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Auteurs néerlandais - Page 32

  • L’enfer à la maison

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    Le premier roman de David de Poel

     


    Bedrukt-papier, n° 1, nov. 2009

    CouvBedruktPapier.pngPeu connu encore, il est pourtant le plus grand écrivain néerlandais, puisque le cerveau où il conçoit ses nouvelles et romans est perché à plus de 2, 10 m du sol. Écrivant depuis ses plus jeunes années, David de Poel – né à Groningue en 1973 – suit son chemin en réalisant peu à peu ses rêves, par exemple celui de fonder une revue dont il serait l’unique rédacteur, un de ces een- manstijdschrift dont il existe une belle tradition en Hollande : Bedrukt-papier a ainsi vu le jour en novembre 2009, un premier numéro dans lequel l’auteur publie des entretiens avec un éditeur et des confrères dont il admire l’œuvre ainsi que deux nouvelles : l’une évoque de manière hilarante une activité à laquelle David de Poel se livre dans la ville où il réside, Amsterdam : contre quelques dizaines d’euros, l’écrivain vient lire le soir à votre domicile, à l’heure où vous vous couchez – il s’assied près de votre lit, vous berce de sa voix et vous n’avez plus qu’à vous endormir. À moins que vous ne l’ayez fait venir pour autre chose…


    En 2004, David de Poel a publié son premier roman : De buitenstaander (L’Exclu). Un garçon prénommé Baldwin nous raconte son existence, entre le moment où sa mère meurt dans un accident (il a environ 6 ans) et la fin de sa scolarité en primaire. Son père s’est assez rapidement remarié ; or, le garçon est brimé et battu par sa belle-mère. Il subit les choses en secret, son père refuse d’ailleurs de regarder la réalité en face. Ses grands-parents projettent de l’aider, mais sa grand-mère meurt à son tour. Comment le garçon peut-il échapper à l’enfer qu’il vit sous le toit familial ? Portée par une belle écriture simple et subtile, cette histoire traite de façon crédible, sans tomber dans le mélodrame, un sujet grave. La cinquantaine de courts chapitres se referme sur une fin ouverte. L’auteur brosse un beau portrait d’une belle-mère psychopathe et d’un père aveuglé par l’amour. Il propose aussi une belle évocation des premiers sentiments amoureux qu'éprouvent des enfants d'environ 10 ans. Un livre pour adolescents et pour les plus grands aussi (il n’a d’ailleurs pas été publié aux Pays-Bas dans une collection jeunesse) auquel David de Poel a donné une suite : Blauwzeer (Blessure bleue, éd. Aspekt, 2007).

     

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    illustration : peinture de Barend Blankert, Jeune qui dort


    David de Poel a réuni certaines de ses nouvelles dans Mannen in pakken, de grootste viezeriken die er zijn (XX uitgevers, 2005), recueil traduit en japonais. Il a par ailleurs rendu hommage à certains écrivains comme Boudewijn Büch – romancier, bibliophile et réalisateur de documen- taires qui aimait faire partager ses passions ou encore sa fascination pour les dodos. En vrai amoureux de la lit- térature de son pays, De Poel a aussi écrit une biographie de l'auteur Frans Pointl dont on attend la parution.

     


  • L'Indonésie d'Augusta de Wit

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    Une styliste délicieuse


    Si Multatuli, Louis Couperus, Eddy du Perron, Jeroen Brouwers, Maria Dermoût et Hella S. Haasse demeurent les écrivains majeurs des Pays-Bas dont les noms restent liés à l’Indonésie, plusieurs de leurs compatriotes, nés ou ayant vécu dans l'immense colonie, ont enrichi la littérature néerlandaise. Augusta de Wit (1864-1939) fait partie de ce groupe. Née sur l’île de Sumatra, elle passera une partie de son enfance aux Indes avant de suivre sa scolarité en Hollande et en Angleterre. De retour pour quelques années sur sa terre natale, elle sera enseignante à Batavia puis journaliste, une carrière qu’elle poursuivra au XXe siècle, entre autres à Berlin, Paris, aux Pays-Bas, en Bavière et en Prusse, de manière à subvenir à ses besoins puisqu’elle restera célibataire. Elle publiera des chroniques en anglais dans le Singapore Straits Times qui seront réunies sous le titre Facts and fancies about Java. Revenue en Europe, elle écrira – outre des romans et des nouvelles – pendant de nombreuses années des critiques sur la littérature étrangère, en particulier allemande et anglaise. Ces activités l’amèneront à correspondre avec Rilke, le poète Thomas Hardy ou encore D.H. Lawrence. Elle a aussi laissé des articles sur des auteurs français. Ainsi, Dick Gevers, dans l’article « La réception d’Octave Mirbeau en Hollande » peut-il écrire : « En 1918, Augusta de Wit, critique littéraire du journal libéral Nieuwe Rotterdamsche Courant (01/12/1918), compare Mirbeau à Herman Heijermans, un de nos auteurs les plus engagés de cette époque, et rend hommage à “la manière implacable” dont Mirbeau dénonce les tares de notre société. Et elle ajoute : “Mais sous l’implacabilité avec laquelle il dit ce qu’il croit être la vérité, quel désir infini de tendresse, quelle pitié de ce pauvre cœur humain !” »

    AugustaPortrait.pngDeux paradoxes dominent la vie de celle en qui Alexandre Cohen a vu une « styliste délicieuse » : alors que la politique n’était pas sa tasse de thé – elle a écrit qu’elle avait toujours refusé la lutte des classes et la haine qu’éprouvaient les « rouges » à l’égard d’une partie des hommes –, elle sera pendant quelques années membre du parti communiste (Sociaal Demokratische Partij) en raison de ses positions anticolonialistes avant d’opter pour un socialisme « religieux » proche de ce que défendait Hendrik de Man ; d’autre part, si elle cherche dans ses livres à comprendre l’âme javanaise, elle le fera en employant une prose d’un grand raffinement, inspirée du symbolisme, et selon un cadre de pensée tout à fait occidental. L’essentiel pour elle n’était pas tant de « comprendre » les Indes néerlandaises que d’en donner, dans un souci esthétique, une vision « pleine de rêverie romantique pour le pays et sa population autochtone » (A. Romein-Verschoor). Il ne fait aucun doute qu’elle a porté un grand amour et à la nature et aux gens de l’archipel.

    L’enthousiasme que sa prose « distinguée » et « noble » a soulevé chez artistes et critiques, on le retrouve sous la plume d’un universitaire d’expression française : Augusta de Wit « a voué son talent à la peinture de la grandeur et des souffrances, de la splendeur et des misères du monde colonial hollandais ; mais elle a voulu, avant tout, étudier l’âme cachée des 
peuples de Java. Parmi les écrivains d’aujourd’hui qui nous parlent des 
Indes à côté de Couperus et de Borel, Augusta de Wit a son mérite et son 
originalité. Orphée dans la Dessa est un petit chef-d’œuvre et la Déesse qui 
attend, un grand et noble livre.

    Elle met en scène surtout l’Européen confiant en sa richesse, son intelligence, son organisation, ses machines, venu à Java pour faire fortune
sans plus et qui rêve uniquement de spéculations industrielles à gros 
bénéfices. Elle lui oppose le peuple javanais appauvri, réduit à l’état de bétail humain, qui se venge lâchement de l’Européen, détraque ses machines, vole ses buffles, mais qui vit pourtant en communion d’âme avec 
les esprits des champs et des bois, qui a sa mythologie, ses usages, une 
vie intérieure intense et une imagination ardente et désordonnée. Tout est conté fort simplement et met à nu la cruauté de ces rencontres de deux
races. La note personnelle d’Augusta de Wit, outre la splendeur de son 
style et les qualités littéraires de la langue qu’elle emploie, c’est une certaine notion de grande pitié humaine, une profonde sympathie pour ceux que le monde écrase ou ignore ou bafoue. » (J. Lhoneux, « Profils de romanciers hollandais », Revue germanique, 1910, p. 198). Johannes Tielrooy reconnaît lui aussi certaines qualités à la femme de lettres : « Mme Augusta de Wit, styliste parfaite, fournit, dans ses beaux ouvrages un peu froids, quelque chose comme une série d’images du monde. Son grand bonheur semble être de contempler les spectacles de la vie et de les comprendre […]. Chez elle, le réalisme s’enrichit d’une poésie qu’on dirait classique. » (La Littérature hollandaise, 1938, p. 34)

    Même si le grand poète Martinus Nijhoff a pu critiquer avec virulence la prose très plastique d’Augusta de Wit – le communiste Theun de Vries fera de même –, certaines de ses œuvres ont parfaitement résisté au temps. On relit avec plaisir et admiration ses souvenirs et évocations des Indes néerlandaises (entre autres « De Boegi roepen den avondwind »), les pages sans pareilles qu’elle a consacrées aux papillons (Gods goochelaartjes) et aux vents qui soufflent dans l’archipel, ses nouvelles et récits où s’exprime une aspiration aristocratique à la beauté.

    AugustadeWit1.pngQuelques-uns de ses textes ont été traduits en français : la nouvelle « De Jager » (« Le chasseur ; histoire javanaise », trad. A.D.L. Mague, La Revue de Hollande, I, 1915-1916) et le court roman Orpheus in de dessa (Orphée au village, trad. E.J. Van Hasselt & Isabelle Rivière, La Revue hebdoma- daire, n° 27-28, 7et 14 juillet 1928). Dans Le Monde nouveau, Paul Eyquem a lui aussi transposé quelques pages de la nouvelliste (« Histoire du Joueur de flûte et de la belle danseuse »). En anglais, six de ses proses ont été réunies sous le titre Island India (1923).

     

    Bibliographie

    Facts and fancies about Java, Singapore, 1898 (traduit en néerlandais en 1905 par Cornelie van Osterzee sous le titre Java. Feiten en fantasieën).

    CouvAugusta3.gifVerborgen bronnen (Sources cachées),
1899 (nouvelles tra- duites en allemand par Else Otten : Feindschaft. Das höchste Gesetz, 1903).

    De godin die wacht (La Déesse qui attend), 1903 (roman traduit en allemand par Else Otten : Die Göttin, die da harret, 1908).

    Orpheus in de dessa (Orphée dans le village indonésien),
1903 (traduit en allemand par Eva Schumann : Orpheus in Java, 1928).

    Het dure moederschap (La Maternité chère payée), 1907 (traduit en allemand par Else Otten : Eine Mutter, 1908 ; un des rares livres d’Augusta de Wit dont l’action n’est pas située en Indonésie).

    Natuur en menschen in Indië (Nature et hommes aux Indes néerlandaises), 1914 (recueil de chroniques).

    De wake bij de brug en andere verhalen (La Garde près du pont et autres nouvelles), 1918.

    De drie vrouwen in het heilige woud (Les Trois femmes dans la forêt sacrée), 1921 (recueil de quatre nouvelles : « De drie vrouwen in het Heilige Woud » ; « Aan het strand » ; « De Jager » ; « Gezichten op Zee »).

    De avonturen van den muzikant (Les Aventures du musicien), 1927.

    De wijdere wereld (Le Large monde), 1930.

    CouvAugusta4.pngGods goochelaartjes (Les Petits Prestidigitateurs de Dieu),
1932 (récits poétiques sur les naturalistes et les papillons).

    Drie novellen (Trois nouvelles), 1939.

    Een witte angora en enige mensen (Un angora blanc et quelques gens), 1965.

    .......................................

    Augusta de Wit a par ailleurs publié en 1910 une collection de contes de différents pays.


    Voir en allemand

    L. Simoens, « R. M. Rilke und die Niederländische Schriftstellerin Augusta De Wit » (sur la correspondance entre R.M.Rilke et l’écrivain néerlandais Augusta De Wit), Germanic Notes Lexington, n° 1, 1984, p. 7-10.

     

    les 2 photos sont tirées d'un ouvrage d'Augusta de Wit


  • Les éventails

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    Une nouvelle japonaise de Louis Couperus

     

     

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    À Rome, toile de Willem Johannes Martens (1838-1895)

     

     

     

    LES ÉVENTAILS*

    (parution dans Deshima, n° 2, 2008, p. 207-210)

     

     

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    voir à propos du recueil d'où est tirée cette nouvelle

    « La mort de Louis Couperus (texte) »

     

    Couperus1952.png

    jaquette d'un recueil d'essais consacrés à Couperus, 1952

     

     

     

  • Une grande figure du XIXe siècle hollandais

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    Joseph Albert Alberdingk Thijm

    (1820-1889)

     

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    À la fin du XIXe siècle, la collection « La Nouvelle Bibliothèque Populaire » (à DIX centimes) de l’éditeur Henri Gautier (1855-1938), créée en 1887 pour accueillir les classiques de la littérature française et étrangère, a accordé une petite place aux écrivains néerlandais. Sur les 500 fascicules que semble avoir compté la collection, on relève ainsi :

    J.J. Cremer, Intérieurs hollandais. Scènes villageoises, traduction inédite avec une notice biographique et littéraire sur l’auteur (n° 62, 1888) ;

    Alberdingk Thijm, Chroniques de la Néerlande, avec une notice biographique et littéraire de Charles Simond (n° 103, 1888) ;

    Hildebrand, Prose (extrait de Camera Obscura) et Poésie, avec une étude sur la vie et l’œuvre de N. Beets par Charles Simond (n°187, 1890) ;

    Bilderdijk, Poèmes néerlandais (n° 205, 1890) ;

    Conrad Busken-Huet, Portraits du temps (n° 281, 1892) ;

    Erasme, Ce que les femmes pensent de leurs maris (n° 332, 1892 ou 1893) ;

    et, rangé parmi les dramaturges… allemands, Joost van de Vondel, Lucifer, tragédie en 5 actes avec une étude sur la vie et l’œuvre de Vondel par Charles Simond (n° 126, 1888 ou 1889).

    Pour mieux évaluer l’originalité et l’importance de cette initiative éditoriale, citons un auteur de l’époque, le pédagogue protestant radical-socialiste Fernand Buisson (1841-1932), proche colla- borateur de Jules Ferry, et futur prix Nobel de la paix : « Nous ne saurions sans injustice passer sous silence une entreprise beaucoup plus importante et qui se continue avec un remarquable succès. C’est la Nouvelle Bibliothèque populaire à 10 centimes, qui en est à son 420e volume (il en paraît un par semaine). Ayant réussi à durer, cette collection a réussi à se faire connaître ; on la voit maintenant dans les kiosques et dans les gares, où son bas prix, son petit format et son très bon air triomphent de l’indifférence ordinaire du public.

    Quand cette publication a commencé, la plupart sans doute de ceux qui l’ont vue naître lui auraient prédit une existence éphémère. Les objections ne manquaient pas, et il y en avait de toute sorte. Elle a su vivre pourtant, cette petite Bibliothèque populaire, rendre de véritables services et pénétrer un peu partout, jusque dans nos écoles. Ces modestes livraisons de 32 pages chacune sont encore jusqu’ici le meilleur sinon le seul spécimen d’une publication répondant en partie à ce que souhaite le Conseil supérieur. En effet, un coup d’œil sur le catalogue montre qu’il y a là un choix de trésors empruntés à la littérature classique de tous les temps et de tous les pays.

    On y trouve les anciens représentés par des traductions comme on en fait depuis quelques années pour l’enseignement moderne et pour les lycées de filles. Il y a peu de temps, rien de pareil n’existait ; c’est une grande lacune heureusement comblée dans l’éducation populaire : les abonnés de cette bibliothèque ont pu lire ainsi le Criton, le Philoctète de Sophocle, les plus beaux épisodes de l’Énéide, les Catilinaires de Cicéron, la Vie d’Agricola de Tacite, les discours de Démosthène, des extraits de Thucydide, etc.

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    L'imposante biographie signée Michel van der PLas

    Vader Thijm, Anthos/Lannoo, 1995

     

    Les littératures étrangères y sont représentées par Cervantes (extraits de Don Quichotte), Calderon, Camoens (extraits des Lusiades) ; Burke et Fox (les plus beaux morceaux oratoires), Schiller, Gœthe, Grimm (contes), Shakespeare, Washington Irving, W. de Humboldt, lord Byron, etc. Les traductions des plus célèbres œuvres contemporaines n’y sont pas rares : George Eliot, Ouida, Miss Cummins, Mme Beecher Stowe, Carmen Sylva, pour ne citer que des femmes, y ont leur large place. Une des dernières et des plus intéressantes livraisons donne d’amples fragments des Niebelungen, d’autres le livret de Lohengrin, les poètes russes, Disraeli, O’Connell, Mgr Ireland, etc.

    Mais c’est surtout pour les lectures à faire en plein courant de notre littérature nationale que le choix est abondant, libre et heureusement varié.

    Quelques auteurs du moyen âge et du quinzième siècle (Jacques de Voragine, la Légende Dorée, les vieux poètes français, les vieux noëls), tous les meilleurs morceaux du seizième, non seulement les chefs-d’œuvre consacrés (Marot, Ronsard), mais beaucoup de ceux dont tout le monde sait le titre, et que personne ne lit (petits morceaux d’Érasme, la Satire Menippée) ; au dix-septième et au dix-huitième siècle, outre tous les grands classiques avec leurs œuvres ou in extenso, ou sous forme de fragments et d’épisodes, un grand choix de pièces extraites des mémoires et des œuvres de second ordre trop éclipsées par l’éclat des grands noms des siècles. (Marivaux, Dancourt, Saint-Simon, Lesage, de Retz, Rivarol, Voiture, J.-B. Rousseau, Mme Vigée-Lebrun, Furetière, Fontenelle, Mme de La Fayette, Ducis, Saint-Evremont, Marmontel, de Brosses, etc.)

    Enfin les éditeurs ont réussi à faire figurer dans cette collection un très grand nombre d’œuvres contemporaines sinon entières, du moins par des fragments très suffisants pour permettre d’en juger. Citons par exemple : Mistral, Gérard de Nerval, Victor de Laprade, Lamartine, Fr. Coppée, Ferdinand Fabre, H. de Bornier, Paul Bourget, Alph. Daudet, André Theuriet, Jules Claretie, M. de Voguë, Maupassant, Jules Lemaître, Michelet, Henri Meilhac, Xavier Marmier, Jean Aicard, Mme Adam.

    En somme on le voit, cette collection, sans avoir été faite expressément en harmonie avec les nouveaux programmes, se trouve en faciliter singulièrement l’application. Et l’on en extrairait assez aisément une série correspondant à ces programmes et en donnant tout l’essentiel. Il y manque évidemment plusieurs des conditions requises ou du moins désirables pour notice public scolaire : le choix des morceaux n’est pas toujours fait en vue et à l’intention de la jeunesse, quoiqu’il soit généralement bon et même sévère ; les notes font défaut, les notices de M. Simond sont un peu brèves, quelquefois banales, d’autres fois sans intérêt pour la jeunesse. Pourtant il ne faut pas être plus royaliste que le roi, ni plus académique que l’Académie française, qui, sur le rapport de M. Camille Doucet, a décerné un prix, en 1893, “à M. Charles Simond, directeur et rédacteur principal d’une publication populaire, contenant de piquantes notices sur les grands écrivains de toutes les littératures, jointes à d’importants extraits de leurs œuvres”. Le nouveau directeur de la Bibliothèque populaire, M. Alfred Ernst, sous-bibliothécaire à Sainte-Geneviève, tiendra à honneur de continuer cette tradition. Nous pouvons donc dire que si ce recueil n’est pas fait pour nous, néanmoins il ne nous est pas défendu, comme disait Molière, de prendre notre bien où nous le trouvons. » (« La Lecture en classe, à l’étude et dans la famille », Revue pédagogique, T. 25, n° 7, juillet 1894, p. 16-18 – cette revue avait été fondée par le même F. Buisson ).

    Thijm sur son lit de mort (dbnl)

    PhotoThijmMort.gifChacune des livraisons de la Nouvelle Bibliothèque Populaire compte donc 32 pages ; elle ne mentionne (généralement) pas le nom du traducteur. Dans le cas de Vondel, il s’agit en réalité, comme nous l’apprend Pierre Brachin dans « Vondel in het Franse pak. Twee moderne Franse interpretaties van ‘Jozef in Dothan’ » (E.K. Grootes & S.F. Witstein (dir.), Visies op Vondel na 300 jaar, Martinus Nijhoff, Den Haag, 1979) d’une réédition de la traduction en prose de Jean Cohen parue initialement dans Chefs-d’œuvre du théâtre hollandais, tome I : P.C. Hooft (L’Origine des Hollandais), J. van den Vondel (Lucifer & Gilbert d’Amstel, la destruction de sa ville et son exil), P. Langendyk (Les Mathématiciens ou La Jeune fille en fuite & Krélis Louwen, ou Alexandre le Grand au festin du poète), Paris, Ladvocat, Paris, 1822. Pour Hildebrand, il s’agit sans doute – du moins pour partie – d’une traduction du directeur de la collection, le polygraphe Charles Simond, de son vrai nom Paul Adolphe Van Cleemputte (1837-1916), lequel a aussi semble-t-il publié sous les pseudonymes Pierre Durandal et Paul Largillière. Il en va probablement de même du livret de Jacobus Johannes Cremer (on trouve en 1905 sous le nom de Charles Simond un Mie-au-berceau, conte néerlandais d’après Jacobus Johannes Cremer, 1905).  Ce publiciste, journaliste et romancier belge a traduit, adapté ou « imité » de nombreux textes de différentes langues européennes (anglais, allemand, danois, tchèque, finnois…). On peut imaginer qu’il s’est chargé en personne de transposer les quelques nouvelles de Josephus Albertus Alberdingk Thijm (1820-1889) figurant dans Chroniques de la Néerlande – à moins que l’auteur ait lui-même mis la main à la pâte dans ses vieux jours. Le talent du Néerlandais à manier le français était incontestable ainsi que l'affirme son biographe et que le prouvent les nombreuses publications qu’il a rédigées dans cette langue dont L’Art et l’archéologie en Hollande ou De la littérature néerlandaise à ses différentes époques – sur un total de 2400 écrits ! (Auparavant, certaines de ses œuvres avaient été traduites par l’abbé Désiré Carnel, par exemple Gertrude d’Est, légende, Paris, J. Tardieu, 1859.) On peut aussi parler de talent à propos de Charles Simond : compte tenu de la charge considérable de travail que représentait son activité éditoriale, on peut en effet se demander où il trouvait le temps de traduire autant et si bien. Les trois nouvelles qui composent la livraison Chroniques de la Néerlande, à savoir « Le Premier livre de la chronique de Berkele », « L’Organiste de la cathédrale » et « Les Martyrs de Gorcum » témoignent d’un art affirmé de la traduction. Si le format de la publication (ou d’autres motifs ?) a imposé certaines coupures au fond guère préjudiciables, le rendu est d’une qualité et d’une précision qu’on aurait aimé retrouver, par exemple, chez les traducteurs d’un Louis Couperus au tournant du siècle.

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    R. van Rijswijck,

    De Spektator van J.A. Alberdingk Thijm 1842-1850,

    Walburg Pers, 2009

    étude portant sur l'une des revues dominées par Thijm

     

    Comme l’indique F. Buisson – non sans quelques remarques dépréciatives peut-être liées aux positions idéologiques de leur auteur ou encore à la production pléthorique de Charles Simond –, le directeur de « La Nouvelle Bibliothèque Populaire » écrivait une notice pour présenter chaque auteur édité. C’est celle de deux pages qu’il a consacrée à Alberdingk Thijm que nous reproduisons ci-dessous avant – une prochaine fois – de revenir sur la vie d’Alberdingk Thijm et de donner la version française du très beau texte « L’Organiste de la cathédrale ».*

     

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    * Relevons que si, dans La Littérature hollandaise (Armand Colin, 1962), Pierre Brachin consacre un paragraphe au « prodigieux autodidacte »  J.A. Alberdingk Thijm, l’Histoire de la littérature néerlandaise (Fayard, 1999), ouvrage cinq fois plus épais, ne mentionne pas même son nom !

     

     

  • Après la cage, la jungle

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    Adriaan van Dis en Afrique du Sud

     

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    DVD, Van Dis in Afrika, 2008

     

    Les Indes néerlandaises, la Hollande et Adriaan lui-même occupent une place prééminente dans l’œuvre de Van Dis. Une autre, loin d’être négligeable, est réservée à l’Afrique (les récits sur  l’Afrique du Sud et le Mozambique : La Terre promise, trad. Georges-Marie Lory & En Afrique, trad. Nadine Sabile, tous deux chez Actes Sud, 1993 ; le court roman Vin de palme, trad. Anne-Marie de Both-Diez, Gallimard, 2000 ; la nouvelle « Casablanca » qui a donné son titre à un recueil de 1987 non traduit…). L’écrivain prépare d’ailleurs un roman dans le prolongement du séjour récent qu’il a effectué en Afrique du Sud, en Namibie et au Mozambique, des pays d’où il a ramené une série de 7 documentaires Van Dis in Afrika (Van Dis en Afrique ; voir la série en ligne : ICI ; langues principales parlées par les intervenants : néerlandais/afrikaans/anglais/allemand).


    extrait du documentaire : entretien en anglais A. van Dis / Jacob Zuma

     

    Publié dans différents quotidiens étrangers, le texte suivant sera lu le 8 décembre 2009 par l’auteur à la Délégation générale Wallonie-Bruxelles dans le cadre de la soirée « Zuid-Afrika aujourd’hui ». Il témoigne d’une certaine désillusion près de vingt ans après la fin de l’apartheid. Malgré tout, Adriaan van Dis, en éternel idéaliste, ne peut s'empêcher de croire en l'homme.

     

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    APRÈS LA CAGE, LA JUNGLE

     

    Faire le voyage en train entre Le Cap et Stellenbosch, c’est partir à l’aventure. Chaque jour ou presque, des bandes de jeunes montent dans les wagons et, entre deux gares, dévalisent les passagers. J’ai pris ce train. J’ai fait exprès de le prendre. Dans une poche, 100 rands en pièces jaunes. Il ne faut jamais décevoir les détrousseurs. Dans l’autre, un billet de première, rien ne m’empêchait de descendre de classe en cours de route. Une femme du service de nettoyage, grosse et lente, finissait de balayer le wagon avant le départ du train. Elle ramena de sous une banquette un bâton qu’elle me tendit. Take care, dit-elle. Un gros bâton qui m’arrivait à la hanche, grossièrement ébranché – hérissé en quelque sorte de piquants. Tenant le bâton comme un sabre, j’attaquai le voyage. Sur le quai, des centaines de personnes passèrent devant ma fenêtre ; aucune ne monta dans ma voiture, ce qui eut le don de me déplaire. Deux gares plus loin, pour être moins vulnérable, je déménageai dans un wagon bondé de seconde. J’étais le seul Blanc. Sans doute le seul du train.

    Des jeunes tatoués montèrent. Types sinistres portant des numéros sur les bras : 26, 28. Enjolivures insinuant qu’ils appartenaient à une bande du Cap, The Numbers, d’anciens détenus dont la presse parle souvent. Porter un tel numéro, c’est afficher sa vocation : le crime – le tatouage équivaut à un serment de fidélité à vie. Ils étaient accompagnés de jolies filles. Ils ont posé un regard méprisant sur mon bâton, mais ce fut tout. Peut-être ces tatouages n’étaient-ils que de l’épate, peut-être la présence des filles amenait-elle ces garçons à se contenir. Au cours de ce trajet d’une heure et demie reliant Le Cap à Stellenbosch, aucun passager n’a été dévalisé.

    AdriaanCasablanca.jpgBonne chose pour mes compagnons de voyage. Dommage pour moi. Un écrivain, ça aime l’imprévu. Toutefois, je peux tirer de ces quelques impressions et de la tension éprouvée des éléments pour nourrir le roman que je prépare et dont l’action se déroule en Afrique du Sud. Je peux aussi puiser l’inspiration dans le souvenir que je garde des voyages que j’ai effectués sur le même trajet lors de mes précédents séjours dans ce pays. Au cours de l’automne 1973, j’étais étudiant à Stellenbosch. Les Noirs et les Blancs voyageaient alors séparément. Les gares étaient beaucoup plus propres qu’aujourd’hui – aucun graffiti –, et bien plus sûres – pour un Blanc. Il arrivait qu’on croise ou dépasse à vitesse réduite un train bondé de Noirs – nos fenêtres frôlant les leurs. On pouvait les regarder, eux pouvaient nous regarder. Je n’oublierai jamais les yeux de ces gens. Dans lesquels je voyais du mépris. De la haine. Mais peut-être n’était-ce que de la jalousie ou de l’admiration. Ou tout simplement le regard vide de gens fatigués. Les yeux, ça trompe.

    Mais aujourd’hui, il faut avoir de la merde dans les yeux pour ne pas voir que la société sud-africaine est extrêmement violente. Quand vous ouvrez le journal le matin, le sang vous gicle à la figure. Le sang d’un collégien qui s’est pris une balle dans la tête pour avoir refusé de donner son téléphone portable. Le sang d’un gamin de trois ans auquel on a coupé les testicules : un médecin-sorcier avait besoin du scrotum pour un rituel censé favoriser un homme d’affaires superstitieux – l’assassinat gage de la réussite d’une transaction financière. Le sang de l’étudiant qui, en plein jour, a succombé dans un parc à neuf coups de couteau – donnés comme ça, pour rien.  Le sang que verse la guerre des taxis. Le sang des milliers de femmes et d’hommes violés. Vous le voyez, il faut un estomac en béton pour lire la presse sud-africaine.

    Overdose de crimes ? Tournons la page et passons aux scandales financiers impliquant les hommes au pouvoir, délectons-nous de leurs mensonges, de leurs tripotages de l’appareil étatique, des pots-de-vin qu’ils versent aux magistrats. Mode d’emploi pour monter en grade, voire pour devenir président (ou l’Italie qui fait des petits).

    Et que penser de ce proviseur qui vend de la drogue à ses élèves ? De l’histoire de cette collégienne qui, après avoir été violée par une bande de jeunes pendant une semaine entière, s’est présentée, dans un état second, au bureau de police, où un agent l’a laissé se reposer en cellule, mais où elle n’a pas dû dormir beaucoup puisque ses gardiens ainsi que des policiers ont passé une partie de la nuit à la sodomiser ?...

    afrique,pays-bas,littérature,film,adriaan van dis,namibie,mozambique,afrique du sudEn Afrique du Sud, ce qui s’est démocratisé au cours des quinze premières années de la fragile démocratie, c’est surtout la peur. Dans les trains, sur les routes, dans le centre des grandes villes… Aujourd’hui, tout le monde a peur – les pauvres comme les riches, quelle que soit la couleur de peau, même si j’ai bien conscience que ce sont d’abord les Blancs qui se plaignent, et les Noirs pauvres des quartiers les plus défavorisés.

    Pourquoi insister autant sur cette peur et sur cette violence ? Pour choquer ? Je pourrais tout aussi bien souligner certaines évolutions positives. Si j’en fais part, c’est parce qu’une pointe de racisme perce dans ces histoires – qui perce aussi en moi. Ne nous attendions-nous pas, sans nous l’avouer, à ce que le passage de l’apartheid à la liberté se fasse dans le sang et le malheur ? Or, le constat s’impose : ça va mal !

    Les choses n’allaient-elles pas mieux avant ? Une question pas du tout politiquement correcte, mais que l’on ose poser aujourd’hui à voix haute. On l’entend dans toutes les bouches – en Hollande et parmi les Blancs d’Afrique du Sud. Sous peu, si ça continue, le populaire politiquement incorrect sera redevenu politiquement correct.

    Aucun homme sensé ne souhaite revenir à l’époque des lois raciales et de la majorité muette. On constate que la population noire a beaucoup plus qu’avant accès aux richesses matérielles – même si le taux de chômage dépasse 30%.

    A. van Dis, 2003

    AdriaanLisant2003.pngL’égalité des droits a été acquise au prix de bien des souffrances. Mais  était-ce pour mettre au pouvoir des hommes corrompus ? Pour discriminer les minorités ? Voilà les questions que se posent à présent avec amertume Blancs, Noirs et Métis. Si la première génération des dirigeants noirs était cultivée, de plus en plus de personnes sans formation émergent aujourd’hui tant la demande de cadres a explosé. Au point qu’un tiers des membres élus des conseils municipaux savent à peine lire et écrire.

    Le pays traverse une période de transition – passage d’une société oppressive à une société libre au sein de laquelle on cherche à tâtons et avec rudesse ce qui convient. Après la cage, la jungle. L’Afrique du Sud s’engage dans une période pleine de périls. De nouveaux chefs populistes se sont levés qui, comme ailleurs, exploitent la peur que beaucoup ressentent face aux changements rapides du monde, et qui font jouer la fibre conformiste ou fondamentaliste. Entre-temps, les problèmes sociaux prennent des proportions gigantesques. Personne ne peut prédire ce que sera demain. Il est tout à fait possible que les choses aillent de mal en pis.

    Le noyau pourri, c’est surtout dans la politique sud-africaine qu’on le trouve, dans le mouvement de libération qui éprouve bien des difficultés à devenir un parti de gouvernement. On ne compte plus, au sein de l’ANC, les exemples de népotisme et de corruption. Cela aussi fait partie de la phase de transition.

    Mais même si l’état des routes se dégrade parce que l’adjoint au maire chargé de leur entretien met l’argent dans ses poches, même si on nomme aux postes ministériels des gens bêtes comme leurs pieds, même si les politiciens corrompus se maintiennent les uns les autres la tête hors de l’eau… le citoyen sud-africain a tout de même la possibilité de choisir d’améliorer les choses. Le peuple est libre. Libre d’accepter la décadence. Libre de la combattre.

    afrique,pays-bas,littérature,film,adriaan van dis,namibie,mozambique,afrique du sudUne fois de plus, en Afrique du Sud, des gens s’opposent au parti au pouvoir. Ainsi, des écrivains et des intellectuels de premier plan, qui ont élevé la voix par le passé, se font de nouveau entendre. Les critiques les plus sévères proviennent des penseurs, des syndicats et des mouvements noirs, par exemple le Treatment Action Campaign. Le fait que, dans le pays même, les mass-media évoquent en détail ces abus constitue un signe encourageant. Si jamais le gouvernement interdit un jour la diffusion des mauvaises nouvelles, il nous reviendra à nous de lutter contre cette censure.

    Qu’importe la distance ! En la matière, on ne saurait en appeler à une distanciation cynique – tellement à la mode en Occident –, ce qui compte, c’est notre aide et notre vigilance. Notre implication ! Une attitude de privilégiés ? Raison de plus.  Aujourd’hui que l’Afrique du Sud fait vraiment partie de l’Afrique, nous ne pouvons l’abandonner à son sort – ne serait-ce que parce que la part d’Afrique dans nos propres sociétés est très importante.

    Avec la globalisation, le monde est devenu plus petit ; parallèlement les interdépendances n’ont jamais été aussi grandes. Le Nord et le Sud se rencontrent toujours plus autour des tables de négociation. L’Afrique du Sud est un laboratoire où l’on assiste à maints processus qui sont aussi en cours en Europe. Les métropoles européennes changent de couleur sous nos yeux. Des cultures différentes de la nôtre se manifestent. D’autres idées sur le droit, la religion et le beau. Des débats passionnants nous attendent. Ce n’est pas le moment de détourner la tête. Nous vivons des moments intenses. Il est certes possible de se réfugier dans la résignation, l’indifférence, le désespoir, mais en ce qui me concerne, le seul choix, c’est l’engagement.

     

    Adriaan van Dis

     

    (traduit du néerlandais par Daniel Cunin)

     

    CouvAdriaanLeeftocht.jpg

    Adriaan van Dis, Leeftocht, Augustus, 2007

    40 années de vie et de voyages

    recueil de récits et de chroniques

    dont une douzaine portent sur l'Afrique

     

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    « Adriaan van Dis : fichues promenades »

     

    Adriaan van Dis parle en français de l'Afrique