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Prosateur très populaire de son vivant, F. Timmermans, après avoir écrit quelques œuvres d’une teneur pessimiste, a mis en avant une vision idéalisante de la vie rurale ainsi qu’un catholicisme enjoué ; certains de ses romans annoncent le vitalisme. Il devint « célèbre avec son roman Pallieter (1916), série de tableaux de mœurs flamandes qui ont pour héros un jeune et joyeux meunier, paillard et farceur, plein d’entrain et de couleurs, suivi, en 1918, d’une nouvelle naïve et raffinée Les Très belles heures de mademoiselle Symphorose, béguine, composée dans la tradition des conteurs médiévaux. Il écrivit encore une vingtaine d’ouvrages débordant de vitalité et d’humour et tout imprégnés de la Flandre dont il recrée aussi bien les mentalités que l’atmosphère pittoresque des petites villes, notamment Psaume paysan (1935) ». (source). Comme d’autres artistes, il passa quelques années aux Pays-Bas suite à l’activisme dont il avait fait preuve durant la Grande Guerre ; il y vécut de sa plume, mais aussi de ses dessins et de ses toiles. Nombreuses sont ses œuvres qui ont été adaptées au théâtre et à l’écran ou qui ont été traduites en français, en anglais et plus encore en allemand. Son style prolixe fait de lui l’antipode d’un Willem Elsschot, ainsi que le souligne Bart Van Loo dans son récent ouvrage consacré à l’auteur du roman parisien Villa des roses* ; mais, ainsi qu’il le dit et en témoigne, rien n’empêche de goûter l’un et l’autre. Pour évoquer cette figure du siècle passé originaire de Lierre – dont le récit La Harpe de saint François (Le Seuil) et l’album Un bateau du ciel (Les 400 coups) ont été réédités en France et au Québec depuis l’an 2000 –, nous avons retenu la chronique « Félix Timmermans » que lui a consacrée le poète et traducteur Gommaire Van Looy dans Le Thyrse du 15 mai 1925, en nous contentant d’y adjoindre quelques notes explicatives.
Les histoires contées par Timmermans, les atmosphères qu’il établit, les images qu’il combine, sont à ce point unes avec la langue flamande qu’il n’est presque pas possible de les vivre autrement que par le texte flamand.
Bob Claessens (1) a traduit Pallieter, Neel Doff (2) a traduit L’Enfant Jésus en Flandre. Je suis tenté de dire qu’il eût mieux valu ne pas les traduire. Quelle que soit la virtuosité du traducteur, jamais il ne parviendra à rendre en français les expressions juteuses que l’on rencontre ligne par ligne dans ces œuvres fleuries. En traduction littérale : « op heur zeven gemakken » devient « sur ses sept aises », mais cette expression en français ne suggère rien, est peut-être même ridicule (3). Tandis que le flamand « op heur zeven gemakken » donne immédiatement l’atmosphère populaire, colorée, moqueuse un peu, joyeuse et saine. Une telle expression a toute la valeur d’un fruit mûr que l’on caresse de la main. Il est difficile et dangereux de traduire un poème, et les œuvres de Timmermans, prosateur, sont des poèmes.
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Timmermans, qui unit plus intimement que jamais ces caractères depuis des siècles propres au peuple flamand : mysticisme contemplatif et plaisir de se sentir vivre, pourrait à ses œuvres adjoindre ce sous-titre : « les sens en liberté ». Au point que le professeur Vermeylen (4), dans une conférence qu’il donna à la Lanterne Sourde, déplia cette phrase: « Il semble que quand nous lisons Timmermans, il nous pousse des sens nouveaux. »
Il en est de lui comme des fleuristes qui, d’un toucher de doigt, font paraître une fleur plus fraîche et plus neuve : il suffit qu’il s’empare d’un objet pour que celui-ci nous paraisse transformé et comme remis à neuf. Tout est divinisé, nouvellement vu : « Des moulins tournaient et de petits hommes labouraient les champs, cueillaient les fruits des arbres et allaient avec des charrettes sur les chaussées. Et loin, très loin, où le ciel de nacre touchait la terre, il y avait, couchée dans une lame de dunes blondes, une vague de la mer. »
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Il est un procédé, cher aux artistes depuis quelque temps, qui consiste à situer les figures de la Sainte Famille parmi les êtres et les choses d’aujourd’hui, et en particulier parmi les êtres et choses de Flandre. Jacob Smits (5) nous montre des tableaux où doucement passe Jésus, auréolé et de blanc vêtu. Je me souviens aussi de tel tableau de Van de Woestyne (6) où la Vierge à l’Enfant éclot devant une ferme flamande, au milieu d’un verger offrant ses jeunes fleurs.
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C’est ainsi également que procède Timmermans dans son très poétique et charmant récit: L’Enfant Jésus en Flandre. C’est d’abord, pleine de lumière douce et de simplicité, la vie de Marie, jeune paysanne orpheline, fiancée depuis l’enfance à Joseph, le charpentier, et qui se consumait « du désir féminin d’avoir des enfants, de doux, tendres enfants, avec des cheveux blonds et des figures rosées, que dans son ingénuité elle ne voyait pas grandir et qui lui seraient donnés comme la rosée descend le soir sur les prairies. Car Maria était très pure et chaste de pensée. » Et c’est l’Annonciation, parmi les champs qui s’ouvrent au printemps, sous les arbres qu’un vent léger fait vibrer. Et c’est le mariage, et le recensement à Bethléem, village de Flandre, et c’est toute une histoire que naïvement, passionnément, nous suivons comme une légende ancienne que nous découvrons pour la première fois. Car Timmermans est un conteur ingénieux, qui n’a pas touché à la trame de l’histoire narrée, mais a repeint avec délicatesse ou avec verve tous ces décors trop connus, ce qui nécessairement entraîne une légère transformation de l’esprit des personnages et des détails de leur vie.
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Timmermans aime trop les peintres et, en particulier, Breughel (lors des fêtes il prononça un discours extraordinaire à la gloire du maître ancien) pour que dans ses livres on ne remarque pas les suites de cette admiration (7). Dans L’Enfant Jésus en Flandre, les tableaux où interviennent Joseph, Marie et Jésus, semblent peints à Laethem-Saint-Martin, tandis que les parties secondaires, par exemple la description de la cour d’Hérode, de l’arrivée des rois mages, forment une suite d’images d’Épinal bouffonnes, caricaturales. C’est de l’art populaire exécuté par un maître. Dessins de lignes simples et de couleurs savamment combinées, sans arabesques fantaisistes. Juxtaposition de sentiments, de caractères, de gestes, donnant un maximum d’émotion par une agréable simplicité. Que de jouissance trouvent nos cerveaux enfiévrés par les bizarreries dans ces assemblages pleins d’art ! Voyez cette délicieuse opposition : Hérode (c’est celui que nous connaissons bien, mais légèrement transformé il est ici un roi étranger irascible et cruel régnant sur la Flandre), au physique : une tête « rouge comme un soleil éteint », un visage couvert de pustules dont les démangeaisons lui enlèvent toute joie, est dans un beau jardin à jouer aux échecs avec le sec amiral, tandis qu’un peu plus loin « un gentilhomme, avec une épée d’argent, conduisait une dame de cour en bleu vers un bassin rond où resplendissaient deux cygnes ».
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Timmermans n’est pas exclusivement écrivain, mais encore dessinateur, illustrant par exemple de petites vignettes son chef-d’œuvre Pallieter, vignettes remarquables rendant exactement et délectablement l’esprit du livre. C’est presque de la miniature, c’est de l’enluminure.
Gommaire Van Looy
une toile de Félix Timmermans
(1) Flamand néerlandophone, ami de Timmermans (couverture d'une des éditions de sa traduction reproduite ci-dessus).
(2) Neel Doff (1858-1942), femme néerlandaise, prostituée puis romancière d’expression française, auteur de Jours de famine et de détresse (1911), Contes farouches (1913), Keetje (1919), Keetje Trottin (1921), Angelinette (1923), Campine (1926), Elva suivi de Dans nos bruyères (1929), Une fourmi ouvrière (1935) et les récits et souvenirs Quitter tout cela ! suivi de Au jour le jour (1937).
(3) Le critique a certes raison de relever le peu de saveur d’une tournure comme « sur ses sept aises » qui est un calque de la locution « op heur zeven gemakken » (elle figure dans la traduction de Neel Doff). Mais au-delà d’un simple exemple, le problème essentiel de ces traductions réside dans un manque de fluidité : le texte français souffre d’une absence de cohérence organique, il ne fait pas ce que fait l’original. Traduire Timmermans demande de restituer un univers lexical et syntaxique que l’on pourrait comparer à celui d’un Giono. Camille Melloy (1891-1941), poète d’expression française, s’en est sans doute mieux tiré dans sa transposition de la vie du fondateur de l’ordre des frères mineurs : La Harpe de saint François.
(5) Jacob Smits (1856-1928), peintre hollandais. « Elève des académies de Rotterdam, Bruxelles et Munich, il s’installe à Amsterdam en 1881 comme peintre décorateur puis devient professeur et directeur de l’école industrielle et de décoration de Haarlem. En 1889, il se fixe définitivement à Mol dans la Campine belge. Peintre solitaire, en marge des mouvements qui l’ont formé, il va créer une sorte de symbolisme pré-expressionniste où la lumière prend une importance démesurée et à laquelle il attache une signification presque mystique. Il recherche ses modèles chez les paysans, dans le folklore et l’art populaire. Les scènes de la Bible ont fortement inspiré le peintre de Rotterdam non pas pour leur message religieux mais plutôt pour leur correspondance avec les expériences de la vie. Dans un travail où la pâte est onctueuse, où le clair-obscur exprime le mystère de la foi, Smits se considère comme un exclu. » (source : Musée Charlier)
(6) Gustave Van de Woestyne (1881-1947), peintre majeur flamand, frère du grand poète symboliste Karel Van de Woestijne.
(7) Félix Timmermans a écrit un ouvrage sur Bruegel traduit en français : La Vie passionnée de Pieter Bruegel, traduit du néerlandais par Nelly Weinstein, Paris/Verviers, L’Intercontinentale du Livre/Gérard, 1956. Texte de la jaquette : « De nombreux ouvrages ont déjà paru sur l’œuvre de Bruegel. Presque aucun d’eux ne parle de la vie du grand peintre, si ce n’est incidemment. Cette lacune s’explique par le fait qu’on retrouve fort peu de relations de la vie de l’artiste. Les seuls récits dignes de foi, se puisent dans la chronique de Van Maander, peintre lui-même, mais plus connu comme chroniqueur des peintres flamands. Il était donc fort intéressant de reconstituer cette vie tourmentée, dont chaque œuvre reflète un épisode. Pour le faire, il s’est trouvé le plus grand et le plus humain des romanciers flamands, Félix Timmermans, qui, lui aussi est peintre, et qui plus est, vit dans le cadre qui a vu naître et se développer son illustre compatriote. Grâce à grand talent, Timmermans a merveilleusement réussi à dépeindre la vie pathétique de l’artiste, en empruntant à la chronique de Van Maander, mais en puisant surtout dans l’œuvre de Bruegel. Pieter Bruegel, tel que je te devine en contemplant ton œuvre est le titre flamand de l’ouvrage, qui fait comprendre et aimer l’œuvre du peintre, bien mieux que n’importe quel ouvrage critique ou didactique. »
Trailer du film Boerenpsalm du réalisateur Roland Verhavert,
d’après le roman de Félix Timmermans de 1935
(trad. : Psaume paysan, Betty Collin, diverses éditions).
photo de couverture de la revue nord', n° 43, avril 2004
Nommé conservateur à Bibliothèque Inguimbertine de Carpentras – où il fait peindre ou tapisser ses appartements tout en noir –, Georges Bataille s’entretient régulièrement avec son ami René Char. C’est à la suite de propos qu’ils échangent que ce dernier va poser, en mai 1950, dans la revue Empédocle, la question pour le moins ouverte : « Y a-t-il des incompatibilités ? » en demandant à des écrivains d’y répondre. Cette « Enquête René Char » amène Paul Gadenne à écrire, fin juin 1950, alors qu’il séjourne en Hollande, les lignes qui suivent.
Votre questionnaire me parvient à Amsterdam où je suis en passant, et j’y réponds entre deux averses et deux tables. Je suis venu dans ce pays non en touriste, mais pour vérifier quelques-uns des événements, quelques-unes des structures de ma vie intérieure. – J’ose me servir de cette expression abhorrée : il y a des terreurs que je ne veux pas subir. [Ce qui me met dans une position spéciale, un peu spécieuse, qui échappe à la compétence de l’entourage le mieux disposé, et même m’instruit assez sur moi-même, et sur autrui : il serait peut-être prétentieux de souhaiter autre chose.
C’est déjà répondre à la question, et je voudrais que l’on sente toute la modestie, toute la nostalgie même que je me permets d’introduire dans cette enquête.]*
C’est déjà répondre à la question. Je suis un voyageur dont le type ne se rencontre plus. Aussi les réponses qui parviennent à mes propres questions, sur le terrain modeste de la vie quotidienne, témoignent-elles d’un décalage, et sont-elles faites d’éléments que mon attention n’enregistre pas. Cela revient à se savoir assez seul, ce qui est notre condition même, et le prix de notre authenticité. Déjà c’est un fait, en mainte occasion il y a des incompatibilités entre le monde des hommes et moi. Et je veux bien accepter pour moitié la responsabilité de ces incompatibilités, c’est moi qui les crée autant que le monde : elles sont la preuve de mon existence. J’existe par ce conflit toujours ouvert et que je ne veux pas laisser éteindre, même s’il me tue. La force brutale n’a aucune chance de m’impressionner, elle peut me supprimer tout au plus. « Except my life », comme dit si bien lord Hamlet. Et peut-être qu’Ariel ne pourrait subsister sans Caliban. Mais il est vrai aussi qu’il ne peut que le combattre – à moins qu’il ne puisse l’éclairer. Tel est le mystère.
Amsterdam 30 juin 1950
*Le passage entre crochets correspond à une deuxième version.
(source : La Rue Profonde. Carnets Paul Gadenne, n° 1, p. 102-103)
Dans l’article « Paul Gadenne et les Flandres » (Deshima, n° 4, 2010, p. 253-264), Didier Sarrou s’interroge sur la place qu’accorde Gadenne à sa région natale dans ses écrits. Les « Carnets Paul Gadenne » – que l’on doit au même Didier Sarrou – , en particulier le n° 4, offrent quelques passages sur la Flandre française (Armentières, Cassel…). Une petite sélection :
[…] il [un de ses cousins qu’il retrouve à Armentières, médecin qu’il apprécie beaucoup] me révèle le profit qu’il y a pour moi à me replonger un instant dans l’atmosphère d’une vie saine, à remonter vers mes sources, à voir ce qu’une intelligence un peu élevée a su tirer de son propre milieu, sans se « déraciner », mais au contraire en puisant à un haut degré les puissances de son espèce, de sa race. Ce qui manque aux autres, ce n’est point l’intelligence, c’est la clarté, c’est le sens et la puissance d’organisation.
[…] Madeleine [nièce de Gadenne], huit ans, toujours câline, vient s’appuyer contre moi, ou s’assied sur mes genoux en me regardant, la tête un peu renversée. Je sens contre ma main qui la retient sa hanche menue sous sa robe, et je plonge dans ses yeux qui rêvent. La vue de cette petite fille me fait redescendre des hautes régions où je planais et me ramène aux douces réalités de la vie. Vivre ainsi, avec une petite fille sur les genoux.
[…] Quand les gens se mettent en colère, ils aggravent leur patois, pour donner plus d’énergie à leurs paroles. Ou quand ils racontent une histoire qui exige de la vivacité, et en général dans toutes les occasions où ils sont passionnés. Le patois dispose de tours plus vifs, plus pittoresques que le français et ces histoires perdraient beaucoup à être racontées en bon langage.
[…] Visite à Eugénie (d’Armentières). Son mari, qui apparaît juste au moment du Dubonnet me dit : « Vous savez, il vaut mieux aimer les livres que les femmes. Quand un livre vous embête, on le met de côté. Mais les femmes !... »
La dernière livraison de Septentrion (n° 3, 2010), revue trimestrielle en langue française consacrée aux arts, aux lettres et à la culture de Flandre et des Pays-Bas offre, comme chaque numéro, une place de choix à la littérature. Caroline Lamarche consacre un petit article aux Lettres du Plat Pays (La Différence), échange épistolaire entre deux Bruxellois : l’un d’expression française : Jean-Luc Outers, l’autre d’expression néerlandaise : Kristien Hemmerechts (pages traduites par Alain Van Crugten) : « C’est dans une forme élégante et légère, d’un ton rieur et grave, dont la mélancolie jamais ne tourne au drame, dont l’irritation reste en deçà de l’anathème, que ce livre nous parvient, publié à Paris. Limpides, souvent drôles, ces lettres rendent hommage à l’art de vivre au quotidien dans un pays malade, réussissant le tour de force de parler des Belges en les décomplexant […]. Rien de crispé, rien de cette paranoïa qui, aujourd’hui, nous plombe dès qu’on ouvre le journal. »
Il est aussi question de lettres dans la recension de Nils C. Ahl : « Un mélange d’amertume et de joie : Gerard Reve ». Six lettres virtuoses pleines d’ironie et de « déconnation », réunies sous le titre En route vers la fin, une des œuvres majeures – son « sésame » selon le critique – du romancier et poète Gerard Reve, un livre unique en son genre publié à Amsterdam en 1963. Pour la première fois sans doute, la prose de cet écrivain sulfureux d’une rare ingéniosité est transposée de manière remarquable. Dans la préface qu’on peut lire ICI, Betrand Abraham, le traducteur, replace l’ouvrage dans le contexte de sa parution et énumère en sept points les défis qu’il a dû relever pour restituer cette « langue dans la langue », ce « quasi-idiolecte » qui fait de la phrase de Reve une phrase reconnaissable entre toutes. Dans la première lettre, « un petit roman », nous dit Nils C. Ahl, l’écrivain relate son séjour à Edimbourg où il assiste à un congrès d’écrivains. Nombre de ses confrères (des Américains, des Français et d’autres) passent un sale quart d’heure sous sa plume. On attend la traduction du volume qui fait suite à En route vers la fin : Nader tot U (Plus près de Vous, 1966), autre livre culte aux Pays-Bas de ce Néer- landais qui a passé une partie de sa vie dans le magnifique village drômois du Poët Laval. (une émission de radio Paludes consacrée à En route vers la fin : ICI et un entretien savoureux de 1969 en anglais entre Gerard Reve et le critique H.A. Gomperts : ICI).
Toujours dans la rubrique des critiques, Jean-Luc Léonad consacre un papier à l’auteur de polars Pieter Aspe (lire ICI) et Ingrid Wasiak au premier roman de Labia Fàbregas (La Fille aux neuf doigts, traduit du néerlandais par Arlette Ounanian, Actes Sud). Quant à Vic Nachtergaele, il s’arrête sur le tome 9 de la Correspondance de Michel de Ghelderode. Dans sa rubrique « Actuelles », Hans Vanacker passe pour sa part en revue Marcel Proust, esthétique et mystique du spécialiste de la mystique brabançonne Paul Mommaers ; Pays-Bas : la tentation populiste de l’historien Christophe de Voogd ; Les Peintres belges actifs à Paris au XVIIIe siècle à l’exemple de Jacques François Delyen, peintre ordinaire du roi de Gérard De Wallens ; et pour finir le recueil bilingue du poète flamand Stefaan Van Den Bremt Vogeltekens - Augures, d’après des miniatures de Solange Abbiati.
Dans ce numéro de Septentrion, plusieurs pages reviennent sur l’itinéraire du poète, voyageur et homme de théâtre Ramsey Nasr qui mêle dans son œuvre veine romantique et souci d’engagment. Trois poèmes (en version originale et en traduction française) illustrent la singularité de cette œuvre qui repose pour une bonne part sur le talent déclamatoire de l’auteur. Un volet « poésie » propose par ailleurs, également dans les deux langues, « Le dernier cru » : six poèmes de six auteurs différents, choisis par Jozef Deleu (poète qui a fondé Septentrion* en 1972). Enfin, l’atelier que dirige Christian Marcipont offre la traduction d’un passage du roman Beleg du Flamand Tom Naegels.
A côté de toutes ces pages « littérature », on retiendra la contribution de l’éminent historien H.L. Wesseling, dont on a pu lire en français Le Partage de l’Afrique et Les Empires coloniaux européens (trad. Patrick Grilli, Gallimard, 2002 et 2009). Dans « Histoire et justice ou l’historien et la loi », le Néerlandais, signataire de l’Appel de Blois, s’interroge sur les normes plus qu’étranges qu’impose le législateur français aux historiens à travers les lois Gayssot-Fabius, Taubira, etc. Enfin, il convient de mentionner l’article que Dorien Kouijzer consacre à La Noblesse de l’Esprit. Un idéal oublié (trad. David Goldberg, préface de George Steiner, éditions NiL, 2009), un ouvrage de réflexion dans lequel il est beaucoup question de Thomas Mann.
H. Vandekerckhove, An Early Morning Visist (détail), 2004
Mais dans Septentrion, les amoureux des arts plastiques trouvent en général eux aussi leur bonheur. Au menu cette fois : Annelies Planteijdt et ses colliers, le peintre Hans Vandekerckhove, ses prédécesseurs David et Pieter Oyens, l’exposition « De Van Eyck à Dürer » organisée à Bruges…
« L’action de la poésie est extraordinaire sur les jeunes filles !
Et si on ne se gardait pas, quel roman ! » F. M.
Dans un billet consacré à Vondel, nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer Frédéric Mistral. Passons de l’homme public, invité à représenter la France aux Pays-Bas à l’occasion du troisième centenaire de la naissance du grand écrivain du Siècle d’or, à l’homme privé. C’est un ouvrage magnifique qui nous en offre l’occasion : Frédéric Mistral. Illustre et méconnu, de Gérard Baudin, félibre mainteneur depuis 2006, collectionneur de tout ce qui touche à cette figure provençale majeure et fondateur du Conservatoire documentaire et culturel Frédéric Mistral. Publié cette année aux HC éditions, ce livre - dont la couverture reproduit un portrait réalisé par Nadar - propose un retour sur la vie du poète de Maillane à travers des centaines de documents iconographiques (en noir et blanc et en couleur). Le texte savoureux et fourmillant de détails s’arrête assez longuement sur les amours mistraliennes, un chapitre pas toujours exploré par les biographes du Don Juan Mistral. Gérard Baudin passe en revue les femmes qui ont occupé une place dans le cœur ou dans l’esprit du père du Tresor dóu Felibrige, nous donnant à lire des extraits de sa correspondance : « Ma belle amie répondit à mes lettres volcaniques par une très gentille proposition de mariage. » Ou, à propos d’une fille de boucher qu’on lui propose d’épouser : « […] la profession du beau-père nous fournira le motif d’armes superbes à savoir : un sanglier de gueules ravageant l’or d’un champ de blé… et puis quelque panégyriste pourra me comparer un jour au troubadour Bertrand de Marseille, qui aima et chanta Porcelette des Porcelets. » Mais point de mariage encore : « […] au diable les chastes épouses qui châtrent l’imagination de leurs maris poètes, vive les belles maîtresses… » Au sujet d’une jeune femme qui a la moitié de son âge et qui l’invite à la rejoindre alors qu’ils ne se sont jamais vus : « Je pars pour Uriage, moins pour prendre les eaux que pour me faire prendre… c’est toute une histoire… » En 1894, à propos d’une autre : « L’action de la poésie est extraordinaire sur les jeunes filles ! Et si on ne se gardait pas, quel roman ! »
Jeanne Detourbey (détail, 1862), dont Mistral fut amoureux
Parmi ces femmes qui ont séduit le séducteur, il y eut une servante de son père, qui lui a donné un fils – enfant que Frédéric ne reconnaîtra pas et dont l’une des arrière-petites-filles est la comédienne Andréa Ferréol –, Louise Colet et une certaine Marie Meersmans (Bruxelles, 1820 - Paris, 1903), dite Estelle de Moolle, dite la grande Thérèse, dite comtesse de Sainte Marcelle, « Flamande au teint de lait », fille naturelle et courtisane qui a tenu un salon littéraire à Paris, connue aussi pour avoir été la maîtresse de Gambetta et celle de Mistral. Comme dans nombre de cas, c’est la femme qui a fait le premier pas en adressant une lettre au poète. Ils se rencontrent à Lyon, se reverront à Paris, même après qu’il eut épousé la jeune Bourguignonne Marie Rivière (« La fillette n’est pas précisément jolie, mais elle est éminemment gracieuse, distinguée et intelligente, une vraie nòvio de poète… », écrit-il à propos de sa future). La seule fois où Marie Meersmans fera le voyage dans son entier de Paris à Maillane, ce sera dans son cercueil : elle a demandé à être inhumée dans le cimetière du village de Mistral, son ami auquel elle a légué sa fortune et ses papiers. Elle repose à quelques mètres du tombeau du prix Nobel.
L’Intermédiaire des chercheurs et curieux, 30/11/1934, p. 862
Un caractère bien trempé que cette Flamande ainsi que le prouvent quelques passages des lettres - semble-t-il retrouvées entre-temps - qu’elle adressait à son « professeur de provençal » : « Ta femme, Marie, elle est laide, je le sais, très bas-bleu, comme tu dois rire d’une femme qui voudrait te captiver avec la poésie… » Et : « Quant aux fillettes dont tu me parles pour me faire jalouse, je t’assure, cela me laisse bien calme : je te sais trop friand de propreté, de frais parfums, d’ongles propres : toi, avec tes belles mains blanches, tu ne toucherais pas avec un vif plaisir les restes des garçons d’écurie qui se lavent toutes les fois qu’ils tombent dans le Rhône. »
Mistral par F.A. Clémént, 1885, détail
Outre les pages qui reviennent sur les principaux évènements ayant marqué l’existence de l’illustre et méconnu Provençal (« Mai de soun noum li grihet brun / Canton soulet la survivènço »), le lecteur découvrira dans ce livre un chapitre intitulé « Mistral et les arts ». Il est consacré aux innombrables effigies du poète réalisées par des peintres, des dessinateurs, des sculpteurs, des graveurs, des médaillistes… et des caricaturistes. Un trop bref passage s’intéresse aux quatrains publicitaires qu’il a composés pour vanter les mérites de certains produits et aux réclames qui ont utilisé son nom ou les titres et hé- roïnes de ses œuvres.
Heureuses amoureuses de l’œuvre mistralienne qui pou- vaient, dans les années qua- rante et cinquante du siècle passé, porter des parfums baptisés Calendal et Îles d’Or, vendus dans des flacons signés Lalique.
Le mot de l’éditeur
Il aurait pu devenir notaire, avocat, magistrat, député, ministre peut-être. Mais ne supportant pas de voir sa langue maternelle reléguée au rang de patois, Frédéric Mistral préfère se faire poète. Mieux encore ! Il fait vœu de restaurer son idiome par la poésie, se faisant l’apôtre des pays d’Oc. De tous les grands écrivains et poètes, il est le seul au monde qui, par la poésie chantant sa province et composée dans sa langue régionale répudiée par les écoles de France, ait été couronné du prix Nobel de Littérature. Au fil des ans, si le nom du Mistral survit, le souvenir de son œuvre s’estompe. Les écoles ont depuis longtemps évincé ses écrits. Pour cause : ses poèmes et sa prose, dont toute la sève coule de sa langue maternelle, sont exagérément rangés sur les étagères des langues minoritaires, du folklore. Aussi, chaque citation, chaque article, chaque ouvrage nouveau s’élève en barricade contre l’oubli de sa mémoire, contre l’oubli d’une langue, contre l’oubli tout simplement.
Lors des commémorations du centenaire de la naissance de Frédéric Mistral, en 1930, on pouvait lire dans un grand quotidien : « Il y a trop de Français qui ne savent pas que le nom de Mistral peut être prononcé comme celui d’Homère, comme celui de Virgile, comme celui de Goethe…Tous les Français devraient “connaître Mistral”, qui ne fut pas un poète provençal ; qui est un poète universel, qui est un poète de la grandeur, de la fierté, de la noblesse, de l’émotion la plus haute, de l’expression la plus pure... »