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Escapades - Page 2

  • Un Hollandais chez Francis Jammes

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    VISAGES DE FRANCIS JAMMES

    À PROPOS DES CAHIERS FRANCIS JAMMES  n° 2-3

     

     

    À la fin de l’été 1920, un auteur donnant sa prose à un grand quotidien néerlandais voyage dans les Pyrénées. Il en profite pour rendre visite à Francis Jammes. Traduire son témoignage – traduction qui vient de paraître dans les Cahiers Francis Jammes n° 2-3 (octobre 2014, p. 112-116), accompagnée de documents relatifs au poète et à la Flandre –, nous a incité à effectuer un petit tour d’horizon de la réception de l’œuvre de ce dernier dans les terres néerlandophones. Voici ce défrichage tel qu’on peut le lire aux pages 105-111 du même double numéro consacré au Béarnais (voir sommaire ci-dessous ou ici).

     

     

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    Un Hollandais chez Francis Jammes

     

     

    Été 1920. Effectuant un voyage dans les Pyrénées, le correspondant parisien de Het Vaderland – quotidien haguenois qui a existé de 1869 à 1982 et a joui d’une belle réputation dans les milieux cultivés grâce à la collaboration de grandes plumes – fait, plusieurs semaines de suite, le récit de ses pérégrinations. Le 3 septembre (édition du soir, p. 5), dans la deuxième de ses six livraisons (« Pyreneesche reis. II. In Orthez bij Francis Jammes »), il revient sur la visite qu’il vient de rendre à Francis Jammes – près d’un an donc avant le témoignage laissé par Marcel Provence dans la Revue universelle du 15 août 1921.

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    Les divers documents – archives d’associations de journalistes et autres – auxquels nous avons pu avoir accès ne nous ont pas permis de mettre un nom sur l’auteur de cet article, aucune contribution du correspondant parisien n’étant signée à l’époque en question. Il est tentant de songer à Jan Walch (1879-1946), homme de lettres féru de théâtre, sensible à la littérature d’inspiration religieuse, amené à se rendre à Paris dans son rôle de critique dramatique et littéraire de Het Vaderland de 1909 à 1916 ; ce francophile, qui occupait en 1920 des fonctions universitaires à Leyde, disposait sans doute de suffisamment de temps pour sillonner la France, mais on imagine mal la rédaction cachant son identité. Johannes van der Elst (1888-1948) – attaché à la dimension spirituelle des œuvres littéraires ainsi qu’en témoigne son volume Écrivains protestants français d’aujourd’hui (1922) –, Johannes Tielrooy (1886-1953), romaniste lui aussi, mais plus enclin à s’enthousiasmer pour des écrivains comme Voltaire, Barrès, Valéry ou Renan que de l’auteur des Géorgiques chrétiennes, n’ont pas, à notre connaissance, collaboré de façon suivie à un quotidien néerlandais. Reste alors Charles Snabilié (1856-1927) qui a, pour sa part, vécu plus d’un quart de siècle à Paris en tenant des rubriques dans Het Nieuws van den Dag ainsi que dans Het Vaderland. Toutefois, la facture et la teneur de ce « Voyage dans les Pyrénées. II. À Orthez chez Francis Jammes » ne corroborent guère pareille attribution. Si Snabilié s’est adonné aux belles-lettres – il a laissé un roman à clef sur le Paris de la fin de siècle dont certains personnages ne sont pas sans rappeler Catulle Mendès, Rachilde, Kees van Dongen, Saint-Georges de Bouhélier, etc. –, ses comptes rendus de voyage, ses goûts et son âge ne concordent pas avec le présent texte.

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    Quoi qu’il en soit, un peu plus tôt, le 18 février de cette année 1920, alors qu’il séjourne sur la Côte d’Azur, le même correspondant écrit, depuis Nice où il vient d’arriver après avoir voyagé de nuit en troisième classe : « Je ne trouve jamais le temps de lire si ce n’est dans le train. Il faut dire que j’étais en compagnie du nouveau volume de Francis Jammes : Le Poète rustique. Je n’ai jamais été plus heureux, même dans mon malheur, que lorsque j’ai découvert les premiers vers et contes de ce poète. J’ai retrouvé dans le présent livre bien des thèmes des œuvres anciennes ainsi que, çà et là, des choses qui m’ont de nouveau ému [1]. » C’est probablement cet homme très au fait des lettres françaises de l’époque, qui déplore, dans une chronique parisienne consacrée à l’actualité théâtrale, ne pas trouver chez Henri Ghéon « l’étincelle sacrée du génie » présente chez un Jammes ou un Claudel [2]. Les 23 juillet et 31 décembre 1921, une fois les éloges renouvelés, le journaliste émet cependant des réserves sur les derniers écrits du Béarnais, en particulier à propos du Tombeau de Jean de La Fontaine ; il regrette le « jeune Jammes » – tout de même en partie présent dans les Poèmes mesurés –, celui dont « le sentiment de la nature n’était pas encore rogné par les pratiques d’une brave dévotion ». L’enchantement est de retour dans Het Vaderland du jeudi 27 avril 1922 (« Literaire Notities ») à propos de la parution, dans La Revue universelle, de L’Amour, les Muses et la Chasse : « Avec une rare délicatesse et une rare mesure, le poète évoque ses années de lycée à Bordeaux, son amitié avec Lacoste, les plaisirs que lui procure la botanique, – et plus encore, parallèlement à la création des premiers poèmes, la découverte de ses premières et tendres muses que l’on retrouvera, immortalisées, dans les magnifiques recueils De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir et Élégies. » Le critique de terminer en tronquant une phrase du deuxième volume des Mémoires : « Avec la noblesse et la simplicité que Lacoste met à faire ses toiles, il entend lui-même composer ses vers : ‘‘Ce qui est primordial, c’est le sacrifice qui rend plus haute la pensée, plus nette l’image.’’ »

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésieS’il est question, dans l’article paru le 3 septembre 1920, d’un cercle d’admirateurs de Jammes toujours plus large aux Pays-Bas, il faudra cependant attendre la fin de la deuxième guerre mondiale pour que quelques œuvres significatives du Français voient le jour en néerlandais. Au total, quatre traductions seulement ont paru dans cette langue :

    Korte levensschets van Guido de Fontgalland (La Vie de Guy de Fontgalland), adapté et augmenté d’une neuvaine par W. de Voort, La Haye, Cedo Nulli, 1931, 28 p.

    Kerk in bladergroen (L’Église habillée de feuilles), trad. et introduction Anton van Duinkerken, Utrecht, Spectrum, 1945, 56 p.

    Het crucifix van den dichter (Le Crucifix du poète), trad. Jos Nyst, illus. A. P. Stokhof de Jong, Heiloo, Kinheim, 1947, 85 p.

    De roman van de haas (Le Roman du lièvre), trad. Jean Duprés, Amsterdam, Van Oorschot, 1949, 51 p.

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésieUne traduction du Rosaire au soleil (Rozenkrans in het zonnelicht) a été réalisée sans jamais trouver d’éditeur. On relève par ailleurs diverses publications qui contiennent un ou deux poèmes, voire de courts passages de l’œuvre en prose en version néerlandaise. Ainsi, sous le titre « Le sacrifice de Francis Jammes », la romancière Marie Koenen (1879-1959) propose sur plus de deux colonnes des extraits d’une lettre du père qui a confié son fils au supérieur de l’abbaye Saint-Wandrille (« Het offer van Francis Jammes », De Tijd, 13 janvier 1933). Dans sa préface à la traduction de L’Église habillée de feuilles, Anton van Duinkerken (1903-1968), figure en vue de l’intelligentsia catholique de la Hollande du XXe siècle, reprend pour sa part une page que Jammes a consacrée à sa conversion dans la Revue de la Jeunesse (25 octobre 1913). Ce poète et essayiste, qui a renoncé à la prêtrise pour privilégier sa vocation littéraire, raconte dans ses Brabantse herinneringen (Souvenirs brabançons, 1964) que c’est un de ses professeurs du séminaire qui lui a fait connaître, dès 1916, les œuvres de Péguy, Claudel et Jammes. Ces poètes annonçaient, selon Van Duinkerken – lequel a par ailleurs, dans son rôle de critique littéraire, consacré trois articles à Jammes dont un « In memoriam » –, le temps où « la foi chrétienne, si longtemps évincée des sommets de la culture, allait de nouveau remplir sa mission vivifiante ». À ce sujet, il ne faut pas oublier qu’en Hollande, les catholiques, longtemps considérés comme des citoyens de second plan, ont dû attendre le milieu du XIXe siècle pour recouvrer la possibilité d’accéder à de hautes fonctions dans la société ; de fait, ce n’est qu’au cours de l’entre-deux-guerres qu’on a assisté à un renouveau de cette spritualité dans les arts, sous l’influence d’un Jan Toorop, d’un Frederik van Eeden ou d’un Pieter van der Meer de Walcheren, filleul de Léon Bloy. Les écrits de ce dernier ont d’ailleurs recueilli aux Pays-Bas un plus large écho que ceux de Francis Jammes. 

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésieToutefois, l’auteur du Deuil des primevères y comptait effectivement des admirateurs de premier rang. J. C. Bloem (1887-1966), poète majeur, a composé vers mai 1910 un poème qui s’intitule « Francis Jammes ». Le patronyme réapparaît dans son « Ode » datée du 3 décembre 1914. À ses yeux, le Français est l’un des rares contemporains, avec Yeats et le Hollandais Jacob Israël de Haan (1881-1924), à avoir accompli la tâche par excellence du poète : écrire un poème débarrassé de toute rhétorique – en particulier de la rhétorique « moderne », la pire qui soit –, et qui, dans sa « nudité », s’approche de très près de la prose tout en conservant quelque chose d’indéfinissable qui fait qu’il est et reste un poème. Un essai dédié à ce même J. C. Bloem par Simon Vestdijk (1898-1971), impressionnant essayiste et romancier « qui écrivait plus vite que Dieu ne peut lire », athée déclaré, célèbre de belle façon le Béarnais en estimant que celui-ci à touché à la perfection dans ses quatrains [3]. Moins réputé que J. C. Bloem, mais néanmoins talentueux, A. Marja (1917-1964) a lui aussi composé un poème en l’honneur de l’Orthézien, dans une veine toute jammiste : « De dichter bidt » (Le Poète prie). L’œuvre de Francis Jammes a par ailleurs exercé un réel ascendant sur Pierre Kemp (1886-1967), écrivain de Maastricht, qui le plaçait sur le pinacle, en compagnie de Verlaine et de Mallarmé. Son frère, Mathias Kemp (1890-1964), a laissé un roman – De bonte Storm (1929) – dans lequel il est question d’une femme qui adore « la poésie et le théâtre français. Sully Prudhomme, Rostand et Jammes étaient ses auteurs préférés ». Autre auteur recourant à un personnage qui vénère Jammes : Louis de Bourbon (1908-1975), arrière-petit-fils du célèbre Naundorff. Dans sa nouvelle Eric van Veen’s angstige leven (1936), le narrateur lit à son ami Eric le poème Un jeune homme qui a beaucoup souffert… Quant à J. W. F. Werumeus Buning (1891-1958), il a rendu hommage au rustique Pyrénéen en composant une ballade sur un âne (« Kleine ballade van de schreeuwende ezel »). On pourrait citer d’autres noms, par exemple Herman van den Bergh (1897-1967), P. N. van Eyck (1887-1954) ou bien le catholique Henri Bruning (1900-1983), lequel a retenu un vers de « La Grande nuit [4] » (« Jérusalem pour Toi fut pleine de sanglots ») en exergue à son poème « Jean-Baptiste-Marie Vianney ». Toujours en ce qui concerne les Pays-Bas, et sans faire état des nombreux articles nécrologiques, mentionnons encore quelques références : du spécialiste de Vondel, C. R. de Klerk, un essai en cinq parties sur les Géorgiques chrétiennes dans la revue Van onzen tijd (1916-1917) ; sous la plume de l’essayiste Bernard Verhoeven, un « Francis Jammes » consacré en particulier au Poète rustique [5] ; du romaniste Martin Permys, « Francis Jammes’ gedenk- schriften [6] », une critique sévère de De l’Âge divin à l’Âge ingrat ; de l’ancien anarchiste Alexandre Cohen un témoignage sur La Brebis égarée au Théâtre de l’Œuvre (« Toneel te Parijs », De Telegraaf, 24 avril 1913, édition du soir, p. 5) ; enfin, dans l’Algemeen Handelsblad du 11 janvier 1923, un compte rendu également assez détaillé de la conférence tenue la veille à Amsterdam, à l’invitation de l’Alliance française, par Joseph Delpech sur « Francis Jammes et le Béarn ».

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    l'article d'Alexandre Cohen sur F. Jammes

     

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésieDu côté des Flamands d’expression néerlandaise, certains ont également placé une de leurs œuvres sous l’égide de l’auteur de Pomme d’Anis. On songe en parti- culier au fascinant Maurice Gilliams (1900-1982) : le « premier cahier » de son roman Elias of het gevecht met de nachtegalen (1936, traduit par Saint-Rémy en 1968 sous le titre Élias, ou le Combat contre les rossignols) porte en épigraphe : « La poésie que j’ai rêvée gâta toute ma vie. Ah ! Qui donc m’aimera ? », extraite du Triomphe de la vie, qui résume à la perfection le dilemme habitant le personnage central : le désir de se rapprocher d’un autre être, contrarié par l’incapacité à concilier imaginaire et réalité. Un autre natif d’Anvers, Jan van Nijlen (1884-1965), a lié son nom à celui de Francis Jammes. Après lui avoir consacré un essai en 1912 puis une monographie (Francis Jammes, Leyde, A. W. Sijthoff, 1918), il l’a mentionné régulièrement dans les critiques qu’il a pu écrire.

    Lettre de Jammes à Van Nijlen, 28/08/1919

    (coll° AMVC-Letterenhuis)

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésieSi Van Nijlen est considéré comme l’un des poètes majeurs du XXe siècle flamand, Paul van Ostaijen (1896-1928) occupe pour sa part, aux yeux de beaucoup, la toute première place. Dans son recueil Het sienjaal (1918), on trouve, juste après « Marcel Schwob », un poème intitulé « Francis Jammes » dont Maurice Carême a donné une traduction (Les Étoiles de la poésie de Flandre. Guido Gezelle, Karel van de Woestijne, Jan van Nijlen, Paul van Ostaijen, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1973, p. 183). Autre figure de premier plan, Karel van de Woestijne (1878-1929) est tombé sous le charme du chantre d’Orthez ; on a pu dire que ce poète était un « Jammes virgilien ». Lui-même a bien souvent évoqué le Béarnais dans la chronique littéraire qu’il tenait pour le quotidien hollandais Het Nieuwe Rotterdamsche Courant (par exemple « Francis Jammes : Monsieur le Curé d’Ozéron », 23 mars 1919). Des écrivains moins prestigieux ont également reconnu l’originalité de l’œuvre de Jammes. Ainsi, le prêtre Cyriel Verschaeve (1874-1949), figure incontournable du Mouvement flamand, écrit-t-il dans une lettre rédigée en français : « J’ai toujours aimé la France, pas son gouvernement, mais sa pensée, son noble caractère, ses grands écrivains : Pascal, Molière…, jusqu’à Verlaine, Jammes et Claudel mêmes. » Une empreinte jammiste est visible dans un recueil comme De Avondgaarde (1903) de Victor de Meyere (1873-1938) ou de nombreux poèmes d’August van Cauwelaert (1885-1945). Notons encore que l’Anversois Armand Willem Grauls (1889-1968), poète aujourd’hui oublié, a salué Jammes dans In den tuin (Dans le jardin), évocation candide du fragile bonheur familial.

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésieLes quelques auteurs mentionnés ci-dessus – auxquels il conviendrait sans doute d’ajouter les noms de certains artistes, par exemple les Flamands Camille Melloy, poète et traducteur qui privilégia la langue française – il a consacré 40 pages à Jammes dans son recueil d’essais Le Beau réveil (1922) –, et Alfons Stout, compositeur qui, en 1946, mit en musique « Souhait » (« Comme l’oiseau endormi… ») –, montrent que l’œuvre de Jammes a marqué bien des esprits en Hollande comme en Flandre, et pas uniquement dans les milieux catholiques, même si les revues et la presse confessionnelles lui ont bien entendu accordé une attention plus soutenue que les autres journaux et périodiques [7]. Nous parlons d’une époque où la grande majorité des écrivains d’expression néerlandaise lisaient le français dans le texte ; cette connaissance de notre langue, la simplicité apparente de la prosodie jammiste, mais aussi, dans une certaine mesure, la dimension religieuse de l’œuvre, expliquent certainement le peu d’empressement que l’on a montré à la traduire. Les cercles cléricaux ont préféré faire passer en néerlandais des dizaines de livres d’Henri Ghéon. Aujourd’hui, quelques textes de l’auteur des Clairières dans le ciel résonnent encore à l’occasion dans ces contrées septentrionales. Deux pièces de ce recueil ont par exemple été diffusées le 13 avril 2007 sur Radio 4 (l’équivalent hollandais de France Musique) dans le cadre d’une série d’émissions consacrées à Lili Boulanger – en 1939, les deux artistes avaient fait l’objet d’un article signé par le compositeur Wouter Paap (1908-1981) [8]. En juin 2009, on a lu, dans les deux langues, quelques poèmes de Jammes à la Maison Descartes d’Amsterdam. Relevons encore, pour ce qui est de la présence du Béarnais dans ces terres, que le célèbre éditeur de Maastricht A. A. M. Stols a publié deux volumes de sa correspondance [9]. 

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    F. Melchers, Avril

    (recueil L'An de Th. Braun)

     

    Quelques mots, pour finir, sur l’article de 1920. Il y est bien entendu question du voyage que Francis Jammes a effectué en Flandre et en Hollande vingt ans plus tôt. Parmi les amis que le poète mentionne apparaît le nom de Melchers. Il s’agit de Franz M. Melchers, artiste tombé dans l’oubli et absent de la plupart des encyclopédies des peintres, bien qu’on l’évoque encore en tant qu’illustrateur du recueil L’An (1897) de Thomas Braun. Ce Hollandais frêle et de petite taille, cigarette toujours collée aux lèvres, avait des ancêtres français, néerlandais, javanais et de Bohême. Né le 16 avril 1868 à Münster, neveu d’un cardinal célèbre, il a passé ses jeunes années en Allemagne et dans les Indes néerlandaises, a vécu et travaillé à Bruxelles (jusqu’en 1891 puis vers 1907-1908) – où il a fait ses gammes à l’Académie en 1889 avant d’acquérir seul la technique à force de travail –, à Londres (1891), à Oudenburg en Flandre-Occidentale (1892), à Veere sur l’île zélandaise de Walcheren (jusqu’en 1895 puis, à plusieurs époques de sa vie, dans d’autres localités des Pays-Bas : Delft, Volendam, Baarn, La Haye…), à Paris, à Nice, à Vienne, en Espagne et enfin, à partir de 1939, à Anvers où il s’est éteint le 18 mars 1944.

    F. Melchers

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésiePaysagiste et portraitiste apprécié, il a malgré tout connu plusieurs traversées du désert. Au tournant du siècle, Maurice Maeterlinck ainsi que son ami le romancier flamand Cyriel Buysse, peu habitués pourtant à écrire sur la peinture, lui ont chacun consacré une petite étude. F. Melchers, alors lié avec d’autres artistes flamands, était un familier de la Libre Esthétique. À l’occasion de la septième exposition organisée à Bruxelles (1er-30 mars 1900) par ce Cercle, il faisait partie des peintres exposés tandis que Jammes était l’un des conférenciers invités. Sans doute ont-ils pu à cette occasion converser longuement – en compagnie de leur ami commun Thomas Braun –, d’autant que le Néerlandais avait illustré quelques années plus tôt le poème « On dit qu’à Noël » (œuvre reproduite dans Le Spectateur catholique, décembre 1897).

    Daniel Cunin

     

     

    reproductions non légendées

    La biographie de l’écrivain Pierre Kemp : Wiel Kusters, Pierre Kemp. Een leven, Nimègue, Van Tilt, 2010.

    La biographie du poète et essayiste Jan van Nijlen : Stefan van den Bossche, Jan van Nijlen. De wereld is zoo schoon waarvan wij droomen, Tielt/Amsterdam, Lannoo/Atlas, 2005.

    La photo de la Place de la Poustelle est reproduite dans la monographie que Jan van Nijlen a consacrée à Francis Jammes.

     

    F. Jammes, photo dans  le livre de J. van Nijlen de 1918 

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésie[1] « Frankrijk. Naar de Riviera », Het Vaderland, 26 février 1920, édition du soir.

    [2] « Parijsch Tonneel », Het Vaderland, 6 mars 1921.

    [3] « Francis Jammes en zijn kwatrijnen », étude publiée en octobre 1936 dans le périodique Groot Nederland.

    [4] « La Grande Nuit », Les Géorgiques Chrétiennes, Paris, Mercure de France, 1912, chant III, p. 72-77.

    [5] Het Centrum, 17 décembre 1921.

    [6] Den Gulden Winkel, 1922.

    [7] Le quotidien Het Vaderland relevait, sur le plan idéologique, de la libre pensée et en rien d’une mouvance chrétienne.

    [8] « Francis Jammes en Lili Boulanger », Elsevier’s Geïllustreerd Maandschrift, p. 67-69.

    [9] Dialogue. Stéphane Mallarmé – Francis Jammes. 1893-1897, introduction et notes de G. Jean-Aubry, La Haye, 1940, et Francis Jammes et Valery Larbaud, lettres inédites, introduction et notes de G. Jean-Aubry, Paris/La Haye, 1947.

     

     

     Cahiers Francis Jammes n° 2-3 (octobre 2014)

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  • Mes traducteurs

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    Un poème d’Ewa Lipska

     

     

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    Ewa Lipska (Cracovie, 1945) appartient à la génération de l’après-guerre, née sur les décombres d’un pays mais aussi plus largement sur les décombres d’une civilisation tout entière. Elle a publié à ce jour une vingtaine de recueils de poésie, ainsi que des nouvelles et des pièces de théâtre. Sa poésie, visionnaire et d’inspiration catastrophiste par moments, reste toutefois résolument rationaliste et témoigne de notre temps en optant pour l’ironie et l’humour face au tragique de l’existence. Priorité est ainsi souvent donnée à la réflexion intellectuelle qui se développe en différentes formes d’expression du sujet, tels la lettre, le monologue intérieur, l’essai, la digression philosophique, la narration d’une histoire incluse dans l’Histoire. 

    ewa lipska,isabelle macor-filarska,traduction,poésie,traducteurs,pologneMoi / Ailleurs / L'Écharde (traduction du polonais par Isabelle Macor-Filarska & Irena Gudaniec-Barbier, postface Isabelle Macor-Filarska, Montpellier, Grèges, 2008) réunit trois recueils dans lesquels Ewa Lipska développe, avec une ironie qui tient à distance tout pathos, la possibilité du bonheur et la joie d’exister en dépit de la violence, de la solitude, de la mort, du mal. Dans ces pages, la dérision n’a pas disparu, mais le ton a changé pour laisser plus de place à une forme de bienveillance et d’amour de la vie tout concentré sur l’observation des changements de la société, tels l’om- niprésence de l’ordinateur, l’accélération du rythme de vie, les dérives théologico-politiques, le répondeur téléphonique qui nous parle de sa voix égale, filtrée, à la place de l’interlocuteur que l’on espérait entendre. L’accent est également mis sur l’aspect virtuel de la réalité, du monde dans lequel l’homme contemporain évolue et vit au quotidien. 

     

    Ewa Lipska & Isabelle Macor-Filarska

    (Club des Poètes, 20 juin 2009)

     

     

     

     

    Mes traducteurs

     

     

    Mes traducteurs. Eux. Prolongement de moi-même.

    Ma – Leur

    pile de temps sur la table.

    Confits de dictionnaires.

     

    Une matinée en cyrillique

    dans le nubuck d’un brouillard germanique.

    Une antilope romaine

    à l’orée de mon vers.

     

    Mes – Leurs

    voyages.

    Encore un chemin à rebours

    sans raison.

     

    Une greffe de mots

    de mes chirurgiens. La leur.

    Intraduisible

    pour ce bref poème.

     

    Et moi

    je fais l’amour dans tant de langues à la fois.

    Lettre après lettre j’absorbe l’humidité à Nasjö

    je rencontre dans la forêt mes poèmes bâtards.

     

    Ma – Leurs

    voix. Hésitations derrière les livres.

    Augures de l’abîme des pages.

    Syllabes qui décollent de Heathrow.

     

    Qu’hériteront-ils de moi ?

    Mon angoisse ? Mon appétit

    pour tout ce qui passe ?

    Pour le décolleté de la prairie ? Les champs violets        [d’améthystes ?

     

    Tandis qu’autour de nous

    ma – leur

    réalité perméable. Paradis des pirates

    des commères et des politiciens.

     

     

    Ewa Lipska, poème extrait d’Ailleurs

    traduit du polonais par Isabelle Macor-Filarska

     

     


    Ewa Lipska lit Newton’s Orange: Infinity

     

     

     MOI TŁUMACZE

     

     

    Moi tłumacze. Oni. Mój ciąg dalszy.

    Moja - Ich

    sterta czasu na stole.

    Konfitury słowników.

     

    Poranek w cyrylicy

    w zamszowej germańskiej mgle.

    Romańska antylopa

    na skraju mojego wiersza.

     

    Moje - Ich

    podróże.

    Jeszcze ścieżka á rebours

    bez żadnego powodu.

     

    Transplantacja słów

    moich chirurgów. Ich.

    Nie do przełożenia

    na ten krótki poemat.

     

    A  ja

    kocham się w tylu językach naraz.

    Literka za literką wchłaniam wilgoć w Näsjö

    spotykając w lesie moje nieślubne wiersze.

     

    Moje - Ich

    głosy. Wahania zza książek.

    Przepowiednie z przepaści stron.

    Startujące sylaby z Heathrow.

     

    Coś po mnie odziedziczą?

    Mój lęk? Mój apetyt

    na wszystko co przemija?

    Na dekolt łąki? Fioletowe pola ametystów?

     

    Kiedy wokół

    moja - ich

    nieszczelna rzeczywistość. Raj dla hakerów

    plotkarzy i polityków.

     

     


    Ewa Lipska lit Splinter

     

     

    Le poème « Moi tłumacze » et sa traduction « Mes traducteurs » ont été lus par Isabelle Macor-Filarska au cours de la Table ronde consacrée à la traduction dans le cadre des Présences à Frontenay 2014 (vidéo de Zoé Balthus).

     

     

     

     

     

  • Métiers Divins

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    Jean de Boschère

    salué par Camille Mauclair

     

     

     

    Max Elskamp qui aimait la taille des incunables et l’écriture chinoise nous vient de ces temps, de ces lieux où le geste artisanal devait accomplir la figure d’un texte. Il habillait lui-même ses vers de lettrines et d’ornements qu’il creusait dans le buis, le poirier. Parfois il sculptait tout un poème. C’est ainsi que les mots de Max Elskamp ont appris un poids, un contour, une saveur qui se souviennent des sèves fruitières.

    La plume court bien vite et les phrases de plume ont des caprices que la gouge refuse. Un mot cerné dans la tablette veut un effort, une fermeté où son pouvoir s’élabore avec ferveur. Il faut scruter et le verbe devient une matière.

    Norge

     

     

     

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    Né Belge en 1878, mort Français en 1953, l’écrivain et artiste graphiste Jean de Bosschère (1) a passé nombre d’années en Flandre, contrée qui occupe une place particulière dans son œuvre si éclatée : Max Elskamp (1914), Quentin Metsys (1907), Édifices anciens : fragments et détails, Anvers (1907), La Sculpture anversoise aux XVe et XVIe siècles (1909), Jérôme Bosch (1947 et Jérôme Bosch et le fantastique, préf. de Jean Cassou, Paris, Albin Michel , 1962), telles sont quelques-unes des études qu’il nous a laissées. C’est lui aussi, semble-t-il, qui a traduit le Frans Hals, sa vie et son œuvre  (1909) de l’historien amstellodamois Ernst Wilhelm Moes. Parmi les nombreux ouvrages que l’Enragé a illustrés, on relève Christmas tales of Flanders (1917) et Folks Tales of Flanders (1918).

    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littératureLe texte reproduit ci-dessous traitant de Métiers Divins est de la main du « polygraphe » Camille Mauclair (2) qui a lui aussi consacré bien des pages aux plats pays, la plupart dans une veine certes différente. À côté d’études sur Rembrandt, Maeterlinck, Théo van Rysselberghe, et sur Rodenbach dont il se sentait très proche, on relève dans sa bibliographie Trois Femmes de Flandre (1905, contes réédités sous le titre Âmes bretonnes deux ans plus tard), Le Charme de Bruges (1928) et La Hollande (1940). C’est aux Pays-Bas qu’il a situé l’action de son œuvre Nele Dooryn (1903) et à Bruges une partie du roman L’Ennemie des rêves (1900). Plusieurs de ses poèmes traduisent des impressions de ses différents séjours dans les terres septentrionales (par exemple « Soir d’Amsterdam »).

    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littératureLe livre Métiers divins a vu le jour dans la bibliothèque de l’Occident en août 1913, la plupart des « métiers » ayant paru dans l’Occident et dautres revues dès 1910 (Le Bourg, écrit à Londres entre 1915 et 1916, venant com- pléter cette série en 1922). D’autres que Mauclair ont exprimé leur enthousiasme au sujet de cette édition très soignée. Ainsi, Jean de Gourmont, frère de Rémy, a-t-il pu écrire dans le Mercure de France : « Je signalerai particulièrement, pour la rare qualité de son art, ce petit livre de M. Jean de Bosschère : Métiers Divins, qui est dédié à Max Elskamp ‘‘mon pauvre frère aîné’’. M. de Bosschère me semble en effet le plus pur disciple du poète imagier. Comme lui il burine les images de ses rêves et voici toute une série de bois qui nous donnent la figuration stylisée des métiers divins : le luthier, le potier, le jardinier, le poète, le maçon, l’horloger, l’imprimeur…, etc. Et j’aime cette divine promiscuité de tous les métiers : ‘‘Car ne doutez pas, écrit l’auteur, que le poète soit aux métiers, comme le boulanger, le potier et l’horticulteur. Inattendues, ses relations com- merciales avec les hommes, mais ses denrées tiennent longtemps leurs propriétés d’épa- nouissement.’’ »

    J. de Bosschère, enfant (coll° AMVC)

    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littératureDans la N.R.F. de mai 1914, Henri Ghéon estimait pour sa part : « Cette tension du style et de la métaphore que l’auteur doit à Suarès, semble se relâcher ici. Ici, M. Jean de Bosschère se rapproche davantage de son autre maître, Max Elskamp. Il célèbre les métiers avec moins de naïveté que l’admirable poète d’Anvers ; il sur- charge ses descriptions de considérations symboliques parfois inutiles. Mais la vision est souvent émouvante, en dépit de sa dureté, et j’aime quand l’esprit l’égaie, comme il arrive dans ce petit morceau : ‘‘Puisqu’ils ont mis une dure carapace de granit à la route, l’ingénieux maréchal-ferrant cloue une semelle de fer à l’âne et au cheval. Ils s’éloignent en sonnant des bottines, qui lancent des paillettes d’or ; et le dompteur du fer rentre dans l’enfer noir et rouge, dans la nue acre et la fumée de corne rôtie.’’ »

    J. de Boschère (coll° AMVC)

    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littératureQuant au critique belge Sander Pierron, il s’exprimait ainsi en 1920 : « Un peu plus tard, en 1909, l’imprimeur Buschmann, d’Anvers, tira, pour la Bibliothèque de l’Occident, à Paris, sur format in-16, les Métiers divins de Jean de Bosschère. Cet écrivain, un peu singulier, aux con- ceptions étranges, au style recherché et imagé, est un de ceux qui, en ces derniers temps, ont personnellement le plus fait pour la renaissance du livre d’art en Belgique. Ses ouvrages sont conçus et réalisés avec un goût raffiné, selon une typographie luxueuse, ornés de dessins de sa propre main, et par conséquent si conformes au texte, si intimement, nous dirions volontiers si mystérieusement en rapport avec lui. Les dessins pour les Métiers divins sont exécutés à la plume ; la technique spéciale leur donne l’apparence de xylographies. Les noirs y dominent : types d’artisans, natures mortes, portraits imaginaires, bêtes, paysages étoffés de figures ; dix-neuf vignettes où l’observation de la nature et la fantaisie d’une recherche toute aristocratique se marient, mélange de vérité et d’idéal, réalisme et mysticisme associés, clarté et ombre, netteté et inconnu, et partout cet accent singulier, cette bizarrerie, cette étrangeté qui donnent aux œuvres, écrites ou dessinées de cet homme de talent, un charme si spécial et qui doit tant au métier et à la pensée de Stéphane Mallarmé. »

      


    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littérature(1) Sur Jean de Bosschère illustrateur, on pourra lire dans Denis Laoureux (ed.), Peintres de l’encrier : le livre illustré en Belgique (XIXe-XXe siècle), Bruxelles, Le Livre & L’Estampe, 2009, la contribution de Véronique Jago-Antoine, « Sens dessus dessous : tribulations de l’image et du texte dans trois livres-ateliers de Jean de Boschère » p. 185-214 et celle de Céline De Potter, « Les illustrateurs belges en France de 1919 à 1939. Jean de Bosschère, Frans Masereel, Frans De Geetere, Luc Lafnet. Pratiques et réseaux », p. 155-183.

    Sur le livre Métiers divins et le reste de l’œuvre, on se reportera à l’étude fouillée de Christian Berg, Jean de Boschère ou le mouvement de l’attente, Bruxelles, ARLLF, 1978. Guy de Bosschère a évoqué son oncle dans « Portrait de l’artiste et de quelques membres de sa famille », Le Courrier du C.I.E.P., n° 199, été 1993.

    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littératureDe Jean de Bosschère lui-même, on pourra lire les Fragments du journal d’un rebelle solitaire, 1946-1948, texte établi et présenté par Yves-Alain Favre, Mortemart, Rougerie, 1978 ; Le Pays du merle bleu et autres pages de nature, choix et postface par Michel Desbruères, préface de Jean Cassou, Saint-Cyr-sur-Loire, C. Pirot, 1983, ainsi qu’une petite partie de sa correspondance : Max Elskamp et Jean de Bosschère : correspondance, introduction et notes de Robert Guiette, Bruxelles, ARLLF, 1963 (supplément publié en1970) et les Lettres de La Châtre (1939-1953) à André Lebois, Paris, L’Amitié par le Livre/Denoël, 1969. Les lettres que lui a adressées Joë Bousquet ont été publiées dans la Revue d’histoire littéraire de la France, mars-avril 1971.

    (2) Simonetta Valenti, Camille Mauclair, homme de lettres fin de siècle : critique littéraire, œuvre narrative, création poétique et théâtrale, Milan, Vita e Pensiero, 2003.

     

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    Franz Hellens, L’Art Moderne, 8 mai 1910, p. 148

     

     

     

    Jean de Boschère, The City Curious

     

     

     

    Métiers divins

      

     

    je bois avec extase et folie (le potier)

    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littératureJ’ai trouvé sur ma table un livre léger et précieux, doux en sa robe d’un violet profond et délicat, rare par le goût et le soin de ses moindres détails, un petit livre où rien n’imite l’ancien mais qui est plein de l’âme ancienne et semble vraiment avoir été fait avec amour par un artiste pensant et choisissant comme on ne pense ni ne choisit plus. Il m’a paru me venir de très loin, un peu comme si un ami l’avait trouvé dans quelque très vieille demeure de jadis, oublié en un meuble désuet et charmant, et me l’envoyait pour me faire plaisir. Cependant c’est un homme d’aujourd’hui qui a composé ce livre et l’a soigneusement organisé et revêtu : c’est Jean de Bosschère, que vous connaissez bien.

    épinglée

    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littératureEntré au-dedans du livre comme, après avoir un peu courbé la tête, on pénètre dans une salle basse, tiède et ombreuse, j’y ai éprouvé la même impression très douce d’ancienneté confidentielle. Il y a au fond un feu couvant qui rayonne et touche toutes choses de sa dorure magique : c’est une âme de poète, jetant par instants des éclats, mais plus souvent voilée de cendre et n’approchant la nôtre que par une ardeur sourde. Tout autour sont les objets qu’elle aime et dont elle nous parle : placée au milieu, elle leur insuffle sa vie subtile et brûlante. Jean de Bosschère a, dans ce livre, l’attitude repliée du songeur qui est chez soi, bien clos dans le décor resserré de sa pensée. Et il dit lentement, gravement, ce qu’il voit et ce qui le requiert.

    le poète dans le souk

    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littératureC’est un artiste et un mystique. C’est-à-dire qu’il évoque forcément d’autres noms d’artistes et de mystiques sincères comme lui, méditants et concentrés comme lui : car il n’y a qu’une certaine façon de dire des choses profondes et de rejeter l’inutile. En le lisant on pense à Suarès, à Claudel. Il ne les imite point, mais ce sont des parents de Jean de Bosschère. Je retrouve en son style leurs bonds musculeux et nerveux, leurs brusques ellipses, cette diction un peu farouche, cette aptitude avide à découvrir et à réunir des analogies qui semblent étranges, parce que nous sommes moins aptes à en constater rapidement les identités. Cependant Claudel et Suarès sont des fiers : Jean de Bosschère est plus doux et plus humble, et il se penche volontiers sur les très petites choses, avec la patience quiète d’un Henri Fabre. Il est aussi un imagier. Dans son livre, entre les feuillets, comme des fleurs séchées, on trouve de petites gravures sur bois qui sont d’une technique parfaite et d’un sentiment délicieux. Max Elskamp aussi en a parsemé ses poèmes ingénus et adorables, – Max Elskamp auquel ce livre est dédié, Max Elskamp que je n’ai pas revu depuis bien longtemps et que j’affectionne comme si je l’avais quitté hier… Vous avez bien de la chance de cacher encore dans vos Flandres aux beaux nuages des artistes comme ceux-là, qui ne « font » pas de l’art, mais le vivent avec la modestie et la science toute d’amour d’ouvriers en chambre, pour le silencieux plaisir de bien œuvrer.

    Ronsard

    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littératureEt voici Jean de Bosschère qui va philosophant à propos des métiers, rêvant, disant son mot ou ciselant sa page, parfois humoriste, plus souvent hanté de mélancolie métaphysicienne. Il écrit une langue très pure, un peu insistante et incisive, comme si tout le livre était tracé au burin sur des pages de bois ; son trait est net, il n’a pas de couleur mais un accent et un timbre. Il nous raconte le potier, le jardinier, le poète, le maçon, l’horloger, le boulanger ou le savetier, le menuisier et le graveur, le sculpteur ou le maraîcher. Pour lui tous les métiers sont divins, et il a bien raison, et ils le sont autant les uns que les autres en ce sens que chacun condense exactement autant de victoires sur soi-même et d’amour en ceux qui les exercent. Et comme tout est signes de signes, il n’est pas de geste professionnel qui ne soit au moins riche en allusions au Métier Divin par excellence, celui de l’homme obtenant ingénieusement sa vie de la Nature à force de cogitation et de labeur, sous toutes sortes de formes, applications des clauses innombrables de ce contrat unique.

    l'éternité

    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littératureJean de Bosschère se réfère à ce contrat pour dé- couvrir, dans chacun des métiers modestes dont la cohésion docile et l’exercice consenti nous font vivre, la part de noblesse et la species æterni, avec un respect ému pour les vieilles trouvailles qui fondèrent le bien-être et créèrent le cadre de notre existence civilisée. C’est à chaque page qu’il constate le charme de ces menuailles dont nous avons tous besoin et les annote de joliesses verbales, d’une préciosité archaïque, et parfois avec beaucoup de force. Ce n’est pas un impressionniste : l’évocation chez lui naît d’une attention minutieuse et de la volonté d’aller au profond et de bien tout situer. Écoutez ce qu’il dit du batelier de vos cités :

    le moine maraîcher

    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littérature« Et voici le batelier qui entre dans la cave des villes. Quai dans la ville lasse et mourante ; c’est le quai arrêtant l’ossuaire de la Grand’Place. Et à ses bases, la rivière se traîne entre deux murs spongieux, vaincus par l’érophile odorant la fleur de radis, le musc, la charogne et la tubéreuse. – Une rivière roulant nul murmure, passe sans réveiller la ville pas habitée, sauf par ce chien jaune flairant le panier du poissonnier. – Le batelier près du quai reconnaît l’heure à cette ombre s’avançant, qui peint en vert l’eau malade, et il attend que la peinture atteigne aux marches du caverneux escalier. Dès lors, il le sait, l’ombre bleue prendra le quai où rien ne remue ; puis les femmes avec des seaux grinçant comme les grues effarées descendront l’escalier sonore. Comme les moules vernies frapperont dans les seaux de fer, les couvents où le pain des prières est cuit, l’église, cheminée mystique, diront le ramage connu du repos de sept heures. – Le batelier attend les acheteurs soucieux et les rauques marchandes au gosier criant à la manière des sonnettes. Il reçoit les minutes incolores dans sa barque, grenouille brune gonflée de moules, et chargée des baumes odorant la mer vivante et le goudron.

    il traduit le manuscrit (l'imprimeur)

    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littérature« Les vieux pêcheurs se taillent la barbe grise en bandeau laineux et court. Leurs masques de cuivre jaune sont de naïves lunes dans une fraise de chimpanzé. Leurs yeux blêmes, au travers de quoi nous revoyons l’Océan qui peint ses marines, enfoncent leur regard dans l’eau au pied du mur vert, et les glissent jusqu’à la vase bitumeuse. Sur la vase gisent un arrosoir, une cruche, un éclat de miroir. – Le miroir est un mime implacable. Du fond des eaux il continue de peindre. Vous y découvrez, en miniature, le beffroi du XIVe siècle, les tympans des maisons, celle du notaire avec les bustes au fronton, l’autre où l’épicier vit pour vendre, la dernière qui est la bicoque du vannier. Voguant sur cette peinture de Memling, des essaims de poissons, comme un vol d’hirondelles automnales, strient de vergettes les pains de sucre bleuâtres, les paniers blancs, les bustes prétentieux.

    le fabricant de jouets

    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littérature« Le batelier attend, assis dans sa barque. La barque est la petite-fille de la terre ; les hommes industrieux sont ses pères. – Maintenant, la barque et l’eau se reposent parmi les ombres glauques : tout y plonge, immobile et vert, comme les simples d’une panacée dans les bouteilles d’herboristes.

    « Ores, l’instant appartient au pêcheur de moules. Il lève la tête jaune et blanche, – dégourdit ses mains de vieux cuir et sonnant comme un chapelet de bobines. Et, enfin, les cloches parlent, et font accoucher chaque maison d’une femme portant un seau ou une marmite.

    « Ensuite, l’homme au collier laineux a fini sa journée. Dans sa pipe il y a une perle de corail, et le soir, comme un peuple d’ombres roses semble naître de la pipe chaude du batelier.

    « L’eau se fleurit de nénuphars rouges, et le pélican ensanglanté verse son sang de poète sur les hommes. »

    le mosaïste

    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littératureJe ne pouvais pas fragmenter la citation : le morceau se tient trop bien. Il est onctueux, et doré, et compact, comme un intérieur d’Henri de Braekeleer, à la fois largement et minutieusement peint. Certaines notations abstraites y font parfois songer à la manière du capricieux et séducteur poète en prose qu’est Saint-Pol-Roux, encore un parent intellectuel de Jean de  Bosschère : mais ils n’ont en commun que la sûreté du trait, et l’autre est provençal, et celui-ci est bien de chez vous, orchestrant avec calme ses tonalités assourdies et mettant tout en place. Comme la vision s’ordonne bien, que cela sent le soir, le silence et l’eau ! Je pourrais vous citer le petit tableau du moine maraîcher, qui est ravissant et que seconde un bois non moins agréable, ou la note si fine et si juste prise en regardant le menuisier, ou celle sur la dentellière « qui pique son tableau de neige », ou d’autres… Mais j’aimerai mieux ne plus rien citer, parce que je gâterais votre joie à lire, et vous ferez très bien de lire et je souhaite vous le persuader, certain que vous goûterez vivement ce doux livre violet, et qu’il fera dans votre bibliothèque intime une complémentaire utile au jaune des autres volumes. Ce n’est pas un volume, c’est bien un livre, c’est-à-dire un objet d’art par la forme matérielle et la forme mentale, ce que ne sont plus les volumes, malheureusement. On se repentira tellement, un jour, d’avoir oublié que les livres, qui enferment la plus rare des joailleries, ne devraient pas être laids, et que le devoir de l’écrivain dure, au-delà du manuscrit livré jusqu’à la minute où la main d’autrui saisira son œuvre ! Ce jour-là, des feuillets comme ceux-ci attesteront une pitié et leur valeur sera grande. Jean de Bosschère est un artiste pieux. J’aime beaucoup Jean de Bosschère pour son caractère, son talent et la ferveur de son âme. Je ne l’ai jamais vu.

     

    Camille Mauclair

    L'Art Moderne, 19 octobre 1913

     

     

     

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    envoi de L.F. Céline à Jean de Bosschère sur un exemplaire de L'Église 

     

     

    les illustrations figurent dans Métiers divins et Le Bourg

     

     

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    Le coutelier

    (Le Bourg)

     

    La mâchoire est le couteau d’Adam. Le coutelier a imité ce couteau. Il n’a rien fait de plus.

    Court et large, le couteau se précipite dans la chair. Le couteau splendide est la limite infranchissable de la puissance de l’homme.

    L’assassin ou le soldat a des dents aiguës et dix ongles durs comme des griffes. Mais dans la paume de sa main il tourne le manche d’une grande griffe d’acier : c’est le poignard bleu.

    Sec comme du sable, il appelle le sang.

     

     


    Jean de Boschère, Don Quixote de la Mancha

     

     

     

  • Phraséologie euro-batave

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    Élections en Hollande

     

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    Aux Pays-Bas, ancien bastion calviniste, on ne vote pas le dimanche. Les élections européennes ont eu lieu ce jeudi 22 mai. Des isoloirs ont fleuri çà et là, par exemple dans les halls de gare. Ainsi, à la gare centrale de La Haye, le quidam pouvait poser les yeux, non sur des margoulettes  décrochées par un franc sourire, mais sur la liste des listes en course. Un échantillon :

     

    6. Groenlinks (Gauche verte)

    7. SP (Parti socialiste)

    8. ChristenUnie-SGP (UnionChétienne-Parti réformé orthodoxe)

    9. Artikel50 (Article50, sous-entendu l’article 50 du traité sur l’Union européenne)

    10. IQ, de Rechten-Plichten-Partij (Quotient intellectuel, le Parti des Droits et des Devoirs)

    11. Piratenpartij (Parti des Pirates)

    12. 50PLUS (Les Plus de 50 ans)

    13. De Groenen (Les Verts)

    14. Anti EU(ro) Partij (Parti anti-EU(ro))

    15. Liberaal Democratische Partij (Parti démocratique libéral)

    16. JEZUS LEEFT (Jésus vit)

    17. ikkiesvooreerlijk (jechoisisl’honnêteté)

    18. Partij voor de Dieren (Parti en faveur des Animaux)

    19. Aandacht en Eenvoud (Vigilance et Simplicité)

     

    Les bureaux de vote sont fermés.

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  • Le Flamand chez Maurice Vlaminck

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    « Maurice le Flamand »

    peintre et écrivain

    vu par les autres et par lui-même

     

     

    « Sous ses apparences d’Hercule forain, nul plus que Vlaminck n’a le sentiment aigu des choses, de leur profonde réalité. »

    F. Carco

     

     

     

    Maurice Vlaminck, F. Carco, André Salmon, Henri Béraud, Georges Charensol, peinture, littérature, Flandre, Flamand

     

    « Si le génie est irréductible à toute justification logique, il n’est pas interdit de chercher dans la vie de l’homme quelques éléments constitutifs de la personnalité de l’artiste. Les ancêtres de Maurice de Vlaminck (Maurice le Flamand) sont des marins hollandais. Le père de Vlaminck, professeur de piano, fit, à Paris, la connaissance d’une jeune pianiste et leur fils Maurice naquit le 4 avril 1876, dans le quartier des Halles. Toute sa vie il sera tiraillé entre son ascendance paternelle, à laquelle il doit son puissant tempérament et un goût de la liberté qui le conduira aux confins de l’anarchie, et l’influence puritaine de sa mère, protestante de stricte observance. La sévérité des jugements qu’il porte sur le monde qui l’entoure, ses goûts littéraires, ses colères contre la décadence de notre civilisation ne s’expliquent que si l’on sait qu’il fréquentait régulièrement dans son enfance le temple de Saint-Germain-en-Laye. Déjà, pourtant, son indépendance s’affirme et il réagit contre le milieu familial, d’une part en apprenant seul à jouer du violon au lieu de poursuivre des études régulières ; d’autre part en se passionnant pour le vélo.

    maurice vlaminck,f. carco,andré salmon,henri béraud,georges charensol,peinture,littérature,flandre,flamand« C'est en donnant des leçons de violon, en jouant dans des orchestres tziganes et en gagnant des courses de bicyclette qu’il fait vivre sa famille. Car il se marie et il a rapidement deux filles : ‘‘À Nous quatre, disait-il, nous n’avions pas quarante ans.’’

    « Son meilleur biographe, Florent Fels, signale un bourrelier du Vésinet qui, avec les couleurs brutales de son métier, traçait d’étranges portraits qui impressionnaient le jeune Vlaminck. Il s’essaie donc à la peinture.

    « En mars 1901 il reçoit le choc décisif : à la galerie Bernheim Jeune, il découvre Van Gogh. Il n’est pas douteux qu’il ait trouvé, dans les violences du Hollandais, une réponse aux questions qu’il se posait devant les œuvres qu’il peignait lui-même : ‘’Ce jour-là, a-t-il dit, j'aimais mieux Van Gogh que mon père.’’

    « Un autre événement important, c’est sa rencontre avec Derain. Dans son livre, Portraits après Décès, Vlaminck écrit : ‘‘Sans cette rencontre l’idée ne me serait pas venue de faire de la peinture mon métier et d’en vivre. Il n’est pas moins sûr que si Derain ne poursuivit pas ses études qui l'eussent mené à Centrale et fait de lui un ingénieur, c’est à cette même circonstance qu’il le doit.’’

    maurice vlaminck,f. carco,andré salmon,henri béraud,georges charensol,peinture,littérature,flandre,flamand« […] Cette maîtrise qui se reconnaît dans ses œuvres les plus abouties, il l’atteint pendant cette guerre de 1914 qui a été, pour lui aussi et bien qu’il n’ait pas quitté Paris, l’événement marquant de sa vie. Elle l’a conduit à s’éloigner de la capitale, à rompre avec Derain, à adopter une vision réso- lument pessimiste du monde et de la vie. Il abandonne son atelier de Montparnasse et va s’installer à Valmondois, le pays de Corot, de Daumier, non loin de cet Auvers où Van Gogh s’est suicidé.

    « Mais il est encore trop près de la ville où il fait des séjours de plus en plus rares et, en 1925, il va s’installer aux confins de la Beauce et du Perche. Là il découvre une vieille maison paysanne qui domine à peine le paysage doucement ondulé. Cet horizon immense lui rappelle ces plaines du Nord qu’il aime et d’où sa famille est sortie. Au loin, comme dans les Flandres, un glorieux beffroi : la baie de l’atelier qui s’ouvre largement sur la plaine révèle à l’horizon le clocher de Verneuil-sur-Avre. Une sorte de tour à deux étages justifie le nom de La Tourillère. C’est là qu'il est mort le 11 octobre 1958. »

    Georges Charensol, Les Grands maîtres de la peinture moderne,

    Éditions Rencontre, 1967

     

     


     

    « Parfois la nature n’en finit pas de nous surprendre ! Ainsi, Maurice de Vlaminck – bien que né à Paris – a pour parents un père flamand et une mère lorraine qui sont tous deux musiciens… Autant dire que le petit Maurice côtoie très tôt à la fois le milieu artistique et une certaine essence flamande qui auréole encore de nos jours les courants picturaux… Toutefois, ce futur grand peintre est un très mauvais élève. Il n’use pas beaucoup ses fonds de culotte sur les bancs de l’école et découvre la vie active par différents métiers : coureur cycliste, professeur de violon, journaliste (à l’esprit rebelle). Il se sent cependant titillé par l’envie de peindre et s’adonne à ce qui sera sa vraie grande passion dès 1899. Il a d’ailleurs d’excellentes fréquentations, dont celle de Derain ! Ils louent ensemble un atelier. Cinq ans plus tard, à force d’obstination, il commence à faire parler positivement de lui au point que Berthe Weill décide de lui octroyer une véritable publicité. Deux Salons l’accueillent alors : le Salon d’automne et le Salon des Indépendants. Il rencontre ainsi des surdoués de la peinture tels Marquet, Manguin, Matisse, Braque, Van Dongen… Les ‘'Fauves’’ enthousiasment littéralement de Vlaminck qui, malheureusement, ne mange pas toujours à sa faim…

    maurice vlaminck,f. carco,andré salmon,henri béraud,georges charensol,peinture,littérature,flandre,flamandLa roue finit par tourner et Vollard s’éprend du talent de l’artiste. Il lui achète tous ses tableaux. La guerre éclate, de Vlaminck est mobilisé et, contraint et forcé, abandonne momentanément ses pinceaux. Dès 1919, le succès est au rendez-vous. Il expose chez Druet. Ses toiles s’arrachent, ce qui permet au peintre parisien de s’acheter une maison à la campagne, fuyant – ravi – la capitale française dont il a toujours eu du mal à supporter le rythme trépidant et les mondanités. D’ailleurs, Maurice de Vlaminck aime (violemment – curieux paradoxe !) la nature. On retrouve cette force démoniaque dans sa toile Sur le zinc, expressionnisme affiché aussi dans sa représentation du Père Bouju (1900). Il est certain que Van Gogh l’influence (Moissons sous l’orage, 1906). Affichant son parcours autodidacte, cette liberté assumée explose de toutes parts, tant au niveau du trait spontané, quasi pulsionnel, que de la couleur pure. De Vlaminck reconnaît les grandes pointures de la peinture du début du XXe siècle et ne se prive pas de coucher aussi au bout du pinceau une gestuelle à la Cézanne (Chatou, 1907). Les années passent et, malgré un bref détour par le cubisme lié en partie à sa vénération pour Cézanne, les tons s’assombrissent progressivement mais les contrastes trouent quasiment le support de façon complexe, inattendue et légitime : ainsi le vermillon peut-il faire son apparition à la manière de l’écriture de Stendhal. D’ailleurs, de Vlaminck surprend sempiternellement, utilisant avec un excès délibéré la fibre psychodramatique. Son œuvre est sublime. Notons aussi que ce prestigieux artiste a su mettre sur le papier ses affects et autres fantasmes, se livrant en parallèle aux romans et poèmes : D’un lit dans l’autre, 1902 – Tout pour ça, 1903 – Le ventre ouvert, 1937… »

    Ivan Calatayud

     

     

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    « Maurice de Vlaminck est né à Paris, dans le quartier des Halles, 3, rue Pierre-Lescot, le 4 avril 1876, d’un père flamand, Edmond-Julien de Vlaminck et d'une mère d’origine lorraine, Joséphine-Caroline Grillet, qui eurent trois enfants, une fille et deux fils. Le père exerça d'abord le métier de tailleur. Par la suite, il professa la musique, violon et piano. Sa femme, également musicienne, était un second prix de piano du Conservatoire.

    ‘’Je suis né dans la musique’’, a écrit leur fils qui, bientôt, jouera du violon comme un tzigane, presque sans l’étudier.

    Le grand-père paternel de Maurice était maître tailleur. À la fin de sa vie, dans une maison de retraite, au bord des canaux de Bruges, le vieillard, jusqu’alors parfaitement étranger aux beaux-arts, se mit à peindre spontanément. Un jour peut-être connaîtra-t-on les peintures de Vlaminck l’Ancien.

    CouvVlaminckRadio.pngLe père de sa grand-mère, de Skepere, était capitaine au long cours. Lorsqu’on remonte au-delà de ce capitaine, dans l’entrelacs des arbres généalogiques, les ancêtres de la famille paraissent avoir été, pour la plupart, des fermiers flamands et des marins hollandais.

    Cette ascendance donne un accent particulier à l’amour, qu’au surplus de l’admi- ration, Vlaminck n’a cessé d'accorder à Van Gogh. Lorsqu’il assista, pour la première fois, rue Laffite, à une exposition du pauvre Vincent, les harmonies brutales et chantantes du Hollandais martyr le bouleversèrent au point qu’il a noté dans ses Mémoires : ‘’Ce jour-là, j’aimais mieux Van Gogh que mon père.’’

    On peut, dans le même sens, relever au passage qu’un des rares peintres modernes qui aient trouvé grâce à ses yeux soit un autre Hollandais d’origine, Kees Van Dongen. » (source : ici)

     

     

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    CouvCarcoAmi.png« Ayant vu le jour, dans le quartier des Halles, en face du Square des Innocents, Vlaminck fut élevé dans la banlieue de Paris. ‘‘Ma jeunesse s’est passée sur l’eau et les berges de la Seine parmi les débardeurs, les mariniers, m’écrivit-il à l’occasion d’une petite étude que je lui consacrai. Mon père, musicien était né en Flandre mais de souche hollandaise.

    ‘‘Pour faire de la peinture, déclarait l’excellent homme, faut être riche !’’

    Son rêve était de voir plus tard son fils, chef de la fanfare de Chatou et il ajoutait, le plus sérieusement du monde :

    - De cette façon, tu demeurerais dans la Mairie. Tu serais logé. Tu ne paierais pas de loyer. »

    Francis Carco, L’Ami des peintres,

    Éditions du Milieu du Monde, 1944, p. 67

     

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     Salmon par Vlaminck ou Le Père Bouju

    Maurice Vlaminck, F. Carco, André Salmon, Henri Béraud, Georges Charensol, peinture, littérature, Flandre, Flamand« Vlaminck qui signa d’abord Maurice Wlaminck, Maurice le Flamand. Une riche nature de brute émotive que la vanité empêcha d’être tendre. Une vanité singu- lière, une sorte de déviation en spirale d’une obsession de la modestie, de l’humilité. […] Vlaminck n’a jamais manqué de verve, sauf quand il prenait la plume pour éreinter ses anciens camarades. […] Il doit tout à ses œuvres, étant, comme dit l’autre, parti de rien. Lâchant le chevalet pour l’écritoire, il ajoute une page ou deux à ses recueils de malédictions. Il reprend son thème favori : l’opposition du plein chêne au bois d’ébène. C’est pour lui le plein chêne ; les autres peintres, c’est dans ébénistes, sauf Modigliani, Dieu sait pourquoi. […] Adversaire de la plupart, Vlaminck n’a pas eu d’ennemis. On ne demandait qu’à donner bien de l’amitié à cet artiste souvent admirable. Je pense qu’il paya très cher le plus vaste de ses domaines : la solitude. »

    André Salmon, Souvenirs sans fin. 1903-1940,

    nouvelle édition préfacée par Pierre Combescot, Gallimard, 2004

     

     

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    « On conte que, lorsque Gustave Flaubert et son inséparable Louis Bouilhet venaient ensemble à Paris, les boulevardiers du second Empire faisaient la haie au bord des trottoirs, afin de mieux admirer le couple des ‘‘bons géants’’, qui se ressemblaient comme des frères.

    « Les Parisiens d’il y a vingt ans n’étaient assurément pas moins éberlués, lorsque les peintres Vlaminck et Derain foulaient, côte à côte, de leurs pieds solides, le bitume de la capitale. On voyait se lever vers les deux enfants de Chatou, qu’unit le talent et l’amitié, des nez stupéfaits. Et ces jumeaux en Apollon pouvaient bien s’attarder dans les quartiers les plus suspects sans qu’il vînt à aucun rôdeur l’idée de leur demander l’heure qu’il était.

    avec Derain en 1942

    Maurice Vlaminck, F. Carco, André Salmon, Henri Béraud, Georges Charensol, peinture, littérature, Flandre, Flamand« Ainsi, Maurice Vlaminck n'est pas un génie souffreteux. Ce grand gaillard est un grand peintre. Il porte un des plus beaux noms de la peinture française d’aujourd’hui […] Maurice Vlaminck excelle à discerner la beauté la plus rare dans l’aspect le plus quotidien des choses. Il est le peintre des banlieues, où, sous la clarté pesante et mélancolique des ciels suburbains, les maisons chancellent comme des malades ; il aime les paysages d’eau triste et des jours inquiets. Mais il est, par cela même, le peintre de drames puissants ; il n’en est point qui se tiennent plus ‘‘près de la vie’’. Il a peint autour de Paris, à Lajonchère, à Garches, à Bougival, des paysages qui pourraient servir de décors aux drames des cycles nordiques. Tout cela est brossé d'une main forte, d'une poigne qui domine chez le peintre l’angoisse du poète. Cette contradiction, qui souvent étonna les critiques, traduit parfaitement la nature de Maurice Vlaminck. Il est, en effet, célèbre par son entrain, ses boutades et les mystifications de sa jeunesse. […] Sa conversation a quelque chose d’énorme et de joyeux comme si dans sa voix de cyclope roulaient tous les tambours de la gaité. Chacun dit ‘‘qu’il est jovial’’. Et tous se trompent. Vlaminck, avec son rire d’ogre et ses yeux bleus de gosse flamand, est un artiste anxieux, un rêveur craintif que dévore sans relâche la fièvre du doute. […] Il disait, un jour : ‘‘La vie d’un peintre, c'est la course Paris-Bordeaux. Quand vous arrivez à Tours, il faut qu’il vous reste du souffle pour aller à Poitiers. Là, il faut en trouver pour atteindre Angoulême, et, si vous claquez à Angoulême, c’est comme si vous n’aviez rien fait. Le tout est de bien régler le jeu de ses poumons.’’ »

    Henri Béraud, « Le peintre Maurice Vlaminck ou le colosse anxieux »,

    Le Petit parisien, 31 janvier 1921

     


     

     

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    « Vivre du lait de sa vache, des œufs de ses poules et des pommes de terre de son champ, a toujours été chez moi une idée fixe. Si le hasard me conduit dans une forêt, dans une lande, loin du monde et de la multitude, je m’interroge et des fantômes me poursuivent. Mon grand-père, qui vivait dans la campagne flamande, me pousse sans arrêt à revenir à la vie simple qu’il a vécue : les champs, les prés, la rivière, la terre, les animaux et le silence…

    On est toujours pourchassé par les désirs, les besoins, les inquiétudes et les revanches à satisfaire que les fantômes font naître dans le subconscient. Une de mes sœurs a été poursuivie, toute sa vie durant, par le fantôme de sa grand-mère qui lui a fait accomplir tous les gestes, toutes les folies qu’elle-même n’avait pu se laisser aller à faire.

    Mon grand-père ne me laisse pas de repos. Devant chaque paysage, où les bois, les futaies, les vieux arbres, les vieilles maisons, forment un tableau des temps anciens, mon grand-père me tarabuste afin de me mettre en transes et m’obliger à lui obéir. Pour lui faire plaisir, pour l’apaiser, j’ai souvent peint ce qu’il aimait. Je sais ce qu’il veut et je compose à son intention des paysages âpres et tragiques : ceux où le vent courbe les arbres et fait courir les nuages dans un ciel sombre. J’ai peint aussi des campagnes, des villages sous la neige pour ma grand-mère qui maurice vlaminck,f. carco,andré salmon,henri béraud,georges charensol,peinture,littérature,flandre,flamandétait Hollandaise, ainsi que des natures mortes avec des pots en grès, la soupière en étain et la marmite en terre. Certains fantômes nous invitent à aimer le café au lait, la soupe aux choux et le lard fumé. Mon grand-père devait aimer les chaudrons de cuivre, les meubles lourds et noirs, patinés par le temps. Il devait aimer le feu de bois dans la grande cheminée et fumer la pipe en regardant les flammes.

    Le fantôme de ma mère m’a souvent donné des conseils de modération et celui de mon père des conseils de violence, utiles dans certains cas.

    Les morts poussent les pauvres vivants à réaliser ce qu’ils n’ont pu réaliser eux-mêmes […]. Tous les désirs insatisfaits, tous les espoirs déçus de ces pauvres défunts rendent hystérique et folle la malheureuse humanité. »

    Maurice Vlaminck, Paysages et Personnages,

    Flammarion, 1953, p. 134-136

     

     

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     Maurice Vlaminck, 1949