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Histoire littéraire - Page 11

  • Un monde à explorer

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    Réflexions luxembourgeoises

    sur la traduction littéraire

     

     

     

    « Et il y a les traductions. Ah, si on ne traduisait que les œuvres vraiment représentatives et dignes de rendre témoignage ! Mais vous savez trop bien que cela n’est pas et qu’ici comme ailleurs le scandale fait prime. On est en train de traduire le Voyage au bout de la Nuit de Céline. Voulez-vous mon avis ? On peut aimer ce livre d’une probité certaine, mais plutôt faisandé et relevé d’un haut-goût un peu particulier. Il est certain cependant que la traduction de ce livre n’ajoutera rien à la gloire de la France. Ce Voyage n’est pas, ne devrait pas être un article d’exportation. »

    Philinte

    « Probité littéraire », Escher Tageblatt, 2 septembre 1933

     

     

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    Dans un supplément de l’Atlantic Monthly, consacré principalement à la littérature de la Belgique et des Pays-Bas, l’écrivain néerlandais Adriaan van der Veen raconte que, peu avant la guerre, son compatriote, le grand essayiste Menno ter Braak, participait à Paris à un congrès international d’écrivains. De nombreux orateurs avaient pris la parole avant lui et l’audience était passablement fatiguée, lorsqu’il lui fut donné d’intervenir à son tour dans le débat. La soif avait fait émigrer vers le bar la quasi-totalité des hommes de lettres. Tandis que Ter Braak exposait ses vues pertinentes la salle continuait de se vider. Bientôt, il ne resta plus de l’auditoire que l’écrivain Heinrich Mann et le président du Congrès. L’auteur de Professor Unrat se pencha vers le président et lui glissa dans l’oreille une phrase qu’entendit Ter Braak : « Mon Dieu, qui cela peut-il bien être ? » Et le président de répondre : « Réellement, je n’en sais rien. »

    couv-Perron.pngCette anecdote, Adriaan van der Veen la tient du regretté Ed. du Perron, l’un des écrivains contem- porains néerlandais qui fait honneur à la littérature universelle, et il rapporte la morale que Du Perron tirait de cette histoire : « C’est une chose terrible que d’écrire dans un langage secret. »

    Langage secret, langue confidentielle, le néerlandais n’a pas l’audience auquel il a droit de par le caractère des œuvres littéraires qui paraissent aux Pays-Bas.

    Certes, on n’ignore pas entièrement la prose néerlandaise à l’étranger. Des écrivains comme Antoon Coolen, Den Doolaard, Fabricius, Jan de Hartog, J. W. Hofstra, Arthur van Schendel ont été traduits en français, pour ne citer que quelques romanciers au fil de l’alphabet. Mais on ne peut prétendre que la littérature des Pays-Bas est « illustrée » en Europe grâce aux œuvres de ces écrivains. À de rares exceptions près, les romans traduits l’ont été en fonction d’un critère régionaliste. C’est ainsi que le roman Bartje – d’inspiration et d’exécution essentiellement régionalistes – à été traduit en vingt-deux langues, et que Hilde, également de la main d’Anne de Vries, n’est pas loin du compte.

    couv-Doolaard.pngAvec amertume, Adriaan van der Veen constate que ce serait un stimulant non négligeable pour les écrivains néerlandais les plus doués si le petit groupe international des éditeurs consacrait un peu plus d’intérêt à la véritable littérature hollandaise qui, assurément, comporte quel- ques-unes des beautés qu’on admire dans la peinture de ce pays.

    Or, qu’entend retirer le lecteur étranger d’un livre traduit d’une « langue confidentielle » ? Bien souvent, avant tout, le secret d’une mentalité qui n’est pas la sienne, une vision qui lui permette d’accéder à l’âme d’un peuple inconnu, aussi, une certaine « couleur locale ». C’est en fonction de ce critérium qu’ont été traduites les œuvres néerlandaises qui passent à tort pour représentatives de la littérature des bas pays. Dans cette nation de vieille culture, l’élément anecdotique régional fait la plupart du temps défaut. Le roman néerlandais – pour ne parler que de lui – est axé principalement sur des conceptions de vie universelles, sur des instants humains immuables, que la barrière des langues ni même la géographie ne transforment dans leur essence. C’est ce qui oblige Mme A. Romein-Verschoor, dans un essai sur la littérature hollandaise contemporaine (1), à se demander s’il y a vraiment un esprit hollandais. Il y en a un, déclare-t-elle, et il est d’une nature peut-être plus personnelle que tout autre esprit national, et aux racines plus profondes. « Il n’est pas moins déterminé par l’histoire que par le climat et le paysage et il ne s’apparente guère visiblement aux sabots ni aux moulins. Un de ses caractères réside précisément dans la faculté d’adaptation qu’un petit pays de commerçants a acquise au cours des siècles par la fréquentation assidue des nations environnantes et, comme conséquence, dans un nationalisme plutôt faible ou du moins critique. L’écrivain hollandais d’aujourd'hui est Hollandais parce qu’il ne peut faire autrement, mais le but conscient qu’il poursuit est plutôt d’atteindre un niveau européen que d’exprimer l’âme nationale. Il se rend parfaitement compte que la prérogative d’exprimer de façon consciente l’âme nationale est l’apanage des grands peuples culturels, mais que si un petit peuple s’y aventure, il tombe aisément dans un chauvinisme creux. Et il y a peu de choses qu’il craigne davantage. Mais cela conduit d’autre part à un isolement étroit, à une conversation littéraire sans partenaire, qui nous accable d’autant plus que nous sortons de cinq années de solitude absolument complète. »

    couv-vestdijk.pngCes considérations n’enlè- vent rien à l’urgence du problème de la traduction d’œuvres parues dans une langue de peu de rayon- nement. En prenant comme base l’année 1952, l’on constate qu’aux États-Unis un seul livre néerlandais a pu atteindre le grand public : le Journal d’Anne Frank, paru comme pocket-book. Deux romans néerlandais ont eu une édition courante : The Great Ordeal, de Fabricius, et Joachim, de l’auteur flamand Marnix Gijsen. En Angleterre, au cours de la même année, a paru un livre de Jan de Hartog ; en France, un De Hartog également (Jan Wandelaar), et un Albert Helman. Ce n’est qu’en Allemagne qu’une vingtaine de romans néerlandais ont paru en traduction, dont six livres de Simon Vestdijk. Cette situation, plus satisfaisante ici qu’ailleurs, ne peut cependant être considérée comme la preuve d’un réel succès de la littérature néerlandaise dans ce pays, du fait qu’il ne s’agit que d’un très faible pourcentage d’œuvres traduites du néerlandais dans la masse de livres étrangers parus en Allemagne (30% de la production totale).

    Ces chiffres, empruntés à une étude  de G. Söteman sur le problème des  traductions (2), donnent peut-être une image trop sombre de la situation. L’auteur lui-même indique d’ailleurs que la littérature néerlandaise est loin  d’être absente dans le monde. En effet, un écrivain important comme Louis Couperus a été traduit soixante-dix fois ; Arthur van Schendel, vingt fois ; Frederik van Eeden, quarante fois ;  Johan Fabricius, cinquante fois ; Madelon Székely-Lulofs, trente fois ; Antoon Coolen, trente fois, etc.

    couv-coolen.pngIl n’en demeure pas moins vrai que l’importante contri- bution littéraire d’un Slauerhoff, d’une Clare Lennart, d’un Belcampo, d’une Carry van Bruggen, d’un Bordewijk, d’une Top Naeff, d’un Artur van Schendel ou d’un Simon Vestdijk, pour nous borner à quelques écrivains contem- porains « établis », mérite d’être enfin connue de l'étranger.

     

    N. H., « La littérature néerlandaise, un monde à explorer », d’Letzeburger Land, 16 juillet 1954, pp. 9 et 11

     

     

    (1) Alluvions et Nuages, éd. Querido, Amsterdam, 1947.

    (2) Article dans Maatstaf (juin 1954).

     


    Le romancier F. Bordewijk reçoit le Prix P.C. Hooft 1953 au château Muiderslot

     

     

     

     

     

  • Fac et spera

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    Achille Millien

    traducteur des poètes d’expression néerlandaise

     

     

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    Poète et folkloriste, Achille Millien (1838-1927) a publié voilà 110 ans, dans la collection « Le Parnasse du XIXe siècle » des célèbres éditions Alphonse Lemerre, une anthologie à première vue plutôt surprenante : Poètes néerlandais – Hollandais et Flamands. En réalité, cet auteur prolifique qui a collationné quelque 2600 chansons et anecdotes, découvrant une parenté entre les contes de tous les pays, s’est empressé d’établir des liens avec bien des littératures étrangères : « Dès les années 1864-1865, comme la plupart des jeunes poètes français, Achille Millien éprouve un attrait particulier pour la poésie allemande et scandinave, symbolisée par les grandes figures que sont Runeberg, Rückert ou Goethe. Parmi de multiples correspondants, il s’entretient avec les écrivains Holmfeld, Friedrich Rückert et sa fille Marie, Adolf Bube, Julius et Mina Mosen, avec le Florentin Niccolò Tommaseo, avec le Tchèque František Palacký. Ces contacts internationaux vont s’intensifier durant toute sa carrière. Il sympathise avec le Romain Antonio Padula et le Suédois Göran Björkman dans les années 1890. C’est à cette époque qu’il entame la traduction de chants populaires des peuples d’Europe de l’Est ainsi que celle de poètes de langue néerlandaise, espagnole (Espagne, Chili, Pérou…) et portugaise (Portugal, Brésil). Les nombreux manuscrits et les notes de travail témoignent de cette activité particulière, tout comme les lettres et les distinctions qui lui parviennent de toutes parts. Millien correspond alors avec le Serbe Stoyan Bochkovitch, le Roumain Arthur Gorovei, les poètes néerlandais J.W. Muller, Fritz Smit Kleine, Van Loghem, Marie Boddaert. » (1)

    achille millien,marie boddaert,poètes néerlandais,anthologie,flamands,lya berger,alphonse lemerreLa brève préface de Millien aux Poètes néerlandais, rédigée en juillet 1904 dans le petit village de Beaumont-la-Ferrière, vient confirmer ce que l’on était en droit de supposer : le Nivernais, se glissant apparemment comme une anguille dans les langues étrangères, a tout de même bénéficié de l’aide indispensable de quelques personnes pour mettre en français les morceaux qu’il a choisis : « Je ne peux manquer d’offrir mes vifs remerciements à plusieurs des poètes éminents qui figurent dans ce modeste recueil : Mmes M. Gelderman-Boddaert et Hélène Lapidoth-Swarth ; MM. Van Loghem et Pol de Mont, et le R.P. Servaas Daems récemment enlevé par la mort à l’Académie flamande, dont il était un des membres les plus honorés. Leur obligeant et précieux concours m’a été souvent utile. »

    S. Daems

    achille millien,marie boddaert,poètes néerlandais,anthologie,flamands,lya berger,alphonse lemerreLes courriers que Millien a adressés au Père Servais Daems révèlent qu’il demandait à ses correspondants une traduction littérale des poèmes ainsi que des conseils sur la qualité de certains auteurs (la liste qu’il soumet au chanoine contient le nom de tous les écrivains renommés) ; d’autre part, on apprend qu’il souhaitait traduire trois poèmes de Guido Gezelle (Excelsioro ‘t Ruischen van het ranke riet et Het kindeke van de dood), mais qu’il s’est finalement contenté de mettre en français le second sous le titre « Ô murmure du roseau frêle ! ». (2)

    achille millien,marie boddaert,poètes néerlandais,anthologie,flamands,lya berger,alphonse lemerreL’édition de 1904 présente le fruit d’un assez long travail (3) dont maintes pages ont d’ailleurs paru, à partir de février 1901 et jusqu’en 1903, dans la Revue du Nivernais (4). Quelques pièces, le folkloriste les a retenues en raison des parallèles qu’elles présentent avec des contes ou légendes qu’il connaissait. Ainsi, explique-t-il dans une note de la Revue du Nivernais (1900, p. 150), « La cruche aux larmes » de Nicolaas Beets restitue une légende recueillie en Hollande, mais très répandue « dans nos campagnes nivernaises ». C’est dans le numéro d’août 1901 (p. 292), avant de passer en septembre aux poètes flamands, que Millien donne deux traductions de poèmes de Louis Couperus (« Le Lotus » et « Fleur de nuit »). En mai et juin 1902, il reviendra aux Hollandais avec entre autres J.-A. Alberdingk  Thijm, Willem Kloos, Jacques Perk et Herman Gorter.

    F. Haverschmidt

    achille millien,marie boddaert,poètes néerlandais,anthologie,flamands,lya berger,alphonse lemerreIl est assez amusant de relever que, dans le périodique Nederland, le jeune Millien a fait l’objet, en 1868, d’une comparaison avec l’un des poètes romantiques qu’il devait retenir dans son anthologie plus de trente ans plus tard, à savoir François Haverschmidt (1835-1894), également connu sous le nom de Piet Paaltjens et dont le célèbre recueil Snikken en grimlachjes venait de paraître (5). Dans sa recension de ce recueil (p. 188-202), le critique, un certain Alexius van Staden (que Multatuli prit un jour à partie), se plaît à opposer l’humour et l’espièglerie du Hollandais à la charmante gravité et la lyre pittoresque du Français qui chante la rustique Bretagne en se démarquant du « dément Charles Baudelaire ». De Piet Paaltjens, Millien a retenu deux courts poèmes qu’il intitule « Humouristique » : il s’agit des deux paires de quatrains extraites du cycle « Immortellen » (LXXXIV et XXXIII) des Sanglots et sourires.

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    L’exemplaire en notre possession des Poètes néerlandais est dédicacé à Madame Gelderman-Boddaert ; Millien lui a également offert Chez nous (1896) et Aux champs et au foyer (1900), les trois recueils semblant avoir été reliés en un seul volume après la mort de cette femme d’origine noble. Marie Agathe Boddaert (1844-1914) s’est vouée aux lettres après la mort de son mari, un officier décédé en 1877. Il existe, paraît-il, une traduction française de son grand poème en vers libre sur la doctrine bouddhique « Bij de Woningen der Sneeuw ». En une trentaine d’années, Marie Boddaert a essentiellement composé des recueils de poèmes et des livres pour la jeunesse. Nombre de ses poésies ont été mises en musique ; deux de ses œuvres ont inspiré au compositeur Richard Hol  un opéra. Cosmopolite attachée à ses racines zélandaises, la romancière comptait parmi les rares femmes de son époque admises au sein de l’Académie des lettres néerlandaises (Maatschappij der Nederlandsche Letter- kunde). Si elle a montré un certain goût pour les poètes du mouvement des années 1880, ceux-ci n’ont pas manqué de l’éreinter.

    achille millien,marie boddaert,poètes néerlandais,anthologie,flamands,lya berger,alphonse lemerreAu sujet de cette femme d’une grande culture mais dont l’apport aux belles lettres est resté plutôt modeste, la Française Lya Berger (1877-1941) écrit : « Un petit recueil, Aquarelles, paru en 1887, révéla son nom au public. En 1898, elle en publia un second, Serena. Dans les deux livres, la ‘’facilité’’ a nui à la perfection ; on y trouve à glaner de jolies pièces égarées au milieu de beaucoup d’autres de moindre valeur.

    « Marie Boddaert aime à écrire pour le plaisir de chanter une impression vécue ; la sensibilité, chez elle, ne s’est pas encore rendue l’esclave de l’art. Elle se rattache à la fois à l’ancienne et à la nouvelle école, à celle-ci moins qu’à celle-là. Le romantisme l’imprègne avec son déploiement de mots et d’images, parmi lesquels elle ne s’attarde pas à opérer une sélection. Elle a tout de même la divination d’un art plus subtil, d’une psychologie plus tourmentée. Elle est, à tout prendre, une lyrique ; son vers souple suit l’élan de sa pensée. Un de ses poèmes, Sterrenhemel (Le Ciel étoilé), résume d’une façon assez caractéristique l’ensemble de ses qualités et de ses défauts. […] L’idéalisme de la poétesse se traduit en des vers colorés, mais dont la pensée reste un peu confuse par endroits. Son ‘’coup d’aile’’ personnel, dans le ciel nébuleux du romantisme, n’éleva pas son succès poétique au delà d’une moyenne altitude. Son œuvre eut néanmoins des amis. Et sa place devait être marquée ici comme un trait d’union entre le passé et le présent. » (6)

     

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    Marie Boddaert, veuve Muntz Gelderman (1912)

     

    Dans son anthologie, Achille Millien a retenu deux pièces de sa bienveillante corres- pondante : « Kindersproke » (du recueil Serena), traduit sous le titre « Conte d’enfant » (p. 33-35), et « Dodenklacht » (du recueil Aquarellen) traduit sous le titre « Lamento » (p. 35-36). À l’image de la plupart des poèmes de l’anthologie, ces mises en français plutôt « fidèles » quant à la teneur, se révèlent un peu diffuses, un peu lâches : Millien étire le vers pour trouver la rime, paraphrase souvent l’original bien plus qu’il n’en restitue le ressort, la tension. À titre d’illustration, citons cette « Plainte funèbre » :

     

     

    DODENKLACHT

     

    Laat dicht de luiken; ’t zonlicht dringe

    Niet in deez’ ruimten, waar geen morgen

    Haar langer wacht.

     

    Ga, laat m’alleen met mijne dode.

    ‘k Wil mèt haar zijn in d’eerste wake

    Van hare nacht.

     

    Ik wil de teedre woorden spreken,

    Die ‘k nog voor haar in ‘t hart bewaarde;

    ‘k Zei niet genoeg.

     

    Ik wil haar dodensponde sieren

    Met bloemen der herinn’ring… Ai mij,

    Zij bloeien vroeg!

     

    Daal op haar neder, op haar handen,

    Die zegen spreidden; vlecht een krans haar

    Om ‘t jonge hoofd.

     

    Kom dan tot mij; kom, zoals vroeger,

    Geliefde, die in volle bloeitijd

    Mij werd ontroofd!

     

    Kon ‘k met mijn hartebloed u ‘t leven

    Hergeven, u de zonnige ogen

    Weer op doen slaan;

     

    Of in mijn armen door het duister

    Der stille dodengangen dragen,

    En met u gaan.

     

     

    LAMENTO

     

    N’ouvre pas les volets. Qu’aujourd’hui ne pénètre

    Nullement le soleil, qui, par cette fenêtre,

    Ne réveillera plus la morte, désormais !

     

    Et seul, laisse-moi seul avec ma morte chère,

    Seul en cette veillée atroce, la première

    De sa nuit qui jamais ne finira, jamais !

     

    Je veux dire les mots de tendresses secrètes

    Que je garde en mon cœur : Par mes lèvres muettes,

    Mon âme ne s’est pas épanchée à mon gré.

     

    La couche où je la vois pour toujours endormie,

    Je veux l’orner des fleurs du souvenir !... Amie,

    L’épanouissement en est prématuré !

     

    Ah ! du sang de mon cœur, si je pouvais te rendre

    La vie et, relevant ta paupière, répandre

    Le soleil en tes yeux ouverts encor pour moi,

     

    Ou, pressée en mes bras, à travers les ténèbres

    Et la muette horreur des corridors funèbres,

    Te porter, ô chérie, et rester avec toi !

     

     Marie Boddaert, 1866 

    achille millien,marie boddaert,poètes néerlandais,anthologie,flamands,lya berger,alphonse lemerreCurieusement, le volume Poètes néerlandais n’a guère éveillé la curiosité de la presse batave. Sous le titre «Verfranschte Hollanders », J.-L. Walch (1879-1946), fin lettré, chroniqueur au Mercure de France, professeur qui, de décembre 1937 à 1939, a donné à la Sorbonne des cours sur le Siècle d’or, en a tout de même rendu compte en novembre 1904 dans De Nederlandse Spectator. Peut-être les commentateurs belges ont-ils été plus loquaces. En France, l’anthologie paraît être passée inaperçue. Dans son étude consacrée aux Femmes poètes de la Hollande (1922), Lya Berger, qui s’essaie à recenser les travaux publiés sur les lettres des plats pays, ne la mentionne pas ; elle ne connaît pas non plus d’ailleurs De la littérature néerlandaise à ses différentes époques (1854) de l'érudit J.A. Alberdingk Thijm.

    achille millien,marie boddaert,poètes néerlandais,anthologie,flamands,lya berger,alphonse lemerreCe faible écho n’a pas empêché Achille Millien de poursuivre son impressionnant labeur. Il avait en quelque sorte fait sienne la devise de l’éditeur Lemerre « Fac et spera » : agir et espérer. Son œuvre de folkloriste est aujourd’hui reconnue (7), celle du poète agreste survit beaucoup moins bien. Quant aux travaux du traducteur, ils ont été salués par bien des poètes que le Nivernais a mis en français. Pour nous limiter aux Septentrionaux, citons ces quelques bribes de lettres : « Votre traduction est un vrai tour de force. » (Pol de Mont) — « Il n’y a pas à dire : la Souris, que je considère comme une des petites pièces les plus difficiles à traduire, est admirablement réussie. » (Antheunis) — « Vos vers me semblent plus beaux que les miens, puisque vous avez su conserver le petit brin de pensée et leur donner une nouvelle harmonie. » (Van Loghem). (8)

    Mais laissons le mot de la fin au natif de Beaumont-la-Ferrière qui, dans la « Préface » (p. I-II) – dont nous reproduisons la partie non encore citée –, s’exprime à la fois sur le climat littéraire en Hollande et en Flandre ainsi que sur le défi qu’il a tenté de relever : « Est-il un pays où le mouvement intellectuel soit plus actif qu’en Hollande ? Je ne le pense pas. Et il serait fort intéressant pour nous d’être tenus au courant de l’abondante et substantielle production littéraire de cette région. La tâche que j’ai entreprise, sans m’en dissimuler la difficulté et avec le sentiment de mon insuffisance, devrait tenter plus habile que moi. Mon but est surtout de familiariser le lecteur français avec les principaux noms de la poésie hollandaise.

    achille millien,marie boddaert,poètes néerlandais,anthologie,flamands,lya berger,alphonse lemerre« Je sais que mon essai de version ne peut donner qu’une idée lointaine des originaux. Passe encore pour les poètes (et ils sont nombreux en Hollande) qui se distinguent par ces qualités dominantes de la composition et du style : la clarté et la simplicité ; mais en ce qui concerne les poètes de la jeune école, les Van Eeden, les Gorter, les Kloos, etc., comment rendre les effets de couleur et d’accent qui constituent le fond de leurs compositions, dont le charme musical est intraduisible ?

    « À la suite des Hollandais j’ai classé les Flamands, leurs frères d’origine et de langage. L’union en un seul idiome du hollandais et du flamand, longtemps divisés, est aujourd’hui accomplie. Sans doute le mouvement littéraire flamand s’est produit en Belgique au détriment de notre langue française ; mais ce réveil légitime de l’esprit national a fait éclore une riche floraison de poésie qui tient une large place à côté de la remarquable école française des poètes de Belgique. Ici encore, n’ai-je pas commis des omissions regrettables pour lesquelles je dois invoquer l’indulgence de mes lecteurs ? » 

    D. Cunin

     

     

    A. Millien 

    achille millien,marie boddaert,poètes néerlandais,anthologie,flamands,lya berger,alphonse lemerre(1) Sébastien Langlois, « Introduction », Archille Millien 1838-1927, Répertoire numérique du fonds 82 J, Nevers, 2001, p. 16. Relevons que cette publication classe Servais Daems, Gentil Théodore Antheunis et Pol de Mont parmi les auteurs wallons alors qu’ils sont des figures des lettres flamandes. Parmi plus de 2500 correspondants répertoriés d’Achille Millien et environ 16500 documents envoyés par ceux-ci au folkloriste, elle mentionne l’existence de : 6 lettres de Marie Boddaert (adressées entre 1901 et 1904), 11 lettres de Fritz Smit Kleine (de 1894 à 1905), 2 d’Hélène Swarth (1894 et 1906), 5 lettres et 1 carte postale de M.G.L. van Loghem (entre 1894 et 1902), 1 lettre de Max Rooses (1903), 5 de Pol de Mont (de 1892 et 1893), 4 de Prudens Van Duysse (entre 1894 et 1905), 9 de Servais Daems (entre 1893 et 1903), 2 de Théophile Coopman (1904-1905), 2 de Gentil Théodore Antheunis (1904-1905), 3 de G.H. Priem (entre 1904 et 1921), 4 de J.W. Muller (entre 1892-1901), « poète à Groningue » et 6 de Louis, fils de ce dernier (1906-1907), enfin 1 carte postale d’Edward B. Koster (1907).

    Le poète de Groningue J.W. Muller ne figure pas dans l’anthologie ; il n’est d’ailleurs pas simple de l’identifier : il est peu probable qu’il s’agisse du lexicographe et spécialiste du Roman de Renart Jacob Wijbrand Muller (1858-1945).

    E.B. Koster

    achille millien,marie boddaert,poètes néerlandais,anthologie,flamands,lya berger,alphonse lemerreNé à Londres et mort à La Haye, spécialiste des lettres classiques, traducteur de Shakespeare et de Shelley, Edward Bernard Koster (1861-1937) n’a pas été lui non plus retenu par Achille Millien.

    Fritz Smit Kleine (1845-1931), homme de lettres qui a joué un rôle important dans la création et la survie de nombreux périodiques. De son vivant, son œuvre s’était déjà étiolée. Il a été proche du romancier Marcellus Emants.

    Martinus Gesinus Lambert van Loghem (Leyde 1849 - Florence, 1934), juriste et homme de lettres. Il a traduit les Fables de La Fontaine. Entre 1885 et 1901, il commit des monographies sur Sarah Bernhardt, Victor Hugo, Leconte de Lisle, Théodore de Banville, Pierre Loti, Octave Feuillet et Paul Bourget.

    Servaas (en français Servais) Daems (1838-1903), prémontré flamand, auteur, professeur, conférencier et, pendant quarante ans, bibliothécaire de l’abbaye de Tongerlo : « Les livres étaient sa vie, les études son rêve », a-t-on pu écrire à propos du jeune garçon. Grand défenseur de la langue flamande, il a dirigé à la fin de sa vie l’Académie royale flamande de Langue et de Littérature.

    Theophiel (ou Théophile) Coopman (1852-1915), auteur né à Gand, fondateur de la revue Nederlandsche Dicht- en Kunsthalle (1878-1897). On lui doit une Histoire des Lettres flamandes du XIXe siècle, une anthologie de la poésie flamande (1830-1880) ainsi qu’une Bibliographie de la lutte linguistique flamande en 10 volumes. Il a également laissé son nom en tant que poète du renouveau littéraire symbolisé par la revue Van Nu en Straks.

    Madame Bovary, trad. G.H. Priem

    achille millien,marie boddaert,poètes néerlandais,anthologie,flamands,lya berger,alphonse lemerreGentil Théodore Antheunis (1840-1907) était poète et compositeur en même temps que le gendre du romancier Henri Conscience.

    Gerrit Hendrik Priem (1865-1933), éditeur, poète et romancier hollandais qui a donné la première traduction néerlandaise de Madame Bovary (1904). Il a également mis dans sa langue un choix de l’œuvre de Maeterlinck (ainsi que sa pièce Joyzelle) et de celle de Nietzsche. Il est par ailleurs l’auteur d’études sur la guerre des Boers et sur Mata Hari, par exemple La Vérité nue au sujet de Mata Hari (De naakte waarheid omtrent Mata Hari, 1907).

    (2) Jef van Meensel, « Achille Millien - Gezelle », Gezellekroniek, 6ème année, Guido-Gezellegenootschap, Kapellen, 1970, p. 154-155.

    M.G.L. van Loghem

    achille millien,marie boddaert,poètes néerlandais,anthologie,flamands,lya berger,alphonse lemerre(3) La correspondance de Millien, menée à n’en pas douter systématiquement en français, avec quelques auteurs d’expression hollandaise plus de dix ans avant la parution de son anthologie, confirme qu’il travaillait depuis longtemps sur ce projet. Placé sous la direction de l’un d’eux, à savoir M.G.L. van Loghem, le périodique Nederland soulignait d’ailleurs dès 1896 que si le « poète polyglotte » a envoyé à la rédaction un exemplaire de Chez nous, c’est en raison de l’intérêt qu’il montre pour la poésie des Pays-Bas ; la revue précisait au passage qu’un recueil Poëtes hollandais et flamands était en préparation.

    (4) En janvier 1901 (p. 111), dans ce même périodique qu’il avait fondé, Millien rendait un hommage en vers « À sa majesté la reine Wilhelmine » pour saluer l’accueil que la souveraine venait de réserver au président Paul Kruger. Certains ont relevé le mérite de ces prépublications : « La littérature des Pays-Bas est assez mal connue en France. Il faut savoir gré à M. Achille Millien de nous donner, dans la Revue du Nivernais, qu’il dirige à Beaumont-la-Ferrière, une très belle série de poèmes où, avec son talent éprouvé, il interprète d’excellentes pages dues à des poètes néerlandais. » (La Parlerie, « Petite chronique du mois », Le Penseur, n° 1, janvier 1902, p. 39) 

    (5) Il en existe une traduction : Sanglots et sourires, Poésies de Piet Paaltjens, traduites du hollandais par F. L. A. De Jagher, H.A.M. Roelants, Schiedam, 1890.

    Lya Berger

    achille millien,marie boddaert,poètes néerlandais,anthologie,flamands,lya berger,alphonse lemerre(6) Lya Berger, Les Femmes poètes de la Hollande, précédé d’un précis de l’Histoire de la Littérature hollandaise, ouvrage orné de quatre portraits, Paris, Perrin & Cie, 1922, pp. 202-203 et 204-205.

    Sur Marie Boggaert, on pourra lire en ligne : Hanneke Eggels, « De sluier van Marie Boddaert », Bzzlletin, octobre 1985, n° 129, p. 83-88. Dans les hommages en vers que le Néerlandais Jan Kuijper rend à certains de ses prédécesseurs disparus,  on relève un « Tombeau de Marie Boddaert ».

    (7) Cette reconnaissance s’exprime en particulier par l’existence d’une biographie de Daniel Hénard et Jacques Tréfouel : Achille Millien, Nivernais passeur de mémoire, Saint-Bonnot, Éd. Les films du lieu-dit, 2005, et d’un documentaire : Achille Millien, passeur de mémoire(film de Jacques Tréfouël écrit par Daniel Hénard), France 3 Bourgogne-Franche-Comté / les films du lieu-dit, 2005.

    (8) Clément Dubourg, Chez Achille Millien. Notes intimes pour servir à la bio-bibliographie du poèteNevers, G. Vallière, 1900, p. 47.

     

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  • Un Hollandais chez Francis Jammes

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    VISAGES DE FRANCIS JAMMES

    À PROPOS DES CAHIERS FRANCIS JAMMES  n° 2-3

     

     

    À la fin de l’été 1920, un auteur donnant sa prose à un grand quotidien néerlandais voyage dans les Pyrénées. Il en profite pour rendre visite à Francis Jammes. Traduire son témoignage – traduction qui vient de paraître dans les Cahiers Francis Jammes n° 2-3 (octobre 2014, p. 112-116), accompagnée de documents relatifs au poète et à la Flandre –, nous a incité à effectuer un petit tour d’horizon de la réception de l’œuvre de ce dernier dans les terres néerlandophones. Voici ce défrichage tel qu’on peut le lire aux pages 105-111 du même double numéro consacré au Béarnais (voir sommaire ci-dessous ou ici).

     

     

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    Un Hollandais chez Francis Jammes

     

     

    Été 1920. Effectuant un voyage dans les Pyrénées, le correspondant parisien de Het Vaderland – quotidien haguenois qui a existé de 1869 à 1982 et a joui d’une belle réputation dans les milieux cultivés grâce à la collaboration de grandes plumes – fait, plusieurs semaines de suite, le récit de ses pérégrinations. Le 3 septembre (édition du soir, p. 5), dans la deuxième de ses six livraisons (« Pyreneesche reis. II. In Orthez bij Francis Jammes »), il revient sur la visite qu’il vient de rendre à Francis Jammes – près d’un an donc avant le témoignage laissé par Marcel Provence dans la Revue universelle du 15 août 1921.

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    Les divers documents – archives d’associations de journalistes et autres – auxquels nous avons pu avoir accès ne nous ont pas permis de mettre un nom sur l’auteur de cet article, aucune contribution du correspondant parisien n’étant signée à l’époque en question. Il est tentant de songer à Jan Walch (1879-1946), homme de lettres féru de théâtre, sensible à la littérature d’inspiration religieuse, amené à se rendre à Paris dans son rôle de critique dramatique et littéraire de Het Vaderland de 1909 à 1916 ; ce francophile, qui occupait en 1920 des fonctions universitaires à Leyde, disposait sans doute de suffisamment de temps pour sillonner la France, mais on imagine mal la rédaction cachant son identité. Johannes van der Elst (1888-1948) – attaché à la dimension spirituelle des œuvres littéraires ainsi qu’en témoigne son volume Écrivains protestants français d’aujourd’hui (1922) –, Johannes Tielrooy (1886-1953), romaniste lui aussi, mais plus enclin à s’enthousiasmer pour des écrivains comme Voltaire, Barrès, Valéry ou Renan que de l’auteur des Géorgiques chrétiennes, n’ont pas, à notre connaissance, collaboré de façon suivie à un quotidien néerlandais. Reste alors Charles Snabilié (1856-1927) qui a, pour sa part, vécu plus d’un quart de siècle à Paris en tenant des rubriques dans Het Nieuws van den Dag ainsi que dans Het Vaderland. Toutefois, la facture et la teneur de ce « Voyage dans les Pyrénées. II. À Orthez chez Francis Jammes » ne corroborent guère pareille attribution. Si Snabilié s’est adonné aux belles-lettres – il a laissé un roman à clef sur le Paris de la fin de siècle dont certains personnages ne sont pas sans rappeler Catulle Mendès, Rachilde, Kees van Dongen, Saint-Georges de Bouhélier, etc. –, ses comptes rendus de voyage, ses goûts et son âge ne concordent pas avec le présent texte.

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    Quoi qu’il en soit, un peu plus tôt, le 18 février de cette année 1920, alors qu’il séjourne sur la Côte d’Azur, le même correspondant écrit, depuis Nice où il vient d’arriver après avoir voyagé de nuit en troisième classe : « Je ne trouve jamais le temps de lire si ce n’est dans le train. Il faut dire que j’étais en compagnie du nouveau volume de Francis Jammes : Le Poète rustique. Je n’ai jamais été plus heureux, même dans mon malheur, que lorsque j’ai découvert les premiers vers et contes de ce poète. J’ai retrouvé dans le présent livre bien des thèmes des œuvres anciennes ainsi que, çà et là, des choses qui m’ont de nouveau ému [1]. » C’est probablement cet homme très au fait des lettres françaises de l’époque, qui déplore, dans une chronique parisienne consacrée à l’actualité théâtrale, ne pas trouver chez Henri Ghéon « l’étincelle sacrée du génie » présente chez un Jammes ou un Claudel [2]. Les 23 juillet et 31 décembre 1921, une fois les éloges renouvelés, le journaliste émet cependant des réserves sur les derniers écrits du Béarnais, en particulier à propos du Tombeau de Jean de La Fontaine ; il regrette le « jeune Jammes » – tout de même en partie présent dans les Poèmes mesurés –, celui dont « le sentiment de la nature n’était pas encore rogné par les pratiques d’une brave dévotion ». L’enchantement est de retour dans Het Vaderland du jeudi 27 avril 1922 (« Literaire Notities ») à propos de la parution, dans La Revue universelle, de L’Amour, les Muses et la Chasse : « Avec une rare délicatesse et une rare mesure, le poète évoque ses années de lycée à Bordeaux, son amitié avec Lacoste, les plaisirs que lui procure la botanique, – et plus encore, parallèlement à la création des premiers poèmes, la découverte de ses premières et tendres muses que l’on retrouvera, immortalisées, dans les magnifiques recueils De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir et Élégies. » Le critique de terminer en tronquant une phrase du deuxième volume des Mémoires : « Avec la noblesse et la simplicité que Lacoste met à faire ses toiles, il entend lui-même composer ses vers : ‘‘Ce qui est primordial, c’est le sacrifice qui rend plus haute la pensée, plus nette l’image.’’ »

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésieS’il est question, dans l’article paru le 3 septembre 1920, d’un cercle d’admirateurs de Jammes toujours plus large aux Pays-Bas, il faudra cependant attendre la fin de la deuxième guerre mondiale pour que quelques œuvres significatives du Français voient le jour en néerlandais. Au total, quatre traductions seulement ont paru dans cette langue :

    Korte levensschets van Guido de Fontgalland (La Vie de Guy de Fontgalland), adapté et augmenté d’une neuvaine par W. de Voort, La Haye, Cedo Nulli, 1931, 28 p.

    Kerk in bladergroen (L’Église habillée de feuilles), trad. et introduction Anton van Duinkerken, Utrecht, Spectrum, 1945, 56 p.

    Het crucifix van den dichter (Le Crucifix du poète), trad. Jos Nyst, illus. A. P. Stokhof de Jong, Heiloo, Kinheim, 1947, 85 p.

    De roman van de haas (Le Roman du lièvre), trad. Jean Duprés, Amsterdam, Van Oorschot, 1949, 51 p.

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésieUne traduction du Rosaire au soleil (Rozenkrans in het zonnelicht) a été réalisée sans jamais trouver d’éditeur. On relève par ailleurs diverses publications qui contiennent un ou deux poèmes, voire de courts passages de l’œuvre en prose en version néerlandaise. Ainsi, sous le titre « Le sacrifice de Francis Jammes », la romancière Marie Koenen (1879-1959) propose sur plus de deux colonnes des extraits d’une lettre du père qui a confié son fils au supérieur de l’abbaye Saint-Wandrille (« Het offer van Francis Jammes », De Tijd, 13 janvier 1933). Dans sa préface à la traduction de L’Église habillée de feuilles, Anton van Duinkerken (1903-1968), figure en vue de l’intelligentsia catholique de la Hollande du XXe siècle, reprend pour sa part une page que Jammes a consacrée à sa conversion dans la Revue de la Jeunesse (25 octobre 1913). Ce poète et essayiste, qui a renoncé à la prêtrise pour privilégier sa vocation littéraire, raconte dans ses Brabantse herinneringen (Souvenirs brabançons, 1964) que c’est un de ses professeurs du séminaire qui lui a fait connaître, dès 1916, les œuvres de Péguy, Claudel et Jammes. Ces poètes annonçaient, selon Van Duinkerken – lequel a par ailleurs, dans son rôle de critique littéraire, consacré trois articles à Jammes dont un « In memoriam » –, le temps où « la foi chrétienne, si longtemps évincée des sommets de la culture, allait de nouveau remplir sa mission vivifiante ». À ce sujet, il ne faut pas oublier qu’en Hollande, les catholiques, longtemps considérés comme des citoyens de second plan, ont dû attendre le milieu du XIXe siècle pour recouvrer la possibilité d’accéder à de hautes fonctions dans la société ; de fait, ce n’est qu’au cours de l’entre-deux-guerres qu’on a assisté à un renouveau de cette spritualité dans les arts, sous l’influence d’un Jan Toorop, d’un Frederik van Eeden ou d’un Pieter van der Meer de Walcheren, filleul de Léon Bloy. Les écrits de ce dernier ont d’ailleurs recueilli aux Pays-Bas un plus large écho que ceux de Francis Jammes. 

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésieToutefois, l’auteur du Deuil des primevères y comptait effectivement des admirateurs de premier rang. J. C. Bloem (1887-1966), poète majeur, a composé vers mai 1910 un poème qui s’intitule « Francis Jammes ». Le patronyme réapparaît dans son « Ode » datée du 3 décembre 1914. À ses yeux, le Français est l’un des rares contemporains, avec Yeats et le Hollandais Jacob Israël de Haan (1881-1924), à avoir accompli la tâche par excellence du poète : écrire un poème débarrassé de toute rhétorique – en particulier de la rhétorique « moderne », la pire qui soit –, et qui, dans sa « nudité », s’approche de très près de la prose tout en conservant quelque chose d’indéfinissable qui fait qu’il est et reste un poème. Un essai dédié à ce même J. C. Bloem par Simon Vestdijk (1898-1971), impressionnant essayiste et romancier « qui écrivait plus vite que Dieu ne peut lire », athée déclaré, célèbre de belle façon le Béarnais en estimant que celui-ci à touché à la perfection dans ses quatrains [3]. Moins réputé que J. C. Bloem, mais néanmoins talentueux, A. Marja (1917-1964) a lui aussi composé un poème en l’honneur de l’Orthézien, dans une veine toute jammiste : « De dichter bidt » (Le Poète prie). L’œuvre de Francis Jammes a par ailleurs exercé un réel ascendant sur Pierre Kemp (1886-1967), écrivain de Maastricht, qui le plaçait sur le pinacle, en compagnie de Verlaine et de Mallarmé. Son frère, Mathias Kemp (1890-1964), a laissé un roman – De bonte Storm (1929) – dans lequel il est question d’une femme qui adore « la poésie et le théâtre français. Sully Prudhomme, Rostand et Jammes étaient ses auteurs préférés ». Autre auteur recourant à un personnage qui vénère Jammes : Louis de Bourbon (1908-1975), arrière-petit-fils du célèbre Naundorff. Dans sa nouvelle Eric van Veen’s angstige leven (1936), le narrateur lit à son ami Eric le poème Un jeune homme qui a beaucoup souffert… Quant à J. W. F. Werumeus Buning (1891-1958), il a rendu hommage au rustique Pyrénéen en composant une ballade sur un âne (« Kleine ballade van de schreeuwende ezel »). On pourrait citer d’autres noms, par exemple Herman van den Bergh (1897-1967), P. N. van Eyck (1887-1954) ou bien le catholique Henri Bruning (1900-1983), lequel a retenu un vers de « La Grande nuit [4] » (« Jérusalem pour Toi fut pleine de sanglots ») en exergue à son poème « Jean-Baptiste-Marie Vianney ». Toujours en ce qui concerne les Pays-Bas, et sans faire état des nombreux articles nécrologiques, mentionnons encore quelques références : du spécialiste de Vondel, C. R. de Klerk, un essai en cinq parties sur les Géorgiques chrétiennes dans la revue Van onzen tijd (1916-1917) ; sous la plume de l’essayiste Bernard Verhoeven, un « Francis Jammes » consacré en particulier au Poète rustique [5] ; du romaniste Martin Permys, « Francis Jammes’ gedenk- schriften [6] », une critique sévère de De l’Âge divin à l’Âge ingrat ; de l’ancien anarchiste Alexandre Cohen un témoignage sur La Brebis égarée au Théâtre de l’Œuvre (« Toneel te Parijs », De Telegraaf, 24 avril 1913, édition du soir, p. 5) ; enfin, dans l’Algemeen Handelsblad du 11 janvier 1923, un compte rendu également assez détaillé de la conférence tenue la veille à Amsterdam, à l’invitation de l’Alliance française, par Joseph Delpech sur « Francis Jammes et le Béarn ».

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    l'article d'Alexandre Cohen sur F. Jammes

     

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésieDu côté des Flamands d’expression néerlandaise, certains ont également placé une de leurs œuvres sous l’égide de l’auteur de Pomme d’Anis. On songe en parti- culier au fascinant Maurice Gilliams (1900-1982) : le « premier cahier » de son roman Elias of het gevecht met de nachtegalen (1936, traduit par Saint-Rémy en 1968 sous le titre Élias, ou le Combat contre les rossignols) porte en épigraphe : « La poésie que j’ai rêvée gâta toute ma vie. Ah ! Qui donc m’aimera ? », extraite du Triomphe de la vie, qui résume à la perfection le dilemme habitant le personnage central : le désir de se rapprocher d’un autre être, contrarié par l’incapacité à concilier imaginaire et réalité. Un autre natif d’Anvers, Jan van Nijlen (1884-1965), a lié son nom à celui de Francis Jammes. Après lui avoir consacré un essai en 1912 puis une monographie (Francis Jammes, Leyde, A. W. Sijthoff, 1918), il l’a mentionné régulièrement dans les critiques qu’il a pu écrire.

    Lettre de Jammes à Van Nijlen, 28/08/1919

    (coll° AMVC-Letterenhuis)

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésieSi Van Nijlen est considéré comme l’un des poètes majeurs du XXe siècle flamand, Paul van Ostaijen (1896-1928) occupe pour sa part, aux yeux de beaucoup, la toute première place. Dans son recueil Het sienjaal (1918), on trouve, juste après « Marcel Schwob », un poème intitulé « Francis Jammes » dont Maurice Carême a donné une traduction (Les Étoiles de la poésie de Flandre. Guido Gezelle, Karel van de Woestijne, Jan van Nijlen, Paul van Ostaijen, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1973, p. 183). Autre figure de premier plan, Karel van de Woestijne (1878-1929) est tombé sous le charme du chantre d’Orthez ; on a pu dire que ce poète était un « Jammes virgilien ». Lui-même a bien souvent évoqué le Béarnais dans la chronique littéraire qu’il tenait pour le quotidien hollandais Het Nieuwe Rotterdamsche Courant (par exemple « Francis Jammes : Monsieur le Curé d’Ozéron », 23 mars 1919). Des écrivains moins prestigieux ont également reconnu l’originalité de l’œuvre de Jammes. Ainsi, le prêtre Cyriel Verschaeve (1874-1949), figure incontournable du Mouvement flamand, écrit-t-il dans une lettre rédigée en français : « J’ai toujours aimé la France, pas son gouvernement, mais sa pensée, son noble caractère, ses grands écrivains : Pascal, Molière…, jusqu’à Verlaine, Jammes et Claudel mêmes. » Une empreinte jammiste est visible dans un recueil comme De Avondgaarde (1903) de Victor de Meyere (1873-1938) ou de nombreux poèmes d’August van Cauwelaert (1885-1945). Notons encore que l’Anversois Armand Willem Grauls (1889-1968), poète aujourd’hui oublié, a salué Jammes dans In den tuin (Dans le jardin), évocation candide du fragile bonheur familial.

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésieLes quelques auteurs mentionnés ci-dessus – auxquels il conviendrait sans doute d’ajouter les noms de certains artistes, par exemple les Flamands Camille Melloy, poète et traducteur qui privilégia la langue française – il a consacré 40 pages à Jammes dans son recueil d’essais Le Beau réveil (1922) –, et Alfons Stout, compositeur qui, en 1946, mit en musique « Souhait » (« Comme l’oiseau endormi… ») –, montrent que l’œuvre de Jammes a marqué bien des esprits en Hollande comme en Flandre, et pas uniquement dans les milieux catholiques, même si les revues et la presse confessionnelles lui ont bien entendu accordé une attention plus soutenue que les autres journaux et périodiques [7]. Nous parlons d’une époque où la grande majorité des écrivains d’expression néerlandaise lisaient le français dans le texte ; cette connaissance de notre langue, la simplicité apparente de la prosodie jammiste, mais aussi, dans une certaine mesure, la dimension religieuse de l’œuvre, expliquent certainement le peu d’empressement que l’on a montré à la traduire. Les cercles cléricaux ont préféré faire passer en néerlandais des dizaines de livres d’Henri Ghéon. Aujourd’hui, quelques textes de l’auteur des Clairières dans le ciel résonnent encore à l’occasion dans ces contrées septentrionales. Deux pièces de ce recueil ont par exemple été diffusées le 13 avril 2007 sur Radio 4 (l’équivalent hollandais de France Musique) dans le cadre d’une série d’émissions consacrées à Lili Boulanger – en 1939, les deux artistes avaient fait l’objet d’un article signé par le compositeur Wouter Paap (1908-1981) [8]. En juin 2009, on a lu, dans les deux langues, quelques poèmes de Jammes à la Maison Descartes d’Amsterdam. Relevons encore, pour ce qui est de la présence du Béarnais dans ces terres, que le célèbre éditeur de Maastricht A. A. M. Stols a publié deux volumes de sa correspondance [9]. 

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    F. Melchers, Avril

    (recueil L'An de Th. Braun)

     

    Quelques mots, pour finir, sur l’article de 1920. Il y est bien entendu question du voyage que Francis Jammes a effectué en Flandre et en Hollande vingt ans plus tôt. Parmi les amis que le poète mentionne apparaît le nom de Melchers. Il s’agit de Franz M. Melchers, artiste tombé dans l’oubli et absent de la plupart des encyclopédies des peintres, bien qu’on l’évoque encore en tant qu’illustrateur du recueil L’An (1897) de Thomas Braun. Ce Hollandais frêle et de petite taille, cigarette toujours collée aux lèvres, avait des ancêtres français, néerlandais, javanais et de Bohême. Né le 16 avril 1868 à Münster, neveu d’un cardinal célèbre, il a passé ses jeunes années en Allemagne et dans les Indes néerlandaises, a vécu et travaillé à Bruxelles (jusqu’en 1891 puis vers 1907-1908) – où il a fait ses gammes à l’Académie en 1889 avant d’acquérir seul la technique à force de travail –, à Londres (1891), à Oudenburg en Flandre-Occidentale (1892), à Veere sur l’île zélandaise de Walcheren (jusqu’en 1895 puis, à plusieurs époques de sa vie, dans d’autres localités des Pays-Bas : Delft, Volendam, Baarn, La Haye…), à Paris, à Nice, à Vienne, en Espagne et enfin, à partir de 1939, à Anvers où il s’est éteint le 18 mars 1944.

    F. Melchers

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésiePaysagiste et portraitiste apprécié, il a malgré tout connu plusieurs traversées du désert. Au tournant du siècle, Maurice Maeterlinck ainsi que son ami le romancier flamand Cyriel Buysse, peu habitués pourtant à écrire sur la peinture, lui ont chacun consacré une petite étude. F. Melchers, alors lié avec d’autres artistes flamands, était un familier de la Libre Esthétique. À l’occasion de la septième exposition organisée à Bruxelles (1er-30 mars 1900) par ce Cercle, il faisait partie des peintres exposés tandis que Jammes était l’un des conférenciers invités. Sans doute ont-ils pu à cette occasion converser longuement – en compagnie de leur ami commun Thomas Braun –, d’autant que le Néerlandais avait illustré quelques années plus tôt le poème « On dit qu’à Noël » (œuvre reproduite dans Le Spectateur catholique, décembre 1897).

    Daniel Cunin

     

     

    reproductions non légendées

    La biographie de l’écrivain Pierre Kemp : Wiel Kusters, Pierre Kemp. Een leven, Nimègue, Van Tilt, 2010.

    La biographie du poète et essayiste Jan van Nijlen : Stefan van den Bossche, Jan van Nijlen. De wereld is zoo schoon waarvan wij droomen, Tielt/Amsterdam, Lannoo/Atlas, 2005.

    La photo de la Place de la Poustelle est reproduite dans la monographie que Jan van Nijlen a consacrée à Francis Jammes.

     

    F. Jammes, photo dans  le livre de J. van Nijlen de 1918 

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésie[1] « Frankrijk. Naar de Riviera », Het Vaderland, 26 février 1920, édition du soir.

    [2] « Parijsch Tonneel », Het Vaderland, 6 mars 1921.

    [3] « Francis Jammes en zijn kwatrijnen », étude publiée en octobre 1936 dans le périodique Groot Nederland.

    [4] « La Grande Nuit », Les Géorgiques Chrétiennes, Paris, Mercure de France, 1912, chant III, p. 72-77.

    [5] Het Centrum, 17 décembre 1921.

    [6] Den Gulden Winkel, 1922.

    [7] Le quotidien Het Vaderland relevait, sur le plan idéologique, de la libre pensée et en rien d’une mouvance chrétienne.

    [8] « Francis Jammes en Lili Boulanger », Elsevier’s Geïllustreerd Maandschrift, p. 67-69.

    [9] Dialogue. Stéphane Mallarmé – Francis Jammes. 1893-1897, introduction et notes de G. Jean-Aubry, La Haye, 1940, et Francis Jammes et Valery Larbaud, lettres inédites, introduction et notes de G. Jean-Aubry, Paris/La Haye, 1947.

     

     

     Cahiers Francis Jammes n° 2-3 (octobre 2014)

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  • Une page de Paul Verlaine

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    En compagnie du peintre orientaliste

    Ph. Zilcken

     

     

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    Le 19 janvier 1896, Les Annales politiques et littéraires publient une page de prose de Verlaine. Elle relate un épisode de son séjour en Hollande (novembre 1892) au cours duquel il a en particulier bénéficié de l’hospitalité du peintre et graveur francophile Philippe Zilcken ; celui-ci occupait alors, avec son épouse et leur fillette Renée, la Hélène-Villa à La Haye. Dès 1893, à l’initiative de l’artiste néerlandais et du libraire-éditeur Blok, les quelques paragraphes en question avaient été publiés avec diverses considérations et quelques poèmes du voyageur : Paul Verlaine, Quinze jours en Hollande, lettres à un ami, avec un portrait de l’auteur par Ph. Zilcken. Deux ans après la mort du poète devait suivre un deuxième volume : Correspondance et documents inédits relatifs à son livre Quinze jours en Hollande, avec une lettre de Stéphane Mallarmé et un portrait de Verlaine écrivant d’après la pointe sèche de Ph. Zilcken sur un croquis de J. Toorop. Les lettres que Verlaine adresse à son correspondant hollandais privilégié montrent que ce dernier lui a fourni maints renseignements qui ont servi la rédaction de l’ouvrage de 1893 ; on constate par ailleurs que, pour ce travail, la motivation première de l’auteur de Jadis et naguère, constamment aux abois, semble bien avoir été l’argent.

    Jan Toorop dessiné par Verlaine

    paul verlaine,philippe zilcken,hollande,littérature,poésie,gravure,voyage,joséphin péladanLa page reproduite dans Les Annales politiques et littéraires, mettant en avant la rencontre entre Paul Verlaine et Joséphin Péladan à La Haye, fait l’impasse, gommage symptomatique, sur un bref passage relatif aux hommes de lettres des Pays-Bas ; elle ne restitue pas non plus vraiment les circonstances qui ont conduit à ces fortuites retrouvailles. Après avoir séjourné à Amsterdam où il a pris la parole en public le 8 novembre (voir invitation ci-dessous qui mentionne : lassistance est priée de ne pas applaudir) et le 11, Verlaine et Zilcken quittent les peintres Willem Witsen et Isaac Israëls et, en compagnie de Jan Toorop, prennent le train. C’est dans un café de La Haye où, à l’abri de la pluie diluvienne, ils font halte avant de regagner la Hélène-Villa, qu’ils découvrent deux affiches annonçant la conférence de Péladan.

    paul verlaine,philippe zilcken,hollande,littérature,poésie,gravure,voyage,joséphin péladanLe lendemain, lorsque Verlaine rejoint Zilcken dans son atelier, ce dernier lui parle des  écrivains néerlandais majeurs de l’époque : « Avec Kloos et Verwey, Delang, un partisan de ce dernier, Frederic van Eeden, très doux et très goûté (je me souviens de sa poignée de main a Amsterdam), sont les principaux poètes modernes de la Hollande. Son peut-être plus grand prosateur serait van Deyssel, dont l’éloge presque hyperbolique est dans toutes les bouches compétentes de là-bas. » À l’exception de Delang – pseudonyme de Gerrit Jan Hofker (1864-1945) –, collaborateur de la revue De nieuwe Gids puis de De Kroniek, qui n’a laissé semble-t-il qu’un recueil de textes, très appréciés et caractéristiques de la mouvance littéraire hollandaise des années 1880 (Gedachten en verbeeldingen, 1906), il s’agit en effet de quelques-unes des plus grandes figures de leur temps, tous alors encore très jeunes. Verlaine les a rencontrés lors de son séjour de même quil a fait, toujours par l’entremise de Zilcken, la connaissance de la nouvelle génération de peintres hollandais.

    Verlaine dans latelier du peintre Willem Witsen

    paul verlaine,philippe zilcken,hollande,littérature,poésie,gravure,voyage,joséphin péladanDu graveur haguenois qui a joué un rôle considérable dans les échanges entre son pays et la France, le poète écrit : « C’est un type que mon hôte, un type achevé d’étranger parlant aussi bien le français que vous ou moi sans nul accent ni jamais une faute, un type d’artiste connaissant mille choses en dehors, d’une conversation variée et instructive et incisive, et qu’on écouterait tout le temps. Fils d’un haut employé du gouvernement, il fut, dans son adolescence, secrétaire intime officieux de la grande reine Sophie, cette seule amie, l’Égérie en quelque sorte de l’infortuné Napoléon III qui, s’il l’eût écoutée, se fût et nous eût épargné la guerre de 1870. Physiquement parlant, Zilcken répond aussi peu que possible à l’idée qu’on se fait d’un Hollandais… d’après beaucoup, les peintres flamands, d’après aussi la littérature, par exemple d’après ce merveilleux Diable dans le beffroi, d’Edgar Poe, avec le masque de qui, du reste son masque présente une certaine analogie générale. Le pot-à-tabac classique fait place en lui à un grand jeune homme, maigre, élancé, toujours en mouvement. Il a une grande réputation de peintre et de graveur dans son pays et est loin d’être un inconnu dans nos expositions nationales et privées où le succès l’accueille annuellement. »

    La traduction française de plusieurs écrits néerlandais relatifs au séjour de Paul Verlaine et aux heures passées avec Péladan figure dans : G. Jean-Aubry, « Verlaine en Hollande », Mercure de France, 1er juin 1923, p. 318-353. Une belle étude qui se termine par ces mots : « Aujourd’hui encore la Hollande est un des pays où il est le plus aisé à un Français de mesurer l’étendue de son ignorance. »

     

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     Ph. Zilcken, aquarelle, 1910

     

     

    SOUVENIRS DE VOYAGE

     

    [Paul Verlaine est beaucoup plus célèbre par ses vers que par sa prose. Voici pourtant une page peu connue que nous offrons à la curiosité de nos lecteurs. C’est le récit, plein de bonhomie, d’une excursion en Hollande… Le poète avait été convié, il y a quelques années, à faire une conférence à Amsterdam. Et il eut l’occasion, se trouvant dans cette ville, d’ouïr un autre conférencier.]

     

     

    UNE CONFÉRENCE DU SÂR PÉLADAN

     

    Nos yeux tombent sur deux affiches (les mêmes) étonnantes représentant de grandeur demi-nature, le Sâr Péladan en robe monacale, les yeux baissés, sa crinière et sa barbe légendaires aspirant, eux aussi, ainsi que le nez – rien de celui du père Aubry, d’Atala, – à la terre.

    En exergue, l’annonce pour le lendemain d’une conférence sur la Magie et l’Amour (si je ne me trompe trop grossièrement). L’heure, huit heures du soir.

    Munis de ces renseignements, nous continuons notre route jusqu’à chez Zilcken qui ne nous en veut pas trop du train manqué et de sa course inutile.

    Le lendemain, quelle joie ! Rien à faire : on a beau dire, le repos est bon. Et quelques pures véritablement délices que m’aient procurées trois publics mieux accueillant l’un que l’autre, y penser et y repenser m’était alors et m’est encore plus doux, s’il est possible, que le contact, si j’ose ainsi parler. Plus de conférence à préparer, à débiter, rien qu’une à entendre, et quelle !

    Péladan par A. Séon, 1892 

    paul verlaine,philippe zilcken,hollande,littérature,poésie,gravure,voyage,joséphin péladanJ’ai toujours fait en Joséphin Péladan la différence entre l’homme de talent considérable, éloquent, profond souvent, et que tous ceux capables de comprendre et d’apprécier, doivent, sous suspicion de mauvaise foi insigne, admettre sinon admirer au moins en grande partie, et le systématique, le sans doute très sincère mais le certainement trop encombrant sectaire, qu’il se dénomme Sâr ou Mage, à qui Barbey d’Aurevilly disait déjà dans une préface à son Vice suprême, « n’usez donc de magie que de celle du talent ».

    Thé-déjeuner, café au salon, où Mlle Renée me montre ses beaux albums « zaponais » et un oiseau qu’une ficelle meut en tous sens. Je crois même me rappeler qu’il « chantait », au grand émoi du serin qui lui répondait vigoureusement. Passage à l’atelier où Zilcken m’initie encore à la littérature moderne néerlandaise.

    Mais l’on ne peut bavarder sans cesse. Je monte faire une petite sieste, chose, la sieste, qui m’est familière surtout depuis six ans que ma santé se trouve si détraquée, et que je n’ai pu pratiquer ici jusqu’à ce bienheureux jour d’un battage de flemme si bien gagné.

    Je sommeillais tant et si bien en bras de chemise, recouvert de mon pardessus et d’un édredon, que force fut à mes hôtes d’envoyer la bonne, qui parlait un peu anglais, laquelle dut frapper plusieurs fois à la porte en me criant dans un accent néerlandais indubitable et inimitable ici : « Get up, Sir. Dinner is ready. »

    « I will be down stairs directly », répondis-je, et, après une toilette rapidement menée, je descendis pour le dîner – et pour la conférence de Péladan comme dessert de haut goût.

    La salle où Péladan doit parler est celle du Kunstkring, le cercle d’art des « « jeunes » de La Haye. Assez grande, en long, plutôt faiblement éclairée.

    Isaac Israëls, Autoportrait

    paul verlaine,philippe zilcken,hollande,littérature,poésie,gravure,voyage,joséphin péladanNous arrivons quand le conférencier est en chaire. – Un mot de description ne nuira pas, je pense. Tout au bout de la salle s’élève une véritable tribune ; de la tablette de cette tribune tombe une chasuble rouge à croix jaune qui la cache entièrement. À droite et à gauche, dans des chandeliers d’église, brûlent quatre cierges, dont deux ont des proportions de cierges pascals et les deux autres celles de cierges d’autel. Péladan, que je connais un peu de Paris, apparaît de loin, en son habit noir à jabot et à manchettes, – bizarre mais d’une grande distinction sui generis. La voix est bonne, sui generis aussi, grave, un peu faible. Il parle de magie, d’anges, de fils d’anges. Bref, c’est le Péladan contestable, mais encore « talentueux ». Il descend de la tribune au bout de quelque temps pour se reposer, comme c’est la clémente coutume là-bas. Le public est indécis. Il faut bien dire qu’il est venu là un peu dans l’espoir de voir un excentrique, disons le mot, un grotesque. Une réaction dans le bon sens se prépare qui éclate en vifs applaudissements, quand, dans la seconde partie, après avoir finement… et malicieusement, de parti pris, parbleu ! parlé ou plutôt jasé des femmes, il s’éleva, se sublimifia dans une sorte d’invocation cette fois presque tout à fait très chrétienne, sans plus de magie que de droit pour un homme si infatué de cette véritable croyance sienne. Zilcken (j’ai dit qu’il m’avait accompagné) et moi nous descendons dans un local où Péladan, entouré et félicité, se délassait de la solennité de son discours de tout à l’heure en paradoxes amusants, et le charmant causeur qu’il est se donnait pleine carrière. Je profitai d’une seconde de silence pour m’avancer vers lui. Il me reconnut sur-le-champ et nous nous serrâmes cordialement la main. Après quelques coupes de champagne vidées, chacun s’en fut chez soi, après s’être toutefois donné un rendez-vous pour le lendemain au Restaurant royal, où un déjeuner en l’honneur du Sâr devait être donné.

    paul verlaine,philippe zilcken,hollande,littérature,poésie,gravure,voyage,joséphin péladanLe lendemain, à l’heure ordinaire, nous nous rendîmes, Zilcken, sa femme et moi, au Restaurant Royal, – où j’ai oublié de dire qu’on m’avait précédemment offert un banquet qui fut très cordial et très joyeux. La compagnie était déjà nombreuse. On n’attendait plus que le Sâr. Il vint bientôt accompagné de deux autres convives. Un bonnet d’astrakan, un pourpoint de soie, des bottes de chamois blanches, et un manteau composaient son costume. Et vive lui ! de se moquer du qu’en dira-t-on et d’arborer les vêtements qui lui plaisent, tandis que la majorité même des artistes s’habille comme tout le monde et que le même faux col étrangle le cou de l’aigle et celui de l’oie !

    Mais on se met à table ; Péladan et moi, entre deux dames. Vous dire les adorables méchancetés, parfois le latin qu’il m’envoyait plutôt pour gentiment taquiner ces dames, qu’à cause des énormités qu’il était censé contenir, les mots sans nombre, bref toute la joliesse de sa conversation, tâche au-dessus de moi, rêve !

    Après son départ pour une célèbre plage toute voisine, Scheveningen, ce ne fut qu’un concert de palinodie. On revenait sur lui, et il quitta, le lendemain, La Haye pour Paris, emportant avec de sérieuses promesses de la plupart des peintres de la ville et de la région pour son salon des Rose + Croix dont il est comme on sait le Grand Maître, l’estime, la sympathie, j’oserai ajouter – je souligne : j’oserai, car c’est un homme si contredit – un commencement d’admiration pour l’immense talent et le génie (au fond) que je lui trouve.

     

    PAUL VERLAINE

    Les Annales politiques et littéraires, 19 janvier 1896, p. 36

     

     

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    Ph. Zilcken, Portrait de Paul Verlaine, gravure 

     

     

     

     À propos de « Péladan et Verlaine », lire ci-dessous la contribution de Christophe Beaufils publiée dans les dossiers H Les Péladan, 1990, p. 184-185

     

     

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    L’artiste extrêmement doué Johan Thorn Prikker (1868-1932) (mosaïque ci-dessus) a laissé un témoignage sur le séjour septentrional de Verlaine et la rencontre avec Péladan. Il figure dans un recueil de lettres : Brieven van Johan Thorn Prikker, met een voorwoord van Henri Borel, 1897. G. Jean-Aubry en offre une traduction (réalisée avec le concours de ses correspondants hollandais) dans sa contribution au Mercure de France (1er juin 1923, p. 341-344). En voici l’essentiel :

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  • Un petit défaut

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    Rentrée littéraire

     

     

    Œuvres théâtrales et poétiques posthumes de Charles-Louis Fournier, portant  en épigraphe :

    Audacia mixta pudori,

    vol. I, à Ypres, chez Annoy - Vandevyver, 1820.*

      

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    M. Fournier, né à Ypres le 21 février 1730, mort le 28 août 1803, était un galant-homme qui cultivait les lettres, son jardin, ses amis, et qui aimait fort le théâtre. On ne l’a guères connu de son vivant, ce qui ne l’a pas rendu moins heureux ; on ne le connaîtra pas plus après sa mort, ce qui importe peu à son ombre, mais beaucoup à son éditeur. M. Fournier était donc le meilleur homme du monde ; il avait de l’esprit, chose qui ne gâte rien, et il était caustique, manie qui gâte souvent les plus belles qualités.

    M. Annoy Vandevyver qui se charge de publier six volumes de traductions de pièces de théâtre, ainsi que les poésies trouvées dans les papiers de M. Fournier, a tracé habilement le portrait de son ami dans ces vers qui seraient bons sans un petit défaut :

     

    Le talent, le mérite ont été son partage ;

    Il était vertueux, il abhorrait le faux ;

    Il serait immortel sans un petit défaut :

    Il aimait le sarcasme. Oh Dieu ! c’est bien dommage ! (1)

     

    C’est bien dommage que M. Fournier ne vive plus : il ferait des pièces nationales, en langue nationale, et le Recensent ook der recensenten (2) le mettrait à côté de MM. Willems et Vervier (3).

    Le volume que nous annonçons contient le Café, opéra comique, le Légataire, de Regnard, le Trompeur trompé, l’École des Bourgeois, Annette et Lubin et les Deux Billets.

     

    * (X, « Naergelaetene tooneelstukken en Rymwerken van Karel-Lodewyk Fournier ; met deze epigr. Audacia mixla pudori, Eerste deel, te Yperen, by Annoy - Vandevyver, 1820, 400 pp. » Le Mercure belge, 31 mars 1821, p. 396)

     

    (1) L’avant-propos mentionne que ce quatrain est d’un contemporain du défunt ; dans le volume lui-même, le derniers vers est ainsi formulé : « Il aimait le sarcasme. Oh Dieux c’est bien dommage ! »

    (2) Périodique ayant existé de 1805 à 1864.

    (3) Jan Frans Willems (1793-1846), homme de lettres et grande figure du mouvement flamand. Jan Baptist Vervier (1750-1818), Gantois défenseur de la langue flamande (Op het herstel der Moedertaal in de Zuidelijke Nederlanden,1815) ou, plus probablement, Karel August Vervier (1789-1872), poète ami de Willems.

      

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    Ypres, plan des fortifications, vers 1775

     

     

    Écrits posthumes d’un poète,

    rhétoriqueur et traducteur d’Ypres

      

    Cette annonce, à la fois lapidaire et cocasse, figure dans le Mercure belge du 31 mars 1821. Ce périodique, qui a paru de 1817 à 1821, accordait une certaine place aux lettres hollandaises et flamandes à travers des comptes rendus, mais aussi des traductions. L’un de ses fondateurs, Louis-Vincent Raoul (1770-1848) – Français devenu sujet de sa majesté Guillaume Ier en 1816 – jouissait d’ailleurs dune certaine renommée comme traducteur des auteurs classiques.

    Jacob Cats

    karel-lodewyk fournier,le mercure belge,jan frans willems,belgique,pays-bas,littérature,théâtre,traduction,poésieD’aucuns ont vu en Karel-Lodewyk Fournier un préromatique. Un commentateur lui consacre quelques paragraphes en le rangeant auprès d’une poignée de « poetæ minores »*. Un autre en fait un épigone raté du poète « domestique » Jacob Cats (1577-1660), précisant que ses vers graves sont de la prose rimaillante, ses vers burlesques des cochoncetés : 

    Ils fument, galochent avec une fougue telle

    Que bave et tabac suent sur les joues des donzelles.

     

    On a aussi critiqué le néerlandais de l’Yprois en raison d’une trop grande « contamination » du vocabulaire par le français. Toutefois, un historien de la littérature lui reconnaît certains mérites : le manque d’originalité de ses pièces de théâtre – sa production consiste pour une bonne part en des traductions ou des imitations de comédies de Molière (Le Malade imaginaire), Regnard, Florian, Desforges, Lesage (Crispin rival de son maître), Favart, Marmontel, d’Allainval … – est compensé par une belle spontanéité dans la formulation et un sens incontestable du pittoresque et du drolatique. Ses poèmes – pour la plupart « de circonstance » – revêtent sans doute une certaine valeur historique puisqu’ils ont été composés à une époque où les lettres flamandes faisaient leur purgatoire.

    Louis-Vincent Raoul

    karel-lodewyk fournier,le mercure belge,jan frans willems,belgique,pays-bas,littérature,théâtre,traduction,poésieÀ plusieurs reprises, Fournier émet d’ailleurs l’espoir de voir renaître les arts de sa contrée dans toute leur splendeur (Schept moed, ô Teekenjeugd! volgt de doorlugte vaders, / Den aerbeid miek ze groot: hun bloed doorvloeye uwe aders! / Dat Neêrland eertyds kon, dat kan het nog bestaen / Den weg die leid tot eer is hier een vrye baen.) ; il ne manque pas, au passage, de se moquer de la francomanie de ses concitoyens en vue et de s’opposer aux philosophes français de l’époque.

    Karel-Lodewyk Fournier maniait, en plus de la plume, le pinceau. Il avait fait ses gammes à Paris où est semble-t-il née sa passion pour le théâtre. En 1784, il a épousé une certaine Benedicta Nègre. Dans ses terres, il a eu le bonheur de voir jouer plusieurs de ses créations et de ses traductions. Les six volumes de ses œuvres annoncés par le Mercure belge virent effectivement le jour en 1820-1821. Malgré le souhait de l’éditeur, ils n’ont pas résisté « à la rouille du temps ».

    Attaché à sa langue maternelle, Fournier a tout de même commis quelques pièces en français, par exemple un « Conte épigrammatique » et une « Pillule (sic) épigrammatique » :

     

    Pillule épigrammatique

     

    D’où vient, demandait Galathé,

    Que Diaphoor, ton médecin

    Ne m’a pas encor rapporté

    Mon livre, qu’il promit de rendre

    Le lendemain ?

    Ceci m’est facile à comprendre,

    Disait Cloris ; ne m’a-t’il pas

    Promis qu’il guérirait Colas ?

    Et voilà Colas dans la bière.

    De ce que dit un médecin,

    De ce que dit l’esprit malin,

    Le plus sûr est de croire le contraire.

     

     

    * G. Degroote, « Poetæ Minores »,

    in Miscellanea J. Gessler, I,

    1948, p. 364-375.