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Auteurs néerlandais - Page 37

  • Louis Couperus en Majesté (suite)

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    Couperus entre Jules Lemaître

    et Gabriele D’Annunzio

     

     

    En complément de la première notice du 8 février, voici d’autres coupures de presse sur Majesté. Le préfacier de l’édition française, Maurice Spronck, publie dans le Journal des Débats du 5 août 1900 un petit papier faisant suite à la parution de la traduction italienne du roman. L’homme de lettres et avocat se distancie de Couperus : la « neurasthénie sentimentale » n’est plus à la mode et il semble s’en réjouir. On est loin des louanges qu’on peut lire dans sa longue préface : « La lecture de Majesté, commencée sans la moindre prévention particulièrement favorable, me frappa donc d’autant plus que je ne m’attendais pas à une révélation de ce genre. Ce n’était point l’éternel roman, drame ou poème étranger, découvert par un traducteur ou un critique ingénieux, et dont toute la valeur est faite de quelques détails pittoresques, de quelques nouveaux traits de mœurs ou de caractère, qui amusent les blasés de la littérature et qui charment les abstracteurs de quintessence esthétique. C’était un récit très simple, presque sec, sans aucune surcharge descriptive, – sauf peut-être dans les premiers chapitres, – et d’une conception philosophique et morale extraordinairement forte. » Malgré le « peu de succès » qu’on lui prédit en Italie, le livre connaîtra apparemment un certain succès puisque la traduction sera rééditée en 1902.

     

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    M. Spronck © Assemblée nationale

     

    Majesteit avait fait l’objet de certains commentaires en France plusieurs années avant la sortie de l’édition française chez Plon en 1898. En témoigne un article non signé paru dans ce même Journal des Débats (16 novembre 1894) : il relève l’étrange parenté qui existe entre l’œuvre de Couperus et Les Rois de Jules Lemaître, alors même qu’il ne peut être question d’influence ni de plagiat puisque les romans ont vu le jour plus ou moins simultanément (1893). Le 25 novembre, second papier sur la question : le journaliste anonyme communique la réaction du correspondant de La Haye, qui préfère pour sa part insister sur les différences entre les deux romans. Le correspondant en question se nomme sans doute Louis Bresson, futur traducteur de Majesteit en français : cet érudit, pasteur de l’église wallonne de Rotterdam, a en effet été pendant un certain nombre d’années le collaborateur du Journal des Débats pour les Pays-Bas.

     

    Jules Lemaître

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    Toujours à propos du Journal des Débats, notons encore que ce périodique annonçait dès avant le printemps 1894 « une traduction des romans de Louis Couperus, jeune écrivain qui semble “rénover le naturalisme en y ajoutant des éléments empruntés au symbolisme et à l’impressionnisme” » (édition du 21 mars 1894).

     

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    Journal des Débats, 16 novembre 1894 

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    Journal des Débats, 25 novembre 1894

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    M. Spronck, Journal des Débats, 5 août 1900

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    Quelques semaines après la parution de Majesté en volume, le journal La Presse (3 novembre 1898) consacra quelques lignes au roman ; le pigiste n’a probablement pas lu l’histoire d’Othomar, il se contente d’emprunter au préfacier quelques-unes de ses tournures.

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    La Presse, 3 novembre 1898

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    Quelques jours plus tard, un certain Albert Robert donne un petit compte rendu :

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    « Lettres parisiennes du dimanche », La Petite Gironde, 7 novembre 1898

     

     

    En 1903, Félicien Pascal propose un rapprochement entre Couperus, Bourget, J.-H. Rosny et Jules Lemaître :

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    Le Gaulois, 1er janvier 1903 (le reste de l'article porte sur Bourget)

     

     

     

     

     

  • Hollande de Jean-Claude Pirotte

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    Hommage à Eddy du Perron (1899-1940)

      

      

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    Dans son recueil Hollande (Le Cherche-Midi, coll. Amor Fati, 2007) qui marie poèmes et peintures (de la fin de l’année 2004), le Wallon Jean-Claude Pirotte rend entre autres hommage à l’écrivain néerlandais Eddy du Perron (1899-1940), connu en France pour avoir été l’ami d'André Malraux. La peinture en regard s’intitule eergisteren (avant-hier). Le plaisir que l’on prend à lire Pirotte – écrivain bien plus talentueux qu’il n’ose lui-même le dire – est d’autant plus grand qu’il fait partie des rares auteurs d’expression française, avec Claude-Henri Roquet ou Xavier Hanotte, à pouvoir glisser dans sa prose des mots néerlandais sans les éborgner.

     

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    Dans Une adolescence en Gueldre, le romancier Pirotte évoque une période fondatrice de son existence. Un extrait :


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    C’est le paysage surpris de ma lucarne, dans Bezui- denhout, le premier matin, qui a peut-être décidé pour moi. Et ma première lecture aussi, dans cette chambre mansardée soudain deve- nue mienne, à l’heure où la lumière de sable et de vent s’est révélée à moi, la lu- mière de Gueldre, à l’aube, comme un air de clavecin.

    À cette lumière tremblée, à son poudroiement, à son cristal à la fois vaporeux et précis, à son rythme de danse ancienne et secrète, rien ne pourra jamais m’empêcher d’associer le mouvement inaugural de La chartreuse de Parme.

    « Fabrice montra son passeport qui le qualifiait marchand de baromètres portant sa marchan- dise. »

    Ces trois mots en italique ont soudain mobilisé ma mémoire et mon avenir, je devrais dire la mémoire de mon avenir, car c’est ce matin-là, en lisant et relisant cette phrase d’apparence anodine (mais elle ne l’est pas), que je me suis expliqué avec moi-même et ce que je dois bien appeler, tant pis si je m’exprime pompeusement, la reconnaissance obscure et aveuglante de mon destin.

    Jean-Claude Pirotte, Une adolescence en Gueldre, La Table Ronde, 2005.

     

    Prière aux poètes morts, Jean-Claude Pirotte
     

     

    carte imprimée à l’occasion d’une soirée E. du Perron-André Malraux à Paris, 15/11/2005 (photo coll° K. Snoek)

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    Sur l’amitié Eddy du Perron / André Malraux voir cette  bibliographie en langue française

     

     

    biographie d’Eddy du Perron par Kees Snoek, 2005, 1246 p.

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    le grand roman autobiographique d’Eddy du Perron

    Le Pays d’origine,

    traduction Philippe Noble,

    préface André Malraux,

    Gallimard, 1980

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  • Adriaan van Dis : fichues promenades

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    Un promeneur en vidéo

     

    Le romancier Adriaan van Dis nous parle de son roman

    Le Promeneur (Gallimard, 2008)

    et de Paris, plus grande ville africaine hors de l’Afrique

     

     

     

     

     

    Les livres d'Adriaan van Dis en français : ICI & ICI

     

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    LE MOT DE L'ÉDITEUR

    Mulder, un Néerlandais d'une soixantaine d'années installé à Paris, mène une vie de rentier bien ordonnée, entre son appartement impeccable et ses sorties vespérales quotidiennes, quand surgit sur les lieux d'un incendie un chien qui va transformer son rapport au monde. L'animal, un bâtard sans nom ni maître, bouscule ses habitudes d'homme maniaque et solitaire, et le détourne de son itinéraire de promenade immuable pour lui révéler cet autre monde, celui des exclus, de la rue, des squats. À ses côtés, Mulder va rencontrer Ngolo, Le Chinois, Madame Sri, Fanta, le père Bruno…, et se heurter à toutes les difficultés que soulève le désir de venir en aide, de «faire quelque chose».
    Adriaan van Dis dresse un tableau sans concession ni complaisance d'une réalité qui dérange, dans un roman où cohabitent avec bonheur un humour omniprésent et un immense besoin de croire en l'homme, d'espérer le meilleur.

     

    Un livre à conseiller avec d’autant plus d’enthousiasme qu’il est remarquablement écrit. Adriaan van Dis a un talent fou pour trouver des formules percutantes et parfois féroces. Certaines descriptions de personnes abîmées par la vie et l’évocation des horreurs du monde sont parfois crues mais jamais misérabilistes. L’humour et un immense besoin de croire en la bonté l’emportent.

    Chantal Joly, Revue Quart Monde, n° 207, 2008.

     

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    l'édition originale : De wandelaar, Augustus, Amsterdam, 2007

     

  • L’écriture romanesque comme un feu de tourbe

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    Un entretien

    avec le romancier Tomas Lieske

     

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    T. Lieske, Le petit-fils de Dieu en personne,

    trad. Catherine Mallet en collaboration avec Marc Das,

    sous la direction de D. Cunin,

    Strasbourg, Impasses de l’Encre, 2006.

     

     

    Après « L’imagination souveraine » – une brève présentation de l’œuvre romanesque de Tomas Lieske et un extrait de ses deux livres disponibles en français –, voici, pour donner une image plus complète de son travail, les réponses qu’il a bien voulu donner à une série de questions écrites.

     

    D.C. Ce qui me surprend sans doute le plus en lisant vos romans et nouvelles, c’est l’exubérance de couleurs, de sons, toutes ces odeurs, la place accordée à la dimension tactile… tout cela en rapport soit avec la sensualité, soit avec la mort ou la menace de la mort. Comment naissent toutes ces images, où allez-vous puiser cette luxuriance ? En d’autres mots, où cherchez-vous l'inspiration (sources littéraires, photographiques, picturales, géographiques…) ?

    T.L. Il me semble que je la puise à trois sources différentes : 1. Mes souvenirs, mes émotions, les expériences accumulées au cours des années. 2. Les recherches historiques, la documentation sur un pays donné, etc. … 3. Mon imaginaire. L’idéal, c’est quand ces trois champs s’équilibrent dans un roman. Autrement dit, tous mes romans se basent à la fois sur mes émotions et mon vécu tout en relevant pour une bonne part de la pure imagination. Ou encore : dans toute description fondée sur des sources historiques solides, l’imaginaire parvient à se faufiler. Je pars du principe que la tâche première de l’écrivain consiste à créer un monde inédit, l’imagination étant la qualité le plus belle de l’homme. On peut comparer cela à la Création. L’important pour moi, c’est cette qualité et ce jeu : créer un univers avec des mots et une langue, et non pas avancer un message, une morale ni quoi que ce soit.

    Quant à savoir comment naissent au juste les images, je n’en sais rien moi non plus. Quand je souhaite décrire une situation donnée, j’essaie de m’ouvrir le plus possible. C’est-à-dire que je tente de réveiller tous les souvenirs qui vont me permettre de mieux voir, de mieux goûter, de mieux sentir cette situation. Les souvenirs de mon enfance et de mon adolescence, liés à des circonstances comparables à celles que je décris ; le souvenir de visites au zoo, de voyages que j’ai pu faire dans le pays que j’évoque, mais aussi les photos que j’ai pu conserver. J’ai besoin de sentir que je suis allé là où je situe l’histoire, même si celle-ci se déroule au XVIe siècle ou dans un pays lointain.

     

    D.C. Comment ces images se tissent-elles dans la structure romanesque pour donner ces descriptions époustouflantes ?

    T.L. Quand je m’attelle à un roman, je ne sais pas moi-même ce qui va se passer ni comment l’histoire va se terminer. Je commence par écrire des passages dans lesquels les divers fils narratifs s’entrecroisent. J’imagine des situations qui ont un rapport avec l’histoire et les décris avec un souci extrême du moindre détail. Peu à peu, l’histoire prend forme. Vient ensuite la composition, c’est-à-dire que je retiens les passages qui me paraissent convenir ; le reste, je l’élimine. C’est seulement à ce stade que je m’intéresse au jeu qu’opèrent les images et les descriptions ; je m’efforce alors d’apporter de la cohérence à l’ensemble.

    Pour édifier ce monde, l’écrivain a à sa disposition le style et les images. Le style, c’est-à-dire qu’il puise dans la langue et toute ses richesses. Aussi bien des mots peu usités que le langage courant, familier ; aussi bien le langage châtié que l’argot ; la langue qui vaut comme norme aussi bien que des régionalismes. Quant aux images, elles cherchent à transmettre au lecteur une chose qui va lui rester.

    En écrivant un roman, on fait en permanence des choix. Chaque choix écarte des romans qui auraient pu exister. Certains choix sont guidés par la raison, d’autres se font à l’intuition. Ce qui veut dire que je ne suis pas moi non plus à même de tout expliquer. Il m’arrive de ne pas savoir pourquoi j’ai retenu telle option plutôt que telle autre.

    Pour ce qui est du souci des détails, je suis convaincu qu’un univers littéraire ne peur s’édifier que sur cette base. Il me faut vivre chaque scène et chaque scène doit être rendue de façon détaillée. Quand je place Dünya [personnage féminin qui a donné son nom au roman publié en 2007] dans une rue d’Istanbul en 1930, il me faut connaître la mode vestimentaire de l’époque, savoir quels parfums on pouvait acheter, quelles pâtisseries elle voit, à quelles soirées dansantes elle peut participer, à quel combat de boxe ou quelle élection de Miss Turquie elle peut assister. Peu importe si au stade de la composition j’élimine la plupart de ces données, l’important étant que je vive moi-même les choses et que je marche à côté de mon personnage dans la rue en question. 

     

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     T. Lieske, Mon amour souverain,
    trad. Annie Kroon, Le Seuil, 2008

     

    D.C. Le lien entre la sensualité d’une part, la violence, la mort, voire la putréfaction de l’autre – par exemple dans Mon amour souverain où, à la fin, vous nous offrez, parallèlement au souvenir que garde Marnix de la poitrine d’Isabel, la vision du roi Philippe II en train de pourrir sur son lit –, n’est pas sans rappeler une thématique chère à certains auteurs, par exemple Barbey d’Aurevilly, la fascination du mal. – Dans vos romans comme dans les siens, on plonge qui plus est par endroits dans une atmosphère étrange, fantasmagorique, fiévreuse où la raison échappe aux personnages, et presqu’au lecteur pour ainsi dire. Comment expliquez-vous cet aspect de vos livres, sachant qu’à la différence d’un Barbey d’Aurevilly, il n’y a pas chez vous de préoccupation théologique ?

    T.L. J’essaie de créer un univers littéraire. Dans cet univers, je m’efforce de ne pas me prononcer sur le bien et le mal, de me tenir éloigné de tout jugement moral. Prononcer un tel jugement, ce n’est pas ma tâche. Je privilégie le sensoriel : tomber dans le psychologisme conduit à émettre un jugement, mène au superficiel, cela ne débouche que rarement sur un beau style. Le sensoriel, c’est voir bien sûr, mais aussi sentir, toucher, goûter, entendre. Sans les sens, pas de description.

    Ce qui m’importe, c’est de saisir l’existence dans sa totalité. Dans une telle démarche, la comparaison entre l’homme et certains animaux apporte toujours des éléments éclairants. Je crois que l’univers ainsi créé doit ressembler à l’univers réel, sinon, on court le risque de devenir illisible. Il faut que le lecteur puisse reconnaître un tant soit peu l’univers que propose le roman. En même temps, cet univers doit être un peu de travers ; il doit être en danger. Dans la vie réelle, certaines conventions permettent de rendre la vie possible ; dans le roman, il convient de suspendre celles-ci. C’est à ça que sert la littérature. C’est là sa grande valeur. Je compare cela volontiers à un feu de tourbe. Dans un tel cas, on a l’impression que le sol reste intact – si ce n’est qu’il y a cette odeur singulière –, mais soudain, le feu, qui s’est glissé sous terre, prend quelque part ailleurs. De même, la littérature décrit une réalité en apparence intacte, mais on ne peut s’empêcher de penser que quelque chose va de travers, et tout à coup, les flammes surgissent : on prend alors conscience que le feu couvait depuis le début sous la surface.

     

    D.C. Par leur comportement, leur apparence aussi (êtres difformes, arriérés, un borgne…), nombre de vos personnages paraissent appartenir, au moins en partie, au règne animal. Le garçon du Petit-fils de Dieu en personne est doué, peut-on penser à certains moments, d’une intelligence rare, mais, enfermé dans son monde rudimentaire, il vit plus ou moins à la manière d’une bête ; la seule personne qui lui porte de l’affection est revêtue à la fin de l’histoire, avant de disparaître, d’un habit confectionné avec des peaux d’animaux. Les rapports qui se créent souvent entre vos personnages sont un mélange de bestialité et de désir de douceur. Est-ce l’imperceptible frontière entre « civilisation » et « barbarie » que vous tentez de saisir ? Barbarie qui semble prendre le dessus dans Une jeunesse de fer où vous donnez, à travers le personnage principal masculin – un membre du parti –, une image d’une société qui s’enfonce dans le totalitarisme, tandis que le personnage principal féminin, une jeune fille de 14 ans, se perd dans ses propres démons.

    T.L. Oui, le rapprochement avec les animaux est exact. Je cherche la frontière, l’endroit où se rencontrent l’homme qui évolue dans un monde où prévalent des règles et des conventions, et l’homme qui voudrait évoluer dans un monde sans règles ni conventions. Une sorte de frontière entre civilisation et sincérité totale, laquelle peut d’ailleurs être aussi bien bonne (manifestation de l’amour) que mauvaise (l’éventuelle envie de tuer).

     

    D.C. Dans de nombreux passages de votre œuvre, l’eau joue un rôle primordial : la noyade des deux frères à la fin du roman Gran Café Boulevard  – quand leur voiture sombre dans l’eau – noyade qui se prolonge sur plus de 10 pages ; dans une de vos nouvelles, la belle femme que l’on retrouve à moitié dévêtue et morte, cadavre pris dans un bloc de glace translucide ; dans Une jeunesse de fer, la rivière où se baignent les enfants et le lac qui est le théâtre des premiers jeux sexuels des adolescents ainsi que d’un drame ; la cascade où, dans une scène de quasi-crucifixion, le jeune Adoain du Petits-fils de Dieu en personne se lave avec son père. Mais presque toujours, l’eau semble synonyme de mort. Une damnation – le fatum de Couperus ? – pèse-t-elle sur vos personnages, y compris quand le personnage est un zeppelin comme dans le roman « turc » Dünya ?

    T.L. Je ne sais pas nager. Dans mes cauchemars, je me suis souvent vu au volant d’une voiture dont je perdais le contrôle et qui finissait dans l’eau. Cela ne présente guère d’intérêt pour le lecteur, mais c’est peut-être une clé pour comprendre pourquoi l’eau est liée à la mort dans mes livres.

     

    D.C. Quel sens faut-il donner à l’une des thématiques que vous affectionnez : l’ambiguïté des attirances, tant celle que peut éprouver un homme pour une jeune fille que celle d’une femme mûre pour un garçon, tant celle que peut éprouver une adolescente pour un gamin que celle d’un cousin pour sa cousine ?

    T.L. L’attirance, l’amour, les flirts, tout cela se produit souvent entre des personnes qui, d’un point de vue social, auraient mieux fait de ne pas se rencontrer. Un thème présent chez les auteurs grecs ou encore chez Shakespeare. La littérature présente souvent des relations amoureuses tendues. Décrire un couple qui vit une relation harmonieuse – relation que je souhaite à tout le monde – ne présente aucun risque sur le plan romanesque. Or, le romancier cherche le danger.

     

    couverture de la version originale

    du Petit-fils de Dieu en personne

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    D.C. Quels sont vos liens exacts avec l’Espagne ?

    T.L. Dans un pays bien comme il faut comme la Hollande, toutes les règles sont assez claires. La littérature, du moins la littérature telle que je l’envisage, tire profit de lieux et d’époques où les règles et les mesures sociales ne sont pas aussi précises. Un exemple : dans la Turquie chaotique des années 1920, voler un enfant puis l’éduquer, ainsi que le font les deux personnages masculins du roman Dünya, se révèle plus simple que dans la Hollande d’aujourd’hui où tout est réglementé (police, instances compétentes en matière d’adoption, choses permises et choses interdites, attribution d’un logement, etc.). Voilà pourquoi je retiens souvent un environnement où règnent des tensions et où certaines difficultés perturbent le quotidien. Il y a deux régions du monde que je connais bien, pour y avoir séjourné et voyagé, à savoir l’Espagne et la Turquie. L’Espagne de l’époque franquiste et celle des revendications basques, ainsi que la démocratie chancelante qu’est la Turquie avec entre autres problèmes la question Kurde, m’offrent un large éventail, beaucoup de possibilités. Pour le reste, je n’ai aucun lien particulier avec ces deux pays.

     

    D.C. Vous écrivez en néerlandais. Beaucoup d’écrivains (Pessoa, Hafid Bouazza, Cioran...) considèrent la langue dans laquelle ils écrivent comme leur patrie. Que représente pour vous, en tant que poète et en tant que romancier, la tradition littéraire néerlandaise, vos prédécesseurs et vos contemporains d’expression néerlandaise ?

    T.L. La littérature néerlandaise est celle que je connais le mieux. J’aime cette littérature. En écrivant, je m’inscris dans cette tradition. J’en suis tout à fait conscient et me sais grandement redevable à nombre de mes prédécesseurs. J’admire certains poètes et certains prosateurs auxquels je me réfère volontiers : P.C. Hooft (1) et Constantin Huygens (2), contemporains et admirateurs du poète anglais John Donne, auteurs de belles poésies sur le thème de l’amour ; M. Nijhoff (3), le premier vrai moderniste de la poésie néerlandaise ; Paul van Ostaijen (4), créateur d’une forme saisissante, et plus encore Lucebert (5), leur continuateur à eux deux ; Simon Vestdijk (6), dont j’ai beaucoup lu et étudié les romans, ou encore les premières œuvres de W.F. Hermans (7).

    Mais je regarde aussi ailleurs. Ce n’est pas un hasard si j’aime séjourner à Paris ou à Berlin quand j’écris un roman. Ainsi, je dispose du recul et de l’isolement nécessaires. Durant ces périodes, je lis de préférence des auteurs étrangers – il y a une certaine crainte qui joue en moi, celle d’être influencé par des écrivains néerlandais. J’essaie de me hisser au niveau de ces auteurs étrangers. Je veux prendre exemple sur eux et m’inspire de leur travail (Shakespeare, Nabokov, Gombrowicz, Boulgakov, Jelinek…).

     

    D.C. Quelle place accordez-vous à chacun des genres que vous pratiquez ?

    T.L. Les essais que j’ai écrits portent pour la plupart sur des romanciers et des poètes néerlandais. Une façon pour moi de me situer par rapport aux autres auteurs. Ma poésie se base, tout comme mes romans et nouvelles, sur l’émotion et la force de suggestion. Toutes deux s’allient alors avec la langue et les mots, tandis que dans les romans, elles sont au service de la narration. En écrivant un poème, je m’efforce de conférer le plus de singularité possible à la langue, sans rien perdre de l’expressivité. Chose bizarre, je suis incapable d’écrire des poèmes quand un roman est en chantier. Celui-ci réclame tout de moi ; c’est un travail considérable car il me faut avoir en permanence en tête, pendant un  an et demi à deux ans, les multiples fils narratifs. Quand je ne travaille pas à un roman, c’est les vacances : la poésie peut se présenter par vagues.

    Qu’on le veuille ou non, la poésie reste un genre élitiste. C’est justement ce qui la rend si singulière. Les romans ont un lectorat beaucoup plus large, mais ils n’ont pas la pureté que peut avoir un poème. Toutefois, il arrive qu’un roman présente des éléments de grande valeur. L’émotion est plus à la portée du roman, la beauté pure plus à la portée de la poésie.

     

    (1) P.C. Hooft (1581-1647), poète, dramaturge et historien, l’un des grands écrivains du Siècle d’or, auteur entre autres des Nederlandsche Historien.

    (2) Constantin Huygens (1596-1687), autre grand poète du Siècle d’or, fils de Christian Huygens.

    (3) Paul van Ostaijen (voir sur ce blog dans la catégorie « Poètes & Poèmes »).

    (4) Martinus Nijhoff (voir sur ce blog dans la catégorie « Poètes & Poèmes »).

    (5) Lucebert (1924-1994), poète et peintre, membre du groupe CoBrA.

    (6) Simon Vestdijk (1898-1971), romancier, essayiste et poète. Plusieurs de ses romans ont été (ré)édités aux éditions Phébus

    (7) Willem Frederik Hermans (1921-1995), romancier, essayiste et pamphlétaire. Auteur de La Chambre noire de Damoclès (Gallimard, 2006) et de Ne plus jamais dormir (Gallimard, 2009).

     

    Tomas Lieske à propos de son roman Alles kantelt (NL)

     

     

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  • Penser est une jouissance

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    Willem Jan Otten,

    brillant touche-à-tout

     

    Né à Amsterdam en 1951, Willem Jan Otten excelle dans tous les genres : poésie, théâtre, roman, essai, critique… Passionné de cinéma auquel il a consacré de nombreux textes, il a publié ces dernières années des essais sur des thèmes éthiques, par exemple l’euthanasie. Dans son œuvre imposante, la philosophie, l’Antiquité ne sont jamais très loin. Voici une dizaine d’années, sa conversion au catholicisme a ébranlé l’intelligentsia hollandaise devant laquelle il s’est expliqué en tenant un discours au sous-titre emprunté à Friedrich Schleiermacher : Le Miracle des éléphants en liberté. Discours aux personnes cultivées d’entre les mépriseurs de la religion chrétienne.

     

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    La création artistique, le doute pétrinien, l’incarnation, le regard lévinassien sont au cœur de sa seule œuvre disponible en français : La Mort sur le vif, roman publié aux éditions Gallimard en 2007, qui narre, à travers les yeux d’une toile, la crise que traverse un artiste peintre.

     

    « Objets de contemplation voués à la passivité ? Pauvres peintures ! Mais que se passerait-il si elles pouvaient “voir” et, surtout, dire ce qu’elles voient ? Donner la parole à une simple toile, c’est l’option qu’a choisie Willem Jan Otten. Du rouleau entreposé chez un marchand jusqu’à l’atelier du peintre où, après une pose sur cadre et une attente angoissante, les premiers coups de pinceau se posent sur sa surface, c’est à une narration pour le moins atypique que nous convie l’écrivain hollandais, à mi-chemin entre un récit impersonnel – ce n’est qu’un objet – et subjectif, puisque la toile n’est pas dénuée d’affects. Le support, doué d’un sens assez aigu de l’observation puisque c’est son seul passe-temps, décrit ainsi scrupuleusement – parfois jusqu’au voyeurisme – toutes les étapes de son achèvement entre les mains de “Créateur”, artiste ambitieux et à la mode, spécialisé dans le portrait réaliste de commande. Le paradoxe, c’est que si la toile “voit”, elle ne peut se contempler elle-même et ainsi suivre les progrès concrets de la dernière mission de son démiurge : rendre à la vie un jeune garçon décédé pour un vieux et riche collectionneur. L’art, plus fort que la mort ? Dangereuse question. »

    Boris Senff

     

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    «Pris dans la toile», La Gazette Nord-Pas-de-Calais, 19 avril 2007

     

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    « Le tableau qui parle et qui juge », Le Temps, 7 avril 2007 

     

      

    « Une toile est née », Mathieu Lindon

    www.liberation.fr/livres/010195348-une-toile-est-nee

     

    couverture d'une réédition néerlandaise du roman

    peinture,création,willem jan otten,roman,gallimard« L’énigme et la question de la mise en scène, voilà bien les deux thèmes centraux de l’œuvre de Willem-Jan Otten. Il est possible de les scinder en deux : le savoir opposé à l’ignorance, le choix opposé à la contrainte. Le premier couple occupe la place principale dans la première période de l'écrivain ; il se rapporte au désir paradoxal qui habite l’homme. Ce dernier veut tout savoir en même temps qu’il veut garder bien des secrets. Il craint en effet que ce qu’il sait ne lui offre aucun surcroît de bonheur. L’amour est aveugle et quiconque pose un regard perçant sur les choses ne peut plus aimer. Le savoir ultime porte sur les choses dernières, la mort. Un savoir qui se fait mission : “La connaissance est sentence, dit le docteur Loef [personnage d’un roman de W.-J. Otten]. L’impossibilité de guérir quelqu’un, ce n’est pas seulement un fait, c’est aussi une décision. Qu’il faut exécuter.” Ceci nous amène au second couple, la tension entre vouloir et devoir qui occupe la place centrale dans les œuvres d’Otten depuis 1997. Dans sa conférence De fuik van Pascal (Le Piège de Pascal, 1997), Otten critique la croyance contemporaine dans le libre choix et dans la toute-puissance de l’individu. Il suggère que l’homme “n’est pas sa propre œuvre”, autrement dit qu’il existe des puissances qui le dépassent. »

    Bart Vervaeck,

    « Respecter l’énigmatique : l’œuvre de Willem Jan Otten »

    Septentrion, 2007, n° 1, p. 25-31

     

     

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    La revue Deshima publie dans son numéro du printemps 2009

    un récit de Willem Jan Otten portant sur le thème de la paternité

    « Chronique d'un fils qui devient père »