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poésie - Page 20

  • Hommage à Verhaeren

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    Francis Vielé-Griffin

    sur « le Grand Flamand »

     

     

    Mais je suis né, là-bas, dans les brumes de Flandre,

    En un petit village où des murs goudronnés

    Abritent des marins pauvres mais obstinés,

    Sous des cieux d’ouragan, de fumée et de cendre. 

     

    Émile Verhaeren, « Épilogue », Toute la Flandre

     

     

    Et qu’importe d’où sont venus ceux qui s’en vont,

    S’ils entendent toujours un cri profond

    Au carrefour des doutes !

    Mon corps est lourd, mon corps est las,

    Je veux rester, je ne peux pas ;

    L’âpre univers est un tissu de routes

    Tramé de vent et de lumière ;

    Mieux vaut partir, sans aboutir,

    Que de s’asseoir, même vainqueur, le soir,

    Devant son œuvre coutumière,

    Avec, en son cœur morne, une vie

    Qui cesse de bondir au-delà de la vie.

     

    Émile Verhaeren, « Au bord du quai », Les Visages de la vie

     (recueil dédié à Vielé-Griffin)

     

     

    Quelles heures, d’entre les mortes, furent nôtres ?

     

    F. Vielé-Griffin, « Ronde des cloches du Nord », Joies

     

     

     

    Vielé-Griffin par T. van Rysselberghe (détail)

    VieléGriffinTheo.pngPoète de nationalité américaine, poète surtout du vers libre, Francis Vielé-Griffin (1864-1937) a compté plusieurs amis flamands dont le peintre gantois Théo Van Rysselberghe - qui, heureusement, ne suivra pas l’exemple de lauteur de La Partenza, lequel a détruit un jour toutes ses toiles ! - et Émile Verhaeren. À l’occasion du dixième anniversaire de la disparition de ce dernier, plusieurs écrivains et personnalités se retrouvent à Bruxelles (28 novembre 1926) pour célébrer la mémoire de l’auteur des Flamandes, une manifestation agrémentée de pièces musicales de César Franck. La revue Le Thyrse a consacré son numéro du 5 décembre 1926 à cet évènement en imprimant les trois allocutions (du poète belge d’expression française Albert Mockel, de l’essayiste flamand August Vermeylen et de F. Vielé-Griffin), un poème en prose du Wallon Louis Piérard, grand connaisseur de la Hollande, ainsi qu’un texte du peintre et auteur français Paul-Napoléon Roinard, qui, en son absence, fut lu lors du banquet offert à Vielé-Griffin après la séance commémorative.

     

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    Le symboliste A. Mockel, à qui l’on doit un Émile Verhaeren, poète de l’énergie, se félicite, en tant que « Wallon jusqu’aux moelles » que Verhaeren soit « Flamand avant tout, Flamand par toutes ses fibres ». Grande figure du renouveau culturel flamand à la charnière des XIXe et XXe siècles, August Vermeylen (photo AMVC, détail), après avoir rappelé l’aversion qu’éprouvait le disparu pour les oraisons funèbres, souligne de son côté que « l’étude la plus pénétrante, la plus “fraternelle” » consacrée au natif de Saint-Amand « est d’un poète flamand, Karel van de Woestyne ». IlVieléVermeylen.png poursuit : « […] certains blâment Verhaeren de n’avoir pas écrit en flamand, d’autres le louent d’avoir écrit en français. Vaine querelle ! Qu’on se dise une fois pour toutes qu’un poète, qui a le respect de son art, ne choisit pas sa langue. C’est bien simple : Verhaeren a écrit dans la langue qui lui était la plus naturelle, le français, de même que Gezelle a écrit dans la langue qui lui était la plus naturelle, le flamand. Cela ne regarde que l’artiste qui crée son œuvre ». Puis le Bruxellois bilingue suggère qu’on trouve à la fois en Verhaeren deux poètes, nombre de ses pièces parmi celles qu’on cite le moins permettant de le ranger dans la première catégorie : « Je vois deux espèces de poètes, très différentes et qu’on ne peut comparer : ceux qui ne vivent que leur rêve intérieur, en dehors du temps, et dont l’œuvre est transposée dans l’éther spirituel, le plan éternel de l’âme. […] Mais l’ensemble de son œuvre le classe plutôt dans cette autre catégorie, les poètes dont l’esprit est tourné vers le monde de l’action ». Il le considère comme « le type le plus admirable du poète » qui, depuis Walt Whitman, « embrasse le monde, l’absorbe tout entier et le fait vibrer d’une pulsation large et profonde. ». Pour ceux qui ont eu le bonheur de connaître Verhaeren, nous dit-il encore, un seul mot le résume : « ferveur ! » Après avoir rappelé un souvenir (voir ci-dessous), il conclut, toujours devant Albert Ier et la reine Élisabeth, en évoquant la lutte que doit livrer celui qui regarde la vie en face « et qui trouve sa rédemption dans la lutte », autrement dit en comparant le vrai poète à un Christ anarchiste : « […] car il devait aimer la vie avec rage, pour se crucifier sur elle comme il l’a fait là. Et il lui fallait souffrir cette passion et cette agonie pour pouvoir ensuite, brûlé, purifié, renouvelé, s’élever vers un hymne aussi clair que la Multiple Splendeur ».

     

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    Quant à Louis Piérard, il donne une évocation de la tentaculaire Londres où il se trouvait au moment où il apprit, en lisant le journal, la mort tragique de Verhaeren « the well known belgian poet. Tué ! Broyé par un train à Rouen ! » La suite de son texte condense quelques souvenirs du « grand berger de l’horizon, des bois roux, des labours violets, du ciel pâle où tremblotent les premières étoiles ». Paul-Napoléon Roinard nous confie lui aussi, outre l’expression de sa « pieuse admiration », quelques souvenirs de moments partagés avec le grand poète.

    Sous la plume de Francis Vielé-Griffin – qui a dédié à Verhaeren, dont il n’avait sans doute pas « les audaces sublimes » (Thierry Gillybœuf), son En Arcadie (1897)* –, l’hommage prend un peu plus l’aspect d’une analyse de l’art poétique : il y est question de « Pur Poète », « du mystique que ravit la grâce ». Malgré une ligne manquante dans la dernière partie du texte (p. 463-465), nous le reproduisons dans son intégralité.

     

     

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    * Voici le poème « Dédicace » qui ouvre

    En Arcadie (dans le recueil La Clarté de Vie)

     

    Ton art

    Est comme un gonfanon, beau chevalier

    Debout dans l’étrier,

    Et face au jour émerveillé ;

    Et l’ombre de ta grande lance noire

    Ondule derrière toi sur l’ornière crayeuse ;

    Il monte comme un rêve d’encensoir

    Des foins que nous fanons parmi les peupliers,

    Chantant la vie joyeuse

    Et son espoir.

     

    Mais tu sais bien notre âme et tu l’as dite

    En un grand cri de pitié farouche :

    Appuyés sur la fourche en l’ombre qui médite

    Nous avons écouté nos rêves de ta bouche :

    Ta voix dure est si tendre

    Que les faneurs groupés dans l’ombre pour l’entendre

    Vont murmurant déjà des hymnes désapprises

    Et jonchent ton chemin des fleurs de nos prairies

    Et s’émerveillent et disent :

    « C’est notre saint Martin qui chevauche et qui prie ! »

    Car ta bonté est douce et claire comme la brise.

     

    Francis Vielé-Griffin

     

     

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    Émile Verhaeren écrivant (détail), 1915

    par Théo van Rysselberghe 

     

     

     

  • Ô Mère-Flandre !

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    Prosper Van Langendonck

    et les Lettres flamandes,

    par Pierre Broodcoorens

     

     

    P. Broodcoorens, par Magritte, 1921

    PortraitofPierreBroodcoorens1921.jpgNé à Bruxelles en 1885, l’écrivain d’expression française Pierre Broodcoorens a laissé parler ses convictions socialistes ainsi que son attachement à la Flandre occidentale dans son théâtre, sa poésie (A celle qui porte mon nom, 1907, Le Carillonneur des esprits, 1921...) et dans ses romans comme Le Sang rouge des Flamands (paru d’abord dans Le Peuple en 1914 puis en volume en 1922) dont Rosa Luxembourg a pu dire dans ses Lettres de prison : « Ce roman m’avait beaucoup frappée. Je trouve surtout que les descriptions de paysage y sont d’une grande force poétique… Il semble évidemment qu’au beau pays des Flandres le soleil se lève et se couche avec beaucoup plus de splendeur que dans n’importe quel autre endroit du monde… Ne trouvez-vous pas que, par leur coloris, de tels livres rappellent tout à fait Rembrandt…? La tonalité sombre de l’ensemble, à laquelle se marie toute la gamme des or et vieil or, le réalisme effarant dans le détail et cependant l’impression de mystère et de légende qui se dégage du tout ? ». Broodcoorens s’est occupé de plusieurs revues comme En art et L’Exode. Son ami Magritte a eu l’occasion de le portraiturer. On considère Broodcoorens comme un disciple de Camille Lemonnier ou de Georges Eekhoud. Des critiques français lui reprocheront sa « prodigalité de belgicismes » ou encore le réalisme trop cru de ses récits. Pour sa part, l’écrivain thudinien Paul Bay ne tarit pas d’éloges au sujet du Miroir des roses spirituelles, volume réunissant des nouvelles ou croquis de son confrère dont le vocabulaire est parfois directement emprunté au flamand : « Vous rappelez-vous, Messieurs, chers camarades, la silhouette de Broodcoorens se rendant tout songeur à son bureau de l’Hôtel de ville de St-Josse-ten-Noode ? Vous rappelez-vous sa barbe embroussaillée, ses yeux luisants, son regard appuyé et volontiers farouche ? Vous rappelez-vous, disciples d’Eekhoud, la voix de tonnerre, les récitations volcaniques, les emportements et les rires de gosse du grand Brood ? Et bien, cet homme, cette ombre aujourd’hui, nous a légué un livre grâce auquel son nom ne périra point. Si Broodcoorens a aimé son pays, sa campagne des environs de Renaix, s’il l’a bien observé, adoré, au point de le faire tenir tout entier en quatre contes, son pays le lui a bien rendu. Il a inspiré à un Belge, à un Flamand, des pages impérissables. On dirait même qu’elles ont été écrites avec du sang, avec le sang d’un cœur ardent et débordant d’amour pour la pauvre humanité des campagnes. » (Le Thyrse, 21 mars 1926, p. 139).

    Une rue de La Hulpe, commune wallonne où l'écrivain est décédé en août 1924, porte son nom. À l’occasion de sa disparition, la presse française rapporte : « Le poète belge Pierre Broodcoorens qui a écrit notamment Le Sang rouge des Flamands et Les Rustiques, a succombé à Bruxelles. M. Broodcoorens, émule et fervent admirateur du grand écrivain Camille Lemonnier, avait présidé, dimanche dernier, la cérémonie inaugurale d’un monument à la mémoire de son maître. » (entre autres Le Figaro du 14 août 1924).

     

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    Extrait du billet de M. Martinet sur Le Sang rouge des Flamands

    L'Humanité, 27/04/1922, p. 4 (source : Gallica)

     

    Les trois premières pages de la revue bruxelloise L’Art libre de février 1921 donnent à lire un article de Pierre Broodcoorens que nous reproduisons ci-dessous. La disparition du poète, critique et essayiste flamand Prosper Van Langendonck le 7 novembre 1920 a motivé l’écriture de ce texte. Dans ces lignes, l’auteur d’expression française acquis à la cause flamande s’enflamme. Dresser un portrait du défunt est pour lui l’occasion de plaider en faveur de Mère-Flandre - contre la domination de la culture et de la langue françaises - en mêlant un appel à la lutte (socialisme) et à l’union de toutes les composantes flamandes (nationalisme) avec une revendication à la fraternité européenne (internationalisme).

    couverture du 1er numéro de Van Nu en Straks (source : dbnl)

    couvvannu1.pngDans ses terres, Prosper van Langendonck fait aujourd’hui encore figure de poète maudit. C’est d’ailleurs ainsi que le caractérise Stefan Brijs dans l’essai qu’il lui a consacré il y a quelques années : « De Vlaamse poète maudit » (De vergeethoek, Amsterdam/Anvers, Atlas, 2003, p. 29-36). Maudit, il le reste au-delà de la mort : le jour de ses obsèques, sur la carte placée sur son cercueil, un point d’interrogation figurait à côté de son nom : personne ne se souvenait de sa date de naissance. Depuis quatre-vingt dix ans, quelques contributions viennent le tirer de temps à autre de l’oubli. Les historiens de la littérature lui accordent une place en tant qu’auteur d’un unique recueil de poésie, les Verzen - il n’a pour le reste composé que quelques comédies en un acte dont Een huwelijk per vliegmachien (Un mariage en aéroplane, 1914) - et surtout comme figure majeure du mouvement de rénovation des lettres flamandes incarné par Van Nu en Straks (D’aujourd’hui et de Demain ou De Maintenant et de Tout à l’Heure). Trentenaire, il est l'un des plus âgés de la première équipe qui a fait vivre cette revue et, par sa défense des valeurs catholiques, il effectue le lien entre le passé et le présent alors qu’un auteur comme Auguste Vermeylen (1872-1945) s’inscrit plutôt dans la mouvance anarchiste. Langendonck évoque une synthèse chrétienne, il aspire  à « un « christianisme dans sa forme la plus pure : le catholicisme est assez large pour annexer les efforts de chacun, et il se trouve encore et il se trouvera toujours au sommet de toutes les vies ». Ses courts essais « De Vlaamsche Parnassus », (Le Parnasse flamand, 1888) et « Herleving der Vlaamsche poëzij » (Renaissance de la poésie flamande, 1893-1894), comme sa polémique avec Max Rooses - sans doute le critique alors le plus influent de Flandre, qu'il prend à partie dans le premier de ces deux textes - ont fortement contribué à favoriser une nouvelle approche de la littérature qui a permis de rompre avec une poésie qui abordait toujours les mêmes sujets, couvfayard1999.pngrecourait toujours aux même tournures et aux mêmes formes. Il a défendu « un art classique et universel à titre de théoricien, mais aussi comme créateur, en composant des poèmes tourmentés d’une facture romantique tardive et chargés d’une tristesse et d’une ambivalence baudelairiennes, poèmes qui préparèrent le terrain au symbolisme de Van de Woestijne. […] S’il fit ses armes en lisant les romantiques Musset, Vigny, Leopardi, von Platen, il se laissait emporter par les vers des classiques Virgile, Dante et Vondel. Dans son premier poème d’importance, Waarheid en idéal (Vérité et idéal, 1883), il introduisit en Flandre la poésie décadente fin de siècle dans la tradition baudelairienne » (A. M. Musschoot, Histoire de la littérature néer- landaise, Fayard, 1999, p. 545). Ce n’est donc pas un hasard si, après avoir fait connaître Gezelle au-delà des rares cénacles où on le lisait, il  a découvert le talent d’un Karel van de Woestijne ou d’un Herman Teirlinck. Dans ses poèmes, essentiellement des sonnets, Van Langendonck a réalisé « une ultime harmonie entre le fond et la forme, une union parfaite entre le sentiment et l’expression, l’idée et le rythme. […] Un poème de Langendonck a une allure grandiose, un rythme noble et ample ; il ressemble à un vaste champ ondulant, où le panorama est à la fois étendu et mouvementé, multiple et bien ordonné » (André de Ridder, La Littérature flamande contemporaine, 1923, p. 115 et 117). A. Vermeylen (photo), qui l’a bien connu puisque les deux hommes avaient collaboré au mensuel Nederlandsche Dicht- en Kunsthalle ou encore au sein du cercle artistique bruxellois « De Distel » (Le Chardon) avant de fonder Van Nu en Straks, insiste de son côté sur la noblesse de l’art de son confrère, sur la place que ce dernier accorde à l’intellect dans ses sonnets et sur le drame qui habite sa voix singulière. « Pour Van Langendonck, le poète était l’homme capable d’incorporer la vie entière et de la recréer en une unité harmonieuse. […] Le beau miracle de sa poésie, c’est, dans ses composantes les plus infimes, l’euphonie du monde des sens, du monde du cœur et du monde de l’esprit. Même ses paysages les plus objectifs sont des tableaux de l’âme. » (De Vlaamsche letteren van Gezelle tot heden, photovermeylen.png1938). Dans « La poésie flamande con- temporaine », texte des années 1910 rédigé en français, la cheville ouvrière de Van Nu en Straks s’exprime en ces termes sur son ami qui, à son sens, tiendrait une place de choix « dans n’importe qu’elle autre littérature » au même titre qu’un Verhaeren : « Pour nous en tenir à la poésie, le rôle de Van Nu en Straks fut de reprendre, par-dessus l’école de Pol de Mont, à notre avis trop favorable au dilettantisme, les traditions de Rodenbach et de Gezelle, leur sens plus complet de l’union intime de la vie et de l’art. Ce fut là surtout l’œuvre de Prosper Van Langendonck. Il était un peu notre ancien déjà, puisque, à peine plus jeune que Pol de Mont et Hélène Swarth, il avait, dès avant la fondation de la revue, indiqué la bonne route et écrit des vers d’une psychologie toute moderne. Avec lui, nous retournons à un art où l’émotion profonde et la pensée s’éclairent mutuellement. Âme grave et foncièrement noble, crispée, tragique, toujours divisée, toujours en lutte contre elle-même, - conscience d’aujourd'hui, dont les douleurs ont des accents poignants, mais s’expriment toujours en une forme impeccable, illuminée de beauté. »

    Prosper van Langendonck est mort à l’hôpital Saint-Jean de Bruxelles, établissement où quel- ques célèbres poètes français ont séjourné. Après avoir perdu sa mère en 1880, il avait dû s’occuper de sa sœur folle et de son père, un restaurateur de tableaux plus ou moins aveugle. Aussi, n’ayant pu poursuivre ses études, il avait occupé de modestes postes dans l’admi- nistration ou dans les assurances - disparaissant d’ailleurs parfois plusieurs jours sans prévenir. À l’époque où il était employé du service de traduction du Parlement belge, il a traduit l’ouvrage de Siméon Olschewsky et Jules Garsou, Léopold II, roi des Belges : sa vie et son règne (1905). Un tel environnement était certes peu favorable à l’écriture d’une œuvre - il a toutefois connu quelques brèves années moins grises à l’époque de son mariage (1899) -, mais la raison première des longs silences du poète Van Langendonck réside dans sa fragilité : il souffrait semble-t-il de schizophrénie. Au cours des dix dernières années de sa vie, il s’est enfermé dans une « douleur muette ». Son dernier poème « De Zwerver »  (« Le Vagabond ») date de 1912, un titre en conformité avec la vie qu'il menait alors.  Stefan Brijs écrit qu’il n’a pu produire de grands poèmes que lorsqu’il traversait une période de lucidité.

    Très peu de poèmes de Prosper Van Langendonck ont semble-t-il été traduits en français. Dans son Anthologie de la poésie néerlandaise (Belgique 1830-1966), Maurice Carême n’en a retenu qu’un : « De orgeldraaier zingt » (« Le joueur d’orgue chante »), qui n’est certainement pas le plus repré- sentatif. Auparavant, dans leur Anthologie des écrivains flamands contemporains, André de Ridder et Willy Timmermans avaient tenté d’en transposer trois : « ’k Heb u in smert gebaard » (« Mes vers ») « Langs zomervelden » (« Par les champs d’été ») et « De zon » (« Le soleil »).

     

     

    Sur Pierre Broodcorens

    La Nervie, revue illustrée d’arts et de lettres lui a consacré un numéro (Bruxelles, n° 7,  1930, 36 pages).

    proper van langendonck,pierre broodcoorens,lettres flamandes,littérature belge,poésie,van nu en straks,gezelle,magritteJean Robaey, « Un auteur oublié : Pierre Broodcoorens », Franco- fonia, 1989, n17, p. 127-140

    Marc Maroye, « De Brakelse invloed op het leven en werk van Pierre Broodcoorens (1885-1924) », Triverius, oct. 1997, p. 55-65.

    Graziana Geminiani, Pierre Broodcoorens: uno scrittore di Fianda e la Germania: tesi di laurea, Ferrara, Università degli studi di Ferrara-Facoltà de lettere e filosofia, 2004.

    Lire en ligne la réponse de P. Broodcoorens à Octave Mirbeau sur La 628-E8 (La Belgique artistique et littéraire, n° 29, février 1908, p. 301-316).

     

    vignette accompagnant les premiers poèmes

    de Van Langendonck publiés dans Van Nu en Straks 

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    Prosper Van Langendonck

    et les Lettres flamandes

     

     

    Avez-vous du courage, ô mes frères ? Êtes-vous résolus ? Non pas du courage, devant des témoins, mais du courage de solitaires, le courage des aigles dont aucun dieu n’est plus spectateur ?

    Nietzsche. - Also sprach Zarathustra

     

    Prosper Van Langendonck est mort à l'hôpital Saint-Jean de Bruxelles, le dimanche 8 novembre 1920. Depuis dix-huit ou vingt ans il avait cessé d’écrire. Sa fin misérable passa presque inaperçue. Celui qui fut l’initiateur, et peut-être l’âme de la renaissance des Lettres flamandes, était à peu près oublié. À peine si la critique officielle citait encore son nom. La jeunesse flamande s’apprêtait cependant à réparer cette longue injustice. Ayant reconnu pour sien ce poète de la vie, elle se proposait de lui restituer la place que l’ingratitude lui a ravie, mais que la postérité lui gardera. Un banquet allait être donné à sa louange. La mort devança ce généreux dessein, car, sans doute, le nom de Van Langendonck ne pouvait manquer à la série de ceux qui, comme le sien, évoquent la douleur et le martyre des Poètes.

    Quand, par miracle, les imbéciles s’intéressent à un artiste véritable, c’est en raison de l’utilité qu’il peut avoir pour leur avancement, leur situation ou leur petite marotte de mécènes, « d’amis éclairés des lettres et des arts ». Pour qu’il reste digne de leur « bienveillance désintéressée », il faut qu’il soit un peu charlatan, un peu gros, vulgaire et sot par certains côtés. On pourrait formuler cette loi : La valeur du poète est en raison inverse du nombre de ses admirateurs à l’époque où il vit. Aussi un écrivain de talent doit-il se défier de son entourage et de sa popularité. Des applaudissements suspects doivent l’engager, comme Phocion, à se retourner vers ses amis pour leur demander : « Ai-je écrit ou dit une sottise ? »

    La gloire de Prosper Van Langendonck est très haute et très pure, si l’on considère le très petit nombre de ceux qui le connaissent et le chérissent dans sa noble personnalité poétique. Celle-ci eut quelque éclat à l’époque où il exposait, dans Van Nu en Straks, les théories critiques qui servirent de manifeste et de programme à la génération de 1890. L’éclipsé qui suivit fut totale.

    P. Van Langendonck

    Langendonck1.pngIl était né, comme il l’avait pressenti, pour « rester à jamais seul avec sa souffrance ». Il connut cet « absolu de la déréliction », dont parle Francis Nautet à propos d’un autre Pauvre sublime, Charles De Coster. La gêne, la misère l’éteignirent dans leur étau ignoble : il pourvoyait à ses besoins et a ceux d’une sœur incurable, au moyen d’une misérable pension de 200 francs par mois que lui allouait le gouvernement, non en sa qualité de Poète, mais en récompense de « bons et loyaux services » dans les cadres administratifs. Nous voudrions ne pas le croire, mais c’est M. Emmanuel De Bom qui nous l’assure (1), et il est trop véridique pour être suspecté d’exagération : Dans son dénuement, Van Langendonck aurait sollicité en « haut lieu » un secours de 500 francs, et cette aumône dérisoire lui aurait été refusée. Si le fait est exact, il est à la honte éternelle des Soutiens de l’Ordre et de la Patrie qui ne craignirent pas la responsabilité de leur geste devant ceux qui, plus tard, les jugeront comme furent jugés tant de coquins, de fourbes et de solennels crétins d’autrefois.

    Prosper Van Langendonck n’a publié qu’un recueil de poèmes : Verzen (2) et les pièces les plus récentes qui figurent dans ce recueil, dont une réédition parut en 1918, en Néerlande, portent le millésime de 1902. De cette année datent son long silence et son calvaire, car ce Poète de la Douleur la connut infinie, dans sa chair et dans son âme. Sous ce rapport, sa vie fut aussi terrible et tragique, dans son effa- cement, son humilité et son conformisme apparent, que la destinée d’un Dostoïewski, d’un Verlaine ou d’un Oscar Wilde.

    Il souffrait depuis l’enfance - il naquit en 1862 – d’une affection nerveuse qui, très certainement, affina sa sensibilité native, en fit un instrument de perception et d’intuition merveilleusement délicat, émotif, vibrant, mais aussi le prédisposa à ressentir plus cruellement qu’une nature moins fine, moins tendre, et donc plus prompte à la réaction vitale, les contrecoups internes du combat quotidien. La brute humaine, aux prises avec ses semblables - l’immense multitude sauvage, bruyante, meurtrière comme la mer - cette brute développe ses muscles, endurcit son gosier et ses poings dans la bataille sans merci qu’elle doit livrer pour son pain, l’assouvissement de ses passions ou de ses haines, la conquête de sa « situation ». Elle riposte aux coups par les coups ; elle frappe sans pitié, aveuglément ; elle vit : Vivre, pour la Brute, c’est mordre, supplanter, tuer. Si elle succombe, c’est sans beauté, en demandant grâce, elle qui, toujours, abaissa le pouce. La brute meurt à genoux, comme les bœufs, et sa propre espèce la piétine, boit son sang et meurt de même. Contre tous ces fronts durs, cornus, obstinés - baissés, - l’esprit qui n’est qu’esprit bande en vain l’arc de sa volonté et de son génie. Le cuir épais du monstre à mille têtes est rebelle à la banderille.
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    Heine, Mallarmé et Becque trouvèrent quelque agrément à ce jeu périlleux - gracieux, - et leur misère ou leur ennui en fut plus supportable. Prosper Van Langendonck était sans fronde devant le Mufle d’airain - éternel. En un sens, ce Poète foncièrement moderne - et moderne de propos délibéré - fut un exilé et un étranger dans l’anarchique et violente - superbe - vie moderne. Il est un Poète en puissance plus qu’uni Poète en réalisation, mais il a l’instinct des possibilités lyriques infinies du chaos actuel, où la lutte de l’Individu pour, la défense de sa personnalité est, grandiose comme un combat homérique, si bien que les triomphateurs n’ont d’égaux qu’eux-mêmes et doivent effacer les frontières pour être au moins quelques-uns.

    Van Langendonck allait aux horizons. Il voyait toute la vie, la vie unanime et créatrice, en projection dans le Futur. Mais, il lui était malheureusement aussi impossible de vivre le combat - de réagir victo- rieusement sur le phénomène – qu’il lui était aisé de le penser, le développant, dans sa lucide repré- sentation jusqu’à une intuition extraordinaire de la Réalité éternellement possible, du Rêve, - qui est la raison de l’irraison. Lisez ces vers, écrits en 1898 :

     

    Nous parerons chaque coup de l’adversité ;

    nous nommes ce qui sera, ce qui est, ce qui a été ;

    laissez les siècles s’écouler, renaître :

    Nous seuls existons au monde - point d’autres ! -

    et nous gouvernerons toute la vie,

    car elle procède de nous et en nous seuls palpite ! 

     

    « Lorsqu’on essaie de dégager l’idée maîtresse des systèmes mystiques du Moyen Âge (3), écrit Henri Lichtenberger, on arrive aisément à l’interpréter comme une sorte de monisme panthéistique, où les éléments spécifiques chrétiens feraient à peu près complètement défaut. » Prosper Van Langendonck, parti du mysticisme et du néocatholicisme, aboutit par une pente naturelle à la conscience de l’Unité dans la Pluralité, de la Pluralité dans l’Unité :

     

    Mijn menschenhart, - ô menschdom in mijn hart !...

    (Mon cœur d’humain, ô l’humanité dans mon cœur!...)

     

    Il rêve la possession du monde par l’amour. La découverte du rythme cosmique en accord avec le rythme de son être propre, de cette harmonie supérieure, faite d’antagonismes et de dissemblances - Dieu - élevait son lyrisme à des hauteurs où n’a atteint aucun poète flamand, où seul le génial Albert Rodenbach - mort prématurément, - aurait pu rivaliser d’envergure avec lui :

     

    Et de lointains essors partent et partiront !

    Alarguent des vaisseaux ! Alargueront encore !

    des yeux sont dardés et puis se darderont.

    Mon cœur sauvagement palpite

    et battra, plus sauvagement !  

     

    Ce cri a retenti - se prolonge toujours - à travers les Lettres flamandes, comme un clair et sonnant coup de clairon :

     

    Die al ’t geschapene aan de wijde borst wou prangen!

    (Qui sur son large cœur étreindrait l’univers !)

     

    Hugo Verriest (1840-1922)

    photohugoverriest.pngLes « idées de pierre », ainsi que les appelait Hugo Verriest, en furent ébranlées. Par la fissure béante passa, balsamique, tonifiant, le grand souffle du Large. Le sens de l’espace n’avait fait que contourner, jusqu’au moment où Van Langen- donck entra en scène, comme Poète et critique, l’épaisse enceinte de mu- railles où le génie flamand s’étiolait dans sa propre contemplation ou cherchait à acclimater des modes étrangères, sans relations avec sa puissante et jeune originalité.

     

    ***

     

    Ce fut, très incontestablement, un immense service. Il en fit l’annonciation à une heure où il était seul, enfoui jusqu’au cœur dans la vase et dans l’amertume d’une condition dérisoire (il était employé subalterne au ministère de la justice), se servant d’une langue ravalée, reniée, et qui n’a point encore conquis le droit d’être.

    Nul héroïsme n’égale en perfection celui du Poète. Ses luttes et ses souffrances sont l’expression supérieure, complète, de la tragédie de l’Homme devant son destin, - devant le destin du monde. « Il n’y a rien de plus beau que de s’approcher de la divinité et que d’en répandre les rayons sur la race humaine », s’écriait Beethoven. Mais cette téméraire conquête du Feu vaut à ses ravisseurs le Caucase éternel, l’immolation au vautour du Doute, un cœur renaissant - toujours dévoré.

    Par sa complexion particulière, riche de fibres et de nerfs, par l’étendue, le nombre, la qualité de ses facultés, le Poète décuple en lui cette aptitude à souffrir, qui est la vraie, l’unique noblesse de l’Homme - sa royauté. Il est un carrefour de sanglots et d’imprécations. Vers son geste crucifié – impuissant - montent en processions les deuils, les afflictions, les désespoirs innombrables. Celui qui perd son sang par la plaie de la lance a besoin le premier de pitié, et c’est lui que l’on implore. L’Inconsolé est le consolateur. C’est pourquoi la plaie reste à jamais ouverte - inguérissable.

    Voici des figures simples, essentielles : la Mère, l’Amante, l’Homme généreux de la Parabole. Types incomplets. Ils ne figurent qu’une des deux faces de l’Abnégation : l’Acte. Le Poète apporte l’autre : la Conscience. Il réalise la dualité sublime : Vivre, penser la Vie ; subir l’Univers, et le recréer, plus poignant et plus beau - réel.

    Sans doute, il ne peut être question de dresser à des sommets disproportionnés la gloire pourtant tou- chante et pure de Prosper Van Langendonck, qui aima et souffrit, et qui mourut d’aimer - dans l’hôpital des pauvres. Pourtant on songe à ce combat inégal, où ses ailes étaient de plomb, à cause de la densité de l’atmosphère, - épaisse de fumée de pipes et de vapeurs de bière -; on songe à l’effort immense qu’il réclama de sa volonté, pour voir un peu de soleil au-dessus des ténèbres et toucher de ses lèvres passionnées la robe d’azur du ciel flamand. Je proclame sa grandeur, et sa fierté : Il ramassa un outil méprisé et le sanctifia par un noble usage. Ce fut le simple ouvrier dans l’effusion de son cœur et la naïveté de sa foi.

    L’accueil et la sympathie des hommes ne sont point nécessaires pour la création d’une œuvre : on ne saurait s’en passer pour une continuité d’œuvres, car la solitude peut offrir un point d’appui, non l’indif- férence. Viennent tôt ou tard le découragement, le désespoir. Beethoven, même non frappé de surdité, eût été impossible en Belgique. Il y a des milieux où le génie ne se conçoit point.

    Prosper Van Langendonck s’était proposé un idéal et prescrit une tâche qui, dans sa situation, dépassaient les capacités humaines. Dans des circonstances analogues, Guido Gezelle, malgré ses prodigieuses aptitudes, faillit succomber, et, en effet, il parut terrassé, vaincu, pendant les trente années où il garda le silence, végétant à l’ombre de Notre-Dame de Courtrai. Considérez le calvaire de ces deux hommes.

    Leur faiblesse fut néanmoins assez féconde et créatrice pour engendrer une renaissance littéraire qui, par bien des côtés, évoque l’œuvre de la Pléiade. L’un, le vieux prêtre west-flamand, rappelle Ronsard ; l’autre, le fonctionnaire effacé, Joachim du Bellay. Ils s’offrirent tous deux en holocauste à une cause qui se défend par cette simple observation : Si, dans ce pays où ils sont majorité, les Flamands cessaient d’écrire, de composer, de peindre, de sculpter, la Belgique serait aussi dénuée, aride et nulle que le Monténégro, la Serbie ou le Portugal.

     

    ***

     K. van de Woestijne (1878-1929)

    photovandewoestijne.pngIl faut, du reste, que nous le répétions : Prosper Van Langendonck garde à nos yeux - toutes choses étant données - le mérité immense d’être apparu en esprit européen dans le réveil de la conscience flamande. Il était d’une trempe plus choisie, plus fine, que les meilleurs d’entre les poètes et les prosateurs de sa race, à l’exception peut-être de Guido Gezelle, d’Albrecht Rodenbach, de Hegenscheidt, de Karel van de Woesteyne, de Herman Teirlinck. À tous il est supérieur par sa douloureuse figure de Christ aux outrages. Où ils n’apportaient que le don merveilleux du rythme, et des images, que le sens panthéistique ou le raffinement de la culture, il apporta, lui, simplement, son cœur déchiré et nu. Son passage en ce monde ressemble au supplice de Mâtho, mais avant de mourir il éleva lui-même son cœur rouge dans le soleil - devant Carthage. Ses aptitudes théoriques et critiques ne le cédaient en rien à son inspiration créatrice. Il éleva la prose flamande à des hauteurs qu’elle n’avait point connues jusqu’à lui, et ses périodes magnifiques ont une gravité, une majesté de plain-chant. Tout en lui respire la noblesse, la générosité, la sincérité. Il se dresse comme un Apollonide, parmi la platitude des politiques et des rhéteurs, pour indiquer aux écrivains flamands les origines, la grandeur véritable de l’art : « La source de tout art est sans conteste l’homme, l’homme avec ses sentiments éternels, ses élans, ses aspirations, l’homme toujours luttant, mais, bon camarade, aimant, et qui crée par l’amour, jouit de sa création, et s’aime et s’admire dans l’œuvre de ses mains ; l’homme animé d’universelle sympathie. » C’était déjà la conception émerveillée qu’exprime le vers de Verhaeren :

    Admirez-vous les uns les autres.

    Cinq ans avant la fondation de la revue Van Nu en Straks (1890) où, autour de lui, dans la conscience de l'idéal commun et de ses perspectives lointaines, allaient se grouper les jeunes forces de la résurrection littéraire de Flandre, il dénonce l’indigence et la puérilité des buts que s’étaient jusqu’alors proposés les devanciers :

    « Toujours les mêmes objets, les mêmes expres- sions, les mêmes modes ! Il suffisait que le vers tonitruât et que les poings se tendissent pour se croire un Lord Byron ou un Schiller ! À de rares exceptions près, nul souci d’originalité de pensée, de justesse, de propriété, d’harmonie et de pittoresque dans l’expression. Breydel retroussait ses manches ; De Coninck tribunisait ; le Lion de Flandre crispait ses griffes ; et ruisseaux de babiller, et paysans de s’accorder ! Hors de cela, en élévation ou en profondeur, rien, le néant ; le sentiment était superficiel et s’exprimait sur d’invariables modes plaintifs. En somme, que nous ont légué nos aïeux ? Pauvreté dans la conception poétique ; pauvreté dans la langue ! »

    C’était convier les écrivains flamands à une véritable sécession contre de traditionalisme, la stagnation et l’enlisement des esprits. L’heure où les mœurs, les idées et les langues se fixent marque le com- mencement de leur décadence ; l’esprit de tradition et de conservation est proprement un esprit de mort. Qui demeure, nie et détruit. En ce sens, les soutiens classiques de la société, de la morale et de l’art en sont les pires ennemis.

    La seconde série de Van Nu en Straks, qui se place entre les années 1896 et 1901, porta plus profondément l’empreinte de l’esprit nouveau qui animait Van Langendonck. La revue Vlaanderen continua l’élargissement intellectuel qui en fut le résultat. La poésie flamande connut ses premiers frémissements de vie et de personnalité, en accord avec l’évolution du sentiment et de l’esprit européen.

     

    ***

     

    Mais l’effort avait brisé Van Langendonck. Ce n’est pas impunément que les grands Pauvres affrontent la bataille humaine à visage et cœur découverts.

    Nous avons dit qu’il était sans fronde devant le Mufle d’airain - éternel. Or, une volonté d’artiste qui entend bien ne point succomber dans la lutte, doit ruser, biaiser, parfois - il y va de l’existence ! - user des armes dont le monstre se sert contre elle. La Bête est haineuse, implacable. Il faut surveiller atten- tivement ses manœuvres : prompt à la parade, hardi à plonger de haut en bas le fer entre les vertèbres cervicales du monstre. Le sens de la réalité, même en ses détours les plus obscurs, les plus répugnants, c’est le point d’appui qui soulève les mondes. La plupart des grands idéalistes, qui réalisèrent ce qu’ils voulaient si fortement, furent des calculateurs à longue portée. Toujours tendus vers leur but, d’eux seuls connu durant la partie la plus active de leur vie, ils se sont préparés à sa conquête en se trempant et en s’aguerrissant aux contacts les plus abjects - à moins que des prédispositions maladives, une santé ébranlée par des excès de toute sorte, où ils donnent plus aisément que d’autres, en raison même de leur fougue et de leur passion natives, ne les privent brusquement de la pleine possession de leurs facultés et de leurs moyens de défense. Leur existence n’est plus alors qu’une longue et misérable agonie. Un tel martyre échut à Prosper Van Langendonck.

    Il avait défini son sort, dès 1883, dans son sonnet Rêve et Réalité :

     

    Heureux celui qui se sent le cœur embrasé d’une ardeur combative ! Tandis que son regard hardi fixe le ciel, elle l’incite à se proposer un but plus grandiose que la recherche des plaisirs terrestres ; son esprit, déployant son envergure d’aigle, plane dans l’infini.

    Une céleste apparition se tient en souriant, à son chevet ; elle surgit dans tous ses rêves ; cependant, fixe comme l’étoile polaire au milieu de la tempête, le but de ses efforts ranime en lui l’espérance, enivre à la fois son cœur et ses sens.

    Qu’il est heureux ! Si, près d’atteindre la vision, il tend ses bras aimants vers l’éphémère beauté, elle s’évanouit en poussant un éclat de rire insultant.

    El lorsque, touchant à son but, il se flatte d’avoir réalisé son rêve, une force invincible le rejette dans l’enfer de la nuit terrestre !

     

    Treize ans plus tard, la souffrance pressentie est venue:

     

    Je ne t’ai point priée, et tu es venue, ô Muse des Douleurs, au Jardin de mon  Silence.

     

    Il sentit tout de suite qu’il était condamné :

     

    La vie entre mes doigts fuit comme une eau courante.

     

    et, après des alternatives de victoires et de défaites morales, des combats désespérés « contre Dieu et le sort », il finit par sombrer.

    Un témoin a dit l’impression pénible que lui fit un soir, au cours de littérature flamande professé par M. Herman Teirlinck à l’Université de Bruxelles, l’ap- parition tragique du poète, déjà frappé de déchéance physique et intellectuelle, voûté, vacillant, les mains tremblantes - objet de la risée de jeunes gens qui ignoraient peut-être son nom et son œuvre. La flamme sainte et pure s’était ravivée en lui. Sans doute s’était-il souvenu de son rôle de Précurseur et avait-il voulu, nouveau Banco, marquer sa place royale au festin de l’Oubli.

    Il mourut un dimanche, à 58 ans, - dans l’hôpital des pauvres. Entendit-il, dans son agonie, le bourdon de Sainte-Gudule lui redire chaque soir, à cinq heures, le poème qu’il dédia, en novembre 1897, à la cathé- drale aux tours jumelles, « face de pierre vivante », la maternelle collégiale, qui fut la confidente et la consolatrice de ses douleurs ? Les quelques amis qui suivaient le corps furent frappés par cette cir- constance poignante : En face de la porte basse par où sortit le cercueil du plus noble et du plus grand poète flamand s’élève la maison où, en 1890, Prosper Van Langendonck fonda Van Nu en Straks, avec MM. Auguste Vermeylen, Cyriel Buysse et Emmanuel de Bom.

    Il était écrit que cette assomption d’un rêve aurait la fin des misérables. Les Poètes ne sont pas seulement des symboles par leur œuvre, mais aussi par leur vie et leur mort. La destinée de Prosper Van Langendonck c’est transposée dans le martyre d’une conscience d’artiste, l’histoire d’une espérance sublime - déçue, reniée, trahie : c’est la grande pitié du génie flamand réveillé, par d’admirables soins et les plus nobles efforts, d’une torpeur plusieurs fois séculaire, qui touchait à son but magnifique et tout à coup s’abat, frappé d’impuissance et de malédiction. Y aurait-il des peuples réprouvés, condamnés comme Lazare à mendier à la porte du Mauvais Riche leur droit à l’existence ?

    C’est une banalité de dire que le sentiment du malheur commun rapproche plus encore les hommes que les triomphes remportés ensemble. Au-dessus de la fosse où venait d’être descendu le cercueil le Prosper Van Langendonck, des mains se reprirent que les événements n’auraient jamais dû dénouer, car, comme nous l’a enseigné l’exemple illustre de Romain Rolland, l’intelligence doit rester claire et froide au-dessus de la mêlée, encore que les impulsions du cœur puissent n’y pas consentir toujours.

    Ainsi des gages de résurrection naquirent des cendres mêmes du Poète. Oui, l’Esprit de Mère-Flandre est immortel. L’iniquité prolongée aura cette vertu de ranimer Ulenspiegel entre les mains des hypocrites et des fourbes qui s’apprêtent à l’enterrer. Et voici une version de sa septième chanson, pour les olympiades de nos communions futures, ô Flamands désunis qui désespérez. C’est à Van Langendonck que nous la devons :

     

    La lutte

     

    En mon sein frémissent les accents – d’un passé séculaire. - Des tableaux farouchement confus - surgissent à mes yeux. - Des hymnes mâles, depuis longtemps oubliés - émanent des âges périmés. – Ô sanglantes visions - de combats titaniques, anhélants!

    Lutte sauvage ! ranime mon cœur - fouette en mes artères l’ardeur et la puissance ; - par l’âme sublime des ancêtres - transfigure ma lâche souffrance ! – Ô roule-moi dans ton bain tumultueux de sang ! – Qu’il soit la source de vie où se retrempent et mon cœur et mes fibres ! - Agite autour de mon front fulgurant - les étendards claquants et rouges !

    O ! parmi le fracas de la tempête dévastatrice – s’affirmer tel le chêne robuste - là où s’ancrèrent les précurseurs inébranlables ; - puiser toute sève de vie – et la joie, et l’exaltation, et la haine, et l’ardeur guerrière - du sol sacré de Mère-Flandre !

    Et sentir en soi déferler - vous embrasant le front - élans, aspirations, - désirs et idéals - et le Rêve d’une race pieuse et saine ; - les fondre en soi - dans un large courant d’amour !

    Ainsi, stimulé par une antique gloire - tendre toutes nos forces, et notre âme, et notre chair - vers un noble idéal ; - ô divine béatitude - en soi sentir la répercussion infinie et passionnée - de la Conscience universelle !

    Lutte ! ô Lutte généreuse ! agite autour de moi tes bannières d’apaisement !

     

     

    Décembre 1920. Pierre Broodcoorens 

     

     

    (1) Volksgazet d’Anvers, 13 novembre 1920.

    (2)Nederlansche Bibliotheek, onder leiding van L. Simons, Amsterdam, 1918.

    (3) « Les Sources de la pensées de de Novalis », Revue Germanique, 1911, p. 513.

     

     

  • Hiver hollandais

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    Un poème d’Anna Enquist

     

     

     

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    Romancière qui conquiert de plus en plus de lecteurs en France grâce aux traductions publiées aux éditions Actes Sud, Anna Enquist a aussi à son actif un certain nombre de recueils de poésie. Si l’ine- xorable écoulement du temps et la relation mère-enfants forment la toile de fond d’une grande partie de ces poèmes – plus encore depuis la mort accidentelle de sa fille en 2001 –, d’autres reflètent son amour de la musique ou portent sur des sujets « légers », par exemple… le football, une autre de ses passions. Enquist se produit souvent tant aux Pays-Bas qu’au-delà des frontières avec Ivo Jans- sen; tandis qu'elle lit certaines de ses œuvres, le pianiste interprète des pièces de Chopin, Schumann, Debussy... Leur collaboration a débouché sur la publication de deux petits volumes de poésie accompagnés d’un CD. Quelques poèmes d’Anna Enquist ont paru en traduction française dans la revue Septentrion (n° 1, 1996; n° 2, 2001; n° 3, 2003; n° 1, 2009), dans l'anthologie Le Verre est un liquide lent (Farrago, 2003) ou encore dans Europe, n° 909-910, 2005. Celui qui suit, bien que très court, restitue tout un univers de sensations, de sons,  d’impressions visuelles, familier à tout Hollandais. Les onze villes dont il est question sont une allusion au quasi mythique Elfstedentocht.

     

     

     

    WINTERDAG

     

    Mijn zoon was zeven jaar; zijn schaatsen

    waren veel te groot. Wij zagen vissen en

    een kikker onder ijs, suisden langs riet,

    langs elf verzonnen steden, aten bevroren

    chocola en zaten op de wal. Wij vonden

    in het veen een potscherf. Heel de wereld

    lag helder en droog aan onze voeten.

     

     

     

     

    JOUR D’HIVER


    Mon fils avait sept ans ; ses patins étaient

    bien trop grands. On a vu sous la glace

    des poissons, une grenouille, rasé roseaux et

    cités imaginées, onze, mangé du chocolat

    gelé, on s’est assis sur la terre ferme. Dans la tourbe,

    on a trouvé un tesson de pot. Le monde entier,

    limpide et sec, s’étendait à nos pieds.

     

     

     

     

     

    L’œuvre poétique d’Anna Enquist

    (la liste ci-dessous comprend plusieurs anthologies)

     

    annaenquist3.jpgSoldatenliederen (Chants de soldats), Amsterdam, De Arbeiderspers, 1991.

    Jachtscènes (Scènes de chasse), Amsterdam, De Arbeiderspers, 1992.

    Een nieuw afscheid (Un nouvel adieu), Amsterdam, De Arbeiderspers, 1994.

    Kerstziekte (Maladie de Noël), gravure sur bois C. Andriessen, Apeldoorn, De Witte Mier, 1994 [édition bibliophilique].

    Voel je de wind? (Tu sens le vent ?), Amsterdam, Thomas Rap, 1995 [édition bibliophilique].

    Klaarlichte dag (Plein jour), Amsterdam, De Arbeiderspers, 1996.

    De gedichten, 1991-2000 (Les Poèmes, 1991-2000), Amsterdam, De Arbeiderspers, 2000.

    De tweede helft (La Deuxième mi-temps), Amsterdam, De Arbeiderspers, 2000.

    Hier was vuur: gedichten over moeders en kinderen (Ici un feu brûlait. Poèmes sur les mères et leurs enfants), Amsterdam, De Arbeiderspers, 2002.

    De tussentijd (L’Intervalle), Amsterdam, De Arbeiderspers, 2004.

    Alle gedichten (Tous les poèmes), De Arbeiderspers, 2005.

    Kerstmis in februari: de vroege gedichten (Messe de Noël en février : premiers poèmes), Amsterdam, Singel Pockets, 2007.

    Drie gedichten, (Trois poèmes), litho Sam Drukker, Hilversum, Uitgeverij 69, 2007 [édition bibliophilique].

    Nieuws van nergens (Nouvelles de nulle part), Amsterdam, De Arbeiderspers, 2010.

     

    Recueils en traduction

    Ein neuer Abschied (Un nouvel adieu), trad. Gregor Seferens, Munich, Luchterhand, 1999 [édition bilingue allemand/ néerlandais].

    The fire was here: poems about mothers and children, traduction et introduction David Colmer, New Milford, CT, Londres, The Toby Press, 2003 [édition bilingue anglais/néerlandais].

     

     

    « Winterdag » est extrait du recueil Hier was vuur qui rassemble des poèmes paru antérieurement dans De gedichten 1991-2000 et De tweede helft.

     

  • De la mort prochaine

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    Un poème de Hans Andreus

    (1926-1977)

     

     

    Ne me restera que le souvenir de ma mort.

    François Debluë, « Proses de la mort prochaine »

     

     

     

     

    VOOR EEN DAG VAN MORGEN

     

     

     

    Wanneer ik morgen doodga,

    vertel dan aan de bomen

    hoeveel ik van je hield.

    Vertel het aan de wind,

    die in de bomen klimt

    of uit de takken valt,

    hoeveel ik van je hield.

    Vertel het aan een kind,

    dat jong genoeg is om het te begrijpen.

    Vertel het aan een dier,

    misschien alleen door het aan te kijken.

    Vertel het aan de huizen van steen,

    vertel het aan de stad,

    hoe lief ik je had.

     

     

    Maar zeg het aan geen mens.

    Ze zouden je niet geloven.

    Ze zouden niet willen geloven dat

    alleen maar een man alleen maar een vrouw,

    dat een mens een mens zo liefhad

    als ik jou.

     

     

     

     

    CouvHansAndreus.jpg

    J'entends la lumière, une anthologie, 1994

     

     

    POUR UN JOUR DE DEMAIN

     

     

    À ma mort demain,

    va-t'en dire aux arbres

    combien je t'ai aimée.

    Va le dire au vent

    qui grimpe aux arbres

    et tombe des branches,

    combien je t'ai aimée.

    Va le dire à un enfant,

    encore en âge de le comprendre.

    Va le dire à un animal,

    peut-être d'un simple regard.

    Va le dire aux murs des maisons,

    va-t'en le dire à la ville,

    combien je t'ai aimée.

     

     

    Mais n'en souffle rien aux hommes.

    Ils ne te croiraient pas.

    Ils ne voudraient pas croire combien

    rien qu'un homme rien qu'une femme,

    combien un être un autre aima

    comme moi toi.

     

    (trad. D. Cunin)

     

     

    Hans Andreus, biographie, De Bezige Bij, 1995

    CouvBioHansAndreus.jpgPoète, auteur (à succès) de livres pour les enfants et d’œuvres en prose d’inspiration autobiographique, Hans Andreus a été souvent rapproché des Vijftigers (poètes expérimentaux des années 1950 liés au mouvement CoBrA), même s’il s’est en réalité montré très éclectique et a connu un parcours bien différent de celui de son ami de jeunesse Lucebert. À 17 ans, Andreus s’est engagé pour aller combattre sur le front de l’Est. Alors qu’il vivait à Paris au début des années cinquante, il est tombé amoureux d’une Française, Odile Liénard, avec qui il vivra en Italie, une liaison tumultueuse qui constitue la trame du roman Denise (1962). Rentré en Hollande, Andreus traversera de graves crises, mais sa nature dépressive aura pour pendant une exubérance sensuelle dont regorgent certains de ses recueils. Son biographe, Jan van der Vegt, a révélé de nombreuses facettes cachées de cet homme qui fait sans doute partie des poètes les plus lus (et les plus chantés) aux Pays-Bas.

     

     

    Hans Andreus : un entretien en néerlandais

    (samenstelling Dolf Verspoor) (NB, 1975)


     

     

  • Auguste Clavareau (1787-1864), traducteur

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    Portrait de l’un des principaux traducteurs

    de littérature néerlandaise au XIXe siècle

     

    Si c’est toujours une énorme difficulté, lorsque deux langues diffèrent autant d’esprit et de caractère que le français et le hollandais, de transporter de l’une dans l’autre, d’une façon harmonieuse et correcte, des ouvrages de prose, que dire de l’audacieux qui ne craint pas de traduire des vers hollandais en français et, ce qui est mieux encore, en vers français ?

    Henry Havard

     

     

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    Tombe de Clavareau à Maastricht (photo : J. Verbij-Schillings)

     

     

    Né à Luxembourg le 17 septembre 1787, Antoine Joseph Théodore Auguste Clavareau a grandi dans une famille catholique. Il a reçu une éducation essentiellement française à Namur puis à Mayence et semblait se destiner à une carrière militaire. Mais il préféra suivre les traces de son père né à Halluin en travaillant lui aussi dans l’administration des contributions ; il occupa des postes dans différentes localités (Gand, Bois-le-Duc, Liège, Ostende, Bruges…) avant d’être nommé à Maastricht – ville où beaucoup de gens parlaient encore français et où près de 50% des ouvrages imprimés l’étaient dans cette langue –, où il officiera pendant plus de vingt ans  (début 1823 – fin 1844). Au 1er janvier 1845, il prend, plus ou moins forcé, sa retraite. Il avait épousé courant 1823 une femme de bonne famille hollandaise qui lui donna quatre enfants.

    Clavareau se voulait fidèle à Dieu et au Roi, autrement dit, et malgré l’incompatibilité apparente, à l’Église catholique et à Guillaume Ier, souverain auquel il a dédié bien des vers. Ainsi s’explique en partie son envie de traduire des pièces patriotiques. Il fait partie de ces gens qui, une fois sujets de Guillaume Ier, décidèrent de le rester même alors que la Belgique et le Grand-Duché avaient acquis leur indépendance. D’ailleurs, quand il commence à traduire des poètes d’expression néerlandaise, il s’inscrit dans une mouvance favorisée par le monarque : dans sa volonté d’étendre la langue néerlandaise à l’ensemble de son royaume (plus ou moins l’actuel Benelux), celui-ci ne peut voir en effet que d’un bon œil toutes les initiatives qui permettent de répandre la littérature néerlandaise – entre autres à travers des publications en français – dans les contrées francophones. C’est d’ailleurs un autre membre de l’administration fiscale, contrôleur des impôts directs, Lodewijk Gerard Visscher (1797-1859) qui publia en 1820 le premier manuel présentant les belles lettres néerlandaises aux élèves francophones : Mélanges de poésie et de littérature des Pays-Bas (1). 

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    Ce n’est là que le premier d’une centaine d’ouvrages qui, en l’espace d’une quinzaine d’années, iront dans le même sens. Clavareau a lui-même collaboré à plusieurs éditions scolaires. Outre son désir de faire connaître quelques-uns des poètes néerlandais majeurs aux lettrés d’expression française (« Depuis 10 ans, je me suis imposé la tâche de faire connaître à l’étranger la littérature hollandaise, et mes succès ont enfin ouvert les yeux à nos détracteurs : nos voisins vont sérieusement s’occuper, dans leurs Revues, des richesses littéraires de notre pays » écrit-il dans une lettre du 13 février 1835 à l’éditeur Van Terveen) – notons que certaines de ses publications restèrent toutefois limitées au marché batave –, le Luxembourgeois, rangé dans de nombreuses publications de son temps parmi les « auteurs belges » (2), a en effet œuvré dans un souci pédagogique et d’édification comme en témoignent certaines traductions destinées à la jeunesse, par exemple l’Histoire de la patrie : en cinquante deux leçons à l’usage de la jeunesse et des ClavareauIllustration1.pngécoles des Pays-Bas (1837) ou divers recueils de poésies. Les petites pièces de théâtre de son cru sont en réalité des manuels pieux pour « jeunes élèves des pensionnats de demoiselles » ainsi que le montre la légende placée sous une gravure d’un volume (ci-contre) réunissant deux comédies et un drame de sa main : « De quel livre avez-vous tiré cette histoire ? Je l’ai trouvée dans mon cœur repentant »(3). Il convient de relever que ses traductions « à l’usage de l’enfance » s’adressaient en premier lieux aux petits Bataves auxquels on apprenait très tôt la langue française dans les « écoles françaises », c’est-à-dire ces écoles primaires où une partie, voire la totalité de l’enseignement était dispensé en français. Ainsi, dans la préface à sa traduction des Petits poèmes de Hieronymus (Jérôme) van Alphen (1746-1803) – le recueil de poésies pour enfants le plus célèbre des lettres néerlandaises, réédité il y a peu encore –, il nous explique : « En Hollande, les maîtres, chargés d’instruire les enfans de cinq à six ans, possèdent, comme pour l’âge suivant, tous les livres hollandais qu’ils peuvent désirer, tandis qu’ils se trouvent bien souvent embarrassés pour leur choix, lorsqu’ils doivent apprendre le français à leurs petits élèves ; car ils se gardent bien de mettre dans la mémoire des enfans, des fables ou des contes au-dessus de leur intelligence, qu’ils récitent presque toujours ou comme des perroquets, ou avec une affectation étudiée. J’ai préféré traduire Van Alphen à tout autre ; parce que, selon moi, dans ce genre, Van Alphen a remporté le prix ; et que tous ses poèmes sont excellens pour tous les pays. » Citons un de ces petits poèmes sur une pêche hollandaise devenue une orange en français :

     

    L’ORANGE

     

    De Papa je tiens cette orange :

    Pour ma leçon je la reçus ;

    Et quand, tout joyeux, je la mange,

    Son goût me plaît encore plus.

     

    La gaité sied à la jeunesse,

    Quand le temps est bien employé ;

    Et l’enfant qui fuit la paresse,

    De son travail est bien payé.

     

    DE PERZIK

     

    Die perzik gaf mijn vader mij,

    Om dat ik vlijtig leer.

    Nu eet ik vergenoegd en blij,

    Die perzik smaakt naar meer.

     

    De vrolijkheid past aan de jeugd

    Die leerzaam zig betoont.

    De naarstigheid, die kinderdeugd,

    Wordt altoos wel beloond.

     


    podcast

    « De pruimeboom » / « Le prunier »

    poème lu en néerlandais puis en français

    (dans la traduction d’A. Clavareau)

     

     

    Portrait de H. van Alphen

    PortraitVanAlphen.gifToutefois, Clavareau ambitionnera aussi d’instruire la jeunesse des autres pays : « Dans l’intention d’être utile aux établissements d’instruction publique, et saisissant toutes les occasions de faire plus connaître à l’étranger les monumens de la gloire de ma Patrie, je viens de publier une seconde édition de ma traduction de La Nation hollandaise (4)», annonce-t-il ainsi au ministre Van Maanen dans une lettre du 29 novembre 1834.

    Outre ce souci patriotique en faveur d’une nation qui n’est pas, à l’origine, la sienne, on relève une autre chose étonnante dans le parcours de Clavareau : on le voit traduire essentiellement des auteurs néerlandais et non pas flamands alors qu’il a passé la première moitié de son existence ailleurs qu’en Hollande et que, à l’époque où il s’installe à Maastricht, cette ville n’est pas à proprement parler une vraie cité hollandaise. Cette prépondérance s’explique sans doute en partie par les relations que le traducteur a pu entretenir avec les écrivains bataves qu’il côtoyait dans certains cercles de lettrés ; il convient de relever d’autre part que la poésie flamande renaissait alors à peine de ses cendres, la figure de Gezelle se profilant tout juste à l’horizon. Privilégiant donc la défense de la nation, Auguste Clavareau ne s’est toutefois guère intéressé à transposer en français les textes antirévolutionnaires du juif converti Isaäc da Costa (1798-1860) – proches à certains points de vue de la littérature catholique française contre-révolutionnaire –, sans doute trop marqués à son goût par le calvinisme. Dans l’œuvre de Willem Bilderdijk, père spirituel du poète susmentionné, ce qu’il a surtout goûté, ce sont les contes.

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    Isaäc da Costa par J.G. Schwartze/D.J. Sluyter

    DaCostaPortrait.gifAvec ses nombreuses traductions – y compris d’œuvres allemandes, italiennes et anglaises –, et ses propres œuvres – dont beaucoup de pièces de circonstances –, Clavareau gagnera une réelle reconnaissance dans son pays d’adoption. Membre de la société littéraire de Leyde, correspondant de l’Institut des Pays-Bas, il sera fait chevalier de l’ordre du Lion des Pays-Bas. Il sera aussi membre de diverses sociétés (Gand, Liège, Athènes…). Chateau- briand, Lamartine ou encore Xavier Marmier ont reconnu ses talents. Le 29 juin 1842, Victor Hugo lui adressait la lettre suivante : « Je vous remercie, Monsieur, de vos beaux vers. La noble et haute poésie est de tous les peuples, comme elle est de tous les temps. Vos belles strophes nous font compatriotes. L’art et la pensée, comme la religion, sont des patries, de saintes patries sans frontières, qui rallient toutes les âmes tournées vers l’infini. » (5) Le Luxembourgeois lui avait envoyé les strophes suivantes :

     

    Le Poète

    À M. Victor Hugo.

     

    « Qu’est-ce que l’art des vers ? Qu’est-ce que le poète ?

    « Comment le reconnaître ? à quel titre ? à quel trait ? »

    – Froid profane ! la lyre est sœur de la palette :

    Écoute ! quelques mots te feront son portrait.

     

    Le poète est un être au-dessus du vulgaire,

    Qui jette sur la foule un regard de pitié,

    Et qui, de tous les biens de cette pauvre terre,

    N’en encense que deux : l’amour et l’amitié !

     

    Le poète est un être, habitant d’autres sphères,

    Qui, sur les voix d’en haut, module ses accords,

    Vit avec sa pensée, et ne s’informe guères

    Si les fous d’ici-bas amassent des trésors.

     

    Le poète est un être ami de la nature,

    Qui chante les plaisirs, ou console les pleurs,

    Soupire sur les bords d’une onde qui murmure

    Ou tonne avec l’orage au milieu des horreurs !

     

    C’est un être nourri d’éther et d’ambroisie.

    Qu’un rameau de laurier garantit des revers

    Qui voit se consumer le flambeau de sa vie

    Dans des rêves divins, charmes de l’univers !

     

    C’est Homère, Virgile, et Milton et le Tasse,

    Et quelques héritiers de ces morts immortels.

    Que la Fable eût placés au sommet du Parnasse,

    À qui l’Histoire érige en tous lieux des autels.

     

    Oui ! c’est un être où Dieu mit un modèle d’âme,

    Un magique miroir qui darde mille feux,

    Un foyer d’où jaillit une éternelle flamme,

    Pour éclairer la terre aux purs rayons des cieux !

      

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    Malgré les louanges exprimées par ces grands auteurs – sont-elles en partie feintes ? –, malgré l’éloge que fera de lui Daniël François van Alphen, fils de Hieronymus, à La Haye, dans l’hémicycle du Parlement (séance du 25 novembre 1834), Clavareau n’a pas toujours été ménagé par les critiques : « Le poème est faiblement conçu. Les vers, en général d’une bonne facture, ne sont pas exempts d’enflure et de monotonie. L’auteur réussit mieux dans la poésie légère », affirme la Revue encyclopédique (1822, T. 14, p. 139) dans un commentaire lapidaire de La Mort du Comte d’Egmond, alors que quelques pages plus loin, ses Poésies (1821) recueillent un jugement plus clément : « De la facilité, de la correction dans le style, voilà ce qui distingue ce recueil, où le bon l’emporte sur le mauvais. Il apporte une nouvelle preuve que la langue française n’est pas cultivée avec moins de succès dans les Pays-Bas qu’en France. » (p. 370) C’est semble-t-il sa traduction de la Hollandsche Natie (1912) de Jan Frederik Helmers qui sera le plus sévèrement jugée pour des motifs sans doute plus politiques que littéraires. Clavareau prendra soin de répondre longuement à ces critiques, en particulier dans la préface au volume 2 de ses Œuvres dramatiques (1828) : « […] il est juste que je prenne une fois la défense de mes ouvrages, que certains critiques se plaisent à déchirer, depuis que ma Muse a osé ouvrir les trésors de la littérature hollandaise. J’espère qu’il ne me viendra jamais la bizarre idée de chercher à réfuter des articles de journaux dictés par la malveillance ; mais il m’a paru que les suffrages d’hommes éclairés et impartiaux répondraient victorieusement à toutes ces animosités personnelles que réprouvent à la fois et l’honnêteté et le bon goût. Je cultive les Lettres par plaisir et par délassement : il m’eût été si agréable de ne rencontrer que des personnes bienveillantes qui m’eussent averti, sans amertume et sans injures, des défauts de mes ouvrages : plusieurs ont répondu à mes désirs ; d’autres ont pris un chemin tout contraire, et en sont venus au point de ne pouvoir entendre parler de mes moindres succès sans éprouver une fureur qui semble tenir de l’hydrophobie. Je souhaite de tout mon cœur qu’ils se guérissent de cet état de convulsions ; aussi nuisible à leurs talens qu’à leur santé ».

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    Des amateurs de lettre français, lecteurs de ses traductions, l’ont remercié ainsi qu’en témoigne une lettre d’un certain Armand Clavier de décembre 1847 qui compare les mérites de Clavareau à ceux de Jacques Delille, traducteur de Virgile : «  […] je puis ajouter, sans craindre de blesser votre modestie, que vous avez rendu un éminent service à la littérature hollandaise, en éditant, en faveur de l’étranger, de ces œuvres de premier rang, que nous autres, Français, nous connaissons si peu, ce qui est un tort réel ».

    Xavier Marmier

    xaviermarmierportrait.jpgCe sont peut-être les liens que le traducteur entretenait avec Lamartine, Marmier ou encore Hugo qui lui ont permis de publier à quelques reprises dans l’Echo du Vaucluse, bihebdomadaire avignonnais dont une partie non négligeable des quatre pages était alors remplie par ces trois auteurs. Il a donné à ce périodique tant des traductions que des poésies de sa main : un poème de Da Costa (jeudi 18 juillet 1833), une « Ode à M. Alphonse de Lamartine après la mort de sa fille » (traduction sans nom d’auteur, dimanche 25 juillet 1833), le poème de Feith « La Conscience », (jeudi 19 septembre 1833), « À Madame de Lamartine, sur la mort de sa fille » (jeudi 5 juin 1834), « Napoléon à Sainte-Hélène » (jeudi 26 juin 1834), « Poésie encore un jour » (jeudi 11 décembre 1834). L’Écho du Vaucluse lui a par ailleurs décerné des éloges dans un papier paru en pages 1 et 2 le dimanche 1er juin 1834  sous le titre « Petits Poëmes à l’usage de l’Enfance, traduits du hollandais en vers français par M. Auguste Clavareau, Maestricht, chez M. Bury-Lefebvre, Imp.-Libraire » : « […] comme la mémoire est la première faculté intellectuelle, éveillée chez les enfants, l’emploi de la poésie convient parfaitement dans les livres destinés à cet âge. Il faut donc féliciter M. Auguste Clavareau, sur son heureuse idée de traduire en vers français, les poèmes néerlandais de Van Alphen. Ce n’est pas le premier service de ce genre que M. Auguste Clavareau rend à la France et à la Hollande. À lui seul nous devrons de connaître sous un nouvel aspect, la physionomie de ce peuple, qui n’est pas uniquement remarquable par son industrie, son commerce, son héroïque résistance contre le joug de fer de l’Espagne, par ses grands marins, par ses peintres au pinceau si précieux, si fini ; le peuple hollandais a aussi d’admirables poètes […] ». Le même auteur anonyme consacre une recension à la traduction du poème de Van der Hoop intitulée « Le Roi de Rome, poèmes par M. Auguste Clavareau » (dimanche 3 août 1834).

    Dans d’assez nombreux cas, Clavareau « imite » les poètes plus qu’il ne les traduits. Il laisse souvent place à ses propres sentiments et conceptions littéraires, conférant au texte une connotation et une couleur bien différentes de celles de l’original. Le Tombeau, sa transposition du poème Het graf de Feith compte près de cinq fois plus de vers que la version néerlandaise (environ 2000 contre 436 !). Mais sur ce sujet aussi, il lui arrive de parer aux reproches dans la préface de ses productions : « Ceux qui chercherons à disséquer mon ouvrage avec le scalpel d’une critique sévère, y pourront trouver des passages où je m’écarte un peu de l’original ; mais je supplie ces aristarques de se rappeler, dans leurs comparaisons, que je n’ai pas la prétention de donner mon travail VanDerHoopPortrait.gifcomme une traduction littérale, et d’avoir la bonne foi de convenir qu’il est souvent impossible de suivre Helmers fidèlement. Un traducteur, qui s’est imposé la tâche de faire connaître le génie d’un écrivain, doit s’occuper surtout du fond des idées, s’il veut approcher de l’effet que produit l’original » (6). Mais il lui arrive souvent aussi de coller d’assez près, voire de très près, l’original.

    A. van der Hoop Jr, par A.J. Ehnle/P. Blommers

     

    À propos de Lamartine, avec qui il a correspondu, Clavareau relève que Le Ciel étoilé et Orion, deux œuvres qu’il a traduites « ont précédé de bien longtemps les belles poésies de Lamartine, qui, à leur apparition, ont fait tant de bruit dans le monde littéraire » (lettre à Van Maanen, 27 janvier 1836).

    Il lui est arrivé d’envoyer ses traductions – et parfois des poèmes de sa main, voire des lettres dans lesquelles il préconisait des remèdes susceptibles de soulager certains maux ! – à Louis Philippe et à d’autres souverains européens. Mais il s’est bien entendu dispensé de faire parvenir au roi des Français celles qui auraient pu lui déplaire : à propos de l’attaque de la forteresse d’Anvers au cours de laquelle les troupes françaises jouèrent un rôle, il aurait été malvenu de faire lire au monarque des vers vantant l’héroïsme des soldats bataves.

    frchateaubriandportrait.jpgUn autre de ses correspondants fut Chateaubriand. Ainsi, le Vicomte lui adressa-t-il cette courte lettre datée du 9 avril 1845 : « Monsieur, Je me rappelle très-bien de l’honneur que vous fîtes de m’adresser une lettre en 1827. Depuis cette époque, je suis devenu bien vieux et il ne me reste plus qu’à mourir. Je vous prie de recevoir avec mes remerciemens sincères pour les beaux vers que vous voulez bien m’envoyer l’expression de ma considération la plus distinguée. »

    Une grande partie des revenus qu’Auguste Clavareau tirait de ses traductions allaient à des fonds d’aide à des victimes de catastrophe : « mon entreprise est toute basée sur la générosité et le patriotisme » (lettre à Van Maanen, 24 août 1836). Sa correspondance permet de montrer combien il s'employait pour faire publier sa nombreuse production : souvent, il prend les choses en main, envoie des courriers pour trouver des souscripteurs, entre en contact avec des éditeurs-libraires, engage parfois son propre argent, se charge d’obtenir des illustrations, etc. À quelques reprises, il entreprend des démarches en vue de faire diffuser des traductions à assez grande échelle en France ; dans une lettre du 6 juin 1834, il fait ainsi allusion à la possibilité d’envoyer 6000 exemplaires des Petits poèmes de Van Alphen ClavareauVarsovie.pngqui pourraient intéresser l’instruction publique ; dans une autre (30 octobre 1836), il affirme s’être « entendu avec le premier libraire de Paris pour répandre » Varsovie en France. Une autre fois, il s’efforce d’obtenir la diffusion de cette même œuvre qui prend le parti de la Russie face à l’insurrection polonaise. Il est assez difficile de suivre son « parcours » éditorial : de nombreuses traductions ont connu plusieurs rééditions dont les dates ne sont pas toujours faciles à situer ; certains livres imprimés dans un premier temps dans une ville ont en réalité paru chez un éditeur-imprimeur d’une autre localité. Qui plus est, Clavareau a bien souvent changé d’éditeurs même s’il a bien des fois travaillé avec une maison de Maastricht, Bury-Lefèbvre.

    Auguste Clavareau s’est éteint le 6 mars 1864. Environ un siècle après sa mort, la ville de Maastricht, où il a passé la plus grande partie de sa vie, a donné son nom à l’une de ses rues. À une époque, sa ville d’adoption a aussi compté une Société Auguste Clavareau (voir ci-dessous), cercle culturel qui organisait des manifestations littéraires. L’œuvre qu’il a laissée en français – dont des pièces pour œuvres musicales – est aujourd’hui totalement oubliée.

    Daniel Cunin

     

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    L’Art Moderne, 24 décembre 1905, p. 419

     

     

    (1) Sur ces questions, voir l’ouvrage très instructif de Guy Janssens & Kris Steyaert, Het onderwijs van het Nederlands in de Waalse provincies en Luxemburg onder koning Willem I (1814-1830), Bruxelles, VUBPress, 2008. Dans la préface des Mélanges de Poésie et de Littérature des Pays-Bas, L.G. Visscher écrit que sa publication « est composée de fragments d'une riche littérature, et cependant méconnue, que je cherche à faire connaître à ceux de mes compatriotes qui ignorent la langue hollandaise ou flamande, et qui désirent s'instruire par un moyen plus analogue aux connaissances qu'ils ont déjà acquises. Ce n'est pas un ouvrage d'opinion ni de parti ; je ne prétends rien insérer contre le goût et les habitudes d'un peuple que j'aime autant que je l'estime ; je ne défends point l'idiome d'une partie de la nation, quoiqu'il soit ma langue maternelle, comme je n'attaque point la langue française, parce que je ne saurais assez l'admirer ; j'aime donc à me persuader que je ne blesse ici les opinions de personne en émettant les miennes. »

    (2) Relevons qu'à l'époque (avant 1830), quand on parlait du royaume, on disait aussi bien les Pays-Bas que la Belgique ; l'expression « les Belges » pouvait désigner l'ensemble des habitants du royaume, les Hollandais et les Flamands les seuls habitants des provinces dont ils tenaient leur nom.

    (3) Le Présent le plus agréable au ciel suivi de Jenny ou la petite Espiègle et de Marie ou l’Amour filial, Lille, Lefort, 1858.

    (4) Dans le volume La Nation Hollandaise (notes au Chant III), Clavareau donne une traduction d’un long poème sur les héros Bataves de Gisius Nanning, Dévouement sublime ou Tableau national. Et une autre de La Fille infanticide de Schiller ! Il en profite pour faire une sévère critique de Spinoza et un éloge de la nation.

    (5) Lettre reproduite dans Échos Limbourgeois, 1842, p. 79, citée également dans la réponse du traducteur au directeur de L’Astrée.

    (6) « Préface du traducteur », La Nation Hollandaise, poème en six Chants avec des notes, traduit de Helmers d’après la sixième édition, Bruxelles, P.J. De Mat, 1825, p.  II.

     

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    Biographie nationale du pays de Luxembourg

    depuis ses origines jusqu’à nos jours. Fascicule n° 3, 1951.

     

     

    Le poème « De pruimeboom » (« Le prunier »)

    de Hieronymus van Alphen

    chanté par l’ Ensemble Pont de la Virtue

    dans une adaptation de Christian Ernst Graf

     

     

    Bibliographie

    (non exhaustive)

     

    Œuvres traduites

    (du néerlandais et d’autres langues)

     

    Portrait de J. F. Helmers

    HelmersPortrait.gifLord Byron, La Fiancée d’Abydos, poëme en deux chants, avec des notes, 1823.

    Soupir vers l’Italie, 1824.

    Études poétiques, imitées de divers auteurs Hollandais, 1824.

    J.F. Helmers, La Nation Hollandaise, poëme en six chants, avec des notes, traduit d’après la sixième édition, 1825.

    R. Feith, Le Tombeau, poëme en quatre chants, traduit d’après la quatrième édition, et suivi de quelques poésies diverses, 1827.

    H. Tollens, Les Bataves à la Nouvelle-Zemble, poëme en deux chants, traduit  de Tollens, suivi de poésies diverses de Tollens, de Bilderdijk et du Traducteur, 1828, réédition en 1838 (avant d’autres) sous le titre : L’Hivernage des Hollandais à la Nouvelle-Zemble, 1596-1597. Une édition scolaire (1851) comprendra une introduction historique. Une édition de luxe a paru en 1839 avec un portrait du traducteur. Relevons, pour ce qui est de Willem Bilderdijk, l'existence d'une traduction française d'un long passage de son Histoire de la Patrie dans : Nicolas Châtelain, Histoire du synode de Dordrecht, 1841 (sans nom de traducteur).

    J. de Kruiff, L’Espérance de se revoir, poëme en deux chants, 1829.

    R. Feith, Thirsa, ou le triomphe de la Religion, tragédie en cinq actes et en vers, traduite d’après la cinquième édition, 1830.

    A. van der Hoop Jr, La Canonnière, ballade dédiée aux marins hollandais, 1832.

    A. van der Hoop Jr, La Campagne de dix jours, couronne de victoire, offerte à S.A.R. le Prince d’Orange et à ses braves, poëme, 1832.

    H. van Alphen, Petits poëmes à l’usage de l’enfance, 1832.

    H. Tollens, Le Jour de prière générale dans la Néérlande (2 décembre 1832), 1832.

    H. Tollens, L’Anniversaire du prince d’Orange (déc. 1833), chant populaire, s.d (1833).

    H.A. Spandaw, Les Femmes, poëme en quatre chants, 1833.

    A. van der Hoop Jr, Varsovie, tableaux guerriers et poétiques, 1833 (œuvre dédiée au Tsar).

    H. van Alphen, Petits poëmes, à l’usage de l’enfance, 1834 (l’édition comprend en outre quelques poèmes de M. van Heijningen-Bosch).

    ClavareauCarmagnola.pngA. van der Hoop Jr., Le Roi de Rome, 1834.

    J. Bellamy, Marie (Roosje), romance, 1835.

    H. van Alphen, Le Ciel étoilé, cantate, 1835.

    Françoise (Francyntje) De Boer, Petits poëmes, à l’usage de l’enfance, dédiés à mes petites filles Adèle, Sophie, Thérèse, ornés de quatre dessins lithographiés par Nolthénius de Man, 1835.

    E.A. Borger, À mon enfant, dédié à Mme de Lamartine, 1836.

    Petits poèmes à l’usage de la jeunesse hollandaise, poèmes de Feith,  Immerzeel,  Lulofs,  P. Moens, Nierstrasz, de Visser, Warnsinck et Wiselius, 1836.

    P. Nieuwland, Orion, ode, dédiée à Mr. Alphonse de Lamartine, 1836.

    La Nouvelle Abeille du Parnasse, ou choix de morceaux tirés des meilleurs poètes (dont Le Réveil de J. van Lennep), à l’usage des maisons d’éducation, suivie des extraits de La Nation hollandaise de Helmers, 1836.

    J. van Wijk, Histoire de la patrie, en cinquante deux leçons, 1837. lt;/span>

    Étrennes nationales, chants patriotiques, dédiés à son Altesse Royale le Prince d’Orange, 1839.

    Impressions de l’âme, Mélange de traductions du Hollandais, de l’Allemand, de l’Anglais, et de poésies du Traducteur, au profit des quatre veuves et des dix-neuf orphelins, victimes du naufrage du flibot Vrouw Pieternella Pronk, 1841.

    A. van der Hoop, La Mort d’un joueur, tableau dramatique, 1847.

    Souvenirs poétiques, recueil de poésies traduites et originales, dédié à Chateaubriand, 1847.

    À Monsieur Donker Curtius, Ministre de la Justice, au moment des discussions sur la révision de la loi fondamentale des Pays-Bas, 1848.

    Fr. Forster, Guillaume d’Orange ou l’Union d'Utrecht, drame lyrique en quatre actes et sept tableaux, 1848.

    Silvio Pellico, Françoise de Rimini, tragédie en cinq actes et en vers, 1849.

    Prudens van Duyse, Chant de l’Esclave germain, dithyrambe, 1849.

    A. Manzoni, Le Comte de Carmagnola, tragédie en cinq actes et en vers, 1851.

    T. Körner, Toni, drame en trois actes et en vers, 1852.

    C.G. Withuys, Le Parjure, épisode tiré de l’histoire de l’Amérique du Nord, 1852.

    T. Körner, Deux cœurs de femme, ou le Domino vert, comédie en un acte et en vers, 1855.

    Jan van Beers (1821-1888)

    JanvanBeers.gifJan van Beers, L’Aveugle, 1856.

    E.W. van Dam van Isselt, Herman, poème, 1856.

    G.J. Sieburgh, Java, poème, 1856.

    Jan van Beers, L’Enfant du pauvre, 1857.

    Thomas Moore, Le Paradis et la Péri, conte oriental, 1857.

    Thomas Moore, Les Amours des Anges, poëme oriental, 1858.

    Thomas Moore, La Lumière du Harem, ou la fête des roses, poëme oriental, 1859.

    L. Van den Broek, Petits poëmes, à l’usage de l’enfance et dédiés à Sa Majesté la Reine des Pays-Bas, 1859.

    J. Heye, Petites poésies, à l’usage de l’enfance, 1859.

    Fleurs de famille, avec des pièces du traducteur, 1860.

    Six poèmes de Jan Pieter Heije, dans J.P. Heije, Al de kinderliederen, 1861

    B.H. Lulofs, Plaintes de la jeune Claire, sur la mort de sa mère,

    Nicolas Becker, Le Rhin Germanique, chant national.

    J. van Lennep, Le Réveil, traduit de Van Lennep, musique de Van Bree.

    À une mère, sur la mort de sa fille, traduit du manuscrit d’un inconnu.

      

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    Œuvres d’A. Clavareau

     

    Poésies fugitives suivies des projets de bonheur, comédie en trois actes et en vers, 1813 (ou 1814).

    Le Caton par amour, comédie en un acte et en vers, 1819.

    Valmore, drame héroïque en trois actes, 1820.

    Poésies, 33 pièces de vers, 1821.

    Les Médisantes, comédie en trois actes, en vers (vers 1821).

    La Mort du Comte d’Egmond, poëme inspiré de l’œuvre de M. Camberlyn, 1821.

    Un jour de fortune, ou les Projets de bonheur, comédie en 3 actes et en vers, 1822.

    Mauvaise tête et bon cœur, comédie en un acte et en vers, 1822.

    Les héros de Huisduinen, par un philanthrope, 1824.

    L’Amour de la patrie, poème, 1826.

    Derrière le Tombeau de Feith, quelques pièces, 1827.

    Œuvres dramatiques, 2 vol., 1828.

    Pièces ajoutées aux Bataves à la Nouvelle-Zemble de Tollens, 1828.

    Les Harmonies de la nature, poème en cinq chants, suivi de L’Amour de la patrie, poème, 1829.

    Chant guerrier au général Chassé, 1832.

    Pièces dans Étrennes nationales, 1839.

    Quelques pièces dans Impressions de l’âme, 1841.

    Échos Limbourgeois, publiés au bénéfice des Incendiés de Hambourg, dont quelques pièces traduites, 1842.

    Lauriers et cyprès, poésies détachées, dédiées à la Reine des Pays-Bas, 1849.

    Marie, ou l’amour filial, petite pièce de théâtre, 1853.

    L’Inconnu ou le merle blanc, comédie en un acte et en vers, 1854.

    L’Étudiant aux arrêts, intermède, dédié aux jeunes étudiants des Collèges, 1854.

    Églantines, Pervenches et Cyprès, poésies religieuses, 1854.

    La Veille des vacances, petite pièce de théâtre, 1855.

    La Répétition interrompue, petite pièce de théâtre, 1855.

    L’Inondation de 1855 dans la Néerlande, au profit des victimes de l’inondation, 1855.

    Deux cœurs de femme, comédie en un acte, 1855.

    Jenny, ou la petite Espiègle, comédie en un acte et en prose, à l’usage des jeunes demoiselles, 1856.

    L’Ange sur les ruines du temple Saint-Martin à Wyck-Maestricht, 1856.

    La Pose de la première pierre de l’Église Saint-Martin à Wyck-Maestricht, 1857

    Le Pêcheur de Blankenberghe, légende du XIIe siècle, dédiée à Mr. Eugène Van Meerbeke, 1857.

    Le Présent le plus agréable au ciel, petite pièce de théâtre, 1858.

    Fleurs de famille, 1860.

    La Pensionnaire en retenue, intermède à l’usage des pensionnats de jeunes demoiselles, 1861.

    Ode aux dieux de la Grèce, posthume.

     

    Autres textes : les préfaces à ses recueils (traités ou esquisses autobiographiques) ; des articles et feuilletons : « Invention de l’Imprimerie », repris sous le titre « Laurent Coster » ; « Lafontaine » ; « Des jeux de la vie » ; « Être maître » ; « Le Diable » ; « Quelques pages des tablettes d’une jeune femme » ; « Quelques réflexions sur le Suicide » ; « De l’amour et des amours » ; « La Tête et le cœur » ; « La Mode » ; « De l’Honneur » ; « Luxe et Indigence » ; « Du Charlatanisme » ; « De l’Esprit » ; « La Langue » ; « Les yeux et les oreilles » ; « L’Eau et le feu » ; « Nous le sommes tous » ; « Sur l’Epigramme » ; « Du Madrigal »…

     

    Des poèmes (ou autres contributions) de Clavereau ont paru dans les revues et journaux suivants :

    Journal de la Haye (1848) ; Astrea/L’Astrée ; La Sylphide (revue bordelaise, 1863) ; L’Écho de Vaucluse (1833 et 1834) ; L’Écho des feuilletons (« La Jeune aveugle », 13ème année),  Journal de Liège et de la Province (1854) ; Le Journal du Limbourg ; Nederlandsche Muzen-Almanak (1838) ; Le Courrier de la Meuse ; Journal du Limbourg ; Annuaire de la littérature et des beaux-arts ; Mémoires et Annuaire de la Société libre d’émulation de Liège ; Provinciale Friesche Courant (1854 et 1855) ; De Noordbrabanter (1855)…

     

    Poèmes (de circonstance, la plupart non datés) : Le Jour de l’An ; Aux ennemis de la paix ; Dieu, donne nous la paix ! ; À l’occasion de l’Exposition des fleurs à Maestricht ; Pour les pauvres ; À l’industrie, à l’occasion du XIe congrès national agricole, à Maestricht, le 26 Juin 1856 ; À l’occasion de l’inauguration de l’éclairage au gaz de la ville de Maestricht ; La Jeune malade, 10 Octobre ; À Son Altesse Royale, Monseigneur le Prince d’Orange, héritier de la Couronne du Royaume des Pays-Bas, le jour de sa majorité, 4 Septembre 1858 ; Ode à l’occasion de l’ouverture du chemin de fer d’Aix-La-Chapelle à Maastricht ; La Naissance du Sauveur ; L’Enthousiasme, ode ; Fête de l’Immaculée Conception ; Les Rogations, ode dédiée aux Pasteurs de village ; La Pentecôte ; L’Assomption ; Le Mois de Marie

     

    Sources

    L’exposé le plus complet sur la vie (et la bibliographie) de Clavareau figure dans un mémoire de fin d’études de Leanne Vroomen que nous remercions vivement : Auguste Clavareau : un missionnaire : achtergronden bij de beweegredenen van een dichter en vertaler, 1997, Scriptie Faculteit der Letteren, Radboud Universiteit Nijmegen, sous la direction du professeur André Hanou. Ce mémoire a par ailleurs le mérite de reprendre une partie de la correspondance du traducteur (63 lettres portant sur la période 1824-1847). C'est à ce travail que nous empruntons la plupart des passages de diverses lettres.

    Michael Smiets, « Levensschets van Auguste Clavareau », Jaarboek van de Maatschappij der Nederlandse Letterkunde, 1871, p. 243-253.

    Voir aussi la postface de l’édition bilingue en ligne des Kleine gedigten voor Kinderen de H. van Alphen : ICI

    E. Jeanné, «  Een Limburgsdichter van Franse expressie : Auguste Clavareau (1787-1864) », Tijdschrift voor taal en letteren, 1937, p. 257-285.

    Johan Wilhelm Marmelstein, « Een Franse bewerking van Van Alphens Kleine gedichten », Levende talen : berichten en mededelingen van de Vereniging van Leraren in Levende Talen, juin 1943, p. 181-184.

    P.L. van Eck Jr., « Van Alphen in ’t Frans », Levende talen, oct. 1943, p. 227-230.

     

     

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    Publications de la Société d'Archéologie du duché de Limbourg,

    T. 1, 1864, p. 207-208

     

    la plupart des documents reproduits ci-dessus proviennent de la DBNL, de Gallica, de Google Books ou encore d'Internet archive