Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Fables du paysage flamand

    Pin it!



    EXPOSITION

     


    FablePaysage1.png

     

    Cette exposition au Palais des Beaux-arts de Lille révèle le caractère fantastique et merveilleux des paysages flamands du XVIe  siècle qui suscitent aujourd’hui encore fascination, effroi ou questionnement. Dans ces images où se mêlent la foi chrétienne et les superstitions populaires, où se rencontrent le Beau et le bizarre, le merveilleux et le monstrueux, la nature s’écrit dans un langage symbolique dont nous ne détenons plus tous les codes. Pourtant, la puissance de ces images perdure dans le monde moderne et n’a jamais cessé de produire du sens.


    Guy Boyer reçoit Alain Tapié, commissaire de l'exposition


    historiquement show

    Chaîne Histoire, présenté par Michel Field

     

    Alain Tapié - Commissaire de l’exposition « Fables du paysage flamand ». 
Au Palais des Beaux-Arts de Lille jusqu'au 14 janvier.

    Michel Weemans -
 Commissaire associé de l’exposition « Fables du paysage flamand ». 
Historien de l’art, professeur à l’École nationale supérieure d’Art de Bourges.

    Christian Heck - L’Art flamand et hollandais. Le siècle des Primitifs 1380-1520, Paris, Citadelles & Mazenod, 2003 - Professeur d’histoire de l’art à l’Université de Lille III.

      


    FablesPaysage.jpg
    À l’aube du courant maniériste, le paysage s’impose comme le véritable sujet de la peinture, devant la figure ou le récit biblique, relégués au second plan par la volonté de montrer l’invisible, de produire une impression d’infini. Les artistes flamands inventent une nouvelle manière de peindre, attachante et inventive, aux frontières du réel et de l’imaginaire. La nature devient le lieu de tous les mythes, de toutes les fables, les arbres et les rochers sont anthropomorphes, les créatures les plus étranges côtoient les hommes absorbés par leurs occupations quotidiennes. Dans ces mondes hybrides se dessine pour le spectateur un chemin de vie ; le paysage flamand est le support d’une expérience du monde qui pousse le spectateur à s’engager dans une réflexion, il devient le lieu de passage entre la réalité sensible et le monde spirituel.

    Dans ces images où se mêlent la foi chrétienne et les superstitions populaires, où se rencontrent le Beau et le bizarre, le merveilleux et le monstrueux, la nature s’écrit dans un langage symbolique dont nous ne détenons plus tous les codes, et nous emmène dans un monde qui nous dépasse, cosmique, légendaire et infini. Conçus comme de grandes compositions, les tableaux de l’exposition « Les fables du paysage flamand au XVIe siècle » reproduisent à l’échelle du microcosme l’incessant travail des forces du monde ; en cela l’activité de peintre participe au processus de la création.

    La puissance de ces images, signées par des maîtres reconnus tels que Bosch, Brueghel, Met de Bles, Bril ou Patinir, mais aussi par des artistes moins connus, mais néanmoins brillants comme Jan Mandijn, ou Kerstiaen de Keuninck, perdure dans le monde moderne, et n’a jamais cessé de produire du sens. (source)

     

     

     

    Fablespaysage2.png



     

  • Un poème, un livre – Benno Barnard

    Pin it!

     

     

    LANGUE MATERNELLE

     

     

    BennoNaufragé.png

    Benno Barnard, Le Naufragé,

    traduit du néerlandais par Marnix Vincent,

    Bordeaux, Le Castor astral, 2003

    (couverture : dessin de Philippe Roux).

     

     

    De langue néerlandaise, originaire des Pays-Bas mais vivant en Belgique, Benno Barnard a appris l'hébreu avec son père, parle anglais avec son épouse américaine et s’exprime couramment en français. Ce contexte culturel et historique paradoxal confère à son œuvre une tension particulière. Remarquables par leur musicalité et leur impressionnante virtuosité technique, ses poèmes, souvent longs et réunis en cycles, posent essen- tiellement la question de l’identité de l’Européen après la Seconde Guerre mondiale. Écrit à Anvers, « Langue maternelle » est à la fois un hommage à la mère disparue et à la langue maternelle.

     

     

    MOEDERTAAL

    In memoriam Christina Van Malde (1919-1995)

     

     

    U hebt het witte gezicht van de melk

    die ik dronk in het huis aan de Amstel

    waar ik geboren ben. (Zeker paste Parijs u

    nog in de lente, maar de zomer barstte uit

    uw deux-pièces, het werd november; en nu

    vulden regen en schemering de ruit:

    een negentiende eeuw legde haar blanke hand

    op mijn leven.) Mama, ik weet het wel,

    ik was een boze bloem met een roze kelk

    en ik ben niet veranderd. Ik ben iemand, niemand,

    Nederland.

    En nog altijd zuigt mijn grote mond

    op de consonant die ik zo lekker vond,

    nog altijd is mijn oudste klinker een en al verbazing

    over mijn gulzigheid en mijn verzadiging.

    Ik zal mijn hele leven melk hebben gegeten.

     

    U herinnert mij aan dingen die ik nooit geweten heb.

    U maakt rijmpjes, zoals vroeger, en vangt mij in het web

    van Sebastiaan.

    Vandaag was u weer mijn gouvernante met het knotje:

    vandaag hebben we redelijkheid, zedelijkheid,

    de vlucht der vogels en een beetje God gedaan.

     

    Pas hier in Antwerpen ben ik van u gaan houden

    als een verloofde met blauw geslagen ogen

    en het hart van een leeuwin. Vaak zit u aan de bar

    te babbelen, maar zijn uw naakte benen in elkaar

    verstrengeld

    om het kleine roofdier te beschermen… Ik slik

    uw diftongen als ouwels en noem u Lieve,

    want iemand moet u zonder ironie zo noemen;

    ik neem u

    mee naar huis en hoor in mijn slaap uw onzekere hakken

    op de glanzende honingraat van de kasseien.

     

    U bent Katinka genoemd door mijn latere vader.

    U bent mijn moeder die niet naar mij luistert,

    maar praat dat het gedrukt staat op mijn muren.

    O dode moeder,

    morgen is er weer een nacht waarin ik opschrijf:

     

    ik ben niet alleen van mijzelf.

     


    podcast

     

     

    LANGUE MATERNELLE

    In memoriam Christina Van Malde (1919-1995)

     

     

    Vous avez le blanc visage du lait

    que j’ai bu dans la maison de l’Amstel

    où je suis né. (Oui, Paris vous allait encore

    au printemps, mais l’été débordait

    de votre deux-pièces, et ce fut novembre ;

    et la pluie et le crépuscule remplirent

    la vitre : un XIXe siècle posa sa pâle

    main sur ma vie.) Maman, je sais bien,

    j’étais une fleur rebelle au calice rose

    et je n’ai pas changé. Je suis quelqu’un, personne,

    homme du Bas-Pays.

    Grande gueule, toujours et encore je suce

    la consonne que je trouvais si délicieuse,

    toujours et encore ma plus ancienne voyelle s’émerveille

    de ma voracité, de ma satiété.

    Toute ma vie j’aurai mangé du lait.

     

    Vous me rappelez des choses que je n’ai jamais sues.

    Vous faites des vers, comme jadis, et m’attirez

    dans la toile de la chanson.

    Aujourd’hui vous étiez à nouveau ma gouvernante

    avec son chignon : aujourd’hui nous avons fait

    la rationalité, la moralité, le vol des oiseaux et Dieu, un peu.

     

    Je n’ai commencé à vous aimer qu’ici à Anvers

    comme une fiancée aux yeux meurtris, bleuis,

    et au cœur de lionne. Souvent, au bar,

    vous bavardez, mais vos jambes nues sont

    entrelacées

    afin de protéger le petit fauve… J’avale

    vos diphtongues comme des hosties et vous appelle Chérie,

    car quelqu’un doit vous appeler ainsi sans ironie ;

    je vous emmène

    à la maison et dans mon sommeil j’entends

    vos talons incertains sur les losanges luisants des pavés.

     

    Katinka, c’est le nom que vous donna mon nouveau père.

    Vous êtes ma mère qui ne m’écoutez pas

    mais qui parlez à en imprimer mes murs.

    Ô mère morte,

    demain viendra une autre nuit où je noterai :

     

    je n’appartiens pas qu’à moi.

     

    trad. M. Vincent 

     

     

    BennoSiècle.png« Ici, plus d’émotions restreintes jouées sur une portée parcimonieuse, mais une respiration plus large, une interrogation métaphysique plus audacieuse à travers un vers librement rythmé, gorgé d'assonances, cellule en expansion de poèmes plus longs (et parfois de cycles de poèmes...) où se mêlent des séquences narratives ainsi qu’une méditation en saccades qui ne reculera ni devant l’émotion forte, ni devant l’image chargée sinon ‘‘choquante’’. Surgissent ainsi, au cœur des poèmes du Naufragé, des personnages et des lieux précis, très belges à vrai dire : des poètes se rencontrent à Watou (en Flandre-Occidentale), un amour déchirant est vécu à Bruxelles, on capte conversations et gestes à Anvers. Tout y est contemporain mais habité d’une nostalgie, d’une mémoire – heureuse ou torturante – qui travaille ou bouleverse les protagonistes. À l’évidence, les grandes références du poète Benno Barnard sont anglo-saxonnes, Rimbaud et Apollinaire dussent-ils émettre, çà et là, benno barnard,poésie,traduction,jacques darras,belgique,pays-bas,marnix vincentquelques signes. On songe moins aux Cantos d’Ezra Pound qu’à une suite poétique qui campe la vie de toute une ville tel le Paterson de W.C. Williams (la ville dont l’atmosphère imprègne la plupart des poèmes-séquences du Naufragé s’appelle An- vers...) ou aux longues compositions élégiaques, avec reprises fuguées, de T.S. Eliot (Mercredi des cendres) ou de W.B. Yeats (La Tour).

     

    BennoBelgie.jpg« Le Naufragé, solide cycle de sept poèmes dramatiques et incantatoires qui donne son titre à l’ensemble du livre, met en scène les rencontres, les errances et les propos alternés d’un ‘‘je’’ englué dans une passion malheureuse et d’un marin originaire des Îles Canaries, échoué à Anvers, et appelé Garcia. À l’origine, ce long poème fut écrit en marge de tableaux du peintre Jan Vanriet qui se référaient à l’Évangile de saint Jean. De fait, les allusions à cet évangile du Verbe abondent dans le poème : le Jourdain y devient l’Escaut et Garcia se profile à la fois comme un Christ et comme un nouvel Ulysse errant dans une ville tout à la fois juive, chrétienne et païenne… Dans ce tourbillon, le lecteur se met peu à peu à habiter et à vivre les émotions et les rêveries des ‘‘personnages’’. C’est avec le ‘‘je’’ du poème qu'il s’adressera à Garcia et qu’il l’écoutera ; c’est avec le même ‘‘je’’ que le lecteur, après la mort du Christ-Ulysse, parlera directement à la femme aimée et bafouée, présente en filigrane dès le début du cycle. De cette BennoAntho.pngmanière, le ‘‘naufragé’’ du titre concerne au bout du compte tous les acteurs impliqués dans l’écriture (et dans la lecture) de ce long cycle de poèmes composé avec doigté et sur un ton vibrant qui ne faiblit pas… » (Frans De Haes, « Benno Barnard, une voie singulière », Septentrion, 2003, n° 2, p. 81).

     

     

     

    Les couvertures

     

    Benno Barnard, Fragments d’un siècle. Une autobiographie généalogique, traduit du néerlandais par Monique Nagielkopf, Bordeaux, Le Castor Astral, 2005. 

    Benno Barnard, La Créature : monologue (théâtre), traduit du néerlandais par Marnix Vincent, Bordeaux, Le Castor astral, 2007.

    Jacques Darras, Geef mij maar België ! Moi, j’aime la Belgique !, préface de Geert van Istendael, traduction de Benno Barnard, Louvain, P., 2012 (édition bilingue).

    Ceci n’est pas une poésie. Een Belgisch-Franstalige ANTHOLOGIE belge francophone, Amsterdam/ Antwerpen, Atlas, 2005 (Benno Barnard a collaboré à la traduction de cette anthologie qui couvre 150 ans de poésie belge francophone).

     

     

  • Valery Larbaud sur la traduction

    Pin it!

     

    Notes pour servir à ma biographie

     

    LarbaudNotes0.png

     

    « Quel merveilleux petit livre intime et battant cela fait, mon cher Masereel. S’il me fallait filer demain dans une île déserte, je sens que je le mettrais dans ma poche de préférence à tout autre. » Tels sont les mots qu’adresse le 26 novembre 1919 (1) Léon Bazalgette (1873-1928), éditeur et principal introducteur de l’œuvre de Walt Whitman en France, à son ami l’artiste Frans Masereel (1889-1972) à propos de Calamus, cycle de poèmes de l’auteur américain, extrait du recueil Leaves of Grass, traduit par le Français et rehaussé de 10 bois hors-texte dessinés et gravés par le Flamand (Genève, Éditions du Sablier, 1919).

    valery larbaud,claire paulhan,traduction,léon bazalgetteC’est, pour ainsi dire, un tout aussi merveilleux petit livre que les Notes pour servir à ma biographie (an UNeventful one) (2) de Valery Larbaud, Larbaud dont les premières considérations publiées sur la traduction portaient justement sur Feuilles d'herbes dans l’édition que venait d’en donner Bazalgette en 1909, avant donc l’article « De la traduction » (3).

    Écoutons l’éditrice Claire Paulhan nous présenter ce texte inédit écrit en 1928 par le père de  Barnabooth, ce « Larbaud agrandi, mythifié, supraterrestre, délivré des misères de la trivialité » (4) : « Pour répondre à la question de Maurice Martin du Gard, alors directeur des Nouvelles littéraires – ‘‘J’aimerais connaître en détail une de vos journées de travail’’–, Valery Larbaud se livra à un bref et subtil exercice d’autobiographie intellectuelle, resté inédit dans son intégralité, jusqu’à ce jour : ‘‘Pour les ouvrages d’imagination le travail est constant, presque sans interruption, soigneusement entouré de paresse (apparente). Il se poursuit à travers toutes les circonstances et les incidents de la vie quotidienne, même à travers les conversations et un travail plus ‘matériel’, tel que recherches ou traduction. Il écrème le loisir, profite de la musique entendue, d’un tableau remémoré, d’une lecture qui n’a rien à voir avec lui, avec son sujet, ni avec les recherches en train. Il ‘règne sur la vie’, comme le désir, comme l’amour, comme un projet dont la réalisation nous donnerait une grande satisfaction, nous enrichirait matériellement, ou nous procurerait de grands avantages. Mais comme il est désintéressé, c’est, en somme, à l’amour qu’il ressemble le plus.’’ » Larbaud poursuit : « Il donne le plaisir de se sentir créer, créateur. Ou encore : de découvrir une vérité. »

    Maurice Martin du Gard (1896-1970) souhaitait utiliser cet exposé de Larbaud rédigé dans un petit cahier vert – ainsi que Mon Itinéraire, texte plus purement autobiographique écrit en 1926 pour l’éditeur hollandais Alexandre Alphonse Marius Stols (1900-1973), mais publié seulement soixante ans plus tard – pour une biographie qui ne verra jamais le jour.

     

    Mariage de A.A.M. Stols & M.W. Kroesen - 07/08/1928

     

    À la fin de sa postface – précédée d’un cahier photo et agrémentée de la reproduction de documents qui tous viennent s’ajouter au fac-similé de l’intégralité du manuscrit -, Françoise Lioure écrit : « Jamais Larbaud n’avait exposé avec autant de minutie et de conviction l’origine et la force de sa certitude que ‘‘la création intellectuelle’’ est un ‘‘bien réalisable’’ et avoué avec une telle fougue son bonheur de créer ». Cette « analyse la plus intime et la plus spontanée que l’écrivain ait donnée du sens de sa vie et de son œuvre » présente en outre l’intérêt de s’arrêter sur la traduction : « Elle est exactement assimilable à la copie des tableaux, et c’est par là qu’elle touche à la poésie. LarbaudHerne.pngUn peintre de talent fera une meilleure copie qu’un barbouilleur. De même, de deux hommes ayant une égale connaissance d’une langue étrangère, ce sera le plus artiste, le plus poète, des deux, qui fera la meilleure traduction. » Reprenant une idée développée dans son article de 1913, Larbaud évoque l’appel  que peut ressentir une personne qui a appris une langue vivante : « On tombe amoureux d’un poème, d’un livre, de l’œuvre d’un auteur. D’où (j’ai montré en détail ce processus) le désir de traduire ce poème, ce livre. C’est l’instinct de plagiat (instinct d’enfant chipeur (5) ) mis au service d’une raison mûre. » Un désir qui est également « désir de recréer (au second degré). Il y entre aussi de l’émulation (cet élément est tout à fait absent de la poésie, de la littérature au 1er degré). On s’aperçoit aussi que c’est un excellent exercice au point de vue de la technique, – comme les exercices des pianistes. C’est pourquoi il m’arrive, ou m’est arrivé, plutôt, d’avoir des heures fixes et régulières pour ce genre de travail. » 

    « L’immobilité du texte imprimé est une illusion d’optique », écrit Larbaud dans Sous l’invocation de saint Jérôme. Cette belle édition des Notes pour servir à ma biographie, petit livre « battant », en fournit une preuve de plus.

     

    Extrait d’une lettre de Valery Larbaud à Jean Paulhan

    ou comment ranger sa bibliothèque

     

    Journal, 1934-1935 

    valery larbaud,claire paulhan,traduction,léon bazalgette(1) Joris van Parys, « ‘‘Cher Bazal’’. Een portret in brieven van Léon Bazalgette (1873-1928) », Mededelingen van het Cyriel Buysse Genootschap, XIII, Gand, 1997, p. 58.

    (2) Valery Larbaud, Notes pour servir à ma biographie (an UNeventful one), notes et postface de Françoise Lioure, Paris, Éditions Claire Paulhan, 2006. (12 x 17 cm. 112 p. quadri. 66 photos et fac-similés couleurs. Impression quadri sur Gardapat 13 (115 gr.) des Papeteries de Garde.)

    (3) Article publié dans L’Effort libre en novembre 1913. « Larbaud y énonce ses idées essentielles sur la traduction qui seront développées dans Sous l’invocation de saint Jérôme : refus de ‘‘la traduction littérale’’, choix de ‘‘l’interprétation personnelle’’ et réhabilitation de la fonction de traducteur et de sa ‘‘dignité’’. » Notes pour servir à ma biographie, note 4, p. 68.

    (4) Michel Déon, « Le murmure des adieux. Larbaud », Lettres de château, Paris, Gallimard, 2009 [Folio 5218], p. 17.

    (5) « Je n’étais pas un enfant chipeur ! » précise Larbaud dans une note.

     

     

    valery larbaud,claire paulhan,traduction,léon bazalgette

    Bibliothèque de la Pléiade, 1958

     

  • Deshima, n° 6

    Pin it!


    De Anna Maria van Schurman à Rozalie Hirs

     


     

    deshima,poésie,pays-bas,scandinavie,vasalis,rozalie hirs,pierre-daniel huet,xavier marmier

    Anna Maria van Schurman


    Le dernier numéro de Deshima, revue d’histoire globale des pays du Nord, est largement consacré aux pays scandinaves à travers des dossiers portant sur le développement durable dans l’architecture et l’urbanisme et sur la littérature jeunesse. La rubrique « Savants mélange » invite ensuite le lecteur en Islande dans les pas de Xavier Marmier, à Paris dans ceux de Hans Christian Andersen et en Finlande dans l’œuvre de la peintre Helene Schjerflbeck.

    Les Pays-Bas ne sont toutefois pas oubliés : une visite, en 1652, de la Hollande savante, entre autres chez Anna Maria van Schurman, avec le grand érudit français Pierre-Daniel Huet, un article charnière dans la carrière de Johan Huizinga ainsi qu’un choix de poèmes de Vasalis et de la compositrice Rozalie Hirs*.

     

    Deshima, poésie, Pays-Bas, Scandinavie, Vasalis, Rozalie Hirs, Pierre-Daniel Huet, Xavier Marmier

     

     

     SOMMAIRE

     

    Thomas Beaufils & Thomas Mohnike : Préface


    Modèle nordique et développement durable

    Deshima, poésie, Pays-Bas, Scandinavie, Vasalis, Rozalie Hirs, Pierre-Daniel Huet, Xavier MarmierAurélie Choné & Philippe Hamman : Faut-il rendre la ville invisible ? Retours sur le « modèle nordique » d’urbanisme durable

    Philippe Hamman : Les ex- périences de « villes durables » nordiques en Europe. Visibilité et invisibilité d’un « modèle » d’action publique

    Karine Dupré : Ville ou quartier durable en Fin- lande. Entre modèle et fantasme

    Karen Hoffmann-Schickel : Le village du Père Noël de Rovaniemi : imaginaires du Nord, syncrétisme culturel et construction éco-touristique

    Giacomo Bottà : Sustainable Helsinki as a Reality and as a Cultural Representation

    Klas Sandell : Friluftsliv et allemansrätt : « vie au grand air » et droit universel d’accès à la nature en Suède : Identité, démocratie et inspiration éco-politique (trad. Emmanuel Curtil)

    Martin Kylhammar : Écologie et politique ? Et si l’on donnait la parole aux écrivains... (trad. Mélanie Hatava & Mélanie Louchard, révisée par Sylvain Briens)

     

    L’identité en question(s) dans la littérature de jeunesse scandinave

    Deshima, poésie, Pays-Bas, Scandinavie, Vasalis, Rozalie Hirs, Pierre-Daniel Huet, Xavier MarmierBente Christensen : L’argent et la vie : la littérature pour jeunes filles dans la Norvège de l’entre-deux-guerres

    Lena Kåreland : Les différents visages du pouvoir – classe, genre et sexualité. La littérature suédoise pour la jeu- nesse, 1985-2010

    Björn Sundmark : Guer- riers égarés : Les Vikings dans la littérature de jeunesse

    Catherine Renaud : Entre tradition, modernité et mondialisation, l’identité culturelle dans le livre pour la jeunesse danois contemporain

    Svante Lindberg : Performativité et ap- partenance samis et amérindiennes dans le roman pour la jeunesse. Ann-Hélen Laestadius (Suède) et Michel Noël (Québec)

    Annelie Jarl Ireman : La nouvelle Suède vue de l’intérieur. Jeunes en quête d’identité

     

    Savants mélanges

    Deshima, poésie, Pays-Bas, Scandinavie, Vasalis, Rozalie Hirs, Pierre-Daniel Huet, Xavier Marmier

    Pierre-Daniel Huet

    Guillaume Ducœur : Pierre-Daniel Huet et la Hollande : voyage, éru- dition et éditions

    Gaëlle Reneteaud : Évo- lution de la représentation de l’Islande et des Is- landais en France, l’apport du philologue et voyageur Xavier Marmier au XIXe siècle

    Kristina Junge Jørgensen : Hans Christian Andersen à Paris

    Anne-Estelle Leguy : Les visages d’Helene Schjerfbeck (1862-1946) – les traits contrastés d’une légende

    Johan Huizinga : De l’oiseau Charadrius (trad. Thomas Beaufils, Sébastien Pettoello, Guillaume Ducœur  & Martine Breuillot)

     

    Arts et lettres des pays du Nord

    Rozalie Hirs : Poèmes (trad. Kim Andringa & Daniel Cunin)

    M. Vasalis : Poèmes (trad. Daniel Cunin & Kiki Coumans)

     

    Pour se procurer le  numéro (392 p., 15 euros) : revue Deshima

     


    Deshima, poésie, Pays-Bas, Scandinavie, Vasalis, Rozalie Hirs, Pierre-Daniel Huet, Xavier Marmier* Les 10 poèmes de Rozalie Hirs publiés dans ce numéro sont extraits de Geluks- brenger (2008). Nous proposons ci-dessous un poème en néerlan- dais et sa version an- glaise tels qu’ils figurent dans le récent recueil ge sta mel de werken (Amsterdam, Querido, 2012) : il s’agit du premier volet d’une série qui explore les règles intrinsèques du néerlandais et de l’anglais – par le moyen de structures syntaxiques – à partir de groupes  lexicaux  présents dans le poème [0].

     

     

    het wil en wil je

     

    [0]

     

     

    het wil en wil je tegen die boom daar

    zien van hoe je stam bloeit in parels

    vochtigst zaadbad weg te drinken grasland

    in zeven sloten langs het tafelblad tegelijk

    onze handen elkaar te grazen trapgat

    nemen roekeloos waar met ons het roer om

    en om zonder een lettergreep knoppen

    betasten de jij en jij die wij bloot in het verwogen

    verhemelte weg te gaan aangroeien

    tot duizend sterren wegschietende

    hemelen er binnenin wegen

    tegen een huidrots van water?

     

     

     

    long at present longing

     

    [0]

     

     

    it wants and will you against that tree there

    look away from your stem blossoming pearls

    wettest bath of seeds drink pastures

    seven streams along the tabletop at once

    meadowing our hands into a daredevil stairwell

    turn the helm to where with us around and around

    without a syllable feel buds uncovering

    the you and you of us stirred bare in the palate

    go to grow away into a thousand stars

    expulsion of heavens inside as to weigh

    against the skinrock of water?



    deux reproductions du tableau de Helene Schjerfbeck, Park Alley, 1882-1884 (détails), Ostrobothnian Museum, Collection Karl Hedman (Pohjanmaan Museo) (©: Vaasa, Ostrobothnian Museum, Collection Karl Hedman).


     

  • Philippe Zilcken, par Maria Biermé

    Pin it!

     

    Entre Japon, Algérie et Provence

     


    Du même critique - l’extravaguant Ray Nyst -, à deux ans de distance : « Zilcken, qui a voyagé en Algérie, a d’aimables notations d’oueds et d’oasis. » (La Belgique artistique & littéraire, février 1911, p. 243) et, dans un bref compte rendu qui n’épargne aucun des artistes hollandais exposés au Cercle artistique du 8 au 18 mai 1913 : « Zilcken, de La Haye, nous montre des vues d’Égypte et d’Algérie d’une indigence extraordinaire, pas de couleur, pas de vie, pas de vibration : Le Caire à Londres » (La Belgique artistique & littéraire, 1er juin 1913, p. 436). Entre ces deux dates, la même revue, dans sa livraison d’août 1911 (p. 154-164), rend hommage au graveur francophile par l’intermédiaire de la poète et critique d’art belge, Maria Biermé (1863-1932). Des pages qui apportent maintes précisions sur Philippe Zilcken (1857-1930).

     

    philippe zilcken,maria biermé,peinture,gravure,hollande,algérie,japon,provence

    Philippe Zilcken en 1902



    PHILIPPE ZILCKEN

     

    Takesono, le joli nom, et comme il convient à la demeure d’un fervent de l’art, de la nature et de l’Orient !

    C’est bien un « jardin de bambous », en effet, dans lequel se trouve enclavée la demeure de celui dont nous étudions l’œuvre. Or, le bambou dans ce Japon, dont Zilcken est épris, c’est le symbole de l’Art et de la Poésie, aux sources mystérieuses et profondes comme celles des grands lacs bleus où baignent les longues tiges du roseau luxuriant, dont la cime s’épanouit sous les larges flambées d’un soleil éclatant, telle l’œuvre de l’artiste, sous la féconde caresse de l’inspiration.

    Si nous franchissons le seuil de Takesono, les goûts et les aspirations complexes de son hôte se reflètent, à chaque pas.

    D’une part, en effet, les attaches du Hollandais de vieille souche sont incrustées dans les fines sculptures des meubles confortables et dans les anciennes gravures coloriées, où La Haye apparaît, au XVIIIe siècle comme aujourd’hui, arrosée de canaux profonds et agrémentée de son large Bois, peuplé de cerfs et de biches, où le vent, qui chante à travers les feuillées des pins et des chênes, la berce, à présent, comme jadis, de sa mélopée rêveuse.

    De l’autre, l’orientaliste distingué accumule, derrière les vitrines et sur les étagères, les bibelots curieux et les poteries primitives de Biskra et d’Alger.

    Il suspend, aux murailles, les armes ciselées des colonies, et le terrible clewang de Sumatra y voisine avec le kriss du poignard national de Java.

    Un miroir enchâssant de précieuses miniatures persanes, surmonte l’ottomane où le dragon chinois s’allonge sur des coussins de soie brodée d’or.

    philippe zilcken,maria biermé,peinture,gravure,hollande,algérie,japon,provenceDes estampes japonaises d’une coloration ravis- sante, et dont l’artiste possède quelques rares exemplaires, s’encadrent entre les souvenirs de quelques maîtres, ses amis : Une gravure de Brac- quemond ; une eau-forte de Rodin (1) ; un délicieux pastel de l’aquafortiste Bauer, esquissant le portrait de Renée Zilcken, enfant ; la Première communiante, de Jan Toorop, dont les yeux profonds sont pleins de l’ardeur recueillie des mystiques.

    Enfin, comme pour symboliser les aspirations, tout à la fois exotiques et patriales, du maître, sur le marbre noir d’une cheminée ornée de tissus des Indes aux multiples couleurs, les milliers de pétales pittoresquement assemblés des chrysanthèmes côtoient, dans une coupe de Venise, les corolles savamment ordonnées des tulipes.

    Il semble, à voir la physionomie des lieux habités par l’artiste, qu’on puisse lui appliquer les paroles de Théophile Gautier aux de Goncourt : « Nous tenons à d’autres races, nous autres, nous sommes pleins de nostalgies. »

    Si l’on considère les œuvres du maître-peintre-aquafortiste-écrivain, on y retrouve, tout à la fois, le Hollandais, le Français, l’Orientaliste.

    Pourtant, il s’en dégage une personnalité bien déterminée et toute faite de simplicité, de sincérité, de distinction, de vérité surtout.

    Aussi, peut-on dire de l’art de Zilcken, qu’il est, tout à la fois, un et multiple.

     

    Philippe Zilcken, Maria Biermé, peinture, gravure, hollande, algérie, japon, provence

    Hiver en Hollande


    C’est ainsi que ses toiles d’il y a vingt ans diffèrent absolument, par le coloris, de celles des dernières années ; de même, ses eaux-fortes offrent trois phases distinctes et, cependant, aucune d’elles ne pourrait être attribuée à un autre artiste.

    Faut-il rechercher les causes de ces attirances diverses, dans les origines lointaines de Zilcken ?

    Peut-être ! Car, s’il naquit, à La Haye, de parents originaires de Rotterdam, sa grand’mère maternelle était de Douai et il est, par elle, allié au gendre de Jules Breton, le peintre Adrien Dumont.

    Si l’on remonte plus haut encore, on retrouve du sang anglais, espagnol, arabe même chez les siens.

    Le père de Ph. Zilcken

    Philippe Zilcken, Maria Biermé, peinture, gravure, hollande, algérie, japon, provenceComment Philippe Zilcken devint-il peintre, alors que son père, qui occupait une haute fonction dans le gouvernement hollandais, était un violoncelliste de talent, ami de Henri Wieniawski, de Sarasate, de Planté, de Camille Saint-Saëns, avec lesquels il exécutait de la musique de chambre, d’une façon remarquable ?

    Subit-il l’influence des frères Maris, d’Arz, de Blommers, peintres chassés de Paris, par la guerre de 1870, et qui, avec Josef Israëls et Mauve, formaient l’auditoire assidu de ces séances musicales ? C’est probable, d’autant plus qu’ils aimaient à se ressouvenir de la capitale, en parlant le français avec ce jeune garçon de treize ans, qui possédait cette langue tout aussi bien que l’anglais, l’allemand, le latin, l’italien et le hollandais.

    C’est cette facilité d’élocution française qui le fit choisir, alors qu’il n’était qu’un tout jeune homme suivant encore les cours du Gymnase de La Haye, pour secrétaire intime de la reine Sophie, la première femme du roi Guillaume.

    Dans son premier volume des Souvenirs publié à Paris, chez Floury, en 1900, Zilcken relate des choses fort intéressantes au sujet des travaux de cette reine souffrante et éprise de la solitude de la « Maison du Bois », où elle se retirait souvent, pour se livrer à des travaux sérieux qu’elle dictait rapidement à son jeune secrétaire.

    Parmi ceux-ci, Zilcken se souvient d’une étude de longue haleine : « Les derniers Stuarts, impressions d’une reine », qui parut, en 1875, dans la Revue des Deux Mondes.

     

    Philippe Zilcken, Maria Biermé, peinture, gravure, hollande, algérie, japon, provence

    Arrivée de la Reine


    La reine Sophie, ayant appris les dispositions artistiques de son jeune secrétaire, insista pour voir ses premiers essais, les apprécia fort et recommanda à leur auteur de beaucoup travailler.

    Ces encouragements, de même que l’enthousiasme avec lequel les peintres, qu’il rencontrait chez ses parents, parlaient de leur art, devaient contribuer à développer en lui les dispositions artistiques dont il avait hérité de son père et lui faire appliquer à la peinture et à l’eau-forte, le sens et le goût inné des harmonies qui chantaient en lui.

    En 1878, M. Zilcken convaincu de la vocation de son fils, qui s’était mis à peindre, seul, d’après nature, demanda à Mauve de diriger le travail du jeune artiste. Durant trois années, ce dernier s’en fut travailler avec lui dans la campagne hollandaise où, perdu dans les larges pâtures, assis à l’ombre d’un buisson ou d’un moulin à vent, il observait tout, autour de lui, avec la plus scrupuleuse attention et s’attachait à le rendre, non seulement avec un grand fini dans l’exécution, mais à l’imprégner de toute la ferveur de ses sentiments.

    C’est, d’ailleurs, le conseil que, lui-même, n’a jamais cessé de donner à ses élèves : « Il faut, leur dit-il, être humble devant la nature. Commencer par en rendre l’aspect le plus fidèlement possible, non avec la minutie du photographe, mais avec l’émotion de l’artiste et, plus tard seulement, se laisser aller à toute la fougue de son imagination et à l’expression entière des conceptions qu’elle inspire. »

    « L’originalité de l’art japonais, ajoute-t-il, vient de la grande simplicité avec laquelle les peintres de cette contrée ont regardé et rendu ce qui les entoure. »

    Grâce à Mauve et à Willem Maris, qu’il rencontrait souvent, Zilcken a su arriver à cette réalisation de la justesse des tons et des valeurs qui, seules, permettent à l’artiste de reproduire avec vérité, la perspective aérienne et l’atmosphère.

    Cimetière de la Bouzaréah, 1910

    Philippe Zilcken, Maria Biermé, peinture, gravure, hollande, algérie, japon, provenceComme Mauve aussi, il s’est toujours appliqué à mettre en pratique le conseil de Corot : « D’abord, le ton et puis, la couleur ». De là vient que Zilcken réussit toujours à rendre la physio- nomie véritable de chacune des contrées qu’il a visitées. Il ne s’est pas essayé, par exemple, à l’instar de quel- ques autres, à se créer une palette d’orientaliste mais, lors de ses séjours en Algérie, il s’est contenté de travailler en plein air et d’en rapporter des œuvres sincères par le coloris comme par l’expression.

    Au retour de sa première visite au pays du soleil, il trouve acquéreur pour ses travaux, chez le plus grand marchand de tableaux de l’époque, M. G. van Wisseling, dont le père, un ami de Courbet, eut l’honneur d’avoir son portrait peint par celui-ci.

    À l’Exposition coloniale d’Amsterdam, Zilcken obtient un succès remarquable avec un grand tableau peint à Alger, et la médaille d’argent pour six eaux-fortes originales.

    L’artiste pense sérieusement, alors, à aller habiter Alger, mais les circonstances en décident autrement. Il se marie et va s’installer avec sa femme, dans une campagne des environs de La Haye, séparée seulement de la « Maison du Bois » par la route et le canal qui côtoie le domaine royal.

    Traduction (par K. Jonckheere) de Quinze jours en Hollande

    Philippe Zilcken, Maria Biermé, peinture, gravure, hollande, algérie, japon, provenceC’est là qu’il fit bâtir Hélène-Villa où, en 1892, il offrit l’hospitalité à Paul Verlaine qui, grâce aux efforts réunis de Zilcken et de quelques autres artistes, avait été invité à venir donner des conférences à Amster- dam, à Leyde, à La Haye.

    Le grand poète bohème a relaté, d’ailleurs, dans ses Quinze jours en Hollande, tout le charme qu’il goûta dans cet intérieur paisi- ble, comblé des atten- tions de Zilcken, de sa femme, de leur petite Renée même, âgée d’un an et demi, avec qui Verlaine passait des heures à feuilleter ses albums japonais et pour qui il écrivît un sonnet où il célèbre, avec la grâce de l’enfant, l’indulgente bonté de ses hôtes.

    Rentré à Paris, dans ses lettres à Zilcken, Verlaine n’oubliait jamais d’envoyer « son meilleur bécot à sa filleule littéraire », ainsi qu'il appelait souvent la petite Renée.

    Zilcken insista, plus d’une fois, auprès de Verlaine, qui s’était conduit chez lui « en vrai gentleman », pour qu’il acceptât encore « cette sainte hospitalité d’artiste à poète », mais Verlaine, qui mourut deux ans plus tard, était trop souffrant pour songer encore à revenir en Hollande.

    C’est encore Zilcken qui organisa les premières représentations de Lugné Poë et de Suzanne Desprès en Hollande. D’ailleurs, comme le disait récemment Francis de Miomandre, dans l’Art moderne, Philippe Zilcken, représente, en Hollande, la culture française. « C’est, ajoute-t-il, notre grand ami ». En effet, le peintre aquafortiste qui, tout jeune, fréquentait le salon des frères de Goncourt et fait, chaque année, un séjour à Paris, où il est correspondant des principales revues d’art, est fort apprécié en France et jusque dans le monde des félibres. Mistral est, on le comprend, un vieil ami de celui qui réussit à illustrer si poétiquement sa chère Provence.

     

    Philippe Zilcken, Maria Biermé, peinture, gravure, hollande, algérie, japon, provence

    Avignon, 1909


    Zilcken a fait partie du jury de l’Exposition universelle de Paris, en 1900, et fut, alors, promu chevalier de la Légion d’honneur.

    Dès 1887, époque de son mariage, Zilcken avait, le premier en Hollande, commencé à graver ses grandes eaux-fortes de reproduction, ainsi que venaient de le faire, en France, Bracquemont et Charles Walner. Travail qu’il entreprit sans éditeur, avec le seul souci de satisfaire son goût et celui des artistes.

    Quand la réussite répondit à son attente, il alla trouver Van Wisseling qui s’improvisa éditeur pour faire paraître ces planches où l’artiste avait reproduit les œuvres de Vermeer, Rembrandt, de Potter, Jacob Maris, et, sans rien abandonner de sa personnalité, avait réussi à y exprimer le caractère propre à chacun de ces maîtres.

    Le graveur Walner, qui travaillait, alors, à la reproduction de la Ronde de nuit, et à qui Zilcken alla montrer ses estampes, lui désigna sa voie, en lui conseillant de reproduire les modernes surtout.

    Aussitôt, Zilcken se mit à l’œuvre et grava une superbe estampe d’après La Bête à bon Dieu, d’Alfred Stevens. Celui-ci en fut enthousiasmé et l’emporta immédiatement chez Alphonse Daudet, où elle fut beaucoup admirée. Peu de temps après, le célèbre peintre-graveur français, Félix Buhot (2), s’exprimait de la sorte, en parlant du grand Souvenir philippe zilcken,maria biermé,peinture,gravure,hollande,algérie,japon,provenced’Amsterdam, que Zilcken venait de graver, d’après Jacob Maris : « Cette magnifique pièce démontre combien il est nécessaire à un painter-etcher, et même à un etcher tout court, de passer par la peinture, par le maniement de la brosse, avant de prendre la pointe. Le pein- tre, lui-même, n’eût jamais pu se traduire avec plus d’aisance et de liberté, avec un travail plus large et plus adéquat au mouvement de la brosse, tour à tour, emportée et fluide dans le ciel, puis solide et reposée dans les fabriques, les terrains, les eaux. »

    Félix Buhot

    Quel que fût, en effet, le succès vraiment universel de ses eaux-fortes, Zilcken n’abandonna jamais le pinceau qu’il a toujours manié parallèlement, peut-on dire, avec la pointe. C’est ainsi qu’il grava, en même temps qu’il peignit, La tête du pêcheur du musée Mesdag, à La Haye, et les Souvenirs du Pont-Neuf acquis, en 1902, par le musée du Luxembourg et dont le conservateur, l’éminent critique, Léonce Bénédite, a dit : « Cette séduisante petite vue de Paris qui montre la parenté de l’auteur avec la postérité choisie de Corot. »

    Le nom de Corot nous rappelle les paroles de Camille Lemonnier à Zilcken, qui venait de faire une série d’eaux-fortes d’après le maître français : « Ces eaux-fortes sont faites pour fortifier, en moi, la passion de cet art subtil, où la main semble plus près de la pensée que dans les autres, où la sensation, à travers un bref et presque fluide procédé, garde quelque chose de sa fugacité et pourtant de sa grâce durable. Il ne faut qu’un sens éveillé, qu’une même émotion, une souple et rapide tactilité, et c’est la vie même dans l’ondoyé et le chatoyé de la lumière. Un mirage charmant, l’aérienne vision d’une chose entre la conjecture et le réel. La peinture paraît bien matérielle à côté. Vous êtes un des maîtres de cette graphie déliée, ajoute Lemonnier, vous en avez la spontanéité, la décision et la légèreté, l’un peu plus que la seule habileté et qui est toute l’âme du grand artiste. »

    En même temps qu’il grave ses magnifiques eaux-fortes de reproduction, Zilcken en crée d’originales dont le sentiment de la vie et du plein air, la légèreté du trait, la fluidité, le velouté lui font une réputation universelle.

    Scène de rue en Tunisie

    philippe zilcken,maria biermé,peinture,gravure,hollande,algérie,japon,provenceBientôt, en effet, par l’intermédiaire de la maison Goupil de La Haye, Zilcken était mis en rapport avec le célèbre collectionneur américain, Sam P. Avery, qui, après avoir acheté un certain nombre de ses eaux-fortes, souhaita posséder tout son œuvre. C’est ainsi qu’à sa mort, Sam P. Avery put léguer 650 eaux-fortes et pointes-sèches de Zilcken à la Public library de New York, le seul endroit où se trouve la collection complète des estampes du maître.

    C’est vers cette époque que celui-ci fit une Exposition à New York, où il fut hautement apprécié par les collectionneurs américains qui acquirent maintes de ses œuvres.

    Parmi les eaux-fortes originales de Zilcken devenues fort rares, parce que tirées à trois, quatre, sept exemplaires seulement, il faut citer quelques portraits merveilleux par la ligne simple et grande, tout à la fois, le caractère et la vérité de l’expression. Ce qui fait regretter que le maître ne cultive pas plus souvent ce genre, tant au pinceau qu’à la pointe.

    On se souvient des deux remarquables portraits de Verlaine ; l’un, absolument original, illustrant les Quinze jours en Hollande ; l’autre, dénommé le grand portrait de Verlaine, que Zilcken grava sur un dessin de Toorop et dont Stéphane Mallarmé disait avec enthousiasme : « L’admirable portrait qui restitue à Verlaine toute sa noblesse et entoure le poète du recueillement et du sourire d’un chez lui trouvé chez vous!»

    Venise, 1895

    Philippe Zilcken, Maria Biermé, peinture, gravure, hollande, algérie, japon, provenceEn 1900, le musée du Luxembourg acquit une œuvre de trois cents estampes de Zilcken : Rotterdam en possède une centaine ; Venise lui achetait récemment une suite de six estampes originales repré- sentant la Venise intime, où l’artiste a transporté les qualités acquises dans un travail de gravures de grande reproduction. Citons surtout La grandeur déchue, dont il a fait l’eau-forte parallèlement au tableau, et qui est, comme celui-ci, d’une gran- deur de style incomparable.

    Enfin, tout dernièrement, la Bibliothèque Nationale de Paris, achetait une œuvre de 17 estampes à l’aquafortiste hollandais.

    Au mois d’octobre 1904, Zilcken, assoiffé de soleil, partait pour la Provence et son tableau Ruines de Les Baux inaugurait une série d’œuvres dont les couleurs chantent la joie, la clarté et l’azur.

    Après Les Baux, c’est Venise qu’il illustre et le noir des gondoles fait mieux ressortir les tonalités dorées et bleues du ciel de l’ancienne cité des doges.

    Ruines El Alix, pastel

    Philippe Zilcken, Maria Biermé, peinture, gravure, hollande, algérie, japon, provenceEnfin, c’est l’Algérie où il fait un long séjour en 1909 et d’où il rapporte une cinquantaine d’œuvres, dont quelques-unes expo- sées à Paris, en février 1910, au salon des Orien- talistes, faisaient noter dans le Figaro, par l’éminent critique Arsène Alexandre « la discrétion et l’aristo- cratique harmonie des peintures algériennes de M. P. Zilcken, l’éminent peintre hollandais ».

    Philippe Zilcken est un sincère et l’on retrouve, dans toutes ses œuvres, le même souci de vérité dans le sentiment comme dans l’expression. C’est ainsi que, s’il abandonne ses harmonies de gris et de bruns qui, jusqu’en 1904, caractérisent ses Coins de villes néerlandaises assises au bord des canaux, ses larges Plaines enveloppées dans le rêve des crépuscules, ses Paysages aux pittoresques moulins à vent, dont les larges bras se signent dans l’espace, pour rechercher les harmonies blondes de l’Algérie ensoleillée, c’est qu’un rayon de joie ou d’espoir a, de nouveau, pénétré sa vie.

    Dans ses œuvres anciennes, comme dans les modernes, c’est toujours la même netteté dans le trait, la même grandeur dans la ligne, la même notation juste des relations subtiles des tons et des valeurs, et, comme le vieux maître Pieter de Hoogh, auquel on a comparé l’artiste, la même luminosité du fond et l’ombre au premier plan.

    Haouadja

    Philippe Zilcken, Maria Biermé, peinture, gravure, hollande, algérie, japon, provenceLe dernier voyage de Zilcken en Algérie marquera dans sa carrière d’artiste, car surabondante y fut sa récolte d’œuvres de vie et de beauté.

    Tableaux à l’huile aux colorations distinguées ; délicieuses aquarelles, aux nuances de rêves ; eaux-fortes et pointes-sèches, aux traits fins et déliés, et au velouté moelleux qui caractérise toutes les œuvres à la pointe de Zilcken. Enfin, ce livre remarquable, Impressions d’Algérie*, orné de pointes-sèches originales qui, à elles seules, suffiraient à nous donner une idée complète du pays où le désert de sable apparaît plus immense sous la plaine azurée du ciel, bien qu’il s’éclaire, parfois, du sourire ensoleillé des oasis se mirant dans les sources, où baignent les troncs des palmiers séculaires.

    Mais l’admiration émue du peintre-écrivain est trop fervente devant cette nature admirable, pour qu’il ne cherche pas à l’exubérer encore, au moyen de ce verbe, tout vibrant d’enthousiasme et d’une coloration subtile, qu’est le sien.

    Marabout de Sidi-Moussa, 1910

    Philippe Zilcken, Maria Biermé, peinture, gravure, hollande, algérie, japon, provenceC’est la Casbah fantas- tique que sa plume nous peint et où, comme le dit Léonce Benédite dans sa belle « Préface » au livre de Zilcken, « l’artiste s’émerveille devant le spectacle pittoresque, fortement exotique, violemment, mais har- monieusement coloré des foules grouillantes, dont les flots se heurtent dans le dédale tortueux de ruelles étroites, montantes, profondes, où passent des populations mélangées et bigarrées d’indigènes magnifiques, dans leurs élégantes draperies ou leurs oripeaux sordides ».

    Tantôt, Zilcken nous fait voir l’azur du ciel se mariant avec celui de la mer, caressée par l’aile blanche d’une mouette et dominée par le Vieux fort turc, immuable, tel le fatalisme qu’il défend, et dont les tons blonds dorés, comme une chevelure du Titien, s’harmonisent avec le vert-gris des touffes d’herbes qui s’échappent des crevasses de ses antiques murailles. C’est l’El Kantara, le soir, « le village chamois et rose au milieu des milliers de palmiers d’un blond cendré et bleuâtre », que l’artiste nous décrit dans ce livre avec la plume, la pointe et le pinceau.

    Fatmah

    Philippe Zilcken, Maria Biermé, peinture, gravure, hollande, algérie, japon, provenceC’est Un matin à Biskra (le Paradis du désert) où, en deux ou trois traits d’une délicatesse infinie, il nous retrace, dans une pointe sèche, le portrait de la femme mauresque assise contre le mur de sa vieille demeure ; c’est la tête enturbannée de Fathma, la négresse et celle d’Haopadja et la femme du Sud, il arrive à faire ressortir admira- blement les caractères particuliers à chacun de ces types. Il nous montre, avec une douceur émue, les graves Marabouts blancs, pieusement recueillis, au fond des larges avenues baignées dans la lumière.

    Il nous fait sentir l’isolement silencieux des tentes des nomades perdues entre les deux immensités du ciel et du désert.

    Aussi, quand nous avons goûté tout le charme ensoleillé qui se dégage des Impressions d’Algérie, de Philippe Zilcken, nous sommes tentés de nous écrier, comme lui, après Verlaine : « Je suis hanté, l’azur, l’azur, l’azur, l’azur. »

    Renée Zilcken, cette « fillette exquisement mignonne », comme la qualifia Verlaine, dans son sonnet, a orné le livre de son père de culs-de-lampe finement dessinés où s’épanouissent de délicates corolles.

    Nous avons parlé de l’aquafortiste, du peintre, de l’écrivain, parlerons-nous de l’homme ?

    Léonce Bénédite a esquissé sa physionomie en quelques traits, dans la préface dont nous parlions plus haut : « Grand, mince, nerveux, fin et distingué, on dirait vraiment un Français de vieille souche. Réservé, discret, timide même, il arrive néanmoins à passer partout, à pénétrer partout. Il inspire confiance. »

    Ajoutons qu’il est bon, simple, sincère, d’une activité et d’une exactitude étonnante pour un artiste, « le strict Zilcken, toujours sur le qui-vive », disait de lui Verlaine.

    philippe zilcken,maria biermé,peinture,gravure,hollande,algérie,japon,provenceSa vie, entièrement dévouée aux siens et à son art, il la passe tantôt, « sous les ciels perlés, argentés des Ruysdael et des Van Goyen, où les chevauchées des nuages légers tamisent la lumière » ; tantôt parmi les cyprès sombres et les clairs aman- diers de la Provence (3) ; tantôt encore, à l’ombre des palais de « Venise la belle », dont il esquisse les lignes superbes. Tantôt, enfin, il erre de par le Sahara infini et y retrempant, à nouveau, son pinceau dans l’or de la lumière, il en ramène des œuvres toutes pleines de soleil et d’azur où, toujours, la vérité est poétisée par la beauté !

     

    MARIA BIERMÉ

     

     

    * Philippe Zilcken, Impressions d’Algérie. Édition sur papier de Hollande, ornée de quinze pointes sèches originales. Préface de Léonce Bénédite. Tirage restreint à 120 exemplaires, dont 8 sur papier Japon, avec double état des pointes sèches dont une suite aquarellée.

     

    (1) Sur les liens entre Rodin et Zilcken, voir Claude Judrin, « Zilcken », Rodin et la Hollande, Paris, Musée Rodin, 1996, p. 220-244.

    (2) Le volume de Ph. Zilcken, Souvenirs I, préface Alidor Delzant, Paris, H. Floury, 1900, comprend des « Fragments de lettres à Félix Buhot » (p. 144-181).

    (3) Après plusieurs séjours en Provence – où il rend visite à Mistral –, Zilcken ira s’établir sur la Côte d’Azur. Il écrira un livre destiné aux Néerlandais désireux de découvrir la région niçoise : Langs wegen der Fransche Rivièra, Leopold, 1925.

     

     

    Philippe Zilcken, Maria Biermé, peinture, gravure, hollande, algérie, japon, provence

    À l'oasis de Béni-Mora, 1910