lantaarn de 1800, dans lequel l’auteur dévoile son identité et se défend contre la saisie. (27) Dans l’almanach de 1796, il exposait comme par avance sa position en matière de liberté d’expression par le moyen d’un article intitulé « Van de Vrijheid » (« De la Liberté ») (28) : « Qui m’empêcherait, si j’habitais à l’heure actuelle (octobre 1794) en France, d’accabler d’injures le Roi dans la mesure où il serait encore vivant ; ou alors que je voyageais à Berlin d’idolâtrer alors le Roi ? Ou, pour parler de notre pays, à qui aurais-je nui en peignant Guillaume V (en 1876) sous les traits d’un traître à la Patrie et, le 1er octobre 1788, sous ceux d’un Père de la Patrie ? Telle est la seule liberté, la vraie liberté, la liberté pure et authentique qui nous est accordée dans cette vallée de larmes. »

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    Choix de textes de Van Woensel, éd. André Hanou, 2002

     

    « Le numéro de De Lantaarn de 1801, pour la majeure partie une réimpression de celui de 1800, paraît sous son propre nom. » (29) Autrement dit, la répression exercée par les autorités amstellodamoise n’était pas de nature à impressionner le pamphlétaire (30). Comme souvent dans ce genre de situation, l’auteur gagna en renommée. Et quelques années plus tard, alors que les Napoléon occupaient le terrain, Pieter van Woensel ne craindra pas de lâcher une nouvelle fois sa plume : dans Ik ben ook in Parijs geweest (Je suis aussi allé à Paris, 1807), il se moque sans retenue des Parisiens. Caspar, son personnage, narre à son père sur un ton parlé et hilarant ses mésaventures dans la capitale française et ses découvertes gastronomiques (matelas de choux couronné à la Royale, Sauce à la Sainte-Ménéhould…).

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    Les Droits de l'Homme

     

    Le succès remporté par Pieter van Woensel fut de courte durée. L’ homme n’eut pas même le loisir de voir ses prédictions se réaliser totalement : sa patrie en partie ruinée convertie en département d’une puissance étrangère. « Le 17 avril 1808 est décédé à La Haye, à l’âge de 61 ans des suites d’une fracture, notre frère bien aimé, M. Pieter van Woensel Docteur Général de la Marine Royale » (annonce de la famille dans un journal). Comme on entrait dans un siècle où idées et sciences allaient s’emballer, on oublia vite ce guérisseur des corps et des esprits. Voici comment on pouvait résumer sa vie un demi-siècle plus tard : « Dans sa jeunesse un nomade, célibataire jusqu’aux bouts des ongles ; à côté de cela, créature anticléricale et, dans le fond de son cœur, cosmopolite rationaliste. » (31) La destinée littéraire de ce « faiseur d’almanachs » semble s’arrêter avec l’énoncé de ces qualités. Cependant, quelques-uns, au vu des écrits portant sur la discrimination et d’autres questions sociales, relèvent que Pieter van Woensel a encore quelque chose à nous dire ou pour le moins que ses réflexions et impertinences valent mieux que la prose de certains héritiers des philosophes du XVIIIe siècle : « il était déjà un peu trop éclairé » (32) pour être rangé avec ces enfants des Lumières. Il est certain que son œuvre recèle des traits lumineux : ne pariait-il pas par exemple sur le fait que le travail parlementaire risquait de conduire Monsieur Tout-le-Monde à trouver son fromage acheté en magasin emballé dans le papier de résolutions et autres circulaires ? Ses petits essais donnent aussi un avant-goût de tous les sujets et thèmes qui contribuent aujourd’hui à alimenter les tiroirs et dossiers des administrations.

    La question présente est toutefois de savoir si Pieter van Woensel compte un successeur capable de jouer, sur le même mode ironique, l’équarrisseur avec le nouveau Cheval de Troie avachi de tout son long sur le Vieux continent et à qui les effluves de chou semblent avoir fait tourner la tête. Si jamais ce manieur de mots et de hachoirs existe, il trouvera peut-être un coin de lumière qui avait échappé à l’œil averti de Pieter van Woensel et ne sera pas ébloui au point de ne pas retenir qu’ « il ne faut guère de réflexion pour conclure que Dieu n’est mort que dans certaines âmes ». (33) Mais Dieu n’a-t-il pas connu le même sort que le fromage ?

    Daniel Cunin

     

    CouvVrijmoedigeWoensel.png(1) Le texte de l’Historie van een Trojaansch Paerd figure sur le site de la DBNL – y compris le fac-similé. On pourra aussi le trouver dans le recueil Vrijmoedige Bedenkingen, een eeuw essays en beschouwingen 1766-1875, samenstelling, inleiding et toelichting van M. C. A. van der Heijden, Utrecht/Anvers, Het Spectrum, 1968 et dans Pieter van Woensel. De Lantaarn, samenstelling André Hanou, Polak & Van Gennep, Amsterdam, 2002.

    (2) Conrad Busken Huet, « Van Woensel en Loosjes », Litterarische Fantasien en Kritieken, 24de deel, Tjeenk Willink, Haarlem, 1887, p. 163. Le critique hollandais le plus célèbre du XIXe siècle ouvre son étude par une allusion à cette vignette accompagnée des deux vers : « Gelijk de wakk're Haan tot kraaijen is genegen, / Zoo laat u, Jonge Jeugd, tot onderwijs bewegen. » (De même que le Coq réveillé est enclin à chanter, / De même, verte Jeunesse, laisse-toi instruire. »

    (3) P. Brachin, « Idylle et Révolution : le séjour en France de Wolff et Deken (1788-1797) », Faits et Valeurs, M. Nijhoff, La Haye, 1975, p. 132-145.

    VanWoenselPageTitre.gif(4) R. Jans, Tolstoj in Nederland, P. Brand, Bussum, 1952. Sur Van Woensel et la Russie : Emmanuel Waegemans, « Pieter van Woensel : een Nederlands criticaster in Russische dienst », Noord- en Zuid-Nederlanders in Rusland 1703-2003, Groningen, INOS, 2004, p. 364-392.

    (5) Cité par R. Nieuwenhuis, De wereld heeft twee aangezichten, Proza en Poëzie van 1700 tot 1880, Querido, Amsterdam, 1982, p. 42-43. Outre les voyages évoqués, relevons que Van Woensel avait entrepris de gagner l’Inde, mais il n'est pas allé plus loin que le Kurdistan ; il a aussi visité les possessions occidentales hollandaises.

    (6) Pieter van Woensel. Amurath-Effendi, Hekim-Bachi, ingeleid en geanoteerd door Drs J.J. Wesselo, Thieme, Zutphen, 1974, p. 9. Voir également du même auteur les articles publiés dans la revue Tirade, n° 29 de mai 1959 et n° 150 d’octobre 1969. Le volume : Pieter van Woensel, Staat der geleerdheid in Turkijen, bezorgd door Meike Broecheler, Leiden, Astraea, 1995, présente un choix de pages des Aanteekeningen, gehouden op eene reize door Turkijen, Natoliën, de Krim en Rusland in de jaaren 1784-1789, Amsterdam, Holtrop, 1791. Quant à Bettina Noak, elle s’est intéressée aux opinions de l’écrivain sur les sociétés turque et occidentale : « Met een vreemde blik : Pieter van Woensel over de Turkse en de westerse samenleving, Neerlandistiek in contrast: bijdragen aan het Zestiende Colloquium Neerlandicum, Amsterdam, Rozenberg Publishers, 2007, p. 73-86.

    (7) G. Knuvelder, Handboek tot de Geschiedenis der Nederlandse Letterkunde, derde deel, Malmberg, ’s-Hertogenbosch, 1959, p. 106.

    (8) « ... de sa Lanterne, il fait jouer des projecteurs sur des pans entiers de la vie populaire de l’époque » :  G. Kalff, Geschiedenis der Nederlandsche Letterkunde, zesde deel, J.B. Wolters, Groningen, 1910, p. 322.

    (9) Cité par R. Nieuwenhuis, op. cit., p. 41.

    (10) M.C.A. van der Heijden, op. cit., p. 42.

    (11) G. Knuvelder, op. cit., p. 105.

    (12) Conrad Busken Huet, « Pieter van Woensel », Litterarische Fantasien en Kritieken, eerste deel, Tjeenk Willink, Haarlem, 1881, p. 110.

    (13) Ibid., p.110.

    (14) Ibid., p. 122.

    (15) Ibid., p. 122.

    CouvJourdan.jpg(16) Voir J.J. Wesselo, op. cit., p. 30. Dans sa monumentale étude La Révolution batave entre la France et l’Amérique (1795-1806), Annie Jourdan semble rejoindre Van Woensel puisqu’elle impute à l’universalisme catholique (des Français) les pires choses, y compris la Terreur (note 37, p. 32). (pour un résumé de cet ouvrage par l'auteur : ICI).

    (17) Voir Conrad Busken Huet, op. cit., 24de deel, à propos du Sénat de Lucques. Adriaan Pietersz. Loosjes (1761-1818), écrivain qui avait choisi le camp des Patriotes, vivait bien des désillusions.

    (18) Ibid. Après 1795, la lutte fut en effet sévère au sein du clan des Patriotes : les fédéralistes se réclamaient plutôt de la forme étatique américaine tandis que les unitaristes étaient partisans du modèle centralisateur français.

    (19) « Wy en hebben nooit met pluijmstrykende woorden omgegaan. »

    (20) Allusion bien entendu aux troupes françaises qui pénétrèrent en Hollande en 1795 en franchissant les cours d’eau gelés.

    (21) L’auteur est familier des jeux de mots : il remplace ici Stadhouder (« Gouverneur », mot qui peut se traduire par « dépositaire, gardien de la ville ») par Stalhouder (« loueur de chevaux », mot qui correspond aussi à « garçon ou gardien d’écurie ») ; de même, il s’amuse avec les surnoms « canins » donnés aux Patriotes.

    (22) rechten lorretje : lorretje est le nom donné aux perroquets comme on peut dire familièrement en français « coco » ou « Jacquot » ; de plus, ce terme est apparenté au verbe lorren qui signifie « duper », « tromper » et au substantif lor (pluriel lorren = « chiffons »). On relève aussi l’expression Hij is van lorretje = « Il est un peu timbré ».

    (23) De Lantaarn, 1801, tweede druk, p. 65-66.

    (24) Le Cheval tombe malade et souffre de la jaunisse (geelzucht) qui résulte en fait de sa volonté d’accumuler la plus grande quantité d’or possible (geldzucht = « cupidité »).

    (25) Pieter van Woensel pratique la satire au sens premier du terme puisque son texte est une vraie macédoine littéraire blâmant les mœurs publiques. Un conte de quelques lignes est ainsi offert au lecteur, tout comme deux ou trois rimes, voire la liste chiffrée des besoins en biens et en vivres du Cheval.

    (26) Dans sa belle anthologie de textes (orthographe modernisée) de Van Woensel, André Hanou souligne que cette « fable satirique est composée à la façon de Sterne […]. L’histoire revêt en même temps l’aspect d’une épopée héroïque classique, certes sur un mode burlesque. » Le cheval rappelle bien entendu celui de l’Iliade, mais il présente aussi des traits communs avec la Bête de l’Apocalypse. Voir André Hamon, op. cit., p. 130 et 148.

    (27) J.J. Wesselo, op. cit., p. 19.

    (28) Essai repris dans J.J. Wesselo, ibid., p. 123-125.

    (29) Ibid., p. 19.

    Portrait de J.F. Helmers

    PortraitJFHelmers.gif(30) Il ne faut sans doute pas exagérer la répression qui frappa les hommes de lettres hollandais à l’époque de la domination française. Les écrivains pouvaient s’exprimer librement au sein des divers cercles ou sociëteiten qui existaient alors ; autrement dit, il leur arrivait de lire leurs œuvres devant un parterre nombreux. La complexité du jeu politique et idéologique, le caractère de Louis Napoléon, son action, les dissensions entre les deux instances compétentes en matière de censure (police et direction générale de l’Imprimerie), puis les signaux du déclin de l’Empire ont par ailleurs joué en faveur d’une réelle clémence. Certes, bien des textes ont été publiés après avoir été retouchés par la censure, par exemple des poèmes de Bilderdijk. Mais dans ses nombreuses compositions consacrées à Napoléon et à son frère le roi Louis, cet écrivain ne s’est pas privé de glisser, à côté d’élans admiratifs, de sévères critiques à l’égard l’Empereur. Après avoir été saisi, son Vaderlandsche Oranjezucht (Amour National d’Orange, 1805), écrit très anti-français, fut réimprimé en 1809. Les censeurs hollandais, souvent polyglottes, éditeurs, amateurs des belles lettres et traducteurs, ne paraissent pas avoir été des foudres de guerre. J.F. Helmers (1767-1813), poète par excellence de la résistance à l’occupation française, fut bien entendu obligé de faire quelques concessions lors de la publication de son long poème De Hollandsche Natie (La Nation Hollandaise, 1812), mais le censeur Cohen ne se montra pas particulièrement sévère. On aurait pu en effet s’attendre à un refus de publication d’un écrit contenant un message aussi ouvertement nationaliste. Et lorsque les autorités changèrent leur fusil d’épaule et décidèrent de procéder à l’arrestation de l’auteur, celui-ci n’attendit pas la police : il mourut en effet peu avant l’arrivée des représentants de l’ordre. Malgré ses œuvres à la gloire de la nation et de la langue hollandaises (De Batavieren ten tijde van Cajus Julius Cesar, 1805 ; De Hollandsche taal, 1810), C. Loots (1765-1834), beau-frère de Helmers, ne connut pas la prison, pas plus d’ailleurs que libraire-éditeur d’Haarlem, Adriaan Loosjes (1761-1818), acharné pourtant à sortir le peuple hollandais de sa léthargie, lui qui avait été un patriote convaincu au point de traduire La Marseillaise et de composer une Carmagnole hollandaise ! L’un des rares à connaître un triste sort fut un autre auteur-libraire, esprit plus caustique, Arend Fokke Simons (1755-1812) : il connut les geôles pendant quelques semaines ; un de ses ennemis, chargé de la protection de l’Empereur en 1811, le fit considérer comme dangereux alors même qu’il restait relativement modéré dans ses écrits. Il succomba peu après des suites de cet inconfortable séjour. Autre déçue de la révolution de 1795 en même temps que l’une des rares femmes à se manifester parmi cette compagnie masculine, Maria Hulshoff (1781-1846), qui se disait chrétienne et démocrate radicale, écrivit un Oproeping aan het Bataafsche Volk (Appel au Peuple Batave, 1806) sans doute trop fougueux ; le pamphlet fut saisi dans différentes villes. Elle fit tout pour être arrêtée et jugée. Ses avocats, dont Bilderdijk, tentèrent de la faire passer plus ou moins pour folle. Remise en liberté sous le règne de Louis Napoléon, elle fut de nouveau arrêtée, mais on l’aida à s’enfuir en Angleterre.

    (31) De Volks-Almanach 1864. Van Woensel n'a toutefois pas été oublié de tous puisque, ainsi que le rappelle A. Hanou (op. cit., p. 123), l'homme de lettres et journaliste Willem Gerard van Nouhuys (1854-1914) lui a rendu hommage dans et par un journal intitulé De Lantaarn.

    (32) J.J. Wesselo émet cet avis dans ses différentes publications ; Conrad Busken Huet se demande quant à lui pourquoi les qualités réunies par Pieter van Woensel n’ont pas suffi à lui assurer une place de premier ordre dans le monde littéraire (op. cit., eerste deel, p. 100).

    (33) H. Juin, Léon Bloy, Obsidiane, Paris, 1990.

     

     

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  • Un romancier français chez Louis Couperus

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    La préface de Maurice Spronck au roman Majesté

     

     

     

    SpronckPortrait.pngMajesteit (1893) fut le premier roman de Louis Couperus à paraître en traduction française (éditions Plon, 1898). Avocat né à Paris, Maurice Spronck (1861-1921) a probablement joué un rôle dans la réalisation de ce projet éditorial. Après avoir accompli des études classiques, ce protestant a suivi les cours de la Faculté de Droit. Lorsqu’il rencontre Couperus, le républicain nationaliste qu’il est s’occupe déjà de politique, mais il ne deviendra conseiller et député de Paris qu’au début du XXe siècle. Il est par ailleurs un critique littéraire qui a donné quelques années plus tôt un ouvrage sur des grandes figures littéraires française (1), critique apprécié, mais modérément : « … il a la qualité maîtresse, celle qui manque à tous les critiques d’aujourd’hui, la sympathie ; il a même des vues d’ensemble ; il a quelque crânerie à faire de Flaubert “le représentant le plus achevé de la prose française dans notre littérature entière”. Je ne lui en veux, à lui comme à tous les autres critiques, comme hélas ! à presque tous les écrivains, que d’avoir dit en un volume ce qu’il aurait pu résumer en quelques pages. » (2)

    Le Belge Paul Delsemme (3) nous dit que Spronck a été ébloui par la lecture du livre de Wyzewa, Nos Maîtres (1895), Wyzewa qui a commenté certaines œuvres de Couperus et a même côtoyé à une époque le Haguenois. On sait d’ailleurs que l’avocat a découvert le nom de Couperus dans les écrits du fondateur de la Revue wagnérienne. Il se trouve que Louis Bresson, traducteur de Majesté et bientôt de Paix Universelle, était un ami de Spronck, ce dernier lui ayant par exemple rendu visite début 1896. Quand il se présente chez Louis Couperus, il a eu la possibilité de lire la traduction manuscrite.

    Dans l’étude qu’il consacre au romancier en guise de préface à la traduction de Majesté, Maurice Spronck rapporte entre autres les origines écossaises – peu vraisemblables d’ailleurs – de Couperus, s’interroge sur l’influence de ses années indonésiennes sur son cerveau, rapporte que l’écrivain ne paraît guère tenir à ses recueils de poésie ; il donne un aperçu de Majesté ainsi que de Paix universelle et de Primo Cartello (en réalité Hooge Troeven) - Louis Bresson avait-il déjà traduit le deuxième volet de la trilogie ou Spronck s’est-il contenté d’un résumé qu’on lui aura fait des deux derniers koningsromans - non sans relever l’étrange similitude entre cette composition romanesque et Les Rois de Jules Lemaître paru la même année que Majesteit. On sent dès le deuxième paragraphe que le politicien en lui a été intéressé par « le redoutable problème du gouvernement des sociétés moderne » que Majesté aborde sous un angle tragique. À la fin de son étude « Un romancier hollandais. M. Louis Couperus », bien que la lecture de Majesté ait été pour lui une « révélation » de par sa « conception philosophique et morale extraordinairement forte », il ne peut s’empêcher se s’interroger sur le régime politique qui nous attend, à présent que « les institutions et les sentiments monarchiques n’existent plus », il ne peut s’empêcher de donner un sens à l’œuvre littéraire alors que Louis Couperus se refuse pour sa part à en formuler un : « Verrons-nous s’installer sur ses ruines les dictatures démocratiques à la manière des deux empires français, ou selon la formule des États-Unis américains ? Pouvons-nous croire encore à la vitalité du parlementarisme libéral, tel qu’il a été pratiqué par notre troisième République […] Quant au socialisme, lorsqu’il ne se présente pas simplement comme une des formes de l’anarchisme révolutionnaire, nous sommes bien contraints d’avouer qu’il n’est plus qu’un conte de fées pour amuser la tristesse des misérables. À dire vrai, l’anarchie seule triomphe ; et l’anarchie n’est pas une solution. Comme après la chute de l’oligarchie romaine, comme au lendemain de l’invasion des barbares, comme à l’époque de la Renaissance, l’humanité, depuis la Révolution française, ne marche plus sur route ; parvenue à un carrefour de l’histoire, elle y cherche éperdument, dans la confusion et le désordre d’une foule en détresse, la nouvelle voie où elle reformera ses rangs pour reprendre sa course vers l’avenir. Malheureusement, nul ne sait ici-bas si le jour du départ est proche, et combien de larmes, et combien de sang devront, en attendant, couler encore. »

    TitreSpronck.pngCette conclusion a-t-elle surpris Couperus ? L’aura-t-elle amusé ? Il est certain qu’elle ne pouvait surprendre ceux qui avaient lu la fable politico-futuriste publiée par Maurice Spronk quelques années plus tôt, L’An 330 de la République (1894), qui porte en exergue les vers de Victor Hugo : « Temps futurs ! Vision sublime ! » et se termine par ces phrases : « Les barbares ont reconquis le monde. La civilisation est morte. » L’auteur peint dans cette utopie qui commence en l’an 313 de la République (l’an 2105 de l’ère chrétienne) « …un monde voué au culte de la technologie. L’accumulation des découvertes techniques n’a pas rendu l’humanité plus heureuse. Aliments synthétiques, appareils frigorifiques, machines permettant la reproduction instantanée, à un prix dérisoire, des objets fabriqués, la culture du sol rendue inutile par les progrès de la chimie, la quasi disparition du travail humain, le développement des moyens de locomotion ont fait de l’homme un être inapte au moindre effort, soutenu par des drogues à base d’alcool ou d’opium. Les progrès de la médecine donnent désormais leur chance aux rachitiques, aux aveugles de naissance et aux sourds-muets, aux épileptiques et aux idiots, aux monstres même. » (4)

    Puis Spronck décrit la fin de la civilisation européenne à travers une invasion musulmane de l’Europe avant l’arrivée du Sultan à cheval sur les plages de Blankenberghe : « Le 28 vendémiaire 331, Ibrahim-el-Kébir lui-même arriva dans les Flandres. […] Le Sultan venait en personne prendre possession de son nouvel empire. » (5) Dans L’Auberge volante, G.K. Chesterton proposera une vision très proche mais dans une veine hilarante et jubilatoire, une vraie veine d’écrivain.

     

    (1) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle, Paris, Calmann Lévy, 1889.

    (2) Anonyme, L’Ermitage, juin 1890, p. 136.

    (3) Teodor de Wyzewa et le Cosmopolitisme littéraire en France à l’époque du Symbolisme, I, Presses Universitaires de Bruxelles, 1967, p. 57.

    (4) Paolo Mantegazza, L’an 3000 rêve, traduction, introduction et notes Raymond Trousson, Paris, L’Harmatan, 2003, p. 21-22.

    (5) M. Spronck, L’An 330 de la République, Paris,  L. Chailley, 1894, p. 136.

     

     

     

    UN ROMANCIER HOLLANDAIS

    M. LOUIS COUPERUS

     

     

    Au commencement de 1896, je me trouvais en Hollande. Un ami, Français établi à Rotterdam, me donna à lire la traduction encore manuscrite d’un roman dont on faisait grand bruit dans le public lettré néerlandais, qui avait été déjà publié avec succès en anglais et en allemand, et qui s’intitulait Majesté. De son auteur, Louis Couperus, je savais vaguement le nom par M. Théodor de Wyzéwa et par un article de la Bibliothèque universelle de Lausanne, en date de 1895 (*). Quant aux écrits mêmes de M. Louis Couperus, je les ignorais profondément, et j’admettais de confiance qu’ils fussent des chefs-d’œuvre admirables, exotiques et inconnus en France, quoique dignes d’un meilleur sort.

    numéro de la revue De Parelduiker consacré à Couperus

    CouvCouperusParel.jpgLa lecture de Majesté, commencée sans la moindre prévention par- ticulièrement favorable, me frappa donc d’autant plus que je ne m’attendais pas à une révélation de ce genre. Ce n’était point l’éternel roman, drame ou poème étranger, découvert par un traducteur ou un critique ingénieux, et dont toute la valeur est faite de quel- ques détails pittoresques, de quelques nouveaux traits de mœurs ou de caractère, qui amusent les blasés de la littérature et qui charment les abstracteurs de quintessence esthétique. C’était un récit très simple, presque sec, sans aucune surcharge descriptive, – sauf peut-être dans les premiers chapitres, – et d’une conception philosophique et morale extraordinairement forte. Le redoutable problème du gouvernement des sociétés modernes avait été posé là par l’auteur ; il en avait discuté les solutions contradictoires, et, de l’angoisse de ceux à qui incombe le lourd devoir héréditaire de conduire les peuples, il avait fait une tragédie poignante et puissante, une tragédie avec chœur à la manière antique, et dont le chœur était l’humanité elle-même.

    En allant à la Haye, je rendis visite à M. Louis Couperus ; il me reçut une soirée chez lui, dans une de ces maisons hollandaises où la vie semble plus close que dans nos habitations de France ; la physionomie, du reste, le regard, les gestes, l’allure générale, tout décèle en ce jeune homme une existence plutôt intérieure et méditative, une âme plus disposée a se replier en soi qu’à s’épancher au dehors, un tempérament d’observateur flegmatique et de penseur concentré, avec une nuance de sensibilité voilée presque maladive. Le front, haut et large, est encore agrandi par une calvitie précoce ; la parole semble un peu hésitante, soit habitude de la réflexion solitaire, soit aussi parce qu’il s’exprime en français, purement, mais comme dans une langue dont il ne possède pas l’usage familier. Je ne sais d’ailleurs si son esprit et son talent ont été plus ou moins influencés par les littératures anglaise ou allemande ; la nôtre, en tout cas, ne parait pas l’avoir profondément pénétré ; il en parle d’une manière assez superficielle ; son enthousiasme pour les qualités réalistes de M. Émile Zola ressemble un peu à un enthousiasme de commande ; l’éloge, très vif et très vague, qu’il fait de l’auteur de l’Assommoir me donnerait même à supposer qu’il l’admire surtout par un sentiment de courtoisie internationale.

    Il lui est arrivé parfois cependant, à lui aussi, d’être inculpé de réalisme, et on l’a vu, de ce chef, vertement relevé, au nom de la morale, par la critique protestante orthodoxe. Un jour, un rédacteur des Voix de la vérité et de la paix dénonça ses « saletés », lui reprocha la mort d’un jeune névropathe que la lecture du roman intitulé Fatalité avait, dit-on, induit au suicide, et demanda simplement que l’on établît en Hollande une Congrégation de l’Index pour proscrire des livres « qui souillent l’imagination de milliers d’hommes ». Cette indignation était excessive ; les licences de M. Louis Couperus nous semblent pâles en comparaison des plus timides descriptions de nos écrivains actuels ; son réalisme n’a pas le moindre rapport avec le pessimisme volontairement grossier et brutalement agressif de M. Émile Zola et de ses disciples ; au fond, il n’est pas même réaliste, dans le sens où nous avons coutume d’entendre le mot, et, lorsqu’il affirme n’appartenir à aucune école, on peut, par le plus rapide examen de ses œuvres, vérifier que son affirmation est parfaitement exacte.

    À vingt ans, en 1884, il débuta par un volume de poésies. Fils d’un conseiller à la haute cour de justice de Java, il avait passé une partie de son enfance dans les colonies, d’où il ne revint définitivement que durant sa quinzième année. Ce séjour a-t-il laissé en lui quelques traces psychologiques, et a-t-il modifié dans une mesure quelconque les tendances originelles de son cerveau ? Lui-même ne le croit pas. On peut noter néanmoins qu’un critique allemand, Karl Busse, trouve dans son talent et dans sa manière « quelque chose qui n’est pas d’un Hollandais ». Ce « quelque chose », que M. Karl Busse ne spécifie d’ailleurs pas nettement, provient-il de réminiscences indécises rapportées du ciel des tropiques ? Ou bien a-t-il pour cause ce fait que les ancêtres du romancier étaient des émigrants d’Écosse, installés dans les Pays-Bas depuis la fin du quinzième siècle, et dont le nom n’est que la transcription latine du nom écossais Cowper ? Et puis, en somme, ce « quelque chose » existe-t-il vraiment ? C’est un point d'ethnologie littéraire à élucider.

    Quoi qu’il en soit, l’essai juvénile de 1884, intitulé : Un Printemps de vers, fut accueilli avec faveur. Deux nouveaux volumes suivirent à quelques années d’intervalle, l’un qui a pour titre Orchidées, l’autre qui se compose de trois poèmes : Williswinde, Viviane et Semiramis. En dépit de l’éloge qu’un des plus éminents critiques de la Hollande, le professeur Jan ten Brink (**), a fait de ces poésies, M. Louis Couperus ne parait pas beaucoup y tenir, et il les considère volontiers comme des œuvres de jeunesse sans grande portée ; depuis 1889, il n’a écrit qu’en prose, et il estime avec raison que sa prose constitue son véritable titre de gloire. Sept romans de lui et un recueil de nouvelles ont déjà paru en moins de dix ans. De ces divers romans, le plus célèbre, et le plus justement célèbre, c’est Majesté ; c’est à lui – malgré la valeur des deux œuvres qui lui font suite : la Paix Universelle et Primo Cartello – que l’auteur doit sa réputation, et c’est lui qui mérite avant tous autres de n’être pas inconnu en France. Sa publication dans le Guide – qui correspond à peu près a notre Revue des Deux Mondes - fut un énorme et foudroyant succès, auquel ne manqua même pas l’éreintement des « jeunes » ; car il y a des « jeunes » en Hollande, et qui ne semblent pas avoir le caractère plus conciliant que chez nous ; l’un d’eux, dès l’apparition de Majesté, déclara que c’était là « de la littérature de tailleur ».

    M. Louis Couperus avait longuement mûri son sujet avant d’en esquisser une seule ligne ; s’il le rédigea rapidement, en trois mois, presque sans correction, au lendemain de la mort de sa mère, il y avait songé durant plus de trois années. Un hasard lui en fournit l’idée première. Il feuilletait un jour une collection du Graphic ; il fut frappé par un portrait du tzar actuel, alors tzarevitch, au moment de son voyage dans l’Extrême-Orient ; le prince était représenté la tête penchée en avant, les yeux levés pour regarder au loin et comme perdus vers l’horizon, avec une expression intense de lourde mélancolie et de rêverie profonde. Tandis qu’il contemplait cette image banale d’une revue illustrée, tout un monde de pensées obscures envahissait le cerveau de l’écrivain ; le drame de ceux en qui réside la souveraineté, dans cette heure trouble de l’histoire qu’aujourd'hui nous traversons, s’évoqua de lui-même devant son esprit, et, comme d’autres avaient fait et refait déjà mille fois le roman de l’Ambitieux, de l’Amant ou du Jaloux, il médita d’écrire le roman du Roi.

    numéro de la revue Bzzlletin consacré à Couperus

    CouvCouperusBzz.jpgC’est une banalité de dire que, dans les civilisations modernes, l’ensemble des sentiments, des croyances, des instincts et des habitudes sur lesquels est fondée l’institution royale tend de plus en plus à disparaitre. Un souffle antihiérarchique et individualiste ou, pour parler plus simplement, un souffle d’anarchie a passé, depuis le dix-huitième siècle, sur toutes les âmes des pays d’Europe. L’idée de devoirs sociaux absolus, auxquels se trouvent nécessairement soumises toutes les créatures humaines, – qu’elles soient gouvernées ou qu’elles gouvernent, – non seulement semble perdue chez la plupart de nos contemporains, mais elle n’est même généralement plus comprise ; et la préoccupation ombrageuse et exclusive des droits imprescriptibles de chacun est devenue le dernier mot du progrès. Du moment où cette grande chose, qui s’appelait jadis la tribu, le clan, la cité, l’État, n’est plus que l’étiquette sous laquelle se groupent des intérêts personnels, liés par un « contrat », nous pouvons bien, en saine logique, avoir des obligations vis-à-vis de nos cocontractants, mais non point d’obligations préalables et primordiales vis-à-vis de l’État ; le principe d’autorité, quand nous ne le considérons pas comme une monstrueuse hérésie des anciens âges, nous apparait toujours, au fond de nos consciences, comme plus ou moins suspect ; et c’était tellement là la pensée intime de Jean-Jacques Rousseau que le régime représentatif même lui inspirait d’invincibles appréhensions, et que, pour écarter toute ombre d’une usurpation quelconque de pouvoir, il donna comme dernière conclusion a sa doctrine politique le gouvernement direct du peuple par le peuple. Nous en avons vu d’autres depuis – et de ceux dont l’opinion n’est pas négligeable – qui nous ont sérieusement, au nom d’un idéal humanitaire, prêché la théorie « du moins de gouvernement possible ».

    Qu’on suppose dès lors l’héritier d’une lourde et antique couronne, plus ou moins imbu de cette philosophie moderne, doutant de la moralité de ses prérogatives héréditaires parce qu’il ne croit pas a sa mission, parce qu’il ne comprend plus les devoirs de la souveraineté et parce qu’il n’en perçoit que les privilèges, inquiet devant ce qui lui apparaît en sa personne comme le simple bénéfice d’une iniquité séculaire, et cherchant vainement à se délivrer de cette « majesté » royale qui l’étreint et qui l’épouvante, on aura le roman de M. Louis Couperus. Son héros est, hélas ! l’arrière-neveu du prodigieux dégénéré qui s’appelle Hamlet, avec cette différence que le débile rêveur de la plateforme d’Élseneur n’a à régler qu’une affaire de famille, tandis que le fils des empereurs de Liparie sera voué à tenir entre ses mains les destinées d’une nation entière ; mais tous deux se sentent également inégaux à leur tâche ; tous deux tremblent et reculent sous les responsabilités qui les écrasent ; tous deux, dans leur impuissance d’agir, s’usent à raisonner, à analyser, à discuter avec eux-même, sans trêve et sans fin, jusqu’aux heures où l’intervention impérieuse de la volonté paternelle réveille, pour un moment, les globules de sang rouge dans les veines de ces spéculatifs énervés.

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    Majesteit, couverture dessinée par R.N. Roland Holst
     

    C’est une âme honnête, loyale et douce, que celle de ce prince Othomar, à qui doit appartenir un jour le trône de Liparie. Il est bon fils, bon frère, bon époux ; il sera bon père, a n’en point douter ; pas de misère humaine vers laquelle il ne se sente porté par une immense compassion ; pas de douleur qu’il ne songe à entourer de sympathie, à panser et à guérir. Placez-le dans une situation moyenne, où il n’ait à déployer aucune volonté et à prendre aucune initiative ; au lieu de le faire descendre d’une maison impériale, admettez que le ciel lui ait départi la grâce de naître dans une famille bourgeoise, avec un revenu suffisant pour lui épargner tout souci pécuniaire, il aurait dû être heureux. Mais comme il a raison quand il déclare « qu’il ne pourra pas régner » ! Et, avec les intentions les meilleures, quel piètre souverain il réserve à son peuple !

    De son propre aveu, il est faible, il est mou, il est las ; il se demande parfois s’il n’est point lâche. Ce qui le rend pitoyable et tragique, c’est même la notion aiguë qu’il a de sa déchéance et son long effort pour réagir contre cette incapacité native : « Maman ! ô maman ! s’écrie-t-il en se serrant contre sa mère comme un petit enfant, tout le fardeau du pays tombe sur mes épaules et m’accable… Et je ne puis rien, je ne puis rien, je ne puis rien !... Je suis un pauvre garçon malade. » En réalité, s’il ne possède pas une constitution extraordinairement robuste, sa santé morale semble pourtant infiniment plus atteinte que sa vigueur physique ; il pense trop ; au fond, il n’est apte qu’à penser ; sous prétexte de s’éclairer sur les aspirations de ses futurs sujets, il lit les œuvres de Lassalle, de Karl Marx, de Bakounine, les brochures révolutionnaires d’un prince liparien anarchiste ; et l’infortuné ne s’aperçoit pas que ce vin hallucinant du mysticisme humanitaire est mauvais pour son faible organisme, et qu’il achève d’y empoisonner son pauvre cerveau. Chez ce fils d’un siècle qui a divinisé l’intelligence, voire l’intellectualisme, et en qui le fétichisme de la substance grise est passé à l’état de dogme, toute la vie, en effet, comme chez l’ascète antique, est monstrueusement remontée vers la tête ; il agite donc, en ses rêveries solitaires et sans fin, la question de savoir « ce qui est le meilleur, surtout ce qui est le plus juste ». Malheureusement, il n’accomplira jamais ni l’un ni l’autre. Flottant, inquiet, douloureux, il pèsera stérilement et à perpétuité le pour et le contre, sauf dans les cas où une volonté extérieure énergique suppléera la sienne, ou bien quand il sera entraîné presque à son insu par la pression brutale des circonstances ; il ne lui manque pour être roi, ou simplement pour être homme, que la vertu sans laquelle les autres ne sont que des quantités passives ou négatives ; de lui-même, il ne peut pas vouloir.

    En face de cette pâle et troublante physionomie du prince des temps nouveaux, M. Louis Couperus a dressé la robuste figure du souverain à la manière ancienne, qui ne doute pas de ses droits, qui ne s’effraye pas de ses devoirs, qui ne complique pas son existence par des scrupules philosophiques, mais qui juge simplement qu’il a pour obligation en ce monde de régner, et qui règne. « Hautain, sûr, confiant en soi-même, sachant toujours sans hésiter ce qu’il doit faire, » Oscar, empereur de Liparie, professe comme maxime : « Vivre, c’est agir, et gouverner aussi, c’est agir. » Dès sa première jeunesse, il s’est donc voué à l’action : « Je ne me souviens pas, dira-t-il, de m’être jamais reposé quand j’étais prince héritier. » Et il ne paraît guère s’être reposé davantage depuis son avènement ; il n’en a pas le loisir. Sans cesse au travail, réglant chaque jour, en compagnie de quelques ministres choisis par lui, les affaires de l’empire, brisant avec une impitoyable rigueur les moindres velléités d’indiscipline de son peuple, il accepte hardiment, et d’un cœur tranquille, toutes les responsabilités les plus graves, et il ne comprend rien au tempérament complexe et timide de son fils ; il s’attriste ou il s’irrite de ces sentiments « qui ne sont pas d’un prince ». Non pas qu’il ait l’âme moins grande et un moindre souci d’accomplir intégralement sa tâche : « Place ton but très haut, » conseillera-t-il à Othomar. Non pas qu’il soit dépourvu de sensibilité ; on le verra sangloter devant le lit de mort de son plus jeune enfant. Mais une idée le domine et le mène : l’idée de l’État, dont il a la garde, et à laquelle il subordonne tout, ses sujets, sa famille et lui-même.

    Portrait de Couperus, par Antoon van Welie (1916)

    CouperusWelie.jpgPour marquer la profondeur du conflit psychologique perpé- tuellement latent entre le père et le fils, – conflit qui éclatera un jour en un dialogue violent et d’une allure dramatique parfaitement belle, – rien ne semble plus significatif que certains passages des chapitres où se trouve raconté le mariage du prince héritier. Celui-ci a été envoyé par l’empereur à la cour royale de Gothland, en vue d’une union possible avec l’archiduchesse Valérie ; il faut bien « assurer la dynastie des Czyrkiski-Xanantria ». Le futur souverain de Liparie se présente au château d’Altseeborgen en pleine tragédie intime. Un peu contre le gré de son entourage, l’archiduchesse a aimé jadis un prince, Léopold von Lohe-Obkowitz, possesseur d’une principauté « qui mesure bien six mètres carrés » ; ils ont échangé des promesses ; brusquement, Léopold von Lohe s’est épris à Nice d’une actrice célèbre ; il en a fait sa maitresse, et il va renoncer à ses droits pour l’épouser. La nouvelle de ce parjure arrive brutalement à la connaissance de la jeune fille par un journal qui traîne sur une table ; c’est l’écroulement de ses rêves ; c’est, au fond de son cœur, la sensation de l’irréparable et le dégoût de l’humanité, qui lui feront presque souhaiter la mort. Par fierté, elle renferme sa douleur dans son sein, et elle se tait ; mais, sous le masque qu’elle s’impose, on la sent souffrir affreusement. Aussi, lorsque ses parents eux-mêmes invitent Othomar à l’entretenir de ses projets de fiançailles, celui-ci, avec l’affinement de sa délicatesse instinctive, comprend aussitôt ce qu’il y aurait de cruel à seulement effleurer par des paroles indiscrètes la blessure ouverte d’hier ; il refuse ; il repartira sans avoir rien dit ; il reviendra plus tard : « Non, c’est impossible, réplique-t-il. Épargnons-la. Si elle devient ma femme, elle le deviendrait donc au moment où elle en aime un autre. N’est-ce pas déjà assez terrible que cela se décide après des mois ?... Il n’y a pas de raisons d’État qui exigent que mon mariage soit si vite conclu. »

    Pas de raisons d’État ! il ne les voit pas, en effet ; ou plutôt elles sont primées chez lui par les raisons du cœur ; et c’est bien là ce que son père appelle « des idées qui ne sont pas d’un prince ». Car il importait que ces fiançailles fussent annoncées le plus tôt possible aux diverses chancelleries d’Europe ; car, cette question réglée le cabinet liparien aurait pu se consacrer entièrement à la réorganisation de l’armée ; car les délais auxquels on se trouve contraint donnent déjà lieu a des commentaires, et le vieil empereur ne cache pas à son fils jusqu’à quel point son accès de « sentimentalité bourgeoise » le mécontente et l’embarrasse. « Un désagrément tel que celui dont le prince von Lohe-Obkowitz a affligé votre future fiancée, nous l’avons tous éprouvé, une fois ou l’autre, dans notre vie ; et cela peut, certes, pendant quelques jours, causer une grande douleur, mais cela reste un sentiment absolument personnel et intérieur, et ne peut en aucune façon influer sur les affaires d’un aussi grand intérêt politique que le mariage d’un futur empereur de Liparie... » Au fond, lorsqu’il traite avec cette placidité indifférente « les sentiments personnels et intérieurs », le dur dominateur n’est-il pas dans la vérité ? Par simple instinct, ne voit-il pas, plus justement que son fils, où se trouve le devoir ? Et, en définitive, ne remplit-il pas mieux son rôle de souverain ?

    Dans ce débat entre deux idéalismes contradictoires, M. Louis Couperus s’est soigneusement gardé de prendre parti. Pas une phrase, pas un mot, ne laissent entrevoir s’il est pour Othomar ou pour Oscar. Quand on l’a interrogé, il a refusé de répondre, alléguant qu’il n’avait jamais voulu faire « autre chose qu’un roman, une œuvre d’art, et d’art seulement ». C’est possible. Mais alors, qu’il l’ait voulu ou non, la logique éternelle et inévitable de l’histoire humaine a répondu pour lui, et, quelles que fussent les sympathies secrètes qui l’entraînaient peut-être vers le jeune prince de Liparie, il a été obligé de conclure implicitement qu’en fin de compte la vérité et la raison se trouvaient du côté du vieil empereur.

    Quand s’ouvre le roman de la Paix universelle, qui fait une première suite à Majesté, Othomar est monté sur le trône. Loyalement, il veut tenter la réalisation de ses projets, et il commence par convoquer un congrès de la paix à Lipara, en vue de proclamer en Europe le désarmement général. Ce congrès heureusement ne déchaîne pas la guerre. Il reste inoffensif et inutile. Pour cette fois, tout le mal se réduit à une simple humiliation diplomatique que subit le gouvernement liparien. Il n’y a pas au moins de sang répandu.

    Hooge Troeven (Primo Cartello), 4me de couverture dessinée par Berlage

    CouvHoogeTroevenBerlage.jpgLa réforme de la Constitution intérieure de l’empire ne bénéficie pas en revanche d’une pareille bonne fortune. Le souverain, qui pensait qu’après la révision « tout irait bien », s’aperçoit, avec une stupeur dont la sincérité lui sert d’excuse, qu’il n’a abouti qu’a mécontenter en bloc l’aristocratie, les classes moyennes et le peuple. Le peuple, comme son maître, s’attendait ingé- nument à ce que « tout allât bien ». Il ne tarde pas à constater que le libéralisme impérial ne lui rapporte ni un morceau de pain en plus, ni un quart d’heure de travail en moins. Son désespoir s’augmente de toute la somme des illusions qu’il avait conçues et se traduit, exactement comme sous le règne précédent, par une insurrection. En raison de quoi il faut toujours, comme sous le gouvernement d’Oscar, rappeler au pouvoir un ministre à poigne et réprimer l’émeute par la violence. Le pauvre monarque se consolera de son incapacité par des considérations philosophiques d’ordre général : « Nous sommes placés par une puissance inconnue, supérieure, sur l’échiquier de la vie, et cette puissance ne nous laisse que l’illusion de la volonté... je vois que personne n’a tort, que tous pensent comme ils doivent penser... Tout arrive comme tout devait arriver. » Fatalisme commode, qui, une fois de plus, le dispense de vouloir et d’agir !

    Après son double échec, il ne lui restera plus, pour bien établir la banqueroute de ses idées, qu’à se désavouer lui-même. C’est ce qu’il fera, dans la seconde suite de Majesté, dans le roman qui s’intitule Primo Cartello, lorsqu’il obligera le prince Wladimir à rompre un amour de jeunesse pour contracter une union politique. On le verra alors invoquer à son tour la raison d’État, dans des termes presque identiques à ceux dont s’était servi jadis son père, au moment du mariage avec l’archiduchesse Valérie. Au dernier chapitre de cette longue histoire, c’est, du fond de sa tombe, l’empereur Oscar qui l’emporte et qui impose à son héritier la vieille tradition gouvernementale, dont lui-même a pu se croire, avant de mourir, le dernier représentant...

    Jules Lemaître (1853-1914)

    PortraitLemaitreJules.jpgPar une coïncidence curieuse, – puisque certainement aucun des deux auteurs ne s’est inspiré de l’autre, – presque au moment où Louis Couperus publiait Majesté, un écrivain français, M. Jules Lemaître, dans son roman des Rois, traitait le même sujet, avec une affabulation à peu près semblable, pour aboutir à des conclusions pareilles.

    Christian XVI, « par la grâce de Dieu, roi d’Alfanie, » semblerait décalqué sur le portrait d’Oscar, empereur de Liparie, à moins que ce ne fût Christian qui eût servi de modèle à Oscar. Christian XVI, le seul des monarques de l’Europe, « avec l’empereur d’Allemagne, le tzar et le Grand Turc, » qui croie encore à « son droit divin », a, dès sa jeunesse, retranché de sa vie « tout ce qui ne s’accordait pas avec son devoir souverain et tout ce qui eût pu l’en détourner » ; son mariage a été subordonné à sa politique ; il se défie d’une « certaine sentimentalité » qui ne lui parait pas compatible avec les obligations de sa charge ; il estime que les rois, « étant rois, » ne doivent pas se laisser aller « à des idées et à des passions de simples particuliers ». Et il paye lui-même d’exemple. Lorsqu’on vient lui annoncer, au milieu de troubles révolutionnaires qui bouleversent l’AIfanie, l'assassinat simultané de ses deux fils, il se contente de répondre : « Dans la situation actuelle du royaume, leur mort même n’est peut-être pas le pire malheur auquel je doive m’attendre. »

    La destinée a donné pour héritier à ce rude homme d’État une silhouette falote de rêveur maladif, honnête, sincère, charitable et aussi bien intentionné que le prince Othomar de Liparie, – moins tragique pourtant, parce que l’on ne sent pas aussi nettement en lui la conscience douloureuse de son infériorité. Avec « ses traits affinés et doux » et « son air d’un professeur d’Université », le prince Hermann possède peut-être toutes les qualités désirables pour l’enseignement de la philosophie ; dès qu’il s’agit, par malheur, de gouverner, on lui adresserait volontiers le sage conseil de la courtisane des Confessions, et on le renverrait « à l’étude de la mathématique ». Tout en lui est « lassitude, désenchantement ou terreur de régner » ; il n’a pas foi en sa mission ; « sa majesté lui pèse, » comme à Othomar, et il ne demande qu’à renoncer à sa couronne, comme Othomar. Incompris dans son ménage, il file le pur et chaste amour avec une jeune comtesse anarchiste, Mlle Frida de Thalberg ; à eux deux, ils rêvent longuement, pendant leurs rendez-vous, aux humbles, aux petits, aux misérables. Il en résulte, dès qu'Hermann se trouve maître du pouvoir, que son premier soin est d’autoriser largement les manifestations populaires dans la rue. Et, comme ces manifestations dégénèrent naturellement aussitôt en émeutes, son premier acte de souveraineté consiste à faire marcher l’armée contre la foule, et à réprimer d’autant plus durement l’insurrection qu’il lui a laissé prendre un plus redoutable développement. Au total, le mysticisme humanitaire du prince ne coûte, pour commencer, que la mort de six ou huit cents pauvres diables, dont une centaine de femmes et d’enfants. Et, comme l’ami platonique de Mlle de Thalberg a bon cœur, il pleure devant ce massacre des larmes amères, – sans pourtant paraître suffisamment comprendre qu’il en est le seul auteur vraiment responsable, et qu’il eût pu l’éviter en adoptant dès le début quelques faibles et anodines mesures de police...

     

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    couverture de Wereldvrede (Paix universelle) dessinée par Berlage

     

    En somme, l’impression dernière qui se dégage de ces deux romans, – d’une inégale valeur littéraire, mais également dignes d’attention l’un et l’autre comme documents de psychologie sociale, – c’est que la royauté s’en va. Et elle s’en va, non pas seulement, ainsi que l’a dit un des grands dignitaires de l’Église de France, parce que « les institutions et les sentiments monarchiques » n’existent plus chez les peuples, mais aussi parce qu’ils ne semblent plus guère exister chez les monarques eux-mêmes. Nous savons bien que ni M. Louis Couperus, ni M. Jules Lemaître n'ont trouvé uniquement dans leur imagination les types d’Othomar et d’Hermann ; parfois, certaines pages de leurs œuvres évoquent brusquement à nos yeux des souvenirs qui sont d’hier ; certains actes ou certaines paroles de leurs héros ont été vécus ou ont été dites voici quelques années à peine ; à travers la mince enveloppe du roman, on touche du doigt à chaque minute la réalité vivante et contemporaine.

    Et, quand on contemple cette désagrégation et cet effondrement d’un des grands principes sur lesquels était fondée l’organisation des sociétés modernes, on ne peut que se demander avec angoisse quel principe nouveau et inconnu s’élabore autour de nous dans les mystérieuses profondeurs de la vie universelle, pour remplacer ce qui n’est plus. La royauté se meurt ! Soit ! D’aucuns affirmeront même qu’elle est morte. N’y contredisons pas. Verrons-nous s’installer sur ses ruines les dictatures démocratiques à la manière des deux empires français, ou selon la formule des États-Unis américains ? Pouvons-nous croire encore à la vitalité du parlementarisme libéral, tel qu’il a été pratiqué par notre troisième République, par la monarchie italienne, dans les royaumes imaginaires de Liparie et d’Alfanie ? Quant au socialisme, lorsqu’il ne se présente pas simplement comme une des formes de l’anarchisme révolutionnaire, nous sommes bien contraints d’avouer qu’il n’est plus qu’un conte de fées pour amuser la tristesse des misérables. À dire vrai, l’anarchie seule triomphe ; et l’anarchie n’est pas une solution. Comme après la chute de l’oligarchie romaine, comme au lendemain de l’invasion des barbares, comme à l’époque de la Renaissance, l’humanité, depuis la Révolution française, ne marche plus sur route ; parvenue à un carrefour de l’histoire, elle y cherche éperdument, dans la confusion et le désordre d’une foule en détresse, la nouvelle voie où elle reformera ses rangs pour reprendre sa course vers l’avenir. Malheureusement, nul ne sait ici-bas si le jour du départ est proche, et combien de larmes, et combien de sang devront, en attendant, couler encore.

     

    Maurice SPRONCK

     

     

    (*) J. Béraneck, « Un romancier hollandais contemporain : Louis Couperus », Bibliothèque universelle et Revue de Genève, 1895, 100, t. LVIII, p. 304-328 et p. 543-574.

    (**) Voir à propos de Jan ten Brink « La littérature hollandaise de 1815 à 1900 ».

     

     

     

  • Influences françaises en Hollande

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    RELATIONS INTELLECTUELLES

    DE LA HOLLANDE ET DE LA FRANCE

     

     

    Dans le volume Hollande (Hachette, 1900, p. 262-272), Louis Bresson (voir sur ce blog « Multatuli ou le génie du sarcasme » & « La littérature hollandaise par Louis Bresson ») donne un texte sur les relations intellectuelles entre la Hollande et la France. Nous le reproduisons ci-dessous ainsi que les portraits de plusieurs auteurs dont il est question (en note, une note d'humour). Louis Bresson profite de cet article pour essentiellement rendre hommage à ses prédécesseurs protestants établis comme lui en Hollande. Son point de vue est à sens unique : il s’intéresse uniquement à l’influence exercée par des Français sur la Hollande.

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    RELATIONS INTELLECTUELLES

    DE LA HOLLANDE ET DE LA FRANCE

    par Louis BRESSON

     

    Nous avons précédemment signalé, à propos de la littérature, l’influence considérable exercée par les auteurs français sur les productions littéraires de la Hollande ; mais il convient d’y insister ; car, par suite de circonstances particulières, le génie français s’établit dans ce pays comme chez lui et y brilla du plus vif éclat. Dès 1629 Descartes s’était fixé en Hollande : « Il n’est pas de pays, disait-il, où l’on puisse jouir d’une liberté si entière. » Sa philosophie, attaquée avec violence par Voëtius, professeur de théologie à Utrecht, comme conduisant à l’athéisme, fut défendue par Cocceius, professeur à Leyde. Le cartésianisme, condamné par les synodes de Dordrecht et de Delft en 1656, et par l’université de Leyde, n’en fit pas moins de progrès dans les esprits. Spinoza, comme on l’a fait remarquer, est un cartésien ; Huygens, Grotius ont respiré l’air de Paris ; les villes, pour attirer ou retenir des étrangers comme Juste Lipse, Gruterus, van Baerle, Scaliger, ne reculent pas devant les sacrifices. Le sceptre de la philologie passe alors dans les mains hollandaises. Des dynasties d’imprimeurs se fondent qui vont porter au loin les résultats de la science nationale : dès la fin du XVIe siècle on trouve à Leyde les Silvius, les Haestens, Raulinghien qui dirige une succursale de son beau-père Plantin, d’Anvers ; à Amsterdam, ce sont les Blaeu, Jansonius et surtout les Elzeviers.

    Louise de Coligny (1553-1620)

    ImageBresson1.pngAu XVIIe siècle, pendant les années qui précèdent la Révocation de l’Édit de Nantes, alors que se montrent les signes précurseurs de la tempête et surtout en 1685 et 1686, au moment où des milliers de fugitifs arrivent avec le prestige du savoir, de l’éloquence et de la persécution, débordant par tous les points de la frontière, l’influence française se fait sentir dans tous les domaines. Il est vrai que déjà les voies lui étaient préparées. La cour de La Haye, depuis le Taciturne et Louise de Coligny, était une cour française. La langue qu’on y parlait était le français et l’on comprend que la haute bourgeoisie ait suivi cet exemple. Le langage des précieux et des précieuses, ne paraissait pas plus ridicule à La Haye qu’à l’hôtel de Rambouillet, et l’on s’y piquait d’écrire dans la manière et le style de Voiture, de Balzac et de Théophile de Viau. Les professeurs, venus de France à Leyde, quoiqu’ils fissent leurs cours en latin, n’en transmettaient pas moins à la jeunesse lettrée les idées françaises ; maintenant on allait les rencontrer à toutes les portes, dans les temples, dans la rue, dans les écoles, dans les journaux, avec les innombrables réfugiés.

    Au fond, c’était une élite qui venait demander asile aux Provinces-Unies. Les hommes d’initiative et de caractère, de foi et de science, écrivains, prédicateurs, professeurs, industriels, négociants, ouvriers, tous ceux qui préféraient l’exil à l’hypocrisie, furent accueillis avec transport. Et ce ne sont pas seulement les fugitifs qui se pressent dans les temples, ce sont aussi les magistrats, les autorités, les familles les plus distinguées et les plus influentes qui tiennent à honneur de faire partie des Églises wallonnes, ou, comme on dit souvent alors, des Églises françaises. Mais aussi quels orateurs montent dans ces chaires ! Tout ce que le protestantisme français du XVIIe siècle a compté de plus éminent est ici rassemblé.

    Pierre du Bosc (1623-1692)

    ImageBresson2.pngÀ Rotterdam, c’est Pierre du Bosc, autrefois a Caen, dont Louis XIV disait : « C’est l’homme de mon royaume qui parle le mieux ; » c’est Daniel de Superville, autrefois à Loudun, surtout remarquable comme moraliste ; c’est Jacques Basnage, ci-devant à Rouen, plus propre, d’après Voltaire, à être ministre d’État que d’une paroisse, appelé à La Haye sur la demande du grand pensionnaire Heinsius, l’heureux intermédiaire entre les Provinces-Unies et La France lors de la mission du Cardinal Dubois, l’auteur de l’Histoire de l’Ancien et Nouveau Testament et des Annales des Provinces-Unies ; c’est Jurieu, le professeur de Sedan, l’antagoniste de Bossuet, le soutien des protestants sousla croix dans ses Lettres pastorales, le défenseur intraitable de l’orthodoxie et, en même temps, l’adversaire si ardent de l’absolutisme qu’en 1789 on réimprima pour la défense de la Révolution ses Soupirs de la France esclave. À La Haye, c’est Claude, l’ancien pasteur de Charenton qui, dans un livre célèbre paru à Cologne en 1686, fit entendre les Plaintes des protestants de France ; c’est Jacques Saurin, dont on a prétendu faire l’émule de Bossuet et qui arrachait à Abbadie ce cri d’admiration : « Est-ce un homme, est-ce un ange qui parle ? » Et combien d’autres encore pourrait-on citer dans ces familles de prédicateurs qui illustrèrent la chaire wallonne, les Dompierre de Chauffepié, les Delprat, les Mounier, les Huet ? Les soixante-huit églises dispersées sur toute la surface du pays où l’on prêchait en français exercèrent peu à peu leur influence sur la prédication hollandaise, et l’on peut affirmer sans crainte que l’esprit venu de France souffla sur toutes les classes de la population, même sur ceux qui ne comprirent jamais la langue française.

    Jacques Basnage (1653-1723)

    ImageBresson3.pngCe n’est pas seulement dans les temples, mais encore dans les universités, qu’on fit place aux réfugiés. À Groningue, Barbeyrac fut nommé professeur de droit et d’histoire, et Voltaire, dans le Siècle de Louis XIV, rend hommage à ses commentaires sur les ouvrages de Puffendorf et Grotius. Luzac, un réfugié aussi, partageait les principes de Barbeyrac. Avec les autres juristes venus de France, ils popularisèrent les écrits de Pothier, de d’Aguesseau, et réussirent à modifier dans un sens plus libéral le droit criminel. Dans la province de Hollande, ils firent presque disparaître l’usage de la torture à une époque où, en France, elle était régulièrement employée dans l’instruction. À Leyde, Jacques Bernard fut appelé à la chaire de philosophie et de mathématiques, qu’il occupa avec éclat jusqu’en 1718. À côté d’eux il faudrait placer Pierre Lyonnet, naturaliste, anatomiste, graveur, dont le Traité anatomique sur la chenille qui ronge le bois de saule, avec des figures, est de l’avis de Cuvier, « au nombre des chefs-d’œuvre les plus étonnants de l’industrie humaine » ; Guillaume Loré, un mathématicien dont les travaux furent jugés dignes de paraître dans le recueil de l’Académie des sciences de Paris ; Pierre Latané, professeur en médecine; le physicien Desaguliers, connu par ses leçons sur les découvertes de Newton. En ce moment, les Français sont partout : dans les chaires des églises et des universités, cela va sans dire, nous l’avons vu ; mais à La Haye, auprès des États avec Basnage ; aux armées avec Schomberg ; aux colonies, au cap de Bonne-Espérance, à Surinam ; dans l’industrie, dans le commerce. Ils fournissent à la fois des ouvriers de tous les métiers, des soldats et des pamphlétaires contre les majestés catholiques. Et cette invasion, toute pacifique, devient si aveuglante qu’elle finit par provoquer les protestations d’un patriotisme ombrageux et malavisé.

    Jacques Saurin (1677-1730)

    ImageBresson4.pngComme on l’avait fait en Suisse, des poètes hollandais prétendirent que l’influence française était funeste au caractère national, à la simplicité et à l’austérité d’autrefois. Il y aurait beaucoup à répondre à ces reproches, et la correspondance de Huygens montre que la pureté morale n’avait pas attendu l’arrivée des réfugiés pour subir de fortes atteintes. Les politiques, d’ailleurs plus habiles, firent tout pour retenir cette population qui n’aspirait qu’à rentrer dans sa patrie. Dans toutes les négociations pour la paix, les réfugiés s’efforcent d’obtenir la fin de leur exil. À mesure que les années se passent, leurs espérances, au lieu de s’abattre, s’exaltent. Ils veulent entretenir leurs illusions, et peut-être est-ce là en grande partie l’explication de la lutte si âpre et si ardente entre les deux chefs du Refuge, Bayle et Jurieu, les deux anciens professeurs de Sedan, recueillis à l’École illustre de Rotterdam. Quand le présent est trop sombre et trop brutale la réalité, Jurieu s’envole vers les régions de la rêverie et du rêve ; il explique les prophéties, dans ses Lettres pastorales invoque les miracles, compte les années de triomphe qui restent à la bête couronnée de l’Apocalypse, promet à jour fixe la délivrance, rappelle que les rois sont faits pour les peuples, non les peuples pour les rois, et qu’ainsi l’iniquité et le despotisme courent au-devant du châtiment. Quiconque en douterait, douterait de Dieu même. Sans avoir l’air d’y toucher, Bayle souffle sur ces chimères ; il raille ces calculs mystérieux, ces prophéties toujours démenties et toujours remises au lendemain, renverse d’un mot de bon sens ces laborieux échafaudages d’élucubrationsImageBresson5.png fantaisistes et ramène son contradicteur à la théorie de saint Paul,  qu’il faut obéir aux puissances puisqu’elles viennent de Dieu. Et alors Jurieu s’emporte, anathématise son antagoniste, le poursuit devant le consistoire, profite des circonstances politiques pour obtenir du magistrat sa révocation de professeur. Bayle avait raison au fond, et raison avec plus d’esprit ; mais Jurieu avait autrement de patriotisme ; ce dogmatique était un politique, et c’est lui qui entretint longtemps dans les cœurs, – par des chimères, je le veux bien, – le désir et l’espoir de retrouver la patrie perdue. Bayle fut un sage, Jurieu fut un prophète, et l’on conçoit que l’âme généreuse et enthousiaste de Michelet ait donné au prophète la préférence.

    ci-dessus : Pierre Jurieu (1637-1713)
    Pierre Bayle (1647-1706)

    ImageBresson6.pngIl y aurait injustice pourtant à méconnaître les sympathies que l’œuvre de Bayle gagna à l’esprit français en Hollande. Dès 1684 il publiait ses Nouvelles de la République des lettres, qui firent sensation dans le monde savant. De tous les points de l’Europe, de Londres, d’Oxford, de Paris, de Lyon, de Dijon, de Genève, de Berlin, lui arrivent des informations politiques, philosophiques, littéraires, des brochures, des livres, des mémoires, des analyses, des critiques ; tous veulent devenir ses collaborateurs. Dans sa correspondance, nous rencontrons le théologien calviniste et le prêtre catholique, le philosophe idéaliste et le critique rationaliste, le visionnaire et le socinien, le savant et le bel esprit, l’homme d’État et l’homme d’église, Malebranche et Perrault, Denis Papin et Abbadie, Leclerc et Spon, l’abbé Nicaise et Charles Ancillon, Drelincourt et Minutoli. Lui, sait utiliser toutes les bonnes volontés, entretenir, au besoin provoquer les polémiques, comme entre Malebranche et Arnauld, désarmer les susceptibilités, se ménager les concours les plus inattendus. Aussi le succès lui arrive si considérable, si incontesté, qu’à Amsterdam Jean Leclerc fonde à côté la Bibliothèque universelle et historique, la Bibliothèque choisie, la Bibliothèque ancienne et moderne. Bientôt Bayle est absorbé par d’autres travaux, en particulier par son fameux Dictionnaire qui soulève dans les milieux ecclésiastiques une violente opposition ; on le censure, on le condamne : il n’en reste pas moins la mine inépuisable qui servira à toute l’école des encyclopédistes et qui méritera de n’être pas entièrement oublié, même dans un pays qui a donné à la critique des savant tels que Kuenen et Tiele. Cependant la revue abandonnée par Bayle est reprise par Basnage de Beauval sous le titre d’Histoire des ouvrages et de la vie des savants. La mode se répand de ces publications françaises. Alors même que le Refuge a pris son parti de l’exil, que les enfants des Français, avec les années, sont devenus des Hollandais, ils gardent, au moins dans les classes supérieures, la langue de leurs pères.

    Et ce qui prouve combien l’usage de la langue française était général, c’est que dès le commencement du XVIIe siècle on trouve en Hollande une troupe de comédiens français fixée à La Haye, sous les auspices du prince Maurice et plus tard de Guillaume II d’Orange. En 1700, il y avait des théâtres français permanents à La Haye, à Amsterdam et à Utrecht. Même à la Haye, les comédiens se divisent, et en face du théâtre de la rue du Casuarie s’élève la troupe du Voorhout. Où ira la cour ? où se rendront les princes, les grands seigneurs, les étrangers de distinction ? Et c’est une lutte d’intrigues, une rivalité de talents qui défraye toutes les conversations de la résidence. Comme ceux d’aujourd’hui, les acteurs d’alors savent intéresser toute la population à leurs querelles. Mais le merveilleux, c’est que ces étrangers, avec leurs susceptibilités d’amour-propre, aient été supportés par le public. C’est que nous sommes à la grande époque de notre expansion intellectuelle ; tout ce qui vient de Paris a une fleur et comme un parfum de bon ton et de délicatesse. Aussi pendant tout le dix-huitième siècle la langue fran çaise reste parlée non seulement dans les familles aristocratiques descendant des réfugiés, mais par le reste de la nation. Aujourd’hui même, dans le parler populaire, il est de mode de dire à quiconque emploie des locutions françaises : « Ne te sers donc pas de ces mots d’hôtel de ville, » ce qui indique à quel point le français ou le hollandais francisé était répandu dans le monde officiel.

    P.J. Buijnsters, Justus van Effen. Vie et œuvre, HES, 1992

    BioJustusVanEffen1992.jpgEt voilà pourquoi sans doute le Hollandais Van Effen crée à son tour des journaux français comme le Journal littéraire, le Courrier politique et galant, le Nouveau Spectateur français. Camusat publie la Bibliothèque française. Les journaux politiques qui se publient à Amsterdam, à Leyde, à Rotterdam, à Utrecht, à Harlem, sont écrits en français. Le roi de France se plaint aux États des attaques dirigées contre son gouvernement ; les magistrats hollandais interdisent alors l’impression des journaux français, des « gazettes raisonnées » ; mais ces interdictions ne sont pas de longue durée. Ce qui est défendu dans une ville est permis dans une autre. En dépit de tous les arrêts, la liberté de la presse se maintient et s’étend. Les libraires d’Amsterdam, de Rotterdam, de Leyde, deviennent les éditeurs des écrivains de Paris. Les ouvrages que le parlement arrête s’impriment en Hollande. Au XVIIe siècle, ce n’est plus l’esprit protestant, c’est l’esprit des encyclopédistes qui domine les intelligences. Rousseau, Voltaire sont édités dans les Pays-Bas. Le marquis d’Argens est un des grands fournisseurs des librairies d’Amsterdam. Luzac, de Leyde, publie l’Homme-machine de Lamettrie, et écrit lui-même des ouvrages du même genre et dans le même esprit, tantôt en hollandais et tantôt en français. Mlle van Tuyll, qui deviendra plus tard Mme de Charrières, Charles de Bentinck, François Hemsterhuys, Hollandais de naissance, comme leurs noms l’indiquent, se servent de notre langue dans leurs romans, leurs contes, leurs ouvrages de philosophie. Cette sympathie intellectuelle fait naître des sympathies politiques ; il y a un parti français en Hollande au XVIIe siècle. Les patriotes acclament la Révolution française ; il suffit de lire dans la Gazette de Leyde avec quel enthousiasme sont reçues les délibérations de l’Assemblée nationale, les premières victoires populaires. Il faudra bien des maladresses administratives pour éloigner de la France ce courant de sympathies. Ce serait un curieux chapitre d’histoire qui montrerait à quelles causes est dû, en ce pays, le recul de la langue française : le roi Louis la poursuivant sous prétexte d’impartialité et afin de faire oublier son origine ; Napoléon ne réussissantqu’à la faire détester comme le symbole de la servitude ; la maison d’Orange, à sa restauration, la renfermant dans les plus étroites limites avec l’appui de l’opinion et essayant de fermer les temples où l’on prie en français ; puis, le réveil, l’exaltation de la langue nationale comme moyen suprême d’affirmer et de conserver une nationalité indépendante devant les éventualités de l’avenir…

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    Isabelle de Charrière (1740-1805) par Quentin de La Tour, 1771

     

    Et cependant l’influence française persiste malgré tout. Jusqu’au moment où l’invasion française amena l’établissement de la république batave, la Hollande, constituée par des États souverains confédérés ou juxtaposés, n’avait pu avoir une législation unique. En 1809, le roi Louis y introduisit, avec quelques modifications, le code Napoléon, et cette législation est restée en vigueur jusqu’en 1838. Encore faut-il reconnaître que la révision de 1838 est plus hollandaise de nom qu’en réalité et qu’il n’y a, pour ainsi dire, pas d’article qui ne soit emprunté au code français, très souvent par une simple traduction. Dans les universités, les professeurs ne manquent jamais de renvoyer soit aux jurisconsultes, soit aux débats législatifs français ; et à la barre, les avocats invoquent souvent les arrêts de la Cour française de cassation.

    Et comme il se retrouve dans le droit national, l’esprit de la France s’est insinué dans la langue nationale. Quoi d’étonnant à cela ? Nous ayons vu les relations intellectuelles qui unissent les deux pays depuis le XVIe siècle. Aujourd’hui encore, dès les bancs de l’école primaire supérieure, l’enfant apprend à connaître et à lire le français. Dans l’enseignement moderne comme dans l’enseignement classique, le français est la première des langues vivantes qu’on apprend. Le public qui lit se passionne pour nos romans et nos romanciers. Les grandes Revues parisiennes n’ont certainement pas en France autant de lecteurs qu’en Hollande, si on tient compte du chiffre de la population. Dans les cercles, on trouve – et on lit – les principaux journaux français. Le théâtre s’alimente principalement de pièces françaises. Depuis la guerre de 1870, les scènes françaises ont disparu à Amsterdam et à La Haye, l’Opéra excepté ; mais toutes les nouveautés parisiennes sont promptement traduites et représentées en hollandais. Dans ces conditions, on conçoit que le français ait profondément pénétré dans la langue nationale. « La connaissance générale de la langue française, même dans les classes moyennes de la population, a fait passer dans la langue du pays une infinité de tournures et d’expressions françaises, et elles sont devenues tellement familières à tout le monde, qu’on les entend même dans la bouche de ceux qui ignorent complètement la langue dont elles dérivent. » Il est vrai que ces mots sont souvent hollandisés ; mais on n’a pas grand’peine à les reconnaître, comme on s’en apercevra par cette page où l’on s’est amusé à montrer l’usage qu’on peut faire du vocabulaire français dans la conversation hollandaise : « Nos contemporains trouvent leurs costumes uniformen, tenues, pantalons, jacquetten, pardessus, bottines, parapluies et parasols dans le vestiaire et la garde-robe. Dans le kabinet, la chiffonnière et la commode, ils enferment leurs bijouterien, bracelletten, broches, médaillons, colliers, parures, porte-monnaie ; dans la toilet-nécessaire, leurs flacons, odeuren et parfumerien. Ils mediteeren leurs billets-doux, acquitteeren leurs kwitanties, redigeeren leurs brochures, rapporten, circulaires, rekwesten ; ils lanceeren leurs invitations pour le bal, le dîner, la soirée, le théâter ; ils cacheteeren les enveloppen et y mettent l’adres devant leurs bureaux. Les familles meubileeren et tapisseeren leurs salons de bonheurs-du-jour, guéridons, étagères, lustres, gravures, aquarellen, ong>fauteuils, canapés, pouffes, tapijten, portières ; ils orneeren la cheminée de pendules, candélabres et coupes, la console de portretten, albums, statuetten, busten, bibelots, miniaturen, medaltjes ; ils prefereeren comme pousse-caféou likeuren après le dessert le cognac et la chartreuse. » (*) Et il y a ici autre chose qu’un jeu d’esprit ; pour expliquer d’aussi nombreuses rencontres, il faut de profondes influences persistant à travers plusieurs générations. On n’en disconvient pas en effet : aujourd’hui que le commerce hollandais se fait presque entièrement avec l’Angleterre ou l’Allemagne, le français pourrait paraître sans utilité ; mais il demeure quand même le signe distinctif de « l’honnête homme » tel qu’on l’entendait au XVIIe siècle. Lire le français, le parler, le comprendre, est l’indice de la véritable culture et le complément de toute bonne éducation.

    Sous ce rapport, on peut toujours dire, comme un Hollandais le faisait naguère, qu’ « il y a encore quelque chose de la France en Hollande ».

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    Louis Bonaparte, dit Lodewijk Napoleon, par le baron François Gérard

     

    Pour en savoir plus sur l'influence des lettres françaises

    sur la littérature hollandaise à partir de 1800 : ICI

     

    (*) L’humoriste belge Joël Riguelle aurait très bien pu jouer avec ces quelques phrases dans son sketch « La leçon de néerlandais » : 

    Leçon de néerlandais 1

     

    Leçon de néerlandais 2

     

    Leçon de néerlandais 3

     

     

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  • Le Cheval ailé

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    Quelques regards sur Psyché de Louis Couperus

     

     

    CouvCouperusPsyché.png

     

    C’est en août 1897 que Louis Couperus s’est mis à écrire Psyche ; en novembre, le texte est terminé. Entre-temps, l’écrivain a suggéré à son éditeur de le faire illustrer par un des jeunes artistes symbolistes hollandais. Un peu plus tard, c’est lui-même qui avancera le nom de Toorop, lequel avouera beaucoup apprécier l’œuvre de Couperus : à son sens, elle se prête comme aucune autre à son talent de dessinateur. Psyche a d’abord paru dans la revue De Gids début 1898 avant de sortir en novembre en volume. Ce sera une des œuvres du Haguenois parmi les plus vendues de son vivant. En exergue, Couperus a placé deux phrases de Metamorfoze (1897), son autobiographie esthétique en même temps qu’un de ses livres les plus remarquables :

    « … Ne pleure plus, va dormir, et si tu ne peux dormir, je te dirai un conte, une jolie histoire de fleurs, de pierres précieuses et d’oiseaux, d’un jeune prince et d’une petite princesse… Car le monde n’a rien à offrir si ce n’est un simple conte… »

     

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    Ouvrage de H.T.M. van Vliet richement documenté

    sur les tournées effectuées par Couperus dans son pays

     

    Si le projet d’une édition illustrée a dû être abandonné en raison de coûts jugés trop élevés par L.J. Veen, le livre se distingue tout de même par la magnifique couverture dessinée par Jan Toorop (voir ci-dessus) ; Couperus ne la trouva toutefois pas à son goût. La seconde édition (1899) comprendra un dessin du peintre. L’épouse de Louis Couperus devait écrire une adaptation pour le théâtre (1916) à l’époque où Couperus, rentré dans son pays natal à cause de la guerre, lisait fréquemment des passages de Psyche devant des auditoires choisis de différentes villes néerlandaises. Ses « tournées » littéraires sont restées célèbres, en particulier du fait de sa voix et de sa diction singulières. (1)

    Dans la présentation du volume Psyché et Fidessa paru en traduction française en 2002, Gilbert Van de Louw évoque Couperus en ces termes : « Quand Louis Couperus publie Psyché (1897) et Fidessa (1898), c’est un auteur confirmé qui présente au public une œuvre litté­raire dans le sens moderne qu’a pris ce mot dans ces années-là. Il s’est fait connaître à travers Noodlot (Fatalité, 1891) traduit en anglais la même année et Eline Vere […] L’auteur n’a pas qualifié ses créations de “conte”. C’étaient pour lui des “récits”, mais on voit dans l’ensemble de son œuvre bon nombre de ces “variations sur un thème” inspirées par l’hu­meur du moment. Des “variations” comme en musique. Barbe bleue y défile ou encore les légendes des Indes. Ce qui importe dans tout cela, c’est le travail que l’auteur fait sur la source, comme on le faisait à l’époque classique pour le théâtre. Médée, Rodogune, Esther ou Andromaque, pour ne rien dire de Phèdre, doivent autant à leur source qu’à la présentation des auteurs qui ont consacré leur renommée et figé leur image dans un certain sens : on voit mal Phèdre sans le faix de son tourment, Andromaque sans le souci pour son fils, Médée sans un amour transforméCouvPsycheFidessa.jpgen haine destructrice. Mais on ne voit plus ces femmes sans les atours de Corneille ou de Racine, parce que ces auteurs leur ont donné une consistance psychologique et une densité littéraire à l’abri du temps. […] Couperus, dans un genre plus intime et merveilleux, fait revivre le personnage de Psyché ou la légende de la Licorne. Il introduit ses héroïnes dans le monde du merveilleux, montrant par là même que la modernité est un lien avec le passé, non pas une cassure. Le genre du conte est en vogue à l’époque, non seu­lement pour les enfants, mais pour un public adulte. Transporté dans un mode symbolique, un univers de rêve, l’auteur y projette son monde à lui. » (2)

    Ce « monde à lui », le lecteur français avait pu le découvrir quatre-vingts ans plus tôt. Une première traduction de Psyche avait en effet paru en français sous le titre Le Cheval ailé (trad. J. [= Félicia] Barbier, Paris, Éditions du Monde nouveau) l’année de la mort de Couperus, avec une préface de Julien Benda. Avant de reprendre certains points de vue publiés en français sur Psyche, disons, sans faire injure aux traducteurs, que la version de Félicia Barbier (3) simplifie en de nombreux endroits l’original et que celle de David Goldberg (4) tend à ajouter des fioritures. Il faudrait les fondre en une seule pour obtenir un juste équilibre.

    La critique de langue française n’a en réalité pas attendu 1923 pour commenter le « roman féérique » de Couperus. Outre Louis Van Keymeulen et Léo J. Krijn, déjà mentionnés sur ce blog (partie IV de la notice « Louis Couperus par Louis Van Keymeulen »), un certain Pauw. nous disait dès la fin du XIXe siècle : « Parmi les plus belles choses nouvellement parues, citons en première ligne le délicieux conte Psyché, le dernier ouvrage de Louis Coupérus. […] Le talent de l’auteur s’y montre dans toute sa splendeur ; il y a trouvé un vaste champ à son extraordinaire fantaisie. Il y déploie pleinement sa belle faculté évocatrice de visions éblouissantes, qui enveloppent d’une douce atmosphère de rêve. Quoiqu’il emprunte plusieurs thèmes aux mythes et aux légendes qui sont de toute éternité, l’œuvre, dans son ensemble, n’en est pas moins originale. Louis Coupérus possède un style admirable, souple et vigoureux. Il trouve des expressions éminemment suggestives – et dans ses descriptions, il déploie une variété et une richesse incomparables. Ses phrases sont rythmées et harmonieuses. Ses mots sont choisis avec soin et groupés selon le goût musical le plus subtil. Il chante plutôt qu’il ne parle ! Tant pour la richesse extraordinaire de l’imagination et l’idée philosophique que pour la beauté supérieure de la forme, Psyche est un ouvrage qui peut être compté parmi les plus parfaits de toute la littérature contemporaine. » (5)

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    Page de titre différente de celle qui mentionne comme traductrice une certaine J. Barbier

     

    D’autres plumes vont s’exprimer un quart de siècle plus tard à l’occasion de la parution du Cheval ailé. (6) Parmi elles, la jeune Christiane Fournier (7) qui se fera connaître comme critique, reporter ou encore comme romancière, et qui, à l’époque, collaborait justement aux éditions du Monde Nouveau. C’est d’ailleurs dans la revue éponyme qu’elle publie cinq pages consacrées à l’œuvre du romancier hollandais : « Couperus, fils de Platon et de Perrault » (janv.-février 1924, p. 48-52). Alors que Couperus estimait qu’il fallait se laisser porter par la fraîcheur de l’histoire plutôt que d’en faire une lecture trop métaphysique, la jeune Française va tenter de concilier les deux approches :

    « Mythe platonicien de l’existence de l’âme et de sa chute, ce Cheval ailé ; mythe chrétien de sa rédemption dissimulé sous le voile transparent du plus beau des contes de fées, celui que petit nous rêvions dans l’émerveillement de nos imaginations neuves. Philosophie symbolique et mystique du temps au paresseux passé, au subtil avenir, au joyeux présent. Lacet de ces trois étapes curieusement solidaires dans l’impondérable limite morte, puis ressuscitée, du vertigineux devenir. Grave problème des essences, mais chanté gaiement par la voix des bacchantes. Grand geste de l’amour, mais pudiquement masqué derrière les ailes diaphanes de Psyché. Vision du péché, qu’ironise la flûte du Satyre. Expiation ; larmes versées ; descente aux enfers ; résurrection des morts : le tout est candeur et science à la fois ; transparence, mais d’un horizon ; naïveté attendrie de celui qui est las de douter.

    Pourquoi tant chercher ? Le secret n’est point si caché que chacun ne le puisse découvrir ; le poème ne veut point d’exégèse ; et ce serait pitié si ces quelques lignes, déchargeant la création de son symbole, venaient à crever la bulle de savon.

    CouperusPortraitJanVeth1892.jpgUn roi avait trois filles, raconte Apulée ; mais Couperus parfait la création. L’une, Emeralde, aux yeux de pierres précieuses, dont les courtisans chuchotaient que son cœur était de rubis ; Astra, la seconde, qui cherchait à surprendre la science sous le mouvement mystérieuse- ment ordonné des étoiles ; et Psyché, timide et nue, enfant couronnée de boucles blondes, parée de ses ailes versicolores, de ses ailes fragiles qui ne la soulevaient point et la laissaient, vaincue, attachée à la terre.

    Platon chargeait-il ses mythes des pensées comme les commentaires l’ont exigé ? Ce qui reste de plus précieux dans la promenade élyséenne des âmes que nous raconte le Phèdre ce doit être la grâce hellénique que la science n’a point déflorée plutôt que la démonstration possible de la préexistence ou de la survivance. La sensibilité se satisfait de la fable et, pour croire, elle ne calcule pas.

    Psyché habitait le royaume du Passé. Le roi son père avait bien cent ans. “Couronné de trois cents tours, le palais royal se dressait jusqu’aux nues.” Psyché errait le long des créneaux, contemplait l’horizon infini, et rêvait. Elle rêvait des choses qu’elle ne connaissait point. Bonheur et tristesse tout à la fois ; celle-ci est dans celui-là contenue, et qui se dit heureux sans avoir battu le chemin triste qui conduit au jardin enchanté du présent ?

    Du haut des tours du palais, l’Âme aperçut la Chimère et en devint amoureuse ; car elle brillait de tous les mirages des vertigineux avenirs et s’élevait à de troublants infinis. L’enfant timide et nue se suspendit au cou du Cheval aux puissantes ailes pour entreprendre l’éternel voyage. »

    Ce voyage, c’est l’histoire narrée par Couperus, dont Christiane Fournier retrace alors les grandes lignes avant de conclure :

    « Par quelle étrange audace marquons-nous de correspondance deux mondes qui n’ont point de commune mesure ? Psyché, dont l’infidélité vient de tuer Eros, rachètera-t-elle l’inéluctable ? Quel impossible et quel inefficace, dira-t-on. N’importe ! Il convient que le pécheur travaille dans la peine. Et voici remporté le triomphe du platonicien-chrétien. C’est justement le mystère de cette équivalence qui sert à justifier le dogme de la préexistence et de la survivance de l’âme. La conclusion prouve la majeure. Prouver ? Que prétentieux et docte est le mot appliqué à une œuvre où l’imagination candide d’un artiste défend à la raison l’accès. Au reste la logique se moquera : paradoxe ou conte de fée ? Ce peut n’être pas davantage ; mais s’il n’en faut pas plus pour que jaillisse la vérité profonde ! Il y a un enfer au moins : celui de Dante. Il y a certes un oiseau bleu et des forêts magiques et des fées très belles, très jeunes et très puissantes qui changent en carrosses les citrouilles et en princes les valets. Chacun de nous qui l’a cru, a suspendu à l’arbre enchanté du conte, une parcelle de vérité.

    Voilà bien pour défier les sceptiques, sectateurs insensibles d’une science qui n’entend pas la légende. Ils veulent raisonner le mythe et la croyance : c’est jouer au tennis avec des balles de plomb. Psyché existe, ardente et pure, déchue, souffrante, expiatoire ; rachetée enfin au Paradis des bienheureux.

    Mais qui disait que nous n’avions pas d’âme ? »

     

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    Renée d'Unan, La Pensée française, 11/10/1923

     

     

    NOTES

     

    CouvPsyche1992.jpg(1) Les éléments relatifs à l’édition hollandaise de Psyche sont empruntés à la postface du volume 14 des Œuvres complètes de Louis Couperus, volume que l’on doit à H.T.M. van Vliet, J.B. Robert et M. Boelhouwer (L.J. Veen, 1992).

    (2) Gilbert Van de Louw, « Introduction », Psyché / Fidessa, Contes et légendes littéraires, traduits du néerlandais par David Goldberg, Presses Universitaires du Septentrion, Villeneuve-d’Ascq, 2002, p. 7 et 9. Relevons que Couperus a tout de même à l’occasion employé le terme « conte » à propos de Psyche, par exemple dans des lettres à son éditeur et à son ami Ram. Voir aussi le passage mis en exergue.

    (3) On doit à Félicia Barbier d’autres traductions d’œuvres néerlandaises : Noto Souroto, « Orient et Occident », Le Monde nouveau, fév. 1926 ; Nico van Suchtelen, Le Sourire de l’âme (De stille lach, 1916), Paris, Éditions du Monde nouveau, 1930 ; Henri Borel, Wu-Wei. Fantaisie, inspirée par la philosophie de Lao-Tsz’, Paris, Éditions du Monde Nouveau, 1931, réédition sous le titre : Wu Wei. Étude inspirée par la philosophie de Lao-tseu, Paris, Éditions G. Trédaniel, 1987. Pour ce qui est de la préface de Julien Benda, voir la note 11 : ICI.

    (4) Né en 1969, David Goldberg a pour sa part donné une très belle traduction d’un roman de Tommy Wieringa, Joe Speedboot, Actes Sud, 2008. Autres titres traduits : Bert Keizer, Danse avec la mort. Journal d’une liaison fatale, La Découverte, 2003 ; Connie Palmen, Tout à vous, Actes Sud, 2005 ; Rob Riemen, La Noblesse de l’esprit : un idéal oublié, préface de George Steiner, NiL, 2009…

    (5) « Lettres néerlandaises : Psyche par Louis Coupérus, Amsterdam, L.J. Veen », Mercure de France, III, 1899, p. 837 et 839.

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    Revue des Lectures, 15 octobre 1923
     

    (6) L’existence de cette traduction s’explique peut-être par le rôle joué par Adrienne Lautère (née Heineken), une femme d’origine hollandaise (des critiques ont pu souligner « sa connaissance imparfaite du génie de notre langue »), auteur des Lettres de la Hollande neutre (1920) ou encore de L’Âme latine de M. Louis Couperus, romancier hollandais, cette dernière étude justement aux Éditions du Monde nouveau, également en 1923. (voir à propos d’Adrienne Lautère sur ce blog la notice « La Saint-Nicolas », catégorie : « Contes Légendes Traditions »)

    (7) Voir sur cette femme aujourd’hui bien oubliée « Christiane Fournier et son œuvre », Marie-Paule Ha, dans l’introduction à la réédition du roman Homme jaune et femme blanche, L’Harmattan, 2008, p. VII-IX). Christiane Fournier à la télévision française en 1959 : ICI.

     

    Le portrait de Louis Couperus a été réalisé en 1892

    par l'artiste hollandais Jan Veth (1864-1925)

     

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    La couverture de la revue La Plume

    contemporaine de la couverture ci-dessus dessinée par Jan Toorop