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Vol. I de l'édition J. van Mierlo des Lettres de Hadewijch,
Standaard Boekhandel, 1947
texte moyen néerlandais (éd. J. van Mierlo)
God doe v weten lieue kint wie hi es Ende wies hi pleghet met sinen knechten Ende nameleke met sinen meiskenen Ende verslende[n] v in hem Daer de diepheit siere vroetheit es daer sal hi v leren wat hi es Ende hoe wonderleke soeteleke dat een lief in dat ander woent Ende soe dore dat ander woent Dat haerre en gheen hem seluen en onderkent Mer si ghebruken onderlinghe ende elc anderen Mont in mont ende herte in herte Ende lichame in lichame Ende ziele in ziele Ende ene soete godlike nature doer hen beiden vloyende Ende si beide een dore hen seluen Ende al eens beide bliuen Ja ende bliuende.
Lettre IX
Dieu te donne de savoir chère enfant qui il est
Et comment il agit avec ses serviteurs
Et en particulier avec ses jeunes servantes
Et qu’il t’engloutisse en lui
Là où est la profondeur de sa sapience là il t’apprendra ce qu’il est
Et l’incroyable douceur avec laquelle un aimé habite dans l’autre
préface Jacques Sojcher, lecture Vincent Vancoppenolle
Couverture : Theo Van Rysselberghe,
Voilier sur l’Escaut (détail), 1892
O vieille maison blanche en l’étang reflétée,
La douceur répétée
De ce nom, toute enfant, je l’aimais: « Missembourg »
Un son vif, puis un lourd.
Mais le sens de ce nom me fut longtemps mystère…
Jusqu’au jour où mon père,
Rangeant de vieux papiers, pensivement me dit :
« C’est aux temps interdits
Que la maison qui nous abrite fut nommée :
Les églises fermées,
Vers les quatre-vingt-treize, des prêtres proscrits
Ont dit la messe ici. »
Missembourg… Missembourg… chant long, « château des messes »
Tout le passé se dresse…
Marie Gevers (1883-1975) fait partie de ces écrivains flamands qui ont choisi le français pour écrire leur œuvre. Son fils Paul Willems (1912-1997), qui lui succèdera à l’Académie royale de langue et de littérature française de Belgique, fera d’ailleurs de même. Née à Edegem, près d’Anvers, Marie Gevers a passé sa vie dans la grande maison familiale de Missembourg, laquelle sert de cadre à plusieurs de ses livres. Les strophes citées ci-dessus fournissent une des versions relatives à l’origine du nom de la vieille demeure. Outre sonœuvre, elle a laissé un certain nombre de traductions de romans et contes d'auteurs flamands et néerlandais.
Le roman le plus célèbre de Marie Gevers,La Comtesse des Digues(1931) – avec lequelMensen achter de dijk(1949) de son confrère et compatriote Filip de Pillecyn (1891-1962) n’est pas sans présenter des parallèles – offre une merveilleuse évocation d’un coin des Flandres et d’un monde aujourd’hui disparu. Beautés de la nature, métiers d’antan, menaces que font peser les éléments, sentiments qu’éprouve l’héroïne Suzanne tiraillée entre plusieurs hommes dont l’un, le beau et fort Triphon, incarne la nature et un autre, Max Larix, la bourgeoisie cultivée, sont les ingrédients majeurs de cette histoire qui se déroule sur les bords de l’Escaut, le grand amour de l’héroïne : « Elle songeait vaguement que Triphon avait “mangé à la cuisine” avec Jo et que Larix se promenait en quelque sentier boueux. Elle trempa sa main droite dans l’étang, s’amusant du cercle de fraicheur à ses doigts… une bague de fiançailles avec l’eau… parfois à son poignet : “ainsi l’anneau de la chaine qui me retient à l’Escaut”… Puis creusant sa main, elle y ramenait un peu d’eau – l’âme de l’Escaut – et la laissait couler entre ses doigts joints. Elle pêcha ainsi un de ces petits têtards qui pullulent dans les mares : “Je pêche l’âme de l’Escaut dans un trou à brochet… et je ramène une larme noire”. »
La maison de Missembourg
Le mot de l’éditeur
L’histoire intrigante et passionnante d’une femme amoureuse d’un homme et d’un fleuve. Parviendra-t-elle à concilier ces deux amours si différents ? C’est le roman du fleuve, de l’Escaut-roi, du mariage, toujours à préserver, des eaux avec les terres qu’elles irriguent et qu’elles minent. C’est le roman d’une femme attachée au fil des saisons, à la surveillance des digues, au combat d’amour avec l’eau. Mais il arrive que les digues cèdent, que le désir soit plus fort. Alors il faudra que la Comtesse des digues choisisse et qu’elle trouve entre l’homme qu’elle va épouser et le fleuve une nouvelle harmonie.
Sur la langue employée par l’auteur
La Comtesse des Digues– comme d’ailleurs la plupart des œuvres de Marie Gevers –, révèle de diverses façons son appartenance à un espace linguistique bilingue ou même plurilingue. Ce sont évidemment d’abord les nombreux patronymes et toponymes flamands qui enracinent ce texte dans un « terroir » linguistique bien précis, au même titre, d’ailleurs, que les paysages évoqués, les allusions au folklore, à l’artisanat local, à la flore et à la faune. Mais il y a plus : on observe que la langue française tend à s’y faire vernaculaire, accueillante aux expressions populaires en flamand, aux apports lexicaux étrangers dans les mots de la conversation (dag, proficiat, mijn beste), aux interjections en dialecte du pays de Weert. Un rapport dialogique s’instaure même par endroits avec la langue flamande : ce sont ces rapports, en ce qu’ils déterminent les modalités d’émergence d’une langue dans l’autre, qui retiendront surtout notre attention ici car ils constituent à notre avis la véritable histoire de ce texte. (suite)
Dans la magazineCulturede l'Université de Liège, le journaliste belge Michel Paquot consacre un dossier aux lettres néerlandaises. Il s'entretient avecErik Spinoy, Emmanuèle SandronetDaniel Cunin, s'intéresse au casPieter Aspeet propose un petit aperçu de parutions récentes.
Les éditeurs français traduisent régulièrement des auteurs néerlandais. Actes Sud, Gallimard et Le Castor Astral sont particulièrement actifs sur ce terrain. Le premier réunit des auteurs comme Cees Nooteboom, Hella Haasse ou Anna Enquist au sein de la collection «Lettres néerlandaises» dirigée par Philippe Noble ; le deuxième rassemble Willem Frederik Hermans, Kader Abdolah, Harry Mulisch, Adriaan Van Dis ou Jeroen Brouwers dans sa collection «Du Monde entier»; et le troisième, via la collection Escales du Nord codirigée par Francis Dannemark, se montre ouvert à la fois aux Flamands (Jef Geeraerts, Willem Elsschot, Stefan Hertmans, Geert van Istendael, Louis Paul Boon) et aux Hollandais (Benno Barnard, Doeschka Meijsing). Mais d'autres éditeurs ne sont pas en reste, par exemple Héloïse d'Ormesson (Stefan van Brijs, Vonne van der Meer), Phébus (Karel Schoeman, Gerard Reve) ou Denoël (Elle Eggels, Carl Friedman, Paul Gellings, Sakia Noort). Voici quelques parutions récentes.(lire la suite)
Dans ce thriller scientifique troublant et captivant, un docteur démiurge bouleverse un paisible village belge. Par ses expériences médicales, il défie les lois de la génétique et de l'éthique pour fabriquer... le vivant.
Willy Spillebeen,De Seigneur van Peuplingues, Manteau, 1993
L’affaire Armand Rohart a défrayé la chronique à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Ce maire du village de Peuplingues, près de Calais, accusé d’avoir tué son épouse lors d’une baignade, a été condamné à la perpétuité à l'issue de deux procès devant les assises. Plus de vingt ans plus tard, Willy Spillebeen a repris des données de cette histoire pour exercer avec brio son talent de romancier. S’il modifie le nom de quelques protagonistes (Rohart s’appelle François Bernart) et s’accorde certaines libertés par rapport au déroulement des faits (le procès ne se tient pas en 1969 ni en 1970, mais début juillet 1973 ; le condamné n’est pas libéré après douze ans de détention…), la plupart des éléments, en particulier ceux retenus par l’accusation, nous replongent dans ce drame à travers les principaux protagonistes : l’accusé bien sûr, mais aussi l’avocat René Fleuriot ou encore l’ancien membre de la légion étrangère, cet homme qui a enregistré certaines conversations qu’il a pu avoir avec Armand Rohart. C’est d’ailleurs sur la reconstruction de l’une d’elles que s’ouvre De Seigneur van Peuplingues. Mais la conversation que l’on soumettra aux jurés est-elle bien celle qui a eu lieu entre les deux hommes quelques années plus tôt, avant le décès du légionnaire ? La bande magnétique n’a-t-elle pas été trafiquée ? L’auteur le laisse entendre puisque qu’on relève des différences entre la version qu’il propose au début de son roman et celle qu'on soumettra aux jurés. Des experts émettront eux aussi des doutes comme un certain Pierre Laforêt :
extrait du compte rendu de Pierre Laforêt,
témoin au cours du second procès,
Nouvel Observateur, 11/05/1970, p. 34
La plus grande part du roman restitue les deux premières journées du premier procès, celui qui s’est tenu à Saint-Omer. On vit la première à travers les réflexions et les doutes de la fille de l’accusé, Marie-Françoise, la deuxième à travers ceux de son fils aîné, qui porte le même prénom que lui. L’intérêt essentiel de cette reconstitution romancée réside dans l’opposition de caractère entre ces deux êtres : à la différence de son frère – qui en apparence tient plus de leur mère –, Marie-Françoise croit en l’innocence de son père. Les deux jeunes gens, qui ont hésité avant de se décider à assister au procès, subissent le déroulement de cette « mise en scène » juridique en vivant chacun à sa façon le défilé des témoins et des experts. Cette opposition illustre l’impossibilité dans laquelle on se trouve de trancher la question de la culpabilité de l’accusé. Autre caractéristique qui donne du piment à la narration : Willy Spillebeen tourne dans tous les sens les éléments de preuve ainsi que les zones d’ombre qui subsistent tout en nous faisant entrer dans les secrets les plus intimes de ses personnages. Si on a pu parler de « roman à la Simenon » – il ne s’agit pas d’un polar mais bien d’un roman qui est sans conteste dans la lignée de ceux de Simenon où prédominent atmosphère lourde, obsessions et travers des protagonistes –, c’est en raison de la pénétration dont fait preuve l’auteur qui entremêle subtilement son propos aux points de vue des deux jeunes personnes et aux dialogues afin de mieux cerner l’égoïsme et les sentiments de chacun (jalousie, haine, rancœurs…) ou encore de lever certains tabous qui règnent dans le milieu décrit ; c’est aussi parce qu’on assiste à une sorte de mise à mort du notable par la foule déchaînée et par une justice qui semble avoir jugé avant même le début du procès. On ne pardonne pas à cet homme de régner en maître sur sa commune – près de la moitié des villageois sont ses employés –, ni d’avoir bâti un petit empire agricole, ni de séduire les jeunes femmes. Les rivalités sexuelles qui opposent les hommes et la pruderie de la victime ont aussi leur part dans le puzzle complexe de cette intrigue.
Le quatrième et dernier volet du Seigneur de Peuplingues, purement fictif, emmène le lecteur dans l’esprit du condamné toujours détenu vingt ans après le prononcé du jugement. On sait que le Flamand aime retenir quelques métaphores centrales dans ses romans. En l’espèce, il a choisi celle du tunnel – le tunnel mental du cauchemar auquel le prisonnier ne parvient pas à échapper et celui que l’on construit à l’époque sous la Manche et qui se prolonge jusqu’au niveau des terres qui lui appartenaient avant son arrestation. Cette métaphore nous reconduit au début du drame, au tunnel du coma que le mari dit avoir traversé juste après avoir failli mourir noyé comme sa femme, coma que les médecins ont mis en doute. Un des tunnels ne laisse pas subsister grand-chose du domaine qui a appartenu au seigneur de Peuplingues, l’autre ne cesse de ramener ce dernier à la mort de sa femme. Dans ces dernières pages, l’auteur nous propose, à travers les réflexions de François Bernart, une version des faits différentes de celles avancées par les différentes parties au procès.
De par sa composition ingénieuse, sa densité et son style, le roman de Willy Spillebeen nous place face à ce qui détruit et tue l’homme, l'égoïsme.
documentaire : Armand Rohart, un notable devant la justice
(« 50 ans de faits divers »)
En 1967, les époux Rohart passent un moment sur la célèbre plage d’Escalles, dans le Nord de la France. Mais un accident survient. Lors d’une baignade, le couple perd pied. Armand Rohart est aperçu inanimé par plusieurs badauds ; il est parvenu à regagner la grève. Tôt le lendemain, le corps sans vie de son épouse, Jacqueline, est retrouvé. Le jour des funérailles, un personnage vient jeter le trouble sur ce qui aurait pu demeurer une simple affaire de noyade. Un ancien légionnaire se dit en effet détenteur d’une bande magnétique sur laquelle on entend Armand Rohart demander conseil pour supprimer sa femme. Une enquête est ouverte. Condamné à perpétuité, Rohart a toujours clamé son innocence. Ses quatre enfants tentent de le faire libérer.