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Histoire littéraire - Page 9

  • Xavier Marmier, lettres et gens de lettres de Hollande (4)

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    Lettres sur la Hollande : XIXe siècle et bilan

    (suite et fin de « Lettres sur la Hollande »)

     

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    Avec Rhijnvis Feith (1753-1824), citoyen de Zwolle, nous avons déjà presqu’un pied dans le XIXe siècle. En plus d’une teneur patriotique de nombre de créations de ce poète et romancier, le jeune érudit français y voit une grande mélancolie. On compte en effet cet écrivain parmi les représentants majeurs de la sensibilité exacerbée du préromantisme [1]Vient le tour de Jan Frederik Helmers (1767-1813) dont le nom reste dans les mémoires grâce à son « panégyrique » en six chants, composé à l’époque de la domination française, De Hollandsche Natie (1812) [2]. L’allusion peu flatteuse à l’historien Jan Wagenaar (1709-1773) que fait Marmier est un emprunt à Sir John Bowring [3], « spirituel écrivain anglais ».

    Si Marmier relève dans l’époque contemporaine un nouveau souffle, sous l’impulsion de l’esprit universel de Willem Bilderdijk (1756-1831), « premier guide d’une foule de jeunes esprits studieux et entreprenants », « chef d’une nouvelle littérature », il se contredit en réalité à plusieurs reprises : « Marmier a émis un jugement bien prématuré en disant que c’est depuis 1820 environ qu’un grand mouvement littéraire, analogue à celui qui agite l’Europe entière, se manifeste en Hollande, y procédant toutefois avec la réserve et la lenteur propres à nos compatriotes. Nous savons au contraire que, pour la littérature, la Hollande persiste à être en retard sur les pays qui l’environnent, et nous prenons d’ailleurs Marmier en flagrant délit de contradiction en lisant plus bas dans ses Lettres que malgré les ‘‘qualités sérieuses’’ de style et de pensée, la littérature hollandaise du premier tiers du XIXe siècle est monotone, sans impétuosité aucune, mais intéressante et importante, ‘‘comme l’expression fidèle et constante de l’un des peuples les plus estimables qui existent’’. Cette opinion ne l’empêche pas de revenir à son premier point de vue, exposé dans la préface, et de nous dépeindre la Hollande sous l’influence du Romantisme, tout en reconnaissant que les œuvres soi-disant romantiques hollandaises se réduisent à néant, comparées aux merveilleuses productions dont s’enorgueillissent la France, l’Angleterre, l’Allemagne. [4] » Le Franc-Comtois salue les travaux de quelques érudits, historiens, archivistes et philologues qui s’inscrivent dans un « véritable sentiment de nationalité », loin des « œuvres élégantes » du XVIIIe siècle, avant de souligner les mérites de quelques-uns de ses contemporains.

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    Willem Bilderdijk, par Charles Howard Hodges (détail)

     

    Il s’intéresse en premier lieu à deux écrivains qu’il a rencontré à plusieurs reprises. Adrianus Bogaers, juriste et poète haguenois, est le seul écrivain néerlandais que Marmier mentionne dans son livre au titre de ses amis. Au cours de l’été 1841, le Néerlandais se rend en France, en particulier pour suivre une cure dans les Pyrénées. En octobre, sur le chemin du retour, il passe de nouveau à Paris où il rend visite à Marmier dont il avait fait la connaissance l’année précédente et chez lequel il ne manqua pas de revenir à chaque fois que l’occasion se présenta. Ainsi peut-on penser que le Hollandais est retourné voir son ami après le 8 mai 1843, date du mariage de Marmier avec Françoise Eugénie Pourchet. En effet, au printemps 1844, Marmier lui avoue sa détresse en ces termes : « Je vous écris dans le deuil le plus désolant. Mon pauvre enfant mort – la pauvre femme que vous avez vue si douce, si riante, morte aussi. [5] » Dans ses Lettres sur la Hollande, le Franc-Comtois consacre quelques lignes à cet ami [6] en se trompant d’ailleurs sur sa ville de naissance (La Haye et non pas Rotterdam) : « M. Bogaers […] n’a écrit que quelques poèmes et un ouvrage en prose ; mais ses ouvrages sont travaillés avec un soin extrême, et cités déjà comme des productions classiques. » La renommée de Bogaers, réelle de son vivant, ne devait toutefois pas lui survivre.

    xavier marmier,revue des deux mondes,hollandeDe Johannes Kneppelhout, ce jeune admirateur qui avait lui aussi rendu visite à Marmier à Paris, ce dernier ne mentionne pas même le nom dans son volume [7]. Les deux hommes se seraient-ils brouillés ? Ou cette absence tient-elle au fait que Kneppelhout n’avait pas encore produit ses principaux livres en néerlandais ? Jacob van Lennep, qui considérait le Français comme son ami, a droit à un meilleur traitement [8] : « M. J. Van Lennep [9] est un des écrivains actuels les plus féconds et les plus goûtés de la Hollande. Il n’a que quarante ans, et il a déjà publié quatre romans et neuf volumes de poésies », nous dit-il avant de lui consacrer une page d’une admiration toutefois teintée de certaines réserves : « il a essayé de faire pour la Hollande ce que Walter Scott a fait avec tant d’éclat pour l’Écosse, et s’il est resté au-dessous de son modèle, il n’en a pas moins le mérite d’avoir frayé, dans la littérature de son pays, une nouvelle route ». Sans doute Xavier Marmier a-t-il tissé à l’époque quelques liens avec d’autres écrivains, mais étant donné que son intérêt pour les plats pays s’est rapidement estompé, il ne semble pas avoir entretenu de relations privilégiées avec des Hollandais [10]. Les rares lettres de sa main (toutes rédigées en français) que nous avons pu trouver aux Pays-Bas [11] sont adressées à des correspondants ayant une autre nationalité. Sans doute des archives privées en Hollande ou des archives en France recèlent-elles des traces du passage de Marmier dans les contrées bataves.

    Le futur académicien a-t-il rencontré Hendrik Tollens (1780-1856), « poète le plus populaire de la Hollande [12] », « épicier à Rotterdam », ville où le Franc-Comtois n’a pas manqué de faire halte ? On peut le penser. De lui, il donne en français 5 strophes sur les 8 de 8 vers de Wien Neêrlandsch bloed in de aders vloeit [13], « le chant national hollandais qui est pour son pays ce qu’est le Gode (sic) save the king pour l’Angleterre, et que j’ai souvent entendu entonner en chœur dans les rues par les ouvriers, dans les écoles par des centaines d’enfants [14] » :

     

    Wien Neerlandsch bloed in de aders vloeit,

    Van vreemde smetten vrij,

    Wiens hart voor land en koning gloeit,

    Verheff' den zang als wij:

    Hij stell' met ons, vereend van zin,

    Met onbeklemde borst,

    Het godgevallig feestlied in

    Voor vaderland en vorst.

     

    Stort uit dan, broeders, eens van zin,

    Dien hoogverhoorden kreet;

    Hij telt bij God een deugd te min,

    Die land en vorst vergeet;

    Hij gloeit voor mensch en broeder niet

    In de onbewogen borst,

    Die koel blijft bij gebed en lied

    Voor vaderland en vorst.

     

    Bescherm, o God! bewaak den grond,

    Waarop onze adem gaat;

    De plek, waar onze wieg op stond,

    Waar eens ons graf op staat.

    Wij smeeken van uw vaderhand,

    Met diep geroerde borst,

    Behoud voor 't lieve vaderland,

    Voor vaderland en vorst.

     

    Bescherm hem, God! bewaak zijn troon,

    Op duurzaam regt gebouwd;

    Blink' altoos in ons oog zijn kroon

    Nog meer door deugd dan goud!

    Steun Gij den scepter, dien hij torscht,

    Bestier hem in zijn hand;

    Beziel, o God! bewaar den vorst,

    Den vorst en 't vaderland.

     

    Van hier, van hier wat wenschen smeedt

    Voor een van beide alleen:

    Voor ons gevoel, in lief en leed,

    Zijn land en koning één.

    Verhoor, o God! zijn aanroep niet,

    Wie ooit hen scheiden dorst,

    Maar hoor het één, het eigen lied

    Voor vaderland en vorst.

     

    xavier marmier,revue des deux mondes,hollande

     

    Que celui dont les veines renferment un vrai sang hollandais pur de toute contagion étrangère, que celui dont le cœur palpite pour la patrie et pour le roi, unisse sa voix à la nôtre. Qu’il vienne à nous avec une âme libre, et chante le chant de fête qui plaît au ciel, le chant du prince et de la patrie !

    Frères, entonnez tous avec la même pensée ces accords entendus du Maître suprême. Il a aux yeux de Dieu une vertu de moins, celui qui oublie le prince et la patrie. Il n’a dans sa froide poitrine nul amour pour ses frères, celui qui ne s’émeut pas à notre chant, à notre prière pour le prince et pour la patrie.

    Dieu, protège, garde le sol où nous vivons, le coin de terre où s’éleva notre berceau, où l’on creusera notre tombe. Nous t’adressons notre prière avec une âme émue, ô Dieu, conserve notre prince et notre patrie !

    Protège le roi sur son trône. Que sa puissance ait constamment pour base la justice. Qu’il se montre toujours à nos yeux moins brillant par l’or de sa couronne que par ses vertus ! Soutiens et dirige le sceptre entre ses mains. Anime et défends le prince et la patrie.

    Dans un même vœu nos cœurs se confondent. Dans la joie et dans la douleur, nous n’avons qu’une même pensée : le prince et la patrie. Écoute, ce n’est pas un cri qui souffre un désaccord, c’est une parole d’amour, c’est un même chant pour le prince et pour la patrie.

     

    xavier marmier,revue des deux mondes,hollande

    Alphonse Esquiros (1812-1876) 

     

    Égrenant encore quelques noms de poètes vivants, Xavier Marmier replonge dans des considérations peu nuancées et peu flatteuses sur ses hôtes. En une page, il résume en quelque sorte sa pensée : « cette poésie dont je tâche d’énumérer avec la plus rigoureuse impartialité les titres, dont j’essaye d’établir, comme un généalogiste, les preuves de noblesse, cette poésie n’entrera qu’une des dernières dans le grand chapitre des muses. Les critiques de Hollande ont beau lui mettre la couronne sur la tête, et lui élever avec une naïve piété des arcs de triomphe dans leurs journaux, l’honnête fille ne croit pas elle-même à sa souveraineté, et n’ose passer la frontière de peur de se voir contester son sceptre, son manteau, et traitée comme une vassale présomptueuse de la France et de l’Allemagne. Mais de même que le voyageur, après avoir traversé de larges et riches contrées, se réjouit, lorsqu’il arrive sur une terre moins féconde, de trouver encore une gerbe d’épis, un bouquet de fleurs ; de même, quand des hautes régions où nous emporte le génie des grands poètes anciens et modernes, nous redescendons dans les cités de Hollande, nous nous plaisons à découvrir çà et là, au milieu des entrepôts du commerce et des machines de l’industrie, une fleur de poésie, dût cette fleur ne pas avoir le même parfum ni le même éclat que celles de France ou d’Angleterre [15] ». Aucun écrivain hollandais ne vouant pour ainsi dire sa vie à la littérature, celle-ci « ne peut pas avoir les capricieux élans, la fougue ardente et désordonnée qu’elle a souvent » dans les grandes nations voisines. Aucun ne se risque à écrire « un livre dont la mère puisse défendre la lecture à sa fille ». Tout bien considéré, une littérature à l’« austère physionomie » qui finit « par devenir passablement monotone » [16], mais qui ne demeure pas moins « comme l’expression fidèle et constante de l’un des peuples les plus estimables qui existent [17] ».

    Il n’est pas dans notre intention de développer un réquisitoire contre Marmier, précurseur à sa façon. Qu’il nous soit tout de même permis de dresser un petit bilan qui ne relèvera pas de l’hagiographie. Cela nous paraît d’autant plus utile que le but annoncé du futur académicien était, si l’on en croit Sainte-Beuve, de ramener des Pays-Bas un livre sur la littérature [18]. Certes, il a offert à la Revue des Deux Mondes un travail que personne, à vrai dire, n’avait fait avant lui. Ses Lettres constituent, sans doute avec La Néerlande et la vie hollandaise de son contemporain Alphonse Esquiros (édition en 2 volumes en 1859), le livre le mieux documenté de l’époque sur les milieux intellectuels du royaume batave. L’écrivain suisse, originaire de Nyon, Édouard Rod, ne fera pas mieux avec ses Morceaux choisis des Littératures étrangères (1899). Le sous-titre de l’édition revue (1901) : Angleterre et Amérique, Allemagne, Italie, Espagne et Portugal, Russie, Scandinavie. Publiés avec un essai sur le développement des littératures modernes, des notices et des notes, laisse d’ailleurs présager le pire : la littérature néerlandaise ne semble guère avoir retenu l’attention du critique. Seules sept pages sont consacrées à la « Hollande » (dans la troisième partie qui porte sur la Période classique). Aucune à la Flandre. Il y a pire : l’Histoire des littératures étrangères, ouvrage du même genre publié à Paris par Louis-Eugène Hallberg (1839-1921) en 1879, portant sur les « littératures scandinave, allemande, hollandaise depuis leurs origine jusqu’en 1850 » accorde une place à la littérature hollandaise en tant qu’« appendice » à la littérature allemande (soyons rassurés, l’édition présente un appendice à l’appendice).

    xavier marmier,revue des deux mondes,hollandeSi Marmier possédait une réelle connaissance du néerlandais – pas forcément parfaite (on relève quelques erreurs et approximations dans ses traductions) –, il s’est à trop de reprises laissé guider par ses a priori moraux ; sa fibre chrétienne l’a plutôt dirigé vers des œuvres mièvres alors qu’avec plus de clairvoyance, et malgré l’état du savoir bien plus limité à l’époque que de nos jours, il eût pu mettre en valeur de grands textes catholiques comme protestants. Ainsi de l’Altaergeheimenissen (1645) de Vondel dont le Franc-Comtois nous dit simplement qu’il s’agit d’« un poème que l’on regarde comme une de ses meilleures productions, et qui a pour titre Mystères de l’autel [19] » ; ainsi des plus beaux vers mystiques de Jan Luyken… Sans doute aurait-il été bien avisé de méditer et dépasser la phrase finale de l’introduction de la Batavian Anthology : « It would be easy to judge harshly, but we deem it better to represent silently. »

    Pour ce qui est de son travail de documentation, on ne peut pas lui reprocher grand-chose, si ce n’est peut-être de s’être adressé ou d’avoir plus prêté l’oreille aux plus jeunes de ses confrères bataves. Il a consulté nombre d’ouvrages disponibles tant en français – par exemple, de Jan van ’s Gravenweert : l’Essai sur l’Histoire de la littérature néerlandaise (1830) – qu’en latin, en allemand et en anglais – les travaux du polyglotte John Bowring, beaucoup moins nuancé que lui d’ailleurs – ; il n’a pas manqué de s’adresser à quelques-uns des meilleurs savants et lettrés du pays même, en premier lieu le poète Adrianus Bogaers et l’un des romanciers les plus en vue à l’époque, Jacob van Lennep.

    Même si on peut lui reprocher d’avoir passé trop peu de temps dans ces terres septentrionales pour être à même d’émettre des avis vraiment pertinents, plusieurs lettrés hollandais n’ont pas manqué de saluer la prouesse du Franc-Comtois. « Esquiros et Marmier nous ont donné des impressions sérieuses sur notre art littéraire ; ce que nous avons rencontré chez les autres voyageurs ne sont que des témoignages un peu vagues, sans beaucoup de suite », juge ainsi, avec le recul des années, Madeline Marie Caroline Koumans (1901-1944) [20], qui par ailleurs ne craint pas d’émettre des réserves. Quinze ans plus tôt, l’érudit francophile Pieter Valkhoff (1875-1942) regrettait pour sa part que Marmier ne soit plus là pour écrire en français sur les plus récentes évolutions de la littérature néerlandaise [21]. Quant à Josephus Albertus Alberdingk Thijm (1820-1899), grande figure du XIXe siècle littéraire et culturel des Pays-Bas, lui-même auteur, en langue française, d’une Histoire de la littérature néerlandaise [22], il rend en quelque sorte hommage, certes non sans humour, au Français en jouant avec son patronyme dans une élégie intitulée « Het kunstweekend Nederland » [23]Dans le même esprit que ces éloges, son premier biographe a avancé : « il étudie et commente, avec un bon goût éclairé et les lumières d’une critique intelligente, la littérature ancienne et moderne de ce curieux et honnête pays [24] ».

    xavier marmier,revue des deux mondes,hollandeCependant, d’autres ont relevé quelques lacunes, erreurs et contradictions dans les Lettres sur la Hollande : un chroniqueur du De Gids nie même, en 1842, toute qualité à ce travail si ce n’est une belle fluidité stylistique ; un autre, dans l’Arnhemsche Courant du 11 avril 1841, s’amuse à épingler avec sarcasme les invraisemblances et coquilles que contiennent certaines pages [25]. L’ouvrage est en effet truffé de coquilles, en particulier sur les mots et noms néerlandais. Le célèbre critique Conrad Busken Huet (1826-1886), qui passa les dernières années de sa vie à Paris où il est enterré, se montrera lui aussi réservé [26], moins cependant que l’une des plumes du bimensuel culturel gantois De Eendracht qui ne voit dans le Franc-Comtois qu’un touriste qui a juste pris la peine de séjourner en Hollande un peu plus longtemps que les autres voyageurs français [27].

    Pourquoi Marmier s’est-il contenté de transposer en français ce qu’on appelle des « berquinades » ? Lui-même ne considérait pas les poésies de Van Alphen comme des œuvres d’art ! Pourquoi ne pas avoir transposé en français des pièces du plus grand poète du tournant des XVIIIe et XIXe siècles, à savoir Willem Bilderdijk (1756-1831) [28], juriste, poète, linguiste, historien, traducteur, principale figure de transition entre le classicisme et le romantisme en même temps que du Réveil, cette reviviscence d’un protestantisme marqué par la pensée antirévolutionnaire ? Pourquoi ne pas avoir traduit un essai très remarqué à l’époque, les Bezwaren tegen den geest der eeuw ou Griefs contre l’esprit du siècle [29] (1823) du disciple de ce même Bilderdijk, le juif converti Isaäc da Costa [30] (1798-1860), ou celui de Jacob Geel (1789-1862), talentueux érudit non dénué d’humour : Gesprek op de Drachenfels (Entretien sur le Drachenfels, 1835) qui offre une belle opposition entre classicisme et romantisme [31] ? Pourquoi le Français n’a-t-il pas restitué des proses de l’une des grandes plumes du Siècle d’or, P.C. Hooft ? Ou des pages d’auteurs de sa propre génération qui tentaient de rompre avec la tradition poétique dominante : par exemple E.J. Potgieter (1808-1875), cofondateur en 1837 de la revue De Gids, passionné de littérature suédoise ; et les deux amis de ce dernier, le poète Aarnout Drost (1810-1834) et l’essayiste R.C. Bakhuizen van den Brink (1810-1865), lequel avait déjà à l’époque publié de belles pages sur la poésie et la mentalité du Siècle d’or ? [32] Pourquoi ne pas avoir transposé quelques passages de l’un des romans phares du XIXe siècle, Camera Obscura de Nicolaas Beets, qui venait de paraître [33] ? Ou encore, si l’on remonte dans le temps, une ou deux pièces de la mystique emmurée vivante Suster Bertken (vers 1426 – 1514) dont il ne cite que quelques vers [34] ? Il est dommage que le Franc-Comtois ne se soit pas en l’occurrence écarté de la mode des vers fades qu’il ne manque pas par ailleurs de critiquer. Sans doute son attirance pour la poésie populaire, partagée alors par beaucoup, à laquelle venait s’ajouter une inclination à l’édification des âmes, lui a-t-elle en partie dicté ses choix ; dans ces chansons et légendes populaires, il estimait pouvoir approcher l’âme d’un peuple. Ainsi que l’écrivait récemment encore un universitaire de Nimègue au sujet des Français séjournant à l’époque en Hollande, « le voyage tend à l’instruction et au perfectionnement moral [35] ».

    xavier marmier,revue des deux mondes,hollandeIl convient de s’arrêter sur un autre grand oubli. Marmier, si critique à l’égard du XVIIIe siècle hollandais, n’évoque nulle part De historie van mejuffrouw Sara Burgerhart (1782) [36], roman épistolaire qui correspondait semble-t-il à ses goûts : didactique, moralisateur et même « national » selon ses auteures, deux femmes, Betje Wolff (1738-1804) et Aagje Deken (1741-1804), qui ont vécu une dizaine d’années à Trévoux [37]. Il en existait une traduction française [38], longtemps attribuée à Isabelle de Charrière, parue en quatre volumes dans la ville qui nous accueille aujourd’hui [Lausanne].

    Un dernier mot. Si l’intérêt du Franc-Comtois pour la Hollande s’est vite affaibli, la Hollande ne s’est pas totalement désintéressée de lui. Plusieurs de ses ouvrages ont été traduits en néerlandais, y compris l’un de ses romans, des contes aussi (par exemple dans le périodique catholique De Maasbode), certaines de ses pages encore au début du XXe siècle ! Dès le 9 avril 1835, le Journal de La Haye en reproduisait une sur l’Allemagne, parue dans la Revue germanique ; la livraison du 29 décembre 1847 de ce même organe de presse donnait sa recension de l’ouvrage Une heure de solitude de Alph. Grün ; celle du 19 juin 1841 l’un de ses passages sur les belles-lettres hollandaises (Van Lennep, Bogaers…) paru peu avant dans la Revue des Deux Mondes… Au fil des années, plus d’un journaliste a mentionné son nom dans les fonctions qu’il occupait à l’Académie française ; dans « Het leven te Parijs (slot) » du quotidien Het Algemeen Handelsblad (4 juillet 1882), l’historien de l’art Henry Havard (1838-1921), auteur de nombre de contributions sur les Pays-Bas, a pu évoquer un déjeuner qu’il a partagé avec lui. Après s’être inquiétée de la santé de Marmier (ainsi du Maasbode, le 24 mai 1885), la presse batave a salué sa mémoire dans les jours qui ont suivi son décès (11 octobre 1892) – une bonne semaine après celui d’un autre Immortel, Ernest Renan –, en évoquant bien plus son attachement aux bouquinistes de la Seine, sa piété et sa « nostalgie » des grands espaces que son livre sur la Hollande. Le correspondant parisien du Soerabaijasch handelsblad, journal publié dans les Indes néerlandaises, évoque l’homme qu’il a eu l’occasion de croiser de temps en temps au cours des dernières années, sur son fauteuil roulant, au bord de la Seine [39].

     

    xavier marmier,revue des deux mondes,hollande

     

     

    Œuvres de X. Marmier sur la Hollande

     

    « Poésie populaire de la Hollande », Revue des Deux Mondes, mai 1836 (deuxième quinzaine), p. 488-503.

    La série d’articles publiés dans la Revue des Deux Mondes en 1840-1841 qui seront réunis dans les Lettres sur la Hollande :

    « Une visite au roi Guillaume », décembre 1840 (première quinzaine), p. 685-703.

    « La Hollande I. Mœurs et caractères du pays », janvier 1841 (première quinzaine), p. 53-80 (texte repris sous forme de brochure : La Hollande. Mœurs et caractère du pays, de X. Marmier, Paris, H. Fournier, 1841, 36 pages).

    « La Hollande II. Ancienne littérature », février 1841 (première quinzaine), p. 422-444.

    « La Hollande III. Le Helder », avril 1841 (première quinzaine), p. 127-153.

    « La Hollande IV. Littérature moderne », juin 1841 (deuxième quinzaine), p. 854-885.

    « La Hollande V. Expéditions des Hollandais dans le Nord », août 1841 (première quinzaine), p. 480-500.

    « La Hollande VI. Établissement des Hollandais dans l’Inde », novembre 1841 (première quinzaine), p. 427-452.

    Lettres sur la Hollande, Paris, H.-L. Deloye, 1841 (repris dans le volume En Amérique et en Europe, 1860).

    « Un drame sur mer » et « L’illusion d’un cœur », extraits des Contes d’un voyageur (1851).

    « En Hollande », poème écrit à Arnhem en 1840 et dédié à Charles Weiss (1779-1867) ; « À Mme la Baronne E. Pechl… » (poème).

    Le volume de traductions intitulé À travers les tropiques (1889) comporte quelques pages sur les anciennes colonies néerlandaises.

    Hiëronymus van Alphen & autres, L’Ami des petits enfants, traduit du hollandais, par X. Mamier, Paris/Strasbourg, F.-G. Levrault, 1836 (pour la première édition).

     

    La Bibliothèque royale de La Haye abrite un manuscrit autographe du poème « Paysage de Laponie » (1838), dédié à Antoine de Latour (1808-1881).

     

    Rhijnvis Feith, par Willem Bartel van der Kooi, 1820

    xavier marmier,revue des deux mondes,hollande[1] Marmier cite un poème en traduction ; s’il mentionne le roman épistolaire Ferdinand en Constantia (1785), il ne fait pas état du plus connu : Julia (1783). En note, il renvoie à la traduction du poème Le Tombeau par A. Clavareau, mais pas aux autres que ce dernier a publiées du même auteur : par exemple « La Conscience », paru dans L’Écho du Vaucluse du jeudi 19 septembre 1833 et celles figurant dans les Petits poèmes à l’usage de la jeunesse hollandaise, poèmes de Feith, Immerzeel, Lulofs, P. Moens, Nierstrasz, de Visser, Warnsinck et Wiselius, 1836. Voir p. 222-223.

    [2] Voir plus haut.

    [3] John Bowring (1792-1872), l’auteur d’une Batavian Anthology or, Specimens of the Dutch poets ; with remarks on the poetical literature and language of the Netherlands, to the end of the seventeenth century (en collaboration avec Harry S. van Dijk, 1824), de Sketch of the language and literature of Holland (Amsterdam, Diederichs Brothers, 1829) et de lettres écrites au cours de ses voyages en Hollande en 1827 et 1828 : Brieven van John Bowring, geschreven op eene reize door Holland, Friesland en Groningen, traduites de l’anglais par A. Telting, Leeuwarden, G.T.N. Suringar, 1829, édition augmentée en 1830. L’allusion à Wagenaar figure dans le volume de 1829, p. 70. Quand Marmier nous dit que la rime est présente partout en Hollande, qu’elle « flotte avec le trekschuit », il reprend idées et formules du polyglotte britannique dont il ne mentionne pourtant pas le nom : « The language of Holland is sadly wanting in good prosaists. Whether the versifying spirit has crushed the competition of prose, we know not, but such a nation of rhymesters as the Dutch never before were allowed to twist and torment an idiom into sing-song. Rhymes are everlasting recreation for the poor and the rich - they are hung upon every cradle, and flung upon every grave - they are painted upon the houses, and carwed upon the trees - they go with the treckschuits by water, and they ‘‘cover the land’’ », écrit-il à la page 125 de son Sketch of the language and literature of Holland. Les féroces reproches de Bowring, lequel épargne tout de même certains poètes dont il a fait la connaissance, conduiront la critique batave à se réformer. Marmier n’aura pour sa part pas le même écho, arrivant en quelque sorte après que la messe a été dite. Relevons que John Bowring, homme au destin plutôt extraordinaire, a également publié un article sur la littérature frisonne qui ouvre le volume des Brieven. C’est lui qui a mis Marmier sur la piste du grand écrivain frison Gysbert Japiks (1603-1666) (Lettres sur la Hollande, p. 81-83). De ce dernier auteur, il existe un ouvrage disponible en français : Tjerne le Frison et autres vers, trad. du moyen frison et préfacé par Henk Zwiers, « Collection L’aube des peuples », Paris, Gallimard, 1994.

    Sir John Bowring

    xavier marmier,revue des deux mondes,hollande[4] Madeline Marie Caroline Koumans, La Hollande et les Hollandais au XIXe siècle vus par les Français, Maastricht, E. & Ch. Van Aelst, 1930 [thèse soutenue à Leyde], p. 121.

    [5] J.G. Gleichman, Het leven van Mr. A. Bogaers (1795-1870), s.l., s.é., 1875, p. 127.

    [6] Lettres sur la Hollande, p. 229-230 (citation p. 229).

    [7] Esquiros ne l’oubliera pas.

    [8] Ibid., p. 228-229.

    [9] Jacob van Lennep a vu X. Marmier à Paris, ce dernier l’ayant par exemple amené à une soirée chez l’actrice Madeleine Brohan. Quelques œuvres de cet auteur ont été traduites en français : La Rose de Dekama. Roman historique du quatorzième siècle (De roos van Dekamaeen verhaal, 1836), traduit du néerlandais par A.J.B. Defauconpret et André Dubourcq, Paris, H. Cousin, Veuve Legras, 1840, 2 vol. Nouvelle édition : La Rose de Dekama. Roman historique du quatorzième siècle, traduit du néerlandais par Léon Wocquier et David Jacob Van Lennep, Paris, Éditions Hachette, « Bibliothèque des meilleurs romans étrangers », 1860, 2 vol. Aventures de Ferdinand Huyck (De lotgevallen van Ferdinand Huyck, 1840), roman traduit du néerlandais par Léon Wocquier et David Jacob Van Lennep, Paris, Éditions Hachette, « Bibliothèque des meilleurs romans étrangers », 1858. Nombreuses réimpressions jusqu’en 1871. La Dame de Wardenburg. Épisodes de la révolution des Pays-Bas au XVIe siècle (De vrouwe van Waardenburg, 1859), théâtre, traduit du néerlandais par l’auteur, Paris, Éditions Hachette, « Bibliothèque des chemins de fer », 1861. Le Réveil, traduit de Van Lennep par Auguste Clavareau, musique de Van Bree, s.d. Sur cette figure historique d’importance pour les Pays-Bas du XIXe siècle vient de paraître une imposante biographie : Marita Mathijsen, Jacob van Lennep. Een bezielde schavuit, Amsterdam, Balans, 2018.

    A. Boagers et son épouse

    xavier marmier,revue des deux mondes,hollande[10] Le fait que Boagers et Van Lennep soient les deux dont il a été le plus proche semble confirmé par un passage qui figure dès la page 56 des Lettres sur la Hollande: « Il y a là de vieilles coutumes protégées par un respect héréditaire, des traditions que l’on recueille, et que Van Lennep nous racontera un jour dans ses romans, Bogaers dans ses poèmes. » Une note en bas de la page 249, relative à un célèbre récit de voyage pour gagner la Chine en bateau par le Grand Nord, vient confirmer l’affection que le Français éprouvait pour le poète de Rotterdam : « Je compte au nombre des heureux moments de ma vie celui où un de mes amis de Hollande, M. Bogaers, voulut bien me procurer cet ouvrage curieux [Vertellinghe vande derde Seylagie by noorden om, nae de Coninckrijcken van Catthay ende China, inden jare duysent vijfhondert ses ende tneghentich, soit la troisième partie du journal de Gerrit de Veer qui a pour titre : Waerachtighe beschryvinghe van drie seylagien, ter werelt noyt soo vreemt ghehoort (1598), imprimé à Amsterdam en 1605] et aujourd’hui très rare. »

    [11] Aux Bijzondere Collecties de l’Université d’Amsterdam (UvA) : une lettre adressée à Oskar Ludwig Bernhard Wolff (1799-1851), professeur à Iéna, une autre, accompagnée d’un poème à une demoiselle de Witzelben (Weimar), une autre au juriste danois Rosenvinge, une quatrième à un certain N.C. Abrahams, et une dernière à un destinataire inconnu.

    H. Tollens

    xavier marmier,revue des deux mondes,hollande[12] Enthousiaste – peut-être du fait que le catholique Tollens vient de passer à la religion réformée –, John Bowring écrit à son sujet : « The most agreeable, the most popular living poet of Holland, is Tollens. That among three millions of people an edition of ten thousand copies of three volumes of poetry, should have been promptly sold, is a very remarkable fact. This itself is no small merit, and implies no small sagacity to have so happily touched the feelings of an entire nation. His power is descriptive, his characteristic is originality, at least in Holland. It would not be difficult to trace in his writtings the influence of Engcland and Germany ; but it is veiled from the common eye, and the thoughts and the expression he has found elsewhere are so chastened, so delicately whrougt, that plagiarism cannot put her stigma upon him. » (op. cit., 1829, p. 98-99).

    [13] Voir, sur le sort réservé à ce poème de 1815, devenu hymne national en 1817, avant d’être remplacé en 1932 par le Wilhelmus, un article récent : Lotte Jensen, « Wien Neêlandsch bloed (1817) : het volkslied van Tollens als culturel erfgoed », Nieuw Letterkundig Magazijn, 2016 (jubileumnummer), p. 26-29. La revue De Negentiende Eeuw a consacré à ce poète un numéro à l’occasion du cent cinquantième anniversaire de sa disparition (2016, n° 3). Une thèse récente propose une étude sur sa poésie et l’écho qu’elle a suscité et continue de susciter dans la culture néerlandaise : Ruud Poortier, Tollens’ nagalm. Het dichterschap van Hendrik Tollens (1780-1856) in de Nederlandse herinneringscultuur, Université d’Amsterdam, 2014. Il convient de noter qu’une traduction officielle de l’hymne existait déjà : elle était destinée, avant l’indépendance de la Belgique, aux sujets de Guillaume Ier, dont la langue était le français.

    [14] Lettres sur la Hollande, p. 230-231.

    [15] Ibid., p. 232.

    [16] Ibid., p. 234.

    [17] Ibid., p. 235.

    [18] Wendy S. Mercer, op. cit., p. 161.

    [19] Lettres sur la Hollande, p. 212.

    [20] La Hollande et les Hollandais au XIXe siècle vus par les Français, op. cit., p. 122.

    [21] « Vreemdelingen over onze letterkunde », De Nieuwe Taalgids, 1916, p. 20-23.

    [22] De la littérature néerlandaise à ses différentes époques, Amsterdam, C.L. Van Langenhuysen, 1854.

    [23] J.A. Alberdingk Thijm, Het voorgeborchte en andere gedichten, Amsterdam, C.L. van Langenhuysen, 1853, p. 56. 

    [24] Alexandre Estignard, Xavier Marmier, sa vie & ses œuvres, Paris, Champion, 1893, p. 116.

    [25] X, « Mengelwerk. De heer Marmier over Holland », De Arnhemsche Courant, 11 avril 1841. En guise de réponse, l’Utrechtsche provinciale en stads-courant du 10 mai 1841 prend sa défense : L.N. « Mengelwerk. De Arnhemsche Courantover Marmier ».

    [26] Dans certaines conversations, selon ce que rapporte Jan ten Brink dans son Histoire de la littérature néerlandaise (Geschiedenis der Noord-Nederlandsche letteren in de XIXe eeuw, t. 2, chap. sur Huet, 1888), C. Busken Huet s’est montré bien peu enthousiaste au sujet des pages de Marmier, d’Esquiros et de Victor Cousin sur la Hollande, trop insipides à ses yeux.

    [27] A. W., « « Wat men in Frankrijk zoo al over onze letterkunde denkt », De Eendracht, 31 janvier 1858, p. 70.

    xavier marmier,revue des deux mondes,hollande[28] À ce sujet, Marmier se dédouane : « Pour oser apprécier dans leur ensemble tant de travaux si disparates, il faudrait des années d’étude, et les fragments que nous pourrions en extraire n’en donneraient qu’une idée faible. Force nous est donc de passer à côté de ce singulier écrivain comme on passe à côté d’un chêne séculaire, sans en compter les rameaux et sans en mesurer la hauteur. » (p. 226) Bilderdijk a finalement été très peu traduit en français. A. Clavareau a transposé quelques-uns de ses poèmes dans : H. Tollens, Les Bataves à la Nouvelle-Zemble, poëme en deux chants, traduit de Tollens, suivi de poésies diverses de Tollens, de Bilderdijk et du Traducteur, 1828, réédition en 1838 (avant d’autres) sous le titre : L’Hivernage des Hollandais à la Nouvelle-Zemble, 1596-1597. Une édition scolaire (1851) comprendra une introduction historique. Une édition de luxe a paru en 1839 avec un portrait du traducteur. Relevons, pour ce qui est de Willem Bilderdijk, l’existence d'une traduction française d'un long passage de son Histoire de la Patrie dans : Nicolas Châtelain, Histoire du synode de Dordrecht, 1841 (sans nom de traducteur). De rares poèmes de ce même Bilderdijk en traduction française figurent par ailleurs dans : Poèmes néerlandais, sans nom de traducteur, Paris, H. Gautier, « Nouvelle bibliothèque populaire » n° 205, s. d. [1890], 32 p. Quant aux deux autres grands poètes de l’époque – Hendrik Tollens (1780-1856) et Rhijnvis Feith (1753-1824) –, le même Auguste Clavareau s’était déjà chargé de restituer dans notre langue leurs œuvres majeures, en particulier : H. Tollens, Le Jour de prière générale dans la Néérlande (2 décembre 1832), 1832 ; H. Tollens, L’Anniversaire du prince d’Orange (déc. 1833), chant populaire, s.d (1833) ; R. Feith, Le Tombeau, poëme en quatre chants, traduit d’après la quatrième édition, et suivi de quelques poésies diverses, 1827 ; R. Feith, Thirsa, ou le triomphe de la Religion, tragédie en cinq actes et en vers, traduite d’après la cinquième édition, 1830 ; Petits poèmes à l’usage de la jeunesse hollandaise, poèmes de Feith, Immerzeel, Lulofs, P. Moens, Nierstrasz, de Visser, Warnsinck et Wiselius, 1836.

    [29] On peut se reporter à la traduction de Pierre Brachin, dans Anthologie de la prose néerlandaise. Pays-Bas I, Aubier, 1970.

    [30] Marmier se contente de nous dire au sujet de ce virulent antipapiste et fervent contrerévolutionnaire : « M. Da Costa, disciple de Bilderdyk, écrivain austère et religieux dont l’âme s’attendrit sur les douleurs de la vie humaine, puis s’élance avec enthousiasme vers les régions éternelles » (p. 231).

    [31] Pierre Brachin en a publié des extraits dans son Anthologie de la prose néerlandaise. Pays-Bas I, Aubier, 1970.

    J.H. van der Palm

    xavier marmier,revue des deux mondes,hollande[32] On peut penser aussi à des proses de Johannes Hendrikus van der Palm (1753-1840) que John Rowring considère comme le plus grand prosateur hollandais de tous les temps (op. cit., 1829, p. 124-125), du moins le plus grand encore en vie (Brievenop. cit., 1830, p. 246 et p. 256).

    [33] Nicolaas Beets, Scènes de la vie hollandaise et La Chambre obscure (Camera Obscura, 1839 ; édition augmentée, 1854), roman traduit par Léon Alexis Wocquier, Paris, Éditions Michel Lévy, 1856 et 1860, 2 vol. Marmier se contente de mentionner son nom, p. 233, pour nous dire que comme tous ses confrères, lui aussi exerce une profession : « M. Beets pasteur dans un village », après avoir dit deux mots du Beets poète : « Beets, qui joint dans ses vers la mélancolie de la pensée allemande à la pureté du style classique » (p. 231).

    [34] Lettres sur la Hollande, p. 165.

    [35] Marc Smeets, « Du côté de chez soi », Relief, 2013, n° 2, p. 107-117.

    [36] Certes, il mentionne au passage, dans ses Lettres sur la Hollande (p. 34), un autre roman de mœurs de ces deux dames : Historie van den heer Willem Leevend (1784-1785).

    [37] Voir en français à ce sujet : Pierre Brachin, « Idylle et Révolution : le séjour en France de Wolff et Deken (1788–1797) », in Faits et valeurs, « Bibliotheca Neerlandica Extra Muros », n° 4, La Haye, Martinus Nijhoff, 1975, p. 132-145 ; Myriam Everard, « Deux Hollandaises à Trévoux (1788-1797) : voyage d’agrément ou engagement politique ? », Genre & Histoire, 9, automne 2011, mis en ligne le 17 juin 2012, consulté le 25 mars 2017. URL : http://genrehistoire.revues.org/1427.

    Aagje Deken

    xavier marmier,revue des deux mondes,hollande[38] La traduction française de leur roman a paru à Lausanne, chez François Grasset, sous le titre : Histoire de Mademoiselle Sara Burgerhart ; publiée en forme de lettres, par Madame E. Bekker, veuve du Ministre Wolff, et A. Deken ; traduite du Hollandois d’après la seconde édition, 1787. Estimant que la couleur locale de leur œuvre la rendait intraduisible, les auteures ne se réjouirent guère d’apprendre qu’une traduction française était en cours. Le traducteur, Henri Rieu (Paris 1721 - 1787 Genève), ami de Voltaire, montre une excellente connaissance de la langue et des mœurs hollandaises, ce que révèlent entre autres les 48 notes figurant en bas de page. Cet homme a vécu plusieurs années en Hollande (dès 1735, il fait ses classes dans le monde bancaire à Amsterdam où il s’inscrit en 1837 en tant que membre de l’église wallonne) avant de s’embarquer, depuis la même ville, au service de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, le 27 octobre 1842, sur De Eendracht. Il arrive à Batavia le 26 mai 1743. Dès le 17 octobre de la même année, il reprend toutefois le même bateau qui le ramène à Amsterdam le 10 juillet 1744. Par la suite, entré dans la marine française, Rieu gagne les Antilles où il sera commandant de Saint-Barthélemy et d’une partie de Saint-Martin. Après avoir vécu en Guadeloupe où il a épousé une Créole de bonne famille, il est rentré en Europe avec sa famille. Il a traduit Sara Burgerhart alors qu’il était retourné vivre près de Genève (à Bourdigny) où il avait passé une partie de son enfance ; par sa mère, il descendait de familles en vue, les Calandrini et les Pellissari. Il s’agit de sa dernière contribution en tant que traducteur, la maladie l’ayant sans doute empêché de relire l’ensemble des épreuves. Le traducteur se serait servi de l’exemplaire d’Isabelle de Charrière (lettre de Claude de Narbonne-Pelet de Salgas à Isabelle de Charrière du 22 octobre 1784, dans Œuvres complètes, t. 2, p. 439). On sait par ailleurs que Benjamin Constant connaissait la sœur de Henri Rieu. En 1788, son texte est réédité à Paris par le libraire J. Hilaire sous un titre différent. (Pour tout ce qui concerne la traduction française de ce roman et la personne de Henri Rieu, on se reportera à : Hendrik Arnold Höweler, « De Franse vertaling van Sara Burgerhart », Documentatieblad werkgroep Achttiende eeuw, n° 9, 1970, p. 18-26 et « De Franse vertaling van Sara Burgerhart », Documentatieblad werkgroep Achttiende eeuw, n° 10, 1971, p. 23-24).

    [39] E., « Fransche Brieven. Parijs, 14 oct. », Soerabaijasch handelsblad, jeudi 24 novembre 1892.

     

     

     

  • Francis Jammes à la hollandaise (1)

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    « Prière pour aller au paradis avec les ânes »

    et la revue Ad Interim

     

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    Voici quelques années, nous avons donné une ébauche de la réception de Francis Jammes dans les terres néerlandophones ainsi que la traduction d’une série d’articles consacrée au poète par un chroniqueur d’expression néerlandaise. Pour ajouter une petite page à ce petit tableau - après la traduction, signée par un certain Berten Fonteyne, de « La Vie », poème qui clôt le recueil Ma fille Bernadette -, voici celle de l’un des poèmes emblématiques du Béarnais : « Prière pour aller au paradis avec les ânes ».

    Elle a paru dans Ad interim, n° 1, 1946, périodique publié à Utrecht par les éditions A.W. Bruna & Zoon, qui accordait une belle place à la poésie. Aidé par les circonstances, Ad Interim, revue puis mensuel, compte sans doute dans l’histoire des lettres des Plats Pays parmi les rares organes littéraires à avoir réuni un éventail incomparable d’écrivains de tous horizons politiques et confessionnels.

    Au numéro en question ont collaboré quelques-unes des plus grandes plumes des Pays-Bas de l’après-guerre : Adriaan Morriën, Gerrit Achterberg, Godfried Bomans, Pierre Kemp, Hendrik de Vries, Simon Vestdijk… D’autres noms tout aussi parlant pour le lecteur néerlandophone ont été liés à cette publication* qui a vu le jour clandestinement en avril 1944 (la Hollande n’a été libérée qu’en mai 1945) avant d’être absorbée, six ans plus tard, par le plus ancien périodique du pays, à savoir De Gids. Le plus grand poète de l’époque, l’assassin Gerrit Achterberg, a donné des dizaines de poèmes à cette revue.


    francis jammes,ad intérim,traduction,poésie,hollandeCôté lettres d’expression française – en quelque sorte un avant-dernier soubresaut de la culture française en Hollande –, on relève, en traduction et essentiellement dans le numéro double 8/9 paru en 1949, du Mallarmé (« L’Après-midi d’un faune »), du Nerval, du Musset, du Baudelaire, du Tristan Corbière, du Verlaine, du Rimbaud, du Moréas, de l’Albert Samain, des rondeaux de Charles d’Orléans, la « Ballade du pendu » de Villon, du Vigny (« La Mort du loup »),  du Hugo (entre autres « Booz endormi »), du Paul Valéry, de l’Anna de Noailles, du Guillaume Apollinaire, du Jules Supervielle, du Paul Éluard, du Tristan Tzara, du Louis Aragon, du Henri Michaux, du Édouard Jaguer (poète « surréaliste » qui sera lié peu après au mouvement CoBrA), mais aussi le poème « Jean Giono » de Gerrit Achterberg, un article sur Pierre Emmanuel – signé par le francophile Martin J. Premsela qui propose une traduction du poème « Les Dents Serrées ». Du même chroniqueur, on relève une page sur Histoire d’un été de Michel Davet, une autre sur Lysiane Bernhardt (pour son livre Sarah Bernhardt, ma grand’mère), une autre encore sur Le Jardin délivré, premier recueil de Lucienne Desnoues, des articles sur l’auteur et politicien Jean-Richard Bloch, sur Ernest Florian Parmentier. On recense aussi un essai sur Lautréamont (de Koos Schuur), un autre sur Les Heures claires de Verhaeren, diverses chroniques cinématographiques (par exemple sur La Belle et la Bête de Cocteau) ou sur la peinture (Pierre Bonnard au Stedelijk Museum, Chagall…), de la prose et des poèmes d’Henk Breuker, l’ami de Joseph Delteil, Christian Dedet et Frédéric Jacques Temple (entre autres une traduction du texte « Blaise Cendras » de Temple, un texte sur La Putain respectueuse de Sartre ; un autre sur Mon village a l’heure Allemande de Jean-Louis Bory). Par ailleurs, Ad Interim présente une poignée de poèmes dans un drôle de français de Riet Prager, une Néerlandaise qui, nous dit-on, aurait longtemps vécu en France : « Les neiges et les demi-volontés », « Atone qui me hante » et « Célébration précipitée ».

    On doit la traduction du poème de Francis Jammes, qui provient du recueil Le Deuil des Primevères (1898-1900), à Hein de Bruijn (1899-1947), représentant peut-être le plus talentueux de la mouvance liée à Opwaartsche Wegen, revue protestante en vue durant l’entre-deux-guerres, dont il fut l’un des rédacteurs. Né dans une bourgade frisonne, il s’est semble-t-il fait tout seul, échappant par ses efforts à sa modeste condition. Il est l’auteur de recueils de poésie, d’un drame lyrique, d’une réécriture du livre de Job, de traductions de John Donne et de Shelley, ainsi que de proses (quelques nouvelles et deux romans dont l’un resté inachevé). Écartelé entre le milieu auquel il s’était arraché, un travail abrutissant et un milieu artistique où il éprouvait des difficultés à trouver sa place, il décida de rejoindre, après plusieurs dépressions, le paradis des ânes.

     


    Georges Brassens parle de Francis Jammes 

     

     

     

    GEBED, MET DE EZELS, OM HET HEMELRIJK TE MOGEN BINNENGAAN

     

    Wanneer Gij eenmaal, God, mij roept tot U te gaan,

    zo moog’ het zomerland rondom te glanzen staan.

    Ik wil, gelijk ik zulks gewoon was op de aarde,

    m’een pad verkiezen om in vrede naar de

    hemel toe te wandelen, waar daags de sterren schijnen.

    Ik neem mijn stok, om barvoets langs de heirbaan te verdwijnen,

    en tot de ezels, vrienden van mij, is het dat ik zeg:

    zie, hier komt Francis Jammes, naar ’t Paradijs op weg,

    naar ’t lieflijk land van God, daar is geen hellevuur,

    komt mee, zachtaard’ge vrienden, minnaars van ’t klaar azuur,

    mijn arme, lieve dieren, die, als uw oren flappen,

    de vliegen opjaagt, de bijen van u drijft en weert de klappen.

    Dan wil ik mij temidden dezer dieren voor U buigen,

    het hoofd genegen, nederig als deze mij betuigen,

    die, hun kleine hoeven naast elkander, altijd blijven staan

    met zoveel verootmoediging, dat ’k mij voel aangedaan.

    Zo stel ’k mij voor Uw aangezicht, waar duizend oren wenden,

    met zulken, wien de korvenvracht gesnoerd werd om de lenden,

    of eenmaal in een dartlend wagenspan gevangen,

    of opgetuigd voor koetsjes, met verguldsel en gepluimde spangen,

    en zulken, met gebutste kannen dravend, voortgedreven,

    en opgeblazen dracht’ge ezelinnen, die telkens struikelend ’t bijna begeven,

    met, hier en daar verspreid, een enkeling op sokken,

    hem ter bescherming tegen bloedbeluste vliegen aangetrokken,

    waar anders zo’n blauw, etterend open builtje overblijft.

    Laat mij, mijn God, met deze ezels U gemoeten,

    en moge ’t zijn geleid door dichte engelstoeten

    tot bij de beek in ’t lover, waar wind en kersen kozen, 

    in een luister als wanneer de jonge meisjes blozen,

    en geef, dat ik in ’t scheemrend rijk der zielen

    gelijk de ezels aan Uw wateren mag knielen,

    wier ootmoed, waar op aarde hun tred in wiegelt,

    zich dan in ’t klare wellen van de eeuwige Liefde spiegelt.

     

     


    Le poème lu par Gilles-Claude Thériault

     

     

     

    PRIERE POUR ALLER AU PARADIS AVEC LES ÂNES

     

    Lorsqu’il faudra aller vers vous, ô mon Dieu, faites

    que ce soit par un jour où la campagne en fête

    poudroiera. Je désire, ainsi que je fis ici-bas,

    choisir un chemin pour aller, comme il me plaira,

    au Paradis, où sont en plein jour les étoiles.

    Je prendrai mon bâton et sur la grande route

    j’irai, et je dirai aux ânes, mes amis :

    Je suis Francis Jammes et je vais au Paradis,

    car il n’y a pas d’enfer au pays du Bon Dieu.

    Je leur dirai : « Venez, doux amis du ciel bleu,

    pauvres bêtes chéries qui, d’un brusque mouvement d’oreille,

    chassez les mouches plates, les coups et les abeilles. »

    Que je Vous apparaisse au milieu de ces bêtes

    que j’aime tant parce qu’elles baissent la tête

    doucement, et s’arrêtent en joignant leurs petits pieds

    d’une façon bien douce et qui vous fait pitié.

    J’arriverai suivi de leurs milliers d’oreilles,

    suivi de ceux qui portent au flanc des corbeilles,

    de ceux traînant des voitures de saltimbanques

    ou des voitures de plumeaux et de fer-blanc,

    de ceux qui ont au dos des bidons bossués,

    des ânesses pleines comme des outres, aux pas cassés,

    de ceux à qui l’on met de petits pantalons

    à cause des plaies bleues et suintantes que font

    les mouches entêtées qui s’y groupent en ronds.

    Mon Dieu, faites qu’avec ces ânes je Vous vienne.

    Faites que, dans la paix, des anges nous conduisent

    vers des ruisseaux touffus où tremblent des cerises

    lisses comme la chair qui rit des jeunes filles,

    et faites que, penché dans ce séjour des âmes,

    sur vos divines eaux, je sois pareil aux ânes

    qui mireront leur humble et douce pauvreté

    à la limpidité de l’amour éternel.

     

     Francis Jammes

     

     

     Gerrit Achterberg a 19 ans

    francis jammes,ad intérim,traduction,poésie,hollande* Citons les les autres auteurs les plus connus qui ont donné au moins un texte à Ad Interim : Jan Arends, Anna Blaman, J.C. Bloem, Louis de Bourbon, Gerard den Brabander, C. Buddingh’, Frans Coenen, C.C.S. Crone, Cola Debrot, Lodewijk van Deyssel, Mary Dorna, Anton van Duinkerken, Jan G. Elburg, Jan Engelman, le compositeur Rudolf Escher, Robert Franquinet, Jac. van Hattum, Albert Helman, W.F. Hermans, Ed. Hoonik, Alfred Kossmann, Gerrit Kouwenaar, Jef Last, L.Th. Lehmann, Clare Lennart, Vincent Mahieu, A. Marja, Hanny Michaelis, Emiel van Moerkerken, P.H. van Moerkerken, Maurits Mok, Max Nord, Michel van der Plas, A. Roland Holst, Henriëtte Roland Holst, Jeanne van Schaik-Willing, Garmt Stuiveling, Charles B. Timmer, M. Vasalis, Bernard Verhoeven, Simon Vinkenoog, Bert Voeten, Hendrik de Vries, Theun de Vries, Victor E. van Vriesland, Hans Warren, Constant van Wessem… Une palette extrêmement hétérogène (à laquelle il faut ajouter les défunts Multatuli et Willem Paap) réunie par une rédaction de coloration plutôt catholique : Bertus Aafjes, Gerrit Kamphuis, C.J. Kelk, Jaap Romijn et Gabriël Smit ; il s’agissait pour eux d’éditer, uniquement sur une base esthétique, des écrivains privés de support, pour ne pas dire interdits de publications en ces années de conflit. La guerre finie, Ad Interim entendit poursuivre sur sa voie non sectaire et en s’ouvrant à des écrivains flamands et sud-africains. Ainsi voit-on apparaître les noms de Hubert van Herreweghen, Johan Daisne ou encore Karel Jonckheere.

     

     

  • Francis Jammes à la flamande

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    Voici quelques années, nous avons donné une ébauche de la réception de Francis Jammes dans les terres néerlandophones ainsi que la traduction d’une série d’articles consacrée au poète par un chroniqueur d’expression néerlandaise (voir Cahiers Francis Jammes, n° 2-3). Pour ajouter une page à ce petit tableau, voici la traduction libre, signée par un certain Berten Fonteyne, de « La Vie », poème qui clôt le recueil Ma fille Bernadette (poème d’octobre 1909, publié initialement dans la NRF, 1910, n° 12, p. 440-442). Cette traduction a été publiée dans Pogen. Maandschrift der jonge gedachte in Vlaanderen (Tenter. Mensuel de la jeune pensée flamande), novembre 1923, n° 8, p. 248. Les pages suivantes de ce numéro sont consacrées aux Lettres à sa fiancée de Léon Bloy, sous la plume du journaliste Jan Boon. Éditée à Gand, cette revue confidentielle réunissant des auteurs flamands et néerlandais d’obédience catholique – dont des religieux – a cessé d’exister après le deuxième numéro de 1925 ; neuf avaient paru la première année – en 1923 – et douze en 1924. Nous ne disposons d’aucune information sur le traducteur. (D .C)

     


     

    « Une Vie, une Œuvre » par Paule Chavasse, 13 novembre 2008, France Culture 

     

     

    VAN HET HUIZEKE

     

    Het leven is net ’n heel klein huizeke

    dat staat langs den weg, mijn Bernadetje!

    ’n heel simpel huizeke met grove muren,

    vervuld van eerlijkheid,

    en in welks hof we druivekes plukken

    en hazelnootjes.

    Daarna gaan we heen.

     

    Bekijk ’ns goed dat kleine huizeke

    met zijn miniatuur-pui;

    het is er zoals wij er zijn

    en erover heen schuift haastig het getij.

     

    Wat blijft er wel zo al van dat alles

    als de laatste stonde heeft ingeluid,

    die stonde waarin gelijk een waterstriem

    een geknielde schaduw weent?

    God.

     

    Enkel God blijft dan nog

    God! ’t is te zeggen:

    het grote huis waaruit we nooit zullen heengaan.

    Het huis waar, op de pui,

    de biddende engel, de ogen sluit.

     

    Maar, Bernadetje, terwijl jij in dat leven bent,

    leer het goed hoe dat leven is. -

    Ken het lijk je een les kent die je aandachtig

    tot het einde hebt gevolgd,

    en die je geboeid heeft tot het laatste woord.

     

    En als dan je zacht, gewelfd voorhoofdje

    op zal staren van dat grote boek

    waarin je spelde van het brood dat uit het koren groeit

    en van de wijn die uit de druiven druipt,

     

    dan zul je best begrijpen

    hoe innig lief dat huizeke is;

    dat huizeke langs den weg waarin niets bizonders is

    maar waar er vier hartjes wonen

    je vader, je moeder, je meetje

    en jij.

     

    En kijk ’ns! in onzen ochtend

    welven de hemelen over onze daking

    heel gulden als maagdehonig

     

     


     Georges Brassens chante « La Prière » de Francis Jammes, 1965

     

     

    LA VIE

      

    La vie est comme une petite maison bâtie sur le bord d’un sentier, ô ma Bernadette !

    une maison toute simple aux gros murs honnêtes

    dans le jardin de laquelle on cueille du chasselas et des noisettes.

    Puis l’on s’en va.

     

    Vois la petite maison

    avec son perron.

    Elle est là comme nous sommes là, et la saison avance à grands pas.

     

    Qu’est-ce qui demeure

    de tout cela quand a sonné la dernière heure, celle où comme un filet d’eau une ombre à genoux pleure ?

    Dieu.

     

    Il reste Dieu, c’est à dire la maison

    d’où jamais nous ne sortirons,

    la maison où l’ange en prière sur le perron ferme les yeux.

     

    Mais apprends bien, ô Bernadette, pendant que tu es dans la vie,

    comment elle est, cette vie : sache-la comme une leçon qu’on a suivie

    du bout du doigt et qui t’aura ravie

    jusqu’à la fin.

     

    Et quand ton front si doux et bosselé

    se relèvera du grand livre où tu auras épelé

    le pain qui naît du blé

    et le vin du raisin,

     

    tu comprendras combien la petite maison est chère,

    la maison sur le sentier dans laquelle il n’y a rien d’extraordinaire,

    mais où vivent quatre cœurs : ton père, ta mère, ta grand’mère et toi.

     

    Et voici que le ciel

    doré comme le miel

    après notre réveil

    s’élève sur le toit.

     

    Francis Jammes

     

     

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  • Les Chants de Hadewijch d’Anvers

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    Les œuvres et l’univers de la grande mystique brabançonne

     

    A l’occasion de la parution de : Hadewijch d’Anvers, Les Chants, édition de Veerle Fraeters & Frank Willaert avec une reconstitution des mélodies par Louis Peter Grijp, préface de Jacques Darras, traduction du (moyen) néerlandais de Daniel Cunin, Paris, Albin Michel, 2019 (avec 1 CD de poèmes chantés en moyen néerlandais et un livret sur la reconstitution des mélodies).

     

    Hadewijch-LesChants-Couv.jpg

     

    « Ne devrions-nous pas nous étonner d’abord de ce que Dieu créa le ciel et la terre avec des mots : ‘‘Dieu dit : Que la lumière soit, et la lumière fut’’ (Genèse 1.2) ? » (1)

     

    « La fidélité au mystère incline la pensée vers le poème et le poème vers la sagesse. » (2)

     

     

    Jean de la Croix est « la pierre angulaire de toute la littérature espagnole » et il convient « de regarder Mathilde de Magdebourg, Maître Eckhart, Jakob Böhme, Tauler et Angelus Silesius comme les représentants les plus infrangibles de la littérature allemande », affirmait en 1925 le poète expressionniste anversois Paul van Ostaijen. Les littératures trouveraient-elles leur source, leur souche, leur semence dans les écrits mystiques ? Quant aux lettres néerlandaises, la réponse paraît tout aussi incontestable qu’inouïe : les œuvres en langue vernaculaire (3) de Hadewijch en constituent bien le berceau, nées en quelque sorte ex nihilo alors même que leur élégance et leur grande variété formelle pourraient laisser croire qu’elles puisent leurs racines dans une tradition locale ancestrale.

    couv-MA.jpgAu cours des derniers siècles du Moyen Âge, la Brabançonne a traversé les cieux septentrionaux à la manière d’un météore. Tombée dans l’oubli le plus total après avoir tout de même brillé au moins jusqu’au temps de Ruusbroec (1293-1381) et de Jan van Leeuwen († 1378), elle n’a resurgi progressivement qu’environ cinq cents ans plus tard ; il aura ainsi fallu attendre les travaux du jésuite Jozef van Mierlo pour enfin accéder, des années vingt aux années cinquante du siècle passé, aux quatre textes de la béguine (4) dans des éditions critiques de qualité (5) : les Brieven (Lettres), les Visioenen (Visions), les Strophische gedichten ou Liederen (Poèmes strophiques ou Chants) et enfin les Rijmbrieven ou Mengeldichten (Lettres rimées ou Mélanges poétiques).

    Le long oubli en question explique en partie la méconnaissance dont souffre encore cette œuvre. Répandue par quantité de manuscrits et des traductions latines dès le XIIIe siècle, elle aurait, à n’en pas douter, joui d’un prestige comparable à la Divine Comédie qui lui est postérieure d’une bonne cinquantaine d’années. La rapprocher du monument de Dante ne relève pas d’un caprice de laudateur. Dans ses 45 Chants, Hadewijch offre sans doute aucun un sommet de la littérature européenne, parachevant l’art des trouvères et des troubadours. Ces vers s’adressaient probablement à celles et ceux qui, à l’instar de leur auteure, se disposaient à mener une vie entièrement placée sous le signe de la minne. S’appropriant de manière singulière des motifs bibliques et des chansons courtoises françaises, la poète compare le parcours de l’âme du mystique encore novice, qui s’efforce de conquérir l’amour, à un chevalier qui cherche à gagner les faveurs d’une noble dame. Un subtil mélange des registres profanes et religieux de son temps.

    HoofseLiefdeManesseCodexUniversitätsbibliothek-Heidelberg-732x1024.jpgLa découverte assez récente par le regretté musicologue néerlandais Louis Peter Grijp de mélodies et de sources liturgiques qui ont présidé à l’écriture d’une partie de ces poésies n’a fait que confirmer la dextérité de Hadewijch (6). Cette virtuosité constitue l’autre explication majeure du manque de reconnaissance de l’œuvre au-delà de l’aire néerlandophone : s’attaquer à ces strophes place le traducteur devant un défi probablement plus épineux que celui que relève quiconque entreprend de transposer les Psaumes ou tout autre livre de la Bible.

    L’écrivain Claude Louis-Combet a pu lire ces 45 poèmes comme une approche de l’expérience vécue par tout homme et de celle vécue par la béguine : « Notre lecture des chants poétiques rejoint nos lointains intérieurs et nous rappelle que, nous aussi, nous fûmes liés et fondés et que, loin d’être une conquête, telle que l’entendent les Orientaux, le vide est une sanction. »

    Le volume qui a paru ce printemps chez Albin Michel est la version française de l’édition des Liederen parue en 2009 à Groningue (Historische Uitgeverij), que l’on doit à Veerle Fraeters, Louis Peter Grijp et Frank Willaert. Cette transposition cherche à restituer au mieux, non la versification de l’original, mais ce que « dit » le texte de Hadewijch, quitte à sacrifier par endroits la fluidité de la langue. Le poème adopte une ponctuation moderne ; le nombre de strophes et de vers par strophe correspond à celui du texte moyen néerlandais, chaque vers étant en principe placé dans le même ordre que dans l’original. Le mot clé Minne, féminin en moyen néerlandais, nous a conduit à adopter le genre féminin pour le substantif singulier « amour », ce qui n’est après tout qu’un retour au passé. Les limites de la traduction se trouvent en partie compensées par le commentaire.

    Hadewijch-Visions-.jpgLa dimension musicale, mélodique et orale de l’œuvre hadewigienne ne se cantonne pas aux Chants. Ainsi que l’a démontré la Hongroise Anikó Daróczi (7), dans les différents écrits de la Brabançonne, une voix qui chante s’adresse au lecteur/auditeur en cherchant à le toucher dans tout son être de manière à ce qu’il fasse siens les vers, siennes les proses en lectio et meditatio. Cela vaut donc pour certains passages des 31 Brieven ou Lettres, dont on ne saurait trop souligner la dimension mystérieuse. Tout comme les Chants, ces Lettres illustrent le rôle de maîtresse spirituelle qu’a assumé Hadewijch ainsi que la rencontre tout aussi paradoxale que fondamentale entre Dieu et l’homme.

    Quant au livre des Visions, deux traductions de qualité sont déjà disponibles en français (8). Il convient de resituer ce texte au sein du genre visionnaire médiéval en approfondissant quelques aspects majeurs de l’expérience extatique en lien étroit avec la vocation de guide spirituelle : « La petitesse humaine et le péché que le monde proclame disparaissent sous la conscience d’une ressemblance originaire de l’esprit humain à Dieu. Pareille prise de conscience s’accompagne de la capacité à vivre, à l’instar de Jésus au cours de sa vie terrestre, en tendant à la plus haute élévation spirituelle. À la suite de l’appel de Paul dans sa Lettre aux Corinthiens (1 Cor. 14,1-14), cette capacité ne se conçoit pas sans la responsabilité d’accompagner d’autres âmes sur le chemin de la maturité spirituelle, à l’exemple du Christ. » (9)

    Le quatrième volet de l’œuvre de la mystique brabançonne – les Mengeldichten ou Rijmbrieven, autrement dit les Lettres rimées – a été le plus souvent négligé par les commentateurs. On se reportera à l’essai du père Raymond Jahae sur la Lettre rimée 16, la dernière du recueil, celle qui recèle un condensé de la doctrine hadewigienne, essai accompagné d’une nouvelle traduction de ce texte de 212 vers. (10)

    Couv-Nunc-40.jpg

    Dossier « Hadewijch », in Nunc, n° 40, octobre 2016, p. 18-91.

     

    Si Hadewijch inspire certains poètes – Pascal Boulanger dans son cycle « L’Amour là » (11) ou encore Juan Gelman dans L’Opération d’amour (12) – elle n’a pas non plus laissé insensible le cinéaste français Bruno Dumont. Ce dernier met d’ailleurs des bribes des Chants et des Visions dans la bouche de la comédienne principale du film qu’il a réalisé en 2009. Autre artiste profondément marqué par la figure de la mystique : le peintre et poète Marc. Eemans, premier et dernier surréaliste belge qui, dans les années trente du siècle passé, a fait passer quelques-unes de ses pages en langue française dans la revue Hermès. Cet auteur qui, comme on dit à Bruxelles, était bilingue… dans les deux langues, a laissé une œuvre tant en français qu’en néerlandais. Dans Hadewijch, il a vu, aussi surprenant cela puisse-t-il paraître, « une précurseuse du surréalisme ». (13)

    En réalité, Eemans est loin d’être le premier à avoir fait sienne la grande Brabançonne, à avoir inventé une « autre Hadewijch ». L’histoire des études hadewigiennes, depuis la redécouverte des manuscrits au cours de la première moitié du XIXe siècle, révèle que plusieurs savants, hommes de lettres et universitaires ont cherché tour à tour à s’« approprier » cette béguine quand ils n’ont pas tenté de l’identifier à telle ou telle figure plus ou moins hérétique, plus ou moins orthodoxe.

    Jozef van Mierlo

    RRkl - Van Mierlo.JPGRappelons que, pendant des décennies, et ceci jusqu’aux avancées significatives accomplies par Jozef van Mierlo, la recherche s’est focalisée sur la question de l’identité de cette femme dont pratiquement aucune trace ne subsiste dans les manuscrits du Moyen Âge. Récemment encore, cinq auteurs ont tenté d’attribuer un « visage » à l’« inaperçue » : Wybren Scheepsma a cherché à relancer la vielle hypothèse d’une identification avec Bloemardinne (ou de membres de son entourage) ; Rob Faesen a cru voir en Hadewijch Aleydis, une abbesse cistercienne (14) ; Hans Wilbrink la recluse Hadewigis mentionnée dans la vita de Julienne de Cornillon ; Daniel Devreese la recluse Hadewid Greca et, enfin, Rudi Malfliet une domicella Hadewigis née en 1214, influencée par les écrits de Joachim de Flore (15). Autant d’hypothèses réfutées par Frank Willaert :

    […] there is no reason to abandon the traditional view, mainly formulated by Jozef van Mierlo, according to wich Hadewijch must have been a beguine, who lived in the duchy of Brabant in the middle of the thirteenth century. (16) 

    Parallèlement à cette tendance qui perdure se dégage, depuis le XIXe siècle, une volonté de ranger la Brabançonne dans une case idéologique. Si l’on peut certes reprocher à Van Mierlo d’avoir voulu la « canoniser » – après tout, Jan van Leeuwen, disciple de Ruusbroec, ne la qualifiait-il pas lui-même de heylich ende glorieus wijf (femme sainte et glorieuse) ? –, la vision qu’il a élaborée de Hadewijch s’est révélée bien plus perspicace, cohérente et fondée que toutes les tentatives de récupération auxquelles on a pu assister, tant celles des libres penseurs qui, dès avant 1900, ont voulu faire de cette femme hors norme une hérétique que celles, beaucoup plus récentes, de quelques chercheurs qui tiennent à tout prix à la hisser au rang de parangon du féminisme.

    Unknown.jpegHadewijch échappe à toute idéologie, à toute idée préconçue. Plus on se tient loin de sa quête de l’indicible, plus on tend à faire sienne cette insaisissable poète. Aborder son œuvre, s’en pénétrer réclame sans doute de saisir qu’il convient au préalable de s’en dessaisir. Pourquoi l’assertion de Fabrice Hadjajd à propos de la Bible ne vaudrait-elle pas pour les écrits de la béguine : « Les Écritures et la Tradition ne sont pas que des paroles à déchiffrer. Ce sont d’abord des paroles qui nous déchiffrent » (17) ? Ou, en d’autres termes : « Au lieu d’extraire de la Bible une idée de Dieu, à propos de laquelle on pose des questions de philosophie théologique, en déployant un discours qui nous écarte (Pascal le disait déjà) du ‘‘Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob’’, ne devrions-nous pas accepter les façons de parler de Dieu qui nous viennent d’une civilisation très différente de la nôtre ? » (18) Hadewijch vient d’une civilisation différente de la nôtre : l’intensif travail de la mémoire jumelé à la liturgie et à la musique, par exemple, correspondait à une toute autre réalité que celle qu’elle peut revêtir pour nous et la plupart de nos contemporains. Quant à sa façon de nous parler : comment l’adéquation entre ce qu’elle nous dit et la virtuosité avec laquelle elle l’exprime dans ses plus belles pages ne nous rendrait-elle pas sensibles à la nature corporelle des mots, à la poésie, non seulement forme de louange, mais aussi émerveillement, mais aussi mode de transformation intérieure, tant physique que spirituelle ? « La poésie n’est révélation que dans la mesure où le poète révèle par où il est passé, ce qu’il a vu, et l’étrangeté de ce qu’il lui a été donné de découvrir. Si notre corps change pour le mieux dans la respiration et le mouvement parfait du poème, nos émotions, nos perceptions, nos idées, toute notre vie intérieure, indissociable de notre vie extérieure, sont transformées dans l’autre part du poème. » (19)

    Les écrits de Hadewijch, vers comme proses (poétiques), sont une invitation à aller plus avant, plus haut, dans la rencontre paradoxale de ce qui nous dépasse, « à goûter la véritable amour » :

     

    Quand l’aimée sera élevée en l’aimé,

    quel ne sera pas son contentement ! (20)

     

    Daniel Cunin

     

    Le lied 45 chanté en moyen néerlandais


      

    (1) Michael Edwards, Bible et poésie, Paris, Éditions de Fallois, 2016, p. 67.

    (2) Bernard Grasset, « Poésie, philosophie et mystique », Laval théologique et philosophique, vol. 61, n° 3, 2005, p. 553.

    (3) Le moyen néerlandais, et plus précisément le brabançon, langue parlée à l’époque dans le duché de Brabant qui englobait alors la région d’Anvers.

    (4) C’est Jozef van Mierlo qui a émis l’hypothèse d’une Hadewijch évoluant dans le milieu des béguines. Paul Mommaers a approfondi la question, en particulier dans un ouvrage transposé dans un français malheureusement peu convaincant : Paul Mommaers, Hadewijch d’Anvers, adapté du néerlandais par Camille Jordens, Paris, Le Cerf, 1994.

    (5) On peut les consulter en ligne (ainsi que quelques autres plus anciennes).

    (6) Albin Michel met à la disposition du lecteur la version française des travaux de Louis Peter Grijp dans un livret qui vient accompagner le volume des Chants : ici. En néerlandais : Louis Peter Grijp, Het Nederlandse lied in de Gouden Eeuw. Het mechanisme van de contrafactuur, Amsterdam, P.J. Meertens Instituut, 1991 ; ibid., « De zingende Hadewijch. Op zoek naar de melodieën van haar Strofische gedichten », in Frank Willaert (e.a., Een zoet akkoord. Middeleeuwse lyriek in de Lage Landen (Nederlandse literatuur en cultuur in de middeleeuwen 7), Amsterdam, Prometheus, 1992, pp. 72-92 et 340-343 ; Louis Peter Grijp & Frank Willaert (réd.), De fiere nachtegaal. Het Nederlandse lied in de middeleeuwen, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2008.

    (7) Voir en particulier : Anikó Daróczi, Groet gheruchte van dien wondere. Spreken, zwijgen en zingen bij Hadewijch, Louvain, Peeters, 2007.

    (8) Les Visions, traduction, présentation et notes de Georgette Épinay-Burgard, Genève, Ad Solem, 2000. Visions, présentation, traduction du moyen-néerlandais et notes par Fr. J.-B. M.Porion, Paris, O.E.I.L., 1987.

    (9) Veerle Fraeters, « ‘‘Vois qui Je suis !’’ Les Visions de Hadewijch », in Nunc, n° 40, octobre 2016, p. 53.

    (10) Raymond Jahae, « La lettre rimée 16 : une première approche de la mystique de Hadewijch à travers son œuvre la moins connue », in Nunc, n° 40, octobre 2016.

    (11) Pascal Boulanger, in Nunc, n° 40, octobre 2016, p. 43-48. Notons que nombre d’écrivains et d’artistes des plats pays ont pu s’inspirer de l’un des textes de Hadewijch, par exemple le compositeur Louis Andriessen dans la deuxième partie de Materie.

    JuanGelman.jpg(12) Traduit de l’espagnol (Argentine) par Jacques Ancet, postface de Julio Cortázar, présentation du traducteur, Paris, Gallimard, 2006, « Du monde entier ».

    (13) Veerle Fraeters & David Vermeiren, « ‘‘Une précurseuse du surréalisme.’’ La Hadewijch du peintre et poète Marc. Eemans dans le cadre de la revue Hermès (1933-1939) », in Nunc, n° 40, octobre 2016.

    (14) Hypothèse exposée entre autres en anglais : Rob Faesen, « Was Hadewijch a Beguine or a Cistercian ? An Annotated Hypothesis », Cîtaux. Commentarii Cistercienses, 2004, p. 47-63.

    (15) De fait, le titre retenu par Rudi Malfliet pour son ouvrage revêt pour ainsi dire un aspect caricatural : De andere Hadewijch (L’autre Hadewijch), Anvers, Garant Uitgevers, 2013.

    (16) Frank Willaert, « Dwaalwegen. Recente hypotheses over Hadewijchs biografie », Ons Geestelijk Erf, 2013, p. 194.

    (17) Fabrice Hadjadj, L’Aubaine d’être en ce temps. Pour un apostolat de l’apocalypse, Paris, Éditions de l’Emmanuel, 2015, p. 29.

    (18) Michael Edwards, op. cit., p. 36.

    (19) Michael Edwards, op. cit., p. 72.

    (20) Hadewijch, derniers vers du Chant 4.

     


     le lied 17 chanté en moyen néerlandais

     

     

     

  • Les vies minuscules de Claude-Henri Rocquet

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    Claude-Henri Rocquet, Œuvre poétique complète. Tome 1.

    Aux voyageurs de la Grande Ourse, Bastia,

    éditions Éoliennes, 2018.

     

     

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    Les vies minuscules de Claude-Henri Rocquet, ainsi pourrait-on caractériser une bonne part des 550 pages qu’offre à lire le premier volume de la poésie complète de ce précieux écrivain qui nous a quitté voici trois ans. C’est à une entreprise colossale que s’est attelé Xavier Dandoy de Casabianca en décidant de publier l’ensemble des œuvres théâtrales et poétiques de celui auquel il a consacré, en 1993, un portrait filmé intimiste : Le Jardinier de Babel.


     

    Trois volumes pour le théâtre : Théâtre d’encre (2017), Théâtre du Labyrinthe (2018) et Théâtre du Souffle (à paraître, préfacé par Jean-Luc Jeener, et qui comprendra l’un des écrits les plus remarquables du Dunkerquois, à savoir Hérode). Trois également pour la poésie : Aux voyageurs de la Grande Ourse sera suivi d’un tome placé sous le signe du Fils de l’Homme, du prophète Élie, de saint Martin et de saint François : La crèche, la croix, le Christ, annoncé pour 2019, et enfin, en 2020, d’un volume réunissant Art poétique (un entretien inédit), Petite nébuleuse et L’arche d’enfance.

    En s’adressant aux voyageurs, Claude-Henri Rocquet nous rappelle son attachement à la figure d’Hermès, messager des dieux, mais aussi « patron des voyageurs / et des écritures », symbole de l’échange. La Grande Ourse constitue probablement une allusion au Septentrion, si cher à l’auteur, en même temps qu’une invitation à lever les yeux vers le ciel à l’instar des Rois mages. Les cinq volets d’Aux voyageurs de la Grande Ourse reprennent des recueils pour la plupart introuvables (dont Liminaire, le tout premier, publié en 1962), mais aussi quelques pièces inédites (les cinq poèmes de « Jardin carré »), ainsi qu’une section vide intitulée « Chemin », texte malheureusement resté non écrit.

    Aux-voyageurs-de-la-grande-ourse.4.jpgD’une veine souvent narrative, les poèmes de Claude-Henri Rocquet ne s’inscrivent pas forcément plus dans le registre « poétique » que ses œuvres en prose, si ce n’est que la rime y est bien plus présente. Dans ses moindres écrits, mots et syllabes revêtent sans manquer une couleur particulière, touches précises apposées par sa main de peintre. Parmi les pages les plus denses d’Aux voyageurs de la Grande Ourse se dégagent d’ailleurs maintes proses poétiques, celles du Livre des sept jardins ou encore les miniatures de L’Auberge des vagues, d’un équilibre rare : « Entre ici par la brèche du matin. L’assemblée des invisibles se revêt de rameaux et d’écorce pour ta venue. Tu voudrais que ta parole soit parfaite mais elle suffit. Tout se décide à l’improviste. Les jours anciens sont la nourriture du feu. » Un coloris régi par les « r », en lien notamment avec les poèmes non rimés du tout premier cycle de 1962, « Rupestres » (« Beaux minéraux, pères de profondeur », « Taciturnes, ascètes rudes, rochers ! »).

    Claude-Henri 17022015-2.JPGDes vies minuscules disions-nous, sous l’égide d’Hermès. Des vies qui se profilent sur un arrière-plan autobiographique – Claude-Henri Rocquet ne se cache pas derrière son sujet, il amarre certaines évocations au lieu-même où il réside (rue de la Clef, Gordes…). Minuscules ? celle du serviteur d’Hérode qui lave le plat ayant recueilli la tête de Jean-Baptiste, celle d’un mort anonyme à la morgue, celle de maints objets, animaux, éléments de la nature, plume et feuille, fer et rouille, vague… Autant de petits hommes et de petites choses qui côtoient grands noms et grands événements mythologiques ou bibliques. À l’image d’Hermès, figure de l’herméneutique, le poète relit, redit, réécrit en effet des scènes transmises par les œuvres dans lesquelles s’ancre l’Occident, ne redoutant pas de faire de Salomé une sainte, reliant passé lointain et époque moderne, premiers pas de l’enfance et ultime souffle, rapportant chaque épisode au sort de chacun selon une vision qu’il a pu exposer dans un autre livre, la Vie de saint Françoise d’Assise selon Giotto : « Le royaume des cieux n’est pas ailleurs, lointain, futur, impalpable comme un songe, il est parmi nous, il est en nous comme notre souffle et notre sang. »

    Ami des humbles et des objets, fidèle à des frères de plume et à d’autres créateurs qui surgissent sur certaines pages, l’écrivain arpente ses « chemins de songe » non sans savoir que le parcours est aussi lutte : « Démon de mort au cœur de perle / J’écarterai tes flammes et ta suie / Comme l’hiver on brise au lac le gel. » L’espérance de la révélation du mystère, cependant, demeure :

     

    Le dernier jardin est d’étoiles

    À son revers au-delà d’elles

    Je voudrais voir inouï

    L’ardent jardin dont tous nos jours

    Avec nos nuits

    Ne furent que l’ombre portée

     

    Daniel Cunin

     

    article paru dans Nunc, n° 47, printemps 2019

    numéro qui consacre un « Cahier » aux 12 poètes néerlandais invités au Marché de la Poésie 2019 à Paris

     

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