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Peintres-Graveurs - Page 5

  • Métiers Divins

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    Jean de Boschère

    salué par Camille Mauclair

     

     

     

    Max Elskamp qui aimait la taille des incunables et l’écriture chinoise nous vient de ces temps, de ces lieux où le geste artisanal devait accomplir la figure d’un texte. Il habillait lui-même ses vers de lettrines et d’ornements qu’il creusait dans le buis, le poirier. Parfois il sculptait tout un poème. C’est ainsi que les mots de Max Elskamp ont appris un poids, un contour, une saveur qui se souviennent des sèves fruitières.

    La plume court bien vite et les phrases de plume ont des caprices que la gouge refuse. Un mot cerné dans la tablette veut un effort, une fermeté où son pouvoir s’élabore avec ferveur. Il faut scruter et le verbe devient une matière.

    Norge

     

     

     

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    Né Belge en 1878, mort Français en 1953, l’écrivain et artiste graphiste Jean de Bosschère (1) a passé nombre d’années en Flandre, contrée qui occupe une place particulière dans son œuvre si éclatée : Max Elskamp (1914), Quentin Metsys (1907), Édifices anciens : fragments et détails, Anvers (1907), La Sculpture anversoise aux XVe et XVIe siècles (1909), Jérôme Bosch (1947 et Jérôme Bosch et le fantastique, préf. de Jean Cassou, Paris, Albin Michel , 1962), telles sont quelques-unes des études qu’il nous a laissées. C’est lui aussi, semble-t-il, qui a traduit le Frans Hals, sa vie et son œuvre  (1909) de l’historien amstellodamois Ernst Wilhelm Moes. Parmi les nombreux ouvrages que l’Enragé a illustrés, on relève Christmas tales of Flanders (1917) et Folks Tales of Flanders (1918).

    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littératureLe texte reproduit ci-dessous traitant de Métiers Divins est de la main du « polygraphe » Camille Mauclair (2) qui a lui aussi consacré bien des pages aux plats pays, la plupart dans une veine certes différente. À côté d’études sur Rembrandt, Maeterlinck, Théo van Rysselberghe, et sur Rodenbach dont il se sentait très proche, on relève dans sa bibliographie Trois Femmes de Flandre (1905, contes réédités sous le titre Âmes bretonnes deux ans plus tard), Le Charme de Bruges (1928) et La Hollande (1940). C’est aux Pays-Bas qu’il a situé l’action de son œuvre Nele Dooryn (1903) et à Bruges une partie du roman L’Ennemie des rêves (1900). Plusieurs de ses poèmes traduisent des impressions de ses différents séjours dans les terres septentrionales (par exemple « Soir d’Amsterdam »).

    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littératureLe livre Métiers divins a vu le jour dans la bibliothèque de l’Occident en août 1913, la plupart des « métiers » ayant paru dans l’Occident et dautres revues dès 1910 (Le Bourg, écrit à Londres entre 1915 et 1916, venant com- pléter cette série en 1922). D’autres que Mauclair ont exprimé leur enthousiasme au sujet de cette édition très soignée. Ainsi, Jean de Gourmont, frère de Rémy, a-t-il pu écrire dans le Mercure de France : « Je signalerai particulièrement, pour la rare qualité de son art, ce petit livre de M. Jean de Bosschère : Métiers Divins, qui est dédié à Max Elskamp ‘‘mon pauvre frère aîné’’. M. de Bosschère me semble en effet le plus pur disciple du poète imagier. Comme lui il burine les images de ses rêves et voici toute une série de bois qui nous donnent la figuration stylisée des métiers divins : le luthier, le potier, le jardinier, le poète, le maçon, l’horloger, l’imprimeur…, etc. Et j’aime cette divine promiscuité de tous les métiers : ‘‘Car ne doutez pas, écrit l’auteur, que le poète soit aux métiers, comme le boulanger, le potier et l’horticulteur. Inattendues, ses relations com- merciales avec les hommes, mais ses denrées tiennent longtemps leurs propriétés d’épa- nouissement.’’ »

    J. de Bosschère, enfant (coll° AMVC)

    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littératureDans la N.R.F. de mai 1914, Henri Ghéon estimait pour sa part : « Cette tension du style et de la métaphore que l’auteur doit à Suarès, semble se relâcher ici. Ici, M. Jean de Bosschère se rapproche davantage de son autre maître, Max Elskamp. Il célèbre les métiers avec moins de naïveté que l’admirable poète d’Anvers ; il sur- charge ses descriptions de considérations symboliques parfois inutiles. Mais la vision est souvent émouvante, en dépit de sa dureté, et j’aime quand l’esprit l’égaie, comme il arrive dans ce petit morceau : ‘‘Puisqu’ils ont mis une dure carapace de granit à la route, l’ingénieux maréchal-ferrant cloue une semelle de fer à l’âne et au cheval. Ils s’éloignent en sonnant des bottines, qui lancent des paillettes d’or ; et le dompteur du fer rentre dans l’enfer noir et rouge, dans la nue acre et la fumée de corne rôtie.’’ »

    J. de Boschère (coll° AMVC)

    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littératureQuant au critique belge Sander Pierron, il s’exprimait ainsi en 1920 : « Un peu plus tard, en 1909, l’imprimeur Buschmann, d’Anvers, tira, pour la Bibliothèque de l’Occident, à Paris, sur format in-16, les Métiers divins de Jean de Bosschère. Cet écrivain, un peu singulier, aux con- ceptions étranges, au style recherché et imagé, est un de ceux qui, en ces derniers temps, ont personnellement le plus fait pour la renaissance du livre d’art en Belgique. Ses ouvrages sont conçus et réalisés avec un goût raffiné, selon une typographie luxueuse, ornés de dessins de sa propre main, et par conséquent si conformes au texte, si intimement, nous dirions volontiers si mystérieusement en rapport avec lui. Les dessins pour les Métiers divins sont exécutés à la plume ; la technique spéciale leur donne l’apparence de xylographies. Les noirs y dominent : types d’artisans, natures mortes, portraits imaginaires, bêtes, paysages étoffés de figures ; dix-neuf vignettes où l’observation de la nature et la fantaisie d’une recherche toute aristocratique se marient, mélange de vérité et d’idéal, réalisme et mysticisme associés, clarté et ombre, netteté et inconnu, et partout cet accent singulier, cette bizarrerie, cette étrangeté qui donnent aux œuvres, écrites ou dessinées de cet homme de talent, un charme si spécial et qui doit tant au métier et à la pensée de Stéphane Mallarmé. »

      


    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littérature(1) Sur Jean de Bosschère illustrateur, on pourra lire dans Denis Laoureux (ed.), Peintres de l’encrier : le livre illustré en Belgique (XIXe-XXe siècle), Bruxelles, Le Livre & L’Estampe, 2009, la contribution de Véronique Jago-Antoine, « Sens dessus dessous : tribulations de l’image et du texte dans trois livres-ateliers de Jean de Boschère » p. 185-214 et celle de Céline De Potter, « Les illustrateurs belges en France de 1919 à 1939. Jean de Bosschère, Frans Masereel, Frans De Geetere, Luc Lafnet. Pratiques et réseaux », p. 155-183.

    Sur le livre Métiers divins et le reste de l’œuvre, on se reportera à l’étude fouillée de Christian Berg, Jean de Boschère ou le mouvement de l’attente, Bruxelles, ARLLF, 1978. Guy de Bosschère a évoqué son oncle dans « Portrait de l’artiste et de quelques membres de sa famille », Le Courrier du C.I.E.P., n° 199, été 1993.

    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littératureDe Jean de Bosschère lui-même, on pourra lire les Fragments du journal d’un rebelle solitaire, 1946-1948, texte établi et présenté par Yves-Alain Favre, Mortemart, Rougerie, 1978 ; Le Pays du merle bleu et autres pages de nature, choix et postface par Michel Desbruères, préface de Jean Cassou, Saint-Cyr-sur-Loire, C. Pirot, 1983, ainsi qu’une petite partie de sa correspondance : Max Elskamp et Jean de Bosschère : correspondance, introduction et notes de Robert Guiette, Bruxelles, ARLLF, 1963 (supplément publié en1970) et les Lettres de La Châtre (1939-1953) à André Lebois, Paris, L’Amitié par le Livre/Denoël, 1969. Les lettres que lui a adressées Joë Bousquet ont été publiées dans la Revue d’histoire littéraire de la France, mars-avril 1971.

    (2) Simonetta Valenti, Camille Mauclair, homme de lettres fin de siècle : critique littéraire, œuvre narrative, création poétique et théâtrale, Milan, Vita e Pensiero, 2003.

     

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    Franz Hellens, L’Art Moderne, 8 mai 1910, p. 148

     

     

     

    Jean de Boschère, The City Curious

     

     

     

    Métiers divins

      

     

    je bois avec extase et folie (le potier)

    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littératureJ’ai trouvé sur ma table un livre léger et précieux, doux en sa robe d’un violet profond et délicat, rare par le goût et le soin de ses moindres détails, un petit livre où rien n’imite l’ancien mais qui est plein de l’âme ancienne et semble vraiment avoir été fait avec amour par un artiste pensant et choisissant comme on ne pense ni ne choisit plus. Il m’a paru me venir de très loin, un peu comme si un ami l’avait trouvé dans quelque très vieille demeure de jadis, oublié en un meuble désuet et charmant, et me l’envoyait pour me faire plaisir. Cependant c’est un homme d’aujourd’hui qui a composé ce livre et l’a soigneusement organisé et revêtu : c’est Jean de Bosschère, que vous connaissez bien.

    épinglée

    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littératureEntré au-dedans du livre comme, après avoir un peu courbé la tête, on pénètre dans une salle basse, tiède et ombreuse, j’y ai éprouvé la même impression très douce d’ancienneté confidentielle. Il y a au fond un feu couvant qui rayonne et touche toutes choses de sa dorure magique : c’est une âme de poète, jetant par instants des éclats, mais plus souvent voilée de cendre et n’approchant la nôtre que par une ardeur sourde. Tout autour sont les objets qu’elle aime et dont elle nous parle : placée au milieu, elle leur insuffle sa vie subtile et brûlante. Jean de Bosschère a, dans ce livre, l’attitude repliée du songeur qui est chez soi, bien clos dans le décor resserré de sa pensée. Et il dit lentement, gravement, ce qu’il voit et ce qui le requiert.

    le poète dans le souk

    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littératureC’est un artiste et un mystique. C’est-à-dire qu’il évoque forcément d’autres noms d’artistes et de mystiques sincères comme lui, méditants et concentrés comme lui : car il n’y a qu’une certaine façon de dire des choses profondes et de rejeter l’inutile. En le lisant on pense à Suarès, à Claudel. Il ne les imite point, mais ce sont des parents de Jean de Bosschère. Je retrouve en son style leurs bonds musculeux et nerveux, leurs brusques ellipses, cette diction un peu farouche, cette aptitude avide à découvrir et à réunir des analogies qui semblent étranges, parce que nous sommes moins aptes à en constater rapidement les identités. Cependant Claudel et Suarès sont des fiers : Jean de Bosschère est plus doux et plus humble, et il se penche volontiers sur les très petites choses, avec la patience quiète d’un Henri Fabre. Il est aussi un imagier. Dans son livre, entre les feuillets, comme des fleurs séchées, on trouve de petites gravures sur bois qui sont d’une technique parfaite et d’un sentiment délicieux. Max Elskamp aussi en a parsemé ses poèmes ingénus et adorables, – Max Elskamp auquel ce livre est dédié, Max Elskamp que je n’ai pas revu depuis bien longtemps et que j’affectionne comme si je l’avais quitté hier… Vous avez bien de la chance de cacher encore dans vos Flandres aux beaux nuages des artistes comme ceux-là, qui ne « font » pas de l’art, mais le vivent avec la modestie et la science toute d’amour d’ouvriers en chambre, pour le silencieux plaisir de bien œuvrer.

    Ronsard

    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littératureEt voici Jean de Bosschère qui va philosophant à propos des métiers, rêvant, disant son mot ou ciselant sa page, parfois humoriste, plus souvent hanté de mélancolie métaphysicienne. Il écrit une langue très pure, un peu insistante et incisive, comme si tout le livre était tracé au burin sur des pages de bois ; son trait est net, il n’a pas de couleur mais un accent et un timbre. Il nous raconte le potier, le jardinier, le poète, le maçon, l’horloger, le boulanger ou le savetier, le menuisier et le graveur, le sculpteur ou le maraîcher. Pour lui tous les métiers sont divins, et il a bien raison, et ils le sont autant les uns que les autres en ce sens que chacun condense exactement autant de victoires sur soi-même et d’amour en ceux qui les exercent. Et comme tout est signes de signes, il n’est pas de geste professionnel qui ne soit au moins riche en allusions au Métier Divin par excellence, celui de l’homme obtenant ingénieusement sa vie de la Nature à force de cogitation et de labeur, sous toutes sortes de formes, applications des clauses innombrables de ce contrat unique.

    l'éternité

    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littératureJean de Bosschère se réfère à ce contrat pour dé- couvrir, dans chacun des métiers modestes dont la cohésion docile et l’exercice consenti nous font vivre, la part de noblesse et la species æterni, avec un respect ému pour les vieilles trouvailles qui fondèrent le bien-être et créèrent le cadre de notre existence civilisée. C’est à chaque page qu’il constate le charme de ces menuailles dont nous avons tous besoin et les annote de joliesses verbales, d’une préciosité archaïque, et parfois avec beaucoup de force. Ce n’est pas un impressionniste : l’évocation chez lui naît d’une attention minutieuse et de la volonté d’aller au profond et de bien tout situer. Écoutez ce qu’il dit du batelier de vos cités :

    le moine maraîcher

    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littérature« Et voici le batelier qui entre dans la cave des villes. Quai dans la ville lasse et mourante ; c’est le quai arrêtant l’ossuaire de la Grand’Place. Et à ses bases, la rivière se traîne entre deux murs spongieux, vaincus par l’érophile odorant la fleur de radis, le musc, la charogne et la tubéreuse. – Une rivière roulant nul murmure, passe sans réveiller la ville pas habitée, sauf par ce chien jaune flairant le panier du poissonnier. – Le batelier près du quai reconnaît l’heure à cette ombre s’avançant, qui peint en vert l’eau malade, et il attend que la peinture atteigne aux marches du caverneux escalier. Dès lors, il le sait, l’ombre bleue prendra le quai où rien ne remue ; puis les femmes avec des seaux grinçant comme les grues effarées descendront l’escalier sonore. Comme les moules vernies frapperont dans les seaux de fer, les couvents où le pain des prières est cuit, l’église, cheminée mystique, diront le ramage connu du repos de sept heures. – Le batelier attend les acheteurs soucieux et les rauques marchandes au gosier criant à la manière des sonnettes. Il reçoit les minutes incolores dans sa barque, grenouille brune gonflée de moules, et chargée des baumes odorant la mer vivante et le goudron.

    il traduit le manuscrit (l'imprimeur)

    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littérature« Les vieux pêcheurs se taillent la barbe grise en bandeau laineux et court. Leurs masques de cuivre jaune sont de naïves lunes dans une fraise de chimpanzé. Leurs yeux blêmes, au travers de quoi nous revoyons l’Océan qui peint ses marines, enfoncent leur regard dans l’eau au pied du mur vert, et les glissent jusqu’à la vase bitumeuse. Sur la vase gisent un arrosoir, une cruche, un éclat de miroir. – Le miroir est un mime implacable. Du fond des eaux il continue de peindre. Vous y découvrez, en miniature, le beffroi du XIVe siècle, les tympans des maisons, celle du notaire avec les bustes au fronton, l’autre où l’épicier vit pour vendre, la dernière qui est la bicoque du vannier. Voguant sur cette peinture de Memling, des essaims de poissons, comme un vol d’hirondelles automnales, strient de vergettes les pains de sucre bleuâtres, les paniers blancs, les bustes prétentieux.

    le fabricant de jouets

    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littérature« Le batelier attend, assis dans sa barque. La barque est la petite-fille de la terre ; les hommes industrieux sont ses pères. – Maintenant, la barque et l’eau se reposent parmi les ombres glauques : tout y plonge, immobile et vert, comme les simples d’une panacée dans les bouteilles d’herboristes.

    « Ores, l’instant appartient au pêcheur de moules. Il lève la tête jaune et blanche, – dégourdit ses mains de vieux cuir et sonnant comme un chapelet de bobines. Et, enfin, les cloches parlent, et font accoucher chaque maison d’une femme portant un seau ou une marmite.

    « Ensuite, l’homme au collier laineux a fini sa journée. Dans sa pipe il y a une perle de corail, et le soir, comme un peuple d’ombres roses semble naître de la pipe chaude du batelier.

    « L’eau se fleurit de nénuphars rouges, et le pélican ensanglanté verse son sang de poète sur les hommes. »

    le mosaïste

    jean de bosschère,jean de boschère,camille mauclair,flandre,pays-bas,illustration,littératureJe ne pouvais pas fragmenter la citation : le morceau se tient trop bien. Il est onctueux, et doré, et compact, comme un intérieur d’Henri de Braekeleer, à la fois largement et minutieusement peint. Certaines notations abstraites y font parfois songer à la manière du capricieux et séducteur poète en prose qu’est Saint-Pol-Roux, encore un parent intellectuel de Jean de  Bosschère : mais ils n’ont en commun que la sûreté du trait, et l’autre est provençal, et celui-ci est bien de chez vous, orchestrant avec calme ses tonalités assourdies et mettant tout en place. Comme la vision s’ordonne bien, que cela sent le soir, le silence et l’eau ! Je pourrais vous citer le petit tableau du moine maraîcher, qui est ravissant et que seconde un bois non moins agréable, ou la note si fine et si juste prise en regardant le menuisier, ou celle sur la dentellière « qui pique son tableau de neige », ou d’autres… Mais j’aimerai mieux ne plus rien citer, parce que je gâterais votre joie à lire, et vous ferez très bien de lire et je souhaite vous le persuader, certain que vous goûterez vivement ce doux livre violet, et qu’il fera dans votre bibliothèque intime une complémentaire utile au jaune des autres volumes. Ce n’est pas un volume, c’est bien un livre, c’est-à-dire un objet d’art par la forme matérielle et la forme mentale, ce que ne sont plus les volumes, malheureusement. On se repentira tellement, un jour, d’avoir oublié que les livres, qui enferment la plus rare des joailleries, ne devraient pas être laids, et que le devoir de l’écrivain dure, au-delà du manuscrit livré jusqu’à la minute où la main d’autrui saisira son œuvre ! Ce jour-là, des feuillets comme ceux-ci attesteront une pitié et leur valeur sera grande. Jean de Bosschère est un artiste pieux. J’aime beaucoup Jean de Bosschère pour son caractère, son talent et la ferveur de son âme. Je ne l’ai jamais vu.

     

    Camille Mauclair

    L'Art Moderne, 19 octobre 1913

     

     

     

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    envoi de L.F. Céline à Jean de Bosschère sur un exemplaire de L'Église 

     

     

    les illustrations figurent dans Métiers divins et Le Bourg

     

     

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    Le coutelier

    (Le Bourg)

     

    La mâchoire est le couteau d’Adam. Le coutelier a imité ce couteau. Il n’a rien fait de plus.

    Court et large, le couteau se précipite dans la chair. Le couteau splendide est la limite infranchissable de la puissance de l’homme.

    L’assassin ou le soldat a des dents aiguës et dix ongles durs comme des griffes. Mais dans la paume de sa main il tourne le manche d’une grande griffe d’acier : c’est le poignard bleu.

    Sec comme du sable, il appelle le sang.

     

     


    Jean de Boschère, Don Quixote de la Mancha

     

     

     

  • Ex-libris hollandais pour Président français

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    OTTO VERHAGEN (1885-1951)

     

     


    Poincaré1.pngNé en 1885 à Drumpt, province de Gueldre (Hol- lande), Otto Verhagen est dans la vie un excellent fonctionnaire de l’Enregistrement ; sa valeur professionnelle a été officiellement recon- nue : il est, en effet, chevalier de l’ordre d’Orange-Nassau pour services rendus à l’État. Mais ses fonctions ne l’ont pas empêché de suivre l’inspiration naturelle qui l’entraînait vers le dessin. Sans maîtres, après quelques leçons à l’école secondaire, il n’en est pas moins devenu un maître réputé dans le dessin décoratif et l’illustration. Ses œuvres, en ce genre, sont nombreuses : affiches, une quarantaine de livres illustrés, et, en particulier, des dessins d’interprétation sur Baudelaire, Verlaine, Oscar Wilde (Le Portrait de Dorian Gray), et Psyché du fameux écrivain hollandais Louis Couperus. M. Verhagen avoue lui-même l’influence d’Aubrey Beardsley, et d’un artiste hollandais Nerée tot Babberich (1880-1909), moins universellement connu mais d’un talent tout aussi Poincaré2.pngoriginal. M. Verhagen a fait plus de cent Ex-libris : c’est un spécialiste du genre ; on en jugera par ceux consacrés au Président Poincaré très décoratifs et très évocateurs : le premier où l’on voit symbolisés l’Histoire et le Droit, et le second qui fixe, comme dans un menu vitrail, une interprétation moderne du preux chevalier d’autrefois tout dévoué à sa Patrie.

     

    Henri Daragon, « Ex=Libris en hommage au Président Poincaré »,

    L’Ex-Libris, 1931, 2ème trimestre, p. 51-52

     

     

  • Louis Couperus par Paul Colin

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    Notice nécrologique

     

     

    Couperus-Parelduiker-2013.png

    numéro de la revue De Parelduiker consacré à L. Couperus, 2013, n° 4

     

     

    PaulColin-Photo.pngHomonyme du grand affichiste (1892-1985), mais aussi du prix Goncourt 1950, le galeriste et critique d’art bruxellois Paul Colin (1895-1943) – fondateur de l’hebdomadaire Cassandre ou encore du Nouveau Journal – a œuvré au sein de la revue Europe et publié aux éditions Rieder un Vincent van Gogh (1925) ainsi qu’un Jongkind (1931). On lui doit par ailleurs une édition de la Correspondance de Rubens (Crès, 1927), un Bruegel le Vieux (Floury, 1936), un James Ensor en langue allemande (1921), un Eugène Laermans (1929), un Opsomer (Crès, 1931), une étude sur La Peinture belge depuis 1830 (1930)... Épris de culture allemande, Paul Colin n’eut guère de scrupules à rejoindre les rangs de la collaboration, signant de la sorte son arrêt de mort. On lira à son sujet la notice de Roger Avermaete dans la Biographie nationale de Belgique (t. 35, 1969-1970, p. 140-145) et l’ouvrage de Jean-Léo, La Collaboration au quotidien. Paul Colin et Le Nouveau Journal. 1940-1944 (Bruxelles, Racine, 2002). En 1923, Paul Colin publiait un court texte en hommage au romancier néerlandais Louis Coupe- rus (1863-1923) qui venait de s’éteindre (« Notes et Compte-rendus », Europe, 15 sept. 1923, p. 504-505). Malgré quelques approximations et des allégations peu fondées (« le meilleur représentant, aux Pays-Bas, de l’esprit académique »), le critique caractérise avec une certaine pertinence la personnalité littéraire du Haguenois dont on a célébré il y a peu le cent cinquantième anniversaire de la naissance. (D.C.)

     

     

     Le « La Haye » de Louis Couperus

     

     

    LOUIS COUPÉRUS

     

    La Hollande, éprouvée il y a deux mois par la mort de son plus grand peintre (1), l’est de nouveau par celle d’un de ses plus grands écrivains : Louis Coupérus, de qui le soixantième anniversaire avait donné lieu, en mai dernier, à de grandes manifestations de sympathie, – ses admirateurs avaient été jusqu’à lui offrir une maison – a été brusquement emporté à la fin du mois de juillet.

    Couperus-IndischeLetteren.pngOn a quelque peine à se représenter que les débuts de ce sain réaliste furent tumultueux. Pour le comprendre, il faut songer à la stagnation, – ou plus exactement, à l’anémie, à l’appauvrissement — de la littérature hollandaise vers 1885. Le roman se débattait dans un tel abîme de conventions que le simple spectacle de la vie avait une signification révolutionnaire. Louis Coupérus, en publiant Eline Vere (2), un des tout premiers romans familiaux (ils se sont multipliés depuis) fit œuvre de novateur sinon de précurseur.

    Quand on parle du réalisme de Coupérus, on doit ajouter aussitôt qu’une grande distance le sépara toujours du naturalisme, dont le rapide triomphe en France et à l’étranger constituait un danger. Âme composite, où les traditions du Nord se heurtaient à une éducation latine et aux hantises de l’Orient qu’il avait parcouru et habité, Louis Coupérus, loin de se ranger parmi les naturalistes, se sentit à l’étroit dans la société contemporaine, et trouva, dans le roman historique et exotique, un meilleur terrain pour sa fantaisie et les caprices de son imagination.

    Genre ingrat, mais qu’il allait illustrer avec éclat et proposer à l’attention de toute une équipe de jeunes hommes qui le suivaient de près. Grâce à Coupérus, l’esthétique du roman historique fut renouvelée : à l’exactitude du détail, à la beauté du coloris, à l’éclat des descriptions, aux efforts d’évocation qui sont ses assises mêmes, il mêla le lyrisme, l’émotion, la tendresse et il sut élargir ses récits d’aventures et de drames par la découverte et la notation des remous éternels qui agitent et soulèvent le cœur innombrable de l’homme. Aussi serait-il intéressant de faire l’inventaire de ses influences, – de voir, par exemple, si l’admirable Querido de l’Épopée Assyrienne, lui-même, ne lui doit rien.

    Couperus-BasHeijne.pngLe catalogue de Louis Coupérus est considérable et s’étend à toutes les rubriques : recueils de poèmes, romans historiques, psychologiques et satiriques, livres de nouvelles et de contes, – qui vont de la simple narration au symbole et à la philosophie, – carnets et récits de voyages, – dans le bassin de la Méditerranée, aux Indes et en Extrême-Orient. Il est impossible, – et il serait, d’ailleurs, fastidieux – de dresser ici la liste complète de ses œuvres. Je me bornerai à citer De verliefde Ezel (L’Âne amoureux), Xerxès, Antiek tourisme, Komedianten, et son dernier roman historique, Het zwevende Schaakbord (L’Échiquier flottant) (3), qui s’inspire d’un vieux roman hollandais du XIVe siècle et n’est pas son chef-d’œuvre.

    Grand écrivain dans le sens technique du mot, styliste parfait, harmonieux, d’une élégance et d’un charme presque méridionaux et qui contrastent souvent avec la langue germanique qu’il emploie, d’une intelligence très brillante mais assez rebelle aux subtilités trop minutieuses, Louis Coupérus jouissait dans son pays, en Allemagne, en Scandinavie, d’une immense réputation (4). Car lentement, et par le jeu d’une évolution logique, l’ancien révolutionnaire de 1890 était devenu un des piliers de l’École littéraire hollandaise, – et même le meilleur représentant, aux Pays-Bas, de l’esprit académique.

     Paul Colin

     

    Louis Couperus, Paul Colin, Europe, G. H. Breitner,

    La correspondance de Louis Couperus, éd. H.T.M. van Vliet, Athenaeum/Polak & Van Gennep, 2013

     

     

    G. H. Breitner, Autoportrait, vers 1882 

    Breitner-Autoportrait-Vers1882.png(1) Il s’agit de George Hendrik Breitner (1857-1923) que le critique belge plaçait en effet, et non sans raison, au même rang que les plus renommés : « Jongkind et Van Gogh […] sont les seuls génies que vit naître, depuis cent ans, la vieille patrie de Rembrandt et de Vermeer, – avec ce George-Hendrik Breit- ner auquel l’avenir finira bien par accorder la place qui lui est due à leurs côtés dans l’admiration des hommes. » (Jongkind, Paris, Rieder, 1931, p. 5).

    (2) Le premier roman de Louis Couperus (1863-1923) a paru en mars 1889 après avoir fait l’objet, l’année précédente, d’une publication en 119 livraisons dans le journal Het Vaderland. Cette période vit un renouveau des lettres néerlandaises grâce au Mouvement des Tachtigers auquel le Haguenois ne se rallia toutefois pas. Dans les décennies précédentes, quelques écrivains avaient tout de même composé des œuvres de très belle facture : Multatuli, bien entendu, mais aussi Conrad Busken Huet (critique d’envergure européenne, auteur en 1868 d’un roman naturaliste avant la lettre et, à la fin de sa vie, d’une magistrale fresque du Siècle d’or : Le Pays de Rembrandt : voir ici, note 3) et Mme Bosboom-Toussaint dont le roman Majoor Frans a été traduit en français.

    Louis Couperus, Paul Colin, Europe, G. H. Breitner, (3) Publié en volume en mars 1923, Het zwevende Schaakbord avait connu une première édition sous forme de feuilletons en 1917-1918. Les romans historiques Xerxes of de hoogmoed et Iskander lui sont en réalité postérieurs.

    (4) Il convient d’ajouter que les nombreuses traductions en langue anglaise – en particulier celles d’Alexander Teixeira de Mattos – lui avaient également assuré une reconnaissance certaine dans le monde anglo-saxon (voir par exemple ci-dessous l’entrefilet publié dans The Chicago Sentinel du 11 février 1921). 

    Couperus-Chicago.png

     

     

    Niet te stillen onrustdocumentaire sur Louis Couperus (2013)

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    De nombreuses publications ont marqué le cent cinquantième anniversaire de la naissance de l’écrivain, parmi elles celles correspondant aux couvertures reproduites ci-dessus non légendées :

    Numéro 2014 de la revue Indische Letteren consacré à l’univers indonésien de Louis Couperus.

    Bas Heijne, Angst en schoonheid. Louis Couperus, mystiek der zichtbare dingen [Angoisse et beauté. Louis Couperus, mystique des choses visibles], Amsterdam, De Bezige Bij, 2013.

    José Buschman, Couperus Culinair. De lievelingsgerechten van Louis Couperus [Couperus Culinaire. Les mets préférés de Louis Couperus à partir d’extraits de son œuvre], Amsterdam, Bas Lubberhuizen, 2013.

     

     

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    L’intérêt des bibliophiles pour l’œuvre de Louis Couperus ne décroît pas ainsi qu’en témoigne une nouvelle publication : Evert Paul Veltkamp, Luxe, bijzondere en bibliofiele uitgaven van Louis Couperus. 140 uitgaven en hun varianten, 2014, 40 p. (en vente ici).

     

     

  • L’histoire matérielle de L'Agneau mystique

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    L'Agneau mystique par le détail

     

     

    Conférence d’histoire de l’art par le professeur Maximiliaan Martens  (Université de Gand) : « L’his- toire matérielle du retable de L'Agneau mystique des frères Van Eyck »Chef d’œuvre des primitifs flamands, œuvre emblématique des frères Van Eyck, le polyptyque de l’adoration de L’Agneau Mystique achevé en 1432 a connu une histoire particulièrement mouvementée, faites de vols et déplacements à répétition, avant de prendre place en 1986 dans l’ancien baptistère de la Cathédrale Saint-Bavon de Gand. Ce «  patrimoine de l’Humanité  » (UNESCO) a beaucoup souffert de ces péripéties, ce qui explique la campagne de restauration en cours. C’est sur cette histoire matérielle du retable de L’Agneau Mystique que revient le professeur Martens.

     

    Dans le cadre de la Quinzaine néerlandaise organisée par l'Université Lille 3, lundi 17 février, 18h-19h30, MESHS. 2 rue des Canonniers, Lille

     

     

    Van Eyck, L'Agneau mystique, Maximiliaan Martens

    Annick Born & Maximiliaan Martens, Van Eyck par le détail traduit du néerlandais par Muriel Weiss, Paris, Hazan, 2013

     

    Fondateur de l’école naturaliste du Nord, appelée à se développer au XVe siècle comme une seconde Renaissance, cette fois septentrionale, le Flamand Jan Van Eyck (1390-1440) est à l’origine d’un nouvel art de peindre capable d’atteindre un rendu illusionniste inégalé jusque là. L’ouvrage débute par des données biographiques expliquant le contexte de la carrière de l’artiste de cour auprès de Jean le Bon, à la tête d’un riche atelier et dominant la guilde des peintres de Tournai. Un deuxième chapitre est consacré à la technique picturale de Van Eyck considéré comme l’inventeur de la peinture à l’huile et d’un style pictural dont l’influence fut considérable aussi bien dans le Nord que dans le Sud de l’Europe. Son œuvre ensuite, dans l’essentiel du corps de l’ouvrage, fait l’objet d‘une approche thématique, à travers les domaines qui prouvent que les innovations de son art sont basées sur une observation précise de la nature, dans son environnement, ses éléments et sa lumière comme dans les différents matériaux que l’homme a su créer pour meubler son quotidien. L’attention méticuleuse prêtée aux objets du quotidien va devenir une des caractéristiques du style nordique, sous l’influence de Van Eyck. Outre donc le paysage et ses variations atmosphériques, l’univers de Van Eyck célèbre l’architecture, le mobilier, les étoffes, le verre, les bijoux, les miroirs et, enfin, le portrait, parallèlement à la restitution de scènes religieuses dans un cadre domestique à peine plus luxueux que celui de ses contemporains. Cette découverte de son art est organisée au plus près de sa technique picturale grâce à une campagne de prise de vue de détails inédits à ce jour.

     

     

     

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  • Le Flamand chez Maurice Vlaminck

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    « Maurice le Flamand »

    peintre et écrivain

    vu par les autres et par lui-même

     

     

    « Sous ses apparences d’Hercule forain, nul plus que Vlaminck n’a le sentiment aigu des choses, de leur profonde réalité. »

    F. Carco

     

     

     

    Maurice Vlaminck, F. Carco, André Salmon, Henri Béraud, Georges Charensol, peinture, littérature, Flandre, Flamand

     

    « Si le génie est irréductible à toute justification logique, il n’est pas interdit de chercher dans la vie de l’homme quelques éléments constitutifs de la personnalité de l’artiste. Les ancêtres de Maurice de Vlaminck (Maurice le Flamand) sont des marins hollandais. Le père de Vlaminck, professeur de piano, fit, à Paris, la connaissance d’une jeune pianiste et leur fils Maurice naquit le 4 avril 1876, dans le quartier des Halles. Toute sa vie il sera tiraillé entre son ascendance paternelle, à laquelle il doit son puissant tempérament et un goût de la liberté qui le conduira aux confins de l’anarchie, et l’influence puritaine de sa mère, protestante de stricte observance. La sévérité des jugements qu’il porte sur le monde qui l’entoure, ses goûts littéraires, ses colères contre la décadence de notre civilisation ne s’expliquent que si l’on sait qu’il fréquentait régulièrement dans son enfance le temple de Saint-Germain-en-Laye. Déjà, pourtant, son indépendance s’affirme et il réagit contre le milieu familial, d’une part en apprenant seul à jouer du violon au lieu de poursuivre des études régulières ; d’autre part en se passionnant pour le vélo.

    maurice vlaminck,f. carco,andré salmon,henri béraud,georges charensol,peinture,littérature,flandre,flamand« C'est en donnant des leçons de violon, en jouant dans des orchestres tziganes et en gagnant des courses de bicyclette qu’il fait vivre sa famille. Car il se marie et il a rapidement deux filles : ‘‘À Nous quatre, disait-il, nous n’avions pas quarante ans.’’

    « Son meilleur biographe, Florent Fels, signale un bourrelier du Vésinet qui, avec les couleurs brutales de son métier, traçait d’étranges portraits qui impressionnaient le jeune Vlaminck. Il s’essaie donc à la peinture.

    « En mars 1901 il reçoit le choc décisif : à la galerie Bernheim Jeune, il découvre Van Gogh. Il n’est pas douteux qu’il ait trouvé, dans les violences du Hollandais, une réponse aux questions qu’il se posait devant les œuvres qu’il peignait lui-même : ‘’Ce jour-là, a-t-il dit, j'aimais mieux Van Gogh que mon père.’’

    « Un autre événement important, c’est sa rencontre avec Derain. Dans son livre, Portraits après Décès, Vlaminck écrit : ‘‘Sans cette rencontre l’idée ne me serait pas venue de faire de la peinture mon métier et d’en vivre. Il n’est pas moins sûr que si Derain ne poursuivit pas ses études qui l'eussent mené à Centrale et fait de lui un ingénieur, c’est à cette même circonstance qu’il le doit.’’

    maurice vlaminck,f. carco,andré salmon,henri béraud,georges charensol,peinture,littérature,flandre,flamand« […] Cette maîtrise qui se reconnaît dans ses œuvres les plus abouties, il l’atteint pendant cette guerre de 1914 qui a été, pour lui aussi et bien qu’il n’ait pas quitté Paris, l’événement marquant de sa vie. Elle l’a conduit à s’éloigner de la capitale, à rompre avec Derain, à adopter une vision réso- lument pessimiste du monde et de la vie. Il abandonne son atelier de Montparnasse et va s’installer à Valmondois, le pays de Corot, de Daumier, non loin de cet Auvers où Van Gogh s’est suicidé.

    « Mais il est encore trop près de la ville où il fait des séjours de plus en plus rares et, en 1925, il va s’installer aux confins de la Beauce et du Perche. Là il découvre une vieille maison paysanne qui domine à peine le paysage doucement ondulé. Cet horizon immense lui rappelle ces plaines du Nord qu’il aime et d’où sa famille est sortie. Au loin, comme dans les Flandres, un glorieux beffroi : la baie de l’atelier qui s’ouvre largement sur la plaine révèle à l’horizon le clocher de Verneuil-sur-Avre. Une sorte de tour à deux étages justifie le nom de La Tourillère. C’est là qu'il est mort le 11 octobre 1958. »

    Georges Charensol, Les Grands maîtres de la peinture moderne,

    Éditions Rencontre, 1967

     

     


     

    « Parfois la nature n’en finit pas de nous surprendre ! Ainsi, Maurice de Vlaminck – bien que né à Paris – a pour parents un père flamand et une mère lorraine qui sont tous deux musiciens… Autant dire que le petit Maurice côtoie très tôt à la fois le milieu artistique et une certaine essence flamande qui auréole encore de nos jours les courants picturaux… Toutefois, ce futur grand peintre est un très mauvais élève. Il n’use pas beaucoup ses fonds de culotte sur les bancs de l’école et découvre la vie active par différents métiers : coureur cycliste, professeur de violon, journaliste (à l’esprit rebelle). Il se sent cependant titillé par l’envie de peindre et s’adonne à ce qui sera sa vraie grande passion dès 1899. Il a d’ailleurs d’excellentes fréquentations, dont celle de Derain ! Ils louent ensemble un atelier. Cinq ans plus tard, à force d’obstination, il commence à faire parler positivement de lui au point que Berthe Weill décide de lui octroyer une véritable publicité. Deux Salons l’accueillent alors : le Salon d’automne et le Salon des Indépendants. Il rencontre ainsi des surdoués de la peinture tels Marquet, Manguin, Matisse, Braque, Van Dongen… Les ‘'Fauves’’ enthousiasment littéralement de Vlaminck qui, malheureusement, ne mange pas toujours à sa faim…

    maurice vlaminck,f. carco,andré salmon,henri béraud,georges charensol,peinture,littérature,flandre,flamandLa roue finit par tourner et Vollard s’éprend du talent de l’artiste. Il lui achète tous ses tableaux. La guerre éclate, de Vlaminck est mobilisé et, contraint et forcé, abandonne momentanément ses pinceaux. Dès 1919, le succès est au rendez-vous. Il expose chez Druet. Ses toiles s’arrachent, ce qui permet au peintre parisien de s’acheter une maison à la campagne, fuyant – ravi – la capitale française dont il a toujours eu du mal à supporter le rythme trépidant et les mondanités. D’ailleurs, Maurice de Vlaminck aime (violemment – curieux paradoxe !) la nature. On retrouve cette force démoniaque dans sa toile Sur le zinc, expressionnisme affiché aussi dans sa représentation du Père Bouju (1900). Il est certain que Van Gogh l’influence (Moissons sous l’orage, 1906). Affichant son parcours autodidacte, cette liberté assumée explose de toutes parts, tant au niveau du trait spontané, quasi pulsionnel, que de la couleur pure. De Vlaminck reconnaît les grandes pointures de la peinture du début du XXe siècle et ne se prive pas de coucher aussi au bout du pinceau une gestuelle à la Cézanne (Chatou, 1907). Les années passent et, malgré un bref détour par le cubisme lié en partie à sa vénération pour Cézanne, les tons s’assombrissent progressivement mais les contrastes trouent quasiment le support de façon complexe, inattendue et légitime : ainsi le vermillon peut-il faire son apparition à la manière de l’écriture de Stendhal. D’ailleurs, de Vlaminck surprend sempiternellement, utilisant avec un excès délibéré la fibre psychodramatique. Son œuvre est sublime. Notons aussi que ce prestigieux artiste a su mettre sur le papier ses affects et autres fantasmes, se livrant en parallèle aux romans et poèmes : D’un lit dans l’autre, 1902 – Tout pour ça, 1903 – Le ventre ouvert, 1937… »

    Ivan Calatayud

     

     

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    « Maurice de Vlaminck est né à Paris, dans le quartier des Halles, 3, rue Pierre-Lescot, le 4 avril 1876, d’un père flamand, Edmond-Julien de Vlaminck et d'une mère d’origine lorraine, Joséphine-Caroline Grillet, qui eurent trois enfants, une fille et deux fils. Le père exerça d'abord le métier de tailleur. Par la suite, il professa la musique, violon et piano. Sa femme, également musicienne, était un second prix de piano du Conservatoire.

    ‘’Je suis né dans la musique’’, a écrit leur fils qui, bientôt, jouera du violon comme un tzigane, presque sans l’étudier.

    Le grand-père paternel de Maurice était maître tailleur. À la fin de sa vie, dans une maison de retraite, au bord des canaux de Bruges, le vieillard, jusqu’alors parfaitement étranger aux beaux-arts, se mit à peindre spontanément. Un jour peut-être connaîtra-t-on les peintures de Vlaminck l’Ancien.

    CouvVlaminckRadio.pngLe père de sa grand-mère, de Skepere, était capitaine au long cours. Lorsqu’on remonte au-delà de ce capitaine, dans l’entrelacs des arbres généalogiques, les ancêtres de la famille paraissent avoir été, pour la plupart, des fermiers flamands et des marins hollandais.

    Cette ascendance donne un accent particulier à l’amour, qu’au surplus de l’admi- ration, Vlaminck n’a cessé d'accorder à Van Gogh. Lorsqu’il assista, pour la première fois, rue Laffite, à une exposition du pauvre Vincent, les harmonies brutales et chantantes du Hollandais martyr le bouleversèrent au point qu’il a noté dans ses Mémoires : ‘’Ce jour-là, j’aimais mieux Van Gogh que mon père.’’

    On peut, dans le même sens, relever au passage qu’un des rares peintres modernes qui aient trouvé grâce à ses yeux soit un autre Hollandais d’origine, Kees Van Dongen. » (source : ici)

     

     

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    CouvCarcoAmi.png« Ayant vu le jour, dans le quartier des Halles, en face du Square des Innocents, Vlaminck fut élevé dans la banlieue de Paris. ‘‘Ma jeunesse s’est passée sur l’eau et les berges de la Seine parmi les débardeurs, les mariniers, m’écrivit-il à l’occasion d’une petite étude que je lui consacrai. Mon père, musicien était né en Flandre mais de souche hollandaise.

    ‘‘Pour faire de la peinture, déclarait l’excellent homme, faut être riche !’’

    Son rêve était de voir plus tard son fils, chef de la fanfare de Chatou et il ajoutait, le plus sérieusement du monde :

    - De cette façon, tu demeurerais dans la Mairie. Tu serais logé. Tu ne paierais pas de loyer. »

    Francis Carco, L’Ami des peintres,

    Éditions du Milieu du Monde, 1944, p. 67

     

    CouvCarcoVlaminck1920.png

     

     

     Salmon par Vlaminck ou Le Père Bouju

    Maurice Vlaminck, F. Carco, André Salmon, Henri Béraud, Georges Charensol, peinture, littérature, Flandre, Flamand« Vlaminck qui signa d’abord Maurice Wlaminck, Maurice le Flamand. Une riche nature de brute émotive que la vanité empêcha d’être tendre. Une vanité singu- lière, une sorte de déviation en spirale d’une obsession de la modestie, de l’humilité. […] Vlaminck n’a jamais manqué de verve, sauf quand il prenait la plume pour éreinter ses anciens camarades. […] Il doit tout à ses œuvres, étant, comme dit l’autre, parti de rien. Lâchant le chevalet pour l’écritoire, il ajoute une page ou deux à ses recueils de malédictions. Il reprend son thème favori : l’opposition du plein chêne au bois d’ébène. C’est pour lui le plein chêne ; les autres peintres, c’est dans ébénistes, sauf Modigliani, Dieu sait pourquoi. […] Adversaire de la plupart, Vlaminck n’a pas eu d’ennemis. On ne demandait qu’à donner bien de l’amitié à cet artiste souvent admirable. Je pense qu’il paya très cher le plus vaste de ses domaines : la solitude. »

    André Salmon, Souvenirs sans fin. 1903-1940,

    nouvelle édition préfacée par Pierre Combescot, Gallimard, 2004

     

     

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    « On conte que, lorsque Gustave Flaubert et son inséparable Louis Bouilhet venaient ensemble à Paris, les boulevardiers du second Empire faisaient la haie au bord des trottoirs, afin de mieux admirer le couple des ‘‘bons géants’’, qui se ressemblaient comme des frères.

    « Les Parisiens d’il y a vingt ans n’étaient assurément pas moins éberlués, lorsque les peintres Vlaminck et Derain foulaient, côte à côte, de leurs pieds solides, le bitume de la capitale. On voyait se lever vers les deux enfants de Chatou, qu’unit le talent et l’amitié, des nez stupéfaits. Et ces jumeaux en Apollon pouvaient bien s’attarder dans les quartiers les plus suspects sans qu’il vînt à aucun rôdeur l’idée de leur demander l’heure qu’il était.

    avec Derain en 1942

    Maurice Vlaminck, F. Carco, André Salmon, Henri Béraud, Georges Charensol, peinture, littérature, Flandre, Flamand« Ainsi, Maurice Vlaminck n'est pas un génie souffreteux. Ce grand gaillard est un grand peintre. Il porte un des plus beaux noms de la peinture française d’aujourd’hui […] Maurice Vlaminck excelle à discerner la beauté la plus rare dans l’aspect le plus quotidien des choses. Il est le peintre des banlieues, où, sous la clarté pesante et mélancolique des ciels suburbains, les maisons chancellent comme des malades ; il aime les paysages d’eau triste et des jours inquiets. Mais il est, par cela même, le peintre de drames puissants ; il n’en est point qui se tiennent plus ‘‘près de la vie’’. Il a peint autour de Paris, à Lajonchère, à Garches, à Bougival, des paysages qui pourraient servir de décors aux drames des cycles nordiques. Tout cela est brossé d'une main forte, d'une poigne qui domine chez le peintre l’angoisse du poète. Cette contradiction, qui souvent étonna les critiques, traduit parfaitement la nature de Maurice Vlaminck. Il est, en effet, célèbre par son entrain, ses boutades et les mystifications de sa jeunesse. […] Sa conversation a quelque chose d’énorme et de joyeux comme si dans sa voix de cyclope roulaient tous les tambours de la gaité. Chacun dit ‘‘qu’il est jovial’’. Et tous se trompent. Vlaminck, avec son rire d’ogre et ses yeux bleus de gosse flamand, est un artiste anxieux, un rêveur craintif que dévore sans relâche la fièvre du doute. […] Il disait, un jour : ‘‘La vie d’un peintre, c'est la course Paris-Bordeaux. Quand vous arrivez à Tours, il faut qu’il vous reste du souffle pour aller à Poitiers. Là, il faut en trouver pour atteindre Angoulême, et, si vous claquez à Angoulême, c’est comme si vous n’aviez rien fait. Le tout est de bien régler le jeu de ses poumons.’’ »

    Henri Béraud, « Le peintre Maurice Vlaminck ou le colosse anxieux »,

    Le Petit parisien, 31 janvier 1921

     


     

     

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    « Vivre du lait de sa vache, des œufs de ses poules et des pommes de terre de son champ, a toujours été chez moi une idée fixe. Si le hasard me conduit dans une forêt, dans une lande, loin du monde et de la multitude, je m’interroge et des fantômes me poursuivent. Mon grand-père, qui vivait dans la campagne flamande, me pousse sans arrêt à revenir à la vie simple qu’il a vécue : les champs, les prés, la rivière, la terre, les animaux et le silence…

    On est toujours pourchassé par les désirs, les besoins, les inquiétudes et les revanches à satisfaire que les fantômes font naître dans le subconscient. Une de mes sœurs a été poursuivie, toute sa vie durant, par le fantôme de sa grand-mère qui lui a fait accomplir tous les gestes, toutes les folies qu’elle-même n’avait pu se laisser aller à faire.

    Mon grand-père ne me laisse pas de repos. Devant chaque paysage, où les bois, les futaies, les vieux arbres, les vieilles maisons, forment un tableau des temps anciens, mon grand-père me tarabuste afin de me mettre en transes et m’obliger à lui obéir. Pour lui faire plaisir, pour l’apaiser, j’ai souvent peint ce qu’il aimait. Je sais ce qu’il veut et je compose à son intention des paysages âpres et tragiques : ceux où le vent courbe les arbres et fait courir les nuages dans un ciel sombre. J’ai peint aussi des campagnes, des villages sous la neige pour ma grand-mère qui maurice vlaminck,f. carco,andré salmon,henri béraud,georges charensol,peinture,littérature,flandre,flamandétait Hollandaise, ainsi que des natures mortes avec des pots en grès, la soupière en étain et la marmite en terre. Certains fantômes nous invitent à aimer le café au lait, la soupe aux choux et le lard fumé. Mon grand-père devait aimer les chaudrons de cuivre, les meubles lourds et noirs, patinés par le temps. Il devait aimer le feu de bois dans la grande cheminée et fumer la pipe en regardant les flammes.

    Le fantôme de ma mère m’a souvent donné des conseils de modération et celui de mon père des conseils de violence, utiles dans certains cas.

    Les morts poussent les pauvres vivants à réaliser ce qu’ils n’ont pu réaliser eux-mêmes […]. Tous les désirs insatisfaits, tous les espoirs déçus de ces pauvres défunts rendent hystérique et folle la malheureuse humanité. »

    Maurice Vlaminck, Paysages et Personnages,

    Flammarion, 1953, p. 134-136

     

     

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     Maurice Vlaminck, 1949