L’Art de Félix Timmermans
Félix Timmermans
selon Camille Melloy
Pensez à la langue de Ramuz ou d’Henri Pourrat : celle de Timmermans a au moins autant de santé, d’originalité et de saveur.
C. Melloy
F. Timmermans, photo publiée dans Triptyque de Noël, 1931
Jouissant d’une certaine renommée de son vivant, Camille Melloy (1891-1941), Flamand ayant écrit la plupart de ses œuvres en français, a joué un rôle non négligeable dans la diffusion de celles d’écrivains d’expression néerlandaise. Ainsi, il a donné une traduction de quelques livres de Félix Timmermans, artiste avec lequel il a entretenu une profonde amitié (1). Prêtre dans une Belgique encore à dominante catholique et rurale, Melloy a choisi d’adapter en français des textes qu’il estimait dignes d’être lus par le public le moins averti. Comme d’autres membres du clergé de son temps, il mettait le lecteur en garde contre la moindre séduction et la littérature trop « réaliste ». Dans son essai Le Beau Réveil (1922), il estime par exemple l’œuvre d’un Villiers de L’Isle-Adam (ou celle d’un Barbey d’Aurevilly) « dangereuse » car elle « fleure plutôt l’odeur de soufre de l’Enfer et des Péchés capitaux que l’encens du Ciel et des vertus » ; il ajoute, au sujet du « pauvre grand Verlaine », que s’il a, par son recueil Sagesse, poussé un « beau cri de repentir et d’amour », c’était « pour retourner bientôt à son vomissement et rimer les sadiques refrains de Jadis et naguère ».
Malgré l’aspect désuet de la plupart des ouvrages que ce prêtre-poète a traduits, l’un au moins continue d’être réédité de nos jours : le roman La Harpe de saint François, une des créations les plus connues à l’étranger de Félix Timmermans, publiée en France grâce à l’intervention de Henri Ghéon et de Jacques Maritain. Du fondateur de l’ordre des frères mineurs, C. Melloy disait : « Sans doute Poverello était déjà mon saint préféré ; depuis ce jour de mon adolescence ou je découvris les Fioretti, je n’avais plus cessé l’admirer, d’écouter ses leçons, sans oser adapter sa logique si terriblement rigoureuse qu’elle passe pour encore sublime, une folie… »
Les deux textes qui suivent présentent, sous la plume du traducteur Melloy, Félix Timmermans, romancier populaire des Flandres, ainsi que son Triptyque de Noël. Ces pages figurent en guise d’introduction à la version française de Driekoningentriptiek (1923), un conte qui vit toujours sur les planches aujourd’hui. (2)
(1) Sur l’amitié entre les deux hommes, on se reportera à De Gonde, n° 5, 1997. On doit à Camille Melloy, outre ce Triptyque de Noël et La Harpe de saint François, un Timmermans raconte… choix de contes et de nouvelles (1941), volume qui contient douze contes (dont « Les Très Belles Heures de Sœur Symphorosa, béguine » - texte dont il existe également une traduction en afrikaans de la main de Karel Schoeman, Le Cap, Rubicon-Pers, 1984 : Die seer skone ure van Juffrou Symforosa, Begyntjie - photo ci-contre) et qui reproduit le Triptyque. Quant à Timmermans, il a illustré un recueil de poèmes du prêtre : Louange des saints populaires (1933).
Page de titre, rééd. de la traduction de M. Gevers, 1951
(2) La romancière belge Marie Gevers a elle aussi donné une traduction de cette œuvre et de certains contes de Timmermans ainsi que de la pièce En waar de ster bleef stille staan (Et où l’étoile s’arrêta), qui reprend l’histoire du Driekoningen- triptiek.
Camille Melloy
L’Art de Félix Timmermans
Félix Timmermans est, à l’heure présente, l’écrivain le plus représentatif de la Flandre. Il en est, après le bon Henri Conscience, le plus connu à l’étranger. Presque toutes ses œuvres ont été traduites en allemand, plusieurs en français, en anglais ; quelques-unes en suédois, en tchèque, en italien.
Les Très belles heures de mademoiselle Symphorose, béguine, trad. Roger Kervyn de Marcke ten Driessche, Rex, 1931
La gloire est venue à Timmermans en coup de foudre, par son Pallieter. Ce roman d’un jeune éclata, en plein pessimisme du temps de guerre, comme une joyeuse pétarade de joie débordante, comme un hennissement de poulain ivre d’air. On comprend la surprise. À la Hollande, guindée et roide comme si elle portait encore la fraise espagnole de ses ancêtres calvinistes, se présentait un luron un peu débraillé, le cou libre, les yeux bien ouverts, et qui hurlait à gorge déployée sa joie de vivre, en faisant des cabrioles et des cumulets. La nature, tout à coup, en face de la culture ! Nous dirons tout à l’heure ce qu’il faut penser de cette œuvre, la première qui marque dans la carrière, depuis lors glorieuse, de Félix Timmermans. Ici, nous n’en constatons que la nouveauté. Le succès fut tel que le héros du livre, Pallieter, et son auteur, Timmermans, s’identifièrent dans l’esprit des lecteurs ; et que ce nom de Pallieter, qui ne signifie rien, devint rapidement un nom commun, dont naquit le verbe pallieteren qui signifie désormais mener une vie joyeuse et bruyante dans un pays où coulent la bière et le vin.
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Les traits essentiels de l’âme flamande, on les retrouve tous dans cet écrivain issu du peuple et demeuré en contact avec lui. Dans la coquette ville de Lierre, bâtie, entre Anvers et Malines, au bord de la Nèthe, Félix Timmermans vécut son enfance, fit quelques études, se découvrit poète, fonda son foyer, écrivit ses livres ; là encore il accueille les hommages des Flandres et des Pays-Bas, toujours avec la même joviale simplicité, avec la même philosophie superficielle et sereine. Vieilles maisons à pignons dentelés, ruelles cocasses du béguinage, clochers et carillons, remparts ombragés, rivière capricieuse et belles campagnes fécondes, Lierre est pour Timmermans l’univers, et d’abord la Flandre.
La Vie passionnée de Pieter Bruegel, trad. Nelly Weinstein, rééd. 1956
La Flandre est toute en contrastes. Rubens et Metsys, Verhaeren et Gezelle. Chaque artiste la voyant à travers son tempérament, elle paraît chez l’un sensuelle et truculente, chez l’autre rêveuse et mystique. Timmermans, étant à la fois un poète aux antennes les plus fines, et un peintre à la palette la plus grasse, a su rendre, en le forçant quelquefois, le double aspect de ce vieux pays, où l’hiver est si désolé, l’été si glorieux, ce pays de béguinages et de foires, de pèlerinages et de kermesses, de goinfres et de pénitents. Vie plantureuse et gloutonne, rêve grave et secret, humour et pittoresque, hantise de la mort : tout cela, tour à tour ou à la fois, est la matière dont Timmermans édifie son œuvre.
Son premier livre, Schemeringen van de Dood (Lueurs de la Mort), n’annonçait guère le grand artiste que serait un jour le jeune Lierrois ; mais il révélait déjà une préoccupation qui a reparu plusieurs fois dans la suite, notamment dans certains contes étrangement poignants : le mystère de la mort. Timmermans est, par bien des côtés, un homme du Moyen Âge : frère de ceux qui ont peint ou rimé les danses macabres, sculpté les monstres des cathédrales, conté ces mille histoires de démons et de revenants dont chaque village de Flandre garde encore l’une ou l’autre variante. Il se sent chez lui avec Breughel l’Enfer et Jérôme Bosch. Les ciels bas et les horizons noirs des hivers flamands accueillent et favorisent ces songeries funèbres, et les drapent dans une sombre poésie appropriée.
Pallieter, trad. Bob Claessens, Rieder, 1923
C’est pour secouer une tristesse persistante et réagir contre la neurasthénie que le jeune Timmermans a créé son type principal, ce Pallieter joyeux et débridé, l’homme « qu’il aurait voulu être ». De cette réaction volontaire est né un roman à l’intrigue mince, à la psychologie peu fouillée, mais d’un lyrisme débordant et d’une richesse descriptive inouïe.
À Lierre, non loin du béguinage, avec Charlotte, sa dévote et plantureuse sœur, Pallieter vit au jour le jour, loin des conventions et des contraintes, la vie de la nature. Ses plaisirs, ses travaux, ses amours, tout est libre, au gré de ses mille désirs, sans contrôle social ni moral*. Narines ouvertes, c’est un jeune centaure qui s’ébroue et se vautre et se roule dans la splendeur féconde de la terre, qui « trait les jours », selon son expression, maître de l’eau, du vent et de l’air, vidant goulûment la corne d’abondance en chantant les vieilles chansons du terroir. Bon œil, bon estomac, – bon cœur aussi, – le joyeux drille, qui s’identifie avec la végétation sylvestre comme un faune robuste, sait aussi goûter les plaisirs pittoresques de sa petite ville : processions, kermesses, dîner de famille et veillées où l’on boit et mange comme les dieux d’Homère. Perversité ? Non pas. Santé, mais santé païenne. Il croit en Dieu, le « Maître de là-haut » (l’expression flamande, ici, est plus familière et quelque peu irrévérencieuse), et il Le remercie « de l’avoir soufflé sur la terre » où il fait si bon vivre ; il suit le Saint-Sacrement, mêlé à la foule et portant un cierge ; il goûte la douceur de l’église au crépuscule : « j’ai senti Dieu », dit-il en la quittant. « Mais, – ajoute-t-il aussitôt, – je reste homme » ; il l’est surtout par un corps qui écoute et satisfait tous ses sens. – « Non, murmure-t-il après une journée de libre liesse, non, le grand Pan n’est pas mort : je viens de voir une de ses petites cornes. »
Un bateau du ciel, trad. Jean Fugère, Les 400 coups, 2000
Ce poème d’exaltation dionysiaque, vous pensez bien qu’on ne peut l’admettre sans de graves réserves, non seulement à cause des touches sensuelles, – qui entachent aussi par endroits d’autres œuvres du jeune maître, son Anna-Marie par exemple, – mais surtout à cause du rêve naturaliste qui le remplit et le soutient. C’est grand dommage, après tout : il est plein de descriptions brillantes et fraîches, d’intérieurs et de natures mortes aux teintes chaudes, de réalisme familier, et d’un humour populaire, un peu grossier, mais généralement sain et bon enfant**.
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Anne-Marie, trad. Mme Cludts, La Sixaine, 1946
Ce que le peuple aime en Timmermans, c’est le « bon vivant », le peintre des ripailles breughéliennes, l’humoriste aux facéties innombrables, le conteur de la vie populaire, si colorée et si bruyante en Flandre. Est-ce là le vrai, le meilleur Timmermans ? Je ne le pense pas. Il reste pour moi le poète des intimités, le chantre des mystiques béguinages et des âmes candides, le conteur de dévots noëls et d’émouvantes histoires d’amour. Cet autre aspect de son talent, on le saisira le mieux dans trois livres – parmi lesquels il faudra sans doute choisir son chef-d’œuvre, et où son style s’affirme plus pur, plus sûr, plus affiné. C’est trois livres sont :
1° Les Très Belles Heures de Sœur Symphorosa, béguine, – une nouvelle en teintes très tendres, où l’on respire un parfum de roses et de fruits mûrs parmi les relents d’encens du béguinage ;
2° L’Enfant Jésus en Flandre, évangile naïf et pittoresque, transposition littéraire des « nativités » des vieux maîtres flamands, légende où le réalisme anachronique et la poésie familière se mêlent avec un tact rarement en défaut ;
3° Le Curé de la Vigne en fleur, un touchant et simple roman d’amour, d’un optimisme chrétien plein de poésie, et où le sourire alterne délicieusement avec les larmes.
Le Curé de la Vigne en fleur, trad. Joseph Maenhaut, rééd. 1943
Bien qu’il ait depuis long- temps renoncé au vers (1), Timmermans pourrait bien être, à l’heure actuelle, le plus authentique poète de la Flandre. Tous ses livres, ceux dont j’ai parlé et aussi bien les autres, que la place restreinte dont je dispose m’empêche d’analyser ici, c’est une sève secrète de lyrisme qui leur donne leur grâce ou leur force. Qu’il raconte Breughel ou François d’Assise, qu’il regarde un moulin à vent ou une fresque de Fra Angelico, Timmermans est une âme qui s’émerveille et qui chante. L’atmosphère du béguinage, dans Schoon Lier (La belle ville de Lierre), l’Annonciation, la nuit des bergers à Bethléem, et l’adoration des Mages, dans L’Enfant Jésus en Flandre, la scène des Madones dans sa pièce de théâtre Et où l’étoile s’arrêta, tant et tant d’autres pages éparses dans ses livres sont les créations poétiques les plus gracieuses, parfois les plus somptueuses, qui se puisse rêver.
Philinte, « Choses de Belgique », Escher Tageblatt, 7 septembre 1935
Enfin, – mais ceci, on ne peut guère le contrôler sur une traduction – Timmermans est un admirable artiste. Il a cette chance inouïe de disposer d’une langue abondante, savoureuse, toute en termes concrets, d’une langue proche du peuple, non encore anémiée par d’austères régimes syntaxiques, d’une langue non encore filtrée, qui charrie des images et des tours populaires, qui a la saveur et l’odeur de la terre, des plantes, de la vie. Le néerlandais officiel, langue littéraire de la Flandre et des Pays-Bas, est trop raffiné déjà, trop académique ; bien que depuis longtemps langue écrite et littéraire, le flamand a encore tous les privilèges des idiomes régionaux. Pensez à la langue de Ramuz ou d’Henri Pourrat : celle de Timmermans a au moins autant de santé, d’originalité et de saveur.
illustration de Timmermans, Triptyque de Noël, 1931
Ajoutez à cela le don de la métaphore, du trait caractéristique, du mot évocateur – n’oubliez pas que Timmermans est aussi peintre, et qu’il illustre lui-même ses livres de dessins naïfs très amusants –, et une manière, qui n’est qu’à lui, de s’attendrir furtivement, en hâte, par parenthèse, entre deux facéties ; de s’élever sans en avoir l’air, d’être lyrique en demeurant près de nous.
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Que nous donnera encore Félix Timmermans ? C’est un homme jeune et un talent gonflé de promesses. Je crois savoir qu’il travaille à un nouveau recueil de contes, et nous attendons bientôt de lui une vie de saint François d’Assise, son saint préféré.
Il est populaire. Le restera-t-il longtemps ? Il est toujours imprudent de prédire. Et la faveur publique est capricieuse. Mais on ne peut se tromper en le classant, dès aujourd’hui, parmi les maîtres de la littérature néerlandaise, parmi les quelques grands, dignes de rester, dignes aussi d’être connus au-delà des étroites frontières de leur pays.
Camille Melloy
L'Enfant Jésus en Flandre, trad. Neel Doff, Rieder, 1925
* Il va sans dire que ce roman, réaliste par le style et les procédés, ne dépeint pas la réalité. Le lecteur qui se figurerait les bourgeois, les curés, les jeunes filles de Flandre semblables aux personnages du Pallieter se tromperait totalement. À part quelques tableaux épisodiques (la procession, la veillée, le pèlerinage) et des descriptions de la nature, tout est grossi, parfois jusqu’à la charge la plus invraisemblable, comme dans Rabelais.
** La religion de F. Timmermans s’est précisée et assainie depuis. À l’heure présente, on peut le ranger parmi nos bons écrivains catholiques, ce qui ne veut point dire que tous ses livres conviennent indifféremment à tous lecteurs.
(1) Relevons qu’un choix de ses poèmes a paru en français : Adagio, trad. Albert Sechehaye, La Renaissance du Livre, 1973.
Triptyque de Noël, trad. C. Melloy, Rex, 1931, illustrations de F. Timmermans
Le Triptyque de Noël
Ex-libris, F. Timmermans, Triptyque de Noël, éd. 1951
Le Triptyque de Noël ou « des Trois Rois »* n’est pas l’œuvre la plus caractéristique de Félix Timmermans. On n’y retrouve ni la verdeur truculente de Pallieter, ni la luxuriance d’images neuves du Curé de la Vigne en fleur, richesses qui, dans un conte, eussent été déplacées. Mais il s’en dégage un charme que, nous osons l’espérer, notre traduction, quelque imparfaite qu’elle soit, n’aura pas complètement dissipé. En outre, par le fait même que l’auteur y a usé de ses dons les plus puissants avec une discrétion et une sobriété qui marquent une grande maîtrise de soi et un goût exigeant, cette œuvrette nous paraît un morceau tout classique. Un heureux dosage de réalisme dru et d’exquise poésie ; une émotion qui naît des situations ; un humour qui se montre rarement mais qu’on devine tout près de se montrer ; des décors et une atmosphère qui nous enveloppent comme une réalité, tout cela fait valoir le sujet à la fois très original et conforme aux mœurs et à l’esprit de la Flandre.
Le lecteur admirera dans ce brelan de contes la couleur locale, la justesse psychologique, le sens profondément chrétien.
C’est bien la Flandre qui vit ici, avec ses truands et ses bons pauvres, ses ripailles et ses dévotions populaires, sa hantise du mystère et la tendre familiarité dont elle assaisonne sa belle foi naïve. La Flandre avec ses plaines de neige, si impressionnantes, ses moulins à vent, ses fermes et ses chaumières, ses calvaires et ses chapelles, ses églises toujours très fréquentées et ses auberges qui ont aussi leurs dévots.
Les « Trois Rois » en guenilles sont dessinés avec un relief amusant. Ce sont trois « variétés » de la famille des va-nu-pieds. Les caractères se soutiennent à merveille. On ne s’étonne pas que le Triptyque de Noël soit devenu plus tard, grâce à la collaboration de Félix Timmermans et d’Édouard Veterman, ce joli « mystère » que le Vlaamsche Volkstooneel a joué avec tant de succès : En waar de ster bleef stille staan… (Et où l’étoile s’arrêta…) Les personnages du conte sont déjà tout prêts pour la scène.
G. Durnez, Félix Timmermans, une biographie, Lannoo, 2000
Ce qui rend leur psychologie particulièrement captivante, c’est l’intervention – capitale – de l’élément surnaturel. Ces trois âmes diversement disposées reçoivent la grâce, ou se débattent contre elle, chacune conformément à ses dispositions. Tout le pathétique du petit drame naît du conflit entre la nature et la grâce. Timmermans n’a peut-être jamais mieux exprimé cette idée qui le hante, qui est la substance spirituelle des meilleures œuvres de sa maturité : à savoir le duel, dans l’homme, de l’ombre et de la lumière, de la chair et de l’esprit, de l’humain et du divin. Ici, sous l’affabulation de légende, c’est bien l’explication catholique qui est donnée. Quelle gracieuse illustration d’évangile ! Dieu ne veut point laisser l’aumône sans récompense ; avec les pécheurs qui refusent d’accepter la grâce (qu’ils trouvent gênante), il ruse pour la leur offrir encore ; il les guette, et les poursuit de sa bonté. Et la Vierge, évidemment, intercède pour obtenir leur salut. Deux « Rois » meurent sauvés, l’un dans l’amour, l’autre dans le repentir ; le troisième vit, converti, mais – et c’est encore un trait de vérité humaine – il ne lâche pas son péché mignon, qui est de chaparder quand l’occasion l’y invite.
illustration de Timmermans, Triptyque de Noël, 1931
Sur les aventures de cette humanité plus faible que méchante, Félix Timmermans verse la chaude lumière de sa sympathie amusée, de son indulgence, de sa compassion. Et cela encore est très chrétien. Chez nous, le ciel n’est jamais loin de la terre, et la bonté nous semble le sentiment qui nous en rapproche le plus. Soyez-en assurés : dans ses mendiants, qui lui plaisent déjà tant par le pittoresque de leur vie et de leur langage, Félix Timmermans aime tous les pauvres, que dis-je, tous les hommes, – à tous il étend sa bonté, car en tous se joue, d’une façon ou d’une autre, le drame spirituel de la misère humaine et des sollicitations divines.
Camille Melloy
Psaume paysan, trad. Betty Collin, Maréchal, 1943
* Le titre flamand : Driekoningentriptiek, pourrait se traduire : Triptyque d’Épiphanie. Comme il n’est pas question, dans le conte, de la fête de l’Épiphanie, mais des trois mendiants travestis en Rois Mages qui font le tour des fermes la nuit de Noël, nous avons pensé que Triptyque de Noël serait la version la plus juste.
Voilà, 6 juin 1941