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  • Xavier Marmier, lettres et gens de lettres de Hollande (4)

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    Lettres sur la Hollande : XIXe siècle et bilan

    (suite et fin de « Lettres sur la Hollande »)

     

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    Avec Rhijnvis Feith (1753-1824), citoyen de Zwolle, nous avons déjà presqu’un pied dans le XIXe siècle. En plus d’une teneur patriotique de nombre de créations de ce poète et romancier, le jeune érudit français y voit une grande mélancolie. On compte en effet cet écrivain parmi les représentants majeurs de la sensibilité exacerbée du préromantisme [1]Vient le tour de Jan Frederik Helmers (1767-1813) dont le nom reste dans les mémoires grâce à son « panégyrique » en six chants, composé à l’époque de la domination française, De Hollandsche Natie (1812) [2]. L’allusion peu flatteuse à l’historien Jan Wagenaar (1709-1773) que fait Marmier est un emprunt à Sir John Bowring [3], « spirituel écrivain anglais ».

    Si Marmier relève dans l’époque contemporaine un nouveau souffle, sous l’impulsion de l’esprit universel de Willem Bilderdijk (1756-1831), « premier guide d’une foule de jeunes esprits studieux et entreprenants », « chef d’une nouvelle littérature », il se contredit en réalité à plusieurs reprises : « Marmier a émis un jugement bien prématuré en disant que c’est depuis 1820 environ qu’un grand mouvement littéraire, analogue à celui qui agite l’Europe entière, se manifeste en Hollande, y procédant toutefois avec la réserve et la lenteur propres à nos compatriotes. Nous savons au contraire que, pour la littérature, la Hollande persiste à être en retard sur les pays qui l’environnent, et nous prenons d’ailleurs Marmier en flagrant délit de contradiction en lisant plus bas dans ses Lettres que malgré les ‘‘qualités sérieuses’’ de style et de pensée, la littérature hollandaise du premier tiers du XIXe siècle est monotone, sans impétuosité aucune, mais intéressante et importante, ‘‘comme l’expression fidèle et constante de l’un des peuples les plus estimables qui existent’’. Cette opinion ne l’empêche pas de revenir à son premier point de vue, exposé dans la préface, et de nous dépeindre la Hollande sous l’influence du Romantisme, tout en reconnaissant que les œuvres soi-disant romantiques hollandaises se réduisent à néant, comparées aux merveilleuses productions dont s’enorgueillissent la France, l’Angleterre, l’Allemagne. [4] » Le Franc-Comtois salue les travaux de quelques érudits, historiens, archivistes et philologues qui s’inscrivent dans un « véritable sentiment de nationalité », loin des « œuvres élégantes » du XVIIIe siècle, avant de souligner les mérites de quelques-uns de ses contemporains.

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    Willem Bilderdijk, par Charles Howard Hodges (détail)

     

    Il s’intéresse en premier lieu à deux écrivains qu’il a rencontré à plusieurs reprises. Adrianus Bogaers, juriste et poète haguenois, est le seul écrivain néerlandais que Marmier mentionne dans son livre au titre de ses amis. Au cours de l’été 1841, le Néerlandais se rend en France, en particulier pour suivre une cure dans les Pyrénées. En octobre, sur le chemin du retour, il passe de nouveau à Paris où il rend visite à Marmier dont il avait fait la connaissance l’année précédente et chez lequel il ne manqua pas de revenir à chaque fois que l’occasion se présenta. Ainsi peut-on penser que le Hollandais est retourné voir son ami après le 8 mai 1843, date du mariage de Marmier avec Françoise Eugénie Pourchet. En effet, au printemps 1844, Marmier lui avoue sa détresse en ces termes : « Je vous écris dans le deuil le plus désolant. Mon pauvre enfant mort – la pauvre femme que vous avez vue si douce, si riante, morte aussi. [5] » Dans ses Lettres sur la Hollande, le Franc-Comtois consacre quelques lignes à cet ami [6] en se trompant d’ailleurs sur sa ville de naissance (La Haye et non pas Rotterdam) : « M. Bogaers […] n’a écrit que quelques poèmes et un ouvrage en prose ; mais ses ouvrages sont travaillés avec un soin extrême, et cités déjà comme des productions classiques. » La renommée de Bogaers, réelle de son vivant, ne devait toutefois pas lui survivre.

    xavier marmier,revue des deux mondes,hollandeDe Johannes Kneppelhout, ce jeune admirateur qui avait lui aussi rendu visite à Marmier à Paris, ce dernier ne mentionne pas même le nom dans son volume [7]. Les deux hommes se seraient-ils brouillés ? Ou cette absence tient-elle au fait que Kneppelhout n’avait pas encore produit ses principaux livres en néerlandais ? Jacob van Lennep, qui considérait le Français comme son ami, a droit à un meilleur traitement [8] : « M. J. Van Lennep [9] est un des écrivains actuels les plus féconds et les plus goûtés de la Hollande. Il n’a que quarante ans, et il a déjà publié quatre romans et neuf volumes de poésies », nous dit-il avant de lui consacrer une page d’une admiration toutefois teintée de certaines réserves : « il a essayé de faire pour la Hollande ce que Walter Scott a fait avec tant d’éclat pour l’Écosse, et s’il est resté au-dessous de son modèle, il n’en a pas moins le mérite d’avoir frayé, dans la littérature de son pays, une nouvelle route ». Sans doute Xavier Marmier a-t-il tissé à l’époque quelques liens avec d’autres écrivains, mais étant donné que son intérêt pour les plats pays s’est rapidement estompé, il ne semble pas avoir entretenu de relations privilégiées avec des Hollandais [10]. Les rares lettres de sa main (toutes rédigées en français) que nous avons pu trouver aux Pays-Bas [11] sont adressées à des correspondants ayant une autre nationalité. Sans doute des archives privées en Hollande ou des archives en France recèlent-elles des traces du passage de Marmier dans les contrées bataves.

    Le futur académicien a-t-il rencontré Hendrik Tollens (1780-1856), « poète le plus populaire de la Hollande [12] », « épicier à Rotterdam », ville où le Franc-Comtois n’a pas manqué de faire halte ? On peut le penser. De lui, il donne en français 5 strophes sur les 8 de 8 vers de Wien Neêrlandsch bloed in de aders vloeit [13], « le chant national hollandais qui est pour son pays ce qu’est le Gode (sic) save the king pour l’Angleterre, et que j’ai souvent entendu entonner en chœur dans les rues par les ouvriers, dans les écoles par des centaines d’enfants [14] » :

     

    Wien Neerlandsch bloed in de aders vloeit,

    Van vreemde smetten vrij,

    Wiens hart voor land en koning gloeit,

    Verheff' den zang als wij:

    Hij stell' met ons, vereend van zin,

    Met onbeklemde borst,

    Het godgevallig feestlied in

    Voor vaderland en vorst.

     

    Stort uit dan, broeders, eens van zin,

    Dien hoogverhoorden kreet;

    Hij telt bij God een deugd te min,

    Die land en vorst vergeet;

    Hij gloeit voor mensch en broeder niet

    In de onbewogen borst,

    Die koel blijft bij gebed en lied

    Voor vaderland en vorst.

     

    Bescherm, o God! bewaak den grond,

    Waarop onze adem gaat;

    De plek, waar onze wieg op stond,

    Waar eens ons graf op staat.

    Wij smeeken van uw vaderhand,

    Met diep geroerde borst,

    Behoud voor 't lieve vaderland,

    Voor vaderland en vorst.

     

    Bescherm hem, God! bewaak zijn troon,

    Op duurzaam regt gebouwd;

    Blink' altoos in ons oog zijn kroon

    Nog meer door deugd dan goud!

    Steun Gij den scepter, dien hij torscht,

    Bestier hem in zijn hand;

    Beziel, o God! bewaar den vorst,

    Den vorst en 't vaderland.

     

    Van hier, van hier wat wenschen smeedt

    Voor een van beide alleen:

    Voor ons gevoel, in lief en leed,

    Zijn land en koning één.

    Verhoor, o God! zijn aanroep niet,

    Wie ooit hen scheiden dorst,

    Maar hoor het één, het eigen lied

    Voor vaderland en vorst.

     

    xavier marmier,revue des deux mondes,hollande

     

    Que celui dont les veines renferment un vrai sang hollandais pur de toute contagion étrangère, que celui dont le cœur palpite pour la patrie et pour le roi, unisse sa voix à la nôtre. Qu’il vienne à nous avec une âme libre, et chante le chant de fête qui plaît au ciel, le chant du prince et de la patrie !

    Frères, entonnez tous avec la même pensée ces accords entendus du Maître suprême. Il a aux yeux de Dieu une vertu de moins, celui qui oublie le prince et la patrie. Il n’a dans sa froide poitrine nul amour pour ses frères, celui qui ne s’émeut pas à notre chant, à notre prière pour le prince et pour la patrie.

    Dieu, protège, garde le sol où nous vivons, le coin de terre où s’éleva notre berceau, où l’on creusera notre tombe. Nous t’adressons notre prière avec une âme émue, ô Dieu, conserve notre prince et notre patrie !

    Protège le roi sur son trône. Que sa puissance ait constamment pour base la justice. Qu’il se montre toujours à nos yeux moins brillant par l’or de sa couronne que par ses vertus ! Soutiens et dirige le sceptre entre ses mains. Anime et défends le prince et la patrie.

    Dans un même vœu nos cœurs se confondent. Dans la joie et dans la douleur, nous n’avons qu’une même pensée : le prince et la patrie. Écoute, ce n’est pas un cri qui souffre un désaccord, c’est une parole d’amour, c’est un même chant pour le prince et pour la patrie.

     

    xavier marmier,revue des deux mondes,hollande

    Alphonse Esquiros (1812-1876) 

     

    Égrenant encore quelques noms de poètes vivants, Xavier Marmier replonge dans des considérations peu nuancées et peu flatteuses sur ses hôtes. En une page, il résume en quelque sorte sa pensée : « cette poésie dont je tâche d’énumérer avec la plus rigoureuse impartialité les titres, dont j’essaye d’établir, comme un généalogiste, les preuves de noblesse, cette poésie n’entrera qu’une des dernières dans le grand chapitre des muses. Les critiques de Hollande ont beau lui mettre la couronne sur la tête, et lui élever avec une naïve piété des arcs de triomphe dans leurs journaux, l’honnête fille ne croit pas elle-même à sa souveraineté, et n’ose passer la frontière de peur de se voir contester son sceptre, son manteau, et traitée comme une vassale présomptueuse de la France et de l’Allemagne. Mais de même que le voyageur, après avoir traversé de larges et riches contrées, se réjouit, lorsqu’il arrive sur une terre moins féconde, de trouver encore une gerbe d’épis, un bouquet de fleurs ; de même, quand des hautes régions où nous emporte le génie des grands poètes anciens et modernes, nous redescendons dans les cités de Hollande, nous nous plaisons à découvrir çà et là, au milieu des entrepôts du commerce et des machines de l’industrie, une fleur de poésie, dût cette fleur ne pas avoir le même parfum ni le même éclat que celles de France ou d’Angleterre [15] ». Aucun écrivain hollandais ne vouant pour ainsi dire sa vie à la littérature, celle-ci « ne peut pas avoir les capricieux élans, la fougue ardente et désordonnée qu’elle a souvent » dans les grandes nations voisines. Aucun ne se risque à écrire « un livre dont la mère puisse défendre la lecture à sa fille ». Tout bien considéré, une littérature à l’« austère physionomie » qui finit « par devenir passablement monotone » [16], mais qui ne demeure pas moins « comme l’expression fidèle et constante de l’un des peuples les plus estimables qui existent [17] ».

    Il n’est pas dans notre intention de développer un réquisitoire contre Marmier, précurseur à sa façon. Qu’il nous soit tout de même permis de dresser un petit bilan qui ne relèvera pas de l’hagiographie. Cela nous paraît d’autant plus utile que le but annoncé du futur académicien était, si l’on en croit Sainte-Beuve, de ramener des Pays-Bas un livre sur la littérature [18]. Certes, il a offert à la Revue des Deux Mondes un travail que personne, à vrai dire, n’avait fait avant lui. Ses Lettres constituent, sans doute avec La Néerlande et la vie hollandaise de son contemporain Alphonse Esquiros (édition en 2 volumes en 1859), le livre le mieux documenté de l’époque sur les milieux intellectuels du royaume batave. L’écrivain suisse, originaire de Nyon, Édouard Rod, ne fera pas mieux avec ses Morceaux choisis des Littératures étrangères (1899). Le sous-titre de l’édition revue (1901) : Angleterre et Amérique, Allemagne, Italie, Espagne et Portugal, Russie, Scandinavie. Publiés avec un essai sur le développement des littératures modernes, des notices et des notes, laisse d’ailleurs présager le pire : la littérature néerlandaise ne semble guère avoir retenu l’attention du critique. Seules sept pages sont consacrées à la « Hollande » (dans la troisième partie qui porte sur la Période classique). Aucune à la Flandre. Il y a pire : l’Histoire des littératures étrangères, ouvrage du même genre publié à Paris par Louis-Eugène Hallberg (1839-1921) en 1879, portant sur les « littératures scandinave, allemande, hollandaise depuis leurs origine jusqu’en 1850 » accorde une place à la littérature hollandaise en tant qu’« appendice » à la littérature allemande (soyons rassurés, l’édition présente un appendice à l’appendice).

    xavier marmier,revue des deux mondes,hollandeSi Marmier possédait une réelle connaissance du néerlandais – pas forcément parfaite (on relève quelques erreurs et approximations dans ses traductions) –, il s’est à trop de reprises laissé guider par ses a priori moraux ; sa fibre chrétienne l’a plutôt dirigé vers des œuvres mièvres alors qu’avec plus de clairvoyance, et malgré l’état du savoir bien plus limité à l’époque que de nos jours, il eût pu mettre en valeur de grands textes catholiques comme protestants. Ainsi de l’Altaergeheimenissen (1645) de Vondel dont le Franc-Comtois nous dit simplement qu’il s’agit d’« un poème que l’on regarde comme une de ses meilleures productions, et qui a pour titre Mystères de l’autel [19] » ; ainsi des plus beaux vers mystiques de Jan Luyken… Sans doute aurait-il été bien avisé de méditer et dépasser la phrase finale de l’introduction de la Batavian Anthology : « It would be easy to judge harshly, but we deem it better to represent silently. »

    Pour ce qui est de son travail de documentation, on ne peut pas lui reprocher grand-chose, si ce n’est peut-être de s’être adressé ou d’avoir plus prêté l’oreille aux plus jeunes de ses confrères bataves. Il a consulté nombre d’ouvrages disponibles tant en français – par exemple, de Jan van ’s Gravenweert : l’Essai sur l’Histoire de la littérature néerlandaise (1830) – qu’en latin, en allemand et en anglais – les travaux du polyglotte John Bowring, beaucoup moins nuancé que lui d’ailleurs – ; il n’a pas manqué de s’adresser à quelques-uns des meilleurs savants et lettrés du pays même, en premier lieu le poète Adrianus Bogaers et l’un des romanciers les plus en vue à l’époque, Jacob van Lennep.

    Même si on peut lui reprocher d’avoir passé trop peu de temps dans ces terres septentrionales pour être à même d’émettre des avis vraiment pertinents, plusieurs lettrés hollandais n’ont pas manqué de saluer la prouesse du Franc-Comtois. « Esquiros et Marmier nous ont donné des impressions sérieuses sur notre art littéraire ; ce que nous avons rencontré chez les autres voyageurs ne sont que des témoignages un peu vagues, sans beaucoup de suite », juge ainsi, avec le recul des années, Madeline Marie Caroline Koumans (1901-1944) [20], qui par ailleurs ne craint pas d’émettre des réserves. Quinze ans plus tôt, l’érudit francophile Pieter Valkhoff (1875-1942) regrettait pour sa part que Marmier ne soit plus là pour écrire en français sur les plus récentes évolutions de la littérature néerlandaise [21]. Quant à Josephus Albertus Alberdingk Thijm (1820-1899), grande figure du XIXe siècle littéraire et culturel des Pays-Bas, lui-même auteur, en langue française, d’une Histoire de la littérature néerlandaise [22], il rend en quelque sorte hommage, certes non sans humour, au Français en jouant avec son patronyme dans une élégie intitulée « Het kunstweekend Nederland » [23]Dans le même esprit que ces éloges, son premier biographe a avancé : « il étudie et commente, avec un bon goût éclairé et les lumières d’une critique intelligente, la littérature ancienne et moderne de ce curieux et honnête pays [24] ».

    xavier marmier,revue des deux mondes,hollandeCependant, d’autres ont relevé quelques lacunes, erreurs et contradictions dans les Lettres sur la Hollande : un chroniqueur du De Gids nie même, en 1842, toute qualité à ce travail si ce n’est une belle fluidité stylistique ; un autre, dans l’Arnhemsche Courant du 11 avril 1841, s’amuse à épingler avec sarcasme les invraisemblances et coquilles que contiennent certaines pages [25]. L’ouvrage est en effet truffé de coquilles, en particulier sur les mots et noms néerlandais. Le célèbre critique Conrad Busken Huet (1826-1886), qui passa les dernières années de sa vie à Paris où il est enterré, se montrera lui aussi réservé [26], moins cependant que l’une des plumes du bimensuel culturel gantois De Eendracht qui ne voit dans le Franc-Comtois qu’un touriste qui a juste pris la peine de séjourner en Hollande un peu plus longtemps que les autres voyageurs français [27].

    Pourquoi Marmier s’est-il contenté de transposer en français ce qu’on appelle des « berquinades » ? Lui-même ne considérait pas les poésies de Van Alphen comme des œuvres d’art ! Pourquoi ne pas avoir transposé en français des pièces du plus grand poète du tournant des XVIIIe et XIXe siècles, à savoir Willem Bilderdijk (1756-1831) [28], juriste, poète, linguiste, historien, traducteur, principale figure de transition entre le classicisme et le romantisme en même temps que du Réveil, cette reviviscence d’un protestantisme marqué par la pensée antirévolutionnaire ? Pourquoi ne pas avoir traduit un essai très remarqué à l’époque, les Bezwaren tegen den geest der eeuw ou Griefs contre l’esprit du siècle [29] (1823) du disciple de ce même Bilderdijk, le juif converti Isaäc da Costa [30] (1798-1860), ou celui de Jacob Geel (1789-1862), talentueux érudit non dénué d’humour : Gesprek op de Drachenfels (Entretien sur le Drachenfels, 1835) qui offre une belle opposition entre classicisme et romantisme [31] ? Pourquoi le Français n’a-t-il pas restitué des proses de l’une des grandes plumes du Siècle d’or, P.C. Hooft ? Ou des pages d’auteurs de sa propre génération qui tentaient de rompre avec la tradition poétique dominante : par exemple E.J. Potgieter (1808-1875), cofondateur en 1837 de la revue De Gids, passionné de littérature suédoise ; et les deux amis de ce dernier, le poète Aarnout Drost (1810-1834) et l’essayiste R.C. Bakhuizen van den Brink (1810-1865), lequel avait déjà à l’époque publié de belles pages sur la poésie et la mentalité du Siècle d’or ? [32] Pourquoi ne pas avoir transposé quelques passages de l’un des romans phares du XIXe siècle, Camera Obscura de Nicolaas Beets, qui venait de paraître [33] ? Ou encore, si l’on remonte dans le temps, une ou deux pièces de la mystique emmurée vivante Suster Bertken (vers 1426 – 1514) dont il ne cite que quelques vers [34] ? Il est dommage que le Franc-Comtois ne se soit pas en l’occurrence écarté de la mode des vers fades qu’il ne manque pas par ailleurs de critiquer. Sans doute son attirance pour la poésie populaire, partagée alors par beaucoup, à laquelle venait s’ajouter une inclination à l’édification des âmes, lui a-t-elle en partie dicté ses choix ; dans ces chansons et légendes populaires, il estimait pouvoir approcher l’âme d’un peuple. Ainsi que l’écrivait récemment encore un universitaire de Nimègue au sujet des Français séjournant à l’époque en Hollande, « le voyage tend à l’instruction et au perfectionnement moral [35] ».

    xavier marmier,revue des deux mondes,hollandeIl convient de s’arrêter sur un autre grand oubli. Marmier, si critique à l’égard du XVIIIe siècle hollandais, n’évoque nulle part De historie van mejuffrouw Sara Burgerhart (1782) [36], roman épistolaire qui correspondait semble-t-il à ses goûts : didactique, moralisateur et même « national » selon ses auteures, deux femmes, Betje Wolff (1738-1804) et Aagje Deken (1741-1804), qui ont vécu une dizaine d’années à Trévoux [37]. Il en existait une traduction française [38], longtemps attribuée à Isabelle de Charrière, parue en quatre volumes dans la ville qui nous accueille aujourd’hui [Lausanne].

    Un dernier mot. Si l’intérêt du Franc-Comtois pour la Hollande s’est vite affaibli, la Hollande ne s’est pas totalement désintéressée de lui. Plusieurs de ses ouvrages ont été traduits en néerlandais, y compris l’un de ses romans, des contes aussi (par exemple dans le périodique catholique De Maasbode), certaines de ses pages encore au début du XXe siècle ! Dès le 9 avril 1835, le Journal de La Haye en reproduisait une sur l’Allemagne, parue dans la Revue germanique ; la livraison du 29 décembre 1847 de ce même organe de presse donnait sa recension de l’ouvrage Une heure de solitude de Alph. Grün ; celle du 19 juin 1841 l’un de ses passages sur les belles-lettres hollandaises (Van Lennep, Bogaers…) paru peu avant dans la Revue des Deux Mondes… Au fil des années, plus d’un journaliste a mentionné son nom dans les fonctions qu’il occupait à l’Académie française ; dans « Het leven te Parijs (slot) » du quotidien Het Algemeen Handelsblad (4 juillet 1882), l’historien de l’art Henry Havard (1838-1921), auteur de nombre de contributions sur les Pays-Bas, a pu évoquer un déjeuner qu’il a partagé avec lui. Après s’être inquiétée de la santé de Marmier (ainsi du Maasbode, le 24 mai 1885), la presse batave a salué sa mémoire dans les jours qui ont suivi son décès (11 octobre 1892) – une bonne semaine après celui d’un autre Immortel, Ernest Renan –, en évoquant bien plus son attachement aux bouquinistes de la Seine, sa piété et sa « nostalgie » des grands espaces que son livre sur la Hollande. Le correspondant parisien du Soerabaijasch handelsblad, journal publié dans les Indes néerlandaises, évoque l’homme qu’il a eu l’occasion de croiser de temps en temps au cours des dernières années, sur son fauteuil roulant, au bord de la Seine [39].

     

    xavier marmier,revue des deux mondes,hollande

     

     

    Œuvres de X. Marmier sur la Hollande

     

    « Poésie populaire de la Hollande », Revue des Deux Mondes, mai 1836 (deuxième quinzaine), p. 488-503.

    La série d’articles publiés dans la Revue des Deux Mondes en 1840-1841 qui seront réunis dans les Lettres sur la Hollande :

    « Une visite au roi Guillaume », décembre 1840 (première quinzaine), p. 685-703.

    « La Hollande I. Mœurs et caractères du pays », janvier 1841 (première quinzaine), p. 53-80 (texte repris sous forme de brochure : La Hollande. Mœurs et caractère du pays, de X. Marmier, Paris, H. Fournier, 1841, 36 pages).

    « La Hollande II. Ancienne littérature », février 1841 (première quinzaine), p. 422-444.

    « La Hollande III. Le Helder », avril 1841 (première quinzaine), p. 127-153.

    « La Hollande IV. Littérature moderne », juin 1841 (deuxième quinzaine), p. 854-885.

    « La Hollande V. Expéditions des Hollandais dans le Nord », août 1841 (première quinzaine), p. 480-500.

    « La Hollande VI. Établissement des Hollandais dans l’Inde », novembre 1841 (première quinzaine), p. 427-452.

    Lettres sur la Hollande, Paris, H.-L. Deloye, 1841 (repris dans le volume En Amérique et en Europe, 1860).

    « Un drame sur mer » et « L’illusion d’un cœur », extraits des Contes d’un voyageur (1851).

    « En Hollande », poème écrit à Arnhem en 1840 et dédié à Charles Weiss (1779-1867) ; « À Mme la Baronne E. Pechl… » (poème).

    Le volume de traductions intitulé À travers les tropiques (1889) comporte quelques pages sur les anciennes colonies néerlandaises.

    Hiëronymus van Alphen & autres, L’Ami des petits enfants, traduit du hollandais, par X. Mamier, Paris/Strasbourg, F.-G. Levrault, 1836 (pour la première édition).

     

    La Bibliothèque royale de La Haye abrite un manuscrit autographe du poème « Paysage de Laponie » (1838), dédié à Antoine de Latour (1808-1881).

     

    Rhijnvis Feith, par Willem Bartel van der Kooi, 1820

    xavier marmier,revue des deux mondes,hollande[1] Marmier cite un poème en traduction ; s’il mentionne le roman épistolaire Ferdinand en Constantia (1785), il ne fait pas état du plus connu : Julia (1783). En note, il renvoie à la traduction du poème Le Tombeau par A. Clavareau, mais pas aux autres que ce dernier a publiées du même auteur : par exemple « La Conscience », paru dans L’Écho du Vaucluse du jeudi 19 septembre 1833 et celles figurant dans les Petits poèmes à l’usage de la jeunesse hollandaise, poèmes de Feith, Immerzeel, Lulofs, P. Moens, Nierstrasz, de Visser, Warnsinck et Wiselius, 1836. Voir p. 222-223.

    [2] Voir plus haut.

    [3] John Bowring (1792-1872), l’auteur d’une Batavian Anthology or, Specimens of the Dutch poets ; with remarks on the poetical literature and language of the Netherlands, to the end of the seventeenth century (en collaboration avec Harry S. van Dijk, 1824), de Sketch of the language and literature of Holland (Amsterdam, Diederichs Brothers, 1829) et de lettres écrites au cours de ses voyages en Hollande en 1827 et 1828 : Brieven van John Bowring, geschreven op eene reize door Holland, Friesland en Groningen, traduites de l’anglais par A. Telting, Leeuwarden, G.T.N. Suringar, 1829, édition augmentée en 1830. L’allusion à Wagenaar figure dans le volume de 1829, p. 70. Quand Marmier nous dit que la rime est présente partout en Hollande, qu’elle « flotte avec le trekschuit », il reprend idées et formules du polyglotte britannique dont il ne mentionne pourtant pas le nom : « The language of Holland is sadly wanting in good prosaists. Whether the versifying spirit has crushed the competition of prose, we know not, but such a nation of rhymesters as the Dutch never before were allowed to twist and torment an idiom into sing-song. Rhymes are everlasting recreation for the poor and the rich - they are hung upon every cradle, and flung upon every grave - they are painted upon the houses, and carwed upon the trees - they go with the treckschuits by water, and they ‘‘cover the land’’ », écrit-il à la page 125 de son Sketch of the language and literature of Holland. Les féroces reproches de Bowring, lequel épargne tout de même certains poètes dont il a fait la connaissance, conduiront la critique batave à se réformer. Marmier n’aura pour sa part pas le même écho, arrivant en quelque sorte après que la messe a été dite. Relevons que John Bowring, homme au destin plutôt extraordinaire, a également publié un article sur la littérature frisonne qui ouvre le volume des Brieven. C’est lui qui a mis Marmier sur la piste du grand écrivain frison Gysbert Japiks (1603-1666) (Lettres sur la Hollande, p. 81-83). De ce dernier auteur, il existe un ouvrage disponible en français : Tjerne le Frison et autres vers, trad. du moyen frison et préfacé par Henk Zwiers, « Collection L’aube des peuples », Paris, Gallimard, 1994.

    Sir John Bowring

    xavier marmier,revue des deux mondes,hollande[4] Madeline Marie Caroline Koumans, La Hollande et les Hollandais au XIXe siècle vus par les Français, Maastricht, E. & Ch. Van Aelst, 1930 [thèse soutenue à Leyde], p. 121.

    [5] J.G. Gleichman, Het leven van Mr. A. Bogaers (1795-1870), s.l., s.é., 1875, p. 127.

    [6] Lettres sur la Hollande, p. 229-230 (citation p. 229).

    [7] Esquiros ne l’oubliera pas.

    [8] Ibid., p. 228-229.

    [9] Jacob van Lennep a vu X. Marmier à Paris, ce dernier l’ayant par exemple amené à une soirée chez l’actrice Madeleine Brohan. Quelques œuvres de cet auteur ont été traduites en français : La Rose de Dekama. Roman historique du quatorzième siècle (De roos van Dekamaeen verhaal, 1836), traduit du néerlandais par A.J.B. Defauconpret et André Dubourcq, Paris, H. Cousin, Veuve Legras, 1840, 2 vol. Nouvelle édition : La Rose de Dekama. Roman historique du quatorzième siècle, traduit du néerlandais par Léon Wocquier et David Jacob Van Lennep, Paris, Éditions Hachette, « Bibliothèque des meilleurs romans étrangers », 1860, 2 vol. Aventures de Ferdinand Huyck (De lotgevallen van Ferdinand Huyck, 1840), roman traduit du néerlandais par Léon Wocquier et David Jacob Van Lennep, Paris, Éditions Hachette, « Bibliothèque des meilleurs romans étrangers », 1858. Nombreuses réimpressions jusqu’en 1871. La Dame de Wardenburg. Épisodes de la révolution des Pays-Bas au XVIe siècle (De vrouwe van Waardenburg, 1859), théâtre, traduit du néerlandais par l’auteur, Paris, Éditions Hachette, « Bibliothèque des chemins de fer », 1861. Le Réveil, traduit de Van Lennep par Auguste Clavareau, musique de Van Bree, s.d. Sur cette figure historique d’importance pour les Pays-Bas du XIXe siècle vient de paraître une imposante biographie : Marita Mathijsen, Jacob van Lennep. Een bezielde schavuit, Amsterdam, Balans, 2018.

    A. Boagers et son épouse

    xavier marmier,revue des deux mondes,hollande[10] Le fait que Boagers et Van Lennep soient les deux dont il a été le plus proche semble confirmé par un passage qui figure dès la page 56 des Lettres sur la Hollande: « Il y a là de vieilles coutumes protégées par un respect héréditaire, des traditions que l’on recueille, et que Van Lennep nous racontera un jour dans ses romans, Bogaers dans ses poèmes. » Une note en bas de la page 249, relative à un célèbre récit de voyage pour gagner la Chine en bateau par le Grand Nord, vient confirmer l’affection que le Français éprouvait pour le poète de Rotterdam : « Je compte au nombre des heureux moments de ma vie celui où un de mes amis de Hollande, M. Bogaers, voulut bien me procurer cet ouvrage curieux [Vertellinghe vande derde Seylagie by noorden om, nae de Coninckrijcken van Catthay ende China, inden jare duysent vijfhondert ses ende tneghentich, soit la troisième partie du journal de Gerrit de Veer qui a pour titre : Waerachtighe beschryvinghe van drie seylagien, ter werelt noyt soo vreemt ghehoort (1598), imprimé à Amsterdam en 1605] et aujourd’hui très rare. »

    [11] Aux Bijzondere Collecties de l’Université d’Amsterdam (UvA) : une lettre adressée à Oskar Ludwig Bernhard Wolff (1799-1851), professeur à Iéna, une autre, accompagnée d’un poème à une demoiselle de Witzelben (Weimar), une autre au juriste danois Rosenvinge, une quatrième à un certain N.C. Abrahams, et une dernière à un destinataire inconnu.

    H. Tollens

    xavier marmier,revue des deux mondes,hollande[12] Enthousiaste – peut-être du fait que le catholique Tollens vient de passer à la religion réformée –, John Bowring écrit à son sujet : « The most agreeable, the most popular living poet of Holland, is Tollens. That among three millions of people an edition of ten thousand copies of three volumes of poetry, should have been promptly sold, is a very remarkable fact. This itself is no small merit, and implies no small sagacity to have so happily touched the feelings of an entire nation. His power is descriptive, his characteristic is originality, at least in Holland. It would not be difficult to trace in his writtings the influence of Engcland and Germany ; but it is veiled from the common eye, and the thoughts and the expression he has found elsewhere are so chastened, so delicately whrougt, that plagiarism cannot put her stigma upon him. » (op. cit., 1829, p. 98-99).

    [13] Voir, sur le sort réservé à ce poème de 1815, devenu hymne national en 1817, avant d’être remplacé en 1932 par le Wilhelmus, un article récent : Lotte Jensen, « Wien Neêlandsch bloed (1817) : het volkslied van Tollens als culturel erfgoed », Nieuw Letterkundig Magazijn, 2016 (jubileumnummer), p. 26-29. La revue De Negentiende Eeuw a consacré à ce poète un numéro à l’occasion du cent cinquantième anniversaire de sa disparition (2016, n° 3). Une thèse récente propose une étude sur sa poésie et l’écho qu’elle a suscité et continue de susciter dans la culture néerlandaise : Ruud Poortier, Tollens’ nagalm. Het dichterschap van Hendrik Tollens (1780-1856) in de Nederlandse herinneringscultuur, Université d’Amsterdam, 2014. Il convient de noter qu’une traduction officielle de l’hymne existait déjà : elle était destinée, avant l’indépendance de la Belgique, aux sujets de Guillaume Ier, dont la langue était le français.

    [14] Lettres sur la Hollande, p. 230-231.

    [15] Ibid., p. 232.

    [16] Ibid., p. 234.

    [17] Ibid., p. 235.

    [18] Wendy S. Mercer, op. cit., p. 161.

    [19] Lettres sur la Hollande, p. 212.

    [20] La Hollande et les Hollandais au XIXe siècle vus par les Français, op. cit., p. 122.

    [21] « Vreemdelingen over onze letterkunde », De Nieuwe Taalgids, 1916, p. 20-23.

    [22] De la littérature néerlandaise à ses différentes époques, Amsterdam, C.L. Van Langenhuysen, 1854.

    [23] J.A. Alberdingk Thijm, Het voorgeborchte en andere gedichten, Amsterdam, C.L. van Langenhuysen, 1853, p. 56. 

    [24] Alexandre Estignard, Xavier Marmier, sa vie & ses œuvres, Paris, Champion, 1893, p. 116.

    [25] X, « Mengelwerk. De heer Marmier over Holland », De Arnhemsche Courant, 11 avril 1841. En guise de réponse, l’Utrechtsche provinciale en stads-courant du 10 mai 1841 prend sa défense : L.N. « Mengelwerk. De Arnhemsche Courantover Marmier ».

    [26] Dans certaines conversations, selon ce que rapporte Jan ten Brink dans son Histoire de la littérature néerlandaise (Geschiedenis der Noord-Nederlandsche letteren in de XIXe eeuw, t. 2, chap. sur Huet, 1888), C. Busken Huet s’est montré bien peu enthousiaste au sujet des pages de Marmier, d’Esquiros et de Victor Cousin sur la Hollande, trop insipides à ses yeux.

    [27] A. W., « « Wat men in Frankrijk zoo al over onze letterkunde denkt », De Eendracht, 31 janvier 1858, p. 70.

    xavier marmier,revue des deux mondes,hollande[28] À ce sujet, Marmier se dédouane : « Pour oser apprécier dans leur ensemble tant de travaux si disparates, il faudrait des années d’étude, et les fragments que nous pourrions en extraire n’en donneraient qu’une idée faible. Force nous est donc de passer à côté de ce singulier écrivain comme on passe à côté d’un chêne séculaire, sans en compter les rameaux et sans en mesurer la hauteur. » (p. 226) Bilderdijk a finalement été très peu traduit en français. A. Clavareau a transposé quelques-uns de ses poèmes dans : H. Tollens, Les Bataves à la Nouvelle-Zemble, poëme en deux chants, traduit de Tollens, suivi de poésies diverses de Tollens, de Bilderdijk et du Traducteur, 1828, réédition en 1838 (avant d’autres) sous le titre : L’Hivernage des Hollandais à la Nouvelle-Zemble, 1596-1597. Une édition scolaire (1851) comprendra une introduction historique. Une édition de luxe a paru en 1839 avec un portrait du traducteur. Relevons, pour ce qui est de Willem Bilderdijk, l’existence d'une traduction française d'un long passage de son Histoire de la Patrie dans : Nicolas Châtelain, Histoire du synode de Dordrecht, 1841 (sans nom de traducteur). De rares poèmes de ce même Bilderdijk en traduction française figurent par ailleurs dans : Poèmes néerlandais, sans nom de traducteur, Paris, H. Gautier, « Nouvelle bibliothèque populaire » n° 205, s. d. [1890], 32 p. Quant aux deux autres grands poètes de l’époque – Hendrik Tollens (1780-1856) et Rhijnvis Feith (1753-1824) –, le même Auguste Clavareau s’était déjà chargé de restituer dans notre langue leurs œuvres majeures, en particulier : H. Tollens, Le Jour de prière générale dans la Néérlande (2 décembre 1832), 1832 ; H. Tollens, L’Anniversaire du prince d’Orange (déc. 1833), chant populaire, s.d (1833) ; R. Feith, Le Tombeau, poëme en quatre chants, traduit d’après la quatrième édition, et suivi de quelques poésies diverses, 1827 ; R. Feith, Thirsa, ou le triomphe de la Religion, tragédie en cinq actes et en vers, traduite d’après la cinquième édition, 1830 ; Petits poèmes à l’usage de la jeunesse hollandaise, poèmes de Feith, Immerzeel, Lulofs, P. Moens, Nierstrasz, de Visser, Warnsinck et Wiselius, 1836.

    [29] On peut se reporter à la traduction de Pierre Brachin, dans Anthologie de la prose néerlandaise. Pays-Bas I, Aubier, 1970.

    [30] Marmier se contente de nous dire au sujet de ce virulent antipapiste et fervent contrerévolutionnaire : « M. Da Costa, disciple de Bilderdyk, écrivain austère et religieux dont l’âme s’attendrit sur les douleurs de la vie humaine, puis s’élance avec enthousiasme vers les régions éternelles » (p. 231).

    [31] Pierre Brachin en a publié des extraits dans son Anthologie de la prose néerlandaise. Pays-Bas I, Aubier, 1970.

    J.H. van der Palm

    xavier marmier,revue des deux mondes,hollande[32] On peut penser aussi à des proses de Johannes Hendrikus van der Palm (1753-1840) que John Rowring considère comme le plus grand prosateur hollandais de tous les temps (op. cit., 1829, p. 124-125), du moins le plus grand encore en vie (Brievenop. cit., 1830, p. 246 et p. 256).

    [33] Nicolaas Beets, Scènes de la vie hollandaise et La Chambre obscure (Camera Obscura, 1839 ; édition augmentée, 1854), roman traduit par Léon Alexis Wocquier, Paris, Éditions Michel Lévy, 1856 et 1860, 2 vol. Marmier se contente de mentionner son nom, p. 233, pour nous dire que comme tous ses confrères, lui aussi exerce une profession : « M. Beets pasteur dans un village », après avoir dit deux mots du Beets poète : « Beets, qui joint dans ses vers la mélancolie de la pensée allemande à la pureté du style classique » (p. 231).

    [34] Lettres sur la Hollande, p. 165.

    [35] Marc Smeets, « Du côté de chez soi », Relief, 2013, n° 2, p. 107-117.

    [36] Certes, il mentionne au passage, dans ses Lettres sur la Hollande (p. 34), un autre roman de mœurs de ces deux dames : Historie van den heer Willem Leevend (1784-1785).

    [37] Voir en français à ce sujet : Pierre Brachin, « Idylle et Révolution : le séjour en France de Wolff et Deken (1788–1797) », in Faits et valeurs, « Bibliotheca Neerlandica Extra Muros », n° 4, La Haye, Martinus Nijhoff, 1975, p. 132-145 ; Myriam Everard, « Deux Hollandaises à Trévoux (1788-1797) : voyage d’agrément ou engagement politique ? », Genre & Histoire, 9, automne 2011, mis en ligne le 17 juin 2012, consulté le 25 mars 2017. URL : http://genrehistoire.revues.org/1427.

    Aagje Deken

    xavier marmier,revue des deux mondes,hollande[38] La traduction française de leur roman a paru à Lausanne, chez François Grasset, sous le titre : Histoire de Mademoiselle Sara Burgerhart ; publiée en forme de lettres, par Madame E. Bekker, veuve du Ministre Wolff, et A. Deken ; traduite du Hollandois d’après la seconde édition, 1787. Estimant que la couleur locale de leur œuvre la rendait intraduisible, les auteures ne se réjouirent guère d’apprendre qu’une traduction française était en cours. Le traducteur, Henri Rieu (Paris 1721 - 1787 Genève), ami de Voltaire, montre une excellente connaissance de la langue et des mœurs hollandaises, ce que révèlent entre autres les 48 notes figurant en bas de page. Cet homme a vécu plusieurs années en Hollande (dès 1735, il fait ses classes dans le monde bancaire à Amsterdam où il s’inscrit en 1837 en tant que membre de l’église wallonne) avant de s’embarquer, depuis la même ville, au service de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, le 27 octobre 1842, sur De Eendracht. Il arrive à Batavia le 26 mai 1743. Dès le 17 octobre de la même année, il reprend toutefois le même bateau qui le ramène à Amsterdam le 10 juillet 1744. Par la suite, entré dans la marine française, Rieu gagne les Antilles où il sera commandant de Saint-Barthélemy et d’une partie de Saint-Martin. Après avoir vécu en Guadeloupe où il a épousé une Créole de bonne famille, il est rentré en Europe avec sa famille. Il a traduit Sara Burgerhart alors qu’il était retourné vivre près de Genève (à Bourdigny) où il avait passé une partie de son enfance ; par sa mère, il descendait de familles en vue, les Calandrini et les Pellissari. Il s’agit de sa dernière contribution en tant que traducteur, la maladie l’ayant sans doute empêché de relire l’ensemble des épreuves. Le traducteur se serait servi de l’exemplaire d’Isabelle de Charrière (lettre de Claude de Narbonne-Pelet de Salgas à Isabelle de Charrière du 22 octobre 1784, dans Œuvres complètes, t. 2, p. 439). On sait par ailleurs que Benjamin Constant connaissait la sœur de Henri Rieu. En 1788, son texte est réédité à Paris par le libraire J. Hilaire sous un titre différent. (Pour tout ce qui concerne la traduction française de ce roman et la personne de Henri Rieu, on se reportera à : Hendrik Arnold Höweler, « De Franse vertaling van Sara Burgerhart », Documentatieblad werkgroep Achttiende eeuw, n° 9, 1970, p. 18-26 et « De Franse vertaling van Sara Burgerhart », Documentatieblad werkgroep Achttiende eeuw, n° 10, 1971, p. 23-24).

    [39] E., « Fransche Brieven. Parijs, 14 oct. », Soerabaijasch handelsblad, jeudi 24 novembre 1892.

     

     

     

  • La tétine de notre degré de culture…

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    … ou à chaque braguette son pantalon

     

     


    la maison Van Doesburg à Drachten (Frise) 

     

     


    On sait que l’architecte et théoricien de l’avant-garde Theo van Doesburg (1883-1931), né Christian Emil Marie Küpper, a écrit des poèmes dadaïstes sous le nom I.K. Bonset. Principale figure de la mouvance Dada en Hollande, il a été, entre autres, à l’origine de la revue De Stijl ou encore rédacteur de la publication Mécano à laquelle ont pu thoe van doesburg,dada,hollande,de stijl,traduction,poésiecollaborer Arp, Schwitters, Picabia et Tzara. On lui doit l’Aubette (Strasbourg), une demeure qui porte son nom à Meudon… ou encore certaines chaises de cafés alsaciens. Quelques-uns de ses écrits « français » sont disponibles en ligne.

    Il n’est pas inutile de mentionner au passage la toute première publication de Theo van Doesburg, passée longtemps inaperçue, y compris des plus grands connaisseurs de l’œuvre : De maskers af (Bas les masques !, 1910), qui réunit 20 caricatures de sa main, précédées d'une introduction et accompagnées de commentaires.

     

     

    Le poème qui suit est tiré de : I.K. Bonset, Het andere gezicht van I.K. Bonset, Meulenhoff, Amsterdam, 1983, p. 73.

     

    Thoe van Doesburg, Dada, Hollande, De Stijl, traduction, poésie

     

     

    9 x B

    1          De bomen zijn de benen van het landschap.   B.

    2          De mens is goed, wanneer hij er geen belang bij heeft slecht te zijn. Hij is slecht wanneer het niet in zijn belang is goed te zijn.      B.

    3          De antimakassar is de graadmeter onzer cultuur, het sentimentalisme, de speen.       B.

    4          Ziet ge?            B.

    5          Ten einde raad bracht ik het paradijs naar de lommerd. Ik ontving daarvoor juist genoeg om mij een brood, een kaars en een fles inkt te kopen.            B.

    6          Bij elke gulp behoort een pantalon.    B.

    7          Ernst is gevaarlijker dan syfilis.           B.

    8          De mens heeft hersenen ten einde niet te denken.      B.

    9          Schoonheid is de parodie der werkelijkheid.   B.

     

     

    Thoe van Doesburg, Dada, Hollande, De Stijl, traduction, poésie

     

     

    9 x B

     

    1          Les arbres sont les jambes du paysage.            B.

    2          L’homme est bon quand il n’a aucun intérêt à être mauvais. Il est mauvais quand il n’est pas dans son intérêt d’être bon.    B.

    3          La têtière en guipure d’un fauteuil est la jauge de notre degré de culture, le sentimentalisme en est la tétine. B.

    4          Vous voyez ?   B.

    5          En désespoir de cause, j’ai apporté le paradis au prêteur sur gages. Lequel m’a remis en échange juste de quoi m’acheter une miche de pain, une bougie et une bouteille d’encre.          B.

    6          À chaque braguette son pantalon.       B.

    7          La gravité est plus dangereuse que Syphilis.    B.

    8          L’homme a un cerveau de sorte à ne pas penser.        B.

    9          La beauté est la parodie de la réalité.   B.

     

    traduction : D. Cunin

     

     

     

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  • La Hollande dans une boîte à chaussures

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    Bienvenue dans la poésie kaléidoscopique des kijkdozen

     

     

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    Tout petit Hollandais plonge un jour ou l’autre dans une boîte à chaussures. Il y passe des heures, voire des jours, et n’en ressort que lorsqu’il a créé une kijkdoos. Une kijkdoos ? kijken signifie « regarder » et doos « boîte ». Plusieurs traductions sont possibles, même si aucune n’est pleinement satisfaisante : « boîte d’optique », « boîte à regarder », « boîte à merveilles », « boîte à images ». Ce type de boîtes existe aussi en Allemagne sous le nom de Guckkasten, mais elles ne constituent en rien un phénomène national.

    kijkdoos,pays-bas,hollande,thomas beaufils,willem van toorn poésieDans quelques essais récents, l’ethnologue français Thomas Beaufils a tenté d’expliquer d’où vient un tel engouement aux Pays-Bas. Il estime que cette « passion » relève – ainsi que l’exprime le titre des essais en question : « Les fenêtres hollandaises. Voyeurisme, surveillance et contrôle social aux Pays-Bas » (Deshima, n° 7, 2013, p. 39-56) et « Un dispositif de dressage des yeux ? Les ‘‘boîtes à merveilles’’ aux Pays-Bas » (Deshima, n° 13, 2019, p. 173-193) – du voyeurisme tout en présentant une corrélation avec le contrôle social. Et éventuellement aussi avec le proverbial sens du commerce et des affaires du Batave.

    La kijkdoos apparaît bien entendu dans nombre d’œuvres littéraires, en particulier des poèmes. C’est d’ailleurs le titre d’un recueil de Willem van Toorn et de l’un de ses poèmes :

     

     

    Boîte à images

     

    Tout ici est dessiné

    avec une minutie d’horloger :

    de vraies planches pour la porte

    de la mairie, matérialisées

    par des bandes. Là un enfant

    se meut à la manière d’une fourmi.

    Le cadran du clocher indique l’heure

    en parfait accord avec le ciel.

     

    D’ingénieux nuages dériventkijkdoos,pays-bas,hollande,thomas beaufils,willem van toorn poésie

    chaque jour, gages de réconfort.

    On ne distingue pas plus les lignes

    ténues qui les meuvent

    que celles qui animent les oiseaux.

    Enfin, les habitants des lieux,

    ils regardent de leurs petits yeux

    au poli d’un précis inexplicable.

     

    La possible main gigantesque

    qui rafistole le mécanisme

    derrière le firmament mis en place

    sur le mur avec dévouement,

    au matin flotte et, inerte, se

    pose sur nous tous, une aile

    d’amour et de peur, et meurt

    quand la boîte part en fumée.

     

    (Willem van Toorn, Une cage à la recherche d’un oiseau, trad. Daniel Cunin, Bruxelles, L’Arbre de Diane, 2016)

     

     

    Après sa Hollande dans la collection « Idées reçues », Thomas Beaufils a publié en 2018 une Histoire des Pays-Bas. Des origines à nos jours aux éditions Tallandier, ouvrage dans lequel on peut lire une autre réflexion sur le regard, plus axée sur Spinoza. Écoutons-le nous parler en amoureux des kijkdozen puis lisons une page ou deux de son exposé.

     


     

     

    Le principe de fabrication de la kijkdoos est plutôt simple : il suffit de se munir d’une boîte à chaussures, d’enlever le couvercle, d’y percer un trou sur la largeur, de fabriquer avec du papier ou du carton des personnages et/ou des animaux, – tout ce qui nous passe par la tête pour les y placer en respectant un effet de perspective et en gardant un espace suffisant entre les figures –, de coller sur les parois intérieures des dessins ou des photographies de paysages selon notre fantaisie et notre imagination. Enfin, on découpe un rectangle dans le couvercle pour coller sur cette ouverture du papier translucide coloré – en général, du rouge, du rose ou du jaune – qui laisse passer la lumière, laquelle crée un effet captivant et enchanteur lorsque l’on regarde par le trou. Si chaque élément est choisi avec soin, le concepteur peut s’arranger avec les moyens du bord, ce qui donne un aspect enfantin et artisanal à l’ensemble. Composé de bric et de broc, l’objet ne coûte rien. Fragiles, ces boîtes sont d’ailleurs le plus souvent jetées après leur utilisation souvent temporaire.

    kijkdoos,pays-bas,hollande,thomas beaufils,willem van toorn poésieMalgré ce côté rudimentaire, il faut du temps pour juxtaposer les matériaux de manière harmonieuse et parvenir à un effet tridimensionnel. La difficulté vient du fait que l’on part de son propre stock de souvenirs visuels. Il s’agit de créer une abstraction à partir d’images mises côte à côte que l’on engendre à partir de « soi-même » tout en ayant bien conscience qu’il est indispensable d’inventer une spatialité qui plongera le spectateur en pleine illusion. Les gestes se doivent d’être minutieux pour ne pas risquer de rater l’effet désiré. Le créateur de kijkdoos adopte le même état d’esprit que le bricoleur décrit par Claude Lévi-Strauss dans la Pensée sauvage :

    Regardons-le à l’œuvre : excité par son projet, sa première démarche pratique est pourtant rétrospective : il doit se retourner vers un ensemble déjà constitué, formé d’outils et de matériaux ; en faire, ou en refaire, l’inventaire ; enfin et surtout, engager avec lui une sorte de dialogue, pour répertorier, avant de choisir entre elles, les réponses possibles que l’ensemble peut offrir au problème qu’il lui pose. Tous ces objets hétéroclites qui constituent son trésor, il les interroge pour comprendre ce que chacun pourrait « signifier », contribuant ainsi à définir un ensemble à réaliser, mais qui ne différera finalement de l’ensemble instrumental que par la disposition interne des parties.


    Aucune étude quantitative ni statistique n’atteste la généralisation du phénomène à l’échelle nationale. Cependant, les études qualitatives indiquent une nette tendance : nombreux sont les Néerlandais à avoir été mis en présence de cette boîte au moins une fois dans leur vie, le plus souvent à l’école vers l’âge de six ans, mais pas systématiquement comme me l’ont affirmé plusieurs professeurs des écoles, cette activité ne faisant pas partie des apprentissages fondamentaux du primaire. Quant aux parents néerlandais, parmi ceux que j’ai interrogés, nombreux sont ceux qui proposent à leurs enfants de fabriquer une kijkdoos pour les occuper pendant les vacances ou le week-end. La mère ou le père aide alors sa progéniture à découper et colorier les différents composants de la boîte, assurant ainsi la transmission d’un savoir-faire ancien et la continuité d’un geste qu’ils ont eux-mêmes expérimenté et appris en famille dans leur enfance.

    kijkdoos,pays-bas,hollande,thomas beaufils,willem van toorn poésieIl n’est pas rare non plus que des magazines néerlandais contiennent des patrons imprimés à découper et à coller pour réaliser des boîtes. Ces modèles prêts à l’emploi sont également régulièrement distribués sur des présentoirs à la sortie de supermarchés, par exemple dans les Albert Heijn au cours de l’année 2014 ou dans des musées comme à Hindeloopen, ce petit village frison connu dans le monde entier pour les intérieurs et meubles peints de ses maisons. Sur son site, le musée Van Gogh d’Amsterdam met quant à lui à la disposition des enfants un jeu qui consiste à placer des éléments des toiles du peintre dans une kijkdoos virtuelle. Pediforma, une marque néerlandaise de souliers orthopédiques, vendait, quant à elle, dans les années soixante-dix du siècle passé, des chaussures dont l’emballage pouvait être transformé en une kijkdoos dans laquelle prenaient place des figurines de cirque en papier. La marque Nivea a également offert dans les années soixante à ses clients des « dioramas » dans lesquels les enfants pouvaient observer des mondes sous-marins par un trou. Autre preuve de cet engouement extraordinaire pour ces boîtes, en tapant le mot kijkdoos dans un moteur de recherche sur internet, le nombre d’occurrences néerlandaises (images de boîtes, patrons, vidéos) qui ressort est vertigineux.

    Pour ce qui est du contenu, il ne semble pas exister de typologies particulières. Les scènes représentées varient d’un créateur à l’autre. Chacun place et présente dans l’espace clos de la boîte un moment de sa vie ou un trait de son caractère. Les illustrations forment systématiquement des « petites images », à la fois par la taille et pas leur côté banal. Certains thèmes sont un peu plus courants que d’autres, en particulier les tableaux champêtres composés d’arbres, d’un paysage automnal, de montagnes, d’animaux ou d’une maison à laquelle on accède par un chemin. Les plus chevronnés placent un dispositif qui permet de manipuler et d’animer mécaniquement avec une petite manivelle les figures afin de créer un effet cinétique. Parmi les nombreuses vidéos proposées sur internet, mentionnons celle d’une jeune artiste, Anne Rietmeijer, réalisatrice d’un film de cinq minutes (visionner ci-dessous) dans lequel un garçon fabrique des dizaines et des dizaines de boîtes jusqu’à ce que celles-ci envahissent totalement sa chambre. Par les trous, une jeune femme blonde habillée en robe rouge apparaît, sans doute l’objet de son fantasme, et lui fait signe jusqu’à ce que l’enfant s’aperçoive qu’il est lui-même dans une boîte et que cette jeune femme le regarde également par un trou.


     

    Voilà pour le dispositif général qui n’est pas sans rappeler toutes ces boîtes promenées dans la rue par des forains itinérants ou appréciées des aristocrates aux XVIIe-XIXe siècles. Les gens payaient pour regarder dedans et y admirer des scénettes rehaussées par des effets de relief et de profondeur. Ces dispositifs, véritables objets d’art, peuvent désormais être admirés dans les musées, par exemple au celui du cinéma de Turin ou encore à la cinémathèque française. Ces attractions portatives et illustrées aux vertus pédagogiques et récréatives ont pris différents noms et différentes formes au cours du temps : la boîte d’optique, la lanterne magique, le théâtre d’Engelbrecht, la boîte anamorphique. Dans la même veine, le peintre Samuel van Hoogstraten (1627-1678) fut l’auteur d’une boîte d’optique en trois dimensions que l’on peut contempler à la National Gallery de Londres : elle représente l’intérieur d’une maison néerlandaise que l’on peut observer de face ou par un orifice situé sur le côté vers lequel pointe le doigt d’un ange. Samuel van Hoogstraten a conçu une autre boîte d’optique en 1663 qui est présentée à l’Institute of Arts de Détroit. Le Musée Bredius de La Haye possède lui aussi une perspectiefkast ou kijkkast du XVIIe siècle. Mais ces boîtes furent détrônées par des machines plus élaborées et plus spectaculaires : le diorama (on songe à l’exposition au Palais de Tokyo en 2017), le polyorama, le stéréoscope, le cosmorama, le diorama de Daguerre et Bouton jusqu’à l’avènement de la photographie et du cinéma. L’engouement pour les vues d’optique s’est ensuite progressivement émoussé, sauf aux Pays-Bas où les boîtes ont curieusement poursuivi leur existence sous d’autres formes, grâce à l’invention et à la généralisation de la boîte à chaussures à la fin du XIXe siècle. Les Néerlandais les ont détournées de leur fonction initiale pour leur donner une nouvelle vie sous la forme de la kijkdoos actuelle. Les raisons pour lesquelles cet engouement ne s’est pas éteint aux Pays-Bas reste cependant un vrai mystère.

     

    Thomas Beaufils

     

    kijkdoos, pays-bas, hollande, Thomas Beaufils, willem van toorn poésie

     

     

  • Palliatif

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    Un poème de Steven Van Der Heyden 

     

     

    Né à Gand en 1974, Steven Van Der Heyden, infirmier à domicile en soins palliatifs, cherche à lire le monde par le moyen du langage – son origine et sa destination. Ses poèmes ont paru dans différentes revues, il a participé au Steven Van Der Heyden, poésie, Flandre, Belgique, néerlandais, traductionFestival international des arts de Watou. Ces dernières années marquent ses véritables débuts : certains de ses poèmes ont illustré l’ouvrage Breath de l’artiste Katrin Dekoninck puis, début 2020, la maison d’édition de Louvain P. a publié Tot ze koud is (Jusqu’à ce qu’elle soit froide), un recueil à deux voix qu’il a composé avec Luc C. Martens. Chaque auteur y développe sa poétique en s’attachant à chanter diverses amours, jeunes, frivoles, défuntes, dépravées… Deux univers qui se font écho et se renforcent mutuellement.

    « Pour la plupart, mes poèmes sont des rêveries philosophiques dans lesquelles j’essaie d’évoluer consciemment sans prendre les choses pour acquises. Autant de parcours en quête de simplicité, d’équilibre et d’authenticité au cours desquels je me laisse toucher par ce qui semble ‘‘banal’’ et tente d’épurer la beauté. Dans le flux de réalités en constant changement, ma poésie entrouvre la porte sur un échange et un ancrage. Elle me permet de modeler ma traversée vers la silencieuse sérénité et l’harmonie. » Une traversée que Steven Van Der Heyden prolonge en peignant et en travaillant le verre et l’argile.

     

    Steven Van Der Heyden, poésie, Flandre, Belgique, néerlandais, traduction

     

     

    « Le jeu des voix, tant dans l’art que dans le monde en général, ne manque pas de nous intriguer. Il existe des exemples célèbres de polyphonie dans des compositions musicales et dans des œuvres lyriques ». Le recueil Tot ze koud is opte pour un duetto au sein duquel les voix interagissent et s’enrichissent au fil d’un dialogue sur la relation du je à la femme et sur les méandres et rebondissements (im)prévisibles de l’amour. »

    YVES T’SJOEN

     

     

    « Il se passe quelque chose de merveilleux dans ce recueil : les poèmes musicaux et sensuels de Luc C. Martens se fondent sans peine dans ceux, spirituels et sinistres, de Steven Van Der Heyden. Steven, revers sombre de Luc. Ou Luc, version plus frivole de Steven. Ce qui n’empêche en rien de les lire en alternance. Des images fortes et capricieuses, une langue captivante dépourvue de clichés. Deux poètes prometteurs ont ainsi mis au point une composition remarquable, originale et d’une rare puissance. »

    DELPHINE LECOMPTE

     

     

    En attendant la parution en revue de la traduction d’un cycle de ce recueil, Steven Van Der Heyden propose un poème qui fait allusion à sa profession.

     

     

     

    Palliatif

     

     

     

    Ils changent le temps de place, enfoncent les mains

    dans leurs poches, posture qui ne sied pas vraiment

     

    Figurants à la recherche des premiers signes

    d’une tristesse qui affamée les attend

     

    Ils fléchissent à travers leur sourire

    se réfugient dans l’incrédulité et de froides couleurs

     

    L’odeur du caoutchouc du métal les maintient

    ensemble peu à peu pénètre leur chair

     

    Les souvenirs rendent la chambre habitable

    confèrent du poids aux années

     

    Qu’en sera-t-il s’ils se trompent de jour ?

     

     

    traduction du néerlandais : Daniel Cunin

     

     

    Steven Van Der Heyden, poésie, Flandre, Belgique, néerlandais, traduction

    Le poète (photo : Carmen De Vos)

     

     

  • Poème de saison

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    Antoon Van den Braembussche, poésie, Corona, Flandre, Belgique, traductionPhilosophe et poète, Antoon Van den Braembussche marie son intérêt pour l’esthétique et les phénomènes récents de l’expression artistique (la culture numérique et l’art contemporain) à une quête littéraire débutée voici une quarantaine d’années. L’universitaire qu’il a été a signé, en langue anglaise, les essais Intercultural Aesthetics. A Worldview Perspective (2008, en collaboration avec Heinz Kimmerle et Nicole Note) et Thinking Art. An introduction to Philosophy of Art (2009). En 2016, il a publié en néerlandais un ouvrage beaucoup plus personnel : De stilte en het onuitsprekelijke. Over beeldcultuur, kunst en mystiek (Le silence et l’indicible. De la culture visuelle, de l’art et de la mystique), une méditation exprimant le désir de vivre une « expérience sublime » en se déconnectant de la pensée, à la fois plongée dans nos dimensions existentielle et spirituelle et tentative de saisir l’ineffable en explorant les zones où (philosophie de l’) art et mystique, religion et athéisme, philosophie occidentale et sagesses orientales se rejoignent.

    Certains de ces élans et aspirations se retrouvent, mais dans une formulation différente, extrêmement claire pour ne pas dire transparente, dans son septième et plus récent recueil : Alles komt terug. Over ‘de eeuwige terugkeer van het gelijke’ (Tout revient toujours. Ou de l’éternel retour du même, Éditions P., Louvain, 2018). Un titre qui bien entendu renvoie à Nietzsche. « L’auteur observe le monde, nous dit l’éditeur, à travers les yeux de Friedrich Nietzsche. Il examine et considère le minuscule comme le gigantesque, le nouveau comme l’ancien, le concret comme l’abstrait, tout cela comme autant de parties d’un même tout : un tout qui revient toujours. Cet éternel retour est rendu dans une langue sobre, mais d’une redoutable précision, et qui pour autant ne craint pas quelques nuances sublimes ou surréalistes. » Mais au fond, ce recueil ne serait-il pas avant tout une suite amoureuse ?

     

    À présent, je chante la danse de la terre.

    Il n’y a pas que le séjour multiple

    entre tes reins, tes mains, dans ta chevelure,

     

    sous tes aisselles. Il y a aussi l’intemporel

    havre en ton immortel sourire.

     

    En ce printemps pas comme les autres, Antoon Van den Braembussche, comme d’autres poètes, a consacré des strophes au virus qui est sur toutes les lèvres. La version originale est en ligne sur un literair e-zine. Nous en proposons la traduction française ci-dessous.

     

    Antoon Van den Braembussche, poésie, Corona, Flandre, Belgique, traduction

     

     

    CORONA

     

     

    +

     

    Le temps nous a rattrapés.

     

    Inouï.

    Invisible.

     

    Dans les remous de la brume.

    Infimes particules contagieuses.

     

    Corona.

    Pneumonia.

     

    Fuite de la marte devant la contamination.

    Sous une inquiétude sans précédent,

    des gestes de stockeur.

     

    Peur sous-cutanée.

     

    +

     

     « Le pire est à venir »,

    prophétise le virologue.

     

    Et nous de fixer

    d’un regard hébété

    des courbes exponentielles.

     

    Dans nos foyers, nos cocons

    habités de la phobie des microbes.

     

    Notre œil se dissout dans un flot de sang,

    le tabou de l’attouchement.

    Le monde au point mort.

    Sur la bouche, le masque du jamais vu.

     

    +

     

    Dans des hôpitaux surpeuplés

    dans des lits à gorge déployée

    la mort tâtonne à la ronde.

     

    Impitoyable.

    Au plus près du poumon.

     

    Les plus faibles errent.

    Tandis que les jours refluent

    dans l’infinie solitude.

     

    Car quiconque a été seul

    glisse bientôt dans un inaccessible mutisme.

     

    Pétrifié comme le virus.

    Condamné.

     

    +

     

    Corona.

    Utopia.

     

    L’air se purifie

    dans les artères de la ville.

     

    Jamais encore le numérique n’a été

    lieu de pareille compassion.

     

    Jamais encore n’ont régné

    dans les rues et sur les places

    pareil silence pareil ineffable.

     

    À croire que plus que par le passé

    le point mort nous apprend une chose inoubliable :

     

    respirer de soulagement dans l’instant.

     

    Antoon Van den Braembussche

    Mardi 24 mars 2020

     

     

    poème traduit du néerlandais par Daniel Cunin

     

     


    Le poète et quelques artistes lors de la parution de son recueil Het uur van de wolf

    (Entre chien et loup, 2014).