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peinture - Page 4

  • Ode à Personne

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    Benno Barnard

    à propos de Schwarze Flocken d’Anselm Kiefer

     

     

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    ODE À PERSONNE

     

     

     

     

    Schwarze Flocken

     

     

    Schnee ist gefallen, lichtlos. Ein Mond

    ist es schon oder zwei, dass der Herbst unter mönchischer Kutte

    Botschaft brachte auch mir, ein Blatt aus ukrainischen Halden:

     

    ‘Denk, dass es wintert auch hier, zum tausendstenmal nun

    im Land, wo der breiteste Strom fliesst:

    Jaakobs himmlisches Blut, benedeiet von Äxten…

    O Eis von unirdischer Röte – es watet ihr Hetman mit allem

    Tross in die finsternden Sonnen… Kind, ach ein Tuch,

    mich zu hüllen darein, wenn es blinket von Helmen,

    wenn die Scholle, die rosige, birst, wenn schneeig stäubt das Gebein

    deines Vaters, unter den Hufen zerknirscht

    das Lied von der Zeder…

    Ein Tuch, ein Tüchlein nur schmal, dass ich wahre

    nun, da zu weinen du lernst, mir zur Seite

    die Enge der Welt, die nie grünt, mein Kind, deinem Kinde!’

     

    Blutete, Mutter, der Herbst mir hinweg, brannte der Schnee mich:

    sucht ich mein Herz, dass es weine, fand ich den Hauch, ach des Sommers,

    war er wie du. 

    Kam mir die Träne. Webt ich das Tüchlein.

     

    Paul Celan

     

     

     

     

     

    Flocons noirs

     

     

    La neige est tombée, éteinte. Voici une lune,

    voire deux, que l’automne dans sa bure de moine

    m’a apporté à moi aussi un message, une feuille des terrils d’Ukraine :

     

    « Songe qu’ici aussi il fait hiver, pour la millième fois

    dans le pays où coule le plus large des fleuves :

    sang céleste de Jacob, béni par des haches…

    Ô glace d’un rouge étranger à ce monde – son hetman le passe à gué avec toute sa

    troupe vers des soleils qui s’enténèbrent… Enfant, ah ! un linge

    dans lequel me draper quand les casques rutilent,

    quand le bloc de glace, rosissant, se fend, quand les os de ton père

    poudroient comme neige, se repent sous les sabots

    le chant du cèdre…

    Un linge, rien qu’un mouchoir, afin que j’y garde,

    maintenant que tu apprends à pleurer, près de moi

    l’exiguïté du monde qui jamais ne verdoie, mon enfant, pour ton enfant ! »

     

    Que n’a-t-il saigné, mère, l’automne en filant entre mes mains, que ne m’a-t-elle brûlé la neige :

    que n’ai-je cherché mon cœur, pour qu’il pleure, que n’ai-je trouvé le souffle, ah ! celui de l’été,

    il était comme toi.

    M’est venue la larme. Ai tissé le linge.

     

     

    benno barnard,paul celan,anselm kiefer,poésie,peinture,littérature,pays-bas,traductionDifficile d’écrire un poème plus allemand que celui-ci, tant pour ce qui relève des thèmes (la guerre, le mas- sacre des juifs, la mémoire) que de la forme, laquelle propose maintes inversions à la manière de poètes du XIXe siècle tels Hölderlin et Trakl. Un poème noir – noir comme la neige, noir, eh oui, comme le lait…

    Il faut dire qu’il a été composé par le poète de l’Holocauste, Paul Celan (1920-1970), un juif originaire de Czernowitz, aujourd’hui Tchernivtsi en Ukraine. Avant la guerre, la ville appartenait à la Roumanie, et avant encore à l’Empire austro-hongrois. Ce centre disparu de la culture juive d’expression allemande jouit de nos jours d’un statut mythique : une cité où les cochers, perchés sur le siège de leur fiacre, sifflotaient des arias, où l’on comptait plus de librairies que de boulangeries, où linge de table en lin et expériences modernistes offraient un contraste du meilleur goût.

    Je suis tombé sur ce poème au Musée des Beaux-Arts d’Anvers où il figurait sur une toile d’Anselm Kiefer. Ce peintre allemand est né la même année que l’Allemagne démocratique : 1945. Une coïncidence à laquelle je me permets de conférer une certaine signification, comme Kiefer lui-même d’ailleurs.

    Les toiles de Kiefer sont d’un format plus qu’imposant – vingt-deux d’entre elles remplissaient le rez-de-chaussée. Elles revêtent une part d’atrocité, à la fois sinistre, spectrale et funèbre. Devant cette débauche d’expressionnisme tonitruant, j’ai senti un léger frisson me parcourir. Difficile de peindre des toiles plus allemandes que celles-ci.

    À l’entrée, on remettait au visiteur une masse de papier regorgeant d’informations sur les œuvres exposées. Étrange de se dire qu’il n’est plus possible d’aborder l’art de notre temps par le simple regard ! D’aucuns avancent qu’au Moyen Âge, les gens comprenaient sans peine la symbolique toute silencieuse des peintures – la rose, l’oiseau en cage, la clé, le livre – et cela valait peut-être pour les plus instruits ; il en va bien autrement pour ce qui est de l’art contemporain, du moins pour ce qui est de Kiefer, en tout cas en ce qui me concerne quand bien même j’appartiens à la haute bohème. Les codes qu’il s’agit de maîtriser sont des noisettes récalcitrantes nécessitant le recours à un casse-noisettes.

    benno barnard,paul celan,anselm kiefer,poésie,peinture,littérature,pays-bas,traductionToutefois, j’ai compris d’em- blée – à supposer que « com- prendre » soit le terme requis – au moins un des tableaux : le bouleversant Schwarze Flocken (Flocons noirs), peint à partir du poème éponyme de Paul Celan. Dans ma main, la brochure me chuchotait de façon obligeante : « Un livre de plomb au milieu de la désolation d’un paysage enneigé. Un livre au contenu accablant : de ses pages s’échappent des phrases du poème ‘‘Flocons noirs’’ […] ».

    Le poème le plus célèbre de Celan sur l’Holocauste s’intitule « Fugue de mort ». Il s’ouvre par ces mots : « Schwarze Milch der Frühe wir trinken sie abends ». Le lait noir de l’aurore nous le buvons le soir… Le début de ce vers relève des métaphores modernistes qui, pareil à un chat, erraient dans les rues de Czernowitz. On la retrouve dans un poème d’une concitoyenne de Celan, Rose Ausländer. J’ai dit moderniste ? Trois siècles plus tôt, le poète néerlandais Constantijn Huygens (1596-1687) inventait une contradictio in adjecto similaire : « suie blanche » (wit roet) pour désigner la neige. Tel aurait d’ailleurs pu être le titre du poème comme celui du tableau.

    Sur ce dernier, les vers sont peints dans la neige, vers le point de fuite, au pied de « ceps de vigne abîmés », d’ « interminables rangées de signes commémoratifs dans des cimetières militaires »,  de «  runes », ou encore de ce que tout un chacun souhaite s’imaginer – les trois, il me semble. De longues rangées de vignes funèbres, et au centre le lourd livre qui contient le poème de Celan. Je l’ai reconnu, et bien qu’il ne figure pas dans son intégralité sur la toile, la perspective suggère qu’il en est tout de même ainsi.

    Je suis resté là à regarder ce tableau jusqu’à ce que les yeux me brûlent. Cette œuvre accrochée au mur : une gifle en pleine figure, une scène de crucifixion sans corps, une ode à Personne.

    La mère réclame ein Tuch, un drap, un linge, un mouchoir, une toile. Ce mot aurait-il incité Anselm Kiefer à réaliser sa propre toile ? Paul Celan – hanté par ses souvenirs, il devait se suicider à Paris vingt-cinq ans après la fin de la guerre –, aurait-il amené le peintre allemand, par l’équivoque de ce terme, à tisser une toile pour sa mère disparue ?

    Les parents de Celan sont morts en 1942 dans le camp d’internement de Michailovka en Transnistrie (actuelle Ukraine).

    M’est venue la larme.

      

    Benno Barnard

     

     

    traduction du poème et du texte : Daniel Cunin

     

     

     

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    Benno Barnard est l’auteur de : Le Naufragé, recueil de poèmes traduit du néerlandais par Marnix Vincent,  Le Castor astral, 2003 (édition bilingue) ; Fragments d’un siècle. Une auto- biographie généalogique, traduit du néerlandais par Monique Nagielkopf, Le Castor Astral, 2005 ; La Créature : monologue (théâtre), traduit du néerlan- dais par Marnix Vincent, Le Castor astral, 2007.

    Le texte original néerlandais a paru le 20 février 2011 dans l’hebdomadaire Knack, la version française dans la série « Cris et chuchotements » du mensuel Pastoralia (octobre 2014). Merci à Anne-Françoise pour la relecture de la version française du poème.

     

     

     

  • Michel Seuphor

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    Entretien avec l’artiste anversois

     

     

    Si le dadaïsme a été un très grand pas en avant,

    le surréalisme était un double pas en arrière.

    D’abord c’était une dictature…

    le surréalisme est devenu une hypertrophie sexuelle…

    M. Seuphor

     

     

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    Michel Seuphor, Grensverkenner van de avant-garde

    numéro thématique de la revue Zacht Lawijd, 2009

     

     

    Michel Seuphor, de son vrai nom Ferdinand Louis Berckelaers (1901-1999), évoque les revues flamandes (De Klauwaert, Roeland et Het overzicht) qu’il a créées dans sa jeunesse, l’importance qu’ont revêtu pour lui Theo van Doesburg et le mouvement de Stijl, ou encore la figure de Mondrian. Il revient aussi sur l’ouvrage Het nieuwe wereldbeeld (1915) de M.H.J. Schoenmaekers, sa rupture avec Tzara, la grande amitié qui l’a lié à Arp...

     

     

    Mémoires du siècle

     

     

    Mondrian d’après son ami Michel Seuphor

     

     

    Michel Seuphor parle de l’influence de la théosophie

    et du néoplasticisme sur l’œuvre de Mondrian

     

     

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  • Ruysbroeck selon Claude-Henri Rocquet

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    À l’occasion de la réédition de

    Ruysbroeck l’admirable

     

     

    Ce « Nord » dont je parle est un pays réel et c’est un pays imaginaire. « La Flandre est un songe », dit Ghelderode, qui fait de cette espèce de devise le titre d’une de ses œuvres que je préfère. C’est un pays aux frontières aussi imprécises que celle du ciel et de la mer à l’horizon.

    C.-H. Rocquet

     

     

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    Né à Dunkerque voici plus de quatre-vingts ans, Claude-Henri Rocquet n’a pas manqué, au fil de ses ouvrages, de revenir à la Flandre au sens large, le plus souvent à travers des écrits sur la peinture – les plus récents s’apparentant à des méditations dans une « écriture qui s’arrime au mystère de la foi » (1) –, parfois au cœur de poèmes (en prose) comme dans L’auberge des vagues (Granit, 1986) où il chante Joachim Patinir et la ville natale.

    Claude-Henri Rocquet, Ruysbroeck, Ruusbroec, peinture, littérature, mystiqueÉvocation des jeunes années, le texte « Nord » révèle cette tendresse pour les contrées septen- trionales, qui n’empêche toutefois pas lauteur de tourner son regard vers l’Italie de François d’Assise et de Giotto, lAmérique du dissident Hopper ou encore vers l’Espagne de Goya« Le temps et l’espace, le réel et l’imaginaire forment un seul tissu, et ce tissu, pourtant collectif, est singulier en chaque âme, en chaque esprit. Français, parce que de naissance et de langue française, on se reconnaît Flamand, et cette filiation, ce fil, comme souterrainement, rêveusement, vous conduit en Espagne – il m’a conduit à écrire Goya. La patrie n’est pas une île mais un archipel. La patrie est une constellation. »

    Des livres assez récents marquent également l’intérêt que le Parisien d’adoption porte à deux grandes figures des Pays-Bas : Vincent van Gogh jusqu’au dernier soleil (Paris, Mame, 2000) et Érasme et le grelot de la Folie (illustré par Céline Le Gouail, Paris, Les Petits Platons, 2012). À propos de l’écriture des pages consacrées à Van Gogh, Claude-Henri Rocquet précise que « c’est aux mineurs de ma famille, de mon pays, que je pensais quand je l’imaginais en Belgique, pasteur et déjà peintre, le Borinage étant de même nature que les mines du nord de la France… » 

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    Passé d’un athéisme (du cœur et positiviste) à lÉglise orthodoxe, Claude-Henri Rocquet s’est penché sur le catholique Jan van Ruusbroec, offrant une des œuvres du mystique brabançon en traduction : Les Sept degrés de l’échelle d’amour spirituel de Jean Ruysbroeck (Paris, Desclée de Brouwer, 2000). Deux ans plus tôt, il avait publié un Ruysbroeck l’admirable dont une version corrigée a vu le jour en 2003 sous le titre Petite vie de Ruysbroeck, toujours chez Desclée de Brouwer. C’est ce même livre, dans une édition remaniée et augmentée, que viennent de donner les éditions Salvator.

    claude-henri rocquet,ruysbroeck,ruusbroec,peinture,littérature,mystique,bruegel,boschDans les belles pages de « Nord » justement, Claude-Henri Rocquet expose son chemine- ment d’historien de l’art en qui va naître le désir de revenir, par la mar- che et l’écriture, sous les cieux flamands : « Ce n’est pas le Nord qui m’attachait à Bosch, mais sa peinture, son monde intérieur, son œuvre, l’énigme de cette œuvre. Je ne savais presque rien de Ruysbroeck ; j’ai eu l’intuition qu’une part de l’œuvre de Bosch s’éclairerait à la lumière de Ruysbroeck. J’ai commencé à le lire. Et Ruysbroeck rayonne dans certaines pages de Bruegel. Pourtant, si j’ai eu le désir d’écrire une ‘‘petite vie de Ruysbroeck’’, ce qui impliquait la lecture attentive de toute l’œuvre, ce n’est pas le maître spirituel, le mystique, et sa mystique, qui en premier lieu m’attirait vers lui, mais son lien avec le Nord, avec la forêt de Soignes, près de Bruxelles, où je suis allé, marchant de Groenendael à Rouge-Cloître, sous les grands hêtres pourpres, et qui est devenue pour moi un lieu mythique : ma forêt de Brocéliande. »

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    La fin de l’introduction intitulée « L’ami invisible » éclaire mieux encore le parcours de cet écrivain resté attaché à un Ita- lien dascendance maternelle flamande, Lanza del Vasto (2) : « Je ne sais plus d’où me vint l’intuition d’un lien entre Jérôme Bosch et Ruysbroeck, qu’un siècle et demi sépare, mais c’est en cherchant, voici trente ans, le sens et le dessein, la structure spirituelle, de l’œuvre de Bosch que j’ai rencontré celle de Ruysbroeck. […] Plus tard, quand j’écrivais une vie de Bruegel, j’imaginai, où plutôt je vis, un épisode qui ne se trouve nulle part évoqué : Bruegel égaré dans la forêt de Soignes, fiévreux, malade, et sauvé, guidé, par une lumière, une présence. C’était comme un rêve du personnage en même temps qu’un rêve pour moi, qui l’écrivais. Avais-je le droit d’inventer ainsi un moment à la lisière de l’histoire et du songe ? Certaines peintures de Bruegel, et la littérature elle-même, autorisaient cette couleur fantastique. Mais la page, en somme dédiée à Ruysbroeck, et tout éclairée par le rayonnement du tilleul de Soignes, je l’écrivis un 2 décembre. Et j’ignorais alors que le 2 décembre est jour de la mort et de la fête du bienheureux Jean Ruysbroeck, à Malines. Quand je l’ai su, il m’a semblé que ce que je croyais de l’ordre du fantastique était proche du surnaturel, de l’invisible, et qu’il s’agissait moins d’imaginaire que d’imaginal. J’ai pris cette coïncidence pour un signe adressé de son séjour incorporel par un ami et j’ai placé devant mes livres, comme une icône, la reproduction du seul portrait qu’on ait de lui : la copie, ancienne, d’une peinture perdue. Ruysbroeck, vêtu de noir et de blanc, l’habit des augustins, y lève les yeux vers le signe d’un rayonnement. J’avais acquis toute son œuvre pour accompagner mon voyage dans la Flandre de jadis, celle de Bruegel, et pour la lire le jour venu.

    claude-henri rocquet,ruysbroeck,ruusbroec,peinture,littérature,mystique,bruegel,bosch« Il est vrai que j’avais senti, à l’origine de ce livre sur Bruegel, la présence, le soutien, de Lanza del Vasto. Lanza n’était plus de ce monde. Je savais ce qu’il devait à saint Augustin et à saint Thomas. J’ignorais que cet hom- me né en Italie, mais d’une mère anversoise, devait à Ruysbroeck, en partie, sa conversion.

    « En écrivant sur Bruegel et Bosch, je me rapprochais de mon pays natal, La Flandre, Dunkerque, je le découvrais dans une autre lumière, je reconnaissais le sens qu’à pour notre vie le fait d’être né dans une certaine famille, un certain paysage, sous un certain ciel, et je comprenais mieux que la vocation de toute patrie est d’être une terre spirituelle, un lieu où l’invisible prend forme et couleur, où le visible et le sensible accueillent le surnaturel, un lieu de passage, un lien particulier entre l’humain et le divin. C’est à partir de ce sentiment spirituel de la patrie que toutes les patries, et les plus lointaines, les plus étrangères, les plus hostiles, nous sont fraternelles. Et j’eus le désir d’écrire un livre consacré à l’esprit du Nord, à la merveille resplendissante et douce des béguinages, à Memling et à l’art populaire, à cette piété dont Ruysbroeck est la source, la résurgence, et l’Imitation de Jésus-Christ, le joyau. Le livre que je termine aujourd’hui vient de là.

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    « J’ai voulu m’approcher de Ruysbroeck par le chemin de ses livres : traverser la forêt de ses livres, en recevoir la lumière. Je le vois comme Jérôme Bosch a représenté les anachorètes, les ermites : à l’abri d’un saule creux, au bord d’un ruisseau, tandis que les dernières agitations de l’âme achèvent de s’effacer comme se dissipe un mauvais rêve. »

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    Si la nouvelle édition de Ruysbroeck l’admirable ne reprend pas le chapitre « Lire aujour- d’hui Ruysbroek », elle en comprend de nou- veaux regroupés sous l’intitulé « Ruysbroeck et la mystique maternelle » (3). Claude-Henri Rocquet s’explique : « Le livre publié, un dialogue avec Michel Cazenave, à France Culture, m’a rendu plus attentif à ce qui chez Ruysbroeck porte sur le ‘‘féminin’’ et j’ai écrit ‘‘Ruysbroeck et la mystique maternelle’’, qui prolonge la nouvelle édition de Ruysbroeck l’admirable. Bosch sans doute s’est nourri de l’enseignement de Ruysbroeck. Et Ruysbroeck écrivait et voyait en peintre. Tout près du monastère de Groenendael, à Rouge-Cloître, Hugo van der Goes vécut ses dernières années. »

     

    (1) Articles : « Bosch » et « Bruegel l’ancien » dans l’ Encyclopædia Universalis, Paris, 1965.

    « La Fable de Babel » p. 111-112 et « Notice sur ‘‘La pie sur le gibet’’ n°76 », p. 274, dans le catalogue de l’exposition « Fables du paysage flamand, Bosch, Bles, Brueghel, Bril » au Palais des Beaux-Arts de Lille du 6 octobre 2012 au 6 janvier 2013, sous la direction d’Alain Tapié, Paris, Éditions Somogy.

    claude-henri rocquet,ruysbroeck,ruusbroec,peinture,littérature,mystique,bruegel,bosch« Bruegel-Majewski, du tableau au film », Magazine des Arts, avril-mai 2012, n°2, p. 86-97.

    « Le peintre de Rouge-Cloître » (sur Hugo van der Goes), NUNC, n° 32 (dossier Charles Péguy), février 2014, p. 107-118.

    Livres : Bruegel, la ferveur des hivers, Paris, Mame, 1993.

    Jérôme Bosch et l’étoile des mages, Paris, Mame, 1995.

    Bruegel ou L’atelier des songes, Paris, Denoël, 1987, rééd. Zurfluh, 2010 (épuisé).

    « Dans l’histoire de l’art et de la littérature, les influences ont sans doute moins d’importance, elles sont moins fascinantes, moins riches de sens, que les métamorphoses, les filiations : l’œuvre de Bau- delaire se transforme en celle de Mallarmé, celle de Mallarmé en Valéry, et nous savons ce que Rimbaud doit à Hugo et Claudel à Rimbaud. La création engendre et suscite la création.

    Claude-Henri Rocquet, Ruysbroeck, Ruusbroec, peinture, littérature, mystique« Les contemporains de Bruegel voyaient en lui un ‘‘nouveau Bosch’’. Quand j’ai écrit sur l’un et l’autre, vers 1968, pour l’Ency- clopædia Universalis, je voyais deux esprits s’oppo- ser, sinon se contredire : un esprit religieux et mysti- que, inséparable de la Bible, un esprit imprégné de la pensée antique, et tourné vers la terre et la ‘‘nature’’. Je déchiffrais Bosch à la lumière de Ruysbroeck. Et puis, chez Bruegel, j’ai vu, au-delà de la terre paysanne, au-delà de ses Géorgiques, sa proximité avec les géographes de son époque et, dans certaines de ses œuvres, sa relation avec le mythe : le Labyrinthe et Babel. Ce qui m’a conduit à reconnaître en lui un esprit religieux, un peintre chrétien.

    « La question de ‘‘l’hérésie’’ me semble au cœur de l’œuvre de Bosch : dans Le Jardin des délices, en particulier. Pour certains, cette peinture est une apologie de l’hérésie des Adamites ; pour d’autres, dont je suis, la mise en scène est le rejet de ce dévergondage ‘‘spirituel’’. La famille de Bruegel est celle de l’ ‘‘humanisme chrétien’’.

    claude-henri rocquet,ruysbroeck,ruusbroec,peinture,littérature,mystique,bruegel,bosch« Je n’envisage ici que le ‘‘sens’’ de ces œuvres. Je ne dis rien de leur génie, de la beauté de leur peinture. Qu’ils soient du Nord, ‘‘flamands’’, compte dans mon attachement à leur œuvre : ma ‘‘prédilection’’. Leur paysage est celui de ma naissance et de ma jeunesse. Ils ont puisé aux traditions populaires, aux jeux de mots et aux traditions du peuple : au ‘‘folklore’’, si l’on veut désigner cela d’un mot. Cela, chez Bruegel, s’allie à un grand savoir, une réflexion de philosophe : la kermesse et Platon, le carnaval et la bibliothèque peuvent confluer. C’est sur ce point, et non par les truculences, que se rejoignent Rabelais et Bruegel, Érasme.

    « Le sens du ‘‘peuple’’, chez Bruegel, n’est pas seulement celui des hommes en un certain lieu de la Terre, en un certain temps de l’Histoire, une patrie : ce sens du ‘‘peuple’’, en son fond, est un humanisme, un sens du ‘‘genre humain’’, une connaissance de l’homme. Un amour de l’homme, aussi ; mais sans l’amour, qu’est-ce que la ‘‘connaissance’’ ? »  (entretien de Claude-Henri Rocquet avec Pascal Amel, « L’œil de Claude-Henri Rocquet. Écrire la peinture », (art absolument), n° 52, mars-avril 2013, p. 105-106.)

    claude-henri rocquet,ruysbroeck,ruusbroec,peinture,littérature,mystique,bruegel,bosch(2) Claude-Henri Rocquet, Lanza del Vasto, serviteur de la paix, Paris, L'Œuvre, 2011.

    Anne Fougère & Claude-Henri Rocquet, Lanza del Vasto : pèlerin, patriarche, poète, Paris , Desclée de Brouwer, 2003.

    Lanza Del Vasto, Les Facettes du cristal : entretiens avec Claude-Henri Rocquet, Paris, Le Centurion, 1981.

    quatrième de couverture

    Claude-Henri Rocquet, Ruysbroeck, Ruusbroec, peinture, littérature, mystique« La rencontre de Lanza del Vasto est l’une des grâces majeures de ma vie. Si vers ma vingtième année je n’avais pas rencontré cet homme, sa lumière, son enseignement, et sa patience envers le jeune maladroit que j’étais, aurais-je eu connaissance du très ancien et toujours vivant chemin de l’homme, aurais-je commencé d’ouvrir les yeux dans la nuit intérieure, aurais-je su dissiper enfin le mensonge de l’inepte violence ? Mais cette grâce, qui fut d’abord un émerveillement, j’en ai sans doute longtemps méconnu la nature et la force. Longtemps, je me suis tenu à l’écart de cette grande figure paternelle, j’étais irrité de sa foi en ce Dieu dont notre bavardage fait un mort, un ennemi ; je me crus même un cœur hostile à ce cristal. Pourtant, à travers les années, parfois, il m’arrivait de rêver de lui et de ses compagnons ; et la blancheur de ces rêves au réveil m’était douce : lumière et laine dans le désert et la confusion des jours. »

    Claude-Henri Rocquet, Ruysbroeck, Ruusbroec, peinture, littérature, mystique(3) Pages publiées sous une forme différente : « Ruys- broeck. Mystique nuptiale, mystique maternelle » in Alain Dierkens & Benoît Beyer de Ryke (ed.), Maître Eckhart et Jan van Ruusbroec – Études sur la mystique « rhéno-flamande » (XIIIe_XIVe siècle), Bruxel- les, Éditions de l’Université de Bruxelles, [Problèmes d’Histoire des religions], t. XIV, 2004, p. 211-226. Il s’agit des chapitres : « Luc et Véronique », « Mystique nuptiale, mystique maternelle, Eucharistie », « Sainte Belgique » et « Le livre des douze béguines », le quatrième portant en grande partie sur la question de la traduction.

     

     

    Claude-Henri Rocquet, conférence, fin 2012, Nîmes 

     

     

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    Le jardinier de Babel

    portrait de Claude-Henri Rocquet par Xavier Dandoy de Casabianca

    (vidéo, 1993)

     

     

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  • Le Flamand chez Maurice Vlaminck

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    « Maurice le Flamand »

    peintre et écrivain

    vu par les autres et par lui-même

     

     

    « Sous ses apparences d’Hercule forain, nul plus que Vlaminck n’a le sentiment aigu des choses, de leur profonde réalité. »

    F. Carco

     

     

     

    Maurice Vlaminck, F. Carco, André Salmon, Henri Béraud, Georges Charensol, peinture, littérature, Flandre, Flamand

     

    « Si le génie est irréductible à toute justification logique, il n’est pas interdit de chercher dans la vie de l’homme quelques éléments constitutifs de la personnalité de l’artiste. Les ancêtres de Maurice de Vlaminck (Maurice le Flamand) sont des marins hollandais. Le père de Vlaminck, professeur de piano, fit, à Paris, la connaissance d’une jeune pianiste et leur fils Maurice naquit le 4 avril 1876, dans le quartier des Halles. Toute sa vie il sera tiraillé entre son ascendance paternelle, à laquelle il doit son puissant tempérament et un goût de la liberté qui le conduira aux confins de l’anarchie, et l’influence puritaine de sa mère, protestante de stricte observance. La sévérité des jugements qu’il porte sur le monde qui l’entoure, ses goûts littéraires, ses colères contre la décadence de notre civilisation ne s’expliquent que si l’on sait qu’il fréquentait régulièrement dans son enfance le temple de Saint-Germain-en-Laye. Déjà, pourtant, son indépendance s’affirme et il réagit contre le milieu familial, d’une part en apprenant seul à jouer du violon au lieu de poursuivre des études régulières ; d’autre part en se passionnant pour le vélo.

    maurice vlaminck,f. carco,andré salmon,henri béraud,georges charensol,peinture,littérature,flandre,flamand« C'est en donnant des leçons de violon, en jouant dans des orchestres tziganes et en gagnant des courses de bicyclette qu’il fait vivre sa famille. Car il se marie et il a rapidement deux filles : ‘‘À Nous quatre, disait-il, nous n’avions pas quarante ans.’’

    « Son meilleur biographe, Florent Fels, signale un bourrelier du Vésinet qui, avec les couleurs brutales de son métier, traçait d’étranges portraits qui impressionnaient le jeune Vlaminck. Il s’essaie donc à la peinture.

    « En mars 1901 il reçoit le choc décisif : à la galerie Bernheim Jeune, il découvre Van Gogh. Il n’est pas douteux qu’il ait trouvé, dans les violences du Hollandais, une réponse aux questions qu’il se posait devant les œuvres qu’il peignait lui-même : ‘’Ce jour-là, a-t-il dit, j'aimais mieux Van Gogh que mon père.’’

    « Un autre événement important, c’est sa rencontre avec Derain. Dans son livre, Portraits après Décès, Vlaminck écrit : ‘‘Sans cette rencontre l’idée ne me serait pas venue de faire de la peinture mon métier et d’en vivre. Il n’est pas moins sûr que si Derain ne poursuivit pas ses études qui l'eussent mené à Centrale et fait de lui un ingénieur, c’est à cette même circonstance qu’il le doit.’’

    maurice vlaminck,f. carco,andré salmon,henri béraud,georges charensol,peinture,littérature,flandre,flamand« […] Cette maîtrise qui se reconnaît dans ses œuvres les plus abouties, il l’atteint pendant cette guerre de 1914 qui a été, pour lui aussi et bien qu’il n’ait pas quitté Paris, l’événement marquant de sa vie. Elle l’a conduit à s’éloigner de la capitale, à rompre avec Derain, à adopter une vision réso- lument pessimiste du monde et de la vie. Il abandonne son atelier de Montparnasse et va s’installer à Valmondois, le pays de Corot, de Daumier, non loin de cet Auvers où Van Gogh s’est suicidé.

    « Mais il est encore trop près de la ville où il fait des séjours de plus en plus rares et, en 1925, il va s’installer aux confins de la Beauce et du Perche. Là il découvre une vieille maison paysanne qui domine à peine le paysage doucement ondulé. Cet horizon immense lui rappelle ces plaines du Nord qu’il aime et d’où sa famille est sortie. Au loin, comme dans les Flandres, un glorieux beffroi : la baie de l’atelier qui s’ouvre largement sur la plaine révèle à l’horizon le clocher de Verneuil-sur-Avre. Une sorte de tour à deux étages justifie le nom de La Tourillère. C’est là qu'il est mort le 11 octobre 1958. »

    Georges Charensol, Les Grands maîtres de la peinture moderne,

    Éditions Rencontre, 1967

     

     


     

    « Parfois la nature n’en finit pas de nous surprendre ! Ainsi, Maurice de Vlaminck – bien que né à Paris – a pour parents un père flamand et une mère lorraine qui sont tous deux musiciens… Autant dire que le petit Maurice côtoie très tôt à la fois le milieu artistique et une certaine essence flamande qui auréole encore de nos jours les courants picturaux… Toutefois, ce futur grand peintre est un très mauvais élève. Il n’use pas beaucoup ses fonds de culotte sur les bancs de l’école et découvre la vie active par différents métiers : coureur cycliste, professeur de violon, journaliste (à l’esprit rebelle). Il se sent cependant titillé par l’envie de peindre et s’adonne à ce qui sera sa vraie grande passion dès 1899. Il a d’ailleurs d’excellentes fréquentations, dont celle de Derain ! Ils louent ensemble un atelier. Cinq ans plus tard, à force d’obstination, il commence à faire parler positivement de lui au point que Berthe Weill décide de lui octroyer une véritable publicité. Deux Salons l’accueillent alors : le Salon d’automne et le Salon des Indépendants. Il rencontre ainsi des surdoués de la peinture tels Marquet, Manguin, Matisse, Braque, Van Dongen… Les ‘'Fauves’’ enthousiasment littéralement de Vlaminck qui, malheureusement, ne mange pas toujours à sa faim…

    maurice vlaminck,f. carco,andré salmon,henri béraud,georges charensol,peinture,littérature,flandre,flamandLa roue finit par tourner et Vollard s’éprend du talent de l’artiste. Il lui achète tous ses tableaux. La guerre éclate, de Vlaminck est mobilisé et, contraint et forcé, abandonne momentanément ses pinceaux. Dès 1919, le succès est au rendez-vous. Il expose chez Druet. Ses toiles s’arrachent, ce qui permet au peintre parisien de s’acheter une maison à la campagne, fuyant – ravi – la capitale française dont il a toujours eu du mal à supporter le rythme trépidant et les mondanités. D’ailleurs, Maurice de Vlaminck aime (violemment – curieux paradoxe !) la nature. On retrouve cette force démoniaque dans sa toile Sur le zinc, expressionnisme affiché aussi dans sa représentation du Père Bouju (1900). Il est certain que Van Gogh l’influence (Moissons sous l’orage, 1906). Affichant son parcours autodidacte, cette liberté assumée explose de toutes parts, tant au niveau du trait spontané, quasi pulsionnel, que de la couleur pure. De Vlaminck reconnaît les grandes pointures de la peinture du début du XXe siècle et ne se prive pas de coucher aussi au bout du pinceau une gestuelle à la Cézanne (Chatou, 1907). Les années passent et, malgré un bref détour par le cubisme lié en partie à sa vénération pour Cézanne, les tons s’assombrissent progressivement mais les contrastes trouent quasiment le support de façon complexe, inattendue et légitime : ainsi le vermillon peut-il faire son apparition à la manière de l’écriture de Stendhal. D’ailleurs, de Vlaminck surprend sempiternellement, utilisant avec un excès délibéré la fibre psychodramatique. Son œuvre est sublime. Notons aussi que ce prestigieux artiste a su mettre sur le papier ses affects et autres fantasmes, se livrant en parallèle aux romans et poèmes : D’un lit dans l’autre, 1902 – Tout pour ça, 1903 – Le ventre ouvert, 1937… »

    Ivan Calatayud

     

     

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    « Maurice de Vlaminck est né à Paris, dans le quartier des Halles, 3, rue Pierre-Lescot, le 4 avril 1876, d’un père flamand, Edmond-Julien de Vlaminck et d'une mère d’origine lorraine, Joséphine-Caroline Grillet, qui eurent trois enfants, une fille et deux fils. Le père exerça d'abord le métier de tailleur. Par la suite, il professa la musique, violon et piano. Sa femme, également musicienne, était un second prix de piano du Conservatoire.

    ‘’Je suis né dans la musique’’, a écrit leur fils qui, bientôt, jouera du violon comme un tzigane, presque sans l’étudier.

    Le grand-père paternel de Maurice était maître tailleur. À la fin de sa vie, dans une maison de retraite, au bord des canaux de Bruges, le vieillard, jusqu’alors parfaitement étranger aux beaux-arts, se mit à peindre spontanément. Un jour peut-être connaîtra-t-on les peintures de Vlaminck l’Ancien.

    CouvVlaminckRadio.pngLe père de sa grand-mère, de Skepere, était capitaine au long cours. Lorsqu’on remonte au-delà de ce capitaine, dans l’entrelacs des arbres généalogiques, les ancêtres de la famille paraissent avoir été, pour la plupart, des fermiers flamands et des marins hollandais.

    Cette ascendance donne un accent particulier à l’amour, qu’au surplus de l’admi- ration, Vlaminck n’a cessé d'accorder à Van Gogh. Lorsqu’il assista, pour la première fois, rue Laffite, à une exposition du pauvre Vincent, les harmonies brutales et chantantes du Hollandais martyr le bouleversèrent au point qu’il a noté dans ses Mémoires : ‘’Ce jour-là, j’aimais mieux Van Gogh que mon père.’’

    On peut, dans le même sens, relever au passage qu’un des rares peintres modernes qui aient trouvé grâce à ses yeux soit un autre Hollandais d’origine, Kees Van Dongen. » (source : ici)

     

     

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    CouvCarcoAmi.png« Ayant vu le jour, dans le quartier des Halles, en face du Square des Innocents, Vlaminck fut élevé dans la banlieue de Paris. ‘‘Ma jeunesse s’est passée sur l’eau et les berges de la Seine parmi les débardeurs, les mariniers, m’écrivit-il à l’occasion d’une petite étude que je lui consacrai. Mon père, musicien était né en Flandre mais de souche hollandaise.

    ‘‘Pour faire de la peinture, déclarait l’excellent homme, faut être riche !’’

    Son rêve était de voir plus tard son fils, chef de la fanfare de Chatou et il ajoutait, le plus sérieusement du monde :

    - De cette façon, tu demeurerais dans la Mairie. Tu serais logé. Tu ne paierais pas de loyer. »

    Francis Carco, L’Ami des peintres,

    Éditions du Milieu du Monde, 1944, p. 67

     

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     Salmon par Vlaminck ou Le Père Bouju

    Maurice Vlaminck, F. Carco, André Salmon, Henri Béraud, Georges Charensol, peinture, littérature, Flandre, Flamand« Vlaminck qui signa d’abord Maurice Wlaminck, Maurice le Flamand. Une riche nature de brute émotive que la vanité empêcha d’être tendre. Une vanité singu- lière, une sorte de déviation en spirale d’une obsession de la modestie, de l’humilité. […] Vlaminck n’a jamais manqué de verve, sauf quand il prenait la plume pour éreinter ses anciens camarades. […] Il doit tout à ses œuvres, étant, comme dit l’autre, parti de rien. Lâchant le chevalet pour l’écritoire, il ajoute une page ou deux à ses recueils de malédictions. Il reprend son thème favori : l’opposition du plein chêne au bois d’ébène. C’est pour lui le plein chêne ; les autres peintres, c’est dans ébénistes, sauf Modigliani, Dieu sait pourquoi. […] Adversaire de la plupart, Vlaminck n’a pas eu d’ennemis. On ne demandait qu’à donner bien de l’amitié à cet artiste souvent admirable. Je pense qu’il paya très cher le plus vaste de ses domaines : la solitude. »

    André Salmon, Souvenirs sans fin. 1903-1940,

    nouvelle édition préfacée par Pierre Combescot, Gallimard, 2004

     

     

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    « On conte que, lorsque Gustave Flaubert et son inséparable Louis Bouilhet venaient ensemble à Paris, les boulevardiers du second Empire faisaient la haie au bord des trottoirs, afin de mieux admirer le couple des ‘‘bons géants’’, qui se ressemblaient comme des frères.

    « Les Parisiens d’il y a vingt ans n’étaient assurément pas moins éberlués, lorsque les peintres Vlaminck et Derain foulaient, côte à côte, de leurs pieds solides, le bitume de la capitale. On voyait se lever vers les deux enfants de Chatou, qu’unit le talent et l’amitié, des nez stupéfaits. Et ces jumeaux en Apollon pouvaient bien s’attarder dans les quartiers les plus suspects sans qu’il vînt à aucun rôdeur l’idée de leur demander l’heure qu’il était.

    avec Derain en 1942

    Maurice Vlaminck, F. Carco, André Salmon, Henri Béraud, Georges Charensol, peinture, littérature, Flandre, Flamand« Ainsi, Maurice Vlaminck n'est pas un génie souffreteux. Ce grand gaillard est un grand peintre. Il porte un des plus beaux noms de la peinture française d’aujourd’hui […] Maurice Vlaminck excelle à discerner la beauté la plus rare dans l’aspect le plus quotidien des choses. Il est le peintre des banlieues, où, sous la clarté pesante et mélancolique des ciels suburbains, les maisons chancellent comme des malades ; il aime les paysages d’eau triste et des jours inquiets. Mais il est, par cela même, le peintre de drames puissants ; il n’en est point qui se tiennent plus ‘‘près de la vie’’. Il a peint autour de Paris, à Lajonchère, à Garches, à Bougival, des paysages qui pourraient servir de décors aux drames des cycles nordiques. Tout cela est brossé d'une main forte, d'une poigne qui domine chez le peintre l’angoisse du poète. Cette contradiction, qui souvent étonna les critiques, traduit parfaitement la nature de Maurice Vlaminck. Il est, en effet, célèbre par son entrain, ses boutades et les mystifications de sa jeunesse. […] Sa conversation a quelque chose d’énorme et de joyeux comme si dans sa voix de cyclope roulaient tous les tambours de la gaité. Chacun dit ‘‘qu’il est jovial’’. Et tous se trompent. Vlaminck, avec son rire d’ogre et ses yeux bleus de gosse flamand, est un artiste anxieux, un rêveur craintif que dévore sans relâche la fièvre du doute. […] Il disait, un jour : ‘‘La vie d’un peintre, c'est la course Paris-Bordeaux. Quand vous arrivez à Tours, il faut qu’il vous reste du souffle pour aller à Poitiers. Là, il faut en trouver pour atteindre Angoulême, et, si vous claquez à Angoulême, c’est comme si vous n’aviez rien fait. Le tout est de bien régler le jeu de ses poumons.’’ »

    Henri Béraud, « Le peintre Maurice Vlaminck ou le colosse anxieux »,

    Le Petit parisien, 31 janvier 1921

     


     

     

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    « Vivre du lait de sa vache, des œufs de ses poules et des pommes de terre de son champ, a toujours été chez moi une idée fixe. Si le hasard me conduit dans une forêt, dans une lande, loin du monde et de la multitude, je m’interroge et des fantômes me poursuivent. Mon grand-père, qui vivait dans la campagne flamande, me pousse sans arrêt à revenir à la vie simple qu’il a vécue : les champs, les prés, la rivière, la terre, les animaux et le silence…

    On est toujours pourchassé par les désirs, les besoins, les inquiétudes et les revanches à satisfaire que les fantômes font naître dans le subconscient. Une de mes sœurs a été poursuivie, toute sa vie durant, par le fantôme de sa grand-mère qui lui a fait accomplir tous les gestes, toutes les folies qu’elle-même n’avait pu se laisser aller à faire.

    Mon grand-père ne me laisse pas de repos. Devant chaque paysage, où les bois, les futaies, les vieux arbres, les vieilles maisons, forment un tableau des temps anciens, mon grand-père me tarabuste afin de me mettre en transes et m’obliger à lui obéir. Pour lui faire plaisir, pour l’apaiser, j’ai souvent peint ce qu’il aimait. Je sais ce qu’il veut et je compose à son intention des paysages âpres et tragiques : ceux où le vent courbe les arbres et fait courir les nuages dans un ciel sombre. J’ai peint aussi des campagnes, des villages sous la neige pour ma grand-mère qui maurice vlaminck,f. carco,andré salmon,henri béraud,georges charensol,peinture,littérature,flandre,flamandétait Hollandaise, ainsi que des natures mortes avec des pots en grès, la soupière en étain et la marmite en terre. Certains fantômes nous invitent à aimer le café au lait, la soupe aux choux et le lard fumé. Mon grand-père devait aimer les chaudrons de cuivre, les meubles lourds et noirs, patinés par le temps. Il devait aimer le feu de bois dans la grande cheminée et fumer la pipe en regardant les flammes.

    Le fantôme de ma mère m’a souvent donné des conseils de modération et celui de mon père des conseils de violence, utiles dans certains cas.

    Les morts poussent les pauvres vivants à réaliser ce qu’ils n’ont pu réaliser eux-mêmes […]. Tous les désirs insatisfaits, tous les espoirs déçus de ces pauvres défunts rendent hystérique et folle la malheureuse humanité. »

    Maurice Vlaminck, Paysages et Personnages,

    Flammarion, 1953, p. 134-136

     

     

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     Maurice Vlaminck, 1949

     

     

  • L’œuvre de Karel Dierickx

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    Pour Karel*

    par Nicolas Rozier

     

     

    Karel Dierickx, Nicolas Rozier, peinture, flandre, revue Nunc, Jean Grosjean 

    K. Dierickx, Autoportrait, 2008

     

     

    L’œuvre de Karel Dierickx a transpercé toutes les offenses, tous les paliers de découragement. Cette manière de prendre l’espace avec la brisure des lignes nous montre ce que serait notre étreinte du vivant si notre liberté empoisonnée parvenait à éclater. Ce qui hante Dierickx au point de nous mordre par le crissement de ses échafauds précaires, c’est le dégagement d’une voie suprême qui passe par le dessin, la réalisation humaine d’une dignité panique qui ne peut plus attendre. Un transpercement des patiences de l’Art. Nous reconnaissons bien un paysage, un bocage, un coin de verger, une clôture, mais la banalité des théâtres correspond chez Dierickx à la puissance de certaines armatures hospitalières où le pays dont chaque homme crève se révèle, esquisse sa promesse défigurée. Certaines courbes de collines déchaînent une bonhommie des formes face auxquelles l’artiste comme le non artiste ne veut plus quitter son poste de pèlerin de lui-même.

    Karel Dierickx, Nicolas Rozier, peinture, flandre, revue Nunc, Jean GrosjeanC’est l’averse qui comp- te, la fermeté fléchée des traits qui pointent, les zébrures d’un saule pleureur général. Chez Dierickx, l’esprit de chevron est capital. Les bâtons obliques font une limaille domestiquée où l’encoche cabrée dicte ses rafales. Une nuée d’im- pacts sur la feuille où la tête et l’arbre sont d’un essor indifférencié, d’un même balisage extatique, d’un même camp de base dans l’extrême. La fierté, ce sang de la vie, n’a jamais été délogée des arbres ni des figures qui leur ressemblent. Dierickx retourne toujours aux clairières, aux prairies et aux ruines des villes taillées en flèches d’épopée granitique. Quelques cadrages élémentaires, quelques tableaux prédécoupés où l’éternité, déchirante comme le passé, est métallisée par le désir : des coins de forêt, des coins de visages, une pénombre d’héroïsme où de violents tumulus se disputent les socles de l’homme poète. Et là, tout se télescope dans une fastueuse hybridation : la ligne tortueuse, la boucle, les frisures, les zigzags, les éclairs, les zébrures, les encoches, les nœuds, les lacis nerveux et leurs éclats, les rafales de bâtonnets, les hachures, l’assaut rythmique, les brusqueries et les quasi transparences d’un autre réseau caressant où il ne reste de la pointe du crayon qu’un sillon sans graphite. Des sarabandes, des frises, des traînes, des édifices éboulés dans leur lierre où la puissance du maître se laisse guider par les retouches de l’enfance.

    Dans un même profil de visage, dans un même portrait de chien, cohabitent et fusionnent la grande manière née des années à fourbir les armes de la délicatesse et la vitesse sans crainte de l’enfant de trois ans. Au final, cet alliage, cette main d’âges multiples réalise le soin inouï d’une tendresse hiératique trempée dans la pierre d’effroi. C’est mural, pariétal, tombal, lustral et percé de lumière oblique déferlante, de rosée des beaux jours, de museau regretté, pour finir en place de village reprise par les herbes, en masses devinées d’antiques fontaines, de margelles redevenues des rochers, et ce sont partout les ruines d’une bonté. Dierickx révèle le dessin à son propre terrain vague, à sa lande innée, par quelques ordres, quelques indications de celles qui jalonnent une partition ; c’est ici l’hémisphère d’un visage, là un chien brumeux et toujours ces lignes sinueuses où les rails, les piquets de clôtures, les sentiers s’enchevêtrent aux volutes d’un espace de rencontre merveilleuse, de Provence absolue où les lambeaux de la peine auraient roulé, auraient fini par se végétaliser en arche de rencontre, pour devenir cette place où l’abandon, la désolation accèdent par un fourmillement d’apparitions à l’Eden du rebelle. Si nous aimons sans qu’il y ait toujours de femme, d’homme, de chien ou d’oiseau au balcon de l’amour, leurs spectres vivants pointent dans les profondeurs dessinées du Flamand.

     

     

    Ces huiles sur toiles, ces gouaches, ces mines de plomb, ces pastels secs ou à l’huile, ces techniques mixtes ne sont pas là pour « intéresser » les lorgnons en mal de ration culturelle. Il y a dans l’intérêt une attitude penchée qui déjà ne voit plus, qui déjà s’apprête au boniment. Les œuvres de Dierickx sont directement filiales, leur pouvoir de révélation lève les cadavres de la vraie vie qui bougent encore. La réussite est brutale car elle porte au devant d’elle-même le blason accumulé de ses délicatesses assassinées et reprises en dessin à la mort troupière. Sous le coup de la bourrade admirative, nous sommes les subjugués, et c’est là toute la justice à rendre à cette œuvre rare parmi les rares, cette cathédrale du mérite qui ne tient debout qu’à resplendir à fleur de sang.

    Paysage, 2007

    Karel Dierickx, Nicolas Rozier, peinture, flandre, revue Nunc, Jean Grosjean

    Dans ses jeunes années, le peintre flamand a choisi d’abandonner la voie fa- cile, ce chant des sirènes où l’apprenti artiste est sommé d’atrophier sa part sacrée en sévissant dans cette branche du mar- keting et de la publicité appelée art contemporain. Karel apparaît comme l’épouvantail de toutes les manigances pour s’être montré incapable de lâcher un certain portail défoncé du domaine marginal. Ses dessins ne perpétuent pas une filiation de l’art imitatif, ce qu’il fait est plus dur, plus angulaire, plus moderne, ses visages pleins de nodosités correspondent davantage à cet absolu baudelairien de l’avenir. Plus il approche et devance l’agneau transi de toute circonstance, plus ses portraits démontés d’une passion grave rendent cette déchirure en métal d’éternité, cette utopie de l’intense.

     

    Eau-forte (détail) pour le recueil Giotto’s Hemel de Stefan Hertmans

    karel dierickx,nicolas rozier,peinture,flandre,revue nunc,jean grosjeanMême chez Giacometti et Eugène Leroy, on n’a pas cette faculté à faire sauter le carcan de la scène, ce côté mise en boîte d’une statuaire où quelqu’un sinon quelque chose a pris la pose. Chez Dierickx, nous sommes passés à un niveau de l’Art qui généralement n’a pas été perçu et qui, s’il l’était, ferait passer l’art mondial pour ce qu’il est : celui d’une insipide province dans une galaxie où elle n’aurait pas son mot à dire. C’est une question de force maintenue dans sa douleur. Il faut chercher Artaud pour tenir compagnie à Dierickx, on y retrouvera comme par hasard cette puissance de liberté dans l’éclatement des formes, cette saillie imprévisible qui prend la feuille pour y frapper sa preuve de nerfs en gloire. Dierickx, comme Artaud, précipite sur la feuille les preuves cisaillées, hirsutes, les fétiches de grandeur pétrie où coïncident toutes les figures de l’amitié. La demi-lune des visages, les figurines, les sentiers sont là pour tonner tout en marquant une appartenance, tout en laissant se profiler une communauté, un phalanstère tricéphale de l’homme du chien et de l’oiseau, unifié par cette figurine que l’on aime sur le champ parce que son geste esquissé, son bras à peine levé déroule tout le passé d’une blessure reconnue. De l’expression au plus haut degré donc, mais une expression tellement usée d’être simplette qu’elle n’est plus qu’un désespoir d’expression, une ruée, une colère tournée contre le figement, un crissement, une discordance maintenant le dessin dans un état d’urgence ligneuse, de rutilance agressive où l’orée d’un sous-bois, l’arpent d’une prairie tendent leurs ombres hérissées d’arches inédites, le grain surpeuplé d’une déchirure bâtisseuse. Une masse sinueuse où font rage des retours de géométrie, une trituration qui veut son royaume, une poussée de charpente où la volonté se bat pour son avènement inconnu. Que cet karel dierickx,nicolas rozier,peinture,flandre,revue nunc,jean grosjeanavènement accroche ici et là des points d’ancrages évoquant des monceaux de ruines errantes, des édifices murmurés cor- respond bien à cette impression mutilée où clignotent, face aux œu- vres de Karel Dierickx, d’inépuisables possibles. 

     

     Les Strates du Temps, 2004

     

     

     

    * Ce texte du peintre et poète Nicolas Rozier

    a paru dans le n° 21 de la revue NUNC (juin 2010)

    qui propose un dossier Jean Grosjean.

     

    Merci à l’auteur et à l’éditeur.

     

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