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  • Archaïques les animaux

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    Hester Knibbe aux éditions Unes

     

     

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    Je prends la cervelle la langue et les joues,

    disait l’un, mais le cœur, je le jette.

     

    Interdits nous ne soufflions mot, inventoriant

    le reste du corps sans nous répandre

     

    davantage. Gravîmes la montagne le lendemain

    en quête de nourriture : rien que de l’immangeable.

     

    Aussi avons-nous abattu une innocence.

    Laissant cerveau langue et joues

    intacts, prenant le cœur.

     

     

    Depuis 1982, Hester Knibbe (1951) a publié une douzaine de recueils. D’une certaine façon, ses poèmes donnent l’impression d’avoir toujours existé. Le lecteur peut découvrir depuis ce printemps, en traduction française, l’une des œuvres les plus récentes de cette figure majeure de la poésie des Pays-Bas : Archaïques les animaux (éditions Unes). Quant à la revue Nunc, elle a publié dans son n° 47 « Bouche », cycle qui ouvre le dernier recueil de la Néerlandaise : As, vuur (Cendre, feu, 2017, éditions De Arbeiderspers). Dans Archaïques les animaux, Hester Knibbe parvient à sublimer deux de ses points forts : un usage original, actuel de la pensée et des mythes de l’Antiquité et de l’Ancien Testament, ainsi qu’une forte psychologie identificatoire. Par ailleurs, elle fait se rejoindre avec subtilité le passé et l’avenir.

     

     

    Le mot de l’éditeur

     

    photo : Anna V.

    HesterKnibbe-MdlP-2019.jpgC’est un poème en forme de long voyage. C’est un poème des origines, de la sortie de la nuit et de la naissance des langages et des idées : entre culpabilité et maternité, comment a-t-on appris à être humains, et que faire de ceux que l’on met au monde ? L’écriture de Hester Knibbe est d’une sècheresse qui prend feu, brûle par les deux bouts, infiltre sa violence froide dans les tissus de l’homme, dans son histoire. Elle vient couper la parole. C’est un panorama de l’espèce, de notre sédentarité. Plus qu’un panorama, un témoignage du long voyage humain — nous ne sommes pas tous revenus, beaucoup se sont dissous dans la violence. Nous cherchons à comprendre « les lois de l’animal qui habite en nous » : férocité, voracité, et notre honte de vivre, dans l’appréhension du monde, des mythes et des meurtres. Nous qui errons dans les murs effrités de la cité, cherchant à échapper à notre précarité, nous passons par les détails, ce qu’il nous reste à bâtir pour ne pas oublier. Nous continuons à chercher « une maison où accoucher en paix d’une vie qui chante et qui rugit », dans la pesanteur de nos gestes, qui assure notre continuité, le rite, le foyer. Et le silence, et le secret. Nous habitons ici, rejetés, nous avons atterri ici, avec nos corps dispersés dans ce monde qui a trop grandi. Notre archaïsme, c’est notre permanence, notre incapacité à dépasser la mort. C’est notre solitude familière à laquelle on ne s’habitude jamais complètement. Hester Knibbe cherche notre assise humaine, notre trace, notre amour en forme de lumière sur la terre et notre possibilité à renouveler notre avenir : « qu’est-ce qui nous rêve jusqu’au bout ? »

     

    exemplaire sur Vélin d'Arches contenant une œuvre originale de Stéphanie Ferrat

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    Et ils ont dit que

     

    bénir signifie aider, mais il y avait cette nuit-là

    tant de blessures sur terre que mes yeux

    et jambes se sont pétrifiés. Et j’avais

     

    peur peur du sang sur mes mains et

    qu’alors sur mes visage ventre et

    bras j’en. Voilà pourquoi j’ai crié

     

    bénis-moi bénis-moi – le craintif.

     

     

    Hester Knibbe, Archaïques les animaux, traduit du néerlandais par Kim Andringa & Daniel Cunin, imprimé en typographie, vignette de Stéphanie Ferrat, Nice, éditions Unes, 2019, 80 p., 16 euros.

     

     

    Hester Knibbe lit le poème « Oui »

     

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  • En perte, délicieusement

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    Un poème : « une énigme qui touche en plein dans le mille »

     

     

    Ainsi la mémoire

    en vint à mendier. À croire

    que plus rien ne survenait,

    n’avait jamais commencé.

     

     

    Né à Bruges en 1957, Bart Vonck, critique et traducteur réputé, est l’une des voix les plus importantes de la poésie flamande contemporaine. Il lui arrive d’écrire directement en français, par exemple dans la revue L’Étrangère. Parmi les poètes qu’il a traduits, citons Federico García Lorca, Antonio Gamoneda, José Angel Valente, Pablo Neruda, Cesar Vallejo, François Jacqmin, Guy Vaes et François Muir.

     

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    Bart Vonck, En perte, délicieusement, trad. Daniel Cunin et l’auteur,

    Bruxelles, Le Cormier, 2018.

     

     

     

    Le mot de l’éditeur

     

     

    Bart-Vonck-768x858.jpgEn perte, délicieusement est, après Malfeu, le deuxième recueil de Bart Vonck à être traduit en langue française. Ce livre, par son effet de longue portée qui tient à l’ampleur de ce qu’il explore, est appelé à faire événement. Cette écriture n’a rien d’une promenade laissée au hasard. L’auteur déploie une langue poétique avec une rigueur et une lucidité qui ne l’engagent pas moins à chaque instant sur cette voie où l’évocation de l’expérience de vie en sa dimension sensible, en sa venue, en ses battements et ses impulsions autant que ses élans, s’accorde à la puissance des formes de son expression sous les coulées de la conscience de soi. Une perspective sensible où tout concourt à sa constitution, y compris à son moment réflexif où est mis en jeu toute la mémoire, avec ses manques et ses oublis, celle du corps, celle de toute expérience conquise, y compris poétique. Cette poésie n’a absolument pas renoncé à la beauté. Mais non une beauté de forme et de surface, de jeu de langue, mais celle, au-delà du plaisant, d’un savoir intuitif en tant que plaisir, mais un plaisir qui engage toutes les dimensions de l’être, mettant en jeu encore une fois tout le corps, avec tous ses désirs, toutes ses blessures, dont la poésie est issue, et tous ses appels. Ce vers ne laisse pas de doute à ce sujet : Et de s’y être également écorché, / l’invité, l’intrus, celui qui ne soufflait mot. Elle s’attache à faire voir, à faire entendre et à faire sentir la profondeur de l’expérience humaine, ses enjeux et ses vérités. Les premiers vers nous placent d’emblée dans ces contours et échappées : Ce qui toujours a commencé à notre place / sans ressortir à aucune époque… Ou encore : Il nous faut faire avec ce qui a péri / et demeure… Un livre à lire et à méditer.

     

     

    En perte, délicieusement

     

     

    De la sorte jamais ça le moi.

    Dans ses séquelles, la colle

    attend encore la fracture.

    Jamais ça de la sorte. Ça vit

     

    dans des à-côtés, cultive des roses

    dans les poussiers d’un poumon. Le moi,

    de la sorte : sur pieds hésitants

    sur la terre, avec la mauvaise

     

    rumeur : quel jour est-ce

    ce jour le moi ? Si ce n’est

    pas le mien ? De la sorte ce

    n’est jamais ça le moi. Si hier encore

     

    ça récriminait sur une grâce,

    à présent ça fait office de

    chiche cobaye. À moins

    que ça ne se perde délicieux

     

    dans ce que ça amassait ?

    Chaque jour bisbilles pour ce

    que c’est le moi : le soir contrecarre

    le roucoulement de l’hier.

     

    De la sorte ça jamais et toujours.

    Et gisant dans ses séquelles.

    Et dans des à-côtés.

    Et avec la mauvaise rumeur.

     

    Le moi. Jamais ça de la sorte.

     

     

     


    Bart Vonck lit « Bigbange feiten »

     

     

  • Taxi Curaçao

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    Voyage aux Caraïbes néerlandaises

     

     

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    Stefan Brijs, Taxi Curaçao, trad. Daniel Cunin, éditions Héloïse d'Ormesson, 2018

     

     

    L’auteur belge Stefan Brijs montre toujours une réelle empathie pour ses personnages. Cependant, il n’écrit jamais deux romans qui se ressemblent : contexte, lieux où se déroule l’action, époque, âge des protagonistes, tout est à chaque fois différent, à chaque fois dépaysement. Taxi Curaçao ne déroge pas à la règle : les 272 pages ont pour cadre Curaçao, île proche du littoral du Venezuela, la plus grande des Antilles néerlandaises. Même si elle bénéficie d’une autonomie politique, les liens qui l’unissent au Royaume des Pays-Bas demeurent étroits, sans qu’elle appartienne néanmoins à l’Union européenne.

    photo : Annaleen Louwes

    Brijs-Stefan-©foto-Annaleen-Louwes-portret-licht-overhemd-klein.jpgGrâce à sa belle-famille hollandaise, Stefan Brijs a eu l’occasion de séjourner à plusieurs reprises là-bas. Les contrastes criants entre population noire et riches blancs, mais aussi la beauté des lieux – les plages, un patrimoine architectural qui remonte au XVIIe siècle dans la capitale Willemstad… –, une profonde admiration pour de grands écrivains du cru – Boeli van Leeuwen (1922-2007), Tip Marugg (1923-2006) ou encore Frank Martinus Arion (1936-2015) –, l’ont incité à narrer une histoire qui permet, à travers trois générations, de brosser un tableau des dernières cinquante années. Pour l’occasion, il se glisse dans la peau d’un religieux catholique – seul frère noir de l’île en même temps que narrateur –, et dans celle d’hommes et de femmes de peu, le personnage central étant toutefois… une Dodge Matador, le fameux taxi qui traverse et l’île et les décennies.

    stefan brijs,roman,taxi curaçao,flandre,belgique,traduction,héloïse d'ormesson« Unité de lieu, de temps et d’action – ou plus exactement de réflexion –, ce drame postcolonial est construit comme une tragédie classique. Le temps est celui d’un vol Curaçao-Pays-Bas, heures pendant lesquelles le narrateur égrène les souvenirs d’un demi-siècle. La société se désagrège. Les tares du post-colonialisme se trouvent exacerbées par le nouveau fléau de la drogue, qui met l’argent facile à la portée de tous – il suffit de se débarrasser d’anciens scrupules, d’accepter de défaire les liens familiaux. Et on le fait d’autant plus facilement qu’on a été rongé par la misère, depuis toujours. Existe-il une issue, un moyen de ‘‘sauver sa fierté’’, selon la formule d’un personnage ? Le narrateur semble y parvenir, au prix d’ascèse et de renoncement. […] Stefan Brijs signe ici un texte si subtil et si poignant qu’il est difficile de s’en détacher. » (Elena Balzamo, « Le Monde des Livres », 20/09/2018)

    Le premier chapitre en ligne

     


    Stefan Brijs présente son roman

     

     

    Le mot de l’éditeur

     

    Curaçao, Caraïbes, 1961. Max Tromp débarque un matin dans la classe du frère Daniel à bord du taxi rutilant de son père. Du haut de ses 12 ans, c’est un gamin futé qui rêve de devenir instituteur. Mais dans cette île étranglée, il est vite rattrapé par son destin et n’a bientôt d’autre choix que de reprendre le volant de la Dodge Matador paternelle. Tandis que les années s’égrènent, Max, père à son tour, croit déjouer le sort quand son fils prend le chemin de l’école. Les Tromp parviendront-ils enfin à échapper à leur condition ?

    À travers cette chronique sur trois générations, Taxi Curaçao dresse un portrait coup de poing d’un pays qui porte les stigmates de la colonisation et semble condamné à la corruption et à la pauvreté. Brijs, l’un des plus grands conteurs belges, livre un texte puissant, à la fois tendre et violent, qui ne cesse d’osciller entre amour et haine, culpabilité et rédemption.

     


    Le coup de cœur de Gérard Collard : Taxi Curaçao

     

     

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    édition Folio (n° 6463) du roman Courrier des tranchées (2018) de Stefan Brijs

     

     

  • Habitus

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    Le premier recueil de Radna Fabias

     

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    Née en 1983 à Curaçao, dans les Caraïbes néerlandaises, où elle a d’ailleurs grandi, Radna Fabias publie son premier recueil Habitus en 2018 aux éditions De Arbeiderspers, œuvre qui fait tout de suite sensation et que viennent récompenser, tant aux Pays-Bas qu’en Flandre, plusieurs prix prestigieux. Du jamais vu. La traduction française de ce volume plein de verve a paru sous le même titre aux éditions Caractères à l’occasion du Marché de la Poésie 2019 auquel la jeune femme était conviée. Quelques-uns de ses poèmes figurent également dans deux anthologies récentes : Nunc (n° 47, printemps 2019, « Cahier Poésie néerlandaise ») et Poésie néerlandaise contemporaine (préface de Victor Schiferli, édition bilingue, Le Castor Astral, 2019).

     


    Radna Fabias lit le poème « oorlog » (guerre)

    à l’occasion de la Nuit de la Poésie (Utrecht, 28/09/2018)

     

     

    guerre

     

     

    avec mon ennemi je vole

    à vrai dire rien que de grandes organisations

    il me dit ce r au début de ton prénom n’est pas celui de robin des bois mais celui de r kelly

    à vrai dire ici tout le monde est majeur et je vole uniquement de grandes organisations

     

    mon ennemi ne croit pas en mon innocence

    puisque je vole avec lui du flatbread suédois dans un magasin de meubles

    il a sans aucun doute

    raison

     

    avec mon ennemi je partage une bouteille d’alcool sur la piste de danse titube

    dans la nuit regarde

    la mort mais plus encore la folie dans les yeux leur fais un clin d’œil

    à la mort la folie mon ennemi il a les plus beaux yeux

    du même marron que l’eau d’un chemin d’eau

    dans ces yeux je ne suis pas une belle personne

    à vrai dire tout le monde à l’air sale dans l’eau d’un chemin d’eau

    sur une échelle de 1 à 10

    il gratifie mon cul d’un 48

     

    avec mon ennemi je traîne sur les terrasses il inspire

    expire son gain de cause fictif mon ennemi vit déjà il n’a

    pas besoin d’oxygène quand personne ne le regarde il me glisse

    une paille dans la colonne vertébrale et me boit sans se presser

    se presser car mon ennemi me trouve délicieuse

     

    avec mon ennemi je cuisine des plats riches en glucides

    il empile fécule sur fécule car il en sait un rayon sur la guerre

     

    avec mon ennemi je me remets à danser jusqu’au petit jour

    déshydratée me rétablis me remémore comment

    souffrir une main dans le pantalon d’autrui et

    je fume je brûle je crache à nouveau projette avec mon ennemi

    des flammes sur sols lits chaises tabourets canapés

    contre placards portes murs sous l’œil vigilant

    des voisins d’en face sur le dos de femmes innocentes

    suspendue au-dessus de l’abîme bien entendu il le faut

    quand on couche avec l’ennemi

     

    c’est bien de dormir à côté de l’ennemi a pu dire une mère

    pourtant mieux vaut de loin dormir avec lui

    à ceci près que ça ne ressemble à rien car dans ce peu de lumière

    il n’a pas de visage sans compter que son ombre

    ressemble un peu à la mienne

     

     

     Radna Fabias au Marché de la Poésie 2019 (photo Anna V.)

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    Radna Fabias, Habitus, traduit du néerlandais par Daniel Cunin, Paris, Caractères, 2019,  118 p. 

     

     

     

     

     

  • Le contraire d’une personne

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    Dérèglements climatiques et psychiques

     

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    Lieke Marsman, Le contraire d'une personne, trad. D. Cunin, Rue de l'échiquier, 2019.

     

    Jeune talent de la littérature des Pays-Bas, Lieke Marsman est née à Bois-le-Duc en 1990. Tout en étudiant la philosophie, elle commence à publier critiques et poèmes. Ses deux premiers recueils Wat ik mijzelf graag voorhoud (2011) et De eerste letter (2014) remportent un vif succès. Ils ont été réunis en 2017, en même temps que des pièces plus récentes, sous le titre Man met hoed (Homme au chapeau), volume qui comprend en outre diverses traductions de poètes anglo-saxons. La même année a paru son premier roman, Het tegenovergestelde van een mens, dont les éditions Rue de l’Échiquier viennent de nous donner la version française. Dans De volgende scan duurt 5 minuten (Le prochain scan prendra 5 minutes), un essai accompagné de dix poèmes, elle évoque le cancer osseux dont elle souffre en s’interrogeant sur la place d’un corps malade dans une société malade et en cernant les responsabilités qu’il convient à chacun d’assumer.

     

     

    Le mot de l’éditeur

     

    Lieke Marsman 

    LiekeMarsman.jpgIda a grandi aux Pays-Bas, dans une banlieue terne d’une ville moyenne de province. Après des études en sciences politiques, elle veut se rendre utile et choisit de devenir climatologue. Elle obtient un stage de quelques mois en Italie, dans un institut de recherches chargé de travailler sur la démolition d’un barrage dans les Alpes. Cette mission l’oblige à quitter les Pays-Bas et à laisser sur place Robin, sa petite amie.
    Au fil des pages, ses réflexions sur l’amour se mêlent à celles sur le réchauffement climatique, les deux étant intrinsèquement liées.
    Dans ce premier roman au style très audacieux, Lieke Marsman parvient, par l’utilisation de bribes, d’extraits, de citations et de vers de toutes sortes, à faire entrer le lecteur dans l’univers mental, chimérique et passionnant d’Ida. L’ensemble drôle et absurde, parfois noir, mais toujours très poétique, articule ainsi le registre intime et la question, habituellement traitée par la non-fiction, de notre apathie face aux enjeux posés par le changement climatique.

    « Un roman d’idées profond et poétique qui parvient à traiter la question du dérèglement climatique sur un registre intime. »

    « Une forme originale et audacieuse qui dépasse les limites du roman traditionnel en convoquant aussi bien la poésie, que l’aphorisme ou la philosophie. »

    « Porté par des phrases très douces et empreintes de sagesse entrecoupées de bouts d’essais et de poèmes, ce premier roman singulier et bref se lit vite, mais se décante longuement une fois qu'on l'a refermé. »

    « Un roman d’idées bien ficelé qui fait écho à ce que peuvent être nos propres positions face à l’effondrement d’un monde, et notre inaction. L’originalité de l’ouvrage est d’alterner le récit personnel d’Ida, ses réflexions et son parcours de vie, et des citations, des poésies ou des bribes d’interviews qui sont autant de lectures de l’héroïne. L’idole d’Ida est Naomi Klein : le roman est donc jalonné d’extrait de Tout peut changer. Capitalisme et changement climatique comme autant de rappels de notre inaction face aux bouleversements du climat. Elle souhaiterait agir mais reste apathique face aux bouleversements en cours et la perspective d’une catastrophe emplit toute sa vie. »

     

    Un extrait

     

    LiekeMarsman-Couv-NL.jpg[…] À un moment donné, ma mère a dit que l’homme était mauvais jusqu’à la moelle, puis elle a coupé une grosse carotte en deux.

    Son assertion a fait grande impression sur moi : si chaque personne est mauvaise, et si moi j’entends être bonne, je n’ai d’autre choix que faire en sorte d’être le contraire d’une personne. Au cours de la période qui a suivi, je me suis consacrée à cette tâche principalement en m’exerçant à marcher sur les mains le plus longtemps possible. Dans le bac à sable de l’école, j’ai creusé, creusé un trou dans l’espoir d’apercevoir un bout de la Nouvelle-Zélande. Plus tard, à la veille du long tunnel de la puberté, j’ai pris les choses plus sérieusement en main, par exemple en parlant le moins possible des jours durant, alors même que je brûlais de proclamer mon opinion sur tout et n’importe quoi, ou en me contentant de répéter que tout me plaisait et que j’étais heureuse, alors même que le simple fait d’exister me plongeait dans la plus grande affliction – boutons sur la figure et autres désagréments de l’âge ingrat compris – ou pour le moins me rendait chroniquement grincheuse. Au cours de mes derniers mois en primaire, j’ai même essayé, de temps à autre, de me faire passer pour un garçon. Au gymnase, je me changeais certes dans le vestiaire des filles, mais je marchais en roulant un peu les mécaniques ; la nuit, je dormais en calant entre mes cuisses une quéquette que j’avais pris la peine de modeler. Jusqu’au matin où j’ai retrouvé mon organe viril au pied du lit, en trois morceaux.

      

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    Le Contraire d’une personne s’ouvre sur un poème. D’autres, tirés du recueil Man met hoed (Homme au chapeau), viennent de paraître dans l’anthologie éditée par Le Castor Astral à l’occasion du Marché de la Poésie où la Hollande était le pays invité.

     

     

    Big Bang

     

     

    Le soir, à la télé, un physicien raconte

    qu’il est par ailleurs possible que l’univers arrête

    un jour de s’étendre, qu’il implosera lentement,

    plus rapidement que la lumière. Si tel est le cas

    des trillions d’univers pourraient surgir

    après nous, autrement dit on ne fait que se raccrocher

    aux branches basses d’un arbre généalogique

    de différents cosmos. Imaginez qu’on ne puisse

    se reproduire qu’en cessant d’exister.

     

    Le matin, quand au début d’une journée

    je vois comment je me suis remise

    à respirer, je compare ce va-et-vient d’étoiles

    projetées à mes seins qui montent

    et descendent, à l’antenne d’une

    radio que l’on peut par désœuvrement

    sortir et rentrer, et ensuite,

    jusqu’à présent ma tentative la plus réussie,

    à une anémone de mer.

     

     

    COUV-poesie-neerlandaise-BAT-pdf.jpg

    Poésie néerlandaise contemporaine, édition bilingue, Le Castor Astral, 2019