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J. Brouwers, Jours blancs, trad., D. Cunin, Gallimard, 2013.
« Jeroen Brouwers s’était attelé à un nouveau roman quand, à la suite de la mort prématurée de son fils aîné, un autre livre s’imposa à lui. En l’espace de quelques mois – une durée étonnamment courte pour lui –, il écrivit Datumloze dagen (Jours blancs), publié en 2007.
« Le protagoniste de ce long monologue est un homme âgé qui vit dans un bois isolé. Remords, regret, mélancolie et honte, tels sont les sentiments qui prédominent dans ces pages. Le roman traite des rapports troublés entre un père et son fils ; sous une apparente négligence, l’auteur déploie une telle maîtrise du style que le livre marque profondément le lecteur au risque de trop l’affecter. Le narrateur revient sur l’échec de sa paternité à propos de ce fils qu’il a à peine connu. Si pour ce qui est des faits rapportés, il ne ressemble en rien à l’écrivain, il partage en revanche nombre de ses traits de caractère.
« Stylistiquement, le roman se situe dans le prolongement de Geheime kamers. La critique a cette fois encore relevé le style étonnement leste et léger. Une qualité du Brouwers de la maturité, qui, sous une nonchalance trompeuse, privilégie une composition ingénieuse truffée de références aux mythes classiques et à des thèmes explorés dans des œuvres antérieures. On peut aussi dégager des parallèles avec des romans précédents, à commencer par le premier d’entre eux, Joris Ockeloen en het wachten (Joris Ockeloen et l’attente, 1967), également centré sur les rapports père/fils. De même, dans Datumloze dagen, tout est en rapport avec tout. Dès la deuxième page, il est question ‘‘d’un soleil qui prend congé en caressant tout une dernière fois, en projetant une ombre’’. »
JohanVandenbroucke, « Le mémorial de papier de Jeroen Brouwers », Septentrion, n° 1, 2012.
EXTRAIT
(le narrateur se remémore le jour où sa première épouse lui a annoncé qu’elle était enceinte)
Les femmes, leur parler, c’est peine perdue. Les femmes, dès que l’utérus les démange, c’est peine perdue que de chercher à s’accorder sur quoi que ce soit avec elles. L’horloge biologique ? Mieux vaudrait parler de bombe à retardement. Les femmes ne respectent aucun engagement ni aucune promesse dès qu’elles ressentent un petit courant d’air dans le bas-ventre ; elles obéissent alors aveuglément à leur instinct de bête en chaleur qui leur commande d’être emplies.
Nous, on s’aime ? me suis-je écrié. Je ne crois plus pouvoir être aussi catégorique que toi. Toi, tu ne m’aimes en aucune façon puisque tu assouvis tes désirs sans tenir compte de moi. Raison pour laquelle je ne t’aime plus.
Le don des larmes. Deuxième aiguillon le plus perfide de la rouerie féminine. Je l’entendis renifler – du coin de l’œil, je la vis se tamponner yeux et joues avec l’embryon de layette.
Elle : Mais toi aussi, tu assouvis tes désirs en refusant d’avoir un bébé ?
Je suis bien trop crétin pour les femmes. Ça me démangeait et me désespérait.
Ce sujet, nous l’avons déjà épuisé je ne sais combien de fois. Voilà ce que je lui ai rappelé. Attendons d’abord d’être des adultes. En tout cas que j’aie terminé mes études. D’autre part : qui est encore assez fou, en cette époque abominable, pour mettre au monde un enfant dans ce monde abominable – n’est-ce pas là commettre un crime et se rendre coupable, par anticipation, de maltraitance d’enfant ?
Pousser le bouchon un peu trop loin quand le moment s’y prête, ce n’est pas défendu.
Sans compter qu’un petit poupon, ça ne reste pas indéfiniment le joli gentil petit toutou à sa maman qui se trémousse à quatre pattes sur la moquette. Ça grandit, ça vous cause du souci jour et nuit, et dès l’âge de dix ou douze ans, ça pousse des coups de gueule. Le quart de siècle suivant, vous arrivez encore moins à vous en défaire, ça vous tient pieds et poings liés alors que, parallèlement, votre vie se dissipe comme la cendre d’une cigarette. Vous croisez les doigts pour que le petit ne tombe ni dans l’héroïne, ni dans l’eau bénite, ni dans la prostitution… Et vous n’y couperez pas, le jour viendra où il vous lancera à la figure, comme un glaviot : J’ai pas demandé à naître ! Moi, je me vois lui répondre du tac au tac, sur un ton chaleureux : L’heureux hasard ! Ne vas surtout pas m’imputer ta naissance. Je n’avais aucun scrupule à ce que ta mère avorte !
Une comédie musicale à son nom, un nom gravé parmi ceux des Justes du Yad Vashem : tels sont les honneurs posthumes reçus par un écrivain néerlandais. Un homme qui aura vécu toute sa vie sous l’aura de son patronyme hérité d’un célèbre et controversé arrière-grand-père : « Charles-Louis de Bourbon, duc de Normandie, (Louis Dix-Sept), ayant été connu sous le nom de Charles-Guillaume Naundorff ».
Juriste de formation, Louis de Bourbon (1908-1975) a été journaliste, maire d’Escharen puis d’Oss, ville du Brabant-Septentrional où, au cours de l’entre-deux-guerres, ont été fondés les laboratoires Organon. Après 1945, il se consacrera essentiellement à la lit- térature, gagnant sa vie en faisant entre autres des traductions. Comme beaucoup de ses compatriotes ayant séjourné dans les Indes néerlandaises – pour sa part, il y a vécu avec son épouse et leurs enfants de mars 1936 à juillet 1938 en tant que rédacteur de journaux locaux –, il a restitué dans ses vers et sa prose maintes impressions d’Asie.
Entré en littérature en 1931 (premières publications dans Het venster – dont les trente-quatre livraisons ont paru entre 1931 et 1936), il a occupé des fonctions au sein de deux revues littéraires qui ont joué un rôle important dans le renouveau catholique en Hollande : Roeping(Vocation) et De Gemeenschap (La Communauté / La Communion), publiant aussi dans Forum, périodique aconfessionnel cofondé par l’ami de Malraux, Eddy du Perron. Après la guerre, Louis de Bourbon s’éloignera du catholicisme.
Louis de Bourbon
L’œuvre de cet homme à la vie bien remplie est dominée par une veine tragico-romantique, « romantique » comme le château où il passa quelques années de son enfance – une atmosphère « à la Malte Laurids Brigge ». Mélancolie, souffrance, errance, sensualité, déification de la mère trop tôt disparue, bonheurs et tourments amoureux, lutte âpre à laquelle se résume parfois l’existence, tels sont les thèmes majeurs qui s’en dégagent, teintés parfois d’humour. L’attachement à la gloire passée de la famille royale française transparaît dans de nombreuses pages. À la mort de son père – homme autoritaire qu’il n’aimait guère –, Louis de Bourbon s’est considéré comme le Dauphin, avançant que l’histoire de son ancêtre Naundorff était « trop belle pour ne pas être vraie ». Né aux Pays-Bas (à Renkum dans la Gueldre), il estimait avoir vu le jour sur le sol français : dans la demeure familiale, les pieds du lit où sa mère a accouché étaient placés dans des pots contenant de la terre de France. Sa connaissance du français – excellente, mais imparfaite – l’a amené à composer des poèmes dans les deux langues. Il en a même écrit en mêlant plus de langues encore, façon pour lui d’illustrer son aspiration à une intégration européenne.
Âme sans véritable port d’attache, nature rêveuse et maniaco-dépressive*, conscience travaillée par les épreuves de la guerre, Louis de Bourbon a laissé une trentaine de titres ainsi qu’un nombre considérable d’arti- cles. Si quelques contributions paraissent encore sur lui, elles reviennent bien plus sur son rôle de maire d’Oss pendant l’Occupation et son action dans la Résistance que sur son œuvre**. Malgré de belles pages, celle-ci ne se caractérise pas forcément par une grande originalité – la prose trahissant un manque de pouvoir d’évocation, la poésie n’ayant pas la fraîcheur de celle d’un Jan Engelman (1900-1972) –, trop marquée sans doute qu’elle est par diverses influences, celle de Slauerhoff ou celle des grands poètes français du XIXe siècle. Aucune réédition n’a paru depuis la mort de l’écrivain ; l’autobiographie à laquelle il travaillait dans ses dernières années n’a jamais vu le jour. Peu avant de succomber à un cancer, il a eu le temps de réunir ses œuvres poétiques. Ce volume offre sept autoportraits dont le premier en version néerlandaise (1938) et dans une traduction française de l’auteur :
ZELFPORTRET I
Een prins van Frankrijk en het zoet Navarre
heeft blauwe ogen, donker-blonde haren,
maar geen paleizen meer en geen vazallen,
want heersen doen in deze eeuw barbaren.
Geef hem de koelte weer der kathedralen
en bloeiende gazons met ruisende fonteinen,
muziek en toortslicht in de hoge zalen,
de gloed van kruistochten en van festijnen.
Een leven, vol herinnering en dromen,
blijft onbenut en roeit zichzelve uit,
het lost zich op in sombere fantomen.
Maat soms, opeens, moet dit moe hart weer spreken:
een oud kasteel, dat zich nog ééns ontsluit,
een laatste zwaan, waarvan de ogen breken.
Louis de Bourbon miné par la maladie,
photo Henk Gerritsen, quatrième de couverture des Verzamelde gedichten, 1974
PORTRAIT
du Poète par lui-même
Prince de France et de Navarre la douce
Il a les yeux bleu clair, cheveux bouclés et blonds
Mais pauvre et sans pays, sans vassaux ou barons :
Les trônes sont vacants par ces temps si farouches.
Enfant il a déjà connu du sort humain l’abîme.
Orphelin à dix ans il se masque en guettant
Les assauts, les splendeurs des images d’antan :
Croisades, cathédrales, jardins galants intimes.
Encore dans son regard ce reflet de tristesse :
La double solitude de poète en exil
De prince sans royaume, d’enfant sans tendresse.
Mais parfois réveillé, tout à coup il s’arrache
À ces sombres pensées, cette souffrance inutile,
Par un poème sublime dévoilant son panache.
* En 1953, souffrant d’une dépression alors qu’il travaille à un roman sur Louis XVII, Louis de Bourbon se retrouve dans l’incapacité d’écrire. Des écrivains créent un comité pour lui venir en aide et lui permettre de se reposer en Suisse.
** Une monographie s’attache toutefois à mettre en valeur l’œuvre de ce personnage singulier : Margreet Janssen Reinen, Louis de Bourbon, dichter van het eeuwige verlangen, Tekstservice Van Moock, Molenhoek, 1998.
Illustrations
Louis de Bourbon, Twaalf maal Azië (Douze fois l’Asie), préface Antoon Coolen, dessins Charles Roelofsz, Amsterdamsche Boek- en Courantmaatschappij, 1941.
Le Prix du Livre européen 2012 vient d’être attribué, dans la catégorie « Essai », au Passage à l’Europe du Néerlandais Luuk van Middelaar. Après les différentes phases de sélection, deux autres titres restaient en course : La Constitution de l’Europe de Jürgen Habermas (Allemagne) et Par la haute mer ouverte d’Eugenio Scalfari (Italie). Les trois ouvrages ont été publiés en traduction française dans différentes collections des éditions Gallimard. Quant au roman couronné, il s'agit du Jour où la Vierge a marché sur la Lune de Rolf Bauerdick (traduit de l'allemand par Odile Demange, Le Nil).
Le Passage à l’Europe a également remporté en France le prix Louis Marin 2012, décerné par l’Académie des Sciences morales et politiques pour récompenser une œuvre de sciences humaines.
Gallimard, « Bibliothèque des Idées », 475 p., janvier 2012
« Le Passage à l’Europe raconte comment un ensemble d’États européens s’efforce de devenir l’expression politique du continent, comment ce corps politique en évolution est né, comment il change de forme, remplit un certain espace, se cherche une voix et souffre d’un manque d’oxygène public. J’emploie le mot ‘‘passage’’ pour trois raisons. Pour évoquer un mouvement dans le temps et dans une certaine direction, pour éviter les inconvénients des termes habituels (‘‘intégration’’, ‘‘construction’’), et enfin pour souligner une analogie entre les métamorphoses de ce corps politique et les ‘‘rites de passage’’. Ces rites, ces pratiques cérémonielles qui assurent une continuité symbolique dans les moments de rupture d’une vie individuelle (naissance, baptême, mariage, couronnement…), Arnold Van Gennep les a analysés il y a un siècle en aiguisant notre regard à propos des formes intermédiaires à même de lier un stade à un autre. D’où le rôle de premier plan que jouent dans notre Passage les entre-deux que sont le seuil, la porte ou le pont, symboles figurant d’ailleurs sur les billets en euros ; d’où l’importance — qui se révèle capitale — qu’il y a à distinguer entre un pas et un saut ; d’où l’attention qu’il convient de porter aux noms et au fait de rebaptiser instances et institutions.
« Histoire d’un commencement : ce livre l’est parce qu’il scrute une genèse lente, poussée par les événements, sans chercher à fournir le dernier mot. L’Europe ne se réduit pas à quelques kilomètres carrés de bâtiments à Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg. L’Europe est à un passage. Et nous avec elle. » (Avant-propos, extrait)
QUATRIÈME DE COUVERTURE
Ce livre raconte un événement lent et majeur : la genèse d’un ordre politique européen.
Il évite le jargon et les poncifs des manuels ; ceux-ci cachent bien plus les enjeux du pouvoir qu’ils ne les éclairent. Il ne spécule pas une quelconque finalité. Il n’est pas « pour » ou « contre » l’Europe – peut-on l’être d’ailleurs ?
Le Passage à l’Europe distingue trois sphères européennes. La sphère externe, celle du continent et de l’ancien « concert des nations » ; la sphère interne des institutions et du Traité, source de grandes attentes ; enfin, imprévue et non perçue, une sphère intermédiaire, celle où les États membres, rassemblés autour d’une même table, se découvrent peu à peu coresponsables d’une entreprise commune, parfois malgré eux. Cette sphère intermédiaire, dont le Conseil européen des chefs d’État ou de gouvernement est devenu l’expression institutionnelle, est le théâtre des tensions entre l’un et le multiple. Tensions qui font la force et la faiblesse de l’Union comme en témoigne la crise de l’euro.
Livre d’histoire, en ce qu’il prend au sérieux l’expérience des hommes politiques qui ont façonné l’Europe depuis soixante ans : l’importance des mots, la soif des applaudissements, l’implacable pression des événements.
Livre de philosophie, en ce qu’il veut savoir ce qu’est la politique avant de trancher sur l’existence d’un corps politique européen : qu’en est-il, en Europe, de la capacité à prendre des décisions contraignantes, à agir dans le flux du temps, à établir un lien avec les gens ?
L’un et l’autre, en ce que l’auteur considère que la vérité de la politique ne se comprend que dans le temps.
Né en 1973, Luuk van Middelaar, philosophe et historien, ancien chroniqueur au quotidien NRC Handels- blad, est l’auteur de Politicide. La Mise à mort du politique dans la philosophie fran- çaise (1999). Après avoir travaillé tant à Bruxelles, au sein du cabinet d’un commissaire européen, qu’au Parlement néerlandais, il est depuis 2010 la plume du premier Président du Conseil européen, Herman Van Rompuy. Le Passage à l’Europe a remporté le prix Socrate 2010 récompensant le meilleur livre de philosophie écrit en néerlandais.
De langue néerlandaise, originaire des Pays-Bas mais vivant en Belgique, Benno Barnard a appris l'hébreu avec son père, parle anglais avec son épouse américaine et s’exprime couramment en français. Ce contexte culturel et historique paradoxal confère à son œuvre une tension particulière. Remarquables par leur musicalité et leur impressionnante virtuosité technique, ses poèmes, souvent longs et réunis en cycles, posent essen- tiellement la question de l’identité de l’Européen après la Seconde Guerre mondiale. Écrit à Anvers, « Langue maternelle » est à la fois un hommage à la mère disparue et à la langue maternelle.
MOEDERTAAL
In memoriam Christina Van Malde (1919-1995)
U hebt het witte gezicht van de melk
die ik dronk in het huis aan de Amstel
waar ik geboren ben. (Zeker paste Parijs u
nog in de lente, maar de zomer barstte uit
uw deux-pièces, het werd november; en nu
vulden regen en schemering de ruit:
een negentiende eeuw legde haar blanke hand
op mijn leven.) Mama, ik weet het wel,
ik was een boze bloem met een roze kelk
en ik ben niet veranderd. Ik ben iemand, niemand,
Nederland.
En nog altijd zuigt mijn grote mond
op de consonant die ik zo lekker vond,
nog altijd is mijn oudste klinker een en al verbazing
over mijn gulzigheid en mijn verzadiging.
Ik zal mijn hele leven melk hebben gegeten.
U herinnert mij aan dingen die ik nooit geweten heb.
U maakt rijmpjes, zoals vroeger, en vangt mij in het web
van Sebastiaan.
Vandaag was u weer mijn gouvernante met het knotje:
vandaag hebben we redelijkheid, zedelijkheid,
de vlucht der vogels en een beetje God gedaan.
Pas hier in Antwerpen ben ik van u gaan houden
als een verloofde met blauw geslagen ogen
en het hart van een leeuwin. Vaak zit u aan de bar
te babbelen, maar zijn uw naakte benen in elkaar
verstrengeld
om het kleine roofdier te beschermen… Ik slik
uw diftongen als ouwels en noem u Lieve,
want iemand moet u zonder ironie zo noemen;
ik neem u
mee naar huis en hoor in mijn slaap uw onzekere hakken
op de glanzende honingraat van de kasseien.
U bent Katinka genoemd door mijn latere vader.
U bent mijn moeder die niet naar mij luistert,
maar praat dat het gedrukt staat op mijn muren.
O dode moeder,
morgen is er weer een nacht waarin ik opschrijf:
ik ben niet alleen van mijzelf.
LANGUE MATERNELLE
In memoriam Christina Van Malde (1919-1995)
Vous avez le blanc visage du lait
que j’ai bu dans la maison de l’Amstel
où je suis né. (Oui, Paris vous allait encore
au printemps, mais l’été débordait
de votre deux-pièces, et ce fut novembre ;
et la pluie et le crépuscule remplirent
la vitre : un XIXe siècle posa sa pâle
main sur ma vie.) Maman, je sais bien,
j’étais une fleur rebelle au calice rose
et je n’ai pas changé. Je suis quelqu’un, personne,
homme du Bas-Pays.
Grande gueule, toujours et encore je suce
la consonne que je trouvais si délicieuse,
toujours et encore ma plus ancienne voyelle s’émerveille
de ma voracité, de ma satiété.
Toute ma vie j’aurai mangé du lait.
Vous me rappelez des choses que je n’ai jamais sues.
Vous faites des vers, comme jadis, et m’attirez
dans la toile de la chanson.
Aujourd’hui vous étiez à nouveau ma gouvernante
avec son chignon : aujourd’hui nous avons fait
la rationalité, la moralité, le vol des oiseaux et Dieu, un peu.
Je n’ai commencé à vous aimer qu’ici à Anvers
comme une fiancée aux yeux meurtris, bleuis,
et au cœur de lionne. Souvent, au bar,
vous bavardez, mais vos jambes nues sont
entrelacées
afin de protéger le petit fauve… J’avale
vos diphtongues comme des hosties et vous appelle Chérie,
car quelqu’un doit vous appeler ainsi sans ironie ;
je vous emmène
à la maison et dans mon sommeil j’entends
vos talons incertains sur les losanges luisants des pavés.
Katinka, c’est le nom que vous donna mon nouveau père.
« Ici, plus d’émotions restreintes jouées sur une portée parcimonieuse, mais une respiration plus large, une interrogation métaphysique plus audacieuse à travers un vers librement rythmé, gorgé d'assonances, cellule en expansion de poèmes plus longs (et parfois de cycles de poèmes...) où se mêlent des séquences narratives ainsi qu’une méditation en saccades qui ne reculera ni devant l’émotion forte, ni devant l’image chargée sinon ‘‘choquante’’. Surgissent ainsi, au cœur des poèmes du Naufragé, des personnages et des lieux précis, très belges à vrai dire : des poètes se rencontrent à Watou (en Flandre-Occidentale), un amour déchirant est vécu à Bruxelles, on capte conversations et gestes à Anvers. Tout y est contemporain mais habité d’une nostalgie, d’une mémoire – heureuse ou torturante – qui travaille ou bouleverse les protagonistes. À l’évidence, les grandes références du poète Benno Barnard sont anglo-saxonnes, Rimbaud et Apollinaire dussent-ils émettre, çà et là, quelques signes. On songe moins aux Cantos d’Ezra Pound qu’à une suite poétique qui campe la vie de toute une ville tel le Paterson de W.C. Williams (la ville dont l’atmosphère imprègne la plupart des poèmes-séquences du Naufragé s’appelle An- vers...) ou aux longues compositions élégiaques, avec reprises fuguées, de T.S. Eliot (Mercredi des cendres) ou de W.B. Yeats (La Tour).
« Le Naufragé, solide cycle de sept poèmes dramatiques et incantatoires qui donne son titre à l’ensemble du livre, met en scène les rencontres, les errances et les propos alternés d’un ‘‘je’’ englué dans une passion malheureuse et d’un marin originaire des Îles Canaries, échoué à Anvers, et appelé Garcia. À l’origine, ce long poème fut écrit en marge de tableaux du peintre Jan Vanriet qui se référaient à l’Évangile de saint Jean. De fait, les allusions à cet évangile du Verbe abondent dans le poème : le Jourdain y devient l’Escaut et Garcia se profile à la fois comme un Christ et comme un nouvel Ulysse errant dans une ville tout à la fois juive, chrétienne et païenne… Dans ce tourbillon, le lecteur se met peu à peu à habiter et à vivre les émotions et les rêveries des ‘‘personnages’’. C’est avec le ‘‘je’’ du poème qu'il s’adressera à Garcia et qu’il l’écoutera ; c’est avec le même ‘‘je’’ que le lecteur, après la mort du Christ-Ulysse, parlera directement à la femme aimée et bafouée, présente en filigrane dès le début du cycle. De cette manière, le ‘‘naufragé’’ du titre concerne au bout du compte tous les acteurs impliqués dans l’écriture (et dans la lecture) de ce long cycle de poèmes composé avec doigté et sur un ton vibrant qui ne faiblit pas… » (Frans De Haes, « Benno Barnard, une voie singulière », Septentrion, 2003, n° 2, p. 81).
Les couvertures
Benno Barnard, Fragments d’un siècle. Une autobiographie généalogique, traduit du néerlandais par Monique Nagielkopf, Bordeaux, Le Castor Astral, 2005.
Benno Barnard, La Créature : monologue (théâtre), traduit du néerlandais par Marnix Vincent, Bordeaux, Le Castor astral, 2007.
Ceci n’est pas une poésie. Een Belgisch-Franstalige ANTHOLOGIE belge francophone, Amsterdam/ Antwerpen, Atlas, 2005 (Benno Barnard a collaboré à la traduction de cette anthologie qui couvre 150 ans de poésie belge francophone).
Voici un siècle, la jeunesse cultivée de la « Reine des plages » lisait avec avidité les œuvres de Louis Couperus. Fondé en 1894, le Leeskring acquérait des ouvrages et organisait des lectures d’écrivains tant d’expression française (Paul Bourget, Anatole France, Arsène Houssaye, Maurice Maindron, Paul et Victor Margueritte, J.H. Rosny, Léopold Courouble, Mae- terlinck, Lemonnier…) que d’expression néerlandaise (Louis Couperus, Cyriel Buysse, Guido Gezelle, Willem Kloos, Stijn Streuvels, Frederik van Eeden, Pol de Mont, Herman Teirlinck, Virginie Loveling, H. Swarth, Justus van Maurik, Maurits Sabbe…). À l’approche du dixième anniversaire de cette petite société littéraire, la presse locale souligna la réussite de son initiative : « Quelques jeunes gens, estimant qu’il existe encore d’autres agréments que de rouler à bicyclette, potiner au café, se pavaner au bal, fondèrent le cercle, voilà dix ans, dans le but de développer parmi les membres le goût de la lecture et de la littérature, de les initier aux questions d’actualité, de compléter ainsi les connaissances acquises sur les bancs du collège ou de l’athénée. Bien que la cotisation fût des plus minimes, le Leeskring réalisa son programme. Il s’abonna aux périodiques français la Revue, le Mercure de France, la Revue des cours et conférences, aux publications néerlandaises De Gids, Groot Nederland, Vlaanderen. […] Alors qu’il y a peu d’années encore, notre population paraissait se désintéresser de tout ce qui pouvait étendre les horizons de l’esprit, ou voit maintenant de nombreux auditeurs, avides de goûter à ces saines joies que donne la science et la littérature, accourir aux conférences et aux Extensions Universitaires organisées à Ostende. » (1) Entre-temps, d’autres cercles artistiques étaient apparus dont De Dageraad qui organisa, avec De Leeskring, une tombola pour favoriser la diffusion d’œuvres littéraires. Début 1905, avant le tirage, les lots furent exposés dans la vitrine de la teinturerie Otto Koentges. Les passants purent ainsi s’arrêter devant des volumes des grands auteurs belges d’expression française de l’époque et ceux d’une palette de romanciers, dramaturges, essayistes et poètes de langue néerlandaise : Eline Vere, Majesteit, Wereldvrede (numéros 6, 7 et 8 de la tombola), Lenteleven, Rijmsnoer, De twistappel, Mea Culpa, Een Liefde, Koppen en busten, Geschiedenis der Antwerpse schilderschool, Het Land van Rembrandt, Op Hoop van Zegen… (2)
Un peu plus tôt, le samedi 29 août 1903, les lecteurs de La Saison d’Ostende avaient été encouragés à lire Couperus (lequel était passé à Ostende en 1891 au cours de son voyage de noces). « Un romancier international », texte reproduit ci-dessous, vient s’ajouter aux nombreux articles publiés en français à l’époque où l’écrivain haguenois jouissait d’une assez grande réputation en Europe occidentale. Victor Fris (1877-1925), à qui l’on doit ce papier, était un historien flamand réputé dont l’Histoire de Gand a fait date. Il a laissé une œuvre dans les deux langues (3). Il est dommage que cet érudit, dans son survol des quinze premières années de la vie littéraire du Haguenois « impeccablement mis et pommadé », passe sous silence De stille kracht (La Force des ténèbres), magnifique roman indo- nésien pourtant paru en 1900. La parenté que suggère V. Fris avec Paul Bourget est certes justifiée : « Le penchant de Couperus pour un roman plus psychologique que réellement déterministe a sans doute été favorisé par un auteur français très lu en ces années-là, mais quelque peu oublié aujourd’hui. Il s’agit de Paul Bourget. En 1890, Couperus lit dans Le Figaro son œuvre Un Cœur de femme. Il commence presque aussitôt à rédiger un roman qui s’en inspire fortement et qu’il intitulera Extaze. » (4) Mais il convient de préciser que le Hollandais s’affranchira bientôt de cette influence et que si l’on tient à rapprocher sa prose d’écrivains français de son temps, c’est plutôt du côté de la littérature fin-de-siècle qu’il convient de se tourner. À supposer que Louis Couperus ait écrit en français, il ne fait aucun doute que Hubert Juin lui aurait accordé une place de choix dans sa série « Fin-de-siècle » publiée aux Éditions 10/18.
Par la suite, la presse ostendaise (5) ne s’intéressa semble-t-ilplus guère à Couperus. Pas même à l’occasion de sa mort en 1923. Au cours des années 1905-1909, dans le cadre des activités de l’ « Ostende-Centre-d’Art », deux ou trois conférences portèrent sur les lettres néerlandaises, pourtant réduites à la portion congrue (6) : Pol de Mont prit la parole « en flamand » sur « Le poète flamand Guido Gezelle » (3 septembre 1906) et sur l’ « Évolution de la littérature belge d’expression néerlan- daise » (25 juin 1907) ; peut-être le couple de comédiens Mme Truus Post et M. Gérard Arbous ont-ils mentionné les recueils de jeunesse de Couperus lorsqu’ils ont fait leur exposé « en hollandais » sur les « Poésies flamandes et hollandaises » (27 août 1907).
Pol de Mont (Col. AMVC-Letterenhuis)
S’il est bien question de l’auteur de La Force des ténèbres dans un articulet de 1926 intitulé « Ah ! quel bonheur d’écrire le flamand » (7), c’est uniquement parce que le chroniqueur entend se livrer à un sport assez prisé dans certains milieux : dénigrer la langue et la littérature néerlandaises. Il cite journal anversois Le Matin qui reprend lui-même les conclusions d’un article du Haagsche Post sur la situation matérielle des écrivains hollandais : « ‘‘Couperus, le plus grand des romanciers néerlandais, a dû, en dépit de ses incontestables succès, peiner toute sa vie sans arriver à pouvoir réunir les moyens de s’assurer la subsistance pour ses vieux jours. Au surplus, la Hollande n’a jamais produit d’écrivains d’une réputation mondiale, rayonnant sur toute leur époque et au dehors de leur pays. La faute en est à la langue néerlandaise qui confine ses écrivains dans un cercle restreint’’. C’est sans doute la raison pour laquelle un mouvement dirigé par des crétins et qui s’appelle le flamingantisme chercha, en Belgique, à enfermer les malheureux qu’il réussit à hypnotiser, dans une existence médiocre et sans gloire. Si les Hollandais avaient le bonheur de posséder comme deuxième langue nationale un idiome aussi répandu que le français, il n’en est plus un seul qui s’échinerait à écrire pour être lu par deux mille personnes ! Cela est de toute évidence. » (8)
J. Ensor, Carnaval sur la plage (détail), 1887
(1) X, « Chronique locale. Une heure initiative », L’Écho d’Ostende, jeudi 26 novembre 1904.
(2) Le Carillon, samedi 21 janvier 1905. Notons qu’environ deux ans après la première édition de Het zwevende schaakbord, la bibliothèque communale de la cité côtière devait en acquérir un exemplaire (Le Carillon, lundi 2 mars 1925).
(3)
François-Louis Ganshof, « Nécrologie. Victor Fris », Revue belge de philologie et d’histoire, T. 4, fasc. 2-3, 1925, p. 578.
(4) Kim Andringa, « “Uitheemse meesters naar eigen, geheel oorspronkelijken trant”. Les lectures françaises de Louis Couperus », Deshima, 2010, n° 4, p. 46.
(6) Toujours à l’initiative de l’Ostende-Centre-d’Art, une exposition du « Livre Belge d’Art et de Littérature d’expressionflamande » s’est toutefois tenue au Kuursal en 1907 (1456 œuvres pour 568 auteurs !).
(7) S. P., « Ah ! quel bonheur d’écrire le flamand », L’Écho d’Ostende, samedi 21 août 1926. (Notons que la presse ostendaise, tant néerlandaise que française, attribuera en 1930 à Couperus la paternité de Gigue, l’œuvre pour carillon de Couperin, une confusion de patronymes faite en réalité par plus d’un typographe au début du XXesiècle.)
(8) La liste des ouvrages retenus pour la tombola publiée entre deux annonces publicitaires figure dans Le Carillon, jeudi 26 janvier 1905.
Un romancier international
J’appelle volontiers internationaux, ces romanciers, dont les écrits franchissant toutes les barrières naturelles ou politiques, s’élèvent par-dessus les traditions et les concerts des divers peuples, sont goûtés par les esprits les plus divers. Ils voient leurs œuvres traduites dans les différentes langues, discutées et analysées par le lecteur exotique, cependant que les compatriotes de l’auteur dévorent passionnément ces productions géniales que l’étranger leur envie.
Rares sont ces esprits internationaux, et par la profondeur de la pensée fondamentale comme par l’extrême extension de l’horizon intellectuel qui caractérise leurs livres. Ne dépouille pas l’esprit national qui veut ! Le génie seul peut se débarrasser des entraves ataviques qui nous imprègnent, des tendances et des mœurs du clocher, peut se soustraire aux mille étreintes matérielles et morales qui nous arrachent à notre entourage immédiat On n’acquiert pas cette perspective aérienne, qui permet de planer dans ces couches extrêmes de l’atmosphère, d’où l’œil ne distingue plus les immenses barrières que l’homme ou la nature ont établies pour séparer les peuples. C’est là un don que peu reçurent, mais c’est aussi le mérite immense des écrivains internationaux.
Echegaray, Zola, Tolstoï, d’Annunzio, Maeterlinck sont les plus brillantes de ces étoiles de la sphère intellectuelle. Il faut dire que la langue dans laquelle ils écrivent est parlée et comprise par de nombreux millions d’individus, ce qui facilite l’expansion exotique de leurs œuvres. Autrement difficile devient le rayonnement des productions littéraires conçues dans des langues qu’emploie un petit peuple seulement, le nombre des lecteurs de l’original étant très restreint et les traductions se laissant longuement désirer. Une fois ce dernier cap doublé, l’œuvre apparait européenne, occidentale, pour ne pas dire universelle, apte à être assimilée par tous ceux qui partagent notre culture.
La Hollande, ce petit pays qui a remporté déjà à lui seul trois grands prix Nobel, montre avec fierté, outre le dramaturge international Heyerman*, le fécond et génial romancier Louis Couperus, dont le nom ne tardera pas a équilibrer celui des plus grands écrivains de l’Europe.
Louis Couperus
L’art de Couperus est tout entier dans son milieu et dans son éducation. Né d’une des plus grandes familles de La Haye, menant une vie complètement indépendante, élevé sous la direction d’un maître tel que Jan Ten Brink, cet esprit raffiné, cet homme du monde impeccablement mis et pom- madé devait être le Paul Bourget néerlandais. Il débuta très jeune dans les lettres par un volume de vers qui attira immédiatement sur lui l’attention de la Hollande intellectuelle. Ce Printemps de Vers, paru en 1884, marque déjà la tendance transcendantale et quelque peu mystique qui caractérise l’auteur. Deux ans après, ce raffinement excessif de la forme comme de la pensée se montra en tout son développement dans ces plantes de serre chaude, dans cette poésie vraiment étrange qu’il intitula à juste titre : Orchidées. C’est plein d’afféterie, à la Watteau, de mignardise, à la Fragonard ; il déroute par une recherche vraiment poussée à l’excès des sentiments les plus délicats et les plus étranges, mais finit par capter et par émouvoir grâce à la forme et au vague des mots.
Car cette poésie comme sa prose, tient précisément son charme de l’indécis de la pensée et des mots, et c’est là ce qui même le pousse à l’emploi de tant de mots bâtards, particulièrement français.
Bientôt Couperus jugea que la phrase convenait mieux à l’expression de sa pensée. Du coup il se montra un maître du roman.
Eline Vere est une jeune fille du plus grand monde, le monde de Couperus, menant une vie oisive et raffinée et ne trouvant dans les gens qui l’entourent et qui l’ennuient, aucune distraction capable de lui remonter son moral névrosé. Cette petite fille devient vraiment hystérique d’ennui et finit nécessairement par devenir folle et se suicider. L’analyse psychologique de ce spleen, comme du monde de blasés qui entoure Eline, ce milieu de dégoûtés par excès d’être rassasiés, est admirablement décrit. L’observateur le dis- pute au synthétiseur qui fait mouvoir cet entourage si difficile à esquisser avec son manque d’idéaux, sa pose, son imbécillité masquée, son dégoût de lui-même et des autres.
Destinée, qui parut en 1891, exagère encore le procédé. Couperus y apparaît comme un médecin des âmes fouillant de son histoire le cerveau de déséquilibrés et de déliquescents. Tous ses types sont des névropathes, comme cette femme amoureusement hystérique du roman Extase qu’il publia l’année d’après.
Jusqu’ici Couperus n’était pas sorti de l’ornière une des romanciers. Mais voilà que dans l’empire des idées pacifiques qui auront bientôt leur temple dans cette même La Haye où vit le grand écrivain**, il empoigna avec une incontestable maîtrise une matière des plus élevées, mondiale dans son essence, sublime dans sa fin humanitaire.
Majesté, le premier volume de cette trilogie puissante, est l’analyse pénétrante d’un jeune prince, héritier présomptif d’une grande couronne; le pays est imaginaire, l’Autriche ou la Russie ; les personnages imaginaires, mais bien de notre époque. Le jeune prince, successeur d’un despote, est animé d’idées excessivement libérales. Aussi jouit-il à ses débuts d’un excès de popularité, admirablement typé par Couperus. Devenu empereur, il rêve le dévouement général, la suppression des guerres, réunit des congrès, où lui-même préconise l’arbitrage international. Cette psychologie du Pacifisme au milieu d’un mouvement immense de diplomates et de ministres, du monde de la cour, est certainement l’une des plus belles compositions de la littérature moderne.
Paix universelle qui suivit, comme les HautsAtouts qui finissent la série, ne le cèdent en rien au point de vue artistique à leur aîné. Mais le cadre a changé. Loin de la popularité, le prince dont tous les projets ont échoué, par une hésitation coupable et continuelle qui rappelle Philippe II, se voit peu à peu exécré par ses sujets. Des conjurations secrètes éclatent qu’on dompte d’abord par l’armée ; l’on rétablit l’ordre dans le sang, jusqu’à ce qu’enfin le prince périt dans l’inévitable catastrophe.
C’est par cette œuvre que Couperus a conquis le titre enviable de romancier international ; traduite sur-le-champ en plusieurs langues, la trilogie a fait l’admiration des lecteurs européens et a valu à son auteur un nom universel.
Son talent ne s’est point démenti dans les Lignes de Conductibilité*** que la grande revue LeGuide a récemment publié. Puisse le brillant romancier nous doter encore de beaucoup d’œuvres semblables, qui, délaissant l’ornière du roman banal à force d’adultère, élèvent l'âme par des pensers bienfaisants et idéalistes, et tendent à répandre les idées des Suttner et des Passy dans tous les esprits.
Victor Fris
La Saison d’Ostende, samedi 29 août 1903
Ostende vers 1900
* Il s’agit en réalité d’Herman Heijermans (1964-1924), l’auteur de la pièce Op hoop van zegen (1900), jouée il y a quelques années au Sénégal en wolof.
*** Titre original : Langs lijnen van geleidelijkheid (1900). Renée d’Ulmès a proposé comme traduction, sans doute sous la dictée de l’écrivain lui-même : Le Long des Lignes de la Vie. Le roman a été traduit en allemand sous le titre Die langen Linien der Allmählichkeit. Dans cette œuvre, Louis Couperus accorde d’ailleurs une place à Ostende tout comme dans une page des « Uitzichten » du recueil de nouvelles Eene illuzie (voir :Tom Sintobin & Koen Rymenants, Aan dezelfde zee. Oostende in de Nederlandse literatuur, Leuven, Davidsfonds, 2010.)