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roman - Page 11

  • La Destinée de Louis Couperus

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    Louis Couperus éreinté par une « femme-homme » de lettres française

     

     

    Terminé en mai 1890, Noodlot, le deuxième roman de Louis Couperus paraît en livraisons à la fin de la même année dans le périodique De Gids. Suit en décembre la première parution en volume. En juin 1891, la traduction anglaise faite par Clara Bell (1834-1927) sort sous le titre Footsteps of fate. On doit la préface – « The Dutch Sensitivists » – à Edmund Gosse (1849-1928) qui dirige la prestigieuse collection « International Library » de l’éditeur William Heinemann. Le livre a du succès en Angleterre ; après l’avoir lu, un Oscar Wilde enthousiaste envoie, avec ses félicitations, un exemplaire de The picture of Dorian Gray – tout juste paru – au romancier néerlandais. Dans un de ses écrits intitulé Dorian Gray (1911), ce dernier raconte :

    Ma cousine, aujourd’hui mon épouse, a lu le roman avec moi. Elle l’a plus apprécié que moi-même. Les nombreux paradoxes m’ont fatigué, m’ont séché d’impatience. Le héros m’a paru trop invraisemblable : mon humeur du moment me portait au réalisme. Mais ma cousine a écrit à Oscar Wilde pour lui demander l’autorisation de traduire le livre en hollandais. L’ayant obtenue, elle a traduit le roman…

    Avant que sa femme Elisabeth ne s’attelle à ce travail, Louis envoie à Oscar Willde, le 22 août 1891, la lettre suivante :

    O. Wilde

    OscarWildePortrait.jpgDear Sir, I am charmed by your letter and graceful present. Your novel gives me exquisite moments: it interested me from the very beginning. My interest fade – excuse me for saying – when Dorian fell in love, but I was enchanted by the scene after Sybil’s performance and by Dorian’s change of mind on the next day. I did not yet finish your book, but would  tarry  no longer in telling you of my impression. I seldom read, but I was happy to read of Dorian, and could not help speaking of your book last night for hours. I hope you will accept my words for truth  and not as a rendering of compliments.

    If ever you come to Holland I hope you will do me the honour of calling on me at: Hilversum (near Amsterdam), Villa Minta.

    With kind regards, yours truly,

    Louis Couperus*

     

    Le critique et biographe français Arvède Barine (pseudonyme de Louise-Cécile Bouffé, 1840-1908) va lire Noodlot – ce mot-clé de l’œuvre de Couperus, qu’on peut traduire par « fatalité » ou « fatum » – dans la traduction anglaise Footsteps of fate. Elle rend compte de ses impressions dans un article assez long, en page 3 du Journal des Débats politiques et littéraires du samedi 6 février 1892. C’est ce texte que nous reproduisons en y ajoutant quelques notes. Il propose un résumé du roman, quelques citations traduites de l’anglais. Spécialiste de littérature étrangère – elle lit le russe, l'anglais, l'allemand, l'italien –, la huguenote Arvède Barine reconnaît le talent de Couperus tout en lui reprochant vertement de le mettre – influence d’un certain esprit français ! – au service de la destruction des plus précieux trésors de l’humanité. Dans son « essai de classification au point de vue moral des principaux romans et romanciers de notre époque (1800-1914) avec notes et indications pratiques » : Romans à lire. Romans à proscrire (1914), l’abbé Louis Bethleem se montrera mois sévère : « Louis Couperus, romancier hollandais, né en 1863, a successivement abordé le poème romantique, le roman naturaliste, le roman psychologique, social, politique, et a obtenu dans ces génies divers un vrai succès. Majesté ; Métamorphose ; La Paix du Monde, etc., sont à lire par les lettrés. » Dans la presse française, l’article d’Arvède Barine est l’un des premiers – peut-être le tout premier – à s’intéresser aussi longuement à un ouvrage de Couperus ; l’étude de Jules Béranek : « Un romancier hollandais contemporain : Louis Couperus », (Bibliothèque universelle et Revue de Genève) ne paraitra qu’en 1895 et celle de Tedor de Wyzewa : « Deux romanciers : M. Louis Couperus et M. Marcellus Emants » (Revue des Deux Mondes) en 1896. Il est aussi antérieur à la première traduction répertoriée (la nouvelle « Une petite âme », Revue des Revues, 14 juin 1894, dans une traduction de Georges Khnopff). C’est semble-t-il à partir de 1894 qu’on va voir apparaître avec une certaine régularité le nom du romancier haguenois dans les périodiques (dont Cosmopolis qui comptait Edmund Gosse et Arvède Barine parmi ses collaborateurs) en même temps que s’élaboraient les premiers projets de traduction (G. Khnopff, T. de Wyzewa, Louis Bresson) qui, au bout du compte, se révélèrent plutôt décevants. Traduit du vivant de l’auteur en anglais, en allemand, en hongrois, en suédois ou encore en croate, Noodlot ne l’a jamais été en français.

     

    Dear Sir. Brieven van het echtpaar Couperus aan Oscar Wilde, bezorgd door Caspar Wintermans, Avalon Pers, Woubrugge, 2003. 

     

    CouvNoodlot.jpg

    Noodlot,  Œuvres complètes, 1990

     

     

    La Destinée, par Louis Couperus

     

    Le roman dont nous allons parler aujourd’hui, la Destinée (*), est hollandais. Son auteur, M. Louis Couperus, n’a pas trente 
ans. Il a déjà publié deux volumes de vers (1884 et 1887), et un autre roman, Eline Vere (1888), qu’on dit très remarquable (1). M. Couperus est l’un des jeunes écrivains qui travaillent là-bas, depuis sept ou huit 
ans, à effarer et affliger leurs paisibles compatriotes, en voulant les forcer à aimer la littérature agitante. Depuis une 
longue suite de générations, la même formule servait à fabriquer pour les jeunes 
filles hollandaises des livres honnêtes et soporifiques qui ne leur excitaient pas 
les nerfs et ne leur mettaient pas la 
tête à l’envers. Les familles étaient tranquilles. Elles pouvaient laisser traîner les 
revues et les livres nouveaux sur la table sans même y jeter un coup d’œil, puisque c’était toujours la même chose. Mais où sont les neiges d’antan ? La corruption littéraire a profité d’un moment où le bon 
génie de la Hollande sommeillait pour s’insinuer dans les cervelles d’une bande de jeunes malfaiteurs qui ont brisé le vieux moule, sans égard pour ses bons et loyaux 
services (2). Ils avaient raison en principe : un 
art qui ne se transforme plus est un art 
mort. Reste à savoir s’ils n’ont jamais, au cours de cette petite révolution, mis la raison du côté de leurs adversaires.

    À la place de ce qui existait, ils proposent le Sensitivisme (3), c’est-à-dire – le mot 
l’indique – une imitation française. Voici, 
en effet, la définition du Sensitivisme, telle 
qu’elle est donnée dans la préface de 
la Destinée par un critique anglais des 
plus distingués, M. Edmund Gosse, qui 
connaît comme pas un les littératures du 
Nord (4). L’école sensitive, nous dit M. Gosse, « est un développement de l’impressionnisme, greffé sur le naturalisme comme la 
frêle bouture d’une plante exotique sur une 
ronce robuste et grossière. Elle a gardé la délicatesse de sensation du premier et elle la 
fortifie par l’exactitude consciencieuse du dernier, mais sans s’abandonner aux caprices 
de l’impressionnisme et aux brutalités du pur 
réalisme. Elle choisit et épure, elle rouvre 
la porte à l’imagination, cette pauvre fille que les naturalistes avaient si brutalement jetée hors de sa maison et de son chez soi. Elle s’efforce de retenir le meilleur, et rien que le meilleur, de toutes les tentatives faites en France durant le dernier quart 
de siècle. »

    Emile Zola

    zolaphoto.jpgLa nouvelle formule est compliquée comme ce qu’elle représente. Précisons par des noms propres. Les Sensitifs hollandais ont pour M. Zola les égards dus aux morts. Parmi les vivants, ils ont une prédilection 
pour M. Huysmans, et ce n’est pas seulement à cause de ses origines flamandes (5). Ils se sentent une parenté intellectuelle avec des Esseintes, ainsi qu’il est naturel à des néo-naturalistes de sang 
germanique, qui ont commencé, par imiter au collège Dante Rossetti, le plus 
mystique des poètes mystiques anglais. « Ce que je reproche au naturalisme, dit un des héros de M. Huysmans, c’est 
d’avoir incarné le matérialisme dans la 
littérature, d’avoir glorifié la démocratie de l’art !... Quel miteux et étroit système ! Vouloir se confiner dans les buanderies de la chair, rejeter le suprasensible, dénier le 
rêve, ne pas même comprendre que la curiosité de l’art commence là où les sens cessent de servir ! » Le même personnage, 
ne voulant pourtant pas revenir aux romans de George Sand et d’Octave Feuillet, propose pour l’avenir, afin d’élargir le système et d’en détruire les mites, un réalisme complété par la notion du surnaturel et de l’au delà. Ce nouveau genre s’appellera le naturalisme mystique. M. Huysmans était fait pour s’entendre avec les descendants des Bataves et des Frisons.

    M. Louis Couperus n’a pas négligé, pour sa 
part, l’élément « suprasensible » dans son roman. Au début du livre, Frank Westhove rentre à pied, de nuit, dans son joli cottage
de Londres. Il tombe des rafales de neige et le froid est perçant. Frank trouve à quelques pas de chez lui un individu en haillons, qui guettait son retour. Il reconnaît dans ce vagabond sans linge, aux souliers éculés, son ami d’enfance, Robert van Maeren :

    - Comment ! vous, Bertie ! Comment 
vous trouvez-vous à Londres ?

    L’autre tremble de froid sous ses guenilles. Sa voix est suppliante et il a des postures de chien couchant. Frank le recueille, le nippe, l’engraisse, emplit son 
gousset, prend pour bon ce que Bertie lui 
raconte de son passé, et le présente au high-life de Londres. La vérité est qu’il a sous son toit un ancien escroc, qui se 
trouve bien dans le cottage de la Rose-Blanche et se propose d’y faire son nid. 
Robert van Maeren rappelle au lecteur le 
petit vieillard des Mille et une Nuits que Sindbad le Marin avait pris à califourchon sur ses épaules pour lui faire passer un ruisseau, et qu’il avait été ensuite impossible de faire déguerpir. Il appartient à la grande famille des parasites, et ses roueries pour s’imposer remplissent le volume.

    Couperus en 1921, photo E.D. Hoppé

    Couperus1921.jpgElles n’ont rien de neuf, ses roueries. Il 
faut être aussi stupide que le brave Frank pour ne pas apercevoir le fil blanc dont sont cousues les malices de Bertie. Eva, sa fiancée, se laisse duper avec la même 
facilité, quoique ce soit une jeune fille très avancée, qui a beaucoup lu et qui se 
pique de comprendre les Revenants, d’Ibsen. Leur aveuglement surnaturel doit 
prouver, si j’ai bien compris, que nous ne saurions lutter contre les puissances mystérieuses qui décident de nos destinées. Nous sommes un jouet entre leurs mains ; dès qu’il leur plaît d’entrer en jeu, ni l’intelligence, ni la volonté ne servent plus de 
rien, et nous cessons d’être responsables de 
ce qui arrive. Ce n’est pas la faute d’Eva s’il suffit que Bertie la regarde en face « avec la noirceur profonde, douce et brumeuse de ses beaux yeux », pour 
qu’elle devienne hallucinée et perde le jugement. Ce n’est pas la faute de Frank 
s’il suffit que Bertie pose ses mains sur ses 
épaules et prenne une certaine voix pour 
qu’il lui obéisse machinalement en tout. Ce 
n’est pas la faute de Bertie lui-même s’il est un misérable, car ce n’est pas lui qui s’est fait, et ce n’est pas lui qui se dirige. Il est né comme cela, et tout ce qui 
lui est arrivé dans sa vie « est arrivé inévitablement et ne pouvait pas tourner autrement ». Il s’en est bien rendu compte un jour qu’il songeait, en regardant le feu, 
au prochain mariage de Frank et d’Eva.

    Ce mariage est pour lui une catastrophe, 
puisqu’il n’y a aucun espoir qu’on le garde en tiers dans le jeune ménage. Il en a néanmoins été l’artisan. C’est lui qui a proposé 
à son ami le voyage en Norvège pendant 
lequel ils ont rencontré Eva : « Un seul mot, prononcé par une sotte impulsion : Norvège ! Et ce mot avait irréparablement façonné le bonheur de deux autres personnes aux dépens du sien. Injustice ! Injustice ! »

    « Et il maudissait l’impulsion, la force 
mystérieuse, innée, qui suggère plus ou moins chaque mot que nous proférons ; et 
il maudissait le fait que chaque mot prononcé par la langue de l’homme ne peut plus être repris. Qu’est-ce que cette impulsion ? Est-ce quelque chose d’obscurément bon, un moi meilleur et inconscient, ainsi qu’on le prétend, qui s’élance comme un 
poulain indompté des profondeurs où il est mystérieusement caché, et foule aux pieds les résultats les plus laborieux de la réflexion attentive ? Oh ! que n’a-t-il tenu sa langue ! Pourquoi la Norvège ? En quoi ce 
pays funeste, fatal, l’intéressait-il plus qu’un autre ? Pourquoi pas l’Espagne, la Russie, le Japon ? Pourquoi pas, bon Dieu ! le Kamtchatka, pour ce que ça lui faisait ? Pourquoi justement la Norvège ? L’idiote impulsion, qui avait ouvert ses misérables lèvres pour prononcer ce malheureux nom ! 
et, oh ! l’injustice du sort, de la vie, de tout ! »

    « L’énergie ? La volonté ? Qu’est-ce que la volonté et l’énergie peuvent faire contre 
le destin ? Ce sont des mots, des mots vides. Soyons de plats fatalistes, comme les Turcs ou les Arabes, et laissons le jour succéder au jour ! Ne pensons jamais ; car derrière la 
pensée guette l’impulsion ! Combattre ? Contre la Destinée, qui forge aveuglément 
ses chaînes, anneau par anneau ? »

    Bertie se mit à pleurer. « Il vit sa propre lâcheté prendre forme devant lui : il la regarda fixement dans ses yeux enrayés, et il ne la condamna pas. Car il était comme le sort l’avait fait. Il était un poltron, et il 
n’y pouvait rien. Le monde appelait les 
gens comme lui des lâches : c’était un 
mot. »

    Metamorfoze, dessin de Jan Toorop, 1897

    couvMetamorfoze.gifLe cas de Bertie n’est ni rare, ni intéressant. C’est en vue des gens à impulsions irrésistibles que la société a inventé les 
gendarmes, et ils finissent presque tous 
mal. Quant à son influence hypnotique sur 
les jeunes demoiselles et les grands dadais, nous la connaissions aussi. Les romantiques avaient beaucoup usé de l’homme fatal au regard magnétique, à une époque 
qui est encore si proche de nous, qu’on aurait pu attendre un peu avant de procéder à l’exhumation littéraire de ce vieux 
mannequin. Ce que j’en dis est pour les écrivains français, car j’ignore si la jeune école hollandaise abuse des héros qui fascinent à la manière des serpents.

    Quoi qu’il en soit, Bertie s’abandonne à ses impulsions : « Il attendait avec la patience d’un fataliste les pensées qui prendraient forme dans son cerveau et les paroles qui monteraient à ses lèvres. »

    Il eut d’abord un songe, un grand songe 
classique, imité de celui que M. Huysmans, qui l’avait lui-même imité de Racine, a placé dans À Rebours. Je ne pense pas que 
personne ait le cœur d’en vouloir sérieusement aux songes, quoique celui d’Athalie nous ait tous bien ennuyés, dans notre enfance, à apprendre par cœur. C’est un 
moyen qui en vaut un autre de révéler au 
lecteur les secrètes préoccupations du personnage. Mais rien ne montre mieux l’horrible difficulté de trouver du neuf en littérature que de voir les jeunes gens d’aujourd’hui, qui n’ont pas de railleries assez 
féroces pour leurs devanciers, en être réduits à reprendre un à un des artifices aussi vieux que le monde.

     

    couvarebours.jpgBertie s’appliqua ensuite à rompre le mariage de Frank, car il ne dédaignait point d’aider la fatalité. Eva devint la victime des puissances occultes. Elle entendit des voix étranges et fut poursuivie par des yeux qui brillaient dans la nuit. Quelquefois, « ça aboyait ». À d’autres moments, c’était « un tonnerre surnaturel 
qui approchait, de plus en plus près, de plus en plus fort », et qui se terminait par un craquement épouvantable, 
juste au-dessus de la tête d’Eva. Les nerfs de la jeune fille se détraquèrent, un vent de folie passa sur elle, et Bertie triompha. Il avait brouillé les fiancés et pompé Franck jusqu’à son dernier sou, quand celui-ci, par un juste retour, eut aussi une impulsion irrésistible et le réduisit en bouillie de quelques coups de ses énormes poings. –

    « La face n’était plus qu’un masque de 
bleu, et de vert, et de violet, taché d’un noir purpurin qui suintait des oreilles, et du nez, et de la bouche, coulant doucement, visqueux et sombre, goutte à goutte, sur le tapis. L’un des yeux était une masse informe, moitié pulpe et moitié jus ; l’autre regardait fixement du fond de son orbite ovale, comme une grande opale terne et 
mélancolique. La gorge semblait entourée d’un très large ruban pourpre. Et tandis qu’ils regardaient, il leur sembla que les 
traits du visage enflaient, enflaient en une difformité écœurante et méconnaissable. »

    C’était en vérité un bien petit malheur. Le tribunal en jugea ainsi, car le meurtrier en fut quitte pour deux ans de prison, au bout desquels la bonne Eva voulut l’épouser et refaire sa vie. Hélas ! Frank était sorti de son cachot entièrement avachi. Il avait occupé ses loisirs a méditer les 
idées déterministes de Bertie et il les avait trouvées en harmonie avec sa nature 
molle : « Je suis comme Dieu m’a fait, disait Bertie, et je n’y puis rien, j’aurais été autre si je l’avais pu et je n’ai fait que ce que je ne pouvais pas m’empêcher de faire. Cela ne 
dépendait vraiment pas de moi… je vous 
jure que je voudrais bien être différent. Mais comment puis-je m’empêcher d’être ce que je suis ? » On n’avait encore jamais découvert une théorie aussi commode pour 
être lâche et égoïste tout à son aise et se 
dispenser d’aucun effort sur soi-même. Elle m’a fait comprendre ce que je n’aurais jamais compris sans elle : c’est que parmi les bienfaits apportés au monde par le christianisme, l’invention du Diable, du démon tentateur de nos pères, n’a pas été l’un des moindres. Puisqu’il faut toujours que nous rencontrions des obstacles sur la route du bien, celui-là, du moins vous fouettait le sang. On pouvait 
lutter avec le Diable ; on était à deux de 
jeu, et la peur de l’enfer vous excitait à 
l’action. Sans compter la joie incomparable, dont on entend l’écho dans les vieilles légendes populaires, de le mettre dedans comme un nigaud avec l’aide de la Vierge et des saints ! Aujourd’hui, plus de combat : « Comment puis-je m’empêcher d’être ce que je suis ? » Et l’on s’abandonne, non seulement avec la conscience en paix, mais 
avec le sentiment d’avoir une âme distinguée et d’être au courant du mouvement de la science. Quand Eva, ayant approfondi l’état d’esprit de son fiancé, lui déclare que ce sont là des sottises, Frank répond avec un sourire mélancolique : « Non ; c’est de 

la philosophie. »

    Alors Eva s’empoisonne et lui passe le reste de la bouteille. On entend une dernière fois le « tonnerre surnaturel » et, lorsque éclate le grand coup, Eva expire sur le cadavre de son amant.

    Louis Couperus, 1892

    Couperus1892.gifAprès l’analyse et les citations qui précèdent, j’ai à peine besoin d’ajouter que M. Louis Couperus n’est pas le premier venu. Il a beaucoup de talent, et c’est à nous autres Français qu’il faut s’en prendre de l’emploi qu’il fait de son talent. C’est nous qui avons décidé qu’un romancier ne doit pas plus reculer qu’un savant devant une vérité quelconque. Puisqu’un traité d’obstétrique, par exemple, est tenu de dire la vérité, toute la vérité, aux élèves sages-femmes pour lesquelles il a été écrit, le romancier qui parle d’une naissance n’a pas davantage le 
droit d’esquiver un seul détail. De même lorsqu’il s’agit d’idées, philosophiques ou 
autres. Le romancier est tenu de tout dire, quoi qu’il puisse en advenir : les conséquences, c’est-à-dire l’effet produit sur le lecteur, ne le regardent pas.

    C’est rabaisser étrangement le rôle de la 
littérature dans la vie d’une nation. Comment, cela ne vous regarde pas ? Cela ne vous regarde pas de laisser votre lecteur l’imagination salie ou la volonté énervée ? Personne n’a plus horreur que moi des romans qui prêchent ; je suis devenu injuste pour les romans anglais à force d’agacement contre leurs fades pots-pourris de flirtage, de tasses de thé et de religion, car c’est une autre manière de rabaisser l’art que de l’employer à abêtir les intelligences. Mais j’ai une si haute idée des lettres et de leur influence, qu’il me semble que les écrivains tiennent entre leurs mains la 
pudeur des femmes, le courage des jeunes 
gens devant la vie, la sérénité des vieillards, tout ce qu’il y a de plus précieux dans l’âme d’un peuple. Je ne peux pas admettre qu’ils détruisent volontairement ces trésors de l’humanité et qu’ils viennent dire ensuite : « Cela ne me regarde pas. » Pauvre littérature, que de crimes l’on commet en ton nom.

    Arvède Barine (6)

     

    (*) Footsteps of Fate (en hollandais, Noodlot), par Louis Couperus (Londres, Heinemann ; Paris, Hachette). J’ai le tort de ne pas savoir le hollandais. Je me sens tenu de m’excuser ici à mes lecteurs et à M. Couperus de rendre compte d’un roman sur une traduction, sans pouvoir 
vérifier si elle est fidèle et complète. Je ne me dissimule pas les erreurs en tout genre qui peuvent en résulter.

    (1) Les deux seuls recueils de poèmes jamais publiés par Louis Couperus : Een lent van vaerzen (Un printemps de vers, 1884) et Orchideeën (Orchidées, 1886). Après son premier roman, Eline Vere (1889), qui eut un grand retentissement dans son pays, il ne devait pour ainsi dire plus abandonner la prose.

    (2) Il est bien entendu question ici des Tachtigers qu’évoque, non sans commettre quelques erreurs, Edmund Gosse dans sa préface. L’un d’eux, Frederik van Eeden, ainsi que l’écrivain néerlandais d’expression anglaise Maarten Maartens, avaient conseillé au critique anglais de lire Couperus.

    Edmund Gosse par J.S. Sargent, 1886

    EdmundGossePortrait.jpg(3) « À la fin du XIXe siècle, un courant littéraire particulier apparaît aux Pays-Bas : le Sensitivisme. Ce courant essaie, en amplifiant la perception des sens jusqu’à une sensibilité et un raffinement extrêmes, d’arriver à une réalité supérieure ou plus profonde et de transcrire cette expérience sous une forme littéraire. » Pour ce qui est de la prose, Lodewijk van Deyssel est le grand représentant de ce courant, et pour la poésie, Herman Gorter. « Les sensitivistes se sont principalement référés à des auteurs de langue française : les frères Goncourt, Maurice Barrès, Joris-Karl Huysmans, Maurice Maeterlinck. Même si leur façon de travailler était très éclectique, les sensitivistes néerlandais ont certainement été inspirés par le travail et les conceptions de ces auteurs francophones. Cependant, le Sensitivisme qu’ils voulaient réaliser n’avait pas encore – d’après eux – été accompli pleinement dans la littérature étrangère. Ils ont pourtant reconnu, chez certains auteurs et dans certaines de leurs théories, des aspects qui les intéressaient et qui accélérèrent leur propre réflexion, donnant ainsi une forme nouvelle à la littérature. En ce qui concerne le monde des idées au sens large, il est évident que le fait de tendre, d’une façon ou d’une autre, vers une dimension métaphysique à portée de l’expérience humaine, ainsi que la mise en relation de cette expérience avec l’activité artistique, sont caractéristiques de l’ensemble des écrits philosophiques lus par les sensitivistes. On pense en particulier à des auteurs comme Van Eeden, Du Prel, Schuré, Maeterlinck, Emerson et De Guaita. » Plus largement, « il existe des points communs avec les idées des peintres néerlandais de cette période, et en particulier avec les Impressionnistes d’Amsterdam, avec Van Gogh, Vester, Matthijs Maris, Thorn Prikker, Toorop et les Luministes d’Amsterdam. Il faut signaler qu’il s’agit ici, non seulement des conceptions des artistes eux-mêmes mais aussi des idées qui leur sont attribuées par les critiques d’art de l’époque. » (ces citations proviennent du résumé en français de la thèse de Maria Gesina Kemperink, Van observatie tot extase. Sensitivische proza rond 1900, 1988, http://irs.ub.rug.nl/ppn/046269487).

    (4) Traducteur, critique d’art, Edmund Gosse est aussi l’auteur des Studies in the Literature of Northern Europe (1879) ; il a par ailleurs introduit Ibsen au Royaume-Uni.

     

    ZolaCaricature.jpg

    (5) Si l’influence de Zola est incontestable, il ne faut pas l’exagérer en ce sens où le naturalisme batave a revêtu un caractère propre. « La jeune école hollandaise défend une vision diamétralement opposée à celle de Zola et de son naturalisme. Elle se rattache à l’école française des Décadents et des Symbolistes », ira même jusqu’à écrire un rédacteur de l’Elsevier’s Geïllustreerd Maandschrift en 1894. Louis Couperus a reconnu lui-même ce qu’il devait à Zola, dette dont on trouve l’écho dans son roman autobiographique Metamorfoze : « Ils lisaient ensemble Zola, dans leur chambre, dans les bois, dans les dunes. Zola était pour eux la révélation immense d’une conception grande et saine de l’existence, de la nécessité de voir la vie telle qu’elle était. Entre-temps ils lisaient Balzac, Flaubert, les Goncourt, la jeune génération des naturalistes français. » (traduction reprise à : Pierre Brachin, « Le “Mouvement de 1880” aux Pays-Bas et la littérature française », Un Hollandais au Chat Noir. Souvenirs du Paris littéraire 1880-1883, Paris, La Revue des Lettres Modernes, n° 52-53, vol. VII, 1er trim. 1960, p. 17.) Malgré de telles confidences, Couperus n’a jamais fait « du Zola ». Quant à J.-K. Huysmans, il a existé aux yeux des « jeunes Hollandais » après que son ami Ary Prins leur eut parlé de lui, mais ils pratiquaient déjà l’époque les Goncourt ou encore Villiers de l’Isle Adam. Rappelons que dans le premier numéro du Nieuwe Gids (1885), revue des novateurs, figurait « L’esthétique de demain : L’art suggestif » de Maurice Barrès, mais aussi le poème La Marée de Sully Prudhomme. La rédaction précise que la revue s’est assurée « la collaboration de quelques hommes de lettres français ».

    (6) Au sujet de la femme qui se cache sous ce nom étrange, on peut lire : Isabelle Ernot, « Une historienne au tournant du siècle : Arvède Barine », Mil neuf cent, 1998, n° 1, p. 93-131. (www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mcm_1146-1225_1998_ num_16_1_1186)

     

     

     

  • Slauerhoff & Macao

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    Un poème français

    de J.J. Slauerhoff

     

     

     

    SAN MIGUEL DE MACAO

     

     

    La façade s’élève, rigide comme un rocher, devant la décrépitude du sanctuaire. Pas un pilier, pas une arche ne reste de la somptuosité ancienne.

    Debout comme une stèle, s’élevant du sein de l’éternel, elle domine l’espace, – temple du ciel avec le soleil comme rosace en sa coupole.

    Les saints pâles, priant dans leurs vitraux, sont brisés avec eux. À travers les trous vides, l’azur vibre et les rayons, les oiseaux, passent à leur gré.

    Les tout-puissants, taillés dans la pierre sur le portail, la Mère de Dieu portant le globe, l’Amiral au beau milieu de sa flotte, n’ont pu subir cette nef étroite derrière eux.

    Ils ont détruit tout : murailles, piliers, toits, jusqu’à l’horizon, jusqu’à l’espace ; le seul temple digne de leur puissance s’étend autour d’eux tandis que la ville se consume humblement à leurs pieds.

     

    couvmarécage.png

    © photo :

    Jeanne Verbij-Schillings & Bibliothèque universitaire de Leyde

     

    Parmi les œuvres du poète, romancier et essayiste Jan Slauerhoff (1898-1936), on relève une œuvre en langue française, la plaquette hors commerce Fleurs de marécage, (A.A.M. Stols, Bruxelles, 1929, lettre-préface de Franz Hellens). (1) La plupart des poèmes – 13 – sont des adaptations ou des traductions de poèmes que l’auteur avait lui-même écrits en néerlandais ; « San Miguele de Macao » est par exemple une adaptation de « Kathedraal St. Miguel », publié dans le recueil Oost-Azië en 1928. Les 7 autres, le poète-médecin les a écrits directement en français.

    Il avait commencé à composer Fleurs de marécage aux Indes néerlandaises, bénéficiant du regard critique du grand connaisseur des lettres françaises Johannes Tielrooy. (2) Puis, en 1929, grâce à l’éditeur de Maastricht Stols, Slauerhoff rencontre l’écrivain Franz Hellens qui avait traduit certains de ses poèmes en français ; le Néerlandais souhaite que son confrère bruxellois lise le recueil et écrive une préface. Hellens accepte, se proposant même de corriger les textes français. Le manuscrit va également passer entre les mains de l’ami Eddy du Perron qui semble avoir émis des réserves sur quelques tournures françaises ; c’est d’ailleurs ce dernier – bibliophile singulier, du Perron a consacré une part de la fortune familiale à éditer des livres hors commerce – qui assure la mise en page de la plaquette.

    Fleurs de marécage paraît finalement au cours de l’été 1929 (tirage : 75 exemplaires) avec une lettre de Franz Hellens en guise de préface. Jan Slauerhoff souhaite l’offrir à des proches et des connaissances, en particulier ceux et celles qui ne lisent pas le néerlandais, entre autres sa maîtresse françaises Claire Fouletier ; sans doute Jane Pesante, Bretonne que le poète rencontre à Nice en août 1929 a-t-elle elle aussi hérité d’un des exemplaires des Fleurs.

    Macao – ville où Slauerhoff s’est rendu deux fois – est au cœur d’autres poèmes – le nom de la cité est même le titre de l’une des deux parties du recueil Oost-Azië, cycle dédié à Constançio José da Silva –, mais aussi de son grand roman, Le Royaume interdit (1932), qui nous conduit au royaume des ombres en mettant en scène le poète portugais Camoens et un homme du XXe siècle, radio de bord, deux êtres dont vies, corps et âmes vont se confondre. Certains édifices religieux de l’ancien comptoir portugais occupent une place importante dans ce livre : un couvent livré aux flammes, une église où sont réfugiés des hommes qui défendent la ville contre des assaillants… On découvre à la fin du roman une évocation d’un édifice délabré, fantôme – l’église São Paulo –, proche de celle que propose le poème ci-dessus. D'ailleurs, l'église San Miguel, c'est en réalité l'église São Paulo  :

    …il s’entêta et se retrouva tout à coup devant un large escalier dominé par la façade rigide de la cathédrale ; tout en haut, perçant le ciel grisâtre de la nuit, la croix noire. Il monta d’un pas lent l’escalier, tête baissée afin de veiller à ne pas trébucher : les marches étaient lisses et désagrégées. Quand il sentit qu’il n’y en avait plus, il leva les yeux : il venait de poser les pieds sur le parvis, le front de l’église était noir, semblable à une imposante pierre tombale verticale ; aucune lumière ne filtrait par les vitraux. Il savait que derrière cette surface inerte se cachait une chose horrible ; impossible de faire demi-tour, l’escalier semblait s’être effondré derrière lui ; sous la menace de ce gouffre béant, il avança, étourdi, à grandes enjambées, vers la cathédrale. (3)

    SaoPauloMacao.jpg

    (photo : source)

     

    On notera que dans « San Miguel de Macao » – tout comme dans l’« Aube à Macao » du même recueil –, Slauerhoff a abandonné dans son adaptation la disposition en strophes, obtenant un résultat qui n’est pas sans rappeler les Stèles de Victor Segalen, écrivain et médecin de bord avec qui on l’a d’ailleurs bien souvent comparé. Le Néerlandais est d’ailleurs « certainement le premier à avoir jamais traduit un texte de Segalen : “Aan de Reiziger”, en 1930, traduction publiée dans le recueil “chinois” de Slauerhoff Yoeng Poe Tsjoeng, est une adaptation de “Conseil au bon voyageur” des “Stèles du bord du chemin”. On est frappé par les points communs entre les deux hommes : tous deux étaient médecins de bord et d’infatigables voyageurs ; tous deux ont laissé une œuvre exceptionnellement variée et, pour l’un comme pour l’autre, le Royaume Interdit a constitué une importante source d’inspiration. » (4)

    Terminons en citant un quatrain du poème « Fin de siècle », qu’appréciait beaucoup Eddy du Perron et qui illustre assez bien l’état d’esprit de Slauerhoff :

    Or, ce dédain superbe de s’en aller,

    En souriant, le long du précipice,

    Au charme paisible de la vallée,

    Vaut bien le bonheur et tous les délices.

     

    édition 1986

    CouvMarécage.jpg(1) Fleurs de marécage connaîtra une réédition la même année, sans doute à l’instigation d’Eddy du Perron, une troisième, augmentée, en 1934 et une dernière en 1986 chez Nijgh & Van Ditmar (avec en regard les textes néerlandais de l’auteur ou les traductions de Hans van Straten). Une part des données de cette notice sont empruntées à Wim Hazeu, Slauerhoff. Een biografie, De Arbeiderspers, 1998 (3ème éd. augmentée) et à Kees Snoek, E. du Perron. Het leven van een smalle mens, Nijgh & Van Ditmar, 2005.

    (2) Johannes Tielrooy (1886-1953), critique et universitaire. Admirateur d’Anatole France, de Victor Hugo, de Voltaire, il a consacré plusieurs études à Barrès (dont un livre en 1918) et rédigé une thèse en français : Conrad Busken Huet et la littérature française (E. Champion, 1923) ; devenu universitaire après un long séjour aux Indes néerlandaises, il a publié en 1938 aux éditions du Sagittaire un Panorama de la littérature hollandaise contemporaine ainsi que, toujours en langue française, La Hollande et l’Indonésie, Bruxelles, Le Flambeau, 1958. Sa grande étude (1948) sur Ernest Renan – dont il a traduit en 1945 Qu’est-ce qu’une nation est disponible en français : Ernest Renan, sa vie et ses œuvres, trad. Louis Laurent, préf. René Lalou, Mercure de France, 1958. Citons encore un ouvrage en néerlandais consacré à Chateaubriand (1936) et une longue étude sur Racine (1951). Son épouse, Jacoba Tielrooy de Gruyter, a également publié en français : Kabar Anghinn, Impressions de Java et de Bali, présentation Luc Durtain, croquis A. Breetvelt, Les Œuvres représentatives, 1932 (sans oublier des articles sur la poésie hollandaise dans YGGDRASILL. Bulletin Mensuel de la Poésie en France et à l’Etranger, 1937). Sa seconde ( ?) épouse a traduit en néerlandais La Pharisienne de François Mauriac.

    (3) J. Slauerhoff, Le Royaume interdit, trad. Daniel Cunin, Circé, 2009.

    (4) Maarten Elzinga, Victor Segalen (1878-1919), musicus, reiziger, etnoloog, dichter, fotograaf, arts, archeoloog, catalogue de l’exposition organisée à la Maison Descartes, 11 novembre-20 décembre 2000, p. 7 (photo ci-dessous). À cette occasion a eu lieu le colloque « Slauerhoff & Segalen : exotistes ».

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    Voir par ailleurs un texte de J. Slauerhoff,

    « Le cas Lautréamont »,

    traduit en français par Fiel Heuvelmans

    et publié dans la revue de Frans Hellens,

    Le Disque vert, n°4, 1925

     

     

  • Adriaan van Dis : fichues promenades

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    Un promeneur en vidéo

     

    Le romancier Adriaan van Dis nous parle de son roman

    Le Promeneur (Gallimard, 2008)

    et de Paris, plus grande ville africaine hors de l’Afrique

     

     

     

     

     

    Les livres d'Adriaan van Dis en français : ICI & ICI

     

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    LE MOT DE L'ÉDITEUR

    Mulder, un Néerlandais d'une soixantaine d'années installé à Paris, mène une vie de rentier bien ordonnée, entre son appartement impeccable et ses sorties vespérales quotidiennes, quand surgit sur les lieux d'un incendie un chien qui va transformer son rapport au monde. L'animal, un bâtard sans nom ni maître, bouscule ses habitudes d'homme maniaque et solitaire, et le détourne de son itinéraire de promenade immuable pour lui révéler cet autre monde, celui des exclus, de la rue, des squats. À ses côtés, Mulder va rencontrer Ngolo, Le Chinois, Madame Sri, Fanta, le père Bruno…, et se heurter à toutes les difficultés que soulève le désir de venir en aide, de «faire quelque chose».
    Adriaan van Dis dresse un tableau sans concession ni complaisance d'une réalité qui dérange, dans un roman où cohabitent avec bonheur un humour omniprésent et un immense besoin de croire en l'homme, d'espérer le meilleur.

     

    Un livre à conseiller avec d’autant plus d’enthousiasme qu’il est remarquablement écrit. Adriaan van Dis a un talent fou pour trouver des formules percutantes et parfois féroces. Certaines descriptions de personnes abîmées par la vie et l’évocation des horreurs du monde sont parfois crues mais jamais misérabilistes. L’humour et un immense besoin de croire en la bonté l’emportent.

    Chantal Joly, Revue Quart Monde, n° 207, 2008.

     

    couvwandelaar.jpg

    l'édition originale : De wandelaar, Augustus, Amsterdam, 2007

     

  • L’écriture romanesque comme un feu de tourbe

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    Un entretien

    avec le romancier Tomas Lieske

     

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    T. Lieske, Le petit-fils de Dieu en personne,

    trad. Catherine Mallet en collaboration avec Marc Das,

    sous la direction de D. Cunin,

    Strasbourg, Impasses de l’Encre, 2006.

     

     

    Après « L’imagination souveraine » – une brève présentation de l’œuvre romanesque de Tomas Lieske et un extrait de ses deux livres disponibles en français –, voici, pour donner une image plus complète de son travail, les réponses qu’il a bien voulu donner à une série de questions écrites.

     

    D.C. Ce qui me surprend sans doute le plus en lisant vos romans et nouvelles, c’est l’exubérance de couleurs, de sons, toutes ces odeurs, la place accordée à la dimension tactile… tout cela en rapport soit avec la sensualité, soit avec la mort ou la menace de la mort. Comment naissent toutes ces images, où allez-vous puiser cette luxuriance ? En d’autres mots, où cherchez-vous l'inspiration (sources littéraires, photographiques, picturales, géographiques…) ?

    T.L. Il me semble que je la puise à trois sources différentes : 1. Mes souvenirs, mes émotions, les expériences accumulées au cours des années. 2. Les recherches historiques, la documentation sur un pays donné, etc. … 3. Mon imaginaire. L’idéal, c’est quand ces trois champs s’équilibrent dans un roman. Autrement dit, tous mes romans se basent à la fois sur mes émotions et mon vécu tout en relevant pour une bonne part de la pure imagination. Ou encore : dans toute description fondée sur des sources historiques solides, l’imaginaire parvient à se faufiler. Je pars du principe que la tâche première de l’écrivain consiste à créer un monde inédit, l’imagination étant la qualité le plus belle de l’homme. On peut comparer cela à la Création. L’important pour moi, c’est cette qualité et ce jeu : créer un univers avec des mots et une langue, et non pas avancer un message, une morale ni quoi que ce soit.

    Quant à savoir comment naissent au juste les images, je n’en sais rien moi non plus. Quand je souhaite décrire une situation donnée, j’essaie de m’ouvrir le plus possible. C’est-à-dire que je tente de réveiller tous les souvenirs qui vont me permettre de mieux voir, de mieux goûter, de mieux sentir cette situation. Les souvenirs de mon enfance et de mon adolescence, liés à des circonstances comparables à celles que je décris ; le souvenir de visites au zoo, de voyages que j’ai pu faire dans le pays que j’évoque, mais aussi les photos que j’ai pu conserver. J’ai besoin de sentir que je suis allé là où je situe l’histoire, même si celle-ci se déroule au XVIe siècle ou dans un pays lointain.

     

    D.C. Comment ces images se tissent-elles dans la structure romanesque pour donner ces descriptions époustouflantes ?

    T.L. Quand je m’attelle à un roman, je ne sais pas moi-même ce qui va se passer ni comment l’histoire va se terminer. Je commence par écrire des passages dans lesquels les divers fils narratifs s’entrecroisent. J’imagine des situations qui ont un rapport avec l’histoire et les décris avec un souci extrême du moindre détail. Peu à peu, l’histoire prend forme. Vient ensuite la composition, c’est-à-dire que je retiens les passages qui me paraissent convenir ; le reste, je l’élimine. C’est seulement à ce stade que je m’intéresse au jeu qu’opèrent les images et les descriptions ; je m’efforce alors d’apporter de la cohérence à l’ensemble.

    Pour édifier ce monde, l’écrivain a à sa disposition le style et les images. Le style, c’est-à-dire qu’il puise dans la langue et toute ses richesses. Aussi bien des mots peu usités que le langage courant, familier ; aussi bien le langage châtié que l’argot ; la langue qui vaut comme norme aussi bien que des régionalismes. Quant aux images, elles cherchent à transmettre au lecteur une chose qui va lui rester.

    En écrivant un roman, on fait en permanence des choix. Chaque choix écarte des romans qui auraient pu exister. Certains choix sont guidés par la raison, d’autres se font à l’intuition. Ce qui veut dire que je ne suis pas moi non plus à même de tout expliquer. Il m’arrive de ne pas savoir pourquoi j’ai retenu telle option plutôt que telle autre.

    Pour ce qui est du souci des détails, je suis convaincu qu’un univers littéraire ne peur s’édifier que sur cette base. Il me faut vivre chaque scène et chaque scène doit être rendue de façon détaillée. Quand je place Dünya [personnage féminin qui a donné son nom au roman publié en 2007] dans une rue d’Istanbul en 1930, il me faut connaître la mode vestimentaire de l’époque, savoir quels parfums on pouvait acheter, quelles pâtisseries elle voit, à quelles soirées dansantes elle peut participer, à quel combat de boxe ou quelle élection de Miss Turquie elle peut assister. Peu importe si au stade de la composition j’élimine la plupart de ces données, l’important étant que je vive moi-même les choses et que je marche à côté de mon personnage dans la rue en question. 

     

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     T. Lieske, Mon amour souverain,
    trad. Annie Kroon, Le Seuil, 2008

     

    D.C. Le lien entre la sensualité d’une part, la violence, la mort, voire la putréfaction de l’autre – par exemple dans Mon amour souverain où, à la fin, vous nous offrez, parallèlement au souvenir que garde Marnix de la poitrine d’Isabel, la vision du roi Philippe II en train de pourrir sur son lit –, n’est pas sans rappeler une thématique chère à certains auteurs, par exemple Barbey d’Aurevilly, la fascination du mal. – Dans vos romans comme dans les siens, on plonge qui plus est par endroits dans une atmosphère étrange, fantasmagorique, fiévreuse où la raison échappe aux personnages, et presqu’au lecteur pour ainsi dire. Comment expliquez-vous cet aspect de vos livres, sachant qu’à la différence d’un Barbey d’Aurevilly, il n’y a pas chez vous de préoccupation théologique ?

    T.L. J’essaie de créer un univers littéraire. Dans cet univers, je m’efforce de ne pas me prononcer sur le bien et le mal, de me tenir éloigné de tout jugement moral. Prononcer un tel jugement, ce n’est pas ma tâche. Je privilégie le sensoriel : tomber dans le psychologisme conduit à émettre un jugement, mène au superficiel, cela ne débouche que rarement sur un beau style. Le sensoriel, c’est voir bien sûr, mais aussi sentir, toucher, goûter, entendre. Sans les sens, pas de description.

    Ce qui m’importe, c’est de saisir l’existence dans sa totalité. Dans une telle démarche, la comparaison entre l’homme et certains animaux apporte toujours des éléments éclairants. Je crois que l’univers ainsi créé doit ressembler à l’univers réel, sinon, on court le risque de devenir illisible. Il faut que le lecteur puisse reconnaître un tant soit peu l’univers que propose le roman. En même temps, cet univers doit être un peu de travers ; il doit être en danger. Dans la vie réelle, certaines conventions permettent de rendre la vie possible ; dans le roman, il convient de suspendre celles-ci. C’est à ça que sert la littérature. C’est là sa grande valeur. Je compare cela volontiers à un feu de tourbe. Dans un tel cas, on a l’impression que le sol reste intact – si ce n’est qu’il y a cette odeur singulière –, mais soudain, le feu, qui s’est glissé sous terre, prend quelque part ailleurs. De même, la littérature décrit une réalité en apparence intacte, mais on ne peut s’empêcher de penser que quelque chose va de travers, et tout à coup, les flammes surgissent : on prend alors conscience que le feu couvait depuis le début sous la surface.

     

    D.C. Par leur comportement, leur apparence aussi (êtres difformes, arriérés, un borgne…), nombre de vos personnages paraissent appartenir, au moins en partie, au règne animal. Le garçon du Petit-fils de Dieu en personne est doué, peut-on penser à certains moments, d’une intelligence rare, mais, enfermé dans son monde rudimentaire, il vit plus ou moins à la manière d’une bête ; la seule personne qui lui porte de l’affection est revêtue à la fin de l’histoire, avant de disparaître, d’un habit confectionné avec des peaux d’animaux. Les rapports qui se créent souvent entre vos personnages sont un mélange de bestialité et de désir de douceur. Est-ce l’imperceptible frontière entre « civilisation » et « barbarie » que vous tentez de saisir ? Barbarie qui semble prendre le dessus dans Une jeunesse de fer où vous donnez, à travers le personnage principal masculin – un membre du parti –, une image d’une société qui s’enfonce dans le totalitarisme, tandis que le personnage principal féminin, une jeune fille de 14 ans, se perd dans ses propres démons.

    T.L. Oui, le rapprochement avec les animaux est exact. Je cherche la frontière, l’endroit où se rencontrent l’homme qui évolue dans un monde où prévalent des règles et des conventions, et l’homme qui voudrait évoluer dans un monde sans règles ni conventions. Une sorte de frontière entre civilisation et sincérité totale, laquelle peut d’ailleurs être aussi bien bonne (manifestation de l’amour) que mauvaise (l’éventuelle envie de tuer).

     

    D.C. Dans de nombreux passages de votre œuvre, l’eau joue un rôle primordial : la noyade des deux frères à la fin du roman Gran Café Boulevard  – quand leur voiture sombre dans l’eau – noyade qui se prolonge sur plus de 10 pages ; dans une de vos nouvelles, la belle femme que l’on retrouve à moitié dévêtue et morte, cadavre pris dans un bloc de glace translucide ; dans Une jeunesse de fer, la rivière où se baignent les enfants et le lac qui est le théâtre des premiers jeux sexuels des adolescents ainsi que d’un drame ; la cascade où, dans une scène de quasi-crucifixion, le jeune Adoain du Petits-fils de Dieu en personne se lave avec son père. Mais presque toujours, l’eau semble synonyme de mort. Une damnation – le fatum de Couperus ? – pèse-t-elle sur vos personnages, y compris quand le personnage est un zeppelin comme dans le roman « turc » Dünya ?

    T.L. Je ne sais pas nager. Dans mes cauchemars, je me suis souvent vu au volant d’une voiture dont je perdais le contrôle et qui finissait dans l’eau. Cela ne présente guère d’intérêt pour le lecteur, mais c’est peut-être une clé pour comprendre pourquoi l’eau est liée à la mort dans mes livres.

     

    D.C. Quel sens faut-il donner à l’une des thématiques que vous affectionnez : l’ambiguïté des attirances, tant celle que peut éprouver un homme pour une jeune fille que celle d’une femme mûre pour un garçon, tant celle que peut éprouver une adolescente pour un gamin que celle d’un cousin pour sa cousine ?

    T.L. L’attirance, l’amour, les flirts, tout cela se produit souvent entre des personnes qui, d’un point de vue social, auraient mieux fait de ne pas se rencontrer. Un thème présent chez les auteurs grecs ou encore chez Shakespeare. La littérature présente souvent des relations amoureuses tendues. Décrire un couple qui vit une relation harmonieuse – relation que je souhaite à tout le monde – ne présente aucun risque sur le plan romanesque. Or, le romancier cherche le danger.

     

    couverture de la version originale

    du Petit-fils de Dieu en personne

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    D.C. Quels sont vos liens exacts avec l’Espagne ?

    T.L. Dans un pays bien comme il faut comme la Hollande, toutes les règles sont assez claires. La littérature, du moins la littérature telle que je l’envisage, tire profit de lieux et d’époques où les règles et les mesures sociales ne sont pas aussi précises. Un exemple : dans la Turquie chaotique des années 1920, voler un enfant puis l’éduquer, ainsi que le font les deux personnages masculins du roman Dünya, se révèle plus simple que dans la Hollande d’aujourd’hui où tout est réglementé (police, instances compétentes en matière d’adoption, choses permises et choses interdites, attribution d’un logement, etc.). Voilà pourquoi je retiens souvent un environnement où règnent des tensions et où certaines difficultés perturbent le quotidien. Il y a deux régions du monde que je connais bien, pour y avoir séjourné et voyagé, à savoir l’Espagne et la Turquie. L’Espagne de l’époque franquiste et celle des revendications basques, ainsi que la démocratie chancelante qu’est la Turquie avec entre autres problèmes la question Kurde, m’offrent un large éventail, beaucoup de possibilités. Pour le reste, je n’ai aucun lien particulier avec ces deux pays.

     

    D.C. Vous écrivez en néerlandais. Beaucoup d’écrivains (Pessoa, Hafid Bouazza, Cioran...) considèrent la langue dans laquelle ils écrivent comme leur patrie. Que représente pour vous, en tant que poète et en tant que romancier, la tradition littéraire néerlandaise, vos prédécesseurs et vos contemporains d’expression néerlandaise ?

    T.L. La littérature néerlandaise est celle que je connais le mieux. J’aime cette littérature. En écrivant, je m’inscris dans cette tradition. J’en suis tout à fait conscient et me sais grandement redevable à nombre de mes prédécesseurs. J’admire certains poètes et certains prosateurs auxquels je me réfère volontiers : P.C. Hooft (1) et Constantin Huygens (2), contemporains et admirateurs du poète anglais John Donne, auteurs de belles poésies sur le thème de l’amour ; M. Nijhoff (3), le premier vrai moderniste de la poésie néerlandaise ; Paul van Ostaijen (4), créateur d’une forme saisissante, et plus encore Lucebert (5), leur continuateur à eux deux ; Simon Vestdijk (6), dont j’ai beaucoup lu et étudié les romans, ou encore les premières œuvres de W.F. Hermans (7).

    Mais je regarde aussi ailleurs. Ce n’est pas un hasard si j’aime séjourner à Paris ou à Berlin quand j’écris un roman. Ainsi, je dispose du recul et de l’isolement nécessaires. Durant ces périodes, je lis de préférence des auteurs étrangers – il y a une certaine crainte qui joue en moi, celle d’être influencé par des écrivains néerlandais. J’essaie de me hisser au niveau de ces auteurs étrangers. Je veux prendre exemple sur eux et m’inspire de leur travail (Shakespeare, Nabokov, Gombrowicz, Boulgakov, Jelinek…).

     

    D.C. Quelle place accordez-vous à chacun des genres que vous pratiquez ?

    T.L. Les essais que j’ai écrits portent pour la plupart sur des romanciers et des poètes néerlandais. Une façon pour moi de me situer par rapport aux autres auteurs. Ma poésie se base, tout comme mes romans et nouvelles, sur l’émotion et la force de suggestion. Toutes deux s’allient alors avec la langue et les mots, tandis que dans les romans, elles sont au service de la narration. En écrivant un poème, je m’efforce de conférer le plus de singularité possible à la langue, sans rien perdre de l’expressivité. Chose bizarre, je suis incapable d’écrire des poèmes quand un roman est en chantier. Celui-ci réclame tout de moi ; c’est un travail considérable car il me faut avoir en permanence en tête, pendant un  an et demi à deux ans, les multiples fils narratifs. Quand je ne travaille pas à un roman, c’est les vacances : la poésie peut se présenter par vagues.

    Qu’on le veuille ou non, la poésie reste un genre élitiste. C’est justement ce qui la rend si singulière. Les romans ont un lectorat beaucoup plus large, mais ils n’ont pas la pureté que peut avoir un poème. Toutefois, il arrive qu’un roman présente des éléments de grande valeur. L’émotion est plus à la portée du roman, la beauté pure plus à la portée de la poésie.

     

    (1) P.C. Hooft (1581-1647), poète, dramaturge et historien, l’un des grands écrivains du Siècle d’or, auteur entre autres des Nederlandsche Historien.

    (2) Constantin Huygens (1596-1687), autre grand poète du Siècle d’or, fils de Christian Huygens.

    (3) Paul van Ostaijen (voir sur ce blog dans la catégorie « Poètes & Poèmes »).

    (4) Martinus Nijhoff (voir sur ce blog dans la catégorie « Poètes & Poèmes »).

    (5) Lucebert (1924-1994), poète et peintre, membre du groupe CoBrA.

    (6) Simon Vestdijk (1898-1971), romancier, essayiste et poète. Plusieurs de ses romans ont été (ré)édités aux éditions Phébus

    (7) Willem Frederik Hermans (1921-1995), romancier, essayiste et pamphlétaire. Auteur de La Chambre noire de Damoclès (Gallimard, 2006) et de Ne plus jamais dormir (Gallimard, 2009).

     

    Tomas Lieske à propos de son roman Alles kantelt (NL)

     

     

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  • Penser est une jouissance

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    Willem Jan Otten,

    brillant touche-à-tout

     

    Né à Amsterdam en 1951, Willem Jan Otten excelle dans tous les genres : poésie, théâtre, roman, essai, critique… Passionné de cinéma auquel il a consacré de nombreux textes, il a publié ces dernières années des essais sur des thèmes éthiques, par exemple l’euthanasie. Dans son œuvre imposante, la philosophie, l’Antiquité ne sont jamais très loin. Voici une dizaine d’années, sa conversion au catholicisme a ébranlé l’intelligentsia hollandaise devant laquelle il s’est expliqué en tenant un discours au sous-titre emprunté à Friedrich Schleiermacher : Le Miracle des éléphants en liberté. Discours aux personnes cultivées d’entre les mépriseurs de la religion chrétienne.

     

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    La création artistique, le doute pétrinien, l’incarnation, le regard lévinassien sont au cœur de sa seule œuvre disponible en français : La Mort sur le vif, roman publié aux éditions Gallimard en 2007, qui narre, à travers les yeux d’une toile, la crise que traverse un artiste peintre.

     

    « Objets de contemplation voués à la passivité ? Pauvres peintures ! Mais que se passerait-il si elles pouvaient “voir” et, surtout, dire ce qu’elles voient ? Donner la parole à une simple toile, c’est l’option qu’a choisie Willem Jan Otten. Du rouleau entreposé chez un marchand jusqu’à l’atelier du peintre où, après une pose sur cadre et une attente angoissante, les premiers coups de pinceau se posent sur sa surface, c’est à une narration pour le moins atypique que nous convie l’écrivain hollandais, à mi-chemin entre un récit impersonnel – ce n’est qu’un objet – et subjectif, puisque la toile n’est pas dénuée d’affects. Le support, doué d’un sens assez aigu de l’observation puisque c’est son seul passe-temps, décrit ainsi scrupuleusement – parfois jusqu’au voyeurisme – toutes les étapes de son achèvement entre les mains de “Créateur”, artiste ambitieux et à la mode, spécialisé dans le portrait réaliste de commande. Le paradoxe, c’est que si la toile “voit”, elle ne peut se contempler elle-même et ainsi suivre les progrès concrets de la dernière mission de son démiurge : rendre à la vie un jeune garçon décédé pour un vieux et riche collectionneur. L’art, plus fort que la mort ? Dangereuse question. »

    Boris Senff

     

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    «Pris dans la toile», La Gazette Nord-Pas-de-Calais, 19 avril 2007

     

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    « Le tableau qui parle et qui juge », Le Temps, 7 avril 2007 

     

      

    « Une toile est née », Mathieu Lindon

    www.liberation.fr/livres/010195348-une-toile-est-nee

     

    couverture d'une réédition néerlandaise du roman

    peinture,création,willem jan otten,roman,gallimard« L’énigme et la question de la mise en scène, voilà bien les deux thèmes centraux de l’œuvre de Willem-Jan Otten. Il est possible de les scinder en deux : le savoir opposé à l’ignorance, le choix opposé à la contrainte. Le premier couple occupe la place principale dans la première période de l'écrivain ; il se rapporte au désir paradoxal qui habite l’homme. Ce dernier veut tout savoir en même temps qu’il veut garder bien des secrets. Il craint en effet que ce qu’il sait ne lui offre aucun surcroît de bonheur. L’amour est aveugle et quiconque pose un regard perçant sur les choses ne peut plus aimer. Le savoir ultime porte sur les choses dernières, la mort. Un savoir qui se fait mission : “La connaissance est sentence, dit le docteur Loef [personnage d’un roman de W.-J. Otten]. L’impossibilité de guérir quelqu’un, ce n’est pas seulement un fait, c’est aussi une décision. Qu’il faut exécuter.” Ceci nous amène au second couple, la tension entre vouloir et devoir qui occupe la place centrale dans les œuvres d’Otten depuis 1997. Dans sa conférence De fuik van Pascal (Le Piège de Pascal, 1997), Otten critique la croyance contemporaine dans le libre choix et dans la toute-puissance de l’individu. Il suggère que l’homme “n’est pas sa propre œuvre”, autrement dit qu’il existe des puissances qui le dépassent. »

    Bart Vervaeck,

    « Respecter l’énigmatique : l’œuvre de Willem Jan Otten »

    Septentrion, 2007, n° 1, p. 25-31

     

     

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    La revue Deshima publie dans son numéro du printemps 2009

    un récit de Willem Jan Otten portant sur le thème de la paternité

    « Chronique d'un fils qui devient père »