Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Histoire littéraire - Page 11

  • Un Hollandais chez Francis Jammes

    Pin it!

     

     

     

    VISAGES DE FRANCIS JAMMES

    À PROPOS DES CAHIERS FRANCIS JAMMES  n° 2-3

     

     

    À la fin de l’été 1920, un auteur donnant sa prose à un grand quotidien néerlandais voyage dans les Pyrénées. Il en profite pour rendre visite à Francis Jammes. Traduire son témoignage – traduction qui vient de paraître dans les Cahiers Francis Jammes n° 2-3 (octobre 2014, p. 112-116), accompagnée de documents relatifs au poète et à la Flandre –, nous a incité à effectuer un petit tour d’horizon de la réception de l’œuvre de ce dernier dans les terres néerlandophones. Voici ce défrichage tel qu’on peut le lire aux pages 105-111 du même double numéro consacré au Béarnais (voir sommaire ci-dessous ou ici).

     

     

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésie

     

     

     

    Un Hollandais chez Francis Jammes

     

     

    Été 1920. Effectuant un voyage dans les Pyrénées, le correspondant parisien de Het Vaderland – quotidien haguenois qui a existé de 1869 à 1982 et a joui d’une belle réputation dans les milieux cultivés grâce à la collaboration de grandes plumes – fait, plusieurs semaines de suite, le récit de ses pérégrinations. Le 3 septembre (édition du soir, p. 5), dans la deuxième de ses six livraisons (« Pyreneesche reis. II. In Orthez bij Francis Jammes »), il revient sur la visite qu’il vient de rendre à Francis Jammes – près d’un an donc avant le témoignage laissé par Marcel Provence dans la Revue universelle du 15 août 1921.

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésie

    Les divers documents – archives d’associations de journalistes et autres – auxquels nous avons pu avoir accès ne nous ont pas permis de mettre un nom sur l’auteur de cet article, aucune contribution du correspondant parisien n’étant signée à l’époque en question. Il est tentant de songer à Jan Walch (1879-1946), homme de lettres féru de théâtre, sensible à la littérature d’inspiration religieuse, amené à se rendre à Paris dans son rôle de critique dramatique et littéraire de Het Vaderland de 1909 à 1916 ; ce francophile, qui occupait en 1920 des fonctions universitaires à Leyde, disposait sans doute de suffisamment de temps pour sillonner la France, mais on imagine mal la rédaction cachant son identité. Johannes van der Elst (1888-1948) – attaché à la dimension spirituelle des œuvres littéraires ainsi qu’en témoigne son volume Écrivains protestants français d’aujourd’hui (1922) –, Johannes Tielrooy (1886-1953), romaniste lui aussi, mais plus enclin à s’enthousiasmer pour des écrivains comme Voltaire, Barrès, Valéry ou Renan que de l’auteur des Géorgiques chrétiennes, n’ont pas, à notre connaissance, collaboré de façon suivie à un quotidien néerlandais. Reste alors Charles Snabilié (1856-1927) qui a, pour sa part, vécu plus d’un quart de siècle à Paris en tenant des rubriques dans Het Nieuws van den Dag ainsi que dans Het Vaderland. Toutefois, la facture et la teneur de ce « Voyage dans les Pyrénées. II. À Orthez chez Francis Jammes » ne corroborent guère pareille attribution. Si Snabilié s’est adonné aux belles-lettres – il a laissé un roman à clef sur le Paris de la fin de siècle dont certains personnages ne sont pas sans rappeler Catulle Mendès, Rachilde, Kees van Dongen, Saint-Georges de Bouhélier, etc. –, ses comptes rendus de voyage, ses goûts et son âge ne concordent pas avec le présent texte.

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésie

    Quoi qu’il en soit, un peu plus tôt, le 18 février de cette année 1920, alors qu’il séjourne sur la Côte d’Azur, le même correspondant écrit, depuis Nice où il vient d’arriver après avoir voyagé de nuit en troisième classe : « Je ne trouve jamais le temps de lire si ce n’est dans le train. Il faut dire que j’étais en compagnie du nouveau volume de Francis Jammes : Le Poète rustique. Je n’ai jamais été plus heureux, même dans mon malheur, que lorsque j’ai découvert les premiers vers et contes de ce poète. J’ai retrouvé dans le présent livre bien des thèmes des œuvres anciennes ainsi que, çà et là, des choses qui m’ont de nouveau ému [1]. » C’est probablement cet homme très au fait des lettres françaises de l’époque, qui déplore, dans une chronique parisienne consacrée à l’actualité théâtrale, ne pas trouver chez Henri Ghéon « l’étincelle sacrée du génie » présente chez un Jammes ou un Claudel [2]. Les 23 juillet et 31 décembre 1921, une fois les éloges renouvelés, le journaliste émet cependant des réserves sur les derniers écrits du Béarnais, en particulier à propos du Tombeau de Jean de La Fontaine ; il regrette le « jeune Jammes » – tout de même en partie présent dans les Poèmes mesurés –, celui dont « le sentiment de la nature n’était pas encore rogné par les pratiques d’une brave dévotion ». L’enchantement est de retour dans Het Vaderland du jeudi 27 avril 1922 (« Literaire Notities ») à propos de la parution, dans La Revue universelle, de L’Amour, les Muses et la Chasse : « Avec une rare délicatesse et une rare mesure, le poète évoque ses années de lycée à Bordeaux, son amitié avec Lacoste, les plaisirs que lui procure la botanique, – et plus encore, parallèlement à la création des premiers poèmes, la découverte de ses premières et tendres muses que l’on retrouvera, immortalisées, dans les magnifiques recueils De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir et Élégies. » Le critique de terminer en tronquant une phrase du deuxième volume des Mémoires : « Avec la noblesse et la simplicité que Lacoste met à faire ses toiles, il entend lui-même composer ses vers : ‘‘Ce qui est primordial, c’est le sacrifice qui rend plus haute la pensée, plus nette l’image.’’ »

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésieS’il est question, dans l’article paru le 3 septembre 1920, d’un cercle d’admirateurs de Jammes toujours plus large aux Pays-Bas, il faudra cependant attendre la fin de la deuxième guerre mondiale pour que quelques œuvres significatives du Français voient le jour en néerlandais. Au total, quatre traductions seulement ont paru dans cette langue :

    Korte levensschets van Guido de Fontgalland (La Vie de Guy de Fontgalland), adapté et augmenté d’une neuvaine par W. de Voort, La Haye, Cedo Nulli, 1931, 28 p.

    Kerk in bladergroen (L’Église habillée de feuilles), trad. et introduction Anton van Duinkerken, Utrecht, Spectrum, 1945, 56 p.

    Het crucifix van den dichter (Le Crucifix du poète), trad. Jos Nyst, illus. A. P. Stokhof de Jong, Heiloo, Kinheim, 1947, 85 p.

    De roman van de haas (Le Roman du lièvre), trad. Jean Duprés, Amsterdam, Van Oorschot, 1949, 51 p.

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésieUne traduction du Rosaire au soleil (Rozenkrans in het zonnelicht) a été réalisée sans jamais trouver d’éditeur. On relève par ailleurs diverses publications qui contiennent un ou deux poèmes, voire de courts passages de l’œuvre en prose en version néerlandaise. Ainsi, sous le titre « Le sacrifice de Francis Jammes », la romancière Marie Koenen (1879-1959) propose sur plus de deux colonnes des extraits d’une lettre du père qui a confié son fils au supérieur de l’abbaye Saint-Wandrille (« Het offer van Francis Jammes », De Tijd, 13 janvier 1933). Dans sa préface à la traduction de L’Église habillée de feuilles, Anton van Duinkerken (1903-1968), figure en vue de l’intelligentsia catholique de la Hollande du XXe siècle, reprend pour sa part une page que Jammes a consacrée à sa conversion dans la Revue de la Jeunesse (25 octobre 1913). Ce poète et essayiste, qui a renoncé à la prêtrise pour privilégier sa vocation littéraire, raconte dans ses Brabantse herinneringen (Souvenirs brabançons, 1964) que c’est un de ses professeurs du séminaire qui lui a fait connaître, dès 1916, les œuvres de Péguy, Claudel et Jammes. Ces poètes annonçaient, selon Van Duinkerken – lequel a par ailleurs, dans son rôle de critique littéraire, consacré trois articles à Jammes dont un « In memoriam » –, le temps où « la foi chrétienne, si longtemps évincée des sommets de la culture, allait de nouveau remplir sa mission vivifiante ». À ce sujet, il ne faut pas oublier qu’en Hollande, les catholiques, longtemps considérés comme des citoyens de second plan, ont dû attendre le milieu du XIXe siècle pour recouvrer la possibilité d’accéder à de hautes fonctions dans la société ; de fait, ce n’est qu’au cours de l’entre-deux-guerres qu’on a assisté à un renouveau de cette spritualité dans les arts, sous l’influence d’un Jan Toorop, d’un Frederik van Eeden ou d’un Pieter van der Meer de Walcheren, filleul de Léon Bloy. Les écrits de ce dernier ont d’ailleurs recueilli aux Pays-Bas un plus large écho que ceux de Francis Jammes. 

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésieToutefois, l’auteur du Deuil des primevères y comptait effectivement des admirateurs de premier rang. J. C. Bloem (1887-1966), poète majeur, a composé vers mai 1910 un poème qui s’intitule « Francis Jammes ». Le patronyme réapparaît dans son « Ode » datée du 3 décembre 1914. À ses yeux, le Français est l’un des rares contemporains, avec Yeats et le Hollandais Jacob Israël de Haan (1881-1924), à avoir accompli la tâche par excellence du poète : écrire un poème débarrassé de toute rhétorique – en particulier de la rhétorique « moderne », la pire qui soit –, et qui, dans sa « nudité », s’approche de très près de la prose tout en conservant quelque chose d’indéfinissable qui fait qu’il est et reste un poème. Un essai dédié à ce même J. C. Bloem par Simon Vestdijk (1898-1971), impressionnant essayiste et romancier « qui écrivait plus vite que Dieu ne peut lire », athée déclaré, célèbre de belle façon le Béarnais en estimant que celui-ci à touché à la perfection dans ses quatrains [3]. Moins réputé que J. C. Bloem, mais néanmoins talentueux, A. Marja (1917-1964) a lui aussi composé un poème en l’honneur de l’Orthézien, dans une veine toute jammiste : « De dichter bidt » (Le Poète prie). L’œuvre de Francis Jammes a par ailleurs exercé un réel ascendant sur Pierre Kemp (1886-1967), écrivain de Maastricht, qui le plaçait sur le pinacle, en compagnie de Verlaine et de Mallarmé. Son frère, Mathias Kemp (1890-1964), a laissé un roman – De bonte Storm (1929) – dans lequel il est question d’une femme qui adore « la poésie et le théâtre français. Sully Prudhomme, Rostand et Jammes étaient ses auteurs préférés ». Autre auteur recourant à un personnage qui vénère Jammes : Louis de Bourbon (1908-1975), arrière-petit-fils du célèbre Naundorff. Dans sa nouvelle Eric van Veen’s angstige leven (1936), le narrateur lit à son ami Eric le poème Un jeune homme qui a beaucoup souffert… Quant à J. W. F. Werumeus Buning (1891-1958), il a rendu hommage au rustique Pyrénéen en composant une ballade sur un âne (« Kleine ballade van de schreeuwende ezel »). On pourrait citer d’autres noms, par exemple Herman van den Bergh (1897-1967), P. N. van Eyck (1887-1954) ou bien le catholique Henri Bruning (1900-1983), lequel a retenu un vers de « La Grande nuit [4] » (« Jérusalem pour Toi fut pleine de sanglots ») en exergue à son poème « Jean-Baptiste-Marie Vianney ». Toujours en ce qui concerne les Pays-Bas, et sans faire état des nombreux articles nécrologiques, mentionnons encore quelques références : du spécialiste de Vondel, C. R. de Klerk, un essai en cinq parties sur les Géorgiques chrétiennes dans la revue Van onzen tijd (1916-1917) ; sous la plume de l’essayiste Bernard Verhoeven, un « Francis Jammes » consacré en particulier au Poète rustique [5] ; du romaniste Martin Permys, « Francis Jammes’ gedenk- schriften [6] », une critique sévère de De l’Âge divin à l’Âge ingrat ; de l’ancien anarchiste Alexandre Cohen un témoignage sur La Brebis égarée au Théâtre de l’Œuvre (« Toneel te Parijs », De Telegraaf, 24 avril 1913, édition du soir, p. 5) ; enfin, dans l’Algemeen Handelsblad du 11 janvier 1923, un compte rendu également assez détaillé de la conférence tenue la veille à Amsterdam, à l’invitation de l’Alliance française, par Joseph Delpech sur « Francis Jammes et le Béarn ».

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésie

    l'article d'Alexandre Cohen sur F. Jammes

     

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésieDu côté des Flamands d’expression néerlandaise, certains ont également placé une de leurs œuvres sous l’égide de l’auteur de Pomme d’Anis. On songe en parti- culier au fascinant Maurice Gilliams (1900-1982) : le « premier cahier » de son roman Elias of het gevecht met de nachtegalen (1936, traduit par Saint-Rémy en 1968 sous le titre Élias, ou le Combat contre les rossignols) porte en épigraphe : « La poésie que j’ai rêvée gâta toute ma vie. Ah ! Qui donc m’aimera ? », extraite du Triomphe de la vie, qui résume à la perfection le dilemme habitant le personnage central : le désir de se rapprocher d’un autre être, contrarié par l’incapacité à concilier imaginaire et réalité. Un autre natif d’Anvers, Jan van Nijlen (1884-1965), a lié son nom à celui de Francis Jammes. Après lui avoir consacré un essai en 1912 puis une monographie (Francis Jammes, Leyde, A. W. Sijthoff, 1918), il l’a mentionné régulièrement dans les critiques qu’il a pu écrire.

    Lettre de Jammes à Van Nijlen, 28/08/1919

    (coll° AMVC-Letterenhuis)

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésieSi Van Nijlen est considéré comme l’un des poètes majeurs du XXe siècle flamand, Paul van Ostaijen (1896-1928) occupe pour sa part, aux yeux de beaucoup, la toute première place. Dans son recueil Het sienjaal (1918), on trouve, juste après « Marcel Schwob », un poème intitulé « Francis Jammes » dont Maurice Carême a donné une traduction (Les Étoiles de la poésie de Flandre. Guido Gezelle, Karel van de Woestijne, Jan van Nijlen, Paul van Ostaijen, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1973, p. 183). Autre figure de premier plan, Karel van de Woestijne (1878-1929) est tombé sous le charme du chantre d’Orthez ; on a pu dire que ce poète était un « Jammes virgilien ». Lui-même a bien souvent évoqué le Béarnais dans la chronique littéraire qu’il tenait pour le quotidien hollandais Het Nieuwe Rotterdamsche Courant (par exemple « Francis Jammes : Monsieur le Curé d’Ozéron », 23 mars 1919). Des écrivains moins prestigieux ont également reconnu l’originalité de l’œuvre de Jammes. Ainsi, le prêtre Cyriel Verschaeve (1874-1949), figure incontournable du Mouvement flamand, écrit-t-il dans une lettre rédigée en français : « J’ai toujours aimé la France, pas son gouvernement, mais sa pensée, son noble caractère, ses grands écrivains : Pascal, Molière…, jusqu’à Verlaine, Jammes et Claudel mêmes. » Une empreinte jammiste est visible dans un recueil comme De Avondgaarde (1903) de Victor de Meyere (1873-1938) ou de nombreux poèmes d’August van Cauwelaert (1885-1945). Notons encore que l’Anversois Armand Willem Grauls (1889-1968), poète aujourd’hui oublié, a salué Jammes dans In den tuin (Dans le jardin), évocation candide du fragile bonheur familial.

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésieLes quelques auteurs mentionnés ci-dessus – auxquels il conviendrait sans doute d’ajouter les noms de certains artistes, par exemple les Flamands Camille Melloy, poète et traducteur qui privilégia la langue française – il a consacré 40 pages à Jammes dans son recueil d’essais Le Beau réveil (1922) –, et Alfons Stout, compositeur qui, en 1946, mit en musique « Souhait » (« Comme l’oiseau endormi… ») –, montrent que l’œuvre de Jammes a marqué bien des esprits en Hollande comme en Flandre, et pas uniquement dans les milieux catholiques, même si les revues et la presse confessionnelles lui ont bien entendu accordé une attention plus soutenue que les autres journaux et périodiques [7]. Nous parlons d’une époque où la grande majorité des écrivains d’expression néerlandaise lisaient le français dans le texte ; cette connaissance de notre langue, la simplicité apparente de la prosodie jammiste, mais aussi, dans une certaine mesure, la dimension religieuse de l’œuvre, expliquent certainement le peu d’empressement que l’on a montré à la traduire. Les cercles cléricaux ont préféré faire passer en néerlandais des dizaines de livres d’Henri Ghéon. Aujourd’hui, quelques textes de l’auteur des Clairières dans le ciel résonnent encore à l’occasion dans ces contrées septentrionales. Deux pièces de ce recueil ont par exemple été diffusées le 13 avril 2007 sur Radio 4 (l’équivalent hollandais de France Musique) dans le cadre d’une série d’émissions consacrées à Lili Boulanger – en 1939, les deux artistes avaient fait l’objet d’un article signé par le compositeur Wouter Paap (1908-1981) [8]. En juin 2009, on a lu, dans les deux langues, quelques poèmes de Jammes à la Maison Descartes d’Amsterdam. Relevons encore, pour ce qui est de la présence du Béarnais dans ces terres, que le célèbre éditeur de Maastricht A. A. M. Stols a publié deux volumes de sa correspondance [9]. 

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésie

    F. Melchers, Avril

    (recueil L'An de Th. Braun)

     

    Quelques mots, pour finir, sur l’article de 1920. Il y est bien entendu question du voyage que Francis Jammes a effectué en Flandre et en Hollande vingt ans plus tôt. Parmi les amis que le poète mentionne apparaît le nom de Melchers. Il s’agit de Franz M. Melchers, artiste tombé dans l’oubli et absent de la plupart des encyclopédies des peintres, bien qu’on l’évoque encore en tant qu’illustrateur du recueil L’An (1897) de Thomas Braun. Ce Hollandais frêle et de petite taille, cigarette toujours collée aux lèvres, avait des ancêtres français, néerlandais, javanais et de Bohême. Né le 16 avril 1868 à Münster, neveu d’un cardinal célèbre, il a passé ses jeunes années en Allemagne et dans les Indes néerlandaises, a vécu et travaillé à Bruxelles (jusqu’en 1891 puis vers 1907-1908) – où il a fait ses gammes à l’Académie en 1889 avant d’acquérir seul la technique à force de travail –, à Londres (1891), à Oudenburg en Flandre-Occidentale (1892), à Veere sur l’île zélandaise de Walcheren (jusqu’en 1895 puis, à plusieurs époques de sa vie, dans d’autres localités des Pays-Bas : Delft, Volendam, Baarn, La Haye…), à Paris, à Nice, à Vienne, en Espagne et enfin, à partir de 1939, à Anvers où il s’est éteint le 18 mars 1944.

    F. Melchers

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésiePaysagiste et portraitiste apprécié, il a malgré tout connu plusieurs traversées du désert. Au tournant du siècle, Maurice Maeterlinck ainsi que son ami le romancier flamand Cyriel Buysse, peu habitués pourtant à écrire sur la peinture, lui ont chacun consacré une petite étude. F. Melchers, alors lié avec d’autres artistes flamands, était un familier de la Libre Esthétique. À l’occasion de la septième exposition organisée à Bruxelles (1er-30 mars 1900) par ce Cercle, il faisait partie des peintres exposés tandis que Jammes était l’un des conférenciers invités. Sans doute ont-ils pu à cette occasion converser longuement – en compagnie de leur ami commun Thomas Braun –, d’autant que le Néerlandais avait illustré quelques années plus tôt le poème « On dit qu’à Noël » (œuvre reproduite dans Le Spectateur catholique, décembre 1897).

    Daniel Cunin

     

     

    reproductions non légendées

    La biographie de l’écrivain Pierre Kemp : Wiel Kusters, Pierre Kemp. Een leven, Nimègue, Van Tilt, 2010.

    La biographie du poète et essayiste Jan van Nijlen : Stefan van den Bossche, Jan van Nijlen. De wereld is zoo schoon waarvan wij droomen, Tielt/Amsterdam, Lannoo/Atlas, 2005.

    La photo de la Place de la Poustelle est reproduite dans la monographie que Jan van Nijlen a consacrée à Francis Jammes.

     

    F. Jammes, photo dans  le livre de J. van Nijlen de 1918 

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésie[1] « Frankrijk. Naar de Riviera », Het Vaderland, 26 février 1920, édition du soir.

    [2] « Parijsch Tonneel », Het Vaderland, 6 mars 1921.

    [3] « Francis Jammes en zijn kwatrijnen », étude publiée en octobre 1936 dans le périodique Groot Nederland.

    [4] « La Grande Nuit », Les Géorgiques Chrétiennes, Paris, Mercure de France, 1912, chant III, p. 72-77.

    [5] Het Centrum, 17 décembre 1921.

    [6] Den Gulden Winkel, 1922.

    [7] Le quotidien Het Vaderland relevait, sur le plan idéologique, de la libre pensée et en rien d’une mouvance chrétienne.

    [8] « Francis Jammes en Lili Boulanger », Elsevier’s Geïllustreerd Maandschrift, p. 67-69.

    [9] Dialogue. Stéphane Mallarmé – Francis Jammes. 1893-1897, introduction et notes de G. Jean-Aubry, La Haye, 1940, et Francis Jammes et Valery Larbaud, lettres inédites, introduction et notes de G. Jean-Aubry, Paris/La Haye, 1947.

     

     

     Cahiers Francis Jammes n° 2-3 (octobre 2014)

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésie

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésie

     

     

  • Une page de Paul Verlaine

    Pin it!

     

     

    En compagnie du peintre orientaliste

    Ph. Zilcken

     

     

    paul verlaine,philippe zilcken,hollande,littérature,poésie,gravure,voyage,joséphin péladan

     

     

    Le 19 janvier 1896, Les Annales politiques et littéraires publient une page de prose de Verlaine. Elle relate un épisode de son séjour en Hollande (novembre 1892) au cours duquel il a en particulier bénéficié de l’hospitalité du peintre et graveur francophile Philippe Zilcken ; celui-ci occupait alors, avec son épouse et leur fillette Renée, la Hélène-Villa à La Haye. Dès 1893, à l’initiative de l’artiste néerlandais et du libraire-éditeur Blok, les quelques paragraphes en question avaient été publiés avec diverses considérations et quelques poèmes du voyageur : Paul Verlaine, Quinze jours en Hollande, lettres à un ami, avec un portrait de l’auteur par Ph. Zilcken. Deux ans après la mort du poète devait suivre un deuxième volume : Correspondance et documents inédits relatifs à son livre Quinze jours en Hollande, avec une lettre de Stéphane Mallarmé et un portrait de Verlaine écrivant d’après la pointe sèche de Ph. Zilcken sur un croquis de J. Toorop. Les lettres que Verlaine adresse à son correspondant hollandais privilégié montrent que ce dernier lui a fourni maints renseignements qui ont servi la rédaction de l’ouvrage de 1893 ; on constate par ailleurs que, pour ce travail, la motivation première de l’auteur de Jadis et naguère, constamment aux abois, semble bien avoir été l’argent.

    Jan Toorop dessiné par Verlaine

    paul verlaine,philippe zilcken,hollande,littérature,poésie,gravure,voyage,joséphin péladanLa page reproduite dans Les Annales politiques et littéraires, mettant en avant la rencontre entre Paul Verlaine et Joséphin Péladan à La Haye, fait l’impasse, gommage symptomatique, sur un bref passage relatif aux hommes de lettres des Pays-Bas ; elle ne restitue pas non plus vraiment les circonstances qui ont conduit à ces fortuites retrouvailles. Après avoir séjourné à Amsterdam où il a pris la parole en public le 8 novembre (voir invitation ci-dessous qui mentionne : lassistance est priée de ne pas applaudir) et le 11, Verlaine et Zilcken quittent les peintres Willem Witsen et Isaac Israëls et, en compagnie de Jan Toorop, prennent le train. C’est dans un café de La Haye où, à l’abri de la pluie diluvienne, ils font halte avant de regagner la Hélène-Villa, qu’ils découvrent deux affiches annonçant la conférence de Péladan.

    paul verlaine,philippe zilcken,hollande,littérature,poésie,gravure,voyage,joséphin péladanLe lendemain, lorsque Verlaine rejoint Zilcken dans son atelier, ce dernier lui parle des  écrivains néerlandais majeurs de l’époque : « Avec Kloos et Verwey, Delang, un partisan de ce dernier, Frederic van Eeden, très doux et très goûté (je me souviens de sa poignée de main a Amsterdam), sont les principaux poètes modernes de la Hollande. Son peut-être plus grand prosateur serait van Deyssel, dont l’éloge presque hyperbolique est dans toutes les bouches compétentes de là-bas. » À l’exception de Delang – pseudonyme de Gerrit Jan Hofker (1864-1945) –, collaborateur de la revue De nieuwe Gids puis de De Kroniek, qui n’a laissé semble-t-il qu’un recueil de textes, très appréciés et caractéristiques de la mouvance littéraire hollandaise des années 1880 (Gedachten en verbeeldingen, 1906), il s’agit en effet de quelques-unes des plus grandes figures de leur temps, tous alors encore très jeunes. Verlaine les a rencontrés lors de son séjour de même quil a fait, toujours par l’entremise de Zilcken, la connaissance de la nouvelle génération de peintres hollandais.

    Verlaine dans latelier du peintre Willem Witsen

    paul verlaine,philippe zilcken,hollande,littérature,poésie,gravure,voyage,joséphin péladanDu graveur haguenois qui a joué un rôle considérable dans les échanges entre son pays et la France, le poète écrit : « C’est un type que mon hôte, un type achevé d’étranger parlant aussi bien le français que vous ou moi sans nul accent ni jamais une faute, un type d’artiste connaissant mille choses en dehors, d’une conversation variée et instructive et incisive, et qu’on écouterait tout le temps. Fils d’un haut employé du gouvernement, il fut, dans son adolescence, secrétaire intime officieux de la grande reine Sophie, cette seule amie, l’Égérie en quelque sorte de l’infortuné Napoléon III qui, s’il l’eût écoutée, se fût et nous eût épargné la guerre de 1870. Physiquement parlant, Zilcken répond aussi peu que possible à l’idée qu’on se fait d’un Hollandais… d’après beaucoup, les peintres flamands, d’après aussi la littérature, par exemple d’après ce merveilleux Diable dans le beffroi, d’Edgar Poe, avec le masque de qui, du reste son masque présente une certaine analogie générale. Le pot-à-tabac classique fait place en lui à un grand jeune homme, maigre, élancé, toujours en mouvement. Il a une grande réputation de peintre et de graveur dans son pays et est loin d’être un inconnu dans nos expositions nationales et privées où le succès l’accueille annuellement. »

    La traduction française de plusieurs écrits néerlandais relatifs au séjour de Paul Verlaine et aux heures passées avec Péladan figure dans : G. Jean-Aubry, « Verlaine en Hollande », Mercure de France, 1er juin 1923, p. 318-353. Une belle étude qui se termine par ces mots : « Aujourd’hui encore la Hollande est un des pays où il est le plus aisé à un Français de mesurer l’étendue de son ignorance. »

     

    paul verlaine,philippe zilcken,hollande,littérature,poésie,gravure,voyage,joséphin péladan

     Ph. Zilcken, aquarelle, 1910

     

     

    SOUVENIRS DE VOYAGE

     

    [Paul Verlaine est beaucoup plus célèbre par ses vers que par sa prose. Voici pourtant une page peu connue que nous offrons à la curiosité de nos lecteurs. C’est le récit, plein de bonhomie, d’une excursion en Hollande… Le poète avait été convié, il y a quelques années, à faire une conférence à Amsterdam. Et il eut l’occasion, se trouvant dans cette ville, d’ouïr un autre conférencier.]

     

     

    UNE CONFÉRENCE DU SÂR PÉLADAN

     

    Nos yeux tombent sur deux affiches (les mêmes) étonnantes représentant de grandeur demi-nature, le Sâr Péladan en robe monacale, les yeux baissés, sa crinière et sa barbe légendaires aspirant, eux aussi, ainsi que le nez – rien de celui du père Aubry, d’Atala, – à la terre.

    En exergue, l’annonce pour le lendemain d’une conférence sur la Magie et l’Amour (si je ne me trompe trop grossièrement). L’heure, huit heures du soir.

    Munis de ces renseignements, nous continuons notre route jusqu’à chez Zilcken qui ne nous en veut pas trop du train manqué et de sa course inutile.

    Le lendemain, quelle joie ! Rien à faire : on a beau dire, le repos est bon. Et quelques pures véritablement délices que m’aient procurées trois publics mieux accueillant l’un que l’autre, y penser et y repenser m’était alors et m’est encore plus doux, s’il est possible, que le contact, si j’ose ainsi parler. Plus de conférence à préparer, à débiter, rien qu’une à entendre, et quelle !

    Péladan par A. Séon, 1892 

    paul verlaine,philippe zilcken,hollande,littérature,poésie,gravure,voyage,joséphin péladanJ’ai toujours fait en Joséphin Péladan la différence entre l’homme de talent considérable, éloquent, profond souvent, et que tous ceux capables de comprendre et d’apprécier, doivent, sous suspicion de mauvaise foi insigne, admettre sinon admirer au moins en grande partie, et le systématique, le sans doute très sincère mais le certainement trop encombrant sectaire, qu’il se dénomme Sâr ou Mage, à qui Barbey d’Aurevilly disait déjà dans une préface à son Vice suprême, « n’usez donc de magie que de celle du talent ».

    Thé-déjeuner, café au salon, où Mlle Renée me montre ses beaux albums « zaponais » et un oiseau qu’une ficelle meut en tous sens. Je crois même me rappeler qu’il « chantait », au grand émoi du serin qui lui répondait vigoureusement. Passage à l’atelier où Zilcken m’initie encore à la littérature moderne néerlandaise.

    Mais l’on ne peut bavarder sans cesse. Je monte faire une petite sieste, chose, la sieste, qui m’est familière surtout depuis six ans que ma santé se trouve si détraquée, et que je n’ai pu pratiquer ici jusqu’à ce bienheureux jour d’un battage de flemme si bien gagné.

    Je sommeillais tant et si bien en bras de chemise, recouvert de mon pardessus et d’un édredon, que force fut à mes hôtes d’envoyer la bonne, qui parlait un peu anglais, laquelle dut frapper plusieurs fois à la porte en me criant dans un accent néerlandais indubitable et inimitable ici : « Get up, Sir. Dinner is ready. »

    « I will be down stairs directly », répondis-je, et, après une toilette rapidement menée, je descendis pour le dîner – et pour la conférence de Péladan comme dessert de haut goût.

    La salle où Péladan doit parler est celle du Kunstkring, le cercle d’art des « « jeunes » de La Haye. Assez grande, en long, plutôt faiblement éclairée.

    Isaac Israëls, Autoportrait

    paul verlaine,philippe zilcken,hollande,littérature,poésie,gravure,voyage,joséphin péladanNous arrivons quand le conférencier est en chaire. – Un mot de description ne nuira pas, je pense. Tout au bout de la salle s’élève une véritable tribune ; de la tablette de cette tribune tombe une chasuble rouge à croix jaune qui la cache entièrement. À droite et à gauche, dans des chandeliers d’église, brûlent quatre cierges, dont deux ont des proportions de cierges pascals et les deux autres celles de cierges d’autel. Péladan, que je connais un peu de Paris, apparaît de loin, en son habit noir à jabot et à manchettes, – bizarre mais d’une grande distinction sui generis. La voix est bonne, sui generis aussi, grave, un peu faible. Il parle de magie, d’anges, de fils d’anges. Bref, c’est le Péladan contestable, mais encore « talentueux ». Il descend de la tribune au bout de quelque temps pour se reposer, comme c’est la clémente coutume là-bas. Le public est indécis. Il faut bien dire qu’il est venu là un peu dans l’espoir de voir un excentrique, disons le mot, un grotesque. Une réaction dans le bon sens se prépare qui éclate en vifs applaudissements, quand, dans la seconde partie, après avoir finement… et malicieusement, de parti pris, parbleu ! parlé ou plutôt jasé des femmes, il s’éleva, se sublimifia dans une sorte d’invocation cette fois presque tout à fait très chrétienne, sans plus de magie que de droit pour un homme si infatué de cette véritable croyance sienne. Zilcken (j’ai dit qu’il m’avait accompagné) et moi nous descendons dans un local où Péladan, entouré et félicité, se délassait de la solennité de son discours de tout à l’heure en paradoxes amusants, et le charmant causeur qu’il est se donnait pleine carrière. Je profitai d’une seconde de silence pour m’avancer vers lui. Il me reconnut sur-le-champ et nous nous serrâmes cordialement la main. Après quelques coupes de champagne vidées, chacun s’en fut chez soi, après s’être toutefois donné un rendez-vous pour le lendemain au Restaurant royal, où un déjeuner en l’honneur du Sâr devait être donné.

    paul verlaine,philippe zilcken,hollande,littérature,poésie,gravure,voyage,joséphin péladanLe lendemain, à l’heure ordinaire, nous nous rendîmes, Zilcken, sa femme et moi, au Restaurant Royal, – où j’ai oublié de dire qu’on m’avait précédemment offert un banquet qui fut très cordial et très joyeux. La compagnie était déjà nombreuse. On n’attendait plus que le Sâr. Il vint bientôt accompagné de deux autres convives. Un bonnet d’astrakan, un pourpoint de soie, des bottes de chamois blanches, et un manteau composaient son costume. Et vive lui ! de se moquer du qu’en dira-t-on et d’arborer les vêtements qui lui plaisent, tandis que la majorité même des artistes s’habille comme tout le monde et que le même faux col étrangle le cou de l’aigle et celui de l’oie !

    Mais on se met à table ; Péladan et moi, entre deux dames. Vous dire les adorables méchancetés, parfois le latin qu’il m’envoyait plutôt pour gentiment taquiner ces dames, qu’à cause des énormités qu’il était censé contenir, les mots sans nombre, bref toute la joliesse de sa conversation, tâche au-dessus de moi, rêve !

    Après son départ pour une célèbre plage toute voisine, Scheveningen, ce ne fut qu’un concert de palinodie. On revenait sur lui, et il quitta, le lendemain, La Haye pour Paris, emportant avec de sérieuses promesses de la plupart des peintres de la ville et de la région pour son salon des Rose + Croix dont il est comme on sait le Grand Maître, l’estime, la sympathie, j’oserai ajouter – je souligne : j’oserai, car c’est un homme si contredit – un commencement d’admiration pour l’immense talent et le génie (au fond) que je lui trouve.

     

    PAUL VERLAINE

    Les Annales politiques et littéraires, 19 janvier 1896, p. 36

     

     

    paul verlaine,philippe zilcken,hollande,littérature,poésie,gravure,voyage,joséphin péladan

    Ph. Zilcken, Portrait de Paul Verlaine, gravure 

     

     

     

     À propos de « Péladan et Verlaine », lire ci-dessous la contribution de Christophe Beaufils publiée dans les dossiers H Les Péladan, 1990, p. 184-185

     

     

    paul verlaine,philippe zilcken,hollande,littérature,poésie,gravure,voyage,joséphin péladan

     

    L’artiste extrêmement doué Johan Thorn Prikker (1868-1932) (mosaïque ci-dessus) a laissé un témoignage sur le séjour septentrional de Verlaine et la rencontre avec Péladan. Il figure dans un recueil de lettres : Brieven van Johan Thorn Prikker, met een voorwoord van Henri Borel, 1897. G. Jean-Aubry en offre une traduction (réalisée avec le concours de ses correspondants hollandais) dans sa contribution au Mercure de France (1er juin 1923, p. 341-344). En voici l’essentiel :

    paul verlaine,philippe zilcken,hollande,littérature,poésie,gravure,voyage,joséphin péladan

    paul verlaine,philippe zilcken,hollande,littérature,poésie,gravure,voyage,joséphin péladan

    paul verlaine,philippe zilcken,hollande,littérature,poésie,gravure,voyage,joséphin péladan

    paul verlaine,philippe zilcken,hollande,littérature,poésie,gravure,voyage,joséphin péladan

     

     

    paul verlaine,philippe zilcken,hollande,littérature,poésie,gravure,voyage,joséphin péladan

     

     

  • Un petit défaut

    Pin it!

     

     

    Rentrée littéraire

     

     

    Œuvres théâtrales et poétiques posthumes de Charles-Louis Fournier, portant  en épigraphe :

    Audacia mixta pudori,

    vol. I, à Ypres, chez Annoy - Vandevyver, 1820.*

      

    karel-lodewyk fournier,le mercure belge,jan frans willems,belgique,pays-bas,littérature,théâtre,traduction,poésie

     

     

    M. Fournier, né à Ypres le 21 février 1730, mort le 28 août 1803, était un galant-homme qui cultivait les lettres, son jardin, ses amis, et qui aimait fort le théâtre. On ne l’a guères connu de son vivant, ce qui ne l’a pas rendu moins heureux ; on ne le connaîtra pas plus après sa mort, ce qui importe peu à son ombre, mais beaucoup à son éditeur. M. Fournier était donc le meilleur homme du monde ; il avait de l’esprit, chose qui ne gâte rien, et il était caustique, manie qui gâte souvent les plus belles qualités.

    M. Annoy Vandevyver qui se charge de publier six volumes de traductions de pièces de théâtre, ainsi que les poésies trouvées dans les papiers de M. Fournier, a tracé habilement le portrait de son ami dans ces vers qui seraient bons sans un petit défaut :

     

    Le talent, le mérite ont été son partage ;

    Il était vertueux, il abhorrait le faux ;

    Il serait immortel sans un petit défaut :

    Il aimait le sarcasme. Oh Dieu ! c’est bien dommage ! (1)

     

    C’est bien dommage que M. Fournier ne vive plus : il ferait des pièces nationales, en langue nationale, et le Recensent ook der recensenten (2) le mettrait à côté de MM. Willems et Vervier (3).

    Le volume que nous annonçons contient le Café, opéra comique, le Légataire, de Regnard, le Trompeur trompé, l’École des Bourgeois, Annette et Lubin et les Deux Billets.

     

    * (X, « Naergelaetene tooneelstukken en Rymwerken van Karel-Lodewyk Fournier ; met deze epigr. Audacia mixla pudori, Eerste deel, te Yperen, by Annoy - Vandevyver, 1820, 400 pp. » Le Mercure belge, 31 mars 1821, p. 396)

     

    (1) L’avant-propos mentionne que ce quatrain est d’un contemporain du défunt ; dans le volume lui-même, le derniers vers est ainsi formulé : « Il aimait le sarcasme. Oh Dieux c’est bien dommage ! »

    (2) Périodique ayant existé de 1805 à 1864.

    (3) Jan Frans Willems (1793-1846), homme de lettres et grande figure du mouvement flamand. Jan Baptist Vervier (1750-1818), Gantois défenseur de la langue flamande (Op het herstel der Moedertaal in de Zuidelijke Nederlanden,1815) ou, plus probablement, Karel August Vervier (1789-1872), poète ami de Willems.

      

    karel-lodewyk fournier,le mercure belge,jan frans willems,belgique,pays-bas,littérature,théâtre,traduction,poésie

    Ypres, plan des fortifications, vers 1775

     

     

    Écrits posthumes d’un poète,

    rhétoriqueur et traducteur d’Ypres

      

    Cette annonce, à la fois lapidaire et cocasse, figure dans le Mercure belge du 31 mars 1821. Ce périodique, qui a paru de 1817 à 1821, accordait une certaine place aux lettres hollandaises et flamandes à travers des comptes rendus, mais aussi des traductions. L’un de ses fondateurs, Louis-Vincent Raoul (1770-1848) – Français devenu sujet de sa majesté Guillaume Ier en 1816 – jouissait d’ailleurs dune certaine renommée comme traducteur des auteurs classiques.

    Jacob Cats

    karel-lodewyk fournier,le mercure belge,jan frans willems,belgique,pays-bas,littérature,théâtre,traduction,poésieD’aucuns ont vu en Karel-Lodewyk Fournier un préromatique. Un commentateur lui consacre quelques paragraphes en le rangeant auprès d’une poignée de « poetæ minores »*. Un autre en fait un épigone raté du poète « domestique » Jacob Cats (1577-1660), précisant que ses vers graves sont de la prose rimaillante, ses vers burlesques des cochoncetés : 

    Ils fument, galochent avec une fougue telle

    Que bave et tabac suent sur les joues des donzelles.

     

    On a aussi critiqué le néerlandais de l’Yprois en raison d’une trop grande « contamination » du vocabulaire par le français. Toutefois, un historien de la littérature lui reconnaît certains mérites : le manque d’originalité de ses pièces de théâtre – sa production consiste pour une bonne part en des traductions ou des imitations de comédies de Molière (Le Malade imaginaire), Regnard, Florian, Desforges, Lesage (Crispin rival de son maître), Favart, Marmontel, d’Allainval … – est compensé par une belle spontanéité dans la formulation et un sens incontestable du pittoresque et du drolatique. Ses poèmes – pour la plupart « de circonstance » – revêtent sans doute une certaine valeur historique puisqu’ils ont été composés à une époque où les lettres flamandes faisaient leur purgatoire.

    Louis-Vincent Raoul

    karel-lodewyk fournier,le mercure belge,jan frans willems,belgique,pays-bas,littérature,théâtre,traduction,poésieÀ plusieurs reprises, Fournier émet d’ailleurs l’espoir de voir renaître les arts de sa contrée dans toute leur splendeur (Schept moed, ô Teekenjeugd! volgt de doorlugte vaders, / Den aerbeid miek ze groot: hun bloed doorvloeye uwe aders! / Dat Neêrland eertyds kon, dat kan het nog bestaen / Den weg die leid tot eer is hier een vrye baen.) ; il ne manque pas, au passage, de se moquer de la francomanie de ses concitoyens en vue et de s’opposer aux philosophes français de l’époque.

    Karel-Lodewyk Fournier maniait, en plus de la plume, le pinceau. Il avait fait ses gammes à Paris où est semble-t-il née sa passion pour le théâtre. En 1784, il a épousé une certaine Benedicta Nègre. Dans ses terres, il a eu le bonheur de voir jouer plusieurs de ses créations et de ses traductions. Les six volumes de ses œuvres annoncés par le Mercure belge virent effectivement le jour en 1820-1821. Malgré le souhait de l’éditeur, ils n’ont pas résisté « à la rouille du temps ».

    Attaché à sa langue maternelle, Fournier a tout de même commis quelques pièces en français, par exemple un « Conte épigrammatique » et une « Pillule (sic) épigrammatique » :

     

    Pillule épigrammatique

     

    D’où vient, demandait Galathé,

    Que Diaphoor, ton médecin

    Ne m’a pas encor rapporté

    Mon livre, qu’il promit de rendre

    Le lendemain ?

    Ceci m’est facile à comprendre,

    Disait Cloris ; ne m’a-t’il pas

    Promis qu’il guérirait Colas ?

    Et voilà Colas dans la bière.

    De ce que dit un médecin,

    De ce que dit l’esprit malin,

    Le plus sûr est de croire le contraire.

     

     

    * G. Degroote, « Poetæ Minores »,

    in Miscellanea J. Gessler, I,

    1948, p. 364-375.

     

      

  • Forces occultes aux Indes néerlandaises

    Pin it!

     

     

    Un roman de Louis Couperus

    lu par Alexandre Cohen

     

     

    louis couperus,alexander cohen,alexandre cohen,de stille kracht,la force des ténèbres,indonésie,java,insulinde,littérature,mercure de france,pays-bas

     

     

    S’il existait un concours pour « récompenser » la couverture la plus hideuse de l’histoire de l’édition française, celle de La Force des ténèbres (1) – roman « indonésien » de Louis Couperus (1863-1923) – entrerait en lice avec à coup sûr, à la clé, un premier ou un deuxième accessit. À n’en pas douter, elle aurait affligé l’auteur, homme raffiné extrêmement soucieux de l’aspect que revêtaient ses publications : une bonne part de la correspondance qu’il a échangée avec son éditeur porte sur ces questions esthétiques.

    Stille0.pngLe volume qu’a tenu entre ses mains le critique Alexandre Cohen, paru sous le titre De stille kracht à Amsterdam chez L.J. Veen en novembre 1900, ressemblait sans doute à la reproduction ci-contre (de cette première édition que l’on doit à Chr. Lebeau, il existe différentes reliures). Quand il le reçoit à Paris où il est de retour depuis peu après son exil londonien et un séjour forcé en Hollande, il a déjà eu l’occasion de lire l’œuvre grâce à la prépublication offerte par le périodique De Gids (prépublication qu’il annonce dans la livraison du Mercure de France de juillet 1900 en traduisant le titre par « Les Forces Mystérieuses »). Cohen ne semble pas avoir réellement goûté les romans de Louis Couperus. Un style trop précieux, trop melliflue sans doute pour ce rebelle qui, marqué par la lecture des œuvres de Multatuli, préférait une veine plus caustique.

    Louis Couperus

    Louis Couperus, Alexander Cohen, Alexandre Cohen, De stille kracht, La force des ténèbres, Indonésie, Java, Insulinde, littérature, Mercure de France, Pays-Bas  Il exprime plusieurs réserves auxquelles H. Messet – qui a tenu après lui la chronique des lettres néerlandaises pour le Mercure de France – viendra en ajouter quelques-unes. Ce dernier reconnaît certes à l’écrivain haguenois « richesse de l’imagination », « éclat et velouté de la langue » ainsi qu’« une assez grande virtuosité ». À ses yeux, Couperus « possède à un haut degré l’art de la composition, et c’est bien quelque chose. Il ne manque pas non plus d’un certain talent épique, je veux dire que, dans un même roman, il sait, comme Tolstoï, faire vivre un assez grand nombre de personnages, chacun dans sa propre sphère. Il l’a prouvé jadis dans Eline Vere et récemment encore dans les Livres des petites âmes. On pourrait lui reprocher d’abuser de ce don, mettant quelquefois dans un seul roman autant de personnages que d’autres, et de plus vraiment épiques, en mettent dans tout un cycle. » Mais le chroniqueur – qui porte son admiration sur Israël Querido – lui reproche son emphase, son clinquant, une absence « de profondeur philosophique » : « C’est brillant, oh ! très brillant ; mais souvent cela ressemble étrangement à un beau feu d’artifice ; tant qu’on voit ces soleils tournants et ces lumineuses fusées on admire, on est ébloui parfois ; mais l’impression n’est pas durable ; on s’en revient un peu désillusionné, les sens seuls ont joui, l’âme à peine a été effleurée. » (H. Messet, « La littérature néerlandaise après 1880 (suite) », Mercure de France, 1er décembre 1905, pp. 357 et 358). H. Messet admet toutefois que Louis Couperus a été l’un « des premiers à parler en artiste ému des Indes et de leurs habitants » (« Lettres néerlandaises », Mercure de France, 1er mai 1906, p. 153). (2)

    une des nombreuses rééditions

    louis couperus,alexander cohen,alexandre cohen,de stille kracht,la force des ténèbres,indonésie,java,insulinde,littérature,mercure de france,pays-basOn ne sera pas trop surpris de voir Alexandre Cohen proposer une lecture essentiellement politique de De stille kracht – les passages qu’il donne en traduction sont assez révélateurs (3) –, histoire qui privilégie pourtant la belle langue et dont le vrai sujet, ainsi que le rappelle Jamie James (4), est « la mystique des choses concrètes sur cette île de mystère qu’est Java ». À l’époque, Cohen a en grande partie renoncé à ses convictions anarchistes pour défendre un individualisme forcené. Bien qu’il soit à la veille d’entrer au service du Figaro, il demeure profondément révolté par bien des injustices ; pour ce qui est de la politique coloniale menée par son pays d’origine en Insulinde, son indignation dépasse celle de son maître à penser Multatuli (5).

    Cohen rentrant des Indes, avril 1905

    louis couperus,alexander cohen,alexandre cohen,de stille kracht,la force des ténèbres,indonésie,java,insulinde,littérature,mercure de france,pays-basSes prises de position tiennent pour une part au traitement que lui ont réservé la justice française (Procès des Trente) et la justice hollandaise (six mois de prison pour outrage à la personne du roi Guillaume III), mais elles ont surtout leurs sources dans ce qu’il a vécu en Indonésie : « L’expérience fondamentale à la base de son choix de l’anti-autoritarisme fut son séjour, entre 1882 et 1887, dans l’armée royale des Indes néerlandaises (Koninklijk Nederlandsch-Indisch Leger, KNIL). En raison de ses manquements à la discipline – savoureusement décrits dans ses souvenirs –, Cohen passa trois de ces cinq années dans des prisons militaires. » (6) Les épreuves en question et l’impétuosité de sa nature (7) expliquent sans doute le ton de sa recension du roman de Couperus. Si ce livre revêt une certaine valeur, nous dit-il en quelque sorte, c’est parce qu’il prophétise la fin de la période coloniale. Alexandre Cohen a vécu suffisamment longtemps pour célébrer, près d’un demi-siècle plus tard, depuis Toulon, la fin de la domination batave sur l’archipel indonésien. À moins qu’il n’ait opéré entre-temps un revirement sur cette question comme il a pu le faire sur bien d’autres.

    une des traductions en anglais

    louis couperus,alexander cohen,alexandre cohen,de stille kracht,la force des ténèbres,indonésie,java,insulinde,littérature,mercure de france,pays-basLa stille kracht ou « force silencieuse », « traduc- tion du malais guna-guna, désigne les pratiques de magie noire qui sont au centre d’une intrigue où transparaissent les inquiétudes coloniales hollandaises […] Le protagoniste, Van Oudijck, consciencieux résident de la région de Labuwangi, à Java, va déchaîner la ‘‘force silencieuse’’ en demandant la destitution d’un haut fonctionnaire javanais corrompu. Aussitôt, des phénomènes inexplicables vont accabler sa famille. Il parviendra un moment à les juguler, mais son épouse Léonie va alors se livrer à la débauche. Son inconduite va finalement provoquer le démembrement et le déshonneur de sa famille. En butte à l’hostilité javanaise et à la corruption de son propre milieu familial, Van Oudijck renonce à ses idéaux. Il finit par démissionner pour se retirer dans un village de Java en compagnie d’une jeune métisse ». (8)

    D.C.

     

    (1) Louis Couperus, La Force des ténèbres, traduit du néerlandais par Selinde Margueron, préface de Philippe Noble, Paris, Le Sorbier, 1986. Il existe une nouvelle traduction anglaise de la main de Paul Vincent : The Hidden force, Pushkin Press, 2012. Paul Ver- hoeven projette de porter le roman à lécran.

    louis couperus,alexander cohen,alexandre cohen,de stille kracht,la force des ténèbres,indonésie,java,insulinde,littérature,mercure de france,pays-bas(2) Il faudra semble-t-il attendre un J.-L. Walch pour entendre une voix vraiment enthousiaste dans le Mercure de France : « J’ai déjà précédemment parlé de la grande diversité de cet écrivain : Herakles en est un nouveau témoignage. C’est un récit dans lequel l’auteur nous fait pénétrer à sa suite dans le monde mythologique. Toute l’Antiquité revit dans sa grâce, sa clarté, sa beauté puissante et consciente d’elle-même. C’est le monde mythique dans toute sa joie, dans sa splendide candeur. Toute grandiloquence est évitée ; le sujet est traité d’une façon réaliste. L’auteur y donne libre cours à la joie que lui-même il éprouve à créer ces fables, et l’élan qui l’anime nous fait oublier la longueur de son récit. La langue si fine et si sensible de Couperus maniée avec la plus grande souplesse détaille toutes les nuancés de sa pensée. Des livres comme Dionysos et Herakles représentent des spécimens tout à fait isolés dans notre littérature ; aucune œuvre ne peut leur être comparée. » (« Lettres néerlandaises », Mercure de France, 16 novembre 1914, p. 869.)

    Couperus en Indonésie (1899)

    louis couperus,alexander cohen,alexandre cohen,de stille kracht,la force des ténèbres,indonésie,java,insulinde,littérature,mercure de france,pays-bas(3) Alexander Cohen traduit  quelques phrases de la section 2 du chapitre 4 : « En het is alsof de overheerschte het weet en maar laat gaan de stuwkracht der dingen en afwacht het heilige oogenblik, dat komen zal, als waar zijn de geheimzinnige berekeningen. Hij, hij kent den overheerscher met eén enkelen blik van peildiepte; hij, hij ziet hem in die illuzie van beschaving en humaniteit, en hij weet, dat ze niet zijn. Terwijl hij hem geeft den titel van heer en de hormat van meester, kent hij hem diep in zijn democratische koopmansnatuur, en minacht hem stil en oordeelt hem met een glimlach, begrijpelijk voor zijn broeder, die glimlacht als hij. Nooit vergrijpt hij zich tegen den vorm van de slaafsche knechtschap, en met de semba doet hij of hij de mindere is, maar hij weet zich stil de meerdere. Hij is zich bewust van de stille kracht, onuitgesproken: hij voelt het mysterie aandonzen in den ziedenden wind van zijn bergen, in de stilte der geheimzwoele nachten, en hij voorgevoelt het verre gebeuren. Wat is, zal niet altijd zoo blijven: het heden verdwijnt. Onuitgesproken hoopt hij, dat God zal oprichten, wat neêr is gedrukt, eenmaal, eenmaal, in de ver verwijderde opendeiningen van de dageradende Toekomst. Maar hij voelt het, en hoopt het, en weet het, in de diepste innigheid van zijn ziel, die hij nooit opensluit voor zijn heerscher. » (p. 181-182 de l’édition originale, 1900). Il y accole quelques lignes de l’avant-dernier paragraphe du roman : « dat wat blikt uit het zwarte geheimoog van den zielgeslotenen inboorling, wat neêrkruipt in zijn hart en neêrhurkt in zijn nederige hormat, dat wat knaagt als een gift en een vijandschap aan lichaam, ziel, leven van den Europeaan, wat stil bestrijdt den overwinnaar en hem sloopt en laat kwijnen en versterven, heel langzaam aan sloopt, jaren laat kwijnen, en hem ten laatste doet versterven, zoo nog niet dadelijk tragisch dood gaan » (ibid., p. 211)

    (4) Jamie James, Rimbaud à Java. Le voyage perdu, traduction de Anne-Sylvie Homassel, Paris, Les Éditions du Sonneur, 2011.

    (5) En cette même année 1901, A. Cohen publie à la Société du Mercure de France une traduction de textes de Multatuli sous le tire Pages choisies.

    (6) Ronald Spoor, « Alexandre Cohen ». A. Cohen devait effectuer un autre séjour dans l’archipel : « Grâce à ses relations avec Henry de Jouvenel, il fut chargé en 1904 par le gouvernement français d’une enquête comparative en Indochine et dans les Indes néerlandaises portant sur l’éducation et les services sanitaires. Avec un certain plaisir, il visita les prisons où il avait été détenu quelques années plus tôt. Il trouva des arrangements avec les journaux Het Nieuws van den Dag van Nederlandsch-Indië et Soerabaiasch Handelsblad pour des collaborations à partir de Paris. » (ibid.)

    stille3.png(7) Il est amusant de voir que Cohen, prompt à en découdre par la plume comme avec les poings, s’en est pris un jour à un adjoint d’un frère de Louis Couperus. Dans une lettre du 26 janvier 1905 qu’il envoie de Solo (sur l’île de Java) à sa compagne Kaya Batut, il écrit : « […] j’ai copieusement engueulé l’assistent-résident de Djocdja […] Figure-toi que ce mufle – à qui j’avais à demander une introduction pour le directeur de l’École normale – non content de me laisser debout dans son bureau (lui restant assis) me parla sur un ton absolument inconvenant. Après m’être emparé d’une chaise, j’ai dit son fait à ce monsieur… À Paris les détails ». (Alexander Cohen. Brieven 1888-1961 [Correspondance d’Alexandre Cohen. 1888-1961], éd. Ronald Spoor, Amsterdam, Prometheus, 1997, p. 291). Cohen se demandera plus tard sil sagissait ou non dun frère de Louis Couperus, mais ça ne semble pas être le cas.

    (8) Jean-Marc Moura, « L’(extrême-)orient selon G. W. F. Hegel - philosophie de l’histoire et imaginaire exotique », Revue de littérature comparée, 2001, n° 297, p. 27.  L’analyse « idéologique » de l’œuvre a été menée par Henri Chambert-Loir, « Menace sur Java : La Force silencieuse de Louis Couperus (1900) », in D. Lombard et al. (eds), Rêver l’Asie. Exotisme et littérature coloniale aux Indes, en Indochine et en Insulinde, Paris, EHESS, 1993, p. 413-421. 

     

    Stille1.png

     première page manuscrite du roman

     

     

    Louis Couperus : De Stille kracht

     

     

    téléfilm basé sur le roman (1974)

    louis couperus,alexander cohen,alexandre cohen,de stille kracht,la force des ténèbres,indonésie,java,insulinde,littérature,mercure de france,pays-basLa Force silencieuse, c'est – « dans cette terre de mystère qu’est l’île de Java » – la force occulte qui un jour assurera à la race vaincue la victoire sur ses oppresseurs… « L’indigène le sait et il laisse aller les choses en attendant l’heure sa- crée… Quant a lui, il a sondé son oppresseur d’un seul regard. Il l’a pénétré dans son illusion de civilisation et d’humanité, qui, il le sait, ne sont pas. Et tandis qu’il lui donne le titre de seigneur et le hormat (les honneurs) dû au maître, il l’a deviné dans son bas mercantilisme, et il le méprise, et il le juge d’un sourire dédaigneux, intelligible seul pour son frère, qui sourit comme lui. Il ne se révolte jamais contre ces formes extérieures de la soumission absolue, et par son sembah (salut), il semble reconnaître son infériorité. Mais dans le plus intime de son âme il se sait le supérieur. Il a conscience de la force silencieuse, sans jamais en parler. Il en devine la présence dans les vents torrides de ses montagnes, dans l’étrange silence des nuits tièdes, et il pressent les événements encore lointains. Ce qui est, ne sera pas toujours : le Présent s’évanouira. Il sait que Dieu relèvera ce qui est abaissé. Il le sait, et il le sent, et il l’espère dans le plus profond de son âme que jamais il n’ouvre à son dominateur. […] C’est la force silencieuse qui luit dans le regard sombre de l’indigène, qui se tient cachée dans son cœur et qui s’accroupit dans son salut humilié. C’est elle qui corrode, tel un poison et comme une inimitié implacable, le corps et l’âme et la vie de l’Européen ; qui, silencieusement, lutte contre le vainqueur ; qui le mine, et le fait dépérir pendant de longues années, lentement, si toutefois elle ne le tue pas directement d’une façon tragique. »

    Couperus et son épouse (1923)

    louis couperus,alexander cohen,alexandre cohen,de stille kracht,la force des ténèbres,indonésie,java,insulinde,littérature,mercure de france,pays-basC’est cette « force silencieuse » qui, après une longue lutte mouvementée, vainc le Résident hollandais Van Oudyck, que, malgré son énergie et son intrépidité, elle contraint à se démettre de ses fonctions et à liquider sa famille. Il est vrai que cette victoire de la « force » est attribuable, en partie, à Léonie van Oudyck, la femme du Résident, une gourgandine qui s’oublie au point de prendre pour amant le jeune Theo van Oudyck, fils du premier lit de son mari.

    scène de la salle de bains

    louis couperus,alexander cohen,alexandre cohen,de stille kracht,la force des ténèbres,indonésie,java,insulinde,littérature,mercure de france,pays-basCe roman de M. Couperus – qui n’a de déplaisant que le style tourmenté et cahoté – possède des qualités louables. Les personnages ont tous de l’originalité, sans en rien être invraisemblables. Léonie van Oudyck, notamment, est joliment réussie. Eva Eldersma, la femme du secrétaire, est délicieuse. Le Résident van Oudyck est un rude bonhomme et sa retraite dans la vallée de Lellès, où il se crée une famille nouvelle, d’une conception charmante. La scène de la salle de bains, où une bouche invisible crache des baves sanguinolentes sur Léonie terrifiée, est très belle. – M. Couperus me paraît assez bien connaître l’âme indigène… Une réserve : je ne sais pas jusqu’à quel point l’entrevue de Van Oudyck avec la Raden-Ayou, la mère du Régent indigène de Ngadyiwa, est vraisemblable. L’humiliation suprême de la vieille princesse, qui se met sur la nuque le pied du Résident, me semble difficile à admettre. Il est vrai que je suis de parti pris ! Il y a si longtemps que le Blanc marche sur la nuque aux autres, que je voudrais voir ces autres : Noirs, Jaunes et Café-au-Lait – les Rouges, hélas ! ne pourront déjà plus être de la fête ! – piétiner un peu – un peu beaucoup ! – les Blancs. C’est bien leur tour. Je serais assez facilement un fervent de la « force silencieuse », telle que la définit M. Couperus. Mais je demande à voir. Je ne demande qu’à voir ! À quand la Revanche ? La vraie, la seule ?

     

    Alexandre Cohen

    « Lettres néerlandaises. De Stille kracht »

    Mercure de France, juillet 1901, p. 276-277.

     

     

     

    louis couperus,alexander cohen,alexandre cohen,de stille kracht,la force des ténèbres,indonésie,java,insulinde,littérature,mercure de france,pays-bas

    Alexandre Cohen (décembre 1918)

     

     

  • L’illusion merveilleuse de nos rêves…

    Pin it!

     

     

     

    Quelques lignes de Frederik van Eeden

     

     

    Eeden1.png

     

    Prophète, médecin, pionnier de la psycho- thérapie, dramaturge, diariste, poète, romancier, esprit avide d’universalité, personnage charis- matique, réformateur ayant dilapidé une partie de sa fortune dans une colonie communiste utopique (1), Frederik van Eeden (1860-1932) a, pendant une demi-siècle, marqué de son empreinte la société et les lettres des Pays-Bas. Ami entre autres de Romain Rolland, traducteur de Tagore, il a été admiré par certains, honni par beaucoup.

    Eeden11.jpgCommentant l’œuvre ro- manesque de cet homme dont l’existence a été dominée par le sens du religieux, Paul Verschave (2) écrit à juste titre : « C’est toujours son ‘‘moi’’ individualiste qui s’exprime par la bouche de ses héros, mais comme son indi- vidualité a revêtu les aspects les plus divers, rien qu’en se racontant, il a créé tout un monde. Et c’est en quoi ses ouvrages présentent un intérêt si considérable pour qui cherche à suivre l’évolution spirituelle de cet homme : ses livres enregistrent d’une manière indélébile, non seulement sa pensée, mais sa vie. Bien plus, chez une nature aussi riche, et qui, dans sa soif de savoir, s’est répandue en manifestations aussi multiples, qui était sous tant de rapports variés ‘‘enfant de son siècle’’, les différentes étapes de cette pensée forment à elles seules l’histoire de toute une génération intellectuelle. »

    Eeden6.pngS’il existe trois traductions françaises (3) du Kleine Johannes (1887) – sorte de conte de fée autobio- graphique et symboliste en partie inspiré par  Simplice de Zola –, on peut déplorer que le grand roman de Van Eeden, Van de koele meren des doods (1900, Des lacs glacés de la mort), soit pour ainsi dire passé inaperçu en France (4). Sous la plume de sa compatriote Jeannette Nijhuis (1874-1938), L’Humanité nouvelle a salué, essentiellement pour des considérations politiques, cette parution (« Chronique des lettres hollandaises », octobre 1902, p. 105-106) : « Dans son roman, ce n’est pas seulement l’artiste qui parle, c’est aussi le penseur, le croyant, le socialiste et dans une large mesure aussi le médecin. Il fallait être médecin pour si bien faire la diagnose d’une âme, d’un esprit et d’un corps malades. Il fallait être socialiste pour si bien sonder les plaies d’une société malade et pour indiquer avec tant de décision les voies de la guérison. » Chroniqueur lui aussi des lettres néerlandaises à la même époque, Alexandre Cohen se montre bien plus réservé, en raison de ses goûts bien entendu mais aussi sans doute parce que Van Eeden ne s’était jamais affiché anarchiste (« Lettres néerlandaises », le Mercure de France, avril 1901, p. 272-274) ; tout bien considéré, le condamné à 20 ans de travaux forcés au Procès des Trente ne reconnaît au livre qu’un grand mérite : « l’héroïne nous reste toujours sympathique, même lorsqu’elle devient vertueuse et ce, sans que l’auteur fasse le moindre effort pour nous imposer cette sympathie ».

    Soucieux de l’édification du lecteur, Paul Verschave met en avant le poète Van Eeden bien plus que le romancier. Il relève malgré tout : « Il serait intéressant de comparer cet ouvrage [Les Lacs glacés de la mort] avec le célèbre roman de Flaubert, Madame Bovary, et de voir à ce sujet ce qui sépare Van Eeden du naturalisme. Comme Madame Bovary, Hedwige de Fontayne, ne trouvant pas dans le mariage le bonheur rêvé, fait les chutes les plus lamentables, mais il n’y a pas dans ces fautes le caractère de fatalité qu’y mettent les naturalistes. Le mal y est reconnu comme le mal et appelle le remords. De plus, arrivée à l’extrême degré de la misère morale, la malheureuse Hedwige se relève dans un étouffement bouddhiste des passions qui ressemble ‘‘aux ondes fraîches de la mort’’ » (5).

    Eeden2.pngLe monde anglophone a été plus accueillant en publiant dès 1902 une traduction : The deeps of Deliverance (de la main de Margaret Robinson), rééditée en 2009 sous le titre Hedwig’s journey ; Else Otten en en donné une version allemande (Wie Stürme segnen, 1907), Goedele de Sterck une version espagnole (Las tranquilas aguas de la muerte, 2012), Farooq Khalid une version en ourdou. Nouchka van Brakel a porté le livre à l’écran avec, dans le rôle principal, Renée Soutendijk. À défaut d’une traduction française, nous donnons quelques lignes d’un autre roman de Frederik van Eeden, les premières du chapitre XII de De Nachtbruid (1909), qui mêlent dimension onirique et évocation de la Hollande rurale d’autrefois.

     

    eeden3.jpg(1) La citation suivante résume assez bien l’échec de l’expérience de la colonie de Walden : « Vers 1898, Frédéric Van Eeden, célèbre romancier hollandais, nouvellement converti au rêve collectiviste, fondait, avec l’aide d’une vingtaine d’amis, à Walden près de Bussum, un phalanstère, espèce de petite oasis de vie future, suivant le type socialiste. Van Eeden consacra à cette tentative un demi million, qui fut bientôt englouti, et malgré cette orgie d’argent, l’œuvre vient de périr. Le généreux utopiste avoue franchement la cause de la déconfiture : ‘‘Dans ma petite collectivité, écrit-il, j’ai été dès le premier jour obligé d’éliminer des éléments inacceptables qui prétendaient ne rien faire et vivre aux dépens de la communauté. Pour eux ‘‘le travail libre’’, c’était surtout la liberté de ne pas travailler’’. » (Chanoine Bourgine, Le Protestantisme et les sociétés modernes, Avignon, Aubanel, 1914, p. 42)

    (2) Voir sur ce juriste et érudit : Robert Hennart, « Paul Verschave (1878-1947) et l’Ecole supérieure de journalisme de Lille », De Franse Nederlanden / Les Pays-Bas Français, 1980, p. 204-214.

    Eeden8.png(3) Celle parue dans un premier temps sous le titre Jeannot, que l’on doit à Léon Paschal, d’abord publiée dans la Revue de Belgique puis aux éditions P. Weissenbruch (1903) et enfin dans  la Revue de Hol- lande (en écoute ici) ; Le Petit Jean, traduit par Sophie Harper-Mounier, avant-propos de Romain Rolland, Paris, Rieder, « Les prosateurs étrangers modernes », 1921 ; Le Petit Johannes, traduit par Robert Pittomvils et adapté par Albert Bailly avec une introduction du traducteur, Bruxelles, La Sixaine, « Estuaires », 1946.

    (4) À propos de ces deux romans et d’un troisième : Johannes Viator (1892), on pourra consulter la thèse de Hanneke Pril, Une analyse littéraire de trois œuvres de Frederik Van Eeden (1860-1932), Université de Paris IV,1998.

    (5) Paul Verschave, « Le poète hollandais Frédéric van Eeden et son œuvre », Bulletin du Comité flamand de France, 1923, p. 204-218. Du même auteur, on verra : « Un converti hollandais : le poète Frédéric van Eeden », Le Correspondant, 1924, p. 311-338.


     
    Fredrik van Eeden en 1930

     

     

     

    Un extrait de La Fiancée de la nuit (1909)

     

    Biographie de F. van Eeden par J. Fontijn (vol. 1) 

    Eeden9.pngHolland noem ik een droomerig landje, omdat zijn schoonheid is als die van een droom. Soms is het er guur, wild onherbergzaam, naargeestig - en op eenmaal, bij stil, luw weder, prijkt het gansche land, met boomen, vlieten, stadjes en bewoners in een onbeschrijfelijk teedere pracht, alles verrijkend met een diepe geheimvolle beteekenis, die men niet nader kan verklaren of aanduiden, en die op het eigenaardige van alle droomen-schoon gelijkt. Men moet mijn stadje van uit zee gezien hebben op een stillen, klaren Septemberavond, als de zon achter den klokketoren gaat schuilen, op den wolkeloozen, lichtend-groenachtig-blauwen hemel uitvloeiend in oranje- en goud, als weiden en boomschaduwen door eenzelfden blauwwazigen toovertint tot wondere eenheid zijn verbonden. - als de melkers thuiskomen met zwaarwichtigen stap, de kobalt-blauwe emmers ter weerskant, - als al wat klinkt harmonisch is, van den uurslag uit den toren tot het ratelen van een huiswaarts keerende kar, en al wat leeft, van de grove Hollanders tot de logge koeien toe, in een zelfde vredige, dichterlijke avondzaligheid schijnt op te gaan - om te begrijpen hoezeer dit alles gelijkt op die wonderbare illuzie onzer droomen…

     

    Eeden5.pngJ’appelle la Hollande un petit pays de rêve, parce que sa beauté ressemble à celle d’un rêve. Parfois elle est sévère, sauvagement inhospitalière, triste, – et parfois, par temps clair et tranquille, tout le pays resplendit avec ses arbres, ses cours d’eau, ses petites villes et ses habitants dans une magnificence indes- criptiblement douce, enrichissant tout d’un sens mystérieux, profond, qu’il est impossible de préciser ou de définir, et qui ressemble à ce qui est propre à tout ce qui est beau en rêve. Il faut avoir vu de la mer ma petite ville par un clair soir de septembre, au moment où le soleil se cache derrière le clocher, s’épanchant en reflets orange et or sur le ciel sans nuage, teinté d'un bleu verdâtre lumineux, au moment où les prairies et l’ombre des arbres se trouvent confondues dans une même couleur magique bleu de cire pour devenir une admirable unité, – au moment où ceux qui ont été traire reviennent d’un pas lourd, portant de chaque côté les seaux d’un bleu de cobalt, – au moment où tout ce qui retentit est harmonie, depuis l’heure qui sonne à la tour jusqu’au bruit d’une charrette qui s’en retourne vers la maison et où tout ce qui vit, depuis les rudes Hollandais jusqu’aux vaches pesantes, semble marcher dans la même félicité vespérale, pacifique et poétique, – pour comprendre combien tout cela ressemble à l’illusion merveilleuse de nos rêves… (trad. Paul Verschave, in « Un converti hollandais : le poète Frédéric van Eeden », Le Correspondant, 1924, p. 317)

     

    Biographie de F. van Eeden par J. Fontijn (vol. 2)

    Eeden10.pngI call Holland a dreamy country because its beauty is as that of a dream. Sometimes it is black, wildly inhospitable and dispiriting – and suddenly, in calm, mild weather, the entire country with its trees, canals, cities and inhabitants sparkles in an indescribable tender radiance, enhancing every- thing with a deep mysterious meaning impossible to explain or describe more fully, and resembling the peculiar beauty of dreams. One must have seen my little city from the sea on a still, clear September eve, when the sun goes to hide behind the bell-tower, flooding the cloudless, luminous blue-green heavens with orange and gold, when pastures and the shadows of trees merged in a fairy tinted blue haze unite in wondrous harmony – when the milkers come home with heavy tread, balancing at their sides the pails of cobalt blue – when all that sounds is harmonious from the striking of the clock on the tower to the rattling of a homeward driving cart, and all that breathes from the coarse Hollanders to the dull cows seems wrapped in this selfsame peaceful, poetic evening bliss – one must have seen it thus to understand how much all this resembles the wondrous illusion of our dreams… (The Bride of Dreams, trad. Mellie von Auw, New York/Londres, Mitchell Kennerley, 1913)

     

    Eeden4.png

    Le repas d’un communiste : Naguère / Aujourd’hui

    (F. van Eeden caricaturé par Albert Hahn, 1908)