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guerre 14-18

  • Paroles de Neutres

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    Alexandre Cohen en première ligne

    au côté de Benjamin Vallotton

     

     

     

     Benjamin Vallotton

    académie royale de langue et de littérature françaises de belgiq,edith wharton,journal des débats politiques et littéraires,belgique,alexandre cohen,benjamin vallotton,la gazette de lausanne,de telegraaf,suisse,pays-bas,guerre 14-18En plein premier conflit mondial, un chroniqueur anonyme du Journal des débats politiques et littéraires se penche sur deux auteurs qui, dans la presse de pays neutres, condamnent sans détour les agissements des Allemands : l’écrivain suisse Benjamin Vallotton (1877-1962) et le publiciste d’origine hollandaise Alexandre Cohen (1864-1961). L’un et l’autre se sont rendus à plusieurs reprises sur les lieux dévastés par les armées de l’Empereur Guillaume II. Après avoir cité quelques propos sans ambiguïté du premier sur les déprédations allemandes, le journaliste transcrit des phrases furibondes du second, qui ne relèvent en rien du compte rendu nuancé. Il faut dire que Cohen, devenu Français en 1907 (il vivait alors au 44, rue Joseph-de-Maistre ou déjà au 9, rue de l’Orient, aujourd’hui rue de l’Armée d’Orient, soit à deux pas de son ancienne adresse, rue Lepic, où la police l’avait arrêté fin 1893, et, fidèle au quartier, devait s’installer en 1909 au numéro 4 de l’impasse Girardon) après avoir réclamé sa naturalisation durant près de vingt ans, se montrait plus virulent encore que nombre de propagandistes. En 1914, à quelques semaines de son cinquantième anniversaire, il revêtait l’uniforme et rejoignait son affectation, mais en raison de son âge, les autorités militaires jugèrent plus utile de le voir défendre les intérêts de la France dans les colonnes du grand quotidien hollandais de l’époque, De Telegraaf, que de l’envoyer au combat. Le chroniqueur du Journal des débats politiques et littéraires a tout à fait raison quand il écrit que le Frison de naissance ressentait « personnellement chaque atteinte soufferte par la France » et que, pour lui, l’Allemand n’était « rien moins que l’ ‘‘ennemi du genre humain’’ » ; l’antigermanisme de Cohen remontait à une période antérieure à ses démêlés, en tant qu’anarchiste, avec les sociaux-démocrates allemands : dans ses jeunes années, un séjour en Prusse avait « suffit à nourrir sa haine contre l’Allemagne autoritaire, une haine qui dura toute sa vie. » (source) En revanche, la personne qui a signé ce académie royale de langue et de littérature françaises de belgiq,edith wharton,journal des débats politiques et littéraires,belgique,alexandre cohen,benjamin vallotton,la gazette de lausanne,de telegraaf,suisse,pays-bas,guerre 14-18papier se trompe donc en affirmant que Cohen était « un citoyen du monde » et un Neutre. Si le publiciste a entre autres vécu dans les Indes néerlandaises, en Belgique et en Angleterre, s’il parlait plusieurs langues, il s’est avant tout senti de France, ceci depuis sa plus tendre enfance pourrait-on dire et la fascination qu’il a alors éprouvée pour Napoléon Ier. Un atta- chement qui le conduira peu à peu à se rallier à l’idéal royaliste.

    A. Cohen en uniforme, 1914

    On peut lire quelques-uns de ses écrits portant sur la guerre 1914-1918 dans deux recueils d’articles : Uitingen van een reactionnair (1896-1926) et Uiterst rechts. Quant à ses mémoires, ils offrent de très vivantes et vibrantes évocations de cette période.

    (D. C.)

     

     

     

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    Paroles de Neutres

     

    À propos des dévastations allemandes en France

     

     

    Des écrivains étrangers ont visité ces régions françaises dévastées par la barbarie allemande et que chacun appelle à présent le « pays de la mort ». Les impressions qu’ils ont écrites ne sauraient passer inaperçues. On a cité déjà certaines pages télégraphiées aux journaux d’Amérique, entre lesquelles le saisissant récit de Mme Edith Wharton. Voici que parle à son tour un écrivain suisse dont le caractère est estimé autant que le talent. C’est dans la Gazette de Lausanne que M. Benjamin Vallotton  rapporte ce qu’il a vu des villages libérés*. Les crimes allemands, depuis le début de la guerre, ont indigné sans cesse sa conscience. Il n’avait pas imaginé, toutefois, que les Barbares fussent capables de ces abominations dont le spectacle infernal s’est offert à ses regards… Et il dit : « Qui donc pourrait se réjouir à l’idée qu’un grand peuple qui a tant donné à l’humanité s’en retranche brutalement, se livre aux malédictions du monde ? »

    Ce neutre, dans le cimetière allemand qu’il visitait près de Trosly-Loire, aurait voulu s’incliner devant les tombes, murmurer une prière. Il n’a pas pu. C’est que, de ce cimetière magnifiquement, orgueilleusement situé, il découvrait toute la vallée dévastée, et, de colline en colline, les arbres assassinés, les villages anéantis. Ce chrétien n’a pu saluer les morts, ni prier. « On ne peut pas, écrit-il, et on s’éloigne bouleversé… »

     

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    M. Benjamin Vallotton a visité ensuite le château de Coucy. Il rappelle cette parole d’avant-guerre, dite par l’empereur Guillaume à un Français : « Vous avez en France une merveille entre tant de merveilles, le château de Coucy… » ; il évoque ce qu’était l’incomparable monument d’art et d’histoire, là où il n’y a plus qu’un champ de ruines.

    La haine monte au cœur le plus religieux. Cependant les Allemands se demandent toujours : « Pourquoi ne nous aime-t-on pas ? »

    Si, de Suisse, l’on va en Hollande, les journaux, là aussi, portent témoignage contre les bandits. M. Alexandre Cohen, correspondant du Telegraaf d’Amsterdam, dit ses impressions avec une véhémence expressive où se manifeste l’indignation, la révolte d’un intellectuel plein d’indépendance et de droite raison, d’un citoyen du monde qui ressent personnellement chaque atteinte soufferte par la France, et pour qui l’Allemand n’est rien moins que l’ « ennemi du genre humain ». M. Alexandre Cohen montre tous les traits de ce banditisme systématique par quoi « les porteurs de Kultur, de torches et d’ordures » se sont à jamais déshonorés. Et qui pourrait, dit-il, penser aujourd’hui à la paix « dans ce paysage de mort où le Boche n’a laissé pierre sur pierre, ni le moindre arbrisseau sur sa racine, et où monte encore, de mille pauvres maisonnettes, vers le ciel passif et vide, la lourde fumée… »

    Tombe de soldats français à Trosly-Loire

    érigée par des soldats allemands

    académie royale de langue et de littérature françaises de belgiq,edith wharton,journal des débats politiques et littéraires,belgique,alexandre cohen,benjamin vallotton,la gazette de lausanne,de telegraaf,suisse,pays-bas,guerre 14-18Comme M. Benjamin Vallotton, M. Alexandre Cohen a vu, de son côte, un cimetière allemand. « Rien, dit-il, sinon leur hideur, n’égale l’impudence des Denkmaeler consacrés ici par les pandours à la mémoire de leurs kamerades pillards, incendiaires et assassins. Ces aigles stupides, croix de fer au bec, ces grotesques lions à prétentions héraldiques, ces ridicules portiques, ces Gretchen larmoyantes, ces hypocrites devises : ‘‘Freund und Feind im Tod vereint (ami et ennemi unis dans la mort)’’, autant d’offenses à la population française qui, après avoir été humiliée, terrorisée, ruinée pendant deux ans et demi par les Kulturtraeger, devra encore, durant des années, apercevoir ces souvenirs de leur passsage… » Mais aussi « ces cimetières allemands sont pour les Français des mémentos d’une incomparable éloquence ».

    Et M. Cohen se réjouit d’avoir, parmi les ruines, rencontré les vengeurs, les soldats de France, « empreints de cette noblesse que la lutte pour leur âtre et leur feu confère à chaque combattant ».

     

    X, Journal des débats politiques et littéraires

    10 mai 1917, p. 3

     

     

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    Notons enfin que l’écrivain vaudois s’est exprimé sur ses confrères flamands d’expression française dans son discours de réception, en tant que membre étranger, à l’Académie royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique.

     

     

     

  • La Haye, 1915

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    Louis Couperus,

    badin et grave

     

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    En octobre 1915, dans son quatrième numéro, le mensuel La Revue de Hollande publie sans nom d’auteur, au sein de la rubrique « Notes, faits et documents », deux textes brefs consacrés à la ville de La Haye et aux chroniques de Louis Couperus (Coupérus) – la situation internationale avait contraint le romancier, établi depuis de nombreuses années à l’étranger (Nice, Italie…), à renter début 1915 au pays. Deux pages frivoles en une époque grave, la seconde proposant une traduction partielle de la courte prose « Meditatie over het mannelijk toilet » (« Méditation sur la toilette masculine »).

    RevueHollande.pngPour distraire son lecteur et égayer son âme, Couperus maniait souvent une plume en apparence insouciante ; c’est au cours de l’été 1915 qu’il publie par exemple  la saynète « De tweede blik » (« Le Deuxième regard »). À l’époque du premier conflit mondial, ses Brieven van den nutteloozen toeschouwer (Lettres d’un observateur inutile), œuvre rédigée à Munich et Florence en août et septembre 1914, et d’autres chroniques, dont beaucoup paraissent dans Het Haagsche post ou Het Vaderland, témoignent toutefois de la gravité qui l’habitait. Ainsi, dans « Cosmopolitisme » (mai 1916) dénonce-t-il l’illusion du progrès – l’homme moderne n’est pas forcément plus élevé que le sauvage – et l’illusion du cosmopolitisme, idéal dans lequel beaucoup voyaient la panacée. « De terugkeer » (Le retour, mars 1915), « Een Hagenaar terug in Den Haag » (Un Haguenois de retour à La Haye, mars 1915) décrivent les sentiments ambivalents et le désarroi de l’écrivain en « ces temps étranges et sans précédent » ; pour la première fois de sa vie sans doute, Louis Couperus éprouve un certain réconfort à vivre dans son « cher petit pays » qui saura préserver sa neutralité.

     

    Extraits de l’adaptation télévisée

    du roman haguenois de L. Couperus

    De boeken der kleine zielen (Les Livres des petites âmes)


     

     

    La Haye pendant la guerre

     

    Ce n’est plus la ville aristocratique et paresseuse, accueillante aux touristes et aux diplomates, retraite des Hollandais enrichis, mais bien un centre tout nouveau, plus vivant, aux éléments un peu disparates. Est-ce M. Louis Coupérus, le subtil romancier des mœurs de La Haye (1) qui nous montrera cette ville sous son aspect actuel ?

    Debergvanlicht.pngSi l’auteur de Héliogabale (2) dédaignait de noter les mille aspects de la capitale hollandaise, nous y perdrions un tableau qui, dans ses proportions modestes, n’en serait pas moins attrayant et singulier.

    Nous ne verrions pas les êtres qui peuplaient La Haye pendant la guerre.

    Il est quatre heures de l’après-midi. Les promeneurs, nombreux, indisciplinés, encom- brent la chaussée, tandis que les cyclistes exécutent sur le trottoir, ainsi que sur les gens et les bêtes, des virages gracieux et soudains. Un gamin siffle Tipperary (3). Le tramway de Schéveningue verse, tout à coup, sur le Plein – la grand’place de la ville – un essaim de jeunes filles tout de blanc habillées. Les membres de la Société « de Witte » (4) sont installés autour de petites tables, en plein air, sur la place. Ils dégustent de savoureux Schiedams et nous admirons la coutume charmante qui leur permet d’interrompre la circulation dans la ville.

    Les gens vont et viennent, parmi les soldats bruyants. Des enfants qui jouent à la guerre, drapeaux en tête, tambours battants, sont prêts à s’entretuer, comme les grands.

    Les étrangers flânent, s’arrêtent aux librairies où flamboient les brochures de propagande – venant toutes d’Allemagne, ou presque – noyant sous leur masse les réquisitoires nets et sincères d’un Bédier (5) ou d’un Pierre Nothomb (6).

    Si M. Louis Coupérus négligeait de noter ses impressions, nous ne verrions pas non plus, le réfugié belge, bon enfant, expansif, mais plein, sous des semblants de gaîté, de la tristesse de son exil.

    CouperusCaric.pngQuand le crépuscule descend sur la ville et que le parfum des tilleuls du Lange Voorhout s’exaspère, le traducteur de la Tentation de saint Antoine (c’est toujours de M. Louis Coupérus qu’il s’agit) (7) aura-t-il voulu voir les couples enlacés qui vont dans les bois qu’emperle déjà la rosée, ou vers les dunes, baignées d’un clair de lune transparent, dire, dans ce hollandais un peu rauque, les seuls mots qui paraissent toujours nouveaux ?

    Il nous montrera peut-être le Vivier, gris et rose à l’aube, à midi, doré, et noyé le soir de pourpre et d’émeraude ; le Binnenhof, précis comme un joyau, mais non point tels qu’ils étaient avant la guerre, car les Pays-Bas, quoique neutres, ont senti passer le grand souffle de l’orage. L’écho des canonnades retentit, chaque jour, jusqu’ici, et cette contrée, si même elle ne fut pas héroïque, en 1915, fit son devoir tout entier : bonté dans l’accueil, hospitalité large et sûre.

     

    (1) Les grands romans haguenois de Louis Couperus étant Eline Vere (1889) et Van oude menschen, de dingen, die voorbij gaan... (1906, traduit par S. Roosenburg sous le titre Vielles gens et choses qui passent…, éd. Universitaires, 1973. On préférera la version anglaise d’Alexander Teixeira de Mattos : Old People and the Things that Pass).

    (2) De berg van licht (1905-1906, La Montagne de lumière), roman dans la veine de Salammbô qui brosse une fresque de la décadence romaine à l’époque d’Héliogabale.

    (3) It’s A Long Way to Tipperary, air de music-hall (1912) dont le refrain était sur de nombreuses lèvres pendant la première guerre mondiale.

    (4) Créée en 1802, la Societeit De Witte est toujours un lieu de rencontre pour les notables, ouvert aux femmes depuis 1998. Elle dispose d’une riche bibliothèque abritée dans des salles Art déco.

    JosephBédier.png(5) Le médiéviste Joseph Bédier (1864-1938), à qui l’on doit  d’excellentes éditions de Tristan et Yseult et de La Chanson de Roland, s’était mis au service de l’état-major français. Élu en 1920 à l'Académie française. (photo)

    (6) L’écrivain belge Pierre Nothomb (1887-1966) qui publie durant cette période Les Barbares en Belgique ou encore La Belgique martyre.

    (7) Sur la traduction-adaptation de la Tentation de saint Antoine de Gustave Flaubert par Louis Couperus, on lira : Bertrand Abraham, « La Tentation de saint Couperus », Deshima, n° 4, 2010.

      

     

     

    Vredespaleis1914.png

    Palais de la Paix, La Haye, inauguré en 1913 :

    À louer ou à vendre pour cause de faillite

     

     

    Louis Coupérus et la mode masculine

     

    À La Haye, un magasin d’habillements pour hommes a eu l’idée originale d’inviter quelques auteurs et dessinateurs hollandais à composer, au profit du « Comité royal et national de secours », un livre (1) qui traite de la grave question de la toilette masculine. Les différents collaborateurs se sont acquittés de leur tâche avec grâce et avec esprit.

    Piet van der Hem (2) sait camper un snob de Néerlande tout aussi bien qu’il drape un toréador. Jan Feith (3) fait d’ingénieuses comparaisons entre la toilette de notre père Adam et la sienne.

    CouperusBrieven.pngLouis Coupérus, qui a promené sa curiosité à travers tous les siècles, se plaît à faire l’apologie du costume moderne, et y réussit. « Il est possible, dit-il, que nos vêtements masculins soient absolument laids ; il faut reconnaître cependant qu’ils sont aussi d’une beauté relative. Et pourquoi ne nous sentirions-nous pas heureux de porter quelque chose de relativement beau ? Ferais-je un meilleur effet en ce monde et dans cette vie, si j’allais me parer d’une chlamyde ou d’un chiton classiques, ou d’un costume moyenâgeux, d’un brocart de l’époque renaissance, de ‘‘canons’’, de rubans, d’aiguillettes du temps de Louis XIV ? Mais non, cela ne serait pas en harmonie avec le demi-ton, la grisaille, de notre vie… Dans nos multiples existences de modernité fiévreuse il nous faut un costume collant, bien coupé, bien ajusté. Le costume moderne c’est l’armure dans la lutte pour la vie, il s’adapte merveilleusement à l’existence moderne, et c’est pourquoi il est devenu harmonieux et beau…

    Et ne dites pas que nous y perdons toute individualité. Le maire de village qui promène dans une redingote sa corpulence et sa bonhomie se distingue tout de suite du diplomate correct et impassible portant le même costume, et dans un restaurant chic, l’élégant maître d’hôtel garde au milieu des dîneurs, en habit comme lui, son élégante silhouette. » (4)

    Si ses merveilleux contes et ses beaux romans déjà ne nous l’avaient appris, cette « méditation sur la toilette masculine » nous prouverait une fois de plus que Monsieur Louis Coupérus a « des lumières sur tout ».

     

    (1) Le texte a paru dans Kleeding en de man (septembre 1915) à l’occasion de l’inauguration d’un nouveau bâtiment. Il est reproduit dans la volume 49 des Œuvres complètes de Louis Couperus : Ongebundeld werk, L.J. Veen, 1996, p. 153-156. Le 21 mars 1914, en guise de chronique hebdomadaire, l’écrivain avait publié dans Het Vaderland « Mannelijk toilet » – pages portant sur le même thème et dont on retrouve certaines tournures dans « Meditatie over het mannelijk toilet » – reproduit dans le volume 27 des Œuvres complètes : Van en over mijzelf en anderen, L.J.  Veen, 1989, p. 426-432).

    (2) Piet van der Hem (1885-1961), peintre et dessinateur (politique) né en Frise. Il fit ses études à Amsterdam avant de vivre à Montmartre (1907-1908). Représentant du luminisme, il devint un portraitiste reconnu.

    deoorloginprent1.png(3) Jan Feith (1874-1944), auteur prolixe, journaliste, dessinateur, caricaturiste et sportif néerlandais. Il a publié en 1915 De oorlog in prent (La Guerre illustrée). On lui doit entre autres un roman intitulé De reis om de wereld in veertig dagen of De zoon van Phileas Fogg (Voyage autour du monde en quarante jours ou Le fils de Phileas Fogg) publié en 1908, huit ans après qu’il eut rendu visite à Jules Verne.

    (4) L’auteur a traduit cinq fragments du texte original.

     

    CouperusSignature.png

    signature autographe de Louis Couperus, 1916

     

     

  • La Hollande amie

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    Estime et propagande :

    les relations franco-hollandaises

    durant la guerre 1914-1918

    à travers quelques témoignages

     

     

    La neutralité des Pays-Bas durant la Grande Guerre n’a pas laissé les Français indifférents. Une partie de la presse a critiqué l’attitude de ce pays, a pu l’accuser de fournir de l’aide à l’Allemagne et même d’avoir autorisé des troupes ennemies à passer sur son territoire. On s’en est également pris en France à la presse batave jugée bien trop proteutonne. Toutefois, la neutralité – ou plutôt le neutralisme – de la Hollande ne signifiait pas que ce pays ne se sentait aucunement menacé : « Les Pays-Bas, qui ne veulent pas aller à la guerre, voient chaque jour la guerre venir à eux », écrit Maurice Gandolphe dans son étude « Chez les Neutres. Enquête en Hollande » publié en septembre 1916 dans la Revue des Deux Mondes. Cet auteur tente d’exposer la complexité de la situation dans laquelle se trouve la Hollande prise comme dans un étau par les belligérants. Sans doute est-il difficile pour les Français et les Belges en guerre de comprendre l’attitude peu héroïque de leur voisin. Mais, ainsi que rétorquent certains Néerlandais, si leur pays a pu accueillir des dizaines de milliers de réfugiés fuyant la progression de l’armée prussienne, où pourraient ils eux-mêmes se réfugier si l’Allemagne venait à les envahir ? Qui plus est, pour les Pays-Bas, s’engager dans le conflit serait une sorte de suicide. Malgré la mobilisation de plusieurs centaines de milliers de jeunes hommes, la Hollande ne peut en effet cacher une réelle faiblesse militaire : devant les forces armées de l’Empire voisin, le petit royaume ne pèserait sans doute pas lourd.

     

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    Au sein du gouvernement français, il existe manifestement une volonté d’atténuer le mécontentement de l’opinion publique française tout en cherchant à s’assurer la sympathie des nations réformées septentrionales. Début 1917, le Comité protestant de propagande à l’étranger, en accord avec le ministère des Affaires étrangères français, désigne deux délégués pour rendre une « visite amicale » aux neutres protestants du Nord : Édouard Soulier (1870-1938), et l’universitaire Samuel Rocheblave (1854-1944). Les deux érudits séjournent en Hollande du 17 février au 4 avril 1917 puis en Norvège, en Suède et à Copenhague, pays où ils tiennent plusieurs dizaines de conférences sur des sujets à la fois culturels et patriotiques (« Le réalisme français », « La France d’après Michelet », « Jean Lahor »…) ; ils sont reçus par différentes personnalités dont les têtes couronnées (par exemple par la reine des Pays-Bas, Wilhelmine, puis par la reine mère Emma). Leur départ, leur séjour et leur retour en France plus de quatre mois plus tard sont suivis d’assez près par certains journaux. Il s’agissait pour la France de s’assurer la sympathie de ces pays que certains intérêts économiques, la religion, la culture, pouvaient rendre plus proches de l’Allemagne que de la France.

    Édouard Soulier, pasteur et homme politique français (il sera député pendant de longue années, spécialiste des questions extérieures), qui avait publié peu avant une étude intitulée « Propagande française dans les pays neutres protestants », a tiré de son séjour un petit livre sur la Hollande – La Hollande amie –, rédigé peu avant la fin des hostilités, dont l’objectif essentiel était de restaurer une image positive du petit pays septentrional auprès de l’opinion publique française : « L’examen, délicat et indispensable, des liens présents et des liens d’autrefois entre la France et ses amis, alliés ou neutres, il y a été procédé pour nos alliés, nos voisins, nos frères de race. Il n’avait pas encore été fait pour les Pays-Bas. Le voici, minutieux. »

    Son confrère a lui aussi donné un petit volume : Chez les neutres du Nord. Hollande et Scandinavie (Paris, Bloud et Gay, 1918 ; voir aussi la prépublication dans La Revue des Deux Mondes, 1er octobre 1917). À la différence de Soulier, il est plus précis sur le déroulement de leur séjour, sur les personnes qu’ils rencontrent (Gustave Cohen, Charles Boissevain, Walch, K.R. Gallas, P. Valkhoff, Salverda de Grave) ; il emploie un ton plus léger. Grand érudit qui découvre des artistes néerlandais, il se sent coupable de savoir si peu de choses sur les belles lettres et la musique néerlandaise : « Ne serait-il pas temps de “reconnaitre” par une juste réciprocité ce don gratuit de l’élite intellectuelle d’une noble nation ? Nous qui n’avons pas eu assez de trompettes pour célébrer les gloires artistiques ou littéraires de Scandinavie, de Russie ou d’Allemagne, avons-nous eu seulement une flûte pour moduler l’éloge de Johan de Meester, qui est pourtant de la lignée directe de nos Goncourt et de nos Maupassant ? (…) La Hollande musicale ne mérite pas moins d’être connue que la Hollande littéraire, certes ! et tant d’autres Hollandes de nous Français trop peu connues… ». Alors que le pasteur s’en tient à des considérations historiques, économiques et politico-sociales, le professeur d’université consacre quelques lignes ou paragraphes à la description des lieux visités, par exemple Amsterdam : « Après la Haye, capitale du monde officiel et de la Cour, me voici à Amsterdam, capitale de la vie hollandaise et de l’opinion. Journaux, affaires, mouvement intellectuel, tous les courants sont ici plus larges, plus forts ; c’est l’Amstel. Une ville toute en ponts, en quais, en canaux concentriques, d’un pittoresque achevé, que j’admirerais beaucoup si j’en avais le loisir et si, par un fâcheux inconvénient de la saison, les brumes plus collantes ici qu’ailleurs, et la malaria qui flotte en permanence sur cet écheveau de canaux stagnants, ne rendaient trop fébrile la première acclimatation. » Pour le reste, son récit présente un contenu assez similaire à La Hollande amie : on souligne l’accueil empressé qu’on a reçu, les sympathies qui existent dans le pays visité pour la cause des Alliés, l’hospitalité que les Pays-Bas donnent aux réfugiés de la Belgique et aux enfants évacués de la France du Nord ; enfin, on précise ce que la France devrait et devra faire pour développer ses relations avec les commerçants et industriels locaux. On prépare donc le terrain pour l’après-guerre, en particulier pour ce qui à trait au relèvement économique.

    Samuel Rocheblave met d’entrée dans la bouche de l’un de ses interlocuteurs bataves des paroles faites pour éliminer tout doute sur l’attitude des Hollandais : « On nous connaît mal chez vous. On y est enclin au soupçon envers le vrai sentiment de la Hollande. Un article injuste, une critique imméritée nous a plus nui dans votre esprit que ne nous ont servis une conduite loyale et un attachement obstiné à des principes qui sont les vôtres. Il y a eu méprise sur notre compte. Et c’est votre faute. Pourquoi ne venez-vous jamais chez nous ? Vous ne nous méconnaitriez pas, si vous vouliez vous donner la peine de nous connaitre. Mais vous vous êtes peu à peu retirés de nous. Vous vous êtes désintéressés de la petite Hollande, quitte à accueillir avec un peu trop de légèreté le moindre bruit défavorable. Ne tenez-vous aucun compte de notre situation, de nos difficultés ? Pourquoi n’avez-vous pas une presse plus juste, mieux informée, celle que vous mériteriez d’avoir ? Pourtant, malgré la méconnaissance dont nous sommes l’objet, nos sentiments sont pour la France. Vous vous en serez bientôt convaincus. » 

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    article de presse rendant compte de l'arrivée des deux Français en Hollande

     

    Selon Édouard Soulier, tout au plus 20% (et peut-être même seulement 8%) des Hollandais ont pu montrer des sympathies germaniques, la grande majorité de la population est pour sa part toujours restée francophile, liée à la culture française. Comme le précise une recension de La Hollande amie : « De par son histoire même, qui a été pendant plusieurs siècles une lutte pour la liberté religieuse et politique, le peuple hollandais ne pouvait être, devant la guerre de 1914, qu’un convaincu d’avance de la justice de la cause des Alliés. Comment il l’a prouvé par sa générosité inlassable vis-à-vis des réfugiés belges, français, par la fondation d’hôpitaux pour les blessés en France et dans les Balkans, par le nombre de ses fils qui se sont enrôlés au service de la France, par les diverses manifestations de l’opinion publique au cours de ces dernières années, M. Soulier le détaille en une série de chapitres fort bien documentés, qu’on lit avec un intérêt soutenu. Il termine en adjurant ses compatriotes de mettre à profit cette sympathie hollandaise, sincère et profonde, pour l’établissement de relations plus intimes commerciales. » Ces phrases résument plus ou moins le contenu de l’ouvrage dont la structure laisse toutefois un peu à désirer (voir ci-dessous la table des matière). La seule note critique à l’égard de la Hollande porte en réalité sur la presse : « Les journaux, en nombre, et des grands, ont ou bien présenté et soutenu la thèse allemande, inattentifs à son immoralité, insensibles aux crimes qu’elle engendrait logiquement, – ou bien, comme cela s’est vu ailleurs en d’autres temps, ont eu deux équipes de rédacteurs, qui, dans des articles qui se balançaient savamment, donnaient satisfaction tantôt à l’Entente, tantôt aux Centraux, – ou bien se sont abstenus de tout jugement, dans un silence qu’ils voulaient neutre et digne et qui n’était que renfrogné, inintelligent et antipathique » (1). Pour le reste, le pasteur évoque au fil des pages les nombreux organismes et organes qui ont joué un rôle dans l’aide apportée par les Pays-Bas – même fortement touchés par la récession économique – à la France en guerre (Comité France-Hollande ; Comité Hollande-France – lequel organisa aux Pays-Bas une exposition d’art moderne français itinérante en 1916 – ; Comité Néerlandais d’Assistance en faveur des Enfants français des Régions envahies hospitalisés en Hollande ; Union des Colonies étrangères de France en faveur des Victimes de la Guerre ; Comité du Commerce franco-hollandais ; Œuvre du soldat aveugle, à Amsterdam ; le Nederlandsche Overzee Trust ou N.O.T. ; La Gazette de Hollande ; L’Écho belge, établi en Hollande; Les Nouvelles, à Maastricht ; Le Foyer wallon ; le mensuel France-Hollande, La Revue de Hollande…) ; il souligne le rôle joué par des bienfaiteurs, des médecins, des infirmières, par les Hollandais qui se sont engagés dans la Légion étrangère pour soutenir la France (« 1.400 Hollandais se sont engagés dans les rangs de l’armée française ; 300 survivants »), étaye parfois son propos sur des statistiques… À de nombreuses reprises, il revient sur les liens historiques et culturels entre les deux pays : à le lire, on a l’impression qu’il n’a pratiquement jamais été question, entre l’un et l’autre, que d’une lune de miel agrémentée de temps en temps d’une petite « bourrade ». Les deux peuples ne sont-ils pas historiquement frères ? « Ces deux actions interminables [la guerre de Quatre-vingts ans et la guerre de Cent ans] rendent le peuple hollandais et le peuple français historiquement frères, car ces guerres sont des guerres pareilles dans leur motif et leur inspiration, par leur puissance irréductible, leur longue patience et la vertu spirituelle, surnaturelle pourrait-on dire, qui les anime. » Pour le républicain Soulier, Louis XIV fait bien pâle figure par rapport au stadhouder Guillaume III qui, par ses conceptions pacifiques et démocratiques « devançait son temps ». Plus près de nous, « les Hollandais ont accueilli la Révolution française avec enthousiasme ; au fond, ils aiment les armées de Pichegru de les avoir, en janvier 1795, délivrés des étrangers et précipités dans la liberté par une bourrade » (2). Ils sont restés attachés à « notre XVIIIe siècle », sans compter que « la Hollande a le culte de Napoléon » (3) et que la reine Wilhelmine a des origines qui la lient doublement à la France (Orange et l’amiral Gaspard de Coligny). Et puis ne vient-on pas de chanter de façon spontanée La Marseillaise à la Bourse d’Amsterdam ?

    Alphons Diepenbrock

    diepenbrockphoto.pngParmi les « personnalités intéressantes ou supérieures » imprégnées de ce passé, et qui abondent dans ce « pays qui nage sur les eau » (l’expression est inspirée du Télémaque de Fénelon), Édouard Soulier relève à son tour « le romancier et critique littéraire Johan de Meester (4), qui est pour le roman hollandais ce qu’ont été les peintres de genre du XVIIe siècle dans l’art ; naturaliste et coloriste comme eux, il voit précis, il regarde partout et dit vrai ». Comme beaucoup de voyageurs français qui ne connaissent guère la littérature hollandaise, le pasteur ne peut s’empêcher de rapprocher l’écrivain dont il parle de la peinture du plat pays. Il nomme aussi Fredrik van Eeden, « poète et romancier, dont l’œuvre a rayonné bien au-delà des frontières de son pays » (5), ou encore Philippe Zilcken, « peintre, graveur, historien de l’art qui a beaucoup travaillé à Paris » (6) ainsi qu’Alphons Diepenbrock, « le plus grand compositeur de musique hollandais actuellement vivant, qui s’est inspiré notamment de poèmes de Baudelaire ; il a mis en musique de nos poésies de guerre et a chanté, ainsi, nos armées et leur gloire » (7). À propos de la guerre de libération menée contre l’Espagne, le poète Onno Zwier van Haren (1713-1779) est mentionné comme auteur du poème national Les Gueux (8). Le guerre des Gueux « a inspiré à Victorien Sardou sa pièce, si souvent représentée à Paris depuis la guerre, sous ses deux formes de drame et d’opéra : Patrie ».

    Dans le chapitre 7, avant de consacrer quelques pages à l’importance de l’enseignement du français aux Pays-Bas, Édouard Soulier propose un petit cours de linguistique. Son tact semble l’empêcher de recourir au terme Alboche (ou Boche) pour traduire mof : « Couramment, dès longtemps, presque : dès toujours, s’il est un toujours dans les choses humaines, et dans les milieux les plus divers, le milieu universitaire, le milieu politique, le milieu financier, tout comme le milieu populaire, l’Allemand est désigné par le nom de mof. Ce terme qui rappelle l’anglais muff a un sens propre et un sens figuré. Il signifie fourrure [en réalité : manchon] et il est un terme de mépris. Nous pourrions, dans cette acception, le traduire par quelque chose comme vile canaille. Il est tellement établi que le mof c’est l’Allemand, que le Deutschland est même devenu la Mofrika. »

    La Hollande amie à peine terminé (en juillet 1918), E. Soulier reprit le chemin des pays scandinaves, cette fois en compagnie de l’officier alsacien Alfred Dolfus, pour une nouvelle mission « purement amicale » et littéraire (alors que son livre était en librairie, le pasteur perdait son fils Albert, des suites d’une maladie contractée au front). Le travail était en réalité loin d’être terminé ; il se prolongea même quelques années après l’armistice. Les sceptiques ne semblèrent pas convaincus par la vision strabique avancée dans La Hollande amie et des publications similaires. Des voix continuèrent de s’élever « pour critiquer l’attitude des Pays-Bas durant le premier conflit mondial. Leur point de mire : la neutralité néerlandaise qui n’aurait été qu’une façade destinée à masquer des appétits mercantiles et une germanophilie notoire. Et ces détracteurs d’argumenter. Pourquoi avait-on laissé les troupes allemandes, à présent désarmées, traverser tranquillement le Limbourg pour retourner chez elles ? Que dire ensuite de l’asile accordé à l’empereur Guillaume II, hébergé, désormais, au château d’Amerongen près d’Amersfoot. En outre, les établissements bancaires à vocation internationale n’avaient-ils pas prospéré pendant les combats ? L’exploitation des colonies n'avait-elle pas battu son plein ? Devant l'insistance et la véhémence de ces protestations, des milieux autorisés éprouvèrent le besoin de publier une brochure, intitulée Opinions erronées sur les Pays-Bas (1914-1918), qui s’efforçait de reprendre, parfois, il est vrai, de manière évasive, les reproches adressés à leur patrie » (9). Le malaise et les malentendus en question s’expliquent en partie, comme le relevait une autre recension du livre du pasteur Soulier, par « la situation délicate de la Hollande en face d’une Allemagne dont ses besoins la rendaient étroitement tributaire ». Les assez nombreuses publications portant sur la neutralité des Pays-Bas publiées en français, tant en France et en Belgique qu’en Hollande même, entre 1915 et 1925, montre à quel point le sujet était épineux.

    D. Cunin

     

    Louis Raemaekers, Dessins d'un Neutre

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    « Les Hollandais aiment à dire que pour eux la République a été un gouvernement aristocratique et que c’est la dynastie orangiste qui est le gouvernement démocratique. » (La Hollande amie, p. 47, d’après Ernest Lavisse)

    « Tout peuple est, pourrions-nous dire, solidaire de lui-même et tenu par son passé. Plus ce passé est long et fécond, plus il décide de possibilités et d’impossibilités. C’est “les morts qui parlent”, disait Melchior de Vogüé, chez ceux qui agissent aujourd’hui ; et ce que sont les Pays-Bas d’aujourd'hui est indiqué déjà à ceux qui savent qui ils ont été et ce qu’ils ont fait. Les Pays-Bas sont, solidement, un état démocratique : gueux obligent ; ils sont, à fond, les ennemis d’une hégémonie en Europe : Orange oblige ; ils agissent de leurs vœux et de leurs actions multiples pour l’indépendance et la liberté à disposer d’elle-même de chaque nationalité : histoire oblige. » (La Hollande amie, p. 50)

     

    (1) Le journaliste et publiciste Alexandre Cohen dont il est question sur plusieurs pages de ce blog a bien souvent fulminé contre la presse proteutonne de son pays d’origine. Cohen était le correspondant français du plus grand quotidien néerlandais de l’époque, De Telegraaf, journal pour lequel travaillait aussi l’illustrateur Louis Raemaekers. La Hollande amie, qui n’est pas une très belle édition – guerre oblige – présente toutefois en frontispice un dessin de ce dernier ; par ailleurs, Édouard Soulier lui consacre quelques lignes dans le chapitre VII : « Un dessin de Raemaekers, inconnu en France ». Cet artiste n’était, lui, pas inconnu : le gouvernement français venait de le décorer, il publiait dans Le Journal ; le 12 juin 1915, L’Illustration lui consacra un article tout en publiant une dizaine de ses dessins.

    Un article du Temps du 16 juin 1915, signé par le conservateur du Musée Grévin, s’enthousiasme à propos des dessins de cet artiste néerlandais publiés sous forme d’un recueil de cartes postales intitulé Dessins d’un Neutre. Ces carnets étaient vendus au profit des blessés de France et des orphelins de guerre. Le souci de montrer que la neutralité hollandaise n’était pas forcément synonyme de ralliement aux thèses allemandes était déjà présent moins d’un an après le début des hostilités.

    (2) Pour une plus juste perception des choses, voir au sujet de la place de la Révolution française en Hollande l’ouvrage récent d’Annie Jourdan, La Révolution batave. Entre la France et l’Amérique (1795-1806), Presses Universitaires de Rennes, 2008. Ou encore le numéro des Annales historiques de la Révolution française consacré à La Révolution batave. Péripéties d’une République-Sœur (1795-1813), n° 326,oct-déc. 2001.

    (3) On ne peut dénier un culte napoléonien chez un certain nombre de Néerlandais, et parmi eux nombre d’écrivains contemporains de l’Empereur mais aussi bien au-delà de sa mort.

    JohanDeMeester.gif(4) Johan de Meester (1860-1931) était journaliste. Il a été correspondant à Paris d’un grand journal hollandais de 1886 à 1891 ; de cette période, il a tiré un recueil d’esquisses sur la capitale française et ses habitants, Parijsche schimmen (Ombres parisiennes, 1892). Il a ensuite joué un rôle important dans la presse de son pays en accordant une grande attention aux mouvances artistiques ; comme critique, il a ainsi pris la défense des membres du Mouvement littéraire de 1880, qu’il avait côtoyés dans ses jeunes années. D’abord influencé par le naturalisme (il a écrit une courte étude intitulée L’Amour d’autrui dans les œuvres de Zola), De Meester a ensuite opté dans ses romans pour une vision plus stoïcienne de l’existence. Sa nouvelle Petite Reine, sur une gourgandine française qui fait chavirer bien des cœurs à Rotterdam, doit certainement beaucoup à Maupassant. Reconnu et fêté de son vivant (il était entre autres Chevalier de la Légion d’honneur, officier de l’Instruction Publique, chevalier de l’ordre du Cambodge), il est aujourd’hui tombé dans un certain oubli. Dans l’étude mentionnée plus haut, Maurice Gandolphe rapporte ces propos du romancier, « l’un des plus fins critiques de l’esprit européen » : « Nous sommes un très petit pays qui a de très grandes affaires : toutes nos difficultés viennent de cette disproportion. Dans la jungle des Puissances, nous nous démenons comme un pauvre écureuil qui balance sa grande queue pour rattraper la chute de son tout petit corps ; la queue de la Hollande, c’est sa marine, son commerce, ses colonies. Nous cherchons notre aplomb en remuant tout cela autour de notre étroite vie continentale : il faut beaucoup de souplesse, et c’est bien fatigant... »(photo DBNL)

    (5) Frederik van Eeden (1860-1932). Cofondateur de la revue De nieuwe Gids, l’organe du Mouvement de 1880, auteur prolifique, penseur influent, père de la significa, il demeure un classique des lettres néerlandaises. Il a été lié avec Romain Rolland. On peut lire en français le roman De kleine Johannes (Le Petit Johannes, dont il existe plusieurs traductions et éditions en France et en Belgique), Eucharistie. La parole de la réconciliation. Chant en style hébreux, œuvre qui témoigne de la conversion de l’auteur au catholicisme, et quelques extraits de son célèbre Journal. Si l’écrivain est mentionné par le pasteur Soulier, c’est sans doute du fait de la célébrité dont il jouissait alors dans son pays et au-delà et parce qu’il appartenait aux personnes constituant le noyau dur des Comités Hollande-France, au même titre d’ailleurs que d’autres grands noms des milieux artistiques bataves : A. Diepenbrock, Johan de Meester, Jan Toorop, l’incontournable Byvank, Ph. Zilcken, ou encore le romancier Henri Borel (dont l’un des livres, Wu-Wei, traduit en français en 1912, est toujours réédité de nos jours alors que L’Esprit de la Chine a paru pour la première dans notre langue en 2007).

    (6) Philippe Zilcken (1857-1930), peintre, lithographe, graveur et homme de lettres qui a beaucoup écrit sur des artistes et des écrivains français. C’est lui qui a invité Verlaine à venir faire des conférences en Hollande et qui a édité les lettres que lui a adressées le poète à ce sujet. Il a laissé des œuvres rédigées en français : Peintres hollandais modernes (1893) ; Impressions d’Algérie (1910) ; Enquête sur l’art en Hollande (1912) ; Le Musée Mesdag à La Haye (1913) ; Au jardin du passé, un demi-siècle d’art et de littérature (1930) ou encore des « Impressions sur Nice » et un texte sur la Provence narrant entre autres la visite qu’il rendit à Frédéric Mistral… Édouard Soulier rapporte les propos de ce grand francophile (p. 107) : « Le contact avec Paris, avec la France tout entière, pour ceux qui en connaissent plus que quelques boulevards, rend meilleur, est rassérénant, élève l’esprit par les nombreux éléments de beauté qui s’y manifestent sans cesse, par la bienveillance, l’aménité, le charme de la population, résultats d’une civilisation millénaire et innée, d’un raffinement dont les sources sont grecques et latines, et dont nous ne pourrons jamais nous passer, sous peine de dégénérer. »

    (7) Le francophile Alphons Diepenbrock (1862-1921) est en effet l’un des plus grands compositeurs (autodidacte) néerlandais. Il a joué un rôle important dans le renouveau intellectuel catholique aux Pays-Bas, les catholiques étant restés jusqu’en 1853 des citoyens de deuxième catégorie. Diepenbrock a par ailleurs laissé une œuvre d’essayiste (« Rémy de Gourmont : Le latin mystique » ; « Enquête sur l’influence de l’esprit français en Hollande » ; « Boieldieu, Fauré, Debussy »…). Le pasteur Soulier le cite p. 106 : « Les Alliés représentent dans l’Europe non seulement la pensée, mais encore la liberté et le droit. Si j’avais à souhaiter quelque chose, ce serait d’abord l’influence purifiante de la musique française, laquelle, quoique parfois un peu mièvre, manque absolument de l’hypocrisie et de la brutalité allemande, – art vraiment latin, qui veut conquérir lui aussi, mais par “la grâce et le sourire” et non pas par la force brutale, c’est-à-dire par l’esprit et non par la matière... Enfin, je souhaiterais une orientation vers la France par l’enseignement universitaire, tout à fait imprégné depuis 1870 par le matérialisme germanique, qui substitue aux idées et à l’intention une stupide méthode soi-disant scientifique où la mémoire et le mécanisme remplacent la pensée et le goût. » Quant à Samuel Rocheblave, il écrit : « Dirai-je ma confusion d’avoir eu à “découvrir”, à Amsterdam, l’admirable compositeur, et combien passionné de la France et de sa musique, qu’est M. Diepenbrock ? Faut-il ajouter que ce grand artiste, concentré, tendre et savant comme un César Franck néerlandais, a mis en musique des poésies de guerre de nos soldats [Le Vin de la Revanche ; Les Poilus de l’Argonne ; Debout, les Belges…], et que c’est en France seulement que cette musique antiallemande en tout sens est inconnue ? »

    PortraitOZHaren.gif(8) Onno Zwier van Haren (1713-1779). Noble frison, il vit sa brillante carrière politique brisée après avoir été accusé d’inceste, une affaire qui mit en branle toutes les plumes des Provinces-Unies. Condamné à passer le restant de ses jours retiré en Frise, il consacra les vingt dernières années de sa vie à l’écriture, commençant une œuvre qui devait compter des pièces de théâtre comme la tragédie Agon, sultan de Bantam (1769, traduite en français) sur les Indes néerlandaise. Son œuvre majeure reste le cycle de 24 chants historico-patriotiques De Geusen (Les Gueux, 1776). On peut aussi lire en traduction française ses Recherches historiques sur l’état de la religion chrétienne au Japon relativement à la nation hollandoise (1778). (photo DBNL)

    (9) Frank Tison, « Une neutralité bienveillante : les Pays-Bas au chevet des enfants du nord de la France (1916-1919) », Guerres mondiales et conflits contemporains, 2004/4, n° 216, p. 31.

     

     

    TABLE DES  MATIÈRES

    de La Hollande amie

     

     

    CHAPITRE PREMIER

    Amitiés de guerre. - Les Pays-Bas. - La colonie hollandaise de Paris. - Deux hôpitaux hollandais pour nos blessés. - Un trait de caractère. - La civilisation latine. - France-Hollande. - Français fils de Hollandais. - Morts pour la France.

    CHAPITRE II

    La Hollande et les Hollandais. - Traditions et relations hollandaises. - Les langues d'Ya. - Civilis et Rembrandt. - Un Finistère. - Le pays qui nage sur les eaux. - Peuple maritime. Les Hollandais et Napoléon ler. - Le Code civil et la liberté. La capitale de la paix. - Grandes figures contemporaines.

    CHAPITRE III

    La maison d’Orange. - Guillaume le Taciturne. - La guerre de Quatre-vingts ans. - La constitution et la libération de la République des Provinces-Unies. - Les alliances avec la France. - Le danger de l’hégémonie en Europe et dans le monde. Guillaume III. - Les Provinces-Unies et l’hégémonie. - Les Provinces-Unies et l’indépendance des nationalités. – L’expérience de ce qu’est une paix branlante. - La reine Wilhelmine ; son double lien avec la France.

    CHAPITRE IV

    Les Pays-Bas et la guerre défensive et décisive contre le militarisme. - Des faux bruits - Il est des Hollandais auxquels la guerre a fait gagner de l’argent. - Les Allemands s’entendent à compromettre les gens. - Les restrictions. - Les inondations.

    CHAPITRE V

    La commisération profonde. - Un discours du trône. - Un dessin de Raemaekers, inconnu en France. - Toujours la terre d’asile. - Pour les Belges. - Pour les petits Français.

    CHAPITRE VI

    Pour ceux de loin. - Les Balkaniques. - Les prisonniers belges. - Mutilés, aveugles et orphelins. - Les prisonniers français. - Les territoires libérés. - Des infirmières.

    CHAPITRE VII

    L’opinion hollandaise. - Ses manifestations anciennes. Mof et Mofrika. - Ses manifestations actuelles. - Les artistes français du XIXe siècle. - La langue française aux Pays-Bas. Ce que disent de la France les penseurs de Hollande. - Les traits de ses humoristes. - Monsieur Tout-le-Monde. - Le sentiment des Français sur l’amitié hollandaise.

    CHAPITRE VIII

    Sur le terrain pratique. - Temps de guerre. - Le N.O.T. - Temps de paix. – L’Office Français des Pays-Bas.