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flandres-hollande - Page 61

  • Le droit au retour

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    2024. L’État d’Israël n’est plus qu’une peau de chagrin cernée d’un mur, en alerte permanente. Une grande partie de la population juive est partie vivre à l’étranger. Tout dans cet État confetti est surveillé, le moindre geste de chaque habitant comme les entrées sur le territoire : on ne peut passer les postes frontaliers que si l’on possède un ADN «juif».

    À Tel-Aviv, Bram Mannheim, 53 ans, né en Hollande, est le fils d’un scientifique lauréat d’un prix Nobel. Il a fondé une agence qui vise à rechercher des enfants israéliens enlevés entre autres pour le compte de familles palestiniennes ou autres. Seize ans plus tôt, alors qu’il était professeur d’histoire dans une université américaine, Bennie, son fils unique, a mystérieusement disparu. Bram n’a jamais pu se remettre de ce drame qui a ruiné son mariage et espère toujours retrouver son fils. C’est alors qu’un attentat suicide commis à un poste-frontière le conduit à remonter une filière de ravisseurs de jeunes garçons juifs. Où cela le mènera-t-il ?

    Thriller à la fois politique et familial, Le Droit au retour offre une vision du conflit israélo-palestinien qui laisse une place infime aux idéaux, et propose une galerie de personnages inattendus où chacun semble incarner un épisode de l’histoire juive.



    Leon de Winter, né en 1954 à Bois-le-Duc (Pays-Bas), est cinéaste, scénariste et romancier, et père de deux enfants. Il vit et travaille en Californie. Il est l’auteur d’une douzaine de romans, best-sellers aux Pays-Bas et en Allemagne, et traduits dans une vingtaine de langues. Le Droit au retour est son sixième roman publié au Seuil.


  • La Grande Dame et le Petit Garçon

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    Billets de lecteurs

     

     

     

     

    Geert de Kockere, Kaatje Vermeire, littérature jeunesse, éditions Rouergue, flandre, belgique, traduction

     

     

    « Les yeux, l’esprit et l’imagination des plus jeunes percent souvent bien au-delà desapparences, ils brodent parfois un univers qui alimente leurs fantasmes et leurs peurs et lui donnent un goût de réalité qui leur apparaît aussi tangible que la nôtre. A bien y réfléchir d’ailleurs, les adultes ont par moment cette manie eux aussi. C’est le cas d’un petit garçon, persuadé que sa voisine, une très vieille dame, attrape les petits enfants du haut de son balcon et les enferme dans sa cage à oiseaux pour les dévorer. Un mélange de fascination et de crainte attise alors la curiosité du minot, le poussant à prospecter et même à espérer la voir au détour d’une rue ou aux abords de chez lui. Mais la grande dame est-elle vraiment une ogresse ? 

    Geert de Kockere, Kaatje Vermeire, littérature jeunesse, éditions Rouergue, flandre, belgique, traductionAvec cette saveur de fantastique digne d’un conte traditionnel racontée par Geert de Kockere et ce graphisme fin et mystérieux signé Kaatje Vermeire, La Grande dame et le petit garçon semble toucher plusieurs genres. D’abord un soupçon d’étrange et de merveilleux grâce au récit entièrement développé autour du point de vue du jeune protagoniste, par lequel le lecteur scrute, soupçonne et découvre au fil des pages et des situations l’identité et la personnalité de cette insaisissable aïeule. Le petit garçon imagine d’ailleurs en premier lieu, avec force détails, les méfaits les plus effroyables. Le mythe de l’ogresse ou de la sorcière malfaisante cachée au fond de sa chaumière se retrouve ici transposée dans une ville moderne, avec des habitudes plus ancrées dans notre époque. En parallèle de ce ton onirique, se dessine une autre facette, celle d’un quotidien, d’une réalité tristement répandue : la solitude et l’isolement de certaines personnes âgées, partageant pourtant un mur mitoyen du nôtre.  L’auteur choisit donc une fable nuancée et oscillant entre deux univers pour ensevelir les résidus de manichéisme qui hantent généralement ce genre d’histoire, et jette avec sensibilité et un joli suspense un pont entre deux générations, une ode au partage et au dépassement des préjugés. 

    Geert de Kockere, Kaatje Vermeire, littérature jeunesse, éditions Rouergue, flandre, belgique, traductionSon très grand format et ses teintes boisées et naturelles font de La Grande dame et le petit garçon un objet vraiment raffiné, agréable et intrigant à découvrir. Spécialisée dans la gravure, Kaatje Vermeire use ici de plusieurs techniques d’estampes comme la gravure pointe sèche, la xylo, la lino ou la lithogravure pour délivrer cette atmosphère d’abord sombre et mystérieuse, à la limite de l’oppression, qui se transforme doucement en une sorte de frise lumineuse, assez ornementale, à mesure que l’on découvre qui est vraiment la « grande dame ». Au fil des pages, les planches qui s’amorçaient dans des teintes plutôt monochromes et tramées (notamment les nervures du bois apparentes) laissent place aux couleurs et au foisonnement de motifs fleuris, tels que les papiers peints « de grand-mère » ou la dentelle. Le visage d’abord fermé et incertain de cette voisine menaçante arbore finalement des traits fins et précis. Sa maison vue de l’extérieur prenant de prime abord des allures d’antre maléfique devient quand on la dévoile à travers les yeux du petit garçon une caverne d’Ali Baba ou un palais merveilleux. Le trait lui-même qui trace les silhouettes des deux personnages, répondant à l’ambiguïté du texte de Geert de Kockere, oscille constamment entre le réaliste et le fantastique. L’aspect figé des contours de chacun confère une élégante impression d’étrangeté propre au théâtre d’ombres chinoises, amplifiée par le contraste constant entre le très grand et le très petit (les deux protagonistes, les figures humaines face à la grandeur des majestueuses façades urbaines).

    La Grande dame et le petit garçon est un récit aux confins du merveilleux qui tisse avec sensibilité une jolie fable du quotidien et célèbre la partage et la curiosité de l’Autre. En dehors de cette thématique symbolique forte, les illustrations soignées et raffinées de Kaatje Vermeire sauront sans aucun doute séduire un public plus âgé que celui auquel  se destine notre histoire. Les amoureux de l’estampe notamment trouveront de quoi régaler leur appétit. »

     (hiddenplace, source)

     

     

     

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    « L’histoire paraît assez classique et rappelle plusieurs albums (notamment L’Ogre, illustré par Dedieu). Ce qui est très beau dans celui-ci, ce sont les illustrations de Kaatje Vermeire (dont c’est le premier album édité en France), qui mélangent des gravures à la pointe sèche à quelques collages de textiles. Autour des jeux d’ombre et de lumière, la couleur apparaît dans le t-shirt du garçon ou les oranges qui roulent sur le sol. On a presque envie de toucher les motifs de la robe de la vieille dame ou la tapisserie au mur. »

    (Madeline Roth, source)

     


     

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    « Un texte magnifique, plein de force, qui retranscrit avec justesse la capacité des enfants à se faire délicieusement peur. L’illustration est tout simplement sublime, travaillée en relief avec finesse, elle donne vie aux personnages et aux lieux. » (source)

     

     

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  • Un poème de Herman Gorter (1864-1927)

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    Du recueil L’École de la poésie

     

     

    HermanGorterParWillemWitsenVers1892.pngSurtout connu à l’étranger comme théoricien et homme politique, Herman Gorter demeure avant tout aux Pays-Bas l’un des poètes majeurs du renouveau littéraire de la fin du XIXe siècle. Dans son long poème épique Mei (Mai), « il a concrétisé de la manière la plus entière le programme poétique » du mouvement des Tachtigers et son recueil Verzen (Poèmes) lui a permis « d’aller aux confins d’une observation et d’une perception sentivistes de la nature »*.

    Le poème sans titre qui suit est extrait d’une œuvre datant de 1897 : De school der poëzie. On doit la traduction (La Revue de Hollande, 2ème année, T. 3, juillet-décembre 1916, p. 35-37) à un autre homme de lettres néerlandais, Dop Bles (1883-1940), qui a vécu à Paris où il s’est lié d’amitié avec, entre autres, André Germain, séjour qui lui a d’ailleurs inspiré ses Parijsche verzen (Poèmes parisiens, 1923).

     

     

    Ik zat eens heel alleen te spelen

    op een gedachteharp, de kelen

    van schemering en duisternis om mij

    fluisterden liedjes, het leek tooverij.

     

    Mijn vingers en mijn oogen teeder gleeden

    langs gele snaren, boven en beneden

    bleven ze langer, want ik wist niet wat

    ver achter in gedachtenvlakte zat.

     

    Een kinderbeeldje, dat is òpgerezen

    zwierig in haar gewaad, ze had te lezen

    gezeten in haar vreemd gedachtenboek,

    nu stond ze in een gelen rimpeldoek.

     

    Nu kwam ze dichter bij, we zijn gekomen

    midden ter vlakte onder heel wat boomen,

    we spraken niet, want boven zei de wind

    al mijn gedachten en die van het kind.

     

    Maar te dansen zijn we wel gegaan,

    heen en weer, op en neer, een lange baan

    van luchtige passen, voeten beurteling

    omhoog, omlaag, als rozenbuiteling.

     

    Te dansen zooals twee rozen gaan,

    rozeroode rozen tusschen groene blaan

    samen gesproten van uit ééne steel,

    twee windewiegelingen, geen geheel

    maar altijd twee, hoewel ze ongescheiden

    het leven doordansen met hun roode beiden.

     

    Zoo dansten wij, mijn vingers scholen in

    ’t geelglimmende fluweel, een diepen zin

    voelden ze daar van ’t levende dat edel

    in ’t gele woonde, en de windevedel

    blies uit een adem van een gele stof

    zooals een zonneschijn in bloemehof.

     

    Wij zeiden altijd niets maar sprongen om ons om -

    haar gouden oogen fonkelden, haar lippen bleven stom -

    de wind zei àl gedachten, en de dansemaat

    die fonkelde in diamant op haar gelaat.

     

    Maar eind’lijk zei ze goeien dag en is weer weggegaan,

    op hare lippen danste lach, haar kleed was als de maan

    zoo flikkerend om ’t dansend lijf, zoo sprong ze heel, heel ver,

    zooals de gouden maan eerst, toen zooals de gouden ster.

     

    Ik ben zooals een oosterster, zij tintelt in het westen,

    wij tweeën vogels weten wel de takken onzer nesten,

    wij komen nog wel weer te saam, is het niet, is het niet,

    dansende liefste, liefste, liefste, op windelied?

     

    Maar onderwijl zit ik te spelen

    op een gedachteharp, de kelen

    van schemering en duisternis om mij

    fluisteren liedjes, het lijkt tooverij.

     

     

     

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    * Histoire de la littérature néerlandaise, Fayard, 1999, p. 568.

     

    Portrait de Herman Gorter par Willem Witsen, vers 1892.

     

     

     

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    H. de Liagre Böhl, Herman Gorter 1864-1927. Met al mijn bloed heb ik voor U geleefd, Olympus, 2000, 559 pages. (biographie)  

     

     

     

  • Le Carnet et les Instants

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    Le bimestriel des lettres belges de lange française Le Carnet et les Instants  vient de lancer une rubrique consacrée à la littérature flamande en traduction française. La première chronique a paru dans le n° 165 (couverture ci-dessous) sous la plume de Joseph Duhamel : « Le phénomène Stefan Brijs » (p. 23-25) Elle revient longuement sur le roman Le Faiseur d’anges suite aux rencontres qui ont eu lieu en novembre à Cognac entre écrivains belges d’expression néerlandaise et leurs confrères d’expression française. Le prochain numéro s’intéressera à la romancière Anne Provoost. 

     

     

    EXTRAIT

     

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  • Souvenir de jeunesse

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    L’émoi amoureux selon Cyriel Buysse

     

    Une pièce écrite en français par le romancier flamand Cyriel Buysse qui, établi à La Haye avec son épouse hollandaise, se remémore une page ingénue de ses jeunes années.

     

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    La Lys en Flandre est une rivière bien douce et bien charmante… Douce, et paisible, et heureuse, elle coule très lentement,elle coule à peine, au long de ses nœuds lâches et de ses boucles allongées, entre des rives fleuries et vertes, qui, légèrementondulent.

    Une poésie intime l’enveloppe et l’environne. On a toujours envie de parler doucement et de sourire sur les bords enchanteurs de laLys. On y voudrait, comme l’alouette, planer très haut dans lecielpâle et calme et y chanter la mélodie sereine des joies simpleset claires : de la fertilité des belles campagnes, de la noblesse de l’utile travail, du charme berceur des repos mérités. 

    Les champs luxuriants et embaumés descendent de loin en pentes allongées vers la Lys. On les dirait comme attirés d’un glissementirrésistible ; on dirait qu’ils veulent voir et jouir, et baigner dans la douceur exquise de l’atmosphère qui se dégage de la Lys. 

    Il y a des fermes sur les bords, et des villages, et des moulins et des clochers. De blanches maisonnettes s’y mirent, avec des volets verts et des toits roses. Des arbres s’y penchent, grands écrans de saine verdure sur le ciel bleu ; et des barques y glissent, grises, silencieuses et lentes, avec un pêcheur qui descend son filet ou qui laisse pendre sa gaule. Et partout dans les beaux pâturages se meuvent les riches troupeaux : ici les vaches brunes et blanches, pareilles à de très grandes fleurs brillant au soleil sur la nappe verdoyante ; là les fortes juments et les poulains folâtres, qui soudain, parfois, partent, crinière au vent dans un galop désordonné et bref, faisant trembler le sol et s’envoler les mottes de terre.

    Puis, peu à peu, à mesure qu’on descend vers le sud, l’aspect de la rivière et du pays changent. Une vie plus intensive se manifeste, l’aire est plus habitée, les grandes métairies se multiplient, des cheminées d’usine s’élèvent, l’onde elle-même semble vibrer d’une agitation secrète et bientôt apparaît, à droite, à gauche, sur les deux berges plates, un large et long fourmillement de petits cônes grisâtres, qui semble s’étendre et se multiplier à l’infini avec les sinuosités capricieuses de la rivière. Un monde de travailleurs y est occupé ; des chalands se chargent ou se vident, des meules s’érigent ou se disloquent, de lourds chariots vont et viennent et l’atmosphère entière est saturée d’une odeur douceâtre et pénétrante, qui semble l’odeur même, vitale et chaude, de tout un peuple et de tout un pays en travail absorbant et effréné.

    C’est le pays du lin, la contrée la plus riche et la plus prospère de la Flandre ! Riche et forte avec exubérance ; belle d’une poésie particulière et farouche ; belle et noble de son ardeur vivace au grand air, au grand soleil, au grand travail !

     

    *

    **

     

    cyriel buysse,flandre,revue de hollandeSouvent, jadis, je venais dans ce pays. J’y avais des affaires. Généralement, j’y passais trois fois par semaine. J’arrivais par un des premiers trains du matin et puis, à pied, je faisais des lieues, suivant la rivière, allant d’usine à usine, de métairie en métairie.

    J’aimais cette vie, je me sentais heureux dans ce milieu. Maintenant encore, quand j’y pense, quand je songe à ce pays que j’ai tant aimé et que je ne reverrai peut-être plus, je sens des bouffées de chaleur et de tendresse émue me monter au cœur. Je marchais d’un pas alerte et vif le long des sentiers embués de rosée, je regardais les choses de mes yeux enthousiastes et clairs, j’échangeais un bonjour enjoué avec les passants et parfois je faisais un bout de causette avec eux. J’avais cet âge heureux où l’on sent que le monde vous appartient et où l’avenir apparaît comme un vaste horizon de lumière qui ne recèle que bonheur et beauté !

    Il y avait encore pour moi un autre charme étrange et tout particulier à ces excursions. Chaque fois, régulièrement, au même endroit et à la même heure, je rencontrais sur ma route une jeune paysanne accorte et jolie !

    Elle avait des yeux et des cheveux noirs, des joues roses et un doux et caressant sourire. Elle me disait bonjour, souriait et passait. Je répondais de même et c’était tout.

    C’était peu, mais cela suffisait au léger bonheur, à la félicité ambiante qui était à cette époque comme l’atmosphère même de mon insouciante vie. J’ignorais son nom et je n’éprouvais nul besoin de le connaître. Je ne savais si elle avait un amoureux, qui sait ! un mari, un amant peut-être. Tout cela m’était indifférent ; il me suffisait de la voir, de la rencontrer de nouveau à chacun de mes voyages et de recevoir son gentil salut et son joli sourire, de même que je revoyais chaque fois avec le même plaisir la Lys charmante avec ses poétiques méandres, avec ses berges et ses rives, avec les champs, les fermes et les arbres, avec les moulins et les clochers, avec toute la vie ardente et magnifique de ma belle Flandre, au grand soleil d’été.

    Car je n’y venais que l’été, dans ce pays du travail et du lin. J’y arrivais comme un oiseau migrateur, attiré par la belle saison ; et avec les feuilles mourantes je disparaissais, pour n’y plus revenir avant le renouveau prochain.

    Alors, parfois, pendant le long hiver, je pensais vaguement à elle. Que faisait-elle durant ces jours d’une infinie tristesse, lorsque la bise hurle et siffle dans les cimes dénudées, lorsque de noirs nuages semblent peser comme des montagnes de plomb sur la campagne désolée ou lorsque les frimas et les brouillards l’enveloppent et la noient ainsi qu’une chose vague et molle, qui a cessé de vivre ! Etait-elle là, dans une de ces grandes fermes tristes et sombres, assise au coin de l’âtre, auprès des vieux et des vieilles, à écouter de dolentes histoires de jadis ; ou travaillait-elle à des besognes rudes, comme font les autres gars et filles de fermes ? Et la reverrais-je au printemps, comme les autres années, jolie et accorte, me souriant de ses beaux yeux et de sa bouche rose, heureuse, elle aussi, de revoir ce monsieur qu’elle rencontrait toujours sans le connaître, ce jeune inconnu insouciant et heureux, qui lui rendait fidèlement son salut et son sourire et qui tous les ans s’en revenait et repartait mystérieusement avec les beaux jours, avec les fleurs et les oiseaux ?

    Je ne savais et, quelquefois, je souffrais de ne pas savoir. Je me reprochais de ne pas connaître au moins son nom, et d’ignorer totalement ce qu’elle faisait et où elle demeurait. Et bien des fois je me promettais de lui demander tout cela à la saison prochaine. Mais lorsque la saison nouvelle était venue et que je la rencontrais de nouveau comme tous les ans, fraiche, jolie, souriante, toujours à la même heure et à la même place, cela suffisait à mon facile bonheur et je passais, affable et enjoué, sans rien lui demander.

    Qui sait ? Peut-être craignais-je instinctivement de déflorer une douce illusion, une tendre poésie ? Pourquoi aurais-je demandé et qu’est-ce que j’aurais demandé ? Je ne désirais rien… rien de plus que cette rencontre régulière et fugitive, ce doux frôlement. Ce charme illusoire né d’un regard, d’un mot et d’un sourire.

    Combien de printemps, combien d’étés, combien d’automnes l’ai-je ainsi vue et rencontrée ? Je ne sais plus. Les ans ont passé et tout cela est si lointain, si inaccessible à présent. Je ne comprends même pas comment ni pourquoi le souvenir s’en impose encore en ce moment, et s’en impose avec une force si grande et si tenace, comme une obsession.

    Ce dont je me souviens, c’est qu’un jour de printemps, à l’un de mes retours, je ne la rencontrai pas. J’en fus frappé. J’étais tellement habitué de la voir, j’étais si sûr qu’elle devait être là, à telle heure, à telle place, que j’eus l’impression décevante comme si, à mon insu, quelque chose d’important avait été changé à ma propre vie.

    cyriel buysse,flandre,revue de hollandeJ’en fus troublé et vaguement inquiet. J’étais mécontent et agité, comme si l’on m’eût caché une chose que j’avais le droit de connaître. Je n’osais pourtant pas m’informer d’elle ; une sorte de fausse honte, d’étrange pudeur me retenait. Je finis par chasser l’impression désagréable de mon esprit en me disant que, sûrement, je la retrouverais à ma prochaine visite.

    Mais je revins et je ne la revis point. Alors je souffris réellement. Je m’arrêtai peiné, à l’endroit fixe de nos rencontres inévitables, je consultai l’heure qui était celle de tous les autres jours, je regardai longuement la berge sinueuse, et les peupliers qui gazouillaient au vent, et les grandes fermes, qui se tassaient au loin, dans l’opulence de leurs vergers ; je contemplai d’un long regard préoccupé toutes ces choses si familières et si connues et je me demandais qui pourrait bien m’éclaircir cet absorbant mystère, lorsque je vis venir, à ma rencontre un jeune garçon inconnu, un enfant qui tenait quelque chose de blanc dans sa main. Il ralentit sa marche en me voyant et une sorte de gêne rosit sa timide figure. On eût dit qu’il voulait m’aborder et n’osait point.

    - Est-moi moi que tu cherches, mon gars ? lui demandai-je avec douceur.

    Il me considéra longuement, comme s’il analysait scrupuleusement tous les détails de mon visage. Enfin il répondit, quelque peu hésitant :

    - Peut-être bien, monsieur.

    A mon tour, je l’examinais avec attention. Il avait des yeux vifs, des cheveux noirs et des joues fraîches. L’expression de ses traits ne m’était pas tout à fait étrangère. Je devais l’avoir rencontré déjà, ou il me rappelait une physionomie bien connue.

    - Et que me veux-tu, mon petit ? dis-je, avec un sourire encourageant.

    Il me tendit l’objet qu’il tenait dans sa main. Instinctivement, avec un léger frisson, je reculai d’un pas. La chose qu’il m’offrait était une de ces cartes mortuaires à image, encadrées de deuil, comme on en distribue dans les églises de Flandre, après un enterrement. Mon geste le troubla. Une expression de grande déception et de tristesse assombrit soudain sa juvénile figure et je vis scintiller des larmes dans ses yeux.

    - C’est de ma sœur, dit-il d’une voix rauque.

    De sa sœur ! Que voulait-il dire et qui était sa sœur ! Brusquement j’avançai la main et pris la carte. Au milieu se trouvait la pâle reproduction lithographique d’un portrait de jeune fille et au verso, sous la tragique croix noire, je lus un nom, un doux nom et deux dates, de naissance et de décès, bien rapprochées…

    Mes yeux se voilèrent, ma main trembla. C’était elle !...

    Alors, le jeune gamin parla. Sa sœur était tombée malade durant l’hiver. Longtemps elle avait toussé, puis elle avait craché du sang. Lentement, elle s’était sentie dépérir ; et, dans sa maladie, souvent, bien souvent elle avait parlé de ce monsieur si aimable et si poli rencontrait toujours l’été et dont elle ignorait le nom. Elle aurait voulu le revoir, elle eût voulu lui écrire, parce qu’elle s’intéressait à lui et qu’elle croyait que lui aussi s’intéressait à elle. Mais elle ne savait où le trouver. Alors, avant de mourir, elle avait fait faire son portrait, qui serait reproduit sur l’image de deuil distribuée à l’église. Et son petit frère avait dû lui promettre qu’il en garderait une, pour la remettre en son nom, comme souvenir, au monsieur étranger, comme tous les ans, lorsqu’il reviendrait à la saison nouvelle, comme tous les ans,dans le pays du lin…

     

    Je ferme les yeux et du fond de l’exil je contemple en mon souvenir attendri, cette douce et tendre image d’un si lointain passé.

    Je vois la rivière sinueuse, reflétant entre ses berges vertes l’immensité d’un ciel bleu sans nuages ; je revois les grands peupliers de la rive dont les feuilles transparentes gazouillent au vent ; je revois au loin le clocher du village, les cheminées d’usines, les moulins et les fermes ; je revois la vie ardente des travailleurs courbés à terre et la calme traînée des chalands qui glissent sur l’onde ; et puis je vois et j’entends ce jeune gamin doux et timide, qui m’apporte le dernier souvenir de sa sœur.

    Je n’y suis plus retourné. Je n’y retournerai jamais peut-être. Mais avant de quitter le jeune gars, je lui ai demandé où habitait sa sœur et de loin il m’a montré une petite maison solitaire, sur un léger coteau, près d’une route blonde, au milieu des champs.

    Elle est blanche avec une plinthe noire et un toit de chaume. Elle a une petite porte et deux petites fenêtres. Elle est entourée d’une haie vive dans laquelle il y a une petite grille peinte en gris et un noyer géant l’ombrage, comme un immense parasol.

    C’est là qu’elle habitait… J’ai demandé au gamin dans quelle chambre elle était morte et il m’a indiqué la fenêtre à gauche, à demi cachée par le tronc du noyer.

    Je ferme les yeux et je songe. Existerait-elle encore, l’humble chaumière blanche et grise, seule sous son immense noyer, sur le léger coteau ? A-t-elle résisté aux ans et aux tourmentes et qu’est-elle devenue dans le cataclysme épouvantable qui a ravagé et dévasté la patrie ?

    Est-il resté au moins, pendue au pauvre mur blanchi, encadrée de deuil et pieusement ornée d’une petite touffe fanée de buis bénit, une douce et pâle image à moitié effacée par le temps, image pareille à celle que j’ai reçue et qui dort, elle aussi, depuis de longues années au fond d’un vieux bahut en Flandre, comme dort, du repos éternel, dans la terre natale et sacrée, la naïve et charmante inconnue, que je n’avais fait qu’entrevoir dans la vie et qui pourtant, à l’heure dernière, avait pensé à moi.

     

    Cyriel Buysse 

     

     

    La Revue de Hollande, 2ème année, n° 2, août 1916, p. 125-130.

     

     

    Couverture : Anne-Marie Musschoot, Cyriel Buysse en Louis Couperus. Een ‘vreemde’ vriendschap, Couperus Cahier XII, Louis Couperus Genootschap, 2010 (sur l’amitié qui a lié deux écrivains que rien ne semblait devoir rapprocher).