Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Auteurs flamands - Page 13

  • La rue des étoiles

    Pin it!

     

    Un nouveau roman de Bart Moeyaert

     

     

    CouvRuedesEtoiles.png

    trad. D. Cunin, Le Rouergue, novembre 2013

     

     

    Trois enfants assis sur un mur regardent le monde. Un roman à la fois subtil, profond et drôle d’un auteur d’envergure internationale.

     

    Pendant les chaudes journées d’été, trois enfants s’assoient sur le mur qui sépare l’entrepôt de ferraille de la rue attenante, la rue de Étoiles. C’est ici qu’Oskar, son frère Bossie et leur amie Geesje ont élu domicile pour fonder leur « club ». Drôle de local sans mur ni plafond, mais un lieu idéal pour observer le monde. Même s’il n’y a pas grand monde qui passe rue des Étoiles, à part une grand-mère qui promène son vieux teckel… L’endroit idéal pour se poser des questions essentielles sur la vie, la mort, l’amour, et les adultes…

    bart moeyaert,le rouergue,traduction littéraire,roman,dodo,belgique,flandreDans son style si caractéristique, à la fois filmique et poétique, Bart Moeyaert s’attache à rendre une psychologie très élaborée des personnages. Cet ouvrage, sorti en 2011 aux Pays-Bas a permis à Bart Moeyaert de figurer parmi les six auteurs nominés pour le Prix Andersen 2012. Le rapport du jury précise : « Un roman d’une teneur extrêmement riche, écrit dans une langue tout aussi riche et très suggestive, qui offrira à chaque lecteur une satisfaction propre en fonction de son âge, de son expérience de la vie. »

     

     

    PREMIER CHAPITRE

     

    PROPOSITION

     

    Toutes les deux phrases, mon frère employait l’expression « bordel de shit ». Il ne pouvait pas s’en empêcher. Du pied, il a tapé le pied de Camille. Elle s’est bien gardée de réagir. D’abord parce qu’elle avait eu l’intelligence d’apporter un livre, un gros livre qui l’accaparait beaucoup. Ensuite parce qu’il n’était pas facile de l’agacer, même en tapant toujours plus fort comme le faisait Bossie.

    C’est moi qui ai réagi à sa place :

    — Bossie, arrête.

    Il s’est arrêté, a poussé un profond soupir et répété l’expression « bordel de shit » : Bordel de shit, bordel de shit. Comme si c’était lui qui l’avait trouvée. Pourtant, on sentait dans sa voix qu’elle n’était pas à lui et ne le serait jamais. Elle venait du journal. D’un article consacré à un Irlandais qui, du jour au lendemain, s’était mis à pousser des jurons sans plus jamais parvenir à s’arrêter.

    — Et si on appelait cet endroit Notre Local ? a fait soudain Bossie.

    Camille a levé la tête.

    — Notre Local ? elle a demandé en roulant les yeux. Cet endroit ? C’est bien le premier local sans toit que je vois de l’intérieur.

    — En Italie, il y a des bâtiments sans toit, a dit Bossie.

    L’entendre parler de l’Italie m’a fait sursauter. Maman était en Italie.

    — Oui, mais ils ont des murs, a rétorqué Camille.

    Bossie a fait le sourd.

    bart moeyaert,le rouergue,traduction littéraire,roman,dodo,belgique,flandreMoi, je ne pouvais pas. J’avais toujours une oreille qui traînait. Et je retenais beaucoup de choses.

    Bossie a répété sa proposition : à nous trois, nous formions un club, et pour le Local, il suffisait d’imaginer des murs autour de nous.

    Camille et moi, on a regardé autour de nous. En nous efforçant de nous représenter une maison à laquelle rien ne manquait. Un sacré défi. Il n’y avait pas de murs auxquels accrocher des posters, pas de jeu de fléchettes, pas de table, aucune chaise, pas de frigo pour les boissons, pas de chat ayant élu domicile dans Notre Local, pas de blason pour notre club, pas d’enseigne, pas de radio, pas de chansons à nous que nous aurions pu chanter.

    Notre Local se résumait à un des murs d’enceinte de VIEILLE FERRAILLE S.A.

    D’un côté s’étirait le toit plat de l’entrepôt. C’était là que travaillaient Petra et Priit. Dans la cour intérieure était entassée la vieille ferraille triée par catégories.

    De l’autre côté, il y avait la rue des Étoiles. Quand on se penchait par-dessus le mur, on ne voyait aucune aventure venir vers nous. On voyait seulement quelques maigres buissons au pied du mur et, à côté, le trottoir gris.

    — D’accord, j’ai dit.

    — Super, a dit Camille, le nez à nouveau dans son livre.

    — Hé ? a fait Bossie en se tenant la poitrine. C’est quand même pas à cause de moi si on s’ennuie, hein ?

    — T’es le plus grand, j’ai dit, c’est à toi de décider ce qu’on fait.

    — Petit frère, il a dit.

    — Grand frère, j’ai dit.

    J’ai remarqué que Camille tournait la tête de notre côté. Elle gardait son sérieux. Mais elle aurait tout aussi bien pu rire. Ses yeux sont passés alternativement de Bossie à moi. À ma surprise, ils sont retournés très vite dans le livre. Sans plus revenir vers nous.

    Le dos de Bossie s’est affaissé.

    — Hé, il a fait en écartant les bras. Ça, c’est la cour du roi et je suis son bouffon, ça vous va ?

    bart moeyaert,le rouergue,traduction littéraire,roman,dodo,belgique,flandreJ’ai levé les yeux, Camille aussi. Nous avons froncé l’un et l’autre les sourcils. Nous pensions l’un et l’autre au soleil brûlant. Peut-être que Bossie ne buvait pas assez d’eau, peut-être que cela expliquait sa façon bizarre de s’exprimer.

    — Vous voulez que je me charge de vous amuser ? il a demandé.

    — On t’oblige à rien, j’ai dit. Mais si tu euh… si tu construis un local, débrouille-toi pour qu’on ne s’y ennuie pas.

    — Bah, a fait Camille, car son livre lui suffisait.

    — Pas de bah qui tienne, j’ai répliqué. Tu fais partie de notre club ou t’en fais pas partie ?

    Camille a cligné les yeux. Elle cherchait une réponse appropriée. Depuis quelques semaines, elle ne passait plus toutes ses journées avec nous : il lui arrivait de rendre visite à sa tante. Une tante qui avait de fortes chances de mourir.

    Elle a refermé lentement son livre et a dit :

    — Bien entendu que je fais partie de notre club.

    — Donc, j’ai fait en regardant dans la direction de Bossie.

    — Donc quoi ? il a demandé.

    — Si ça, c’est Notre Local, faut qu’on se comporte à partir de maintenant comme un club.

    Camille a haussé les sourcils et fait mine de rouvrir son livre.

    — Comment tu veux que je me comporte comme un club ? a-t-elle demandé en se montrant du doigt. Un club ? Je ne suis pas un club. Je suis seule.

     

     

    bart moeyaert, le rouergue, traduction littéraire, roman, dodo, belgique, flandre

    couverture de l'édition originale De melkweg

    Amsterdam, Querido, 2011

     

     


    entretien avec Bart Moeyaert

    (filmé en Provence, 2003, en néerlandais)

     

     

  • La Chronique du Cygne

    Pin it!

     

     

    Un roman de Paul Willems (1912-1997)

     

     

    CouvCygne.png

     

     

    L'AUTEUR

     

    « Né le 4 avril 1912, Paul Willems passe son enfance dans la propriété familiale de Missembourg, à Edegem, près d'Anvers, où les automnes et les hivers merveilleusement solitaires, les journées et les mythes, la nature et les légendes mis en mots par sa mère, la romancière Marie Gevers, l'éveillent à la magie d'un lieu isolé et d'une langue qui n'est pas celle des alentours. La vie lui fait parcourir, autour du domaine enchanté, des cercles de plus en plus larges; toujours, cependant, il revient à Missembourg et à l'Escaut qui coule vers le grand large, le fascine et l'appelle.

    paul willems, flandre, belgique, chronique du cygne, littératureAprès ses études secondaires à Anvers et un périple de deux mois dans l'Atlantique, il entreprend le droit à l'Université libre de Bruxelles et lit Joyce, Hamsun et Lawrence. Il se spécialise en droit maritime, puis il voyage en France où il rend visite à Giono, et séjourne en Bavière où il découvre le romantisme allemand qui, par le biais de la peinture — il est fasciné par l'œuvre de Caspar David Friedrich — et de l'écriture — il lit avec passion Novalis, Kleist et Brentano s'attache au mystère des choses. Revenu en Belgique après cet apprentissage majeur, il devient avocat stagiaire au barreau d'Anvers, puis il entre, pendant les années de guerre, au service du ravitaillement, et épouse Elza De Groodt. Le roman qu'il a commencé à son retour d'Allemagne est publié en 1941 : Tout est réel ici. Dans ce texte frémissant d'images, de subtiles analogies font peu à peu disparaître la frontière entre le prosaïque et le merveilleux, le quotidien et le rêve. Une même dimension féerique marque L'Herbe qui tremble (1942), une sorte de journal intime mêlé de récits, et La Chronique du cygne (1949). » Après avoir composé une importante œuvre dramatique traduite et jouée à l’étranger, il « revient, avec La Cathédrale de brume (1984), Le Pays noyé (1990) et Le Vase de Delft (1995) à la forme narrative de ses débuts. Dans ces récits de longueur variable — qui, tous, d'une manière ou d'une autre, appartiennent à ce que l'auteur appelle la mémoire profonde et éclairent l'ensemble de son œuvre —, il tente, en une démarche proche du cheminement initiatique, de cerner d'invisibles blessures et des bonheurs ineffables, de percevoir le dédoublement du monde, d'entrevoir l'envers des choses, de saisir un instant leur autre dimension. Sur tout cela, il s'interroge en autobiographe et en sourcier de l'imaginaire qui passe imperceptiblement de la vie à la littérature, du souvenir à sa transposition poétique dans Un arrière-pays. Rêveries sur la création littéraire (1989). Ce qui se donne à lire, dans ce commentaire qu'il adresse à ses jeunes lecteurs, au cours d'une série de conférences données à Louvain-la-Neuve, est une véritable poétique de la mémoire. » (source)

     

    Le roman

     

    Chronique du Cygne, Labor, Espace Nord, 2001

    CouvCygnePoche.png« On ne peut que se réjouir de la réédition chez Espace Nord du troisième roman de Paul Willems (après Tout est réel ici et Blessures), tombé dans l’oubli depuis sa parution chez Plon en 1949. Même si l’ouvrage ne connut qu’un succès tout relatif et si la critique l’a largement négligé (renvoyons toute- fois à l’excellente analyse de Véronique Jago-Antoine dans le n°5 de Textyles, novembre 1988, p. 23-42), il marque une étape importante dans la carrière de l’auteur, qui se lança par la suite dans la carrière théâtrale que l’on connaît, pour ne revenir à la forme narrative qu’en 1984.

    Dans la lecture très stimulante qu’elle donne de l’œuvre, Ginette Michaux nous convainc du caractère très abouti de celle-ci, notamment sur le plan de la construction narrative et du réseau complexe de correspondances qui unit l’ensemble des personnages mais aussi des lieux de ce récit épique, se doublant d’une fable d’inspiration métaphysique. À travers les innombrables ‘‘ramifications signifiantes’’ (p. 329) qu’elle met en lumière, elle démontre bien que ‘‘chaque personnage, chaque motif, est quasi littéralement l’écho ou le double d’un autre, ce qui produit un effet de désancrage de l’identité des sujets et de la stabilité des choses’’ (p. 320). Échos musicaux et jeux de miroir concernent aussi bien la lutte centrale, manichéenne uniquement en surface, du monde des villes et du monde des jardins, que la multitude de petits motifs secondaires, que l’auteur n’a décidément pas dispersés au hasard.

    paul willems, flandre, belgique, chronique du cygne, littératureIl devient ainsi limpide que les oppositions apparemment binaires ne résistent pas à une lecture attentive ; car la lutte impitoyable qui fait s’affronter les forces du Bien et du Mal (le combat entre deux conceptions de la vie et deux visions de la langue, pour le dire avec Ginette Michaux) se joue davantage à l’intérieur de chaque lieu et de chaque personnage, plutôt qu’elle ne les fait se dresser l’un contre l’autre. La dimension poétique de la fiction va ainsi de pair chez Willems avec la conviction que ‘‘[l]e vrai s’infiltre dans le faux, brouillant les pistes, approfondissant la signification par l’ambiguïté et par le paradoxe, montrant que le négatif est à l’œuvre partout, qu’aucune pensée ne pourra jamais être tenue pour bonne’’ (p. 326). » (source : Hubert Roland, « Willems (Paul), La Chronique du Cygne. Lecture de Ginette Michaux », Textyles, n° 23, 2003, p. 133-134)

     

     

    Prière d'insérer de la première édition (1949)

    PaulWillemsCygne0.png

    PaulWillemsCygne1.png

     

     Paul Willems, dédicace sur un exemplaire d'Un arrière-pays 

    paul willems,flandre,belgique,chronique du cygne,littérature

     

     

  • Clef des songes (1950)

    Pin it!

     

    Un roman gravé de Frans Masereel

    (Blankenberghe, 1889 - Avignon, 1972)

     

     

    Nous soufflons la cendre et les flammes,

    L’amour, le deuil, la peur, l’espoir ;

    Fermez vos cœurs, hommes et femmes,

    Nous parlons dans l’ombre à vos âmes !

     

    Victor Hugo, « Chant des Songes »

     

     

    Masereel0.png

    Clef des songes. Trente bois originaux suivis d’un répertoire de l’œuvre gravé de l’auteur, [Les Écrivains réunis], Lyon, Armand Henneuse, 1950, in-12, br., couv. rose impr. Tirage unique à 700 exemplaires numérotés (364/700) sur lana teinté après 15 sur chiffon d’Auvergne.

     

     

    « C’était une amusette, un jeu de l’imagination permettant d’illustrer le fait que les rêves ne sont pas forcément des mensonges. Je ne crois pas aux rêves. Le rêve est tromperie, dit-on à Gand, ce à quoi on ajoute quelque chose que je ne peux répéter ici*. Mais c’est probablement ça le plus beau de l’histoire ! » (Frans Masereel dans le cadre d’un entretien en néerlandais de 1961 avec Joos Florquin)

    frans masereel,gravure,joris van parys,victor hugo,armand henneuse,flandre,belgique« Quoique d’origine flamande, ce célèbre artiste a passé la plus grande partie de sa vie à Genève, Paris, Avignon et Nice. Très jeune, il s’est déjà fait un nom comme xylographe. Bien qu’il eût quitté son pays natal très tôt, Masereel est devenu la figure de proue du ‘‘groupe des cinq’’ qui a profondément rénové la gravure sur bois en Flandre. Le jeune artiste impressionnait en particulier par ses gravures d’inspiration expressionniste marquées par un profond engagement social. Le thème de la dénonciation de l’injustice et de l’oppression domine l'œuvre de Masereel. Parfois, une surprenante pointe de satire s’y ajoute. Le grand expressionniste a également joué un rôle prépondérant dans le domaine de la littérature. En effet, il a illustré certaines œuvres d’auteurs flamands et français importants comme É. Verhaeren, M. Maeterlinck, Ch. de Coster, V. Hugo et É. Zola. » (Hans Vanacker, « Commémoration de Frans Masereel à Anvers », Septentrion, n° 2,  1990) 

    frans masereel,gravure,joris van parys,victor hugo,armand henneuse,flandre,belgique« La personnalité la plus marquante du groupe des ‘’Cinq’’ est sans conteste Frans Masereel (1889-1972) : ‘’un gars joyeux, malgré l’amertume qu’on décèle dans plusieurs œuvres, un idéaliste sans cesse meurtri par l’injustice et la violence’’. Cette caractérisation par Roger Avermaete révèle l’influence fascinante que Masereel exerçait sur les jeunes de Lumière. À leurs yeux, il était la voix xylographique qui contribuerait à donner forme et force à leurs idées pacifistes, qui les consolerait, au besoin, de leurs déceptions. Masereel a été extrêmement productif. Pendant la Grande Guerre déjà, il accéda au style qui le marque. Son travail journalistique en Suisse, pour Les Tablettes entre 1916 et 1919 et pour La Feuille entre 1917 et 1920, se caractérisait par le ton agressif qui intéressait Lumière. Son ton lapidaire et direct se retrouve dans les publications ultérieures. Les éditions populaires bon marché de l’Allemand Kurt Wolff furent brûlées par les nazis, qui n’y voyaient que de l’art décadent. Dans les pays de l’Est et en Chine, l’œuvre de Masereel jouit d'une grande popularité, sans doute à cause de son engagement pour les petites gens. Comme d’autres confrères, Masereel a gravé régulièrement de vastes cycles dont le rythme fait songer aux premiers chefs-d’œuvre du cinéma muet. Les 167 gravures de Mon livre d'heures de 1919 constituent un exemple classique du genre. » (Gaby Gyselen, « La gravure sur bois et sur linoléum en Flandre à l’époque de la Grande Guerre », Septentrion, n° 1, 1984)

    frans masereel,gravure,joris van parys,victor hugo,armand henneuse,flandre,belgique« Il y a tout juste cinquante ans que paraissait à Amsterdam, chez L.J. Veen, une belle édition de Kerstwake (Veillée de Noël) de Stijn Streuvels, agrémentée de bois de Frans Masereel. J’y pensais en feuilletant aujourd’hui la Clef des songes, un joli recueil de trente bois originaux du graveur flamand, publié en 1950 à Lyon par le regretté maître-imprimeur Armand Henneuse. Celui-ci venait de temps en temps me rendre visite à Paris pour me parler de ses auteurs favoris, Couperus, Gezelle, Boutens, ce francophone étant un lecteur fervent de poètes et de romanciers néerlandais qu’il apprit à aimer à La Haye où il avait vécu pendant sa jeunesse studieuse. Il me récitait des vers des Carmina, car ce recueil de Boutens, mon cher Ami, a vu le jour l'année de ta naissance, ou des strophes de Mei de Gorter, pour donner un air de fête à ton involontaire parenté avec ce géant, et il disparaissait pendant un an ou deux non sans m’avoir comblé d’exemplaires de ses éditions rares : un Francis Ponge, un Eluard, un Norge, un Aragon, ou cette Clef des songes. Les bois de Masereel ont d’ailleurs accompagné ma jeunesse. J’avais lu, au sortir de l'enfance, les Jean-Christophe de Romain Rolland dans l’édition d’Albin Michel illustrée de près de 700 planches de notre xylographe. Il me semble que je connais de la main de Masereel plusieurs milliers de bois. De nos jours, sa forme de clair-obscur est délaissée mais je reste imprégné de son œuvre, comme de l’œuvre de tant d’autres marginaux : les vitraux de Joep Nicolaas, les céramiques de Johan van Loon, les typographies de Werkman, les décors de théâtre de Nicolaas Wijnberg, les objets-tableaux de Domela, la chaise de Rietveld, les ornements sculpturaux de Hildo Krop, les affiches de Dick Elffers, les stylisations géométriques d’Oscar Jespers. » (Sadi de Gorter, « Chroniques néerlandaises », Septentrion, n° 4, 1978).

     

    frans masereel,gravure,joris van parys,victor hugo,armand henneuse,flandre,belgique* « Dat was een Spielerei, een fantazie waarin geïllustreerd wordt dat dromen niet altijd bedrog zijn. Ik geloof niet aan dromen. Dromen is bedrog, zeggen ze in Gent, en ze voegen er nog iets bij dat ik hier niet kan vertellen. Dat is het mooiste waarschijn- lijk! » F. Masereel fait allusion à l’expression Dromen zijn bedrog, maar schijt g’in ’t bed dan vindt ge ’t nog. Mot à mot : Les rêves sont des mensonges, mais si jamais on fait caca au lit, il en reste quelque chose. Autrement dit : Même quand on dort, il y a des choses qui ne sont pas de l’ordre du rêve et celles-là ne trompent pas.

      

     

     

     

    frans masereel,gravure,joris van parys,victor hugo,armand henneuse,flandre,belgique

     

    Ouvrage de référence sur le graveur : Joris Van Parys, Frans Masereel. Une biographie, édition française établie en collaboration avec Lydia Beutin & Thérèse Basyn, préface de Jacques De Decker, Bruxelles, Luc Pire/AML, collection Archives du Futur, 2008.

     

     

     

     

     

    Frans Masereel, gravures sur bois des années vingt

     


    Frans Masereel, L’œuvre, 1928, 60 gravures sur bois

     


    Le film L’Idée (1930-1932) de Berthold Bartosch, d’après le livre éponyme de Frans Masereel, musique d’Arthur Honegger

     

     

  • Belladonna

    Pin it!

     

     

    Scènes de la vie de Province

    un roman de Hugo Claus


    CouvBelladonna1.png


     

    « Dans une traduction ébouriffante d’Alain van Crugten, qui a encore perfectionné la virtuosité qu’il avait démontrée dans sa version du Chagrin des Belges. Un grand coup de chapeau à ce passeur surdoué : c’est que Belladonna pose au moins autant de problèmes que le magnum opus de son auteur, par son invention verbale et son subtil réseau d’allusions. Mais apparemment, Van Crugten se joue de ces défis : ils sont autant de stimulants à son intarissable inventivité. Mertens, lorsqu’il paraîtra en néerlandais, ne demeurera pas en reste : Ernst van Altena, le meilleur traducteur des Pays-Bas, l’homme que Brel considérait comme son frère en poésie, s’est déjà lancé dans sa version d’Une paix royale.

    Belladonna est, avant tout, un immense éclat de rire, une plaisanterie qui, pour être longue, n’en est pas moins la meilleure de son auteur. On savait que Claus avait l’humour carnassier, mais il ne l’exerça jamais avec autant d’exubérance qu’ici. Belladonna est le pendant sarcastique d’un livre précédent, Une douce destruction, qui, dans sa description du milieu culturel flamand, n’avait pas réussi pleinement à trouver son ton. Ici, Claus met en plein dans le mille de bout en bout. » (Jacques De Decker, « Le roman du bas-art », Le Soir, 20/09/1995)

     

     

    Quatrième de couverture

     

    Parce qu’il aime vraiment les arts, Hugo Claus n’est pas tendre avec ceux qui font semblant : les snobs, les hypocrites, les imposteurs, les fonctionnaires de l’art, profiteurs du « patrimoine », chasseurs de subventions en tout genre, et tous les autres acteurs de cette comédie de notre temps qu’est la comédie culturelle.

    Hugo Claus, Belladonna, roman, Alain van Crugten, édition de falloisBelladonna réunit quelques- uns de ces acteurs. Pour obtenir l’appui du Ministère, quelle meilleure idée que de consacrer un film à une gloire nationale ? Ce sera donc ici, puisque nous sommes en Flandre, la vie de Peter Breughel l’Ancien, peintre célèbre du XVIe siècle, grand parmi les grands, et flamand de la tête aux pieds.

    C’est l’occasion pour Hugo Claus de nous faire entrer dans les coulisses – pour ne pas dire la cuisine – du cinéma, un petit monde qu’il connaît bien. Avec un rire vengeur et ravageur il cingle tous ces fantoches, acteurs, metteurs en scène, politiciens ignares, roublards et bavards, financiers sans argent, scénaristes sans idées, critiques sans talent, dignes émules des bossus et des aveugles qui traversent les toiles de Breughel.


    Interview de l'écrivain flamand Hugo CLAUS qui avec humour, tente de définir son activité artistique très variée


     

    Avant-propos de Louis Parrain

     

    « Considéré comme le plus grand écrivain actuel de langue néerlandaise, Hugo Claus n’en est pas moins l’ ‘‘enfant terrible’’ des lettres flamandes. Né en 1929 à Bruges d’un père imprimeur, Hugo Claus passa les dix premières années de sa vie chez les bonnes sœurs (épisode dont on trouve la trace dans son roman le plus connu, Le Chagrin des Belges), et ne rentra dans ses foyers qu’à l’âge de onze ans pour s’en échapper quatre ans plus tard : ‘‘Je suis parti avec une amie de ma mère. À l’époque, je me faisais entretenir par des dames riches.’’ Puis, lassé du rôle de gigolo, il se fit embaucher dans les sucreries de Chevrière, pour la récolte des betteraves : ‘‘Alors, j’ai eu une étrange lueur, comme une vocation. Je ne travaillerais plus, je ne recevrais plus d’ordres. Je préférerais devenir la dernière des loques humaines plutôt que de travailler.’’ Il alla à Paris, fit partie du groupe d’art expérimental Cobra (Copenhague-Bruxelles-Amsterdam) avec Pierre Alechinsky et Karel Appel, et écrivit en trois semaines La Chasse aux canards. Sur manuscrit, le roman reçut le prix Léon Kryn, le Goncourt belge. Et c’est le début d’activités prodigieuses. Traducteur, scénariste, poète, metteur en scène de théâtre et de cinéma, Hugo Claus a choisi de s’installer dans le Vaucluse, naviguant entre Anvers et son refuge, passant six mois tantôt ici, tantôt là, et se définissant comme un ‘‘retraité immigré’’ : hugo claus,belladonna,roman,alain van crugten,édition de fallois‘‘L’important, c’est de ne pas vivre en Belgique, car j’y suis trop près de ma nature flamande : une combinaison de goinfrerie et de mysticisme. Et puis, c’est un pays trop étriqué. La religion catholique envahit tout.’’

    Esprit non conformiste, nourri de Chateaubriand, de Cingria, d’Albert Cohen et de Valéry, Hugo Claus cultive l’ambiguïté : celle d’être tout à la fois un mandarin et un autodidacte amoureux de la France et qui se moque de la propension hexagonale à l’exégèse et à la grandiloquence – ‘‘Comme si Chateaubriand avait vaincu Stendhal’’ – ; un auteur préoccupé de recherches formelles et un écrivain engagé, qui croit cependant que la seule attitude politique possible est l’anarchisme total ; un nomade (il a vécu à Amsterdam, en Italie, à Hong-Kong) et un chroniqueur de la Belgique, qu’il décrit comme une province exotique, avec son état d’esprit ‘‘mesquino-flamand’’, ses guerres picrocholines, ses sociétés secrètes.

    Scènes de la vie de province, Belladonna, en dépit de l’hommage flaubertien, est une fresque ubuesque, où Les Âmes mortes de Gogol sont convoquées au détour d’une page pour présider à ce banquet où l’argent, la stupidité et le sexe dansent leur sarabande de mort autour du fantôme de Breughel l’Ancien. Née de l’expérience cinématographique que fit Hugo Claus en 1982 avec le tournage de son film Le Lion des Flandres, film historique sur la bataille des Éperons d’or en 1302 (l’armée française y fut vaincue par les Flamands), Belladonna conte l’élaboration d’un film sur Breughel l’Ancien, commandé par une commission culturelle.

    Hugo Claus, jeune

    hugo claus,belladonna,roman,alain van crugten,édition de falloisÉcrit par un poète devenu conservateur d’un petit musée d’art contemporain, le scénario est revu par un touche-à-tout, puis proposé pour remaniement à des Anglais, avant d’être remis entre les mains d’un écrivain populiste qui se veut au-dessus de la mêlée, mais meurt de dépit de n’avoir pas obtenu le prix Michelin de la ville de Termonde. Ajoutons à cela un acteur parasite, une nymphomane, un ministre sous Valium, un producteur omniscient, quelques ratés, une foule de cabotins, et nous avons un tableau à la James Ensor où Axel Le Sourt, le poète obèse, promène sur des masques grimaçants son regard désenchanté. La belladone, plante vénéneuse a baies noires, est aussi un liquide que les belles dames se mettent dans les yeux pour mieux voir, au risque d’en être aveuglées : ‘‘Je ne me réjouis, disait Céline, que dans le grotesque aux confins de la Mort. Tout le reste est vain.’’ »

     

     

  • Le peintre et auteur flamand Frans de Geetere

    Pin it!

     

     Chaland nonchalant

     


    FransdeGeeterePhoto.png

    Frans de Geetere, à bord de sa péniche (photo Agence Meurisse, source gallica.fr)


    L’émission « Ouvrir les yeux : les inattendus de la vie quotidienne » (réalisation Jacques Busnel) va à la rencontre de Frans de Geetere qui a passé la moitié de sa vie sur une péniche à Paris avec sa compagne May den Engelsen : « Un peintre flamand, installé dans une péniche près du Pont Neuf à Paris, fabrique des cerfs-volants en forme de soucoupes volantes. Frans de Geyter (?) nous explique comment il les fabrique puis sa vie dans sa péniche. » Où il est entre autres question de Blaise Cendrars, de Simenon, mais bien peu de gravures érotiques, genre dans lequel l'artiste et sa femme excellaient. Diffusé le 24 août 1969, ce programme a semble-t-il été tourné peu avant la mort du peintre qui nous dit avoir 72 ans.

    EekhoudGeetere.pngAprès avoir vécu à Utrecht, Frans de Geetere s'établit en France où il publiera plusieurs ouvrages (à compte d’auteur), les romans Les Malmenés (1964) et Ton nom en lettres blanches (1961) ainsi que le volume de souvenirs L’Homme qui oublia de mourir (1962), traduit en néerlandais sous le titre De man die vergat te sterven (traduction et postface Roland Fagel, Utrecht, IJzer, 2008). Tout comme May, Frans a illustré plusieurs ouvrages dont Les Chants de Maldoror de Lautréamont (1927), les Lettres d'un satyre de Rémy de Gourmont (1926) - il était l'ami de Jean de Gourmont - et Mes Communions de Georges Eekhoud (1925).




    The artist Frans de Geetere was born François Joseph Jean de Geetere in Oudergem, a suburb of Brussels. Frans de Geetere studied at the Beaux-Arts in Brussels, but rebelled against the academic teaching there. With his partner, the painter May den Engelsen, Frans de Geetere sailed a barge from Brussels to Paris, where they moored by the Quai de Conti by the Pont Neuf and lived a Bohemian lifestyle.

    Volupté

    frans de geetere,paris,flandre,peinture,littérature,céline de potterDe Geetere and den Engelsen were intimate with Harry and Caresse Crosby in the late 1920s; Harry wrote to his mother, "If it is possible for two people to be in love with two people then we are in love with them." Harry Crosby shot himself after the Wall Street Crash in 1929. Frans de Geetere had an exhibition the following year at the Galerie de la Plume d’Or, introduced by the art critic André Warnod. But that was, essentially the end of his career. The chief influence on Frans de Geetere’s work was the Belgian Symbolists, particularly Fernand Khnopff. The etchings of Frans de Geetere are sombre and disquieting, infused with a miasma of conflicted sexuality and existential dread. His art now feels very modern, resonating, for instance, with both that of Paula Rego and that of Jake and Dinos Chapman. In his own lifetime Frans de Geetere fell so far out of favour that he titled a volume of lightly-fictionalised memoirs, self-published from his barge the Marie-Jeanne, L’homme qui oublia de mourir - The man who forgot to die. There was an exhibition of Frans de Geetere’s art at the Centraal Museum, Utrecht in 2007, and a new book on the artist by Jan Juffermans. See: Jan Juffermans, Frans de Geetere, 2006. (source : ici)


     

    illustration-pour-les-chants-de-maldoror-FransdeGeetere.jpg

    Illustration pour Les Chants de Maldoror


     

    On consultera Céline De Potter, « Les illustrateurs belges en France de 1919 à 1939 : Jean de Bosschère, Frans Masereel, Frans De Geetere, Luc Lafnet. Pratiques et réseaux », Le livre & l’estampe, LV, n° 171, 2009, p. 155-183.

    En néerlandais : Jan Juffermans, Frans de Geetere – een opvallende passant in de Utrechtse kunstwereldStichting Stichtse Publicaties Kunst en Cultuur,  2006.

     


     

    Frans de Geetere, Paris, Flandre, peinture, littérature, Céline De Potter