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flandres-hollande - Page 33

  • Le plus jeune frère d’Etty Hillesum

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    NUNC

    n° 34

    dossier Etty Hillesum

     

     

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    Fondée en 2002, la revue Nunc consacre, sous la direction de Marie-Hélène du Parc Locmaria, le dossier de sa dernière livraison à la Néerlandaise Etty Hillesum, née voici un siècle et dont les écrits connaissent un vif succès dans le monde francophone. Comme les précédents, ce numéro 34 se double d’une édition de luxe, un tirage limité proposant une œuvre originale de l’artiste invité, dans le cas pré- sent François-Xavier de Boissoudy.

    etty hillesum,musique,pays-bas,mischa hillesum,revue nuncSur la base de quelques documents qui n’étaient pas encore accessibles en français, Philippe Noble – qui a donné les traductions Une vie bouleversée (1985) et Lettres de Westerbork (1988) avant de s’adjoindre la collaboration d’Isabelle Rosselin pour transposer en 2008 l’intégralité des Écrits d’Etty Hillesum – revient sur les dernières semaines des membres de la famille Hillesum.

    Ce dossier, précise l’introduction, « tire son unité d’un fil conducteur : comment Etty Hillesum donne-t-elle la parole à d’autres ? Le premier article tentera une réflexion sur l’engendrement et l’enfantement par la parole, ainsi que les raisons de l’audience d’Etty Hillesum. […] Dans sa contribution, Ingmar Granstedt […] raconte dans toutes ses nuances la conversion accomplie par Etty Hillesum dans ses relations aux autres. La lecture des œuvres de C. G. Jung a joué dans ce parcours un rôle important, comme l’explique Nadia Neri.

    « La spiritualité d’Etty Hillesum est avant tout un chemin intérieur qui se prête à des lectures multiples. Aucune n’épuise l’œuvre, mais leur faisceau nous aide à l’ouvrir en nous. Monique-Lise Cohen nous révèle le terreau juif et hassidique des écrits d’Etty Hillesum. Karima Berger nous offre une méditation sur la découverte de l’intériorité et du nom de Dieu par la jeune femme. François Marxer revient sur ce qui rapproche et ce qui sépare Etty Hillesum de R. M. Rilke qu’elle a tant aimé lire et leur façon de parler de Dieu. Un dernier article offre une lecture du parcours de la Néerlandaise à l’aune de la sentence de saint Augustin : ‘‘aime et fais ce que tu veux’’. »

    Mischa Hillesum

    etty hillesum,musique,pays-bas,mischa hillesum,revue nunc, Marie-Hélène du Parc Locmaria, François-Xavier de BoissoudyPour notre part, il nous a semblé utile de proposer, au sein de cet ensemble, un sobre compte rendu d’un ouvrage dont aucune traduction n’est annoncée dans les pays voisins de la Hollande : Jan Willem Regenhardt, Mischa’s spel en de ondergang van de familie Hillesum (Le Jeu de Mischa et la fin de la famille Hillesum), suivi d’une postface sur l’œuvre musical de Mischa Hillesum par Leo Samama, Amsterdam, Balans, 2012. Ce sont ces quelques paragraphes purement informatifs que nous reproduisons ci-dessous.

     

    M.-H. du Parc Locmaria, « Introduction », p. 25-27.

    Philippe Noble, « La fin de la famille Hillesum : Westerbork et après », p. 28-32.

    Daniel Cunin, « Au sujet de Mischa », p. 33-34.

    Laurence Brisset, « Un tout petit mot à dire », p. 35-36.

    M.-H. du Parc Locmaria, « Le souffle d’une écriture ou l’Engendrement par la parole. Etty Hillesum : pourquoi une telle audience ? », p. 37-43.

    Ingmar Granstedt, « Des relations sans fin », p. 44-52.

    Nadia Neri, « Etty Hillesum et C. G. Jung », p. 54-56 (traduit de l’italien par Anne Thielen).

    Monique-Lise Cohen, « Etty Hillesum. Chemin de prière et d’écriture (la voix et la patience) », p. 58-71.

    Karima Berger, « Intérieurs – Hineinhorchen. Fîhî mâ Fîhî », p. 73-78.

    François Marxer, « Etty Hillesum, lectrice de Rainer Maria Rilke ou les amours d’une belle infidèle », p. 80-91. 

    M.-H. du Parc Locmaria, « La loi de l’amour », p. 92-96.

     

     

    Marianne Boer joue les deux préludes de Mischa Hillesum, ses seules oeuvres

     

     

     

    Vie de Mischa et fin des Hillesum

     

     

    Etty Hillesum, musique, pays-bas, mischa hillesum, revue nunc, Le livre Le Jeu de Mischa et la fin de la famille Hillesum narre l’existence du benjamin de la famille Hillesum, Mischa, né en 1920, musicien prodige qui dès l’âge de six ans stupéfie son monde en interprétant des morceaux très difficiles au piano. L’auteur a mené des recherches sur les personnes que mentionne Etty dans son Journal ; le résultat de ce travail a été intégré dans les notes de l’édition définitive des écrits de la jeune femme. Il avait toutefois conservé de nombreux documents sur Mischa. La découverte récente de partitions du garçon l’a incité à replonger dans ses archives et à écrire cet ouvrage. On a entre les mains une biographie du musicien en herbe en même temps que le tableau de toute une famille. Ces pages viennent éclairer dans une certaine mesure celles laissées par Etty.

    Le titre renvoie à un récit célèbre de l’un des écrivains majeurs des Pays-Bas, Gerard Reve (1923-2006) : De ondergang van de familie Boslowits (La Fin des Boslowits, 1946). Cette œuvre décrit avec une grande sobriété les dernières années d’une famille juive hollandaise durant l’occupation nazie. On assiste à leur « crépuscule » à travers les yeux d’un enfant dont les parents sont liés aux Boslowits (1).

    Les Écrits d’Etty Hillesum, Le Seuil, 2008

    etty hillesum,musique,pays-bas,mischa hillesum,revue nuncUtilisant entre autres les données qu’il a pu recueillir il y a un certain nombre d’années, dont de nombreux témoignages de personnes ayant connu les Hillesum, Jan Willem Regenhardt insère dans son propos, qui suit une trame chronologique assez souple, tout ce que l’on sait sur chacun des cinq membres de la famille, des origines des parents et de leur rencontre à leur déportation (lieu et époque probables de leur mort respective). La personnalité singulière du jeune Mischa – sans doute l’un des plus grands talents pianistiques de l’Europe du XXe siècle – permet de donner corps à cette histoire. Comme les autres membres de la famille, le garçon se distinguait par un côté génial et une grande fragilité. La « folie » des cinq Hillesum constitue ainsi un fil rouge passionnant à suivre. Très cultivés, les enfants n’ont reçu de leurs parents si dissemblables l’affection ni l’attention qui auraient pu leur fournir un réel équilibre.

    Beaucoup de témoignages viennent étayer ce qu’Etty avance sur sa mère Rebecca (Riva), une femme à la fois distinguée et séduisante, mais par ailleurs incapable d’exploiter ses talents en raison d’une personnalité instable. Homme effacé, Louis, le père, est un érudit et mélomane qui se réfugie dans ses ouvrages sur l’Antiquité après avoir renoncé à une carrière de rabbin et s’être détourné de la tradition ; à la tête du lycée classique de Deventer, ce petit homme laid et timide, féru de philosophie stoïcienne, compense son manque d’assurance par le recours à une discipline de fer. Jaap, le cadet, passionné lui aussi de musique (les compositeurs les plus modernes, le jazz), semble doué pour la poésie ; il fait des études de médecine plutôt brillantes mais sombre dans des crises de schizophrénie. Pour ce qui est d’Etty, Le Jeu de Mischa revient sur ses aspirations, ses premières tentatives d’écriture, ses premières amours, les milieux politiques (sionistes et autres) qu’elle fréquente ainsi que sur ses troubles psychiques ; bien entendu, l’auteur ne se prive pas de citer des passages du Journal.

    etty hillesum,musique,pays-bas,mischa hillesum,revue nuncÀ l’âge de 11 ans, Mischa quitte Deventer et ses parents ; il est placé dans une famille juive d’Amsterdam, ville où il peut suivre une formation musicale correspondant mieux à ses dons. Mais en six ans, il ne connaîtra aucune stabilité : adresses et familles d’accueil se succèdent. Grand interprète de Chopin, il apprécie aussi beaucoup Stravinsky, Ravel et Kurt Weill, compositeurs encore peu goûtés et absents de l’enseignement au conservatoire. Le garçon écrase alors par son talent Alex Zwaap qui deviendra pourtant l’un des compositeurs hollandais les plus joués. Il fréquente un collège d’élite où il se sent bien et obtient de très bons résultats. Mais comme son frère et son père, il est lui aussi placé par périodes dans une institution psychiatrique. L’adolescent au visage d’enfant suit les cours de piano du jeune George van Renesse, reconnu comme l’un des plus grands pianistes néerlandais. Pour une raison administrative, Mischa abandonne toutefois sa scolarité. Son père souhaite le voir se consacrer plus pleinement encore au piano ; pour le reste, il entend qu’il suive des cours privés.

    Mischa & Etty au piano, 1935

    etty hillesum,musique,pays-bas,mischa hillesum,revue nuncGeorge van Renesse et Mischa deviennent très proches l’un de l’autre, mais le professeur ne peut guère apprendre grand-chose à son élève tant ce dernier est doué. À peine âgé de 14 ans, le benjamin des Hillesum donne son premier grand concert : son talent est reconnu par les plus grands spécialistes et des compositeurs renommés. Quand, un jour de 1938, il se produit à Amsterdam, son jeu impressionne une nouvelle fois l’assistance, mais tout le public a pu remarquer qu’il était totalement perdu dans son monde : on est obligé de l’asseoir devant le piano car, totalement désorienté, il ne sait pas ce qu’il fait sur la scène. Depuis son départ du collège, il ne connaît aucune stabilité. À peine sorti de l’enfance, il a probablement été troublé par l’affection que lui a portée une femme bien plus âgée que lui et qui l’a déniaisé. Malgré le succès que le beau garçon recueille auprès de la gent féminine, il restera toujours attaché à cette « protectrice » chez qui il demeure. Peu après le concert de 1938, Mischa est interné dans un hôpital psychiatrique juif qui accueille alors 900 patients, un véritable village où la thérapie par le travail et la religion prévaut – pour l’adolescent une première expérience dans un cadre dominé par la tradition juive.

    encre de F.-X. de Boissoudy

    etty hillesum,musique,pays-bas,mischa hillesum,revue nuncSi Etty a pu garder un certain contrôle sur ses défaillances psychiques, il n’en est pas allé de même de ses frères. Mischa ne faisait qu’un avec son piano, il perdait tout contact avec la réalité, en particulier lorsqu’il se produisait dans un cadre solennel. Raison pour laquelle il n’obtiendra pas de bourse pour étudier à l’école Normale de Musique de Paris fondée en 1919 par Cortot alors même qu’aucun concurrent ne lui arrivait à la cheville. Mischa passe une année dans le service psychiatrique, subissant un traitement lourd car il a souvent un comportement imprévisible ; il se dit lui-même schizophrène. Il retourne ensuite vivre à Deventer chez ses parents où l’harmonie est loin de régner.

    Etty Hillesum, musique, pays-bas, mischa hillesum, revue nunc, Pendant l’occupation du pays par les nazis, Louis Hillesum perd les fonctions qu’il occupait. Plusieurs personnes tentent de le convaincre de se cacher, mais il refuse. Cet homme qui n’a rien d’un Don Juan a alors une liaison passionnée avec une femme beaucoup plus jeune que lui, une de ses anciennes collègues. Fin 1942, les Allemands forcent la famille à quitter le domicile de Deventer ; comme la plupart des juifs de province, on leur attribue bientôt une adresse à Amsterdam. Là, Mischa et sa sœur, par exemple à l’occasion de concerts privés clandestins, côtoient de nombreux artistes juifs qui ont fui l’Allemagne. En juin 1943, Louis, Riva et Mischa font partie d’une grande rafle et sont conduits à Westerbork où Etty travaille. Malgré d’ultimes tentatives, ils n’échapperont pas à la déportation. Certains ont essayé d’obtenir la libération de Mischa (et de ses proches) en mettant en avant son talent hors du commun. Mais il semble que les démarches entreprises par sa mère aient fortement déplu à des militaires allemands de haut rang. Jaap est pour sa part arrêté quelques semaines plus tard. L’auteur décrit la fin probable que chacun a connue. Peu après son arrivée à Auschwitz, Mischa a été transporté à Varsovie pour aider à déblayer les ruines du ghetto. C’est là qu’il meurt.

    Ce récit bien écrit est suivi (p. 273-284) d’un essai du compositeur Leo Samana sur les œuvres laissées par Mischa (dont un enregistrement) qui font l’objet du CD qui accompagne le livre.

    L’ouvrage se referme sur des remerciements, les notes (p. 287-315), la mention des sources (p. 316-320) et un index des noms (p. 321-326).

     

    Daniel Cunin

     

     

    (1) Il existe une traduction française de ce texte : Gerard Reve, « La fin des Boslowits », traduction de Liliane Wouters, in Nouvelles néerlandaises des Flandres et des Pays-Bas, préface de Victor E. van Vriesland, Paris, Seghers, 1965, p. 258-277.

     

     

    documentaire (en néerlandais) sur Mischa Hillesum

    avec la participation de son biographe

     


    Etty Hillesum : Le Journal d'une âme, de Claire Jeanteur

      

     

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    autre documentaire

    L'amour comme seule solution. Etty Hillesum

     

     

  • Les jumelles de théâtre

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    Une nouvelle de Louis Couperus

    ou La Walkyrie à l’Opéra de Dresde

     

     

    (parution dans Deshima, n° 2, 2010, p 175-182)

     

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     Le Semperoper, Dresde, vers 1900

     

     

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  • Traductions de la Bible (1)

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    Quelques considérations sur la traduction ou les traductions de la Bible ou des Bibles

    ou quand la traduction fonde et précède l’original

    (vidéos et exposés disponibles en ligne)

     

     

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     Bible d'Olivétan

     

     

    traduire le sacré


    podcast

    Du Targoum aux manuscrits de Qumrân

    Marc-Alain Ouaknin (Les mystères du mot Targoum. Traduction et lapidation), Marc de Launay (Genèse I, quel texte traduire ?), Stéphanie Anthonioz (La traduction des manuscrits de Qumrân)

     


    podcast

    De lapproche juive à lamphibologie

    Francine Kaufmann (L’approche juive de la traduction des sources sacrées), Cyril Aslanov (Quand la traduction se languit de l’original), David Banon (Traduction et/ou herméneutique : à propos des thèses de Henri Meschonnic), Marc-Alain Ouaknin (La question de lamphibologie au cœur de la traduction)

     

     

     

     

    nouvelle traduction liturgique officielle de la Bible

     

    1/6 Pourquoi une nouvelle traduction de la Bible ?

     

    2/6 Une nouvelle traduction du Notre Père: "Ne nous laisse pas entrer en tentation"

     

    3/6 L'approbation (Recognitio) de la traduction liturgique

     

    4/6 - Les apports de la nouvelle traduction. La traduction intégrale de l'Ancien Testament

     

    5/6 - Une traduction liturgique et scientifique

     

    6/6 Editer la nouvelle traduction liturgique de la Bible

     

    La Bible liturgique (KTO, 17/11/2013) 

     

     

    La Tora et sa traduction (1/2)

    podcast

    par Francine Kaufmann 

     

    La Tora et sa traduction (2/2)

    podcast

    par Francine Kaufmann

     

    Premier traducteur juif du Tana'h 

    podcast

    par Francine Kaufmann 

     

    L'univers d'Henri Meschonnic

    podcast
     

     

     Lefèvre d’Étaples

    lien vidéo 

    Jacques Lefèvre d’Étaples (vers 1460-1536)

    d’Aristote à la Bible

     

    La Bible de Lefèvre dÉtaples Par Paul Lienhard

     

     


     

    The King James Bible (documentaire BBC, 2013) 

     

    le chanoine Osty parle de sa traduction de la Bible

     

     


    Les lundis de l'histoire

    avec Thomas Römer & Florian Michel

     

     

    Comparaison de passages de la Statenvertaling (1637)

    et de la Herziene Statenvertaling (2010)

     



     

     

  • Ode à Personne

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    Benno Barnard

    à propos de Schwarze Flocken d’Anselm Kiefer

     

     

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    ODE À PERSONNE

     

     

     

     

    Schwarze Flocken

     

     

    Schnee ist gefallen, lichtlos. Ein Mond

    ist es schon oder zwei, dass der Herbst unter mönchischer Kutte

    Botschaft brachte auch mir, ein Blatt aus ukrainischen Halden:

     

    ‘Denk, dass es wintert auch hier, zum tausendstenmal nun

    im Land, wo der breiteste Strom fliesst:

    Jaakobs himmlisches Blut, benedeiet von Äxten…

    O Eis von unirdischer Röte – es watet ihr Hetman mit allem

    Tross in die finsternden Sonnen… Kind, ach ein Tuch,

    mich zu hüllen darein, wenn es blinket von Helmen,

    wenn die Scholle, die rosige, birst, wenn schneeig stäubt das Gebein

    deines Vaters, unter den Hufen zerknirscht

    das Lied von der Zeder…

    Ein Tuch, ein Tüchlein nur schmal, dass ich wahre

    nun, da zu weinen du lernst, mir zur Seite

    die Enge der Welt, die nie grünt, mein Kind, deinem Kinde!’

     

    Blutete, Mutter, der Herbst mir hinweg, brannte der Schnee mich:

    sucht ich mein Herz, dass es weine, fand ich den Hauch, ach des Sommers,

    war er wie du. 

    Kam mir die Träne. Webt ich das Tüchlein.

     

    Paul Celan

     

     

     

     

     

    Flocons noirs

     

     

    La neige est tombée, éteinte. Voici une lune,

    voire deux, que l’automne dans sa bure de moine

    m’a apporté à moi aussi un message, une feuille des terrils d’Ukraine :

     

    « Songe qu’ici aussi il fait hiver, pour la millième fois

    dans le pays où coule le plus large des fleuves :

    sang céleste de Jacob, béni par des haches…

    Ô glace d’un rouge étranger à ce monde – son hetman le passe à gué avec toute sa

    troupe vers des soleils qui s’enténèbrent… Enfant, ah ! un linge

    dans lequel me draper quand les casques rutilent,

    quand le bloc de glace, rosissant, se fend, quand les os de ton père

    poudroient comme neige, se repent sous les sabots

    le chant du cèdre…

    Un linge, rien qu’un mouchoir, afin que j’y garde,

    maintenant que tu apprends à pleurer, près de moi

    l’exiguïté du monde qui jamais ne verdoie, mon enfant, pour ton enfant ! »

     

    Que n’a-t-il saigné, mère, l’automne en filant entre mes mains, que ne m’a-t-elle brûlé la neige :

    que n’ai-je cherché mon cœur, pour qu’il pleure, que n’ai-je trouvé le souffle, ah ! celui de l’été,

    il était comme toi.

    M’est venue la larme. Ai tissé le linge.

     

     

    benno barnard,paul celan,anselm kiefer,poésie,peinture,littérature,pays-bas,traductionDifficile d’écrire un poème plus allemand que celui-ci, tant pour ce qui relève des thèmes (la guerre, le mas- sacre des juifs, la mémoire) que de la forme, laquelle propose maintes inversions à la manière de poètes du XIXe siècle tels Hölderlin et Trakl. Un poème noir – noir comme la neige, noir, eh oui, comme le lait…

    Il faut dire qu’il a été composé par le poète de l’Holocauste, Paul Celan (1920-1970), un juif originaire de Czernowitz, aujourd’hui Tchernivtsi en Ukraine. Avant la guerre, la ville appartenait à la Roumanie, et avant encore à l’Empire austro-hongrois. Ce centre disparu de la culture juive d’expression allemande jouit de nos jours d’un statut mythique : une cité où les cochers, perchés sur le siège de leur fiacre, sifflotaient des arias, où l’on comptait plus de librairies que de boulangeries, où linge de table en lin et expériences modernistes offraient un contraste du meilleur goût.

    Je suis tombé sur ce poème au Musée des Beaux-Arts d’Anvers où il figurait sur une toile d’Anselm Kiefer. Ce peintre allemand est né la même année que l’Allemagne démocratique : 1945. Une coïncidence à laquelle je me permets de conférer une certaine signification, comme Kiefer lui-même d’ailleurs.

    Les toiles de Kiefer sont d’un format plus qu’imposant – vingt-deux d’entre elles remplissaient le rez-de-chaussée. Elles revêtent une part d’atrocité, à la fois sinistre, spectrale et funèbre. Devant cette débauche d’expressionnisme tonitruant, j’ai senti un léger frisson me parcourir. Difficile de peindre des toiles plus allemandes que celles-ci.

    À l’entrée, on remettait au visiteur une masse de papier regorgeant d’informations sur les œuvres exposées. Étrange de se dire qu’il n’est plus possible d’aborder l’art de notre temps par le simple regard ! D’aucuns avancent qu’au Moyen Âge, les gens comprenaient sans peine la symbolique toute silencieuse des peintures – la rose, l’oiseau en cage, la clé, le livre – et cela valait peut-être pour les plus instruits ; il en va bien autrement pour ce qui est de l’art contemporain, du moins pour ce qui est de Kiefer, en tout cas en ce qui me concerne quand bien même j’appartiens à la haute bohème. Les codes qu’il s’agit de maîtriser sont des noisettes récalcitrantes nécessitant le recours à un casse-noisettes.

    benno barnard,paul celan,anselm kiefer,poésie,peinture,littérature,pays-bas,traductionToutefois, j’ai compris d’em- blée – à supposer que « com- prendre » soit le terme requis – au moins un des tableaux : le bouleversant Schwarze Flocken (Flocons noirs), peint à partir du poème éponyme de Paul Celan. Dans ma main, la brochure me chuchotait de façon obligeante : « Un livre de plomb au milieu de la désolation d’un paysage enneigé. Un livre au contenu accablant : de ses pages s’échappent des phrases du poème ‘‘Flocons noirs’’ […] ».

    Le poème le plus célèbre de Celan sur l’Holocauste s’intitule « Fugue de mort ». Il s’ouvre par ces mots : « Schwarze Milch der Frühe wir trinken sie abends ». Le lait noir de l’aurore nous le buvons le soir… Le début de ce vers relève des métaphores modernistes qui, pareil à un chat, erraient dans les rues de Czernowitz. On la retrouve dans un poème d’une concitoyenne de Celan, Rose Ausländer. J’ai dit moderniste ? Trois siècles plus tôt, le poète néerlandais Constantijn Huygens (1596-1687) inventait une contradictio in adjecto similaire : « suie blanche » (wit roet) pour désigner la neige. Tel aurait d’ailleurs pu être le titre du poème comme celui du tableau.

    Sur ce dernier, les vers sont peints dans la neige, vers le point de fuite, au pied de « ceps de vigne abîmés », d’ « interminables rangées de signes commémoratifs dans des cimetières militaires »,  de «  runes », ou encore de ce que tout un chacun souhaite s’imaginer – les trois, il me semble. De longues rangées de vignes funèbres, et au centre le lourd livre qui contient le poème de Celan. Je l’ai reconnu, et bien qu’il ne figure pas dans son intégralité sur la toile, la perspective suggère qu’il en est tout de même ainsi.

    Je suis resté là à regarder ce tableau jusqu’à ce que les yeux me brûlent. Cette œuvre accrochée au mur : une gifle en pleine figure, une scène de crucifixion sans corps, une ode à Personne.

    La mère réclame ein Tuch, un drap, un linge, un mouchoir, une toile. Ce mot aurait-il incité Anselm Kiefer à réaliser sa propre toile ? Paul Celan – hanté par ses souvenirs, il devait se suicider à Paris vingt-cinq ans après la fin de la guerre –, aurait-il amené le peintre allemand, par l’équivoque de ce terme, à tisser une toile pour sa mère disparue ?

    Les parents de Celan sont morts en 1942 dans le camp d’internement de Michailovka en Transnistrie (actuelle Ukraine).

    M’est venue la larme.

      

    Benno Barnard

     

     

    traduction du poème et du texte : Daniel Cunin

     

     

     

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    Benno Barnard est l’auteur de : Le Naufragé, recueil de poèmes traduit du néerlandais par Marnix Vincent,  Le Castor astral, 2003 (édition bilingue) ; Fragments d’un siècle. Une auto- biographie généalogique, traduit du néerlandais par Monique Nagielkopf, Le Castor Astral, 2005 ; La Créature : monologue (théâtre), traduit du néerlan- dais par Marnix Vincent, Le Castor astral, 2007.

    Le texte original néerlandais a paru le 20 février 2011 dans l’hebdomadaire Knack, la version française dans la série « Cris et chuchotements » du mensuel Pastoralia (octobre 2014). Merci à Anne-Françoise pour la relecture de la version française du poème.

     

     

     

  • Une page de Paul Verlaine

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    En compagnie du peintre orientaliste

    Ph. Zilcken

     

     

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    Le 19 janvier 1896, Les Annales politiques et littéraires publient une page de prose de Verlaine. Elle relate un épisode de son séjour en Hollande (novembre 1892) au cours duquel il a en particulier bénéficié de l’hospitalité du peintre et graveur francophile Philippe Zilcken ; celui-ci occupait alors, avec son épouse et leur fillette Renée, la Hélène-Villa à La Haye. Dès 1893, à l’initiative de l’artiste néerlandais et du libraire-éditeur Blok, les quelques paragraphes en question avaient été publiés avec diverses considérations et quelques poèmes du voyageur : Paul Verlaine, Quinze jours en Hollande, lettres à un ami, avec un portrait de l’auteur par Ph. Zilcken. Deux ans après la mort du poète devait suivre un deuxième volume : Correspondance et documents inédits relatifs à son livre Quinze jours en Hollande, avec une lettre de Stéphane Mallarmé et un portrait de Verlaine écrivant d’après la pointe sèche de Ph. Zilcken sur un croquis de J. Toorop. Les lettres que Verlaine adresse à son correspondant hollandais privilégié montrent que ce dernier lui a fourni maints renseignements qui ont servi la rédaction de l’ouvrage de 1893 ; on constate par ailleurs que, pour ce travail, la motivation première de l’auteur de Jadis et naguère, constamment aux abois, semble bien avoir été l’argent.

    Jan Toorop dessiné par Verlaine

    paul verlaine,philippe zilcken,hollande,littérature,poésie,gravure,voyage,joséphin péladanLa page reproduite dans Les Annales politiques et littéraires, mettant en avant la rencontre entre Paul Verlaine et Joséphin Péladan à La Haye, fait l’impasse, gommage symptomatique, sur un bref passage relatif aux hommes de lettres des Pays-Bas ; elle ne restitue pas non plus vraiment les circonstances qui ont conduit à ces fortuites retrouvailles. Après avoir séjourné à Amsterdam où il a pris la parole en public le 8 novembre (voir invitation ci-dessous qui mentionne : lassistance est priée de ne pas applaudir) et le 11, Verlaine et Zilcken quittent les peintres Willem Witsen et Isaac Israëls et, en compagnie de Jan Toorop, prennent le train. C’est dans un café de La Haye où, à l’abri de la pluie diluvienne, ils font halte avant de regagner la Hélène-Villa, qu’ils découvrent deux affiches annonçant la conférence de Péladan.

    paul verlaine,philippe zilcken,hollande,littérature,poésie,gravure,voyage,joséphin péladanLe lendemain, lorsque Verlaine rejoint Zilcken dans son atelier, ce dernier lui parle des  écrivains néerlandais majeurs de l’époque : « Avec Kloos et Verwey, Delang, un partisan de ce dernier, Frederic van Eeden, très doux et très goûté (je me souviens de sa poignée de main a Amsterdam), sont les principaux poètes modernes de la Hollande. Son peut-être plus grand prosateur serait van Deyssel, dont l’éloge presque hyperbolique est dans toutes les bouches compétentes de là-bas. » À l’exception de Delang – pseudonyme de Gerrit Jan Hofker (1864-1945) –, collaborateur de la revue De nieuwe Gids puis de De Kroniek, qui n’a laissé semble-t-il qu’un recueil de textes, très appréciés et caractéristiques de la mouvance littéraire hollandaise des années 1880 (Gedachten en verbeeldingen, 1906), il s’agit en effet de quelques-unes des plus grandes figures de leur temps, tous alors encore très jeunes. Verlaine les a rencontrés lors de son séjour de même quil a fait, toujours par l’entremise de Zilcken, la connaissance de la nouvelle génération de peintres hollandais.

    Verlaine dans latelier du peintre Willem Witsen

    paul verlaine,philippe zilcken,hollande,littérature,poésie,gravure,voyage,joséphin péladanDu graveur haguenois qui a joué un rôle considérable dans les échanges entre son pays et la France, le poète écrit : « C’est un type que mon hôte, un type achevé d’étranger parlant aussi bien le français que vous ou moi sans nul accent ni jamais une faute, un type d’artiste connaissant mille choses en dehors, d’une conversation variée et instructive et incisive, et qu’on écouterait tout le temps. Fils d’un haut employé du gouvernement, il fut, dans son adolescence, secrétaire intime officieux de la grande reine Sophie, cette seule amie, l’Égérie en quelque sorte de l’infortuné Napoléon III qui, s’il l’eût écoutée, se fût et nous eût épargné la guerre de 1870. Physiquement parlant, Zilcken répond aussi peu que possible à l’idée qu’on se fait d’un Hollandais… d’après beaucoup, les peintres flamands, d’après aussi la littérature, par exemple d’après ce merveilleux Diable dans le beffroi, d’Edgar Poe, avec le masque de qui, du reste son masque présente une certaine analogie générale. Le pot-à-tabac classique fait place en lui à un grand jeune homme, maigre, élancé, toujours en mouvement. Il a une grande réputation de peintre et de graveur dans son pays et est loin d’être un inconnu dans nos expositions nationales et privées où le succès l’accueille annuellement. »

    La traduction française de plusieurs écrits néerlandais relatifs au séjour de Paul Verlaine et aux heures passées avec Péladan figure dans : G. Jean-Aubry, « Verlaine en Hollande », Mercure de France, 1er juin 1923, p. 318-353. Une belle étude qui se termine par ces mots : « Aujourd’hui encore la Hollande est un des pays où il est le plus aisé à un Français de mesurer l’étendue de son ignorance. »

     

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     Ph. Zilcken, aquarelle, 1910

     

     

    SOUVENIRS DE VOYAGE

     

    [Paul Verlaine est beaucoup plus célèbre par ses vers que par sa prose. Voici pourtant une page peu connue que nous offrons à la curiosité de nos lecteurs. C’est le récit, plein de bonhomie, d’une excursion en Hollande… Le poète avait été convié, il y a quelques années, à faire une conférence à Amsterdam. Et il eut l’occasion, se trouvant dans cette ville, d’ouïr un autre conférencier.]

     

     

    UNE CONFÉRENCE DU SÂR PÉLADAN

     

    Nos yeux tombent sur deux affiches (les mêmes) étonnantes représentant de grandeur demi-nature, le Sâr Péladan en robe monacale, les yeux baissés, sa crinière et sa barbe légendaires aspirant, eux aussi, ainsi que le nez – rien de celui du père Aubry, d’Atala, – à la terre.

    En exergue, l’annonce pour le lendemain d’une conférence sur la Magie et l’Amour (si je ne me trompe trop grossièrement). L’heure, huit heures du soir.

    Munis de ces renseignements, nous continuons notre route jusqu’à chez Zilcken qui ne nous en veut pas trop du train manqué et de sa course inutile.

    Le lendemain, quelle joie ! Rien à faire : on a beau dire, le repos est bon. Et quelques pures véritablement délices que m’aient procurées trois publics mieux accueillant l’un que l’autre, y penser et y repenser m’était alors et m’est encore plus doux, s’il est possible, que le contact, si j’ose ainsi parler. Plus de conférence à préparer, à débiter, rien qu’une à entendre, et quelle !

    Péladan par A. Séon, 1892 

    paul verlaine,philippe zilcken,hollande,littérature,poésie,gravure,voyage,joséphin péladanJ’ai toujours fait en Joséphin Péladan la différence entre l’homme de talent considérable, éloquent, profond souvent, et que tous ceux capables de comprendre et d’apprécier, doivent, sous suspicion de mauvaise foi insigne, admettre sinon admirer au moins en grande partie, et le systématique, le sans doute très sincère mais le certainement trop encombrant sectaire, qu’il se dénomme Sâr ou Mage, à qui Barbey d’Aurevilly disait déjà dans une préface à son Vice suprême, « n’usez donc de magie que de celle du talent ».

    Thé-déjeuner, café au salon, où Mlle Renée me montre ses beaux albums « zaponais » et un oiseau qu’une ficelle meut en tous sens. Je crois même me rappeler qu’il « chantait », au grand émoi du serin qui lui répondait vigoureusement. Passage à l’atelier où Zilcken m’initie encore à la littérature moderne néerlandaise.

    Mais l’on ne peut bavarder sans cesse. Je monte faire une petite sieste, chose, la sieste, qui m’est familière surtout depuis six ans que ma santé se trouve si détraquée, et que je n’ai pu pratiquer ici jusqu’à ce bienheureux jour d’un battage de flemme si bien gagné.

    Je sommeillais tant et si bien en bras de chemise, recouvert de mon pardessus et d’un édredon, que force fut à mes hôtes d’envoyer la bonne, qui parlait un peu anglais, laquelle dut frapper plusieurs fois à la porte en me criant dans un accent néerlandais indubitable et inimitable ici : « Get up, Sir. Dinner is ready. »

    « I will be down stairs directly », répondis-je, et, après une toilette rapidement menée, je descendis pour le dîner – et pour la conférence de Péladan comme dessert de haut goût.

    La salle où Péladan doit parler est celle du Kunstkring, le cercle d’art des « « jeunes » de La Haye. Assez grande, en long, plutôt faiblement éclairée.

    Isaac Israëls, Autoportrait

    paul verlaine,philippe zilcken,hollande,littérature,poésie,gravure,voyage,joséphin péladanNous arrivons quand le conférencier est en chaire. – Un mot de description ne nuira pas, je pense. Tout au bout de la salle s’élève une véritable tribune ; de la tablette de cette tribune tombe une chasuble rouge à croix jaune qui la cache entièrement. À droite et à gauche, dans des chandeliers d’église, brûlent quatre cierges, dont deux ont des proportions de cierges pascals et les deux autres celles de cierges d’autel. Péladan, que je connais un peu de Paris, apparaît de loin, en son habit noir à jabot et à manchettes, – bizarre mais d’une grande distinction sui generis. La voix est bonne, sui generis aussi, grave, un peu faible. Il parle de magie, d’anges, de fils d’anges. Bref, c’est le Péladan contestable, mais encore « talentueux ». Il descend de la tribune au bout de quelque temps pour se reposer, comme c’est la clémente coutume là-bas. Le public est indécis. Il faut bien dire qu’il est venu là un peu dans l’espoir de voir un excentrique, disons le mot, un grotesque. Une réaction dans le bon sens se prépare qui éclate en vifs applaudissements, quand, dans la seconde partie, après avoir finement… et malicieusement, de parti pris, parbleu ! parlé ou plutôt jasé des femmes, il s’éleva, se sublimifia dans une sorte d’invocation cette fois presque tout à fait très chrétienne, sans plus de magie que de droit pour un homme si infatué de cette véritable croyance sienne. Zilcken (j’ai dit qu’il m’avait accompagné) et moi nous descendons dans un local où Péladan, entouré et félicité, se délassait de la solennité de son discours de tout à l’heure en paradoxes amusants, et le charmant causeur qu’il est se donnait pleine carrière. Je profitai d’une seconde de silence pour m’avancer vers lui. Il me reconnut sur-le-champ et nous nous serrâmes cordialement la main. Après quelques coupes de champagne vidées, chacun s’en fut chez soi, après s’être toutefois donné un rendez-vous pour le lendemain au Restaurant royal, où un déjeuner en l’honneur du Sâr devait être donné.

    paul verlaine,philippe zilcken,hollande,littérature,poésie,gravure,voyage,joséphin péladanLe lendemain, à l’heure ordinaire, nous nous rendîmes, Zilcken, sa femme et moi, au Restaurant Royal, – où j’ai oublié de dire qu’on m’avait précédemment offert un banquet qui fut très cordial et très joyeux. La compagnie était déjà nombreuse. On n’attendait plus que le Sâr. Il vint bientôt accompagné de deux autres convives. Un bonnet d’astrakan, un pourpoint de soie, des bottes de chamois blanches, et un manteau composaient son costume. Et vive lui ! de se moquer du qu’en dira-t-on et d’arborer les vêtements qui lui plaisent, tandis que la majorité même des artistes s’habille comme tout le monde et que le même faux col étrangle le cou de l’aigle et celui de l’oie !

    Mais on se met à table ; Péladan et moi, entre deux dames. Vous dire les adorables méchancetés, parfois le latin qu’il m’envoyait plutôt pour gentiment taquiner ces dames, qu’à cause des énormités qu’il était censé contenir, les mots sans nombre, bref toute la joliesse de sa conversation, tâche au-dessus de moi, rêve !

    Après son départ pour une célèbre plage toute voisine, Scheveningen, ce ne fut qu’un concert de palinodie. On revenait sur lui, et il quitta, le lendemain, La Haye pour Paris, emportant avec de sérieuses promesses de la plupart des peintres de la ville et de la région pour son salon des Rose + Croix dont il est comme on sait le Grand Maître, l’estime, la sympathie, j’oserai ajouter – je souligne : j’oserai, car c’est un homme si contredit – un commencement d’admiration pour l’immense talent et le génie (au fond) que je lui trouve.

     

    PAUL VERLAINE

    Les Annales politiques et littéraires, 19 janvier 1896, p. 36

     

     

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    Ph. Zilcken, Portrait de Paul Verlaine, gravure 

     

     

     

     À propos de « Péladan et Verlaine », lire ci-dessous la contribution de Christophe Beaufils publiée dans les dossiers H Les Péladan, 1990, p. 184-185

     

     

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    L’artiste extrêmement doué Johan Thorn Prikker (1868-1932) (mosaïque ci-dessus) a laissé un témoignage sur le séjour septentrional de Verlaine et la rencontre avec Péladan. Il figure dans un recueil de lettres : Brieven van Johan Thorn Prikker, met een voorwoord van Henri Borel, 1897. G. Jean-Aubry en offre une traduction (réalisée avec le concours de ses correspondants hollandais) dans sa contribution au Mercure de France (1er juin 1923, p. 341-344). En voici l’essentiel :

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