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pays-bas - Page 23

  • De Dunkerque à Vlieland, de Hadewijch à Hafid

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    Lettres néerlandaises :

    impressions d’un lecteur français

     

     

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    Petite incursion dans ma bibliothèque : Histoire de la littérature flamande (A. Snellaert, 1849), De la littérature néerlandaise à ses différentes époques (J.A. Alberdingk Thijm, 1854), La Vie littéraire de Marnix de Sainte-Aldegonde et son « Tableau des Differends de la Religion » (G. Oosterhof, 1909), La Littérature flamande contemporaine (A. de Ridder, 1923), Conrad Busken Huet et la littérature française (J. Tielrooy, 1923),  Bilderdijk et la France (J. Smit, 1929), Le Réveil littéraire en Hollande et le naturalisme français (1880-1900) (J. de Graaf, 1938), Panorama de la littérature hollandaise contemporaine (J. Tielrooy, 1938), Les Sœurs Loveling (H. Piette, 1942),lettres néerlandaises,traduction littéraire,flandre,pays-bas,édition  Alluvions et nuages. Courants et figures de la littérature hollandaise contemporaine (A. Romein-Verschoor, 1947), La Littérature belge de langue néerlandaise (K. Jonckheere, 1958), La Littérature néerlandaise (P. Brachin, 1962), Jan Slauerhoff (1898-1936). L’homme et l’œuvre (J. Fessard, 1964), Vondel et la France (W. Thys, 1988), la volumineuse – plus de 900 pages – Histoire de la littérature néerlandaise (réd. H. Stouten, J. Goedegebuure & F. van Oostrom, 1999), L’œil de l’eau. Notes sur douze écrivains des Pays-Bas (J. Beaudry, 2002)…

    lettres néerlandaises, traduction littéraire, Flandre, Pays-Bas, éditionJe m’abstiens de mentionner les anthologies disponibles en langue française comme la traduction d’œuvres majeures ou totalement oubliées. D’énumérer les revues qui ont tenu une chronique sur les lettres néerlandaises, contiennent des contributions sur Multatuli, Hella. S. Haasse ou Paul van Ostaijen, présentent en traduction des poèmes de Lucebert, Peter Holvoet-Hanssen ou Onno Koster, de la prose de Hafid Bouazza, de Jan Arends ou encore de Hugo Claus. Ces publications se comptent par centaines. Certes, beaucoup parmi celles de l’ère anté-informatique s’empoussièrent dans de rares bibliothèques ou chez tel bouquiniste de Béziers ou d’Anvers, mais il suffit de passer en revue la bibliographie établie en 1999 par J. Verbij-Schillings pour constater que nombre de productions du XXe siècle et d’un plus lointain passé ont été traduites, certaines avec maestria, et qu’avec un peu de ténacité, un néophyte de langue française peut se forger une assez bonne idée des lettres néerlandaises sans avoir forcément accès aux textes originaux. Si l’on attend toujours une traduction de certaines œuvres en prose (les Nederlandsche Historien de P.C Hooft, Van de koele meren des doods de F. van Eeden, Het ivoren aapje de Herman Teirlinck, des romans et nouvelles de F. Bordewijk, J. van Oudshoorn, Willy Spillebeen, Eenzaam avontuur de Anna Blaman, De Zondvloed de Jeroen Brouwers, Dubbelspel de F.M. Arion, de nouvelles traduction des romans de Louis Paul Boon et de Maurice Gilliams… sans oublier la grand classique de la littérature jeunesse Jip en Janneke) et de celle de poètes majeurs (M. Nijhoff, G. Achterberg, Jan van Nijlen…), de plus en plus d’auteurs contemporains, voire des « classiques » du proche passé (le Max Havelaar de Multatuli, une grande partie de l’œuvre de Hugo Claus, les deux romans les plus connus de W.F. Hermans, quelques titres de Gerard Reve, Simon Vestdijk, J. Slauerhoff, les premiers recueils de Lucebert…) sont aujourd’hui offerts à la curiosité des lecteurs et donnentlettres néerlandaises,traduction littéraire,flandre,pays-bas,édition parfois lieu à une chronique radiophonique circonstanciée ou à des recensions élogieuses (certes il y a aussi des critiques littéraires tout aussi peu scrupuleux que la mère d’Alfred Issendorf – le personnage central de Nooit meer slapen –, ainsi que le prouve l’article paru dans un magazine spécialisé à propos justement du roman Ne plus jamais dormir, traduction de ce même Nooit meer slapen). Dans la sphère francophone, la littérature néerlandaise demeure donc une terre totalement inexplorée uniquement pour ceux qui ne prennent pas la peine d’ouvrir les livres en vente chez les bouquinistes ou publiés depuis un certain temps par des éditeurs ayant pignon sur rue (Actes Sud, Gallimard, Le Seuil, Albin Michel, Héloïse d’Ormesson, Belfond, L’Âge d’homme, Le Castor Astral, Bourgois…).

    lettres néerlandaises, traduction littéraire, Flandre, Pays-Bas, éditionAutrement dit, de nombreux efforts ont été faits pour mettre en valeur tant des auteurs flamands que des auteurs néerlandais, certains ayant d’ailleurs eu l’honneur de collections plus ou moins prestigieuses. Ainsi, à la fin du XIXe siècle, « La Nouvelle Bibliothèque Populaire », dans des fascicules à la portée de presque toutes les bourses et très largement diffusés, a accordé, parmi un total de 500 auteurs français et étrangers présentés dans une notice biographique et littéraire souvent bien documentée, une place à une œuvre de J.J. Cremer, Alberdingk Thijm, Hildebrand, Bilderdijk, Conrad Busken-Huet, Erasme et de Joost van de Vondel. Plus près de nous, la célèbre série des « Poètes d’aujourd’hui » éditée par Pierre Seghers – maison qui avait déjà donné en 1954 Par-delà les chemins d’Adriaan Roland Holst – a pu consacrer un volume à Guido Gezelle et un autre à Karel Jonckheere. Celle dirigée par Claude Michel Cluny aux éditions La Différence a proposé dans les années 1990 une anthologie Cobra ainsi qu’un large choix de la poésie des Flamands Karel van de Woestijne et Leonard Nolens.

    lettres néerlandaises,traduction littéraire,flandre,pays-bas,éditionSi je tiens à relever la présence de toute ces publications, c’est pour corriger un peu l’image que beaucoup se font et qui était d’ailleurs la mienne voici un quart de siècle lorsque la littérature néerlandaise n’était encore pour moi qu’une terrae incognitae. Comme beaucoup de Français, j’ignorais jusqu’au nom de Multatuli, n’avais jamais entendu parler de Vondel ni de Willem Frederik Hermans. L’outil Internet n’existant pas encore, je n’avais pu prendre connaissance, à 1000 kilomètres de la Flandre, de l’abondance des textes disponibles en langue française. Certes, à plus d’une occasion, la découverte palpitante d’un ouvrage d’occasion ne tardait pas à se traduire par un certain désappointement : la médiocre transposition ne m’encourageait guère à lire les auteurs flamands ou bataves dans une autre langue que la leur.

    lettres néerlandaises,traduction littéraire,flandre,pays-bas,éditionL’énumération du premier paragraphe se veut en quelque sorte un hommage aux histoires de la littérature, non tant à celles parues en français, qu’à celles de Jonckbloet, Te Winkel, Knuvelder, Anbeek ou encore aux ouvrages collectifs Twee eeuwen literatuurgeschiedenis et Nederlandse Literatuur, een geschiedenis. Un hommage aussi aux découvreurs et éditeurs de textes médiévaux et aux biographes. Les épais volumes de Wim Hazeu, Hedwig Speliers, Gé Vaartjes, Frédéric Bastet, Harry G.M. Prick, Jan Fontijn, Michel van der Plas, Marco Daane et de bien d’autres sont autant de voyages au long cours au fil desquels il nous est loisible de faire escale, le temps de reprendre en main un ouvrage de Vestdijk, de Frederik van Eeden, de Richard Minne, de Louis Couperus…

     

    lettres néerlandaises,traduction littéraire,flandre,pays-bas,éditionSans certains de ces volumes, qui présentent chacun ses qualités et ses défauts, il n’est guère possible à un étranger d’explorer en profondeur l’exotique terre des lettres néerlandaises : « dat is een land waar je nergens vaste rots onder je voeten hebt ! » dirait le professeur Nummedal. Car il s’agit bien, lorsqu’on découvre, en partant de zéro, une littérature étrangère, d’une expérience de l’exotisme au sens que donne à ce terme Victor Segalen. Parallèlement à cette exploration se constituent des îlots au gré des lectures des œuvres littéraires elles-mêmes. Des îlots : l’œuvre ou une partie de l’œuvre d’un auteur donné, plus rarement les meilleurs fruits d’un courant littéraire.

    Si le hasard, la curiosité sont pour beaucoup dans ces découvertes et dans la création progressive d’un « canon » personnel, un livre offert, un simple conseil peuvent aussi favoriser l’engouement pour un auteur donné. À cela, il convient d’ajouter, en ce qui me concerne, une manie : les chemins de traverse. Le désir de lire nombre d’œuvres a en effet été éveillé et continue de l’être par des « intermédiaires », des « passeurs », en particulier des lettrés francophiles qui m’entraînent dans leur sillage à travers leur perception de leur propre culture et de la culture française, autrement dit des auteurs qui ont fait une démarche similaire à la mienne mais dans le sens inverse. Ainsi, c’est toujours un régal de parcourir des auteurs comme Frans Erens, W.G.C. Byvanck, Alexander Cohen, J. Tielrooy, André de Ridder et d’autres dont le nom ne me vient pas immédiatement à l’esprit… Les écrivains d’expression française qui permettent d’entrer dans l’univers néerlandophone sont encore trop rares, mais ils existent. lettres néerlandaises, traduction littéraire, Flandre, Pays-Bas, éditionAu XIXe siècle, un Alphonse Esquiros et un Xavier Marmier ont évoqué les figures de Bilderdijk, d’Isaac da Costa, de Nicolaas Beets ou de Jacob van Lennep. À notre époque, le poète Jean-Claude Pirotte nous invite en Gueldre, rend hommage à Eddy du Perron. Le natif de Dunkerque Claude-Henri Rocquet offre un retour sur la vie et l’œuvre de Ruusbroec. Empruntant les pas d’un des romanciers français majeurs, à savoir Jean Giono, nous nous immisçons dans l’atelier de l’un de ses confrères, pacifiste comme lui, auteur qui lui apparaît comme un « chimiste de la joie » : « Je ne connais pas Antoon Coolen. C’est actuellement le seul homme que je voudrais connaître. […] Dans ce livre, tout est à la même profondeur. Je veux dire qu’il y a accord parfait entre la tragédie et le plus minuscule détail. […] Le ton d’une voix, la veste d’un villageois, le cochon qui lettres néerlandaises, traduction littéraire, Flandre, Pays-Bas, éditionfouille la boue, le couvent de la charité, et même les gendarmes, tout est d’accord. Je ne dirai par que c’est le grand talent d’Antoon Coolen ; c’est plus. C’est plus important que du talent. C’est qu’il est l’expression même de la profondeur à laquelle se passe le drame. Il est l’homme exact. Il est l’enfant du monde. » Une préface comme celle donnée en 1936 par Giono à l’édition française (Grasset) du roman de Coolen De goede moordenaar – dont est tirée cette citation – peut faire bien plus que des pages érudites ou des discours savants pour favoriser la reconnaissance d’un écrivain hollandais en France ; ce n’est pas un hasard si Le Bon assassin a été réédité à Paris en 1995, recueillant des éloges dans le quotidien français le plus en vue. André Gide a signé pour sa part la préface du premier roman néerlandais paru en traduction aux éditions Gallimard, Zuyderzée (1938) de son ami Jef Last : « Last est moins un romancier qu’un poète ; où, si l’on veut, c’est un romancier à la manière de Knut Hamsun. » Trop rares aussi les Xavier Hanotte, romancier wallon qui a donné de belles traductions de Hubert Lampo, Doeschka Meijsing, Walter van den Broeck, Ward Ruyslinck, Maarten ’t Hart, Willem Elsschot… Les traducteurs font eux aussi partie de ces passeurs qui attirent notre attention sur un livre donné tout en nous incitant à revenir à l’original. Parmi ceslettres néerlandaises,traduction littéraire,flandre,pays-bas,édition devanciers, il y a par exemple l’homme de lettre néerlandais d’expression française, Auguste Clavareau qui a laissé d’innombrables transpositions de poésies (De Hollandsche Natie de J.F. Helmers, De overwintering der Hollanders op Nova Zembla de H. Tollens, Kleine gedichten voor kinderen de H. van Alphen…). Et plus récemment Philippe Noble qui, depuis Le Pays d’origine (Gallimard, 1980, préface d’André Malraux) a donné ses lettres de noblesse à la traduction des créations néerlandaises (Eddy du Perron, Cees Nooteboom, Harry Mulisch, Etty Hillesum, J. Bernlef…).

     

    lettres néerlandaises, traduction littéraire, Flandre, Pays-Bas, éditionCes publications diverses et multiples évoquées ci-dessus font partie intégrante à mon sens de la littérature néerlandaise, même si bien entendu une traduction entre dans un autre domaine linguistique. Pourquoi, malgré ces montagnes de papier, cette littérature reste aussi mal connue en France, pays après tout de Michiel de Swaen, « le plus talentueux des poètes de son temps » (E.K. Grootes) ? Quelques explications peuvent être avancées, je n’en tiens aucune pour concluante et me contente de les livrer à titre de réflexion. Une première réside en France même : l’État jacobin s’étant employé à éradiquer les langues régionales et la religion dominante, le flamand, défendu essentiellement par le clergé et des érudits catholiques, a été celle qui a le plus souffert – le morcellement du flamand en parlers locaux et les répercussions de l’ère napoléonienne ont pesé aussi dans la balance. Les Camille Looten et autres Vital Celen qui ont tenté de défendre le patrimoine littéraire local ont livré un combat perdu d’avance. Le mépris affiché par les élites – y compris celle qui incarne les études germaniques – pour le « patois » de l’extrême nord-est du territoire n’a pas encouragé les plus curieux à traverser la frontière. Le flamand de Belgique, longtemps relégué « à la cuisine et à la taverne », a d’ailleurs lui aussi souffert d’un tenace préjugé : les lettres néerlandaises,traduction littéraire,flandre,pays-bas,éditiongrands écrivains flamands d’expression française de la fin du XIXe siècle et des décennies suivantes ont sans doute, par leur choix d’écrire dans la langue de la bourgeoisie, conforté cet a priori. Malgré le succès commercial d’un Conscience en France – au XIXe siècle, 160 éditions françaises de ses œuvres ont paru –, malgré une littérature qui venait de renaître de ses cendres, on a considéré pendant longtemps le flamand comme une langue peu appropriée à l’écriture de grandes œuvres. C’est ce qu’a encore affirmé un écrivain français il y a peu à l’antenne d’une radio parisienne. Sur cela sont venues se greffer des problématiques purement belges : les traductions de romans et recueils de poésie publiées en Belgique même restent souvent ignorées à Paris ; ces traductions, souvent faites dans le passé par des Flamands, ne présentaient pas toujours les qualités requises pour séduire un lectorat exigeant ; par ailleurs, le microcosme des lettres n’a pas forcément toujours favorisé la transposition en français des meilleurs livres. Côté batave, d’autres obstacles ont contrarié une meilleure connaissance de la production locale à l’étranger. La littérature n’y a jamais joui d’un crédit comparable à ce qu’il a pu être dans un pays comme la France. Je ne suis pas près d’oublier les paroles d’une poétesse néerlandaise avec qui j’ai échangé quelques phrases à Paris. Me demandant qu’elle était mon activité : « Traducteur de littérature néerlandaise », elle a rétorqué : « O, wat zielig ! » Depuis qu’une politique sérieuse d’aide à la traduction a été mise en place (la chose vaut aussi en Flandre), on remarque une amélioration sensible des choses. Ainsi que l’écrivait M.A. Orthofer dans le numéro précédent de la revue De Revisor, « Yet even without relying on some of its greatest names - Bordewijk, Reve, Voskuil, among others - Dutch littérature has established itself internationally. » Nous ne pouvons donc plus faire nôtre les propos que tenait l’académicien Edmond Jaloux il y a ¾ de siècle. Soulignant que les lettres néerlandaises,traduction littéraire,flandre,pays-bas,éditionpouvoirs publics n’avaient jamais rien fait pour que la littérature du cru fût connue à l’étranger, il estimait à juste titre que la Hollande s’était « enfermée dans une attitude d’aristocratique secret » : « C’est un sort tragique que celui des écrivains néerlandais qui parlent une langue inconnue hors de chez eux et de la Flandre. De plus, et par un mystère incompréhensible, personne n’a jamais voulu s’intéresser à leurs œuvres. On a fait un sort à des petits poètes tchécoslovaques, yougoslaves, etc., etc., et les meilleurs écrivains de Hollande n’ont point trouvé de répondant dans l’Europe lettrée. Il faut que cela tienne en partie à leur caractère fermé et quasi-insulaire, car j’ai fait moi-même diverses démarches pour interrompre cet état de choses et n’ai trouvé d’appui nulle part, et surtout pas en Hollande ». Un dernier constat s’impose, lisible dans bon nombre des titres mentionnés plus haut : le savoir a été transmis le plus souvent par les néerlandophones eux-mêmes, dans un français parfois approximatif ; tant qu’il n’y aura pas en France une « caste » d’amateurs de cette littérature septentrionale – universitaires, écrivains, journalistes et autres –, celle-ci n’acquerra pas la place qui lui revient.

     

    lettres néerlandaises,traduction littéraire,flandre,pays-bas,éditionQuelles impressions me laissent cette littérature elle-même ? La production récente reflète-t-elle encore « cette modération si humaine, cette tolérance, ce génie de l’intimité, cet amour de la réalité et du détail saillant (dont parlait Victor van Vriesland en 1965 dans sa préface aux Nouvelles néerlandaises des Flandres et des Pays-Bas) qui, de tout temps, ont été dans le caractère néerlandais, sans pour cela éliminer l’élément imaginatif, voire visionnaire, de sa vie intérieure » ? Convient-il d’insister sur la veine autobiographique de bien des romans, sur la dominante citadine ou rurale, sur la composante sociale ou psychologique, sur l’apport des écrivains d’origine étrangère, sur la place qu’occupe encore la deuxième guerre mondiale en Hollande ou la première en Flandre ?  Est-il d’ailleurs question d’une séparation bien nette entre Pays-Bas et Flandre ? Est-il pertinent, à l’instar de nombre d’observateurs européens, d’établir des comparaisons entre l’art du romancier et celui du peintre ? Devant la profusion de titres qu’on recense chaque année dans cette petite aire culturelle, il s’avère en réalité bien difficile de dégager quelques lignes de force. Il serait aisé de trouver quatre ou cinq romans de qualité apportant un démenti à une assertion trop générale. Peut-être est-il au fond préférable de s’en tenir à quelques remarques lacunaires de dilettante.

    lettres néerlandaises,traduction littéraire,flandre,pays-bas,éditionLa chose la plus curieuse certainement, c’est de voir que l’apothéose a eu lieu très tôt, alors même qu’il n’était pas encore du tout question de littérature néerlandaise et que l’idiome était loin d’être « fixé » comme il peut l’être aujourd’ hui. Avec les poèmes et autres textes de la mystique Hadewijch, un sommet a en effet été atteint dès le XIIIe siècle. Rares sont les pages qui témoignent d’une telle perfection où l’écrit, le dit, le chanté, le vécu intérieur sont en parfaite osmose. Le Verbe et le corps se rejoignent avec virtuosité, un courant vital passe dans le tissu que composent les éléments verbaux en vue de transformer de l’intérieur auditeur et lecteur. Bien entendu, d’autres genres comme le théâtre, la nouvelle, le roman ou encore la novelle ont permis à des auteurs plus récents d’affirmer un talent incontestable, mais ceux qui parviennent à suggérer la douceur, la violence ou le désir avec une même intensité ne sont pas forcément légion.


    lettres néerlandaises,traduction littéraire,flandre,pays-bas,éditionAutre donnée frappante : le vieillissement assez rapide de la langue qui s’accompagne parfois d’un appauvrissement du style. Quand on goûte la prose d’un Couperus, d’un Van Deyssel, d’un Gilliams, on est frappé de constater que d’aucuns la trouvent indigeste, trop sophistiquée, redondante de gallicismes. En France, le décalage est moindre entre des écrivains fin de siècle, ou encore un Paul Gadenne, et un Pierre Michon, un Guy Dupré, un Julien Gracq. L’appauvrissement du style est manifeste dans quantité de romans que je suis amené à lire pour des éditeurs parisiens.

    Dans le roman contemporain, tant aux Pays-Bas qu’en Flandre, l’influence de la culture anglo-saxonne au sens large semble plus prononcée encore qu’en France, et cela va peut-être de pair, chez les jeunes générations, avec un désintérêt pour le passé littéraire national ; il est rare de relever parmi celles-ci un intérêt pour les grandes figures du siècle d’Or – intérêt qu’avait montré pour sa part le trop tôt disparu Frans Kellendonk dans Geschilderd eten – ou des prédécesseurs plus proches. Sans forcément remonter jusqu’à Stijn Streuvels ou à Louis Paul Boon, la prose flamande conserve malgré tout une saveur particulière, de par le vocabulaire ou l’approche des sujets, par exemple chez Leo Pleysier, Geertrui Daem, Erik Vlaminck ou le nouveau venu Jan Vantoortelboom. Pouvoir passer d’un universlettres néerlandaises,traduction littéraire,flandre,pays-bas,édition typiquement batave (Boven is het stil de Gerbrand Bakker, De vedronkene de Margriet de Moor…) à une atmosphère (rurale) flamande teintée de formes (pseudo-) dialectales n’est pas sans charme. Pour un regard étranger, l’un des attraits de la Hollande littéraire réside dans les fenêtres que l’on peut entrouvrir sur d’autres domaines linguistiques – l’afrikaans et le frison – et ouvrir toutes grandes sur quelques contrées lointaines. La « styliste délicieuse » Augusta de Wit, la militante Beb Vuyk, le raffiné Couperus, la perfectionniste Hella S. Haasse, le feuilletoniste P.A. Daum, le conteur Johan Fabricius, le subtil A. Alberts, la tardive Maria Dermoût, Rob Nieuwenhuys alias Breton de Nijs, Tjalie Robinson alias Vincent Mahieu et bien d’autres nous entrainent, chacun à sa manière, en Indonésie ou aux Moluques, évoquant qui ses jeunes années, qui les facettes contrastées du colonialisme, qui les beautés ou les forces obscures de la nature. Autant de fresques auxquelles il convient d’ajouter le « rouge décanté » (bezonken rood) des camps japonais. Tournons la tête, et nous voici aux Antilles (F.M. Arion, Tip Marrug, Cola Debrot…) ou au Surinam (Albert Helman, Edgard Cairo…).


    lettres néerlandaises,traduction littéraire,flandre,pays-bas,éditionPour ce qui est des différents genres littéraires, quelques-uns excellent à tous les pratiquer. Retiré sur l’île de Vlieland ou se frottant à ses détracteurs à Amsterdam, Willem Jan Otten mène ainsi, y compris dans son théâtre, une quête autobiographique en profondeur bien éloignée des relations sans saveurs qui remplissent les épais volumes d’une Frida Vogels. Des genres que questionne aussi sans répit quelqu’un comme le Flamand Stefan Hertmans. Depuis Louis Paul Boon, trop peu de romanciers peut-être laissent parler une imagination débordante aux dimensions épiques ; dans des registres très différents, Tomas Lieske, Thomas Rosenboom ou encore Stefan Brijs savent créer de véritables univers romanesques aux antipodes de la continence calviniste ou de la veine neurasthénique. Après l’inimitable Gerard Reve, Stephan Enter et Hafid Bouazza se sont affirmés comme des stylistes hors de pair. Virtuose, ce dernier charrie dans sa phrase l’idiome du passé. Au brio stylistique, Jeroen Brouwers joint pour sa part une savoureuse verve polémique dans la lignée d’un W.F. Hermans ; il a par ailleurs le grand mérite, comme quelques autres Néerlandais exilés au Sud, d’observer la Flandre de l’intérieur et d’être une passerelle, ce dont témoignent ses essais sur le monde éditorial et nombre de ses confrères. Avec l’essayiste Robert Lemm, les Pays-Bas ont trouvé leur Léon Bloy. Et avec entre autres Hella S. Haasse qui vient de nous quitter, Margriet de Moor et Hélène Nolthenius (décédée en 2000), de remarquables ambassadrices du roman « historique ». Un humour tout enlettres néerlandaises,traduction littéraire,flandre,pays-bas,édition finesse se rencontre chez F. Springer, celui d’Adriaan van Dis étant d’une facture plus typiquement batave ; quant à Arnon Grunberg, il opte souvent pour une fibre plus caustique. La prose courte (kort verhaal, novelle) permet à certains d’acquérir l’immortalité littéraire (Nescio, Cola Debrot, C.C.S. Crone…). Pour ce qui est de la littérature jeunesse, il convient de saluer et le talent de certains à transgresser la barrière des âges et la maestria des illustrateurs (c’est grâce à eux que bien des albums attirent l’attention des éditeurs étrangers). Relevons encore un  souci de qualité littéraire chez quelques jeunes bédéistes.

     

      

    lettres néerlandaises,traduction littéraire,flandre,pays-bas,éditionEn Hollande et en Flandre, comme partout ailleurs, des poètes se lèvent plus ou moins à chaque génération, voire à chaque décennie, pour dénoncer immobilisme, stérilité et défaut de ceci ou de cela chez leurs devanciers. Gerrit Kouwenaar, qui, à bientôt 90 ans, fait sans doute un peu figure d’ange tutélaire, a défendu à une époque « le poème en tant que chose » (het gedicht als een ding). Son approche a bien entendu subi les attaques de nouveaux venus. Au final, l’essentiel ne réside pas tant dans ces disputes que dans la coexistence de diverses poésies qui se renouvellent sans cesse, y compris peut-être la plus populaire, souvent poésie de circonstance qui recueille un succès stupéfiant aux Pays-Bas. La poésie y est en effet présente tant lors de fêtes familiales, des obsèques que dans la presse et à la télévision. La couverture médiatique à laquelle ont donné lieu l’annonce de la disparition de Simon Vinkenoog et ses funérailles est sans comparaison avec ce dont « bénéficierait » un prix Nobel de littérature en France. La désignation d’un « prince des poètes » constitue une sorte d’événement national de même que la Journée de la Poésie. Chaque grande ville a aujourd’hui son poète officiel (le phénomène existe aussi en Flandre). Dans l’esprit du public, cela peut générer une certaine confusion entre la poésie « sérieuse » et la poésie « poétique » au sens péjoratif du terme. Pour un Français, la découverte de recensions de recueils de poésie dans les principaux organes de presse ne manquait pas d’étonner ; mais cette place accordée par les journaux au genre en question appartiendra sans doute bientôt au passé. Même si une partie des poètes flamands majeurs sont publiés à Amsterdam, c’est peut-être dans le domaine de la poésie que la différence est la plus prononcée entre les deux aires néerlandophones. Il est sans doute exagéré de parler de deuxlettres néerlandaises,traduction littéraire,flandre,pays-bas,édition traditions séparées – les Septentrionaux lisent les Méridionaux et vice versa –, mais les influences sont autres, le ton grave et contemplatif plus propres aux Néerlandais. La poésie d’expression néerlandaise semble échapper aujourd’hui à toute catégorisation, les créations – sur papier et sur écran – les plus antagonistes se côtoient. C’est par celles-ci que cette littérature septentrionale satisfait probablement le plus à l’une des exigences majeures qui habite tout amateur : éprouver un plaisir rare à la lecture d’œuvres aux antipodes les unes des autres.

     

    Daniel Cunin

     

     

    une version plus courte de ce texte a paru en néerlandais

    dans  De Revisor, Halfjaarboek voor nieuwe literatuur 2,

    Querido, 2011 (trad. Jan Pieter van der Sterre)

     

     

  • W.F. Hermans in vertaling

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    Het werk van Willem Frederik Hermans

     

    een algemeen overzicht van de Franse vertalingen en de receptie van La Chambre noire de Damoclès (2006) en Ne plus jamais dormir (2009)

     

     

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    Dames en heren, laat ik om te beginnen het woord geven aan Willem Frederik Hermans zelf:

     

    ‘De schrijver die zichzelf in een slechte vertaling leest, krijgt een gevoel alsof er een prop in zijn mond geduwd wordt.’ (WFH, Dinky toys, 1976)

     

    tweede citaat:

    ‘Ik vind de meeste vertalingen uit het Nederlands, niet alleen van mijn boeken maar anderen ook, zeer slecht.’ (WFH in het vraaggesprek ‘Waarom schrijven’, 1983)

     

    derde citaat:

    ‘Het Nederlandse literaire prestige staat in het buitenland op geen enkele hoogte. Maar befaamd zijn is belangrijk.’ (WFH in ‘Het lijden der vertaalde schrijvers’, 1981, Klaas kwam niet )

     

    vierde en laatste citaat:

    ‘’t Lot van de vertaler is niet te benijden.’

     

    Dit zinnetje staat aan het eind van een kroniek van Hermans uit 1980, ‘Magiërs en vertalers’. ‘’t Lot van de vertaler is niet te benijden’ moet hier met een korreltje zout opgevat worden. De schrijver heeft het over John Vandenbergh, een gerenommeerde vertaler uit het Engels, die ‘a snipe of champagne’ als ‘een kalkoentje champagne’ vertaalde. Een vondst waarvan Hermans onder de indruk was ‘want, groot liefhebber van de prikdrank in kwestie, kon ik niet begrijpen waarom de term “kalkoentje” mij totaal onbekend was. Ik heb het opgezocht in Van Dale. Het blijkt een flesje met een inhoud van 0,2 liter te zijn. Nou goed. Ik drink champagne nooit uit zulke kleine flesjes als Vandenbergh klaarblijkelijk. ’t Lot van de vertaler is niet te benijden.’ In mijn vertaalloopbaan ben ik maar één keer door een uitgever om mijn vertaalwerk getrakteerd op een glaasje champagne – qua inhoud een kalkoentje –, namelijk door uitgeverij Gallimard naar aanleiding van Milan Kundera’s bespreking van La Chambre noire de Damoclès.

    Het lot van de vertaler is misschien niet te benijden, maar dat van de Nederlandse schrijver in den vreemde evenmin, tenminste tot voor kort. Dat blijkt uit verschillende teksten van Hermans waarin hij klaagt over zowel de onbekwaamheid van vertalers als de kwade wil van uitgevers. (Men leze bijvoorbeeld ‘Het lijden der vertaalde schrijvers’.) Koesterde de romancier nog enige hoop op internationale erkenning toen hij zich in Parijs vestigde, uiteindelijk moest hij zich erbij neerleggen dat die hoop ijdel was. Beroemd worden over de grenzen werd hem niet gegund. Een bittere teleurstelling waaraan zijn perikelen met enkele Franse en Belgische vertalers niet vreemd waren.

    WFHHeerlen4.pngPrecies elf jaar vóór zijn verhuizing naar Parijs werd voor het eerst een werk van Hermans in het Frans overgezet en gepubliceerd bij uitgeverij Le Seuil (‘De Drempel’, zou Anatole Biquart / Age Bijkaart zeggen). Voor deze Chambre noire de Damoclès tekende de Belg Maurice Beerblock, een dichter-journalist die voor- namelijk uit het Duits en het Engels vertaalde. De Franse vertaling bleef niet onopgemerkt: nog voordat de verfilming van de Donkere kamer in Cannes gepresenteerd werd en wellicht nieuwe aandacht op de roman vestigde, publiceerde Aragons communistische tijdschrift Les Lettres françaises een recensie getiteld ‘Au cœur des ténèbres’ (een verwijzing naar Conrads Heart of Darkness). France Observateur, een weekblad opgericht door oude verzetstrijders, vroeg zich af of W.F. Hermans een ‘Günter Grass néerlandais’ was.

    WFHHeerlen13.pngDesondanks sloeg de vertaling nauwelijks aan bij het Franse lezerspubliek. Daarvan heeft de geboren Amsterdammer menigmaal de schuld aan de vertaler gegeven. Die laatste heeft daar weinig last van gehad: in ’62, het jaar waarin La Chambre noire het licht zag, was hij op tweeëntachtigjarige leeftijd overleden. Pas in 1991 zou uitgeverij Le Seuil de rechten op het boek vrijgeven. Toen schreef Hermans aan Wouter van Oorschot: ‘Ik hoop dat het u lukt er iets mee te doen, bij voorbeeld een nieuwe vertaling.’ Zo’n zin laat zien dat de schrijver, ook al stond hij na enkele droevige ervaringen argwanend tegenover vertalingen van zijn werk, zich niet uitdrukkelijk verzette tegen alle vertaalplannen, zeker niet als het ging om een vertaling in een taal die hij niet beheerste. Bij zijn leven zijn er een twintigtal vertalingen in boekvorm van zijn werk gepubliceerd, en sinds zijn dood eenzelfde aantal.

     

    WFHHeerlen5.jpgHoe dan ook, in Frankrijk wilde het niet echt vlotten: de in 1965 gepubliceerde vertaling van Het behouden huis (La Maison préservée, in de bundel korte verhalen Nouvelles néerlandaises des Flandres et des Pays-Bas, Seghers, vertaald door de Brusselse dichteres Liliane Wouters) kon Hermans niet uit zijn neerslachtigheid helpen, integendeel. In totaal werden er tot aan zijn dood maar zeven korte teksten (korte verhalen, een toneelstuk en fragmenten uit romans) door verschillende vertalers in het Frans overgezet:

     

    1972: fragment uit De donkere kamer van Damokles in Anthologie de la prose néerlandaise. Pays-Bas, II, Aubier, vertaald door hoogleraar Pierre Brachin, groot kenner van de Nederlandse cultuur, maar weinig getalenteerd in het vertalen.

     

    1975: ‘La machine électrostatique de Wimshurst’ (‘De elektriseermachine van Wimshurst’ uit de bundel Een wonderkind of een total loss), in Les Lettres nouvelles, literair tijdschrift opgericht door Maurice Nadeau (1, n° 3), in een vertaling van Selinde Margueron.

     

    1979: het toneelstuk ‘Périandre’ (‘Periander’, 1974) in het Frans-Engels tijdschrift ADAM, International Review, Londen, 41, n° 410-412, vertaald door Jacques François, een Franse vriend van de auteur.

     

    WFHHeerlen12.png

     

    maart 1985: ‘Pourquoi écrivez-vous? 400 écrivains répondent’ (kort fragment uit Waarom schrijven?), supplément Libération - herdrukt in de Livre de Poche nr 4086 (1988).

     

    november 1991: het korte verhaal ‘Vers Magnitogorsk’ (‘Naar Magnitogorsk’ 1990), in het prestigieuze La Nouvelle Revue Française, n° 466, vertaald door Louis Gillet, op verzoek van de auteur grondig herzien door Jacques François.

     

    1992: ‘Préambule’ uit Paranoia, in Septentrion, n° 3, ingeleid door Jaap Goedegebuure, vertaald door Jean-Marie Jacquet.

     

    1993: fragment uit De tranen der acacia’s in de bloemlezing Prosateurs néerlandophones contemporains, Ons Erfdeel, vertaald door Jacques Fernaut.

     

    WFHHeerlen6.jpgDe meesten onder u kennen het verhaal: eind jaren tachtig zouden bij Actes Sud vertalingen verschijnen van Het behouden huis en van Nooit meer slapen. Het heeft niet zo mogen zijn: vertaler Philippe Noble, wiens vertaaltalent een paar jaar eerder door Hermans zelf werd erkend, was niet op tijd klaar. Voor Hermans een onacceptabele nalatigheid. Op zijn aandringen werd het contract vernietigd. Tot op zekere hoogte ben ik Hermans daar dankbaar voor: als hij zich soepeler had opgesteld had ik nooit Nooit meer slapen en De donkere kamer van Damokles mogen vertalen. Deze twee romans en een paar andere zouden dan waarschijnlijk bij Actes Sud al in de jaren negentig het licht hebben gezien in een uitstekende vertaling van Philippe Noble.

    Toen Gallimard uiteindelijk rond 2004 de twee meesterwerken besloot te publiceren heeft de uitgever aan drie of vier mensen gevraagd een proefvertaling te maken van de eerste hoofdstukken van De donkere kamer. Dat de erven hoge eisen stelden is begrijpelijk: ik zou hetzelfde hebben gedaan; er worden nog steeds matige vertalingen op de markt gebracht.

    CouvWFHJohann.jpgMaar in mei 2006 was het dus zover: La Chambre noire de Damoclès lag in de boekwinkel. Een voorpubli- catie van twee fragmenten was te lezen in het Vlaamse Franstalige tijdschrift Septentrion,met een beschouwing van G.F.H. Raat over de auteur en zijn werk. Zoals vaker met een Franse vertaling van een in Nederland gecanoniseerd werk heeft de Nederlandse pers bijna evenveel aandacht aan de publicatie van La Chambre besteed als de Franse kranten. ‘Frankrijk laat W.F. Hermans herkansen’ stond b.v. te lezen in De Volkskrant van 26 mei 2006. Een week eerder, had Livres-Hebdo het over ‘Een labyrintische, metafysische roman met de kwaliteiten van een thriller. (…) De auteur zou vast met de vertaling tevreden zijn geweest.’ In het nummer van juni-juli van Page, een ander vakblad voor boekverkopers, onderstreepte Parick de Sinety de nachtmerriedimensie van de roman. Op 19 augustus, sprak Rose-Marie Pagnard in de Zwitserse krant Le Temps van ‘de flambloyante en nog nooit vertoonde verbeeldingskracht van Hermans’. En dat is het zo’n beetje tot de inmiddels beroemde recensie van Milan Kundera in Le Monde van 26 januari 2007. Een paar maanden eerder had Kundera zijn Nederlandse vertaler Martin de Haan op bezoek. Hij vroeg hem: zou je me een mooie Nederlandse roman kunnen aanbevelen? De Haan verwees hem naar La Chambre noire, een half jaar eerder in het Frans verschenen. Dankzij de stem van de auteur van L’insoutenable légèreté de l’être werden enkele buitenlandse uitgevers, met name in Spanje en Tsjechië, attent gemaakt op het bestaan van het ‘œuvre capitale’ van Hermans. Naar aanleiding van het stuk van Kundera - trouwens overgenomen in de Nederlandse pers - werden ook enkele zeer positieve recensies op Internet geplaatst, één in het Arabisch, en enkele in het Frans.


    De enige kritische opmerkingen op mijn vertaling kwamen van de kant van het Hermans-magazine. In het nummer van juni 2007 somde Hermansverzamelaar Joost Glerum enkele ‘schoonheidsfoutjes’ op, kritiek die niet overal relevant was, zoals ik duidelijk mocht maken in een droit de réponse. Glerum had in elk geval de moeite genomen de vertaling van 2006 te vergelijken met die van 1962: al met al was hij zeer te spreken over de nieuwe mouture.

    Ondanks het feit dat de eerste oplage van het boek nog lang niet uitverkocht is, blijft het webloggers her en der boeien. Zo legde een zekere Inma Abbet in juli jongstleden de nadruk op de vertige de l’incertitude: ‘In de roman spelen de dingen zich af op de achtergrond van een vreemd en vervreemdend stadsbeeld. Er wordt een soort eeuwigdurende beweging opgeroepen. Dit komt tot uitdrukking in de vele taferelen die zich in treinen of trams afspelen, die in feite convergerende lijnen zijn naar een onwaarschijnlijke horizon.’

    CouvDormir2.jpgNa het artikel van Kundera had men bij de verschijning in oktober 2009 van Ne plus jamais dormir wat meer nieuwsgierigheid mogen verwachten van de Franse recensenten. Ten onrechte. Recensenten hebben geen tijd, er zijn er maar een paar, met name in België, die enig verstand hebben van Nederlandse literatuur. Galli- mard kan niet alle auteurs die de uitgeverij publiceert even goed promoten, laat staan een schrijver die niet meer leeft. Toch zijn er enkele literatuurcritici die het stukje van Kundera niet helemaal waren vergeten. In de krant Libération van 29 oktober 2009 (‘Hermans sur sols mouvants’) uitte Mathieu Lindon, zoon van de oprichter van les Éditions de Minuit, zijn bewondering door vooral enkele treffende citaten aaneen te rijgen. Zes maanden later, in La Libre Belgique (10 mei 2010, ‘Anti-héros. La route pour nulle part’), nam de criticus Jacques Hermans - geen familie! dat had Willem Frederik zeker niet gedoogd -, dezelfde citaten over als Lindon. Daarbij leverde hij commentaar op enkele aspecten en thema’s van de roman zoals de hang naar kennis, de onmogelijkheid om de medemens te kennen enzovoort. Verder zag Jacques Hermans een verband tussen het werk van zijn naamgenoot en diens twee allergrootste vrienden: ‘Willem Frederik Hermans verdedigt de stelling die zegt dat mens en wereld een surrealistische invloed ondergaan, en hierin staat hij dicht bij Gerard Reve en, tot op zekere hoogte, bij Mulisch. (…) In zijn zowel geestig als cynisch verhaal getuigt de auteur van hetzelfde wantrouwen ten aanzien van de moraal en de beschaving als Harry Mulisch in Het stenen bruidsbed (…). Nooit meer slapen kenmerkt zich door een experimenteren à la Borges, door satires à la Horatius, door een essay-stijl die aan Montaigne doet denken - kortom ontroerende emotie, humor die ontwapent en een ongedwongen stijl, teken van wijsheid.’

    Later verschenen er nog een paar oppervlakkige korte stukjes, b.v. in een vakblad voor bibliothecarissen (Envie de lire. Les coups de cœur des bibliothécaires, n° 30, automne 2010). En in het herfstnummer 2010 van Septentrion wijdde Gerard Raat een artikel aan het boek (niet aan de vertaling): ‘de roman als zoektocht, als bedevaart gezien vanuit een bovenaards perspectief - iets wat de meteoriet symboliseert, de brok steen afkomstig uit de hemel. Alleen vanuit dat perspectief kan men op objectieve wijze het menselijk leven beschouwen.’


    WFHHeerlen11.pngMaar de bespreking die wellicht onze aandacht het meest verdient, is de allereerste waarin Ne plus jamais dormir wordt verdedigd. In Livres-Hebdo van 16 oktober 2009 schreef Alexandre Fillon een stuk waar de naam van de moeder van hoofdpersoon Alfred Issendorf onder had kunnen staan. ‘Mijn moeder,’ vertelt Alfred, ‘is de grootste essayiste van Nederland. (…) Ze schrijft elke week twee artikelen voor twee weekbladen, voorts een halve pagina voor het zaterdagavond- bijvoegsel van een groot dagblad en dan ook nog, eens in de maand, een artikel voor een algemeen cultureel tijdschrift. Alles over buitenlandse literatuur. Samen dertien artikelen in de maand, waarin dertig boeken worden besproken.’ Al met al dus een recensente die geen enkel boek léést, zoals Alfred ons uitlegt in hoofdstuk 27: ‘Ze sloeg ze niet eens open om de ruggen niet te knakken. Ze schreef alleen de titels van de boeken en de namen van de auteurs heel nauwkeurig op kaartjes. De meeste critici doen dat niet eens. (…) Ze schrijft overigens over alle boeken min of meer hetzelfde’. Met andere woorden, de moeder van Alfred neemt genoegen met het schrijven van recensies aan de hand van wat haar Engelse of Franse collega’s publiceren.

    Haar Franse alter ego Alexandre Fillon doet niet voor haar onder. Hij heeft wellicht het dossier dat Gallimard over de auteur en de roman hem deed toekomen vluchtig doorgenomen. Wel heeft hij het boek doorgebladerd, maar niet tot hoofdstuk 27. Op blz. 16 vernam hij dat Professor Nummedal vierentachtig jaar oud was; op blz. 61 las hij, maar dan in het Frans: ‘Ik zou het liefst een meteoriet vinden, een brok afkomstig uit de kosmos en ik zou willen dat het uit een materiaal bestond, dat op aarde nog nooit was aangetroffen. De steen der wijzen, of minstens een mineraal dat naar mij zou worden genoemd: Issendorfiet.’ En wat doet onze criticus? Hij geeft de protagonist de naam Issendorfite, in zijn bespreking - zijn ‘vluggertje’ zou de moeder van Alfred zeggen. Had hij hoofdstuk 16 van het boek gelezen, dan was hij de naam Issendorf tegengekomen. Inderdaad verschijnt, als ik me niet vergis, de achternaam van de hoofdpersoon slechts twee keer in de roman - niet toevallig in verband met de begrafenis van Alfreds vader - maar Issendorf staat wel driemaal vermeld op de flaptekst van Ne plus jamais dormir. Wellicht heeft Alexandre Fillon zijn ‘vluggertje’ geschreven nog voordat de vertaling gedrukt werd. Ik wil hem graag danken voor zijn lofprijzingen, maar zou hem toch willen aanbevelen om voortaan de namen van de protagonisten nauwkeurig op kaartjes te noteren en de zeer bijzondere bril van Professor Nummedal te lenen.

     

    Van de recensenten valt sowieso weinig te verwachten - de literaire kritiek lijkt zo goed als uitgestorven, schreef Hermans in januari ’93. De meeste door hen geschreven stukken bieden niet meer dan een korte, veelal inaccurate samenvatting van het besproken boek; de vertaling komt nauwelijks aan de orde. Van de Franstalige critici die Hermans in het Nederlands hebben gelezen, kent waarschijnlijk niemand zijn Parijse overpeinzingen. In Nederland worden literaire vertalers door kranten gevraagd om te schrijven over talen en culturen die ze goed kennen. In Frankrijk komt dat bijna nooit voor. 

     

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    Tot slot zou ik graag enkele woorden aan één speciale vertaler willen wijden. In 1954 heeft hij Cratères en feu (1951) vertaald, het eerste boek van de vulkanoloog Haroun Tazieff. Eveneens uit het Frans zette hij enkele gedichten van Oscar de Lubicz Milosz (1877-1939) in zijn moedertaal over. In 1981 publiceerde De Bezige Bij zijn vertaling van de Prix Goncourt 1922: De martelgang van de dikzak, oftewel Le Martyre de l’obèse van Henri Béraud. Het is W.F. Hermans, als vertaler vooral bekend om de Nederlandse versie van de Tractatus (1975) van Wittgenstein. De Vlaamse dichter Gust Gils loofde zijn overzetting van de poëzie van Milosz: ‘hoe onwaarschijnlijk het ook moge klinken, deze vertalingen waren béter dan de Franstalige originelen’.

    WFHHeerlen2.pngBehalve deze vertalingen zelf moeten we Hermans in dit verband ook dankbaar zijn voor de essays die hij ons heeft nagelaten over het werk dat hij vertaalde en over de schrijvers ervan. Ook heeft hij behartenswaardige opmerkin- gen gemaakt over andere aspecten van de Franse literatuur. Maar met het meeste genoegen verwijs ik u naar de vaak smakelijke bladzijden die hij heeft gewijd aan de martelgang van de vertaler.

     

    Ik dank u. 

    Daniel Cunin

     

    Tekst van een lezing gehouden op zaterdag 17 september 2011 ter gelegenheid van het symposium ‘W.F. Hermans. Ik heb altijd gelijk. 1951-2011’ (Schunck*, Heerlen)

     

     

     

    Eerste bladzijden van Le Martyre de l’Obèse: Franse versie en vertaling van W.F. Hermans

     

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  • Un poème de Herman Gorter (1864-1927)

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    Du recueil L’École de la poésie

     

     

    HermanGorterParWillemWitsenVers1892.pngSurtout connu à l’étranger comme théoricien et homme politique, Herman Gorter demeure avant tout aux Pays-Bas l’un des poètes majeurs du renouveau littéraire de la fin du XIXe siècle. Dans son long poème épique Mei (Mai), « il a concrétisé de la manière la plus entière le programme poétique » du mouvement des Tachtigers et son recueil Verzen (Poèmes) lui a permis « d’aller aux confins d’une observation et d’une perception sentivistes de la nature »*.

    Le poème sans titre qui suit est extrait d’une œuvre datant de 1897 : De school der poëzie. On doit la traduction (La Revue de Hollande, 2ème année, T. 3, juillet-décembre 1916, p. 35-37) à un autre homme de lettres néerlandais, Dop Bles (1883-1940), qui a vécu à Paris où il s’est lié d’amitié avec, entre autres, André Germain, séjour qui lui a d’ailleurs inspiré ses Parijsche verzen (Poèmes parisiens, 1923).

     

     

    Ik zat eens heel alleen te spelen

    op een gedachteharp, de kelen

    van schemering en duisternis om mij

    fluisterden liedjes, het leek tooverij.

     

    Mijn vingers en mijn oogen teeder gleeden

    langs gele snaren, boven en beneden

    bleven ze langer, want ik wist niet wat

    ver achter in gedachtenvlakte zat.

     

    Een kinderbeeldje, dat is òpgerezen

    zwierig in haar gewaad, ze had te lezen

    gezeten in haar vreemd gedachtenboek,

    nu stond ze in een gelen rimpeldoek.

     

    Nu kwam ze dichter bij, we zijn gekomen

    midden ter vlakte onder heel wat boomen,

    we spraken niet, want boven zei de wind

    al mijn gedachten en die van het kind.

     

    Maar te dansen zijn we wel gegaan,

    heen en weer, op en neer, een lange baan

    van luchtige passen, voeten beurteling

    omhoog, omlaag, als rozenbuiteling.

     

    Te dansen zooals twee rozen gaan,

    rozeroode rozen tusschen groene blaan

    samen gesproten van uit ééne steel,

    twee windewiegelingen, geen geheel

    maar altijd twee, hoewel ze ongescheiden

    het leven doordansen met hun roode beiden.

     

    Zoo dansten wij, mijn vingers scholen in

    ’t geelglimmende fluweel, een diepen zin

    voelden ze daar van ’t levende dat edel

    in ’t gele woonde, en de windevedel

    blies uit een adem van een gele stof

    zooals een zonneschijn in bloemehof.

     

    Wij zeiden altijd niets maar sprongen om ons om -

    haar gouden oogen fonkelden, haar lippen bleven stom -

    de wind zei àl gedachten, en de dansemaat

    die fonkelde in diamant op haar gelaat.

     

    Maar eind’lijk zei ze goeien dag en is weer weggegaan,

    op hare lippen danste lach, haar kleed was als de maan

    zoo flikkerend om ’t dansend lijf, zoo sprong ze heel, heel ver,

    zooals de gouden maan eerst, toen zooals de gouden ster.

     

    Ik ben zooals een oosterster, zij tintelt in het westen,

    wij tweeën vogels weten wel de takken onzer nesten,

    wij komen nog wel weer te saam, is het niet, is het niet,

    dansende liefste, liefste, liefste, op windelied?

     

    Maar onderwijl zit ik te spelen

    op een gedachteharp, de kelen

    van schemering en duisternis om mij

    fluisteren liedjes, het lijkt tooverij.

     

     

     

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    * Histoire de la littérature néerlandaise, Fayard, 1999, p. 568.

     

    Portrait de Herman Gorter par Willem Witsen, vers 1892.

     

     

     

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    H. de Liagre Böhl, Herman Gorter 1864-1927. Met al mijn bloed heb ik voor U geleefd, Olympus, 2000, 559 pages. (biographie)  

     

     

     

  • Slauerhoff dans les brumes

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    Deux comptes rendus sur les romans

    du Hollandais errant

    (extraits)

     

     

    Après le recueil de nouvelles Écume et cendre (1933) et en attendant La Vie sur terre (1934), dernier roman de J. Slauerhoff non encore traduit en français - parution prévue aux éditions Circé en 2012 -, voici quelques paragraphes en guise d’invitation à entrer dans Le Royaume interdit (1932) et La Révolte de Guadalajara (1937). Ils sont empruntés au articles « Les traces brouillées du poète » & « Mexique, terre de désenchantement » (http://brumes.wordpress.com/).

      

      

    slauerhoff,roman,pays-bas,traduction littéraireLa littérature hollandaise est peu traduite en France. Souvent mélangée à ses homologues scandinaves dans un rayon « d’Europe du Nord » qui lui laisse une part fort modeste, elle n’a droit, dans les librairies, qu’à une visibilité réduite, voire inexistante. Les écrits de Jan Jacob Slauerhoff (1898-1936) étaient indisponibles en français avant que la modeste maison vosgienne Circé ne s’empare de deux de ses romans : La Révolte de Guadelajara et Le Royaume interdit. L’œuvre de Slauerhoff méritait cette traduction tardive. Ni roman historique, ni poème en prose, ni texte fantastique, Le Royaume interdit constitue un objet littéraire déconcertant. Il entrecroise les destinées du poète national portugais, Camões, auteur des Lusiades et d’un radiotélégraphiste irlandais des années 1930, qui n’ont a priori qu’un rapport fort ténu, celui que la mer imprime à leurs destinées. Pourchassé par la vindicte d’un mari trompé qui n’est autre que l’héritier de la couronne portugaise, Camões s’exile, au milieu du XVIe siècle dans une colonie lointaine, Macao. La ville a été fondée par quelques aventuriers suite à la destruction, évoquée dans la scène d’ouverture du roman, du premier établissement portugais en Chine. Les quatre cents Portugais qui s’y sont installés pour trouver fortune vivent dans une semi-indépendance, menacés en permanence par l’immense Empire chinois qui leur fait face et avec lequel ils sont bien obligés de traiter pour survivre. Le roman fonctionne autour de quatre fils narratifs distincts : la description du climat social, religieux, économique et politique de la colonie ; les querelles entre le gouverneur Campos et sa fille, métisse qui tente d’échapper à l’emprise de ce dernier ; la proscription de Camões et sa tumultueuse arrivée en Chine ; l’errance du radiotélégraphiste irlandais, narrateur sans nom, quatre siècles plus tard. Cet élément du récit, dont le lecteur interroge le sens tout au long de la seconde partie, ouvre des perspectives nouvelles et inattendues au roman. […]

    slauerhoff,roman,pays-bas,traduction littéraireEn écho à l’expérience d’extrême proximité que Slauerhoff ressentait pour le poète Tristan Corbière, l’Irlandais sent grandir en lui Camões. Le roman prend des tours fantastiques et les deux corps finissent par se rejoindre : comme dans l’œuvre de P.K. Dick, les différents plans de la réalité s’entremêlent et le lecteur se perd en conjectures. L’ homme sans nom vit la défense de Macao, où Camões, revenu incognito de son ambassade perdue, joua le premier rôle. Il devient brièvement Camões. Dans une Macao moderne, corrompue, crépusculaire, l’homme sans identité a vu s’entrouvrir un autre univers, celui, passé, du poète. Cette transformation vertigineuse l’accable. Résolu à demeurer ce qu’il était, à savoir personne, il fuit éperdument Camões, le monde interlope de Macao et sa propre existence, réduite à un statut professionnel. Aux frontières de deux mondes, la puissance du poète exilé s’est brisée sur le pouvoir temporel du gouverneur Campos. Mais elle a paradoxalement traversé les siècles. Le temps du poète n’est pas le temps commun. Son errance dans le monde a laissé une trace profonde, capable de perdre, des siècles plus tard, un obscur anonyme.

    slauerhoff,roman,pays-bas,traduction littéraireÉcrit dans une prose dense et poétique, Le Royaume interdit ne livre pas tous ses secrets au terme d’une seule lecture. Les aventures du Macao colonial débordent de leur cadre temporel pour altérer le présent de l’homme sans nom. La puissance du poète affectera le quotidien de l’Irlandais, ses efforts rompant la cloison étanche des siècles pour le perdre, en proie à une impossible identification. En épurant le style du récit à ses seuls éléments indispensables, Slauerhoff frôle parfois l’abstraction : le délitement progressif de l’ambassade qu’envoie le gouverneur Campos à Pékin n’est pas seulement le récit d’une errance, elle est le motif philosophique d’une fuite éperdue de soi-même. Le monde colonial de Macao, menacé d’engloutissement par la puissance démographique et géographique chinoise, irrigue les errances de Camões et de l’homme sans nom. Aux franges de deux mondes, les identités se brouillent et les héros peuvent à la fois renoncer et exister, vivre pour l’éternité et périr sans fin. [lire l’intégralité du texte]

     

     J.J. Slauerhoff: Dichter van de zee

    slauerhoff,roman,pays-bas,traduction littéraire

    Comme je l’avais indiqué précédemment, l’œuvre de Slauerhoff n’a guère traversé les frontières hollandaises. Inexistante en anglais, à peine traduite en espagnol, elle se compose, en français, de deux romans, Le Royaume interdit et La Révolte de Guadalajara, tous deux publiés par la modeste maison Circé. Au vu des évidentes qualités de ces livres, espérons que cet éditeur persévère dans cette politique et puisse ainsi offrir au public d’autres aperçus de l’œuvre du Hollandais. Dans Le Royaume interdit, la mise en relation de deux errances traçait une intrigante perspective au cœur même des fantasmes de l’aventure coloniale. Le poète et le technicien interpénétraient leurs destinées, le premier menaçant d’engloutir le second malgré les siècles d’écart. Autour de Macao, lascif et immobile, les tristes aventures de Camões conquéraient pour les temps à venir ce qu’elles perdaient au présent. La Révolte de Guadalajara change radicalement de perspective géographique. Dans un Mexique où pouvoir et Révolution sont également confisqués, l’immobilité séculaire et mélancolique des peuples indiens, vaincus de l’Histoire, offre un décor parfait à l’errance de Slauerhoff. La ville de Guadalajara est un sépulcre. Indiens et Espagnols y tiennent la place que les siècles passés leur ont assignés, sans qu’aucun espoir précis ne surgisse à l’horizon. Les autochtones ont baissé la tête, sous le joug des colons. Apathiques, ils n’attendent plus rien, se contentent de survivre. Les Espagnols, devenus mexicains par l’effet d’une révolution qui a tout bouleversé et donc, rien changé, conservent les commandes politiques, économiques et sociales de la ville. Peu de conflits : ni les uns, ni les autres n’espèrent rien. Les Européens préservent leurs privilèges provinciaux de latifundiaires et de commerçants, les Indiens se tiennent dans une prudente posture faite de passivité et d’inertie. Quelques révolutionnaires s’agitent pourtant depuis les années 1910, mais ils sont déjà en voie d’institutionnalisation. Dans la partie d’échecs qu’ils mènent face au pouvoir, Guadalajara ne compte pas. […] 

    slauerhoff,roman,pays-bas,traduction littéraireUne fois la Révolution accomplie, les instances chassées, les nouveaux dirigeants s’avèrent incapa- bles de gouverner. Leur volonté de changement n’allait pas loin, ils ne savent pas quoi faire de leur victoire. L’espérance vague et diffuse de lendemains qui chantent se brise sur la réalité. La conjonction d’ambitions personnelles ne livre pas de programme d’action. El Vidriero devient presque encombrant. Il n’était qu’un symbole, un pantin utilisé auprès des crédules par quelques arrivistes. Les Indiens, pour qui rien n’a évidemment changé, commencent à regarder de travers leur sauveur. El Vidriero, errant anonyme à peine qualifié par sa profession, comme le télégraphiste du Royaume interdit, a été sédentarisé, fixé, et ce par l’ambition d’autres que lui. Sa vie ne tenait que par le vagabondage. S’installer, c’est devenir quelqu’un. Or le vitrier n’était personne. El Vidriero ne peut assumer la charge que d’autres lui ont confiée. Sa fuite misérable – et pourtant justifiée – s’achève dans une cérémonie de semi-crucifixion grotesque, pas même fatale : dans le sacrifice non consenti, le martyr, ce faux messie aura aussi échoué. Les révolutionnaires laissent les forces armées écraser cette révolte religieuse et ethnique confuse. Tabarana s’enfuira du Mexique, le gouvernement central ne touchera pas au propriétaire foncier, trop puissant pour être inquiété. La révolte de Guadalajara n’a servi à rien.

    slauerhoff,roman,pays-bas,traduction littéraireSlauerhoff, écrivain errant, médecin, poète et marin, évoque d’autres mondes que le sien, celui de la petite Hollande libérale du vingtième siècle. Du Mexique à Macao, il parle de contrées immobiles, où le cynisme, la présomption des pouvoirs temporel et spirituel maintiennent un joug ferme sur d’apathiques populaces. Tout est joué. Seul recours, la liberté anonyme du fugitif, condamné à ne jamais s’élever dans la société, à toujours errer dans le vaste monde. Chez Slauerhoff, le monde des noms, des titulatures, des pouvoirs institués, des héritages, en un mot, le passé, dissipe les perspectives mystérieuses de l’avenir. L’aventure coloniale est un fantasme. Au fond, l’attente d’un ailleurs est morte : la déambulation solitaire, permanente, sans but, sans identité, fuite de soi et du monde, permet seule de concilier la liberté et l’espoir ; liberté de fugitif, toujours menacée, espoir de poète, toujours déçu. Désenchanté, et donc ironique, Slauerhoff évoque des ambitions contrariées, des amours impossibles, des espérances illusoires. Même l’abolition de soi dans l’errance n’est qu’un salut fictif. Slauerhoff a fui. La Hollande, la terre, les colonies, la médecine, la société, l’écrivain a tout quitté successivement sans jamais trouver ce qu’il cherchait. Ses romans, poétiques, narrent cette errance inutile. [lire l’intégralité du texte] 

     

    Illustrations

    Le Royaume interdit, trad. française & postface de Daniel Cunin, Belval, Circé, 2009. 

    Das verbotene Reich, trad. allemande de Albert Vigoleis Thelen, Stuttgart, Klett-Cotta, 1991.

    Écume et cendre, trad. française de S. Roosenburg, Belval, Circé, 2010. 

    La Révolte de Guadalajara, postface de Cees Nooteboom & trad. française de Daniel Cunin, Beval, Circé, 2008.

    Christus in Guadalajara, postface de Cees Nooteboom & trad. allemande de Ard Posthuma, Francfort, Suhrkamp, 1998.

    Portrait de l'auteur.

     

     

  • Les romans et nouvelles d’Esther Gerritsen

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    Un survol de l’œuvre de la romancière Esther Gerritsen,

    par Geertrui Marks-van Lakerveld*

     

     

    L’AUTEUR

    esther gerritsen,littérature,pays-bas,romanNée le 2 février 1972 à Gendt, près de Nimègue, dans un milieu catholique, Esther Gerritsen a suivi une formation de dramathérapie avant de faire des études d’écriture dramatique et littéraire à la Hogeschool van de Kunsten d’Utrecht. Outre un certain nombre de textes pour le théâtre, elle a maintenant à son actif un recueil de nouvelles et quatre romans.

     

    ŒUVRES

    (sauf mention contraire : éditions De Geus, Breda)

     

    Bevoorrecht bewustzijn, 2000 (Conscience privilégiée, nouvelles)

    Drie theaterteksten, Amsterdam, International Theatre & FilmBooks, 2002 (Trois pièces de théâtre)

    Tussen een persoon, 2002 (Entre une personne, roman)

    Toneel. Verzameld toneel 1999-2003, 2003 (Théâtre complet)

    Normale dagen, 2005 (Jours normaux, roman) 

    De kleine miezerige god, 2008 (Le Petit dieu minable, roman) 

    Superduif, 2010 (Pigeon super, roman) 

     

    En traduction française

    Le jour, et la nuit, et le jour, après la mort, trad. Monique Nagielkopf, Montreuil sous Bois, Editions théâtrales, 2008. (titre original : De dag en de nacht en de dag na de dood, 2004)

     

    « Greenwich 1894 » (Greenwich achttienvierennegentig) & « Avant de me frapper » (« Voor je me gaat slaan »), traduction inédite de deux nouvelles du recueil Bevoorrecht bewustzijn.

     

     


    Esther Gerritsen (entretien en néerlandais)

     

     

    THÉMATIQUE

     

     

    esther gerritsen,littérature,pays-bas,roman Dans l’œuvre d’Esther Gerritsen, les protagonistes sont invariablement des penseurs, des investigateurs, des interrogateurs. Tout peut servir d’objet de discussion et de réflexion. Le moteur est le doute, la certitude n’existe pas. Les personnages luttent contre le quotidien qui s’impose à nous. Les personnages centraux souffrent de solipsisme et d’un état d’hyperconscience vis-à-vis du monde extérieur. Existentiellement seuls, ils montrent un comportement souvent obsessif. Pour ne pas tuer leurs désirs, ils renoncent à la réalisation de ceux-ci. 

    Le gâteau, pas la peine. L’idée d’en manger me suffit. Je n’ai pas besoin de le goûter […], je n’ai pas besoin de voir mes parents vieillir avec le risque de… Pour ce qui est d’avoir des enfants, laisse tomber. Le fait que nous en voulions me suffit […] (Bevoorrecht bewustzijn)

    Si jamais le désir se trouve satisfait, le déclin s’annonce et mène inévitablement à la mort.

    Et nous consentons à vieillir […], nous permettons à la vie de suivre son trajet irréversible. Comme si elle ne pouvait continuer son chemin qu’avec notre autorisation. (Tussen een persoon)

    Tout en se rendant compte que les rapports suggérés par la langue ne sont pas forcément ceux de la réalité, Esther Gerritsen explore son esprit logique et découvre que les limites de la conscience du soi et du monde se trouvent à l’intérieur de notre cerveau.

    La romancière s’intéresse particulièrement aux malades psychiatriques, aux paranoïaques, aux gens atteints de sénilité, aux surdoués chez lesquels on diagnostique un syndrome d’Asperger, en fait à tous ceux dont la conscience est troublée ou dont la vie est extrêmement difficile. Elle est à la recherche d’explications du mal et de la souffrance dans le monde, ainsi que de délivrance et du sens de la vie. L’alcool, le sexe, la religion ne semblent pas être des remèdes durables pour arrêter le tourbillon de la pensée. 

    Pour autant, l’auteur n’opte pas pour une prose emberlificotée : ses dialogues sont d’une forte efficacité, son humour noir se double d’une certaine hilarité. C’est avec beaucoup d’ironie qu’elle peint des scènes grotesques.

    Dès ses débuts, la plupart des critiques ont reconnu le talent remarquable d’Esther Gerritsen et fait l’éloge de sa manière, de son authenticité. Ainsi que chaque titre de ses livres en témoigne, les événements extérieurs sont subordonnés aux pensées des personnages.

     

     

    Superduif (2010)

     

    Bonnie Mol, narratrice du dernier roman d’Esther Gerritsen, a douze ans. C’est une fille surdouée, isolée, solitaire, triste. Mais elle a un don : elle sait voler comme si elle était un oiseau. Un jour, elle franchit la grille du jardin en restant dans les airs pendant quelques secondes.

    esther gerritsen,littérature,pays-bas,romanAu début du récit, elle fait la connaissance d’une nouvelle élève de sa classe : Ina. Celle-ci  a un frère de 18 ans. Bonnie, ignorée par les autres adolescents, se sent flattée de l’attention que lui porte la belle Ina. Un des centres d’intérêt de Bonnie, c’est la Deuxième Guerre mondiale à travers la figure d’une résistante qui l’inspire beaucoup par son héroïsme fondé sur un sentiment d’infériorité. Un jour, Bonnie parvient à se transformer en un pigeon aux dimensions humaines. Ina accepte cette réalité et partage le secret de son amie. Cette métamorphose se produit de plus en plus fréquemment. Bonnie découvre bientôt qu’elle est capable, en tant que pigeon, de sauver des vies. Mais  personne ne voit jamais le pigeon en question.

    Les parents de Bonnie, d’un âge relativement avancé, ne croient pas aux facultés surnaturelles de leur fille. Ce sont des intellectuels pragmatiques qui s’inquiètent de la santé mentale de leur enfant. Ils lui déconseillent fortement de choisir son vécu comme sujet  d’exposé devant la classe. Bonnie s’entête, mais ses camarades se moquent d’elle. Ina n’en reste pas moins une amie fidèle.

    La deuxième partie du roman a pour cadre le collège. Bonnie publie dans le journal de l’établissement de petits essais, entre autres sur Anne Frank, puis des pages de non fiction relatant des scènes de guerre atroces. Enfin, elle entreprend d’écrire des billets portant sur le malaise qu’elle éprouve.

    Prise par son activité d’écriture, elle ignore une de ses transformations et manque l’occasion de sauver le frère d’Ina d’un mortel accident de la route.  Après l’enterrement, Bonnie s’adonne à l’automutilation. Le sentiment de culpabilité qu’elle éprouve la pousse à rompre avec Ina, mais celle-ci s’oppose à cette décision. Bonnie écrit alors un récit sur le décès de ce garçon et ses propres transformations ; publié, ce texte lui procure une certaine reconnaissance au sein de son établissement.

    C’est pendant une fête scolaire que Bonnie subit sa dernière métamorphose alors qu’elle est encore troublée par les caresses de son petit copain. À 23 heures, son père, venant la chercher, découvre sa fille toute nue, zigzaguant dans la cour et faisant des mouvements de tête pareils à ceux d’un pigeon.

    Au psychiatre, Bonnie explique qu’Ina était la seule à qui elle pouvait parler de ses problèmes et de ses métamorphoses. En sortant de chez le praticien, elle retrouve ses parents. 

    Ils ont acheté des glaces. Ma mère tient une italienne entre les mains, mon père deux. La mienne décorée de perles disco. Ils me sourient en me voyant franchir la  porte à tambour. Ils sont heureux pour moi.

    Une fois dehors, je réponds à leur sourire. Sans même m’en rendre compte. Je suis leur fille à eux, unique, leur prodige. Et alors, au moment où mon père m’offre ma glace, je le leur dis : « Papa, maman, j’aimerais tellement mourir. »

     

     

    De kleine miezerige god (2008)

     

    esther gerritsen,littérature,pays-bas,romanLe personnage principal, Dominique Seegers, vient d’emménager à Amsterdam, loin de sa région natale près de Nimègue où elle a passé une vie estudiantine malheureuse et où sa mère, placée dans une maison de retraite, souffre de sénilité. Son père est mort d’un cancer quelques années plus tôt. Chaque fois qu’elle rend visite à sa mère, Dominique sent qu’elle démérite auprès d’elle. Vient-elle pour sa mère, pour le personnel soignant, pour elle-même ? C’est ainsi que naît en elle le besoin d’une autorité compétente pour la juger. Elle se crée un petit dieu, qui bientôt s’avère être un dieu minable, un témoin lâche.  Elle a une liaison avec Kris, infirmier assez laid et rude qui travaille dans la clinique où elle exerce comme dramathérapeute. Il est son antipode à tous égards. Dominique tombe enceinte d’un garçon qui meurt juste après l’accouchement. Après cette expérience traumatisante, Dominique perd le fil. À chaque fois, elle sent combien son petit dieu, qui se contente d’être un observateur, est une création minable. Alors que la liaison avec Kris se complique encore, la jeune femme entretient des liens toujours plus étroits avec une voisine envahissante abandonnée par son mari. Dominique pousse le bouchon un peu trop loin en proposant à cette dernière d'aller ensemble retrouver sa fille émigrée aux Etats-Unis. Dans ses bagages, Dominique transporte l’urne contenant les cendres de son bébé. Elle poursuit son voyage pour assister à un festival de bluegrass, style musical qu’elle adore après avoir écouté les 33 tours de son défunt père. La musique et les textes des chansons sur la solitude de Jésus, abandonné sur la Croix par son Père, lui offrent une consolation qui l’incite à renoncer à son petit dieu. Après un message incohérent qu’elle laisse sur le portable de Kris, celui-ci la retrouve là où a lieu le festival. Le roman propose une fin ouverte.

     

    Normale dagen (2005)


    esther gerritsen,littérature,pays-bas,romanL’étudiante Lucie, dont les parents sont morts, a été élevée par ses grands-parents dans le sud des Pays-Bas, des paysans réalistes et pragmatiques qui ne montrent pas leurs émotions. Lucie s’est détournée d’eux. Depuis trois ans, le contact s’est limité à des cartes postales à l’occasion des anniversaires et de Noël. Lorsque le grand-père tombe malade, Lucie vient le voir et reste quelque temps. De nouveau, il lui faut vivre avec eux, cette fois dans des circonstances difficiles. Lucie aspire à devenir dramaturge ; en guise de thème, elle retient la figure d’un terroriste américain condamné à la peine de mort. Alors qu’elle pénètre de façon quasi obsessionnelle dans la tête de cet inconnu, elle se perd dans le monde concret de ses grands-parents ; parallèlement, l’état de son grand-père ne cesse de s’aggraver. À la ferme, les journées présentent une structure immuable. Les sujets de conversation se limitent au virage dangereux du chemin du village et aux préparatifs de la kermesse annuelle. Attendre la mort de grand-père est devenu une activité routinière.

     

    Tussen een persoon (2002)

     

    esther gerritsen,littérature,pays-bas,romanLe jour où les protagonistes ont prévu de déménager, la femme et narratrice décide de ne pas quitter l'appartement. Elle veut rester à tout prix, rien ne doit changer. Elle enferme son partenaire et lui tient un discours-fleuve. Elle l’a ligoté sur le lit ; il ne peut ni bouger ni parler. Elle n’a pas envie de le connaître mieux, préfère le voir comme si c’était la première fois qu’ils se rencontraient, comme s’ils étaient encore des étrangers l’un pour l’autre. Elle refuse d’aller plus loin, elle souhaite que sa vie s’arrête au « point culminant » de leur relation.

     

    Bevoorrecht bewustzijn (2000)

     

    esther gerritsen,littérature,pays-bas,romanDans ce recueil de nouvelles, Esther Gerritsen s’approche du monde d’une manière scrupuleuse. Ses personnages sont envahis par l’univers qui nous entoure et cherchent une logique pour mieux le comprendre. La nouvelle éponyme – « Conscience privilégiée », expression empruntée à Oliver Sachs, le célèbre neurologue anglais – envisage l’homme comme un être qui attribue un sens spirituel aux phénomènes qui lui échappent. Ainsi, les révélations de Hildegarde von Bingen s’expliqueraient par des crises de migraines et ne viendraient pas de Dieu. Les visions en question auraient été des hallucinations. C’est la conscience privilégiée de la bénédictine qui leur aurait conféré une portée spirituelle.

     

     

    extrait (en NL) de la pièce d'Esther Gerritsen De Kopvoeter

     

     

    * Geertrui Marks-van Lakerveld est critique et traductrice. Ses dernières publications sur la littérature néerlandaise :

    « Tomas Lieske », Kritisch Literatuur Lexicon, mars 2005. 

    « ‘‘Ces figures magiquement éclairées’’, l’œuvre de Tomas Lieske », Septentrion, n° 2, 2008. 

    « L’eau qui inspire, l’eau qui attire, l’eau qui séduit », Deshima, n° 2, 2008. 

    « Esther Gerritsen », Kritisch Literatuur Lexicon, septembre 2010.