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Invités / Gasten - Page 7

  • Un collectionneur des œuvres de W.F. Hermans

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    Collectionneur des livres de l’auteur Willem Frederik Hermans depuis les années 1970, je suis ravi de voir paraître de nouvelles traductions de ses œuvres. Avec un peu d’espoir, quelques détails concernant cet auteur intéresseront les lecteurs de ce blog.

     

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    Kussen door een rag van woorden,

    poèmes, 1944.

    1er livre de W.F. Hermans,

    publié à compte d’auteur, 30 exemplaires.


    W.F. Hermans (1921-1995) fait partie de ce qu’on continue d’appeler en Hollande les « Trois Grands » avec Harry Mulisch et Gerard Reve. Grand romancier, il était aussi un excellent polémiste redouté au point que beaucoup de ses collègues ainsi que le gratin politique vérifiaient en premier lieu l’index des personnes citées dans ses pamphlets afin de s’assurer qu’ils… n’y figuraient pas. Aujourd’hui, quinze ans après la mort de Hermans, les mêmes regrettent désormais de ne pas s’y trouver mentionnés. Farouchement individualiste et frondeur, Hermans a écrit un jour l’une des phrases le caractérisant le mieux : « S’il y avait un Au-delà, je ne saurais pas qui j’aurais envie d’y rencontrer… » Il avait le secret des aphorismes aiguisés. En voici deux pris au hasard :

    « La caractéristique de tout sacrifice, c’est qu’il part en fumée. »

    « Je crois que c’est par inattention que les gens sont optimistes. »

    Parmi ses romans les plus connus figure La Chambre noire de Damoclès (1958), que Daniel Cunin a traduit pour Gallimard en 2006. Et en 2009, chez le même éditeur et par le même traducteur, est enfin sorti ce que je considère à titre personnel comme son meilleur roman : Ne plus jamais dormir (1966). Outre nombre de nouvelles, les autres romans potentiellement intéressants pour le public francophone s’intitulent Les Larmes des acacias (1949), Entre professeurs (1975) et Au Pair (1989). En ce qui concerne ces trois derniers romans, des traductions existent en anglais et allemand, mais les francophones devront s’armer de patience (jusqu’à quand ?).

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    Misdaad stelt de wet, De Motor, 1945-1946,

    roman policier de W.F. Hermans,

    publié sous le pseudonyme Fjodor Klondyke.

    Il devait en écrire trois autres dans la même collection : De leproos van Molokaï, Misdaad aan de Noordpool & De demon van ivoor, avant de publier sous son nom une première œuvre en prose : Conserve (1947).

     

    Point commun entre les différents romans de Hermans : les antihéros ou ce qu’on appellerait aujourd’hui des losers. Thème de prédilection : les gens sont nés pour tromper les autres, ils sont peu fiables et ont pour principale occupation de mettre des bâtons dans les roues des autres. A priori, tout cela semble bien sombre, mais quand c’est fait avec de l’humour grinçant et – surtout – quand l’histoire est brillamment construite, ça marche… Saupoudrés de phrases mythiques, ses livres continuent aujourd’hui d’être inscrits au programme des lycées aux Pays-Bas.

    Ses relations avec les éditeurs néerlandais ont toujours été houleuses, ses rapports avec les traducteurs et les éditeurs étrangers ont souvent été catastrophiques. En 1962, les éditions du Seuil sortent une première traduction de son roman La Chambre noire de Damoclès, qui contient quelques erreurs dont une particulièrement grossière. Rebelote pour la traduction en anglais du même roman la même année : The Darkroom of Damocles. Autre traduction, autres erreurs. W.F. Hermans décide aussitôt d’interdire toute traduction future en français et en anglais. Ces deux traductions se vendent d’ailleurs très mal à l’époque, et font aujourd’hui le bonheur des collectionneurs - dont l’auteur de ces lignes. Ce n’est qu’après sa mort en 1995 que le nombre de traductions « a repris l’ascenseur ».

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    Beyond Sleep, Uncorrected Proof, traduction américaine de

    Ne plus jamais dormir (Ina Rilke), épreuves avant impression finale,

    Overlook, 2007.

     

    Hermans quitta la Hollande dans les années 1970 pour s’installer à Paris. Il enseignait auparavant la géophysique à l’Université de Groningue, mais on lui a reproché de consacrer plus de temps à ses écrits qu’à ses étudiants. N’oublions pas qu’on se situe ici dans une époque post-soixante-huitarde où les manifestations estudiantines étaient fréquentes, aux Pays-Bas comme à Paris. Mélangez cet esprit contestataire avec l’esprit frondeur de Hermans et le mélange devient explosif.

    Évidemment, à Groningue aussi, ses contacts avec ses collègues étaient rugueux – au point de provoquer des débats parlementaires ! Le ministre de la Culture et de l’enseignement [le lecteur notera en passant la position délicate dudit Ministre dont le postérieur s’est trouvé inconfortablement coincé entre deux fauteuils en cuir] a dû sortir de sa réserve pour s’occuper de cette question. Du pain bénit pour le polémiste Hermans qui en a profité pour claquer la porte de l’Université et celle de la Hollande par la même occasion. Réglant ses comptes avec le milieu universitaire, il écrit Entre professeurs, hilarant roman à multiples clés dans lequel il évoque avec brio le milieu petit bourgeois hollandais d’un professeur d’ « université de campagne ».

    Espérons que les deux romans La Chambre noire de Damoclès et Ne plus jamais dormir trouveront leur public francophone et que Gallimard n’en restera pas à ces deux traductions.

    Joost Glerum

     

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    La Chambre noire de Damoclès, Paris, Le Seuil, 1962.

    Première traduction française (Maurice Beerblock) de

    De donkere kamer van Damokles (1958).

     

    photos © Joost Glerum

     

  • Pierre Michon selon Rokus Hofstede

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    Pierre Michon et son traducteur

     

    Pierre Michon est relativement peu traduit. La langue néerlandaise est la seule à avoir « accueilli » pour ainsi dire l’intégralité de son œuvre. Un entretien en français avec son traducteur Rokus Hofstede qui a, par ailleurs, transposé des écrivains aussi divers que Aragon, Barthes, Bourdieu, Cioran, Ernaux, Jauffret, Lamarche, Pansaers, Perec, Proust…

     

    Gand, le 9 novembre 2009

     

    Texte de Rokus Hofstede

    qui reprend sa communication de 2001.

    Il a été publié dans Pierre Michon, l’écriture absolue,

    textes rassemblés par Agnès Castiglione,

    Publications de l’Université de Saint-Etienne,

    2002, p. 235-243.

     

     

    « Je ne pus qu’amèrement m’extasier »

    Traduire Michon en néerlandais

     

    Couvmichon3.jpgParmi les différentes formes de plaisir que procure la lecture, Roland Barthes, dans son essai Sur la lecture (1) distingue, à côté de la lecture métaphorique ou poétique du texte (qui relève du fétichisme) et du plaisir métonymique de la narration (le suspense), le désir que provoque le texte lu d’écrire soi-même : nous désirons, dit Barthes, le désir que l’auteur a eu du lecteur lorsqu’il écrivait, nous désirons le aimez-moi qui est dans toute écriture. Aucun lecteur sans doute n’est saisi d’un tel désir au même degré que le traducteur : son désir, produire un texte digne d’être aimé, est directement proportionnel à l’aimez-moi investi dans le texte à traduire. Or, pour le réaliser, le traducteur doit oser s’affranchir du texte qu’il traduit. Le traducteur est un avatar d’Orphée : dans l’espoir de retrouver ce qu’il aime, il doit s’en éloigner ; se retourne-t-il, il éprouvera que son amour n’est pas sans risques. À propos de mon amour risqué pour le travail de Pierre Michon, et plus spécialement pour Vies minuscules (Roemloze levens), le livre qui ouvre son œuvre et qui clôt, jusqu’à nouvel ordre, ma traduction néerlandaise de cette œuvre, ces quelques immodestes remarques.

    La formule paradoxale de Vies minuscules est de dire le manque dans le mouvement même qui réalise le désir. Ce paradoxe – la débâcle devenant rédemption, l’absence devenant présence – provoque chez le lecteur un singulier rapport affectif au texte : comment ne pas aimer un texte dont le aimez-moi est si formidable, dont la venue à l’existence semble à tel point miraculeuse ? Or, le traducteur de Vies minuscules, qui consacre cette venue à l’existence tout en disparaissant en elle, est dans une situation inversée : pour lui, c’est la présence qui devient absence, le désir réalisé qui réitère le manque. J’emploie à dessein ce vocabulaire mi-amoureux, mi-religieux : c’est le seul disponible apparemment pour penser la situation spécifique du traducteur. Ne sommes-nous pas habitués à voir le rapport d’un texte traduit à un original en termes de « fidélité » et de « trahison » ? Selon cette idéologie commune, que tant de lecteurs véhiculent sans voir où est le problème et que tant de traducteurs endossent avec une si exemplaire abnégation, le traducteur serait ce fidèle qui s’efface devant l’auteur, dans le désir, évidemment impossible à réaliser, de se rendre transparent, d’offrir au lecteur un accès immédiat au texte, c’est-à-dire aussi dans le regret de ne pas être auteur lui-même. Pour clarifier, on fait appel à la distinction, tout aussi commune, entre la langue « source » et la langue « cible » : il y aurait donc les « sourciers » et les « ciblistes », d’un côté ceux qui privilégient la fidélité à la langue de départ, c’est-à-dire avant tout une transmission adéquate du style, mais qui sont toujours suspects de donner dans le mot à mot, le calque, la traduction littérale, et de l’autre côté ceux, la majorité, qui privilégient la fidélité à la langue d’arrivée, c’est-à-dire avant tout une transmission adéquate du sens, mais qui sont toujours suspects de donner dans le naturel, le lisse, le beau style. Dans les deux cas, fidélité, effacement, transparence sont les maîtres-mots.

    Eurypharynx.2.jpgLa fidélité, cette norme impensée, je crois qu’elle est funeste. Elle est funeste pour les traducteurs, à qui elle renvoie une image déréalisante et dévalorisante de leur travail tout en les empêchant de se munir des outils critiques et des titres sociaux qu’il mérite ; elle est funeste pour la qualité de leurs traductions, qui souffrent de ne pas être comprises pour ce qu’elles sont ; et elle est funeste aussi pour la littérature en tant que telle, dont l’existence universelle, c’est-à-dire autonome, dépend entièrement des traductions, qui sont les instruments de consécration par excellence. « Fidélité », « trahison » sont des concepts insuffisants pour penser la relation complexe entre écrire et traduire, car ils décrivent de façon simplistement hiérarchique un phénomène équivoque. À quoi doit-on être fidèle en traduisant : à la « langue source » ou à la « langue cible » ? Au « style » ou au « sens » ? À l’auteur ou au lecteur ?  Henri Meschonnic, dans son récent Poétique du traduire (2), plaide avec force pour un changement fondamental de paradigme et pour l’élaboration d’une théorie critique, d’une « poétique » de la traduction, contre la vieille dichotomie entre le sens et le style :

    « Le paradoxe de la traduction n’est pas, comme on croit communément, qu’elle doit traduire, et serait ainsi radicalement différente du texte qui n’avait qu’à s’inventer. Il est qu’elle doit, elle aussi, être une invention de discours, si ce qu’elle traduit l’a été. C’est le rapport très fort entre écrire et traduire. Si traduire ne fait pas cette invention, ne prend pas ce risque, le discours n’est plus que de la langue, le risque n’est plus que du déjà fait, l’énonciation n’est plus que de l’énoncé, au lieu du rythme il n’y a plus que du sens. Traduire a changé de sémantique, et ne s’en est pas rendu compte. La parabole est celle de l’écriture même. »

    couvmichon4.jpgCe qu’on traduit, ce ne sont pas des langues mais des textes. Le texte traduit est un texte second : c’est donc qu’il est parasitaire, on pourrait aller jusqu’à dire qu’il vampirise l’original ;  mais aussi qu’il est, jusqu’à un certain degré, autonome, en rivalité avec le texte primaire. D’une part le traducteur doit essayer de rendre compte de toute la complexité syntaxique et sémantique de ce texte primaire ; d’autre part il doit essayer d’imprimer à son texte un souffle, un rythme, la « scansion vaine, despotique et sourde » (Vie de Joseph Roulin) qui a régi l’écriture première. Le travail du traducteur ne se borne pas à être celui d’un intermédiaire, d’un « passeur » – même si pour traduire il doit évidemment comprendre et interpréter. Ce n’est qu’en osant abandonner le texte original qu’il peut avoir une chance réelle de le retrouver, de recréer un texte littéraire autonome dans sa langue. Si la traduction ne commence que là où elle s’invente, un traducteur ne peut être réellement « fidèle » que pour autant qu’il est prêt à « trahir ». Et puisque nous sommes dans le registre amoureux, cette dialectique entre auteur et traducteur pourrait peut-être mieux s’exprimer comme un rapport d’ « amour libre », expression qui, pour être une contradiction dans les termes, a au moins le mérite de rendre sensible à la tension insoluble caractéristique du rapport entre texte écrit et texte traduit.

    Aux Pays-Bas, je l’écris sans fausse modestie, Pierre Michon a été intensément traduit. Après une première avortée (la traduction en 1991, l’année Van Gogh, de Vie de Joseph Roulin, sous le titre De postbode van Van Gogh, traduction – maladroite – de Marijke Jansen), la publication, chez l’éditeur Van Oorschot, des œuvres majeures a eu lieu durant la deuxième moitié des années 90 à un rythme régulier : Meesters en knechten et Het leven van Joseph Roulin (Maîtres et serviteurs, suivi de Vie de Joseph Roulin) en 1996 (avec une postface de Manet van Montfrans), De hengelaars van Castelnau (La Grande Beune) en 1997, Rimbaud de zoon (Rimbaud le fils) en 1998, et Roemloze levens (Vies minuscules) en 2001 ; ces deux dernières éditions ont été assorties d’un appareil de notes en fin de volume, jugé nécessaire pour expliquer certaines des références historiques, culturelles ou littéraires qui émaillent le texte. Plusieurs traductions ont paru en revue : De Koning van het woud (Le Roi du bois) en 1998, Drie wonderen in Ierland (Trois prodiges en Irlande) en 1999, Negen keer over de Causse (Neuf passages du Causse) et De vader van de tekst (Le Père du texte) en 2000. Si les ventes des traductions néerlandaises ont été très confidentielles, la réception critique de l’œuvre semble enfin démarrer : l’importante revue De revisor, animée par P.F. Thomése, lui a consacré en décembre 2000 un dossier de 70 pages, contenant, outre des traductions, six textes d’auteurs et de traducteurs faisant état d’un enthousiasme marqué pour un auteur si peu canonisé – comme dit l’édito : « Michon fait partie des royaux parmi nous, qui créent avec chaque livre des catégories nouvelles (et en rend désuètes quelques autres). »

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    Il est difficile de dire précisément le pourquoi de cette intense traduction. Il y a fallu évidemment les conditions nécessaires que sont un éditeur courageux et un traducteur mordu, mais le fait qu’une « petite » littérature comme la néerlandaise soit marquée par une absorption asymétrique des « grandes » littératures ne suffit pas à expliquer le phénomène. Est-ce l’étrangeté stylistique des textes de Michon, leur violence formelle et inséparablement émotive, qui séduit et qui choque dans une littérature sous domination anglo-saxonne, avec son cortège de textes naïvement réalistes ? Le côté classiciste, dix-septièmiste des textes de Michon est inévitablement perçu par le lecteur néerlandais, qui n’a pas cette référence à un âge d’or littéraire et culturel, comme passablement maniéré ; dans Vies minuscules, ce classicisme stylistique se trouve encore renforcé par le « maniérisme » caractéristique de l’opera prima. Par bonheur, les artifices de style sont chez Michon sans cesse comme démentis et relativisés par les ruptures de registre et de rythme qui ancrent ses textes dans la contemporanéité et l’oralité, et ce sont ces ruptures sans doute qui peuvent assurer à la traduction sa « lisibilité » dans un contexte autre.  Est-ce le statut « excentré » de Michon dans le domaine français, malgré sa consécration en haut lieu, qui fait que son œuvre peut rencontrer aux Pays-Bas, région relativement excentrée du monde littéraire, des sensibilités propres à percevoir sa grandeur tragique ? Michon, comme Faulkner, a cette particularité de décrire des lieux (le monde rural) ou des époques (le Haut Moyen Âge) qu’on peut dire périphériques, même s’il met à l’œuvre toutes les ressources formelles et esthétiques élaborées dans les centres ; en outre, son inspiration prend notamment appui sur des auteurs radicalement extérieurs à l’histoire littéraire française – je pense à des anglo-saxons comme, justement, Faulkner, mais aussi Melville, Kipling ou Conrad, eux-mêmes relativement marginaux de leur vivant. Personnellement, je tends à croire que c’est aussi la référence, nostalgique mais persistante, dans l’œuvre de Michon d’une transcendance d’ordre religieux (3) qui peut réveiller chez certains néerlandais, dont la langue et la culture restent profondément marquées par des références bibliques, des nostalgies qu’ils ne sont plus habitués à voir exprimées.

    Durant mon travail de traduction des textes de Pierre Michon, ininterrompu depuis 1992, je me suis fabriqué, pour mon usage personnel, une petite théorie intuitive de ma « stratégie traductrice », comme disent les traductologues. Cette stratégie est une sorte de politique à double objectif, que j’ai appelée, en néerlandais, de bekkentrekkerij van de vertaler, ce qui pourrait se traduire par « les façons-sans-façon » du traducteur. Trekken, c’est tirer, étirer, essayer de fléchir ou de tordre le néerlandais de façon à le faire épouser les mouvements du français, plus élastique avec ses interminables subordonnées, ses participes présents (cauchemar du traducteur), la densité de son phrasé – c’est donc ce qui ressortit aux façons, à l’affectation et à l’artifice rhétorique du discours. Bekken, à l’inverse, c’est ce qui ressortit au sans-façon, au langage oral, à la faconde ; le mot, lié au vieux français « bec », est le terme qu’emploient les acteurs de théâtre néerlandais pour dire qu’un texte a « de la gueule ». Avoir des « façons-sans-façon » signifie pour moi qu’il me fallait traduire sur le fil du rasoir, au plus serré : tout faire pour que le lecteur néerlandais éprouve la singularité du français de Michon, et en même temps, ne pas rater une occasion pour qu’il se sente chez lui dans le texte, de sorte qu’il lui accorde le crédit qui ferait admettre aussi les passages contournés ou cryptés. Tout se passait comme si la captatio verborum, la chasse au verbe constitutive de la traduction, s’inscrivait sans arrêt dans une captatio benevolentiae, une tentative de s’attirer la bienveillance du lecteur, en le rendant confiant que ce qu’il lit est bien voulu comme tel et ne relève pas d’une quelconque maladresse. Évidemment, cette double stratégie en soi ne résout rien, car la question de savoir où il faut préférer les solutions cryptées, plus rugueuses et donc plus exotiques à l’oreille néerlandaise, et où il faut préférer les solutions claires, plus naturelles à cette oreille, reste sans réponse, une question d’intuition, un point de discussion avec les lecteurs critiques du traducteur ou avec Manet van Montfans, critique inlassable et directrice de la collection Franse Bibliotheek de l’éditeur Van Oorschot, dans laquelle ont paru toutes les traductions de Michon.

    1939RosengardLR4N2super5.jpgCette petite théorie spontanée a ses limites, car elle vise avant tout la transmission adéquate du sens. Or, traduisant Michon, il s’agit de traduire des textes très particuliers, des discours qui tiennent par la voix d’un seul, voix dont je dois tenter, tant bien que mal, de rendre le timbre, l’ampleur, le grain singuliers, avec les mots qui sont les miens. D’autres parleront, mieux que moi, des caractéristiques de la prose de Michon, de son énergie, de sa violence, de sa poésie. Ce qui m’importe ici, c’est que les textes de Michon imposent, comme dirait Barthes, une lecture poétique ou métaphorique, c’est-à-dire rythmée, gonflée du souffle et de l’émotion qui l’ont fait naître, qui active le corps du lecteur, une lecture qui n’est pas seulement métonymique comme celle du lecteur de romans qui s’oublie dans sa lecture. Il importe donc que la traduction se fasse, elle aussi, au-delà des contraintes de sens, résonance d’une voix. C’est là que se joue la liberté du traducteur, dans cette  interférence permanente du sens, du rythme et de la sonorité. Pierre Michon lui-même a bien compris la nature de cette nécessaire liberté. J’en veux pour preuve ces quelques extraits de lettre, révélateurs du souci d’encourager le traducteur à prendre ses responsabilités stylistiques. À propos des métaphores récurrentes qui ponctuent Rimbaud le fils, Michon écrit : « Elles ont entraîné le sens, elles l’ont généré. C’est donc en effet sur elles que doit porter le principal effort de traduction, et ça ne doit pas être facile : si je peux vous donner un conseil, ce serait de vous laisser porter par la logique de votre propre langue, quitte à me trahir un peu […]. En général, je tiens beaucoup au son. Quand une polysémie vous semble impossible à rendre en totalité, choisissez le sens dont le son vous semble le plus heureux. » (13/01/93) Expliquant l’hérésie horticole des « glaïeuls sur l’eau », à la fin du texte sur Goya, Michon explique : « Je suis conscient de l’écart, je l’ai voulu. C’était une question de sonorités en français. Tu choisis comme tu veux avec ta langue (le mot « glaïeul » est comme « triomphant »). » (11/12/94). Et concernant « la source de miel et de lait » que le petit Bernard, dans La Grande Beune, sait inaccessible « en quelque endroit », Michon précise : « Le corps de la mère ne peut être donné au fils, suivant la loi universelle de prohibition de l’inceste. C’est ce qui est énoncé là, et tu peux prendre des libertés pour l’énoncer à ta façon. » (03/11/96)

    Une comparaison point par point entre original et traduction révèlerait aussi bien les « pertes » que les « gains » de cette dernière. La vraie question, c’est de savoir si la traduction dans son ensemble fonctionne, si le « système du discours », comme dirait Meschonnic, est préservé. Il y a certainement des rythmes, des allitérations, des euphonies qui se perdent en traduction, mais il y en aussi qui se gagnent ; il y a des connotations qui pour un lecteur néerlandais sont effacées, qui même pour le traducteur sont imperceptibles, mais il y en a aussi qui viennent à l’existence grâce au décentrement du texte dans un contexte lexical, littéraire et culturel neuf. Martin de Haan, traducteur et critique, va jusqu’à supposer que la langue qui structure l’inconscient de Michon doit fortement ressembler au néerlandais, au vu des magnifiques oppositions minimales qu’on trouve dans la traduction de La Grande Beune : witte wanden / rode wonden (parois blanches / plaies rouges), witte vissen / rode vossen (poissons blancs / renards rouges) (4). Et à un autre niveau, on peut se demander si cette Creuse dépeuplée et archaïque des Vies minuscules ne pourrait pas être, pour le lecteur néerlandais, aussi envoûtante que le Mississippi de Faulkner, aussi exotique que le Léon de Juan Benet, aussi mythique que le Macondo de García Márquez – et devenir ainsi une terre de légendes bien plus étrange, obscure et troublante qu’elle n’est pour un lecteur qui connaît la signification de l’expression « France profonde » et le ton sur lequel on la prononce.

    CouvMichon2.jpgPourquoi considérer les traductions seulement comme de pâles imitations, des déperditions, des pis-aller, au lieu de les voir comme des reprises dignes des originaux, potentiellement aussi belles, efficaces, littéraires ? Et, dans un même ordre d’idées, pourquoi reprendre encore le vieux poncif de l’humilité et de la modestie statutaires du traducteur, serviteur d’un maître éternellement hors d’atteinte, au lieu de voir l’auteur irrévérencieusement comme le serviteur, le « nègre » qui livre au traducteur le matériau brut dont lui, maître styliste, fait de la littérature – en l’occurrence, de la littérature néerlandaise, une littérature mineure, petite, dominée, mais de la littérature malgré tout ? S’il m’est arrivé durant mon travail sur les textes de Michon d’avoir de tels accès d’hybris traductrice, de telles bravades rivales de l’auteur, « cette audace, ou cette inconscience, cette force sans réplique » (pour citer Michon parlant de Faulkner), ils sont restés rares. Le sentiment ordinaire, c’est bien celui du traducteur qui modestement patauge, qui se consume dans un sourd désespoir, quand la traduction idéale semble encore une fois hors de portée. Le plus souvent, le traducteur de Pierre Michon est un minuscule, si par minuscule on entend le fait d’être confronté à plus grand que soi, à être dépassé et à ne pouvoir s’en remettre. Car même si mes traductions arrivaient par moments à être aussi sonores, aussi rythmées, aussi passionnées, et par le jeu des compensations et des décalages, aussi riches en connotations que les originaux, il reste au moins deux points où elles accusent le coup de leur statut second.

    En premier lieu, l’auteur jouit malgré tout de libertés que le traducteur ne peut que lui envier, libertés syntaxiques, prosodiques et lexicales qui lui permettent d’exploiter au maximum les possibilités du français, de déjouer les écueils des clichés et d’augmenter la force d’évocation, au sens fort d’incantation, de ses phrases. Le traducteur, lui, subit à un degré plus élevé les contraintes des conventions littéraires de sa langue, dans la mesure où son autonomie créatrice, qui est aussi son autonomie sociale, est plus restreinte. Il est parfois difficile à un traducteur, et surtout s’il n’est pas consacré en tant que tel, de prendre par rapport aux canons du bien parler et du bien écrire les mêmes libertés que l’auteur. Ainsi, dans les « Vies des frères Bakroot », il faut de la persévérance pour faire admettre la traduction de mots comme « mômes » (« […] les gris-gris qu’amassent certains mômes ») ou « pattes » (« les livres, […], enrubannés peut-être, si mal assortis aux vieilles pattes du latiniste ») par des mots aussi argotiques que dans l’original français. De même, il faut oser bouleverser l’emploi conventionnel en néerlandais de signes de ponctuation comme le point-virgule et le deux-points, signes du classicisme auxquels Michon est si attaché, et qui servent chez lui à ramasser et à accumuler le sens ; mon parti-pris a été de faire une concession pour le deux-points, qui en néerlandais sert uniquement à introduire ce qui suit et n’a pas la fonction logique d’articulation qu’il reçoit chez Michon, quitte à faire un emploi immodéré et, si on veut, subversif du point-virgule.

    couvmichon5.jpgEn deuxième lieu, l’auteur peut se référer, pour la compréhension de sa propre pratique, à des concepts romantiques comme l’inspiration ou l’originalité, qui ne valent pas de la même façon pour le traducteur. Ainsi, la métaphysique de la Grâce, ironiquement décrite dans Vies minuscules comme une « pieuse sottise », est inutilisable pour un traducteur, même le plus imbu de prétentions auctoriales. « Je ne croyais qu’à la Grâce ; elle ne m’était point échue ; je dédaignais de condescendre aux Œuvres, persuadé que le travail qu’eût exigé leur accomplissement, si acharné qu’il fût, ne m’élèverait jamais au-dessus d’une condition d’obscur convers besogneux. » (« Vie de Georges Bandy », p.137). Le traducteur, lui, est « l’obscur convers besogneux » qui condescend aux Œuvres ; nulle scansion transcendante ne lui souffle son texte ; il doit s’en remettre à l’état toujours provisoire de sa dernière version. La grâce ne lui est point échue, contrairement à celui dont le texte, par miracle, a été écrit.

    Et pourtant, la grâce n’est peut-être pas définitivement étrangère à son travail. Parfois, quand une phrase archifrançaise, chargée de toute la densité sémantique et stylistique de l’original devient, par un bonheur d’expression tout contingent ou par l’emploi d’une locution discrète mais tout à fait idiomatique, quelque chose d’inaliénablement néerlandais, ce qui pourrait bien être de la grâce devient perceptible au traducteur : l’intraduisible traduit, l’irremplaçable remplacé, l’invention réinventée – c’est du Michon, c’est méconnaissable, mais c’est encore du Michon. Ce que j’ose dans mes traductions espérer : la grâce de ressusciter en néerlandais cette voix, dans le vœu pieux que son projet messianique, ressusciter les morts, ait une chance, une fois encore, de réussir.

    Il y a un pathos spécifique lié à la traduction d’un texte pathétique, qui ne se réduit ni à la difficulté technique de la tâche, ni à l’investissement psychique qu’elle demande, ni au rapport fétichiste que le traducteur entretient avec le texte à traduire. Les textes de Michon, le traducteur doit en laisser se décanter en lui la charge émotive, pour la résoudre en un examen d’alternatives qui se veut rationnel ; il éprouve la charge passionnelle dans le rythme de l’original, mais ne peut s’en remettre au « mécanisme d’ivresse », comme Michon l’appelle, dont cet original est le produit. Ce qu’il peut essayer de faire, c’est se camper dans cette impossibilité, s’y tenir, s’ouvrir à ce qui sépare le pathos de l’auteur de ses propres tentatives de le reproduire. Alors peut-être naît la possibilité que sa traduction se charge de quelque chose de plus grand que lui-même.

    CouvMichon1.jpgC’est dans mon rapport à ce pathos que j’ai pu me sentir assez proche parfois du héros michonien de Vies minuscules, cet écrivain virtuel, fantasmatique, souffrant de son mutisme et de son invisibilité, et cela malgré tout ce qui me sépare de ce personnage sur le plan sociologique, culturel et biogra- phique. Dans le corps à corps avec le texte à traduire, le traducteur qui fait des « façons-sans-facon » se dédouble en une créature hybride : piocheur immanent et perfec- tionniste transcendant, clerc qui tire du spectacle de ses imperfections un désir jamais réalisé de perfection – qui n’est rien d’autre que le désir du aimez-moi qu’incarne le texte original. La description de la deuxième messe de l’abbé Bandy, vers la fin de sa Vie, est devenue pour moi une sorte d’exemplification hyperbolique de cette situation ambiguë. En traduisant Michon, je serais, à la fois ou alternativement, Bandy devenu vieux qui, « avec une furieuse modestie », célèbre la messe, pâle imitation des messes flamboyantes de sa jeunesse, un « écorcheur de mots conscient de l’être et tant bien que mal y remédiant », qui s’en remet à son habitude et à sa persévérance – et un jeune écrivain sans écrit « qui amèrement s’extasie, stupéfait, rassuré », à son écoute, dont la conscience aiguë, exacerbée de cette faillite du verbe parfois lui permettrait de se hisser au-dessus de lui-même. « Le masque était parfait, et pathétique l’effort pour n’avoir d’autre visage que ce masque. »

    Rokus Hofstede

     

    (1) R. Barthes, « Sur la lecture », Le bruissement de la langue, Essais critiques IV, Seuil, Paris, 1984, p.37-48.

    (2) H. Meschonnic, Poétique du traduire, Verdier, Lagrasse, 1999, p.459-460.

    (3) R. Hofstede, « “Je sentais la sacristie” : Pierre Michon et le Très-Haut », Rapports – Het Franse Boek, 1997, 67/1, p.27-34.

    (4)  M. de Haan, « Rood en wit », De revisor, 27/6, 2000, p.32.

     

  • En guise de présentation : entretien avec Madeline Roth (2007)

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    Daniel Cunin

    traducteur de littérature néerlandaise

     

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    Après des études de droit, Daniel Cunin a quitté la France pour la Hollande où il a vécu de nombreuses années. C'est donc un peu tardivement qu'il a appris la langue néerlandaise, par curiosité pour ce pays si mal connu. Ses premières traductions datent, elles, d’un peu moins de quinze ans : des articles dans des revues, des documents d’entreprise, des travaux universitaires, quelques nouvelles… Mais après le Salon du Livre de Paris de 2003, où la Flandre et les Pays-Bas étaient les invités d’honneur, beaucoup d’éditeurs se sont intéressés à la littérature de langue néerlandaise, et Daniel Cunin travaille beaucoup aujourd’hui pour les éditions du Rouergue, pour lesquelles il traduit albums et romans de la collection doAdo.

     

    - Quel est le premier livre jeunesse que vous ayez traduit ?

    - C’est Amourons-nous, de Geert De Kockere, publié en 2003. Avant ce livre Les éditions du Rouergue, me semble-t-il, n’avaient pas fait paraître la moindre traduction. Leur ligne éditoriale consistait très clairement à mettre en avant de jeunes créateurs français. Mais ils ont aimé les illustrations de Sabien Clement, et décidé de faire traduire cet album. Le coup de cœur pour les illustrations commande souvent les choix des éditeurs, surtout quand ils n’ont pas accès au texte original.

    - Ce texte présentait-il des difficultés de traductions particulières ?

    - Le texte d’Amourons-nous est constitué de petits poèmes qui reposent sur des tas d’allitérations, de jeux de mots sur la langue, le corps, la sensualité. Dans un tel cas, le traducteur risque fort de tomber dans le cliché ou la poésie de quat’sous. On est en présence d’une tradition littéraire très différente de la nôtre, dans laquelle par exemple la rime n’a pas été bannie de la poésie, et d’une culture où les poèmes que nous qualifierions de mièvreries occupent, disons,une certaine place. Aussi cette réécriture n’a-t-elle pu se faire sans modifier bon nombre de choses – raison pour laquelle la mention indiquée dans le livre est "adapté du néerlandais" et non pas "traduit du néerlandais", mais en tenant compte des illustrations, voire en se laissant guider par elles.  Quant au titre néerlandais, Jij Lievert, c’est une tournure basée sur d'autres existantes, mais qui n’existe pas elle-même ; elle est grammaticalement impossible. Aussi a-t-il fallu imaginer pour le titre français un mot qui n’existait pas non plus. Et qui soit bien entendu dans le registre de la tendresse.

    - Il y a donc un travail de traduction particulier quand le texte est accompagné d'images ?

    - Oui, il faut conserver la cohérence entre eux. En ce moment, je travaille entre autres à un livre qui devrait sortir au début de l’année 2008 au Rouergue. C’est un album qui reprend le principe de Margot la folle : un tableau plus ou moins célèbre – reproduit en quatrième de couverture – à partir duquel un auteur et un illustrateur inventent une histoire, une nouvelle œuvre. Là, il s’agit d’un tableau du peintre belge Edgar Tytgat, intitulé Prélude à un amour brisé. Sur le tableau, une femme est allongée, une jambe coupée. Or l’auteur flamand emploie l’expression "op eigen benen staan" (mot à mot : se tenir sur ses propres jambes) qui signifie « être autonome », « voler de ses propres ailes ». Texte et illustrations de l’album jouent sur cette image en évoquant une femme qui est d’avis que se marier, c’est comme se retrouver avec une jambe en moins, c’est être amputé de sa liberté, ne plus pouvoir « se tenir sur ses propres jambes ». Cette métaphore ainsi que les allusions aux bras et aux jambes dans tout l’album rendent le travail de traduction assez délicat : conserver la correspondance entre jeux de mots et illustrations ne va pas forcément de soi quand on passe dans une autre langue ; or, ne pas la conserver dans le cas présent reviendrait à démolir l’album.

    - Travaillez-vous en relation avec l’auteur ?

    - Souvent, le traducteur entre en contact avec l’auteur pour lui demander des précisions, pour vérifier s’il a lu correctement tel ou tel passage qui pose problème. Cette démarche est bien entendu nécessaire quand on traduit un roman ; dans le cas des albums, on a en général tout au CouvMonOmbreEtMoi.jpgplus deux ou trois questions à poser. Il est très utile aussi d’entendre l’auteur lire quelques pages de son livre. Cela permet de mieux entendre le texte et le ton du texte, d’autant plus que le néerlandais est une langue à accentuation de mot (selon la syllabe qu’on accentue, le mot change de sens) et que là où le français réclame des points d’exclamation et autres points d’interrogation, lui se contente bien souvent d’accentuer une syllabe en jouant avec la place des mots dans la phrase.

    - L'éditeur intervient-il dans le travail de traduction ?

    - Avec Le Rouergue, tout se passe dans des conditions idéales.  Danielle Dastugue et ses collaboratrices travaillent sur les traductions comme elles travaillent sur les textes des auteurs français. Elles les relisent avec un vrai regard critique et en faisant des suggestions. Il arrive souvent que le traducteur bloque sur un mot. La plupart du temps, il suffit d’en parler de vive voix au téléphone durant quelques secondes à peine pour trouver la solution. Qui plus est, Le Rouergue me laisse en général des délais importants pour rendre la traduction des romans et des albums ! Si je ne travaille que pour Le Rouergue en jeunesse, c’est parce que je traduis par ailleurs beaucoup pour divers éditeurs de littérature générale. Mais il m’est aussi arrivé de refuser de traduire des romans jeunesse, parce que je n’étais pas assez intéressé par les livres qu'on me proposait. Et surtout parce que je tiens à garder du temps pour traduire les albums publiés par Le Rouergue et les livres de Bart Moeyaert.

    - Pouvez-vous nous en dire davantage sur l’œuvre de Bart Moeyaert ?

    - Les albums et les romans de Bart Moeyaert sont pour la plupart publiés à Amsterdam, par une vénérable maison d’édition, Querido. Dans les librairies hollandaises et flamandes, on trouve ses textes aussi bien dans les rayons de littérature générale que dans les rayons jeunesse. Cet auteur flamand incarne la volonté de jeter une passerelle pour rapprocher ces deux univers éditoriaux. Son œuvre est évocation, nuance, non-dit. Il écrit beaucoup pour le théâtre, monte souvent lui-même sur scène : ses textes sont vraiment faits pour être en même temps lus et entendus, ce que la traduction se doit de rendre possible en français. Bart Moeyaert creuse, avec une réelle qualité d’écriture, la thématique de la violence des adultes et de ses répercussions sur les enfants et les adolescents. Plus il avance en âge, plus il dépouille, plus il élimine. C’est au lecteur d’ajouter ce qui manque. Le ton de ses albums est moins grave en général. Mais il n’y a pas grande différence entre traduire un album de Bart Moeyaert et traduire l’un de ses romans : cela réclame la même démarche de la part du traducteur. Le texte des albums est en général tout aussi travaillé que celui de certains passages des romans. Les romans étant plus complexes, ils nécessitent simplement un effort de longue haleine, une attention accrue.

    - Sur lequel de ses livres travaillez-vous en ce moment ?

    - Sur Frères, qui devrait être publié au printemps 2008, toujours aux éditions du Rouergue. C’est un livre très autobiographique, une série d’anecdotes sur l’enfance de l’auteur et de ses six frères. Ils sont sept garçons, Bart étant le petit dernier. En Belgique, le roi est le parrain de tout garçon qui est le cadet de sept frères nés successivement. Voilà pourquoi le livre en question est dédié et aux six frères du romancier et à « feu le roi Baudoin ». Traduire les textes de Bart Moeyaert demande beaucoup de  travail : après le premier jet, il convient de peaufiner sans cesse, souvent pour aller au plus court. Il faut éviter de sur-traduire, d’expliciter. Il faut retrouver en français le dépouillement de l’original. Pour ce qui est de Frères, les multiples jeux de mots compliquent encore la tâche.

    - Comment définiriez-vous le travail du traducteur ?

    - Traduire, c’est d’abord lire. Pour traduire, il faut être un bon lecteur, et maîtriser sa langue maternelle à l’écrit - puisqu’un traducteur traduit par principe une langue étrangère dans sa propre langue. Ensuite, il y a tout un travail d’écriture. Les écoles de traduction enseignent souvent et la traduction et l’interprétariat, mais il s’agit de deux métiers bien différents : un très bon interprète n’est pas forcément quelqu’un qui excelle à écrire dans sa langue maternelle. Chez moi, la tentation de la traduction est venue naturellement à partir du moment où j’ai eu envie de partager certains textes néerlandais avec des amis français. Cela d’autant plus qu’il s’agit d’une littérature encore très mal connue à l’étranger. Très peu de "classiques" néerlandais sont disponibles en langue française. J’ai eu le bonheur d’en traduire un récemment : La Chambre noire de Damoclès, de Willem Frederik Hermans. Au bout du compte, la traduction est devenue pour moi un réel apprentissage de l’écriture. Traduire me permet de concilier mes deux passions : la lecture et l’écriture, et d’en vivre, certes sans rouler sur l’or.

    - Un traducteur est-il pour autant un écrivain ?

    - Un traducteur est quelqu’un qui écrit, mais il n’a ni le souci de la page blanche - que n’a pas, je pense, le véritable écrivain -, ni le souci de créer à partir de rien. Quelqu’un a emprunté le chemin avant lui. Son travail ne consiste pas pour autant à simplement restituer plus ou moins correctement un texte ; l’essentiel à mon sens est d’obtenir en français un texte vivant, un texte qui dise ce que dit le texte original. La traduction n’affecte en rien l’original, puisque celui-ci continue son existence propre. S’il y a traduction, cela veut dire que le nouveau texte « fait » dans la langue du traducteur ce qu’il « fait » dans la langue de l’auteur. Il faut accepter que la traduction vive une vie autonome. Henri Meschonnic, dans un ouvrage qui s’intitule Poétique du traduire, dit que le fait « que l’on puisse parler du Poe de Baudelaire et de celui de Mallarmé montre que la traduction réussie est une écriture, non une transparence anonyme ».

    Propos recueillis par Madeline Roth, librairie L’Eau Vive

     

    Œuvres traduites par Daniel Cunin

    publiées aux Editions du Rouergue

     

    Embrasse-moi, de Bart Moeyaert, coll. doAdo

    Frères, de Bart Moeyaert, coll. doAdo

    Le Maître de tout, de Bart Moeyaert

    Prélude à un amour brisé, de Geert De Kockere & Isabelle Vandenabeele

    La fille sans cœur, de Pieter van Oudheusden & Goele Dewanckel

    Frisson de fille, de Edward van de Vendel & Isabelle Vandenabeele

    Waouw ! Petit Navire!, de Geert De Kockere & Noke Van den Elsacker

    Olek a tué un ours, de Bart Moeyaert, Wolf Erlbruch & Wim Henderickx (musique)

    Mon ombre et moi, de Pieter van Oudheusden & Isabelle Vandenabeele

    BartFrèresCouv.gifOreille d’homme, de Bart Moeyaert, coll. doAdo

    C’est l’amour que nous ne comprenons pas, de Bart Moeyaert, coll. doAdo

    On se reverra ?, de Ed Franck & Carll Cneut

    Pagaille, de Edward van de Vendel & Carll Cneut

    Nid de guêpes, de Bart Moeyart, coll. doAdo

    Moi, Dieu et la Création, de Bart Moeyaert & Wolf Erlbruch

    Rouge Rouge Petit Chaperon rouge, de Edward van de Vendel & Isabelle Vandenabeele

    Amourons-nous, de Geert De Kockere & Sabien Clement

     

    source : Citrouille, n° 48, novembre 2007

     

    Une liste tenue à jour des traductions figure sur le site de l'ATLF

    (Association des Traducteurs Littéraires de France) : www.atlf.org

     

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  • Alsace et Hollande du Siècle d’or

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    Les peintres alsaciens du XIXsiècle

    et l’École hollandaise du Siècle d’or

     

    Auteur d’une thèse intitulée La Peinture romantique en Alsace (1780-1880), l’historienne de l’art Catherine Jordy nous propose un texte relatif aux influences hollandaises sur la peinture alsacienne. Il a paru dans La Notion d’école, textes réunis par Christine Peltre et Philippe Lorentz, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2007, p. 59-70. De cette Lorraine, on pourra lire par ailleurs un article s’intéressant à l’interprétation avancée  par  Pierre-Michel Bertrand au sujet des Époux Arnolfini de Van Eyck : « Le respect de l’interprétation », Le Portique , n° 11, 2003.

     

    Catherine Jordy a publié en 2002

    L’Alsace vue par les peintres aux éditions Serge Domini.

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    D’UNE ÉCOLE L’AUTRE :

    LES PEINTRES ALSACIENS DU XIXe SIÈCLE

    ET L’ÉCOLE HOLLANDAISE DU SIÈCLE D'OR

     

    Introduction

     

    À travers quelques exemples, nous allons essayer de mettre en évidence de nombreux points communs entre la peinture alsacienne du XIXe siècle et l’École hollandaise du Siècle d’or, tant à travers la confrontation des œuvres que dans les habitudes de vie de deux régions géographiques proches à plus d’un égard. En effet, en regardant la peinture hollandaise, les Alsaciens ont trouvé un équivalent de ce à quoi ils tendaient eux-mêmes, sans toutefois aller jusqu’à imiter sans personnalité thèmes, style et manière hollandais.

    CouvJordy1.gifLa peinture alsacienne du XIXe siècle renvoie bien sûr à diverses sources d’influence. Privilégier le rapport à l’École hollandaise ne représente ici qu’un cas, mais particulièrement éclairant, de la manière dont une école ou pseudo-école se constitue en se réclamant d’un modèle reconnu sous le couvert duquel on pourra affirmer ses propres aspirations. Rappelons pour commencer les grandes tendances visibles dans les courants successifs du XIXe siècle en Alsace (1). À un classicisme tirant vers le romantisme, visible notamment chez Christophe Guérin (1758-1831) ou chez Joseph Melling (1724-1796), succède un romantisme diffus qui se fait plus présent et exalté dans le support de la lithographie. La peinture alsacienne est aussi marquée à distance par l’exemple fécond que constitue Philippe-Jacques Loutherbourg (1740-1812), actif à Londres. Le terreau sur lequel les peintres alsaciens d’un nouveau style vont croître, c’est un autre artiste qui le dispose, Martin Drolling (1752-1817), actif à Paris et auteur notamment de scènes de genre d’inspiration profondément hollandaise.

    La nouvelle école alsacienne naît dans les années 1840, autour des personnalités de Théophile Schuler (1821-1878) ou de Gustave Brion (1823-1877). Elle est issue d’un solide réalisme teinté de folklore. Hans Haug donne une définition très juste de ce qu’il a lui-même qualifié de « réalisme folklorique » (2) : « sur leur romantisme vint se greffer le naturalisme de Millet ou de Courbet, et le souvenir des petits maîtres hollandais qu’avait tant aimés leur compatriote Martin Drolling. C’est alors qu’on peut parler d’une école alsacienne de peinture de genre. » (3) Après l’Annexion de 1870, les artistes s’expatrient et continuent à exalter leur patrie perdue dans ce qu’on pourrait qualifier de postromantisme de combat, avec force représentations d’Alsaciennes en costumes, éplorées, bardées d’accessoires éloquents. Jean-Jacques Henner (1829-1905) et Gustave Doré (1832-1883) en sont les acteurs les plus connus.

     

    Présence hollandaise

    En observant les tableaux alsaciens, on s’aperçoit bien vite que nombre d’entre eux sont très directement influencés par la manière hollandaise, à tel point que, pour d’aucuns, on se trouve apparemment confronté à de serviles copistes de ladite manière.

    La peinture hollandaise est à la mode au XIXe siècle et certains la considèrent comme un âge d’or perdu, ce qui est perceptible notamment dans le célèbre ouvrage d’Eugène Fromentin, Les Maîtres d’autrefois, qui évoque l’École hollandaise avec une nostalgie teintée de « tristesse mallarméenne » (4) et qui précise : « elle est la dernière des grandes écoles, peut-être la plus originale, certainement la plus locale. » (5) Si les écrivains et les critiques sont admiratifs, les collectionneurs quant à eux sont particulièrement friands de cette peinture : on peut citer à titre d’exemple Dutuit et Lugt, célébrés récemment à travers une exposition (6). En Alsace, on trouve des œuvres néerlandaises du Siècle d’or dans toutes les grandes collections, de Spetz (7) à Ritleng (8). On peut citer, à titre d’exemple, le cas de Jean-Pierre Mayno (1743-1801), l’un des collectionneurs alsaciens les plus représentatifs, à propos duquel l’historien Arthur Benoît rapporte, dans un article publié en 1875, qu’il « avait au plus haut degré le goût des arts, et ce qui reste de sa belle collection excite encore des cris d’admiration. L’école hollandaise flamande était représentée par deux paysages de Teniers ; une Tabagie par le père de ce peintre, un portrait par Van Dyck, un petit tableau de bois par Rembrandt, une tête de vieillard. Guerchin, Andrea del Sarto, André Sacchi et d’autres tenaient le haut bout de l’école italienne. Largillière et deux grandes batailles du Bourguignon brillaient dans l’école française. Les petits maîtres alsaciens étaient au grand complet : Heimlich, Melling, Loutherbourg, l’émailliste Weyler, etc. » (9)

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    Selon Samuel-Élie Rocheblave, « l’Alsacien est naturellement collectionneur » (10), mais il collectionne avant tout des livres, des estampes ou des objets divers. Son intérieur privilégie les bibliothèques ou le cabinet de curiosités au siècle des Lumières (11) mais également après la Révolution, ce en quoi il rejoint le goût des amateurs hollandais ; c’est d’ailleurs du côté d’Anvers que les premiers meubles servant à contenir les collections avaient été façonnés dans le premier tiers du XVIIe siècle (12).

    Pour en revenir au collectionneur Jean-Pierre Mayno, ce dernier aimait à s’entourer d’artistes dont certains sont devenus ses amis, par exemple les frères Guérin, qui ont vu défiler dans leur atelier ou dans l’école de dessin gratuite la plupart des maîtres de la peinture alsacienne du XIXe siècle. Ainsi, les artistes ont l’occasion de se former l’œil au vu des œuvres hollandaises qu’ils peuvent contempler dans les cabinets d’amateurs ou dans les musées. Les artistes copient beaucoup au Louvre, comme Martin Drolling, dont tous les biographes s’accordent pour dire qu’il s’est formé dans la proximité des écoles flamandes et hollandaises.

    Et comme le précise très justement Denis Lecoq, auteur d’une étude sur Drolling : « La peinture hollandaise était essentiellement bourgeoise, quoi de plus naturel qu’elle plût à la bourgeoisie française, aussi bien pour ses thèmes que pour sa technique et ses dimensions adaptées à des logements de petite taille. » (13)

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    Martin Drolling, La Petite Laitière, Strasbourg,

    Musée des Beaux-arts

     

    Convergences

    Les motifs de ressemblance avec les Hollandais sont remarqués dès la fin du XVIIIe siècle, avec notamment Loutherbourg, repéré au Salon de 1763 par Diderot : « Phénomène étrange ! Un jeune peintre, de vingt-deux ans, qui se montre et se place tout de suite sur la ligne de [Nicolas-Pierre] Berghem. Ses animaux sont peints de la même force et de la même vérité. C’est la même entente et la même harmonie générale. Il est large, il est moelleux ; que n’est-il pas ? » (14) Pour Robert Heitz, c’est plutôt d’influence flamande qu’il s’agit : « s’inspirant du magnifique métier des Flamands, il donne l’exemple d’une peinture savoureuse, haute en couleurs, éclatante de vie. » (15) Loutherbourg renouvela la tradition des marines guerrières à la hollandaise au cours de sa carrière anglaise (16), n’hésitant pas d’ailleurs à représenter avec fougue les défaites françaises. L’ensemble de l’œuvre de Loutherbourg peut être ainsi revu à l’aune de sa dette envers les Hollandais. Mais Loutherbourg est loin d’être un cas isolé…

    Avant de citer d’autres exemples, essayons de découvrir quelques points communs d’une école à l’autre, d’une région à l’autre, toutes deux liées par le Rhin.

    CouvSchama.jpgPour Simon Schama, « être hollandais, c’était avoir le sens du local, de la paroisse, de la tradition et de la coutume. C’était exiger que le pouvoir montât de la collectivité locale vers les autorités supérieures à des conditions bien précises : consentement collectif (s’agissant des cantonnements militaires ou d’impôts nouveaux, par exemple), droit de rappeler des délégations mandatées, droit de dénoncer des votes sans mandat… Au cours de la première et longue période de résistance à l’Espagne, en particulier de 1570 à 1609, les Hollandais étaient de toute évidence davantage unis par leur détestation commune que par ce qu’ils souhaitaient collectivement embrasser » (17). En adaptant les dates et en remplaçant les Espagnols par les Allemands (ou les Français), on aurait un exemple des représentations que bien des auteurs alsaciens donnent de l’Alsace et de l’être alsacien (18)…

    Le principal point commun entre l’Alsace et la Hollande, c’est une certaine opulence, « l’embarras de richesses », comme dit Simon Schama. L’Alsace est riche, prospère, avec un trafic et un commerce des plus développés. Dans les deux cas, il s’agit d’une bourgeoisie cossue et provinciale. Ce qu’on peut observer en Alsace au XIXe siècle n’est pas sans évoquer le statut d’exception de la Hollande du XVIIe siècle, pourvue d’une classe moyenne largement développée. L’abondance sous toutes ses formes est donnée à voir dans l’art, où les commanditaires ont l’occasion de se repaître d’un environnement caractérisé par la profusion de mets et de bibelots de toutes sortes. On notera tout particulièrement le goût pour les intérieurs : boiseries, dallages, éclairages, etc. Mais aussi l’intimité et le confinement.

     

    L’attachement aux choses matérielles

    Pour les Hollandais, la peinture est un objet de consommation, qu’on acquiert sans difficultés dans les foires ou au marché (19), ou plus simplement directement dans l’atelier de l’artiste. Les tableaux sont utilisés à des fins de décoration et ont donc une valeur qui se rapproche de celle du mobilier ou des bibelots. Et les images prolifèrent partout, dans les livres, les tissus, les gravures, les emblèmes, les carreaux de céramique, etc. En Alsace, la situation est différente, mais avec un résultat quasi équivalent : le tableau ne se trouve pas au marché, mais il est une denrée d’importance équivalente à celle du mobilier ou du livre, comme mise en valeur de soi et accessoire de sa mise en scène personnelle. Et là encore, l’image est partout : céramiques, meubles peints, livres illustrés et, bien sûr, gravures et lithographies. Cela dit, la reconnaissance pour l’art et surtout pour la peinture ne va pas de soi dans la province française, où l’on reste méfiant devant les artistes et leur production. « En Alsace, on aime les images, on n’aime pas l’art » (20), suggérait même Roland Recht lorsqu’il faisait état de mille ans d’images pour la Revue d’Alsace.

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    Camille Alfred Pabst, Noce en Basse-Alsace,

    Colmar, Musée d'Unterlinden

     

    La bourgeoisie cossue alsacienne est cependant une bourgeoisie moderne, curieuse et friande de nouveautés scientifiques. D’où l’encouragement apporté localement aux inventions techniques. On peut ainsi mentionner en vrac l’invention de la lithographie (ou plutôt son perfectionnement, à vrai dire), le moyen de fixer le pastel, l’impression « sous couverte », une technique qui permet de substituer aux dessins à la main des motifs imprimés, etc. (21) Cela n’est pas sans faire écho aux nouveautés techniques émergeant en Hollande au XVIIe siècle, et en particulier à l’utilisation de la célèbre chambre noire. Même la manière qu’a eue l’Alsace de s’approprier Pasteur et l’expérimentation de son vaccin antirabique sur un jeune haut-rhinois rappelle le goût hollandais pour les Leçons d’anatomie.

    Quand il s’agit de définir l’art hollandais, la plupart des exégètes s’accordent pour y voir un portrait fidèle du pays. En va-t-il de même pour l’Alsace ? Dans les deux cas, cette représentation se construit à partir d’un esprit réaliste, où l’attachement à la tradition ne contredit pas l’ouverture au progrès.

     

    Questions d’identité et conditions d’existence

    Pour la Hollande, le débat se situe encore et toujours autour de l’interprétation du réalisme pictural : faut-il suivre Ernst Gombrich, par exemple, pour qui « les peintres hollandais, spécialisés chacun dans son genre, reprenant sans cesse le même thème, finirent par démontrer en fin de compte que le sujet n’a vraiment aucune importance ? » (22) Ou bien l’agencement des objets et des personnages a-t-il avant tout un sens moral et symbolique ? On peut ne pas trancher, comme en atteste Tzvetan Todorov qui dans son très bel Éloge du quotidien balance entre les deux hypothèses : « récits édifiants ou tranches de vie ? Masques de morale ou miroirs du monde ? » (23)

    Jordy5.gifLes auteurs sont partagés. Pour Svetlana Alpers, il s’agit d’un exercice de description, où la vue est comme une peinture et réciproquement : Ut pictura, ita visio (24). Mais les choses sont montrées à leur apogée : Paul Claudel y voit la maturité qui précède la décomposition. Simon Schama reprend cette idée : « En sorte que le monde animé et inanimé de la peinture hollandaise était perçu dans un état de flux organique, se composant, se décomposant et se recomposant sans cesse. C’est ce que, dans une merveilleuse formule, Claudel baptisa son “élasticité secrète” ; cette qualité cinétique essentielle pour un pays où les éléments même de la terre et de l’eau semblaient indéterminément séparés, et où l’immense espace du ciel était dans un état de perpétuelle altération. (25) »

    Reste à savoir si les sujets alsaciens traités à la hollandaise ont les mêmes références possibles, morales et symboliques : peut-on voir dans les natures mortes des vanités, par exemple ? En réalité, la démarche est assez proche même si le décryptage symbolique a tendance à être occulté. L’inquiétude n’est plus en avant du tableau, elle est à côté de lui : la décomposition qui s’annonce sous l’amoncellement des richesses se renverse en provision face à la disette. Roland Recht explique : « C’est de certitudes qu’on a besoin dans cette région, qui permettent un certain confort. Peut-être un destin incertain a-t-il contribué à forger ces âmes peu portées à se remettre en question. (26) »

     

    Scènes et genres

    peinture,hollande,alsace,flandreVenons-en à présent aux thèmes communs aux uns et aux autres. On pourrait dire à cet égard que tous les genres abordés par les Hollandais se retrouvent, avec quelques variantes locales, dans l’iconographie alsacienne.

    Le portrait est en Alsace le genre roi (27), ce qui se conçoit aisément : un portrait est un moyen de survivance évident. Parmi la pléthore de portraits existants, certains sont introspectifs à la manière de Rembrandt, d’autres reprennent des poses et des accessoires (encadrement de fenêtres, par exemple).

    D’autres encore ne sont pas sans évoquer les portraits de groupes des corporations. Tant dans le choix des poses que dans la manière, les parentés d’une école à l’autre sont insistantes, tels ces groupes peints par l’Alsacienne Monique Daniche (28) et le Flamand Cornelis de Vos (29). Quant au Vieillard de Martin Drolling (30), sa pose évocatrice enrichit ce qui aurait pu être une banale représentation de la vieillesse. Cette étude n’est pas sans évoquer la mise en scène hollandaise de portraits qui racontent des histoires, tels l’Autoportrait de Jan Steen (31).

    Si les portraits abondent, les paysages les talonnent en nombre. Les artistes se sont livrés à une lecture de la nature particulièrement minutieuse, aidés en cela par une géographie très variée, très éloignée du plat pays batave. Là encore, on trouve de très nombreux points de convergence, tant dans les motifs que dans le traitement. C’est dans la lithographie qu’on trouve l’iconographie la plus large, mais la peinture n’est pas en reste, avec Martin Drolling et son Pont de pierre (32) qui doit beaucoup à Rembrandt, ou encore Michel Hertrich (1811-1880) et ses vues de Colmar. Mais c’est sans doute Jean-Henri Zuber (1844-1909) (33) qui a approché au plus près cette brillante maîtrise de la perspective aérienne et des « vastes ciels généralement associés à la peinture hollandaise » (34).

    Autre thème très proche de la culture hollandaise, celui de la peinture de fleurs (35), genre concentré essentiellement autour de la ville de Mulhouse (36), accompagnant fort logiquement l’extension des motifs floraux dans l’industrie textile de la région (phénomène également observable à Lyon) (37). On ne peut que constater la forte parenté qui existe entre les natures mortes de fleurs alsaciennes et les bouquets hollandais et flamands. On note toutefois chez les Alsaciens une forte propension au choix de très grands formats pour leurs compositions, tel le Vase de fleurs de Jean Benner, tableau hypertrophié de deux mètres de haut.

    Curieusement, les natures mortes ne sont pas largement répandues dans la peinture du XIXe siècle, alors qu’elles l’étaient au XVIIe siècle, il n’est qu’à se reporter à l’exemple de Sébastien Stoskopff (1597-1657) (38). Les natures mortes sont le plus souvent intégrées dans la peinture de fleurs ou dans des scènes de genre. C’est le cas, notamment, de La Petite Laitière de Martin Drolling, dont l’entassement de victuailles est manifestement apparent é à son modèle hollandais. Le thème de la cuisine est d’ailleurs particulièrement représenté en Alsace, à travers les œuvres de Henri Ebel (1849-1931), Auguste Ehrhard (1847-1916) ou encore Camille Alfred Pabst (1828-1898). (39)

    Quant aux autres thèmes, que ce soit le traitement de la vie quotidienne, la peinture d’histoire ou encore l’iconographie ayant trait à la guerre, on observe des confluences quelquefois frappantes d’une école à l’autre. Pour ne donner qu’un exemple, les scènes d’intérieur de David Teniers le jeune où les personnages sont remplacés par des singes trouvent un écho chez Hippolyte de Boug d’Orschwiller, notamment dans le Concert des singes (40).

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    Alexis de Malécy, Le Pilier des anges, 1837,

    Strasbourg, Musée des Beaux-Arts

     

    On peut encore citer un cas particulier, celui de l’artiste parisien Alexis De Malécy (1799-1842). De passage en Alsace, il choisit de représenter Le Pilier des anges. Cette représentation de l’intérieur de la cathédrale de Strasbourg dérive directement des modèles hollandais, de Saenredam à De Witte. Qu’un artiste étranger à l’école alsacienne représente l’Alsace à travers le prisme hollandais est tout à fait surprenant mais riche d’enseignements…

     

    Un cas particulier : Martin Drolling

    Toutefois, il est un artiste qui est plus influencé par l’art hollandais que tous les autres réunis : c’est Martin Drolling. Comme pour Loutherbourg, on relève chez lui une prégnance hollandaise constante qu’on retrouve dans l’ensemble de son œuvre. Pour Léonce Bénédite, « son art est un art d’imitation pure, mais comme il est fait de simplicité, de sincérité, de fidélité émue » (41). Pure imitation ? Au vu du tableau le plus célèbre de Drolling, le fameux Intérieur de cuisine du Salon de 1817 (42), la chose est loin d’être évidente. Et au vu de l’ensemble de sa production, Drolling assimile le modèle hollandais pour mieux transcender des spécificités typiquement françaises.

    Cela étant, la plupart des critiques du XIXe siècle jugent Drolling à l’aune de la peinture hollandaise, le plus souvent en sa défaveur. Ainsi, pour Charles Blanc, en 1865 : « Si Drölling était hollandais, on le jugerait en France moins sévèrement. Avouons tout de suite que le défaut de sa peinture est d’être trop mince, trop propre, trop uniforme, de ne pas présenter çà et là ces demi-négligences spirituelles qui nous ravissent dans un Teniers, ces accents vifs et ces piquants méplats qui nous enchantent dans un Metsu ; mais à part les quelques grands maîtres des écoles du Nord, Drölling vaut les autres, et pour mon compte, je le préfère au célèbre Schalken et aux imitateurs de Gérard Dow. Lorsqu’on a vu la Cuisine de Drölling qui est au Louvre, il n’est pas facile de l’oublier. » (43)

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    Martin Drolling, L'Intérieur d'une cuisine,

    Musée du Louvre

     

    Le jugement est plus favorable chez Paul Marmotan en 1886 : « Martin Drölling 1752-1817. Le meilleur peintre d’intérieur de son époque. Coloris ferme, entente parfaite du clair-obscur, fidélité irréprochable et surprenante de l’imitation, dessin fini, composition bien entendue, telles sont les qualités de ce hollandais français, prenant modèle à Paris, ou de ce français digne d’être comparé aux premiers des Hollandais les Gérard Dow et les Van Slingeladt. » (44)

     

    Vincent van Gogh et Gustave Brion

     

    peinture,hollande,alsace,flandreLe tissage des influences hollandaises aura-t-il réussi à fonder quelque chose comme une école alsacienne ? C’est encore une fois dans le regard d’un peintre qu’on en trouvera l’attestation et elle n’est pas négligeable puisqu’il s’agit de Van Gogh. Van Gogh prend résolument comme un groupe ces Alsaciens dont il se sent si curieusement proche. Sans doute Van Gogh est-il un peintre atypique et il sera difficile de le rattacher sans plus de précautions à l’école hollandaise (point commun avec nombre d’Alsaciens d’ailleurs, dontles plus connus sont actifs ailleurs qu’en Alsace) ; toujours est-il que ce Hollandais expatrié a gardé jusqu’à la fin une certaine manière hollandaise, ou au moins des éléments culturels aisément identifiables : moulins à Montmartre, pont mobile en Arles, plat pays hérissé d’églises à la verticale à Saint-Rémy… Selon Robert Heitz, Van Gogh « a témoigné [d’]une admiration fidèle – et excessive, comme cela correspondait à son tempérament » (45) aux Alsaciens. Dans une lettre adressée à son ami néerlandais Van Rappard, Vincent s’exclame : « Je disais à mon frère : mon vieux, que c’était tout de même une époque agréable pour l’art, lorsque le club d’artistes d’Alsace débutait : Vautier, Knaus, Jundt, Georges Saal, van Muyden, Brion, et surtout Anker et Th. Schuler, dont la plupart des dessins étaient expliqués et étayés en quelque sorte par d’autres artistes, notamment des écrivains comme Erckmann-Chatrian et Auerbach ! Oui, pour sûr, les Italiens sont forts, mais où est leur sentiment, leur sentiment humain ? [...] Je vous parle sérieusement, Rappard. J’aimerais autant être garçon de courses dans un hôtel, par exemple, que d’être une espèce de fabricants d’aquarelles, comme certains de ces Italiens. [...] Cependant, je ne possède pas beaucoup de reproductions d’Allemands ; de nos jours, il est malaisé de se procurer les belles, celles du temps de Brion. Dans le temps, j’avais constitué une collection de gravures sur bois, principalement de ces artistes ; j’en ai fait cadeau à un ami, en Angleterre, au moment où j’ai quitté Goupil. Je le regrette maintenant. Si vous voulez voir quelque chose de beau, commandez, au bureau de l’Illustration, l’Album des Vosges, dessiné par Th. Schuler, Brion, Valentin, Jundt, etc. » (46) On peut remarquer que Vincent place dans le « club d’artistes d’Alsace » des peintres allemands et même un Néerlandais (Anker) !

     

     

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    Gustave Brion, Cortège nuptial ou Le Cortège de la mariée, 1873,

    Strasbourg, Musée des Beaux-Arts

     

    Quant à Brion, on peut voir des points communs entre nombre de ses productions et l’œuvre de Van Gogh, avec en guise de maillon pour relier la chaîne, Millet. Cela apparaît assez clairement dans La Récolte de pommes de terre de Brion du musée de Nantes (47) qui anticipe nombre de compositions de Vincent.

     

    Des Hollandais français

    En conclusion, nous dirons simplement que l’école alsacienne doit énormément au Siècle d’or hollandais, mais aussi à l’École flamande. Les deux écoles sont très souvent considérées ensemble et en quelque sorte « syncrétisées ». Les Alsaciens se sont inspirés des compositions, de la lumière, de la manière hollandaises d’autant plus naturellement que leur pragmatisme et leur imaginaire ont de nombreux points de convergence avec elles. Cette ressemblance d’une peinture à l’autre n’a donc rien d’un copiage ou d’un clonage servile, mais relève davantage de références croisées et d’une communion d’esprit. On pourrait étendre cette comparaison à d’autres écoles nationales (avant tout l’École anglaise) (48) ou locales, notamment la peinture Biedermeier, elle aussi très nettement marquée par l’influence hollandaise. D’ailleurs, les peintres alsaciens étaient en relation avec les artistes allemands de cette obédience, certains d’entre eux ayant fait leurs études en Allemagne.

    Fort curieusement, on s’aperçoit parfois que la perception de l’École hollandaise peut se faire en France à travers la connaissance de l’École alsacienne. Ainsi, comme nous l’indique Françoise Pitt-Rivers, « dans la Maison du Chat-qui-pelote, le premier de ses romans qui parle de peinture, Balzac affirme déjà son goût pour la Renaissance italienne, surtout Raphaël et les Vénitiens, en même temps que sa découverte de la peinture hollandaise à travers, il est vrai, son intérêt pour des peintres de genre français, des petits maîtres, comme Drolling. » (49)

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    Jean Cocteau, La Belle et la Bête, 1946,

    directeur de la photographie : Henri Alekan

     

    Plus près de nous, on peut trouver des échos inattendus de cette parenté entre Alsace et Hollande. Jean Cocteau – assisté de Christian Bérard – ne s’y est pas trompé, lui qui s’est inspiré, pour adapter au cinéma en 1946 le conte de Madame Leprince de Beaumont, La Belle et la Bête, de deux sources picturales principales : une ambiance hollandaise pour les scènes domestiques où la Belle évolue en famille et les illustrations de Gustave Doré pour la traversée de la forêt ainsi que le château de la Bête (50). Où l’on s’aperçoit que le réalisme intimiste se marie merveilleusement avec le féerique et le rêve. Qualités intrinsèques tant pour la Hollande que pour l’Alsace…

    Ainsi pourrait-on dire, pour reprendre le mot de Paul Marmotan, lancé en 1886 à propos de Martin Drolling, que les Alsaciens – ce « club d’artistes » selon Vincent van Gogh – ont réussi à se faire passer pour des « hollandais français » (51).

     

    Catherine JORDY

     

    (1) Voir entre autres Victor Beyer, 2000 ans d’art en Alsace, Strasbourg, Oberlin, 1999, 205 p. ; Hans Haug, L’Art en Alsace, Paris, Arthaud, 1962, 304 p. ; Robert Heitz, La Peinture en Alsace, 1050-1950, Strasbourg, Dernières Nouvelles d’Alsace et Istra, 1975, 302 p. ; Catherine Jordy, La Peinture romantique en Alsace (1770-1870), thèse de doctorat en deux volumes, 2002, 868 p.

    (2) Hans Haug, « Les peintres du folklore alsacien », Bulletin de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Saverne, 1958, 3e trimestre, p. 14-18.

    (3) Hans Haug, « Un peintre alsacien sous le Second Empire : Gustave Brion (1824-1877) », La Vie en Alsace, 1925, p. 42.

    (4) Voir André Chastel, « Préface », in James Thompson et Barbara Wright, La Vie et l’Œuvre d’Eugène Fromentin, Paris, A.C.R. Édition, 1987, p. 8.

    (5) Eugène Fromentin, Les Maîtres d’autrefois, Paris, Le Livre de poche illustré, 1965, p. 176.

    (6) Regards sur l’art hollandais du XVIIe siècle : Frits Lugt et les frères Dutuit collectionneurs, Exposition, Paris, Institut néerlandais, 18 mars-16 mai 2004, Paris, Adam Biro, 2004, 320 p.

    (7) André Girodie, La Collection Spetz, Moutiers, Imprimerie F. Ducloz, extrait des Notes d’art et d’archéologie, 1901, 21 p.

    Jordy3.jpg(8) Robert Forrer, Les Antiquités, les tableaux et les objets d’art de la collection Alfred Ritleng à Strasbourg, Strasbourg, Éditions de la « Revue alsacienne illustrée », 1906, 80 p. + 41 pl.

    (9) Arthur Benoît, « Collections et collectionneurs alsaciens. 1600-1820. Antiquités, monnaies, médailles, tableaux, manuscrits, gravures, curiosités, etc. », Revue d’Alsace, t. IV, Colmar, 1875, p. 199.

    (10) Samuel-Élie Rocheblave, « Un grand collectionneur alsacien. Jean Dollfus (1823-1911) », Revue alsacienne illustrée 14, Strasbourg, 1912, p. 53.

    (11) Jean-Frédéric Hermann, Les Différents cabinets de curiosité de Strasbourg avant la Révolution de 1789, 3 pages manuscrites in-4°, collection Heitz, n° 1498, Bibliothèque nationale universitaire ; Dorothée Rusque, « Cabinets d’histoire naturelle et jardin botanique à Strasbourg au XVIIIe siècle : de la curiosité à la classification », Chantiers historiques en Alsace, Jeunes chercheurs en Histoire de l’Université Marc Bloch de Strasbourg et de l’Université de Haute-Alsace, n° 6, 2003, p. 37-53.

    (12) Frits Scholten, Thomas DaCosta Kaufmann (dir.), L’Art flamand et hollandais. Belgique et Pays-Bas 1520-1914, Paris, Citadelles & Mazenod, p. 346.

    (13) Denis Lecoq, Martin Drölling 1752-1817, Strasbourg, Mémoire de maîtrise, 1982, vol. 1, p. 37.

    (14) Denis Diderot, « Loutherbourg », Essais sur la peinture. Salons de 1759, 1761, 1763, Paris, Hermann, 1984, p. 223.

    (15) Robert Heitz, La Peinture en Alsace, 1050-1950, Strasbourg, Dernières Nouvelles d’Alsace et Istra, 1975, p. 54.

    (16) Jean-Jacques Mayoux, La Peinture anglaise, Genève, Skira, 1988 [1972], p. 191.

    (17) Simon Schama, L’Embarras de richesses. La culture hollandaise au Siècle d’or, Paris, Gallimard, « Bibliothèque illustrée des Histoires », 1991 [1987], p. 93.

    (18) Voir entre autres, Philippe Dollinger (sous la dir.), Histoire de l’Alsace, Strasbourg, Privat, 1970, 526 p. ; Francis Rapp (sous la direction), Histoire de l’Alsace, Col­mar/Wettolsheim, Mars et Mercure, 1985, 9 vol. ; Bernard Vogler, Histoire culturelle de l’Alsace, Strasbourg, La Nuée bleue, « La Bibliothèque alsacienne », 1994 (4e éd.), 582 p ; Alfred Wahl et Jean-Claude Richez, La Vie quotidienne en Alsace entre France et Allemagne. 1850-1950, Paris, Hachette, 1993, 341 p.

    Jordy6.jpg(19) Voir John M. Montias, Le Marché de l’art aux Pays-Bas. XVe-XVIIe siècles, Paris, Flammarion, « Art, histoire, Société », p. 138-139.

    (20) Roland Recht, « Mille ans d’images », Saisons d’Alsace, hiver 2003/2004, p. 26.

    (21) Catherine Jordy, La Peinture romantique en Alsace, op. cit., vol. 1, p. 127-131.

    (22) Ernst Gombrich, Histoire de l’art, Paris, Flammarion, 1986 [1972], p. 340.

    (23) Tzvetan Todorov, Éloge du quotidien. Essai sur la peinture hollandaise du XVIIe siècle, Paris, Seuil, Points/Essais, 1997 [1993], p. 48-50.

    (24) Svetlana Alpers, L’Art de dépeindre. La peinture hollandaise au XVIIe siècle, Paris, Gallimard, « Bibliothèque illustrée des Histoires » 1983, p. 82.

    (25) Simon Schama, L’Embarras de richesses…, op. cit., p. 27.

    (26) Roland Recht, loc. cit., p. 26.

    (27) Voir notamment Le Portrait dans les musées de Strasbourg. À qui ressemblons-nous ?, catalogue de l’exposition sous la direction de Roland Recht et Marie-Jeanne Geyer, Strasbourg, 1988, 400 p.

    (28) Monique Daniche, La Famille d’Étienne Livio, 1801, Huile sur toile, 159 x 218, Strasbourg, Musée Historique.

    (29) Cornelis de Vos, La Famille du peintre, 1630-1635 c., 144,5 x 203,5, Gand.

    (30) Martin Drolling, Vieillard assis, huile sur toile, 44 x 38,5, Mulhouse, musée des Beaux-arts.

    (31) Jan Steen, Autoportrait en joueur de luth, huile sur bois, 1663-1665 c., 55, 3 x 43,8, Madrid, collection Thyssen-Bornemysza.

    (32) Martin Drolling, Pont de pierre, 1796, Signé en bas Drölling, huile sur bois, 23 x 34, Strasbourg, Musée des Beaux-arts.

    (33) Notamment avec Barque de pêche sur une plage, huile sur toile, 112 x 150, Mulhouse, Musée des Beaux-arts.

    (34) Madlyn Millner Kahr, La Peinture hollandaise du Siècle d’or, Paris, Le Livre de Poche, coll. « Références/Art », 1998 [1978], p. 295.

    (35)Voir notamment Élisabeth Hardouin-Fugier et Étienne Grafe, « Mille et un bou­quets. Les tableaux de fleurs au XIXe siècle en France », L’Empire de Flore. Histoire et représentation des fleurs en Europe du XVIe au XIXe siècle, Paris, La Renaissance du livre, 1996, p. 289-306.

    (36) Voir notamment Monique Fuchs, « La fleur, métaphore ou décor dans les collections du musée des Beaux-Arts de Mulhouse », Bulletin de la Société In­dustrielle de Mulhouse 811-812, 1988-1989, p. 87-94 ; Bernard Jacqué, « Peintures de fleurs, dans le musée de l’Impression sur étoffes de Mulhouse », Bulletin de la société industrielle de Mulhouse n° 4, 1975, n° 761, p. 69-72.

    (37) Fleurs de Lyon, 1807-1917, catalogue d’exposition, Lyon, Musée des Beaux-Arts, juin-septembre 1982.

    (38) Sébastien Stoskopff 1597-1657. Un maître de la nature morte, Strasbourg, musée de l’Œuvre Notre-Dame, Aix-la-Chapelle, Suermondt Ludwig Museum, 15 mars–5 octobre 1997, Paris/Strasbourg/Aix-la-Chapelle, Réunion des Musées Nationaux, 1997, 246 p.

    (39) Voir Jean-Louis Schlienger et André Braun, Le Mangeur alsacien, Strasbourg, La Nuée bleue, 2000, 288 p.

    (40) Collection particulière.

    (41) Léonce Bénédite, La Peinture au XIXe siècle, Paris, s.d., p. 51.

    (42) Martin Drolling, Intérieur de cuisine, S.d.b.g. Drölling Pt 1815, Salon de 1817, huile sur toile, 65 x 80,8, Paris, musée du Louvre.

    (43) Charles Blanc, Histoire des peintres de toutes les écoles, 1865, vol. 3, p. 37-38.

    (44) Paul Marmotan, L’École française de peinture. 1789-1830, Paris, 1886, p. 258.

    Jean-Jacques Henner, L’Alsace, elle attend, 1871, Paris, musée Henner

    HennerElleAttend.jpg(45) Robert Heitz, La Peinture en Alsace, 1050-1950, Strasbourg, Dernières Nouvelles d’Alsace et Istra, 1975, p. 57.

    (46) Vincent van Gogh, Lettres à Van Rappard, Paris, Grasset, « Les Cahiers Rouges », 1950, p. 79-80.

    (47) Gustave Brion, La Récolte de pommes de terre pendant l’inondation du Rhin en 1852, S.d.b.g. G. Brion 52, huile sur toile, 98 x 132, Musée des Beaux-Arts de Nantes.

    (48) Voir à ce sujet Catherine Jordy, La Peinture romantique en Alsace, op. cit., vol. 1, p. 238-246.

    (49) Françoise Pitt-Rivers, Balzac et l’art, Paris, Chêne, 1993, p. 73.

    (50) Voir Jean Cocteau, Entretiens sur le cinématographe, Paris, Ramsay Poche Cinéma, 1973 [1986], p. 146.

    (51) Paul Marmotan, L’École française de peinture. 1789-1830, Paris, 1886, p. 258.

      

     

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  • Bart Moeyaert et son œuvre

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    Portrait de Bart Moeyaert par Marie-Ange Pompignoli

    couvFrèresBart.jpg

    Le jeudi 4 décembre 2008, dans le cadre de la Saison culturelle européenne, en partenariat avec la Maison des écrivains, la Joie par les livres recevait Bart Moeyaert, interviewé par Anne-Laure Cognet.

    Si en France, cinq de ses romans pour adolescents et quatre de ses albums sont traduits, son œuvre publiée en flamand est bien plus importante avec des romans pour adultes, du théâtre, des scripts, d’autres albums et romans pour enfants… En France, Bart Moeyaert est apparu dans le paysage éditorial au tournant des années 2000 comme une autre voix, un autre ton.

    couvamainsnues.jpgIl réalise son premier livre à neuf ans, alors qu’il est malade. Intitulé L’Enfant aux médicaments, il compte douze chapitres d’une page chacun tapés à la machine. Pour lui, faire un livre s’apparentait à un bricolage, car il était convaincu que les auteurs fabriquaient eux-mêmes leurs livres et ne se contentaient pas de les écrire. Il était également convaincu qu’il ne pouvait écrire que sur ce qu’il connaissait : c’est ainsi qu’il a abandonné l’histoire d’une fille qui partait en voyage, parce qu’il n’avait jamais pris l’avion...

    À douze ans, il écrit un deuxième livre, de quarante pages ; malgré ses six frères, il est très solitaire, ne participant guère aux jeux de ses aînés, en tant que benjamin de la fratrie. Il ne peut discuter de ses problèmes d’adolescence ni avec ses parents, trop vieux, ni avec ses frères, qui le considèrent comme celui avec qui on peut rire, encore moins avec ses camarades de classe (il fréquente une école de garçons où l’on ne montre rien de son ressenti, car c’est jugé « un truc de filles »).

    couvOreilledhomme.jpg

    À quatorze ans, alors qu’il se sent mal dans sa peau, il commence un journal intime, parce qu’il a lu le roman d’un garçon qui fait le tour du monde, écrit sous la forme d’un journal de bord. Il ne se doute absolument pas que ce n’est qu’un procédé d’écriture pour un récit fictif. Il achète un cahier, écrit des choses sur lui-même mais trouve que sa vie quotidienne n’est pas assez intéressante, aussi y met-il du piquant : des accidents, une certaine Judith, personnage inventé, censée être dans sa classe et dont il est amoureux…

    « Personne ne savait que j’écrivais un roman, même moi, je ne le savais pas. » Trois cahiers et presque trois ans plus tard, il tape le tout sur une vieille machine à écrire (142 pages) et montre le résultat à ses parents qui le félicitent. Ce que ses parents détestaient par-dessus tout, c’était la paresse et l’oisiveté : jouer au foot, écrire des cartes postales ou un roman, « c’était très bien. »

    couvGroteOmas.jpgComme son père avait écrit des manuels scolaires, Bart Moeyaert trouve naturel d’envoyer son roman à des éditeurs. Le premier le refuse, le second lui répond, six mois plus tard : « Nous allons probablement l’éditer » ; on lui propose de corriger un certain nombre de points, dont le titre, car Duo, alors qu’il n’y a que quatre chapitres, ça ne convient pas… Mais il refuse de modifier le titre, et préfère réécrire entièrement le texte, ce qu’il fait un été durant, enfermé dans sa chambre. Cela donne finalement trente-sept chapitres, chacun étant, en alternance, le point de vue de Liselot et celui de Lander, qui forment bien, cette fois, un duo. Il a dix-neuf ans, et son livre est édité sous le titre Duet met valse noten [Duo avec fausses notes], en 1983. Il sera maintes fois réédité.

     

    Quand il découvre La Danse du coucou d’Aidan Chambers, il comprend que « tout est possible avec un livre ». À l’occasion d’un travail de recherche sur cet auteur, il le rencontre pendant un quart d’heure dans le taxi entre Amsterdam et l’aéroport de Schiphol – quelques mois plus tard il lui rend visite en Angleterre. Leur rencontre durera trois jours : « Je suis arrivé comme étudiant, je suis reparti adulte. »

    La même maison d’édition le suit pour quatre romans, mais comme il n’a pas envie d’être étiqueté « jeunesse », au troisième livre, ils se disputent, car Bart veut aussi écrire pour d’autres publics. « C’est comme un mariage qui ne marche plus : ça fait très mal, mais à un moment, il faut passer un cap », se séparer. Ensuite, quand on se voit, on s’entend mieux.

    CouvMoiDieuCreation.jpg

    En 1991, Jacques Dohmen, qui était l’un des rédacteurs les plus importants de la maison d’édition Querido aux Pays-Bas, lui propose d’être édité chez lui ; ce qu’il fait effectivement en 1995. Il publie Blote handen qui sera traduit en français sous le titre À mains nues, puis un petit texte (qui n’a pas encore été traduit en français), Afrika achter het hek [Afrique, au-delà de la barrière], illustré par Anna Höglund, une illustratrice qu’il apprécie. « J’ai beaucoup appris avec Anna Höglund », souligne-t-il. En effet, pour l’édition allemande, c’est un autre illustrateur qui a été choisi « parce que Anna Höglund n’est pas facile à vendre », et le livre a reçu une mauvaise critique et ne s’est pas vendu ; un an plus tard, un deuxième éditeur allemand publie l’album avec les illustrations d’Anna Höglund, et ça marche. Pour les albums suivants, Bart Moeyaert imposera son illustrateur(trice): «C’est mon livre qui est dans les magasins, je dois vraiment en être fier.»

    À mains nues, son premier livre traduit en français, en 1999 aux éditions du Seuil, l’a été par une traductrice qui n’« accrochait » pas à sa manière d’écrire ; le succès de l’ouvrage en France a d’ailleurs été très mitigé, ce qu’il attribue au fait qu’il n’a pas été traduit de manière adéquate. « La leçon, dit-il, c’est qu’il faut une bonne entente entre le traducteur et l’auteur. »

    Par la suite, ses livres ont été traduits en français par Daniel Cunin, qui avait lu en néerlandais un certain nombre de ses ouvrages et qui l’a recommandé à Danielle Dastugue, directrice éditoriale du Rouergue, la maison d’édition principale de Bart Moeyaert aujourd’hui en France.

    CouvOlek.jpgAvec Daniel Cunin, Bart Moeyaert échange parfois quelques méls, mais, affirme Bart Moeyaert, « si je peux lire le français, comprendre le français, je pense que le traducteur connaît mieux sa langue que moi » : il se contente donc de donner son avis sur un nom ou un détail.

    Lui-même a une activité de traducteur, pour des auteurs qu’il apprécie, tels Chris Donner ou Jürg Schubiger : « Il y a mon nom dedans, je veux être fier de ce que je fais. »

    Quatre de ses albums sont traduits en français : Moi, Dieu et la création et Olek a tué un ours, illustrés par Wolf Erlbruch, Le Conte de Luna, illustré par Gerda Dendooven (traduit par Maurice Laumré), et Le Maître de tout, par Katrien Matthys.

    On lui a proposé de faire un livre musical, ce qu’il a accepté avec enthousiasme, parce qu’il étouffe s’il reste entre ses quatre murs d’écrivain. En néerlandais, un cd accompagne effectivement chacun de ces albums.

    On lui propose d’écrire un livre sur la Genèse, ce qui n’a pas été facile mais finalement, Moi, Dieu et la création est apprécié autant par une Église très stricte que par les non-croyants !

    De même pour Olek a tué un ours, un compositeur le sollicite : Wim Henderickx, dont Bart Moeyaert trouve la musique (contemporaine) intéressante. Jeunesse Musicales lui propose d’adapter L’Oiseau Feu, et Bart en fait un conte sur un homme qui cherche à discerner le bien du mal ; et le compositeur fait une musique d’accompagnement de 40 minutes.

    Si Le Conte de Luna, adapté d’un conte slovaque, est très différent d’Olek, c’est que « ça ne m’intéresse pas de refaire deux fois la même chose ».

    couvcontedeluna.jpgLe Maître de tout (en l’occurrence, l’histoire d’un chat qui se pose la question de son emprise sur le monde) est un conte imprimé sur des pages noires, dont les images et le texte sont phosphorescents et peuvent donc être vus dans le noir… parce que finalement, le maître de tout, c’est la lumière… et l’histoire commence. « J’aime bien ne pas tout dire, donner de la matière à penser aux enfants, qu’ils se demandent : “Mais qu’est-ce qu’il dit ?” »

    Pourquoi proposer des albums qui appartiennent plutôt au genre du conte ? C’est un hasard, il a d’autres projets dans son escarcelle, auxquels il veut donner le temps de mûrir. Il a écrit des poèmes (dont deux recueils ont été publiés), sans qu’il se sente spécialement poète, il a aussi rempli des carnets de petits dessins…

    Si être auteur donne une image de sérieux, il aime casser cette image, notamment en écrivant du théâtre : « il y a une distance, mais il n’y a pas de distance ». « Je veux essayer jusqu’à ce qu’on me dise : “C’est moche, arrête”, alors peut-être j’arrêterai, mais pas avant. »

     

    Ses romans proposent de partager un univers autour de la famille, et mettent des jeunes en interaction avec le monde des adultes. Pourquoi ? Il a voulu que son récit Oreille d’homme soit « miroir du monde des jeunes, et miroir du monde des adultes. » « Je suis resté à l’époque où je trouvais que tout était difficile, quand j’avais douze ans, et encore vingt ans, trente ans » (par exemple, comment communiquer, avec un père très sévère, quand on a appris à dire « Oui, ça va » même quand ça ne va pas ?), même si la jeunesse, c’est en même temps « le plus beau temps de la vie, où tout est possible, où on peux choisir ce qu’on veux ». À vingt ans, dit-il, on est tourné vers le futur, alors que dans l’enfance, on est plus tourné vers la découverte, ce qui inclut douleur, tristesse.

    couvNiddeguepes.jpgAinsi dans Nid de guêpes, paru en 1997, il est question d’apprendre à connaître les « vraies frontières ». « Ce qui me choque parfois, insiste Bart Moeyaert, c’est que beaucoup de gens ne découvrent pas leurs frontières. » « Quand je vais dans d’autres pays, je veux être choqué, je veux voir mes propres frontières, les voir bouger », « Je veux être toujours en mouvement ». « Passer les frontières, ou pas, c’est ce que nous devons faire ». Nid de guêpes, qui raconte l’histoire de Suzanne, une jeune fille en révolte, met en scène un personnage qui décide de faire quelque chose, pour la première fois, parce que la situation est intenable ; à la fin de l’ouvrage, c’est accompli. Parallèlement, l’auteur nous dit : « j’ai osé faire des choses, passer des frontières ».

    Dans À mains nues, le héros est aussi poussé à faire quelque chose. Et de plus en plus, dans les livres de Bart Moeyaert, ses héros agissent, parce que « j’ai compris dans ma propre vie que quand je fais quelque chose, le monde change, et quand je ne fais rien, rien ne bouge ».

    Un enfant de huit ans ne comprendra certainement pas tout de ce qu’il lit, mais « tout va ensemble ». Lui-même se souvient d’être allé, jeune, à une représentation de La Mouette de Tchekov, en français, dont il n’a pas compris tous les dialogues, mais il a été enthousiasmé par l’atmosphère et le cadre qui formaient un ensemble.

    Il refuse de réduire la culture enfantine aux séries télévisées, et pense qu’en matière culturelle, on peut proposer à un enfant ce que l’on propose à un adulte – même si c’est peu à peu que l’enfant en assimilera la richesse.

    Couvlamourquenous.jpgSon père ne lui ayant jamais dit qu’écrivain, ça pouvait être une profession, Bart Moeyaert n’en a jamais eu l’idée. Entre son premier roman (1983) et Nid de guêpes (1997), il a compris qu’il pouvait écrire un « kaléidoscope » : ce qu’on veut, « mais tucomprends que ta voix est la bonne ».

    Aujourd’hui, il est beaucoup plus libre. Être libre n’empêche pas de se poser des questions du type : « Est-ce que ce que je fais est bien ? »

    À dix-neuf ans, les adultes émettaient ce jugement à son égard : « Bon travail, mais on n’obtiendra plus rien de ce jeune », or, son roman a eu un grand succès (trois tirages en un an). Trois ans plus tard, il publiait son deuxième livre, complètement différent – les critiques furent heureux, et les lecteurs, déçus. « Tout le monde ne peut pas être content », disait son premier éditeur : l’important pour Bart Moeyaert étant de faire ce qu’il veut.

    Il a écrit et dessiné une histoire, Grote oma’s [Les Grandes grand-mères], (qui n’est pas traduite), donnée en cadeau, puis republiée avec des illustrations de Kitty Crowther.

    Il a été également nommé « poète de la ville d’Anvers » en 2006 et 2007. Sa tâche consistait à suivre la vie de la ville et à écrire douze poèmes (en deux ans) sur le sujet. Pendant ces deux années, il n’est pas arrivé à écrire autre chose ; il devenait cynique, trouvait que le monde était noir et la vie, lourde. Quand sa fonction a cessé, il a voyagé pendant six mois, et a compris qu’il était libre lorsqu’il écrivait des histoires – ce qu’il a fait depuis, sans négliger les poèmes ou le théâtre, choses secondaires mais qui sont une respiration pour lui.

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    En 2009 paraît Embrasse-moi (en mars, traduction française de Kus me publié en 1991) et Graz [Graz], roman pour adultes. Il a été cité plusieurs fois pour le Prix Andersen, en 1998, 2002, 2004, et a obtenu divers prix, dont le Hibou d’or (De Gouden uil, prix néerlandophone) : trois fois, il a été nominé, on lui a dit « Bart, tu es jeune, ça viendra un jour », et la quatrième, il l’a eu, en 2001, pour Le Conte de Luna, un conte qu’il a réécrit. Il comme nte avec humour : « Tu reçois le prix pour une histoire qui n’est pas vraiment de toi ! »

    Un auteur qui nous a fait partager avec simplicité un peu de ce qui lui tient à cœur, et que l’on peut retrouver dans ses livres… ou sur son site : http://www.bartmoeyaert.com.

     

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    Source : Bibliothèque nationale de France, CNLJ - La Joie par les livres. Merci à Marie-Ange Pompignoli et Bart Moeyaert pour l’autorisation de reproduire ce texte.