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Originaire de Flandre occidentale, Patrick Lateur considère la poésie, mais aussi son travail de traduction (l’Iliade en pentamètres iambiques) « comme une quête d’envergure au cœur de la culture classique et plus largement de la culture occidentale en partant du sentiment que l’on y formule des questions qui trouvent un écho en nous ». À ses yeux, le monde prend souvent la forme d’« une seule et grande tapisserie de textes » ; si le tronc de notre culture a disparu, « les racines et les mots demeurent ». Ainsi se ressource-t-il aux deux histoires constitutives qu’offrent les traditions gréco-romaine et chrétienne tout en explorant les liens qu’elles ont tissés. Son aspiration à l’authenticité passe par la fidélité à des formes traditionnelles ; ses poèmes se présentent comme des miniatures qui revisitent vestiges et destins marquants, autant de petits miroirs dans lesquels nous sommes invités à nous contempler à l’aune de monuments de l’histoire de l’art et de la spiritualité.
Patrick Lateur, portrait du traducteur
(en néerlandais, vidéo : Joke Nijssen)
Ma sœur la mort
Pose-moi nu sur cette terre nue,
de poussière et de cendre asperge-moi,
marque-moi du Tau de l’Alliance ancienne.
Tout est parti un jour de cet endroit,
où la porte de la vie s’est ouverte,
où nous avons vécu en frères ; là
je veux passer en Lui. « Ma voix exhorte
le Seigneur, je L’invoque de ma voix. »
Rasant la cabane, des alouettes,
gênées par la brune, ne tardent pas
à s’élever pour louer la muette
voix du ménestrel qui Dieu glorifia.
Patrick Lateur
traduit du néerlandais par D. Cunin
Des poèmes de Patrick Lateur paraissent en traduction française dans le Cahier « Voix poétiques de Flandre » de la revue Nunc, n° 36, 2015. Poète, essayiste et traducteur, le Flamand, qui voue une véritable passion à l’Italie, a consacré un recueil à saint François : De speelman van Assisi (Le Ménestrel d’Assise, Gand, Poëziecentrum, 1994), repris dans Rome & Assisi (Louvain, P., 1998). En 2015, les éditions P., établies à Louvain, ont édité une anthologie de ses œuvres poétiques sous le titre In tegenstroom (À contre-courant), présentée par Jooris van Hulle.
Autour de la personne de Lateur, la chaîne flamande VRT a diffusé cette année un documentaire « Les Flamands & Rome » en quatre volets. Quant à son mystère de la Passion, Lente in Galilea (Printemps en Galilée, Anvers, Halewijn, 2014), il connaît 25 représentations cette année à Tegelen (Pays-Bas) devant des dizaines de milliers de spectateurs.
7h09 : bon moment pour débuter la journée, prendre un train, un vol….
Le troisième numéro de 7h09, publication hybride qui tient à la fois de la revue et du livre, a posé ses valises à Amsterdam. Richement illustré et d’un graphisme soigné, ce « carnet d’ailleurs » s’intéresse à de multiples aspects de la capitale des Pays-Bas : son histoire, ses plaisirs culinaires (eh oui !), ses enfants, ses vélos, ses designers, ses décors intérieurs, son passé juif, son Lieverdje, son quartier Nord, sa musique sans oublier l’Eye Film Institue et le Vondelpark… Pour compléter le tout, quelques pages sont consacrées aux trésors d’Utrecht, à l’œuvre de l’illustratrice Lieke van der Vorst (voir reproduction ci-dessous) et aux belles lettres néerlandaises.
Un article de Delphine Minotti, « Vous assez dit literatuur ? », propose en effet un survol de cet univers, partant des origines pour arriver à des ouvrages très récents en passant par des auteurs qui accordent une place particulière au passé colonial, à la deuxième guerre mondiale, à leurs origines africaines ou encore au genre policier. La rédaction m’ayant demandé quelques suggestions de lecture pour les amateurs de romans, j’ai élaboré deux listes. La première, chronologique, comprend 10 noms d’auteurs décédés, dont les œuvres (disponibles en français) font partie du « canon » des lettres des Pays-Bas. La seconde, alphabétique, s’arrête sur des créations plus récentes : 14 écrivains et 14 traducteurs différents.
Multatuli, Max Havelaar, trad. Philippe Noble, Actes Sud, Babel n° 31, 2003.
Louis Couperus, La Force des ténèbres, trad. Selinde Margueron, préface de Philippe Noble, Éditions du Sorbier, 1986.
Nescio, Le pique-assiette et autres récits, trad. Danielle Losman, postface H. M. van den Brink, Gallimard, 2005.
J. Slauerhoff, Le Royaume interdit, trad. et postface Daniel Cunin, Circé, 2009.
Eddy du Perron, Le Pays d’origine, trad. et avant-propos Philippe Noble, préface d’André Malraux, Gallimard, 1980.
Hella S. Haasse, En la forêt de longue attente. Le roman de Charles d’Orléans, trad. Anne-Marie de Both-Diez, préface d’Olivier Rolin, Points Seuil, 2007.
Fin 2014 paraissait le huitième numéro de Deshima,
revue d’histoire globale des pays du Nord
Numéro coordonné par Thomas Beaufils, Willem Frijhoff & Niek Pas
« Il ne fait aucun doute que la France et les Pays-Bas sont des pays amis. Leurs sorts sont étroitement liés et intriqués, qu’on le veuille ou non, les deux pays faisant partie de la zone euro et étant des partenaires économiques et culturels majeurs l’un pour l’autre. Pays amis certes, pourtant force est de constater dans le même temps une ambivalence de l’image que ces deux nations ont l’une de l’autre. Plusieurs commentateurs et historiens ont observé que les relations franco-néerlandaises sont aussi marquées par le soupçon et pas mal d’irritations et de malentendus. Ce numéro de Deshima fait le point sur ces relations franco-néerlandaises du XVIIeau XXIesiècle… ». Des contributions riches et diverses, un dossier où la reine Juliana côtoie la… pétanque.
Claire Polders
La rubrique « Savants mélanges » aborde la question du cinéma néerlandais, trop peu connu, mais aussi divers sujets qui relèvent du monde scandinave. Cet épais volume réserve une assez belle place à la littérature. Ainsi, Madeleine van Strien-Chardonneau nous entretient des écrivains-voyageurs, Suzanne van Dijk revient brièvement sur Belle van Zuylen (Isabelle de Charrière), la romancière néerlandaise Claire Polders propose, dans des traductions de Marie-Christine Kok Escalle, un essai sur la beauté et une nouvelle intitulée « Amour ». Côté poésie, Inge Eidsvåg nous fait revisiter la vie et l’œuvre de Tomas Tranströmer tandis que Robert Anker* donne à lire quelques-uns de ses poèmes, dont celui-ci :
La collecte
La fanfare parade aspergeant sa musique
pour la collecte joue une marche
fichée sur des pinces devant les nez mais
les bugles se séparent de même les trombones
dans un enclos des cors errent près d’un potager
tout droit les tubas les basses et le tambour.
La marche vole en éclats dispersée par le vent
dans le village les instruments posés tout ouïe
dans l’herbe le sac à collecte resté vide tinte.
(traduit du néerlandais par Kiki Coumans & Daniel Cunin)
* Poète et prosateur néerlandais d’origine rurale, Robert Anker vit à Amsterdam. Son œuvre est publiée aux éditions Querido. Ce poème est extrait du recueil De broekbewapperde mens (L’Homme ventipantalonné,2002). D’autres paraissent en traduction française cette année dans la revue Inuits dans la jungle, n° 6, Le Castor Astral.
entretien (en néerlandais) avec Robert Anker à propos de son roman
Nieuw-Lelievelt (2007) qui traite du monde de l'architecture dans l'après-guerre
Sommaire – Deshima n° 8
Avant-propos, p. 7-10.
Claire Polders, « Beauté », p. 11-26.
Lucien Bély, « Une amitié mortellement blessée (1588-1714) ? », p. 27-50.
Andreas Nijenhuis, « L’Hercule français et le lion batave. La perception réciproque à l’aune des relations franco-néerlandaises aux Temps modernes », p. 51-68.
Madeleine van Strien-Chardonneau, « Impressions de voyage : Français en Hollande, Néerlandais en France, images en miroir (XVIIe-XIXe siècles) », p. 69-92.
Suzan van Dijk, « Belle van Zuylen/ Isabelle de Charrière », p. 93-94.
Charles-Édouard Levillain, « République et monarchie. Une comparaison entre la France et les Pays-Bas (1560-2015) », p. 95-108.
Reinildis van Ditzhuyzen, « De Gaulle et la Reine Juliana », p. 109-110.
Marie-Christine Kok Escalle, « La langue, un enjeu (inter)national », p. 111-127.
Peter Jan Margry, « Le culte de la Citroën ‘‘Déesse’’ », p. 129-132.
Luuk Slooter, « Égalité française et tolérance néerlandaise ou des frontières entre eux et nous », p. 133-145.
Jac Verheul, « La pétanque et les Pays-Bas », p. 147-148.
Christ Klep, « The military relationship between France and the Netherlands », p. 149-165.
Pieter Emmer, « France and the Netherlands in the Age of Empire. A Comparison », p. 167-181.
Matthijs Lok, « ‘‘La guerre a fait les États et l’État a fait la guerre.’’ Étude comparée de la formation étatique française et néerlandaise (1600-1800-1945) », p. 183-201.
Henk Hillenaar, « Les relations religieuses entre la France et les Pays-Bas à l’époque moderne », p. 203-227.
Rudi Wester, « Transfert culturel », p. 229-243.
Antoon De Baets, « Censorship of History in France and the Netherlands (1945-2014): A Survey », p. 245-270.
Savants mélanges
Viola Eshuis, « Le cinéma néerlandais, le grand inconnu du septième art », p. 273-298.
Inge Eidsvåg, « Sur la vie et la poésie de Tomas Tranströmer. ‘‘Une voûte s’ouvrait sur une voûte jusqu’à l’infini’’ », p. 299-324.
Willem Frijhoff, « La Nouvelle Amsterdam et la Nouvelle Néerlande, ou la difficulté de choisir entre comptoir et colonie », p. 325-349.
Anne-Estelle Leguy, « L’autoportrait pictural des artistes femmes scandinaves et finlandaises au tournant du XXe siècle », p. 351-375.
Jacques Privat, « Olof Aschberg (1877-1960). Le ‘‘banquier rouge’’. Un pionnier du mouvement social en Suède au début du XXe siècle », p. 377-397.
Jonathan Lévy, « L’illusion du dialogue franco-danois aux Expositions universelles parisiennes jusqu’en 1878 », p. 399-416.
Claude Jensen, « L’importance des flux matériels et immatériels dans l’eurorégion de l’Øresund », p. 417-445.
Arts et lettres des pays du Nord
Robert Anker, « Poèmes », p. 449-455.
Claire Polders, « Amour », p. 457-464.
Abstracts, p. 465-470.
Auteurs, p. 471-470.
Claire Polders sur les fruits défendus des écrivains
Né en 1950 à Tegelen (Limbourg), sur les bords de la Meuse, Huub Beurskens vit à Amsterdam où il édifie une œuvre de peintre, de prosateur et de poète. Depuis 1975, il a publié de nombreux livres. De cet ensemble, on retiendra un roman qui, pour être court, n’en est pas moins magistral : De verloving (Les Fiançailles). Traduit en allemand par Waltraud Hüsmert (Das Verlöbnis, Berlin, Twenne, 1992), ce chef-d’œuvre, qui se déroule entre Lorraine et Provence, nous transporte dans l’esprit d’un modéliste, furieux d’être arraché à ses trains miniatures et à ses paysages ferroviaires pour suivre sa sœur et sa mère du côté de Vaison-la-Romaine. Leur « pèlerinage » annuel dans la région de Jean-Henri Fabre, le trente-huitième ! Tandis que Jacques se réfugie dans ses modèles réduits, sa sœur Ilse – qui prend la parole dans le second volet de l’histoire – est entichée d’entomologie. La violence sous-jacente, la colère et l’angoisse suscitée par un passé familial refoulé qui s’immisce dans la conscience des personnages à travers leurs violons d’Ingres, sont dévoilés d’une main de maître par l’écrivain. Quelles vont être les incidences du décès de la mère après ces dernières vacances sous la canicule du Vaucluse ? Vers quelles fiançailles les petites locomotives, qui envahissent peu à peu l’appartement qu’occupent les protagonistes, vont-elles conduire le quadragénaire Jacques ? Sur quelles ailes va désormais voler Ilse, elle qui a pour habitude de papillonner d’homme en homme ?
Le poème « Ah ! Europe ! », proposé en lecture ci-dessous, est la transposition française d’une page du dernier recueil de Huub Beurskens, Hôtel Eden (Nieuw Amsterdam, 2013). On pourra en lire quelques autres, tirés pour la plupart de la même publication, dans la revue Inuits dans la jungle, n° 6, juin 2015 : « Heure dionysiaque », « La reproduction interdite », « Faisons plus simple », « Pensé sous un olivier », « Harvey Kennedy » et « Je connais un homme ». Un des poèmes d’Hôtel Eden s’intitule : « À Vence, sur une tombe ».
Inuits dans la jungle, Le Castor Astral, juin 2015, n° 6 (dossier « 10 poètes néerlandais d'aujourd'hui » présenté par Benno Barnard : poèmes de Guillaume van der Graft – Willem van Toorn – Hans Tentije – Hester Knibbe – Robert Anker – Eva Gerlach – Huub Beurskens – Willem Jan Otten – Benno Barnard, traduits du néerlandais par Daniel Cunin, pour certains en collaboration avec Kiki Coumans, précédés du poème « Awater » de Martinus Nijhoff traduit par Paul Claes).
Plusieurs liens sur cette page renvoient à d'autres traductions de poèmes de Huub Beurskens publiées ces dernières années dans diverses revues.
La figure d’Andries de Rosa a fait l’objet d’un portrait sur flandres-hollande. Cet auteur, musicien, traducteur et activiste néerlandais a, au tournant du XXe siècle, été un proche du jeune écrivain Saint-Georges de Bouhélier. À ce titre, dans le n° 1 (mars 1897) de la Revue naturiste, il a signé un article intitulé « Le Mouvement Flamand », pages que nous reproduisons ci-dessous.
A. de Rosa
Le critique mentionnant la revue Van Nu en Straks (D’Aujourd’hui et de Demain) ainsi que le nom de quelques écrivains (Cyriel Buysse et August Vermeylen), il n’est pas inutile de fournir des précisions sur le contexte littéraire flamand de l’époque, caractéristique d’une société où certains tentaient de redresser la barre après des décennies, voire des siècles, d’appauvrissement culturel : « Et brusquement, en 1893, paraît le premier numéro de la revue intitulée D’Aujourd’hui et de Demain ; les rédacteurs en sont August Vermeylen, Emmanuel de Bom, Cyriel Buysse et Prosper Van Langendonck. La première série de cette revue, qui compte dix numéros, bien imprimés, édités avec soin, sera suivie trois ans plus tard d’une second série (1896-1901). Le groupe de ces pionniers, hétéroclite au possible, n’a pas de principes artistiques bien déterminés. Le seul but qui lui donne quelque cohésion est d’élever les lettres flamandes au rang des autres littératures, et non seulement la littérature mais la vie culturelle tout entière. La revue réserve, en effet, une large place aux arts. Chaque numéro est orné d’un dessin ou de la reproduction d’une œuvre d’artiste d’avant-garde. C’est ainsi que la première série parue en 1893 comporte un numéro entier consacré à Van Gogh. Le renouvellement provoqué par le groupe Van Nu en Straks sera pour la Flandre aussi important que le mouvement de 80 en Hollande et, du jour au lendemain, la littérature flamande sera comme réintégrée dans le grand courant européen. […] Jamais, ils ne sublimèrent leur individualisme, toujours ils eurent à l’esprit le rôle social de l’art et de l’artiste. Leur amour profond de la Flandre et de la cause flamande les empêche de perdre le contact avec le peuple. […] Le grand animateur de la ‘‘renaissance’’ de 1890, celui qui tira vraiment la littérature flamande de la banalité, de la mièvrerie, du romantisme pleurnichard et du naturalisme terre-à-terre fut, sans contredit, August Vermeylen. »*
Quant à l’article de Cyriel Buysse qui a conduit Andries de Rosa à rédiger le sien, il s’agit de « Flamingantisme en flaminganten », paru dans De Amsterdammer le 17 janvier 1897. Dans ce texte, le romancier s’exprime comme Camille Lemonnier et d’autres, dans la mesure où il estime que le flamand est une pauvre petite langue. En réalité, Buysse formule en l’espèce un regret : celui de ne pas maîtriser le français aussi bien que son ami Maeterlinck. Dans une lettre ouverte qu’il adresse peu après (le 5 février) à L’Étoile Belge, il poursuit dans le même registre pour se défendre face aux réactions que son article a suscitées : « On conçoit que le dialecte flamand, en sa fruste saveur, puisse tenter la plume d’un curieux littéraire ou l’étude d’un philologue fureteur, mais quelle arme triste pour la conquête des idées et la conquête du pain, en un pays comme la Belgique ! »** S’il nuancera par la suite son point de vue et fera honneur à sa langue maternelle en composant des romans remarquables, C. Buysse ne se sera pas moins attiré la foudre des défenseurs d’un renouveau de la culture flamande, en particulier des hommes avec lesquels il a cofondé le périodique Van Nu en Straks. C’est cette situation singulière qui inspire à A. de Rosa les lignes qu’il donne à la Revue naturiste.
* François Closset, Aspects & Figures de la Littérature Flamande, Bruxelles, Office de Publicité, 1943, pp. 53-54 et 55.
** Joris van Parys, « ‘’Toute la Flandre est en lui’’. Cyriel Buysse en de Franstalige Vlaamse literatuur », Mededelingen van het Cyriel Buysse Genootschap, 14, 1998, p. 7-31. Voir aussi la biografie que le même auteur a consacrée au romancier : Het leven, niets dan het leven. Cyriel Buysse en zijn tijd.
Pour bien montrer la lutte désespérée que les Flamands pourvus du sentiment national ont à soutenir contre leurs compatriotes assez artificiels pour dédaigner la sève même de leur sol national, il faudrait traduire entièrement un article de M. Cyriel Buysse, paru dans un journal hebdomadaire d’Amsterdam. Je crois pourtant suffisant d’en extraire quelques phrases qui pourront servir de points de départ à plusieurs remarques personnelles.
Voici ce que cet auteur de plusieurs romans écrits en flamand nous révèle en outre dans cette étude :
C. Buysse
« Il n’y a pas en ce moment dans toute la Belgique Flamande – hormis le très remarquable recueil Van Nu en Straks, rédigé en néerlandais, – un seul périodique ou journal qui puisse convenir à un lecteur orné d’éducation intellectuelle. Toute originalité, tout amour propre a disparu et ainsi, est-on arrivé peu à peu à la situation navrante qui caractérise aujourd’hui le mouvement flamand. »
Et plus loin :
« Il eût été préférable et plus sage de reconnaître franchement la grande et si salutaire influence de la littérature et des idées françaises, de nous approprier ce qu’il s’y trouve de bon, sans abdiquer pour cela nos qualités originales, etc., etc. »
Dans ces paroles, M. Cyriel Buysse donne inconsciemment une critique de son œuvre et de toute la situation littéraire en Belgique. Car s’il est vrai que l’on ne trouve pas en Belgique de revue ni de journal original, c’est précisément parce que l’esprit flamand s’est approprié « ce qu’il y a de bon dans la langue et les idées françaises ». Ils ont en effet voulu garder leurs qualités originales, mais, hélas ! l’œuvre soi-disant flamande ainsi conçue est devenue ce qu’elle est aujourd’hui, une combinaison pour ainsi dire hermaphrodite ; c’est qu’écrite en français, elle ne peut conserver son autonomie, dans une atmosphère étrangère. Poussés par des aspirations matérielles, les écrivains flamands dont la célébrité obtenue par leurs confrères français, avaient stimulé l’ambition, s’en allaient écouter avec une oreille barbare ce qu’enseignait la voix française. Errant dans les campagnes de leur pays dont les odeurs parfumaient leur pensée, ils regardaient les sites du pays voisin et se plaisaient à frelater, en quelque sorte, leur verve nationale.
Ainsi le peuple ne trouvant plus sa suffisance intellectuelle et sentimentale dans les livres de ses auteurs, languissait et s’en allait parmi les autres littératures choisir des œuvres originales, qu’il devait préférer aux pastiches qu’on lui fournissait. Il se désintéressa de cette langue vouée désormais à des usages insignifiants, et le dialecte flamand, n’étant plus nourri par les fruits de la pensée, ne pouvait suivre les évolutions et agonisait abandonné.
Aujourd’hui avec le courage que donne l’espoir, le peuple flamand se lève robuste et volontaire. Il réclame ses droits à une langue qui s’adapte à ses instincts, qui répond à son organisme. Il rappelle l’odyssée de cet idiome qui se trouve condamné depuis les événements de 1830. La langue maternelle bannie de ses écoles et de la vie publique, il devait appeler un avocat parlant français pour défendre ses droits et on le condamnait sans qu’il comprît le jugement.
Après une lutte acharnée, quelques esprits courageux comprennent qu’une langue nationale leur est indispensable et ils forcent leurs représentants gouvernementaux à la faire apprendre publiquement.
Jan Van Beers
Bien qu’ils soient réduits à une littérature traditionnelle plutôt restreinte, les Flamands refusent de s’intéresser aux poètes belges contemporains qui s’obstinent à traduire et à détériorer leur pensée, dans une langue qui leur est étrangère, dont ils ne distinguent pas les nuances. Dans leur littérature ancienne, ils trouvent bien le monotone Van Beers, mais par contre, ils possèdent le sublime Ruysbroeck. Si l’on estime en France des artistes comme le génial Verhaeren, Edmond Picard, Georges Rodenbach, Eekhoud, Maeterlinck, ils eussent été des gloires nationales du peuple flamand, si la langue dont ils se servent était en harmonie avec leur œuvre, l’âme de leur race. En ceci je crois être d’accord avec l’éminent sénateur belge, M. Edmond Picard, qui déclarait dernièrement que l’œuvre de Maeterlinck et d’Eekhoud doit son originalité à l’esprit des Flandres.
Bien des jeunes auteurs belges qui passent inaperçus en France, parce qu’ils ne savent pas, malgré leurs efforts, faire concorder leurs œuvres avec la pensée française, seraient estimés chez eux s’ils voulaient écouter les sons authentiques de ce pays natal, où naquirent aussi leurs pères.
Ce ne sont pas les frontières qui délimitent les races, c’est l’esprit des ancêtres dont l’organisme se réglait selon les nécessités du milieu. Le cosmopolitisme sera possible quand les races sauront se reconnaître mutuellement ; alors le danger babylonien n’existera plus.
*
* *
Le grand obstacle du mouvement flamand, et qui retarde sa réussite, c’est la discorde qui partage les différents groupes. De là des défaillances. Parmi ceux qui se distinguent dans cette résurrection d’une race se trouve un littérateur purement flamand, M. Auguste Vermeylen, qui dans sa revue Van Nu en Straks, révèle vigoureusement son énergie et son tempérament. C’est lui qui criait tragiquement :
A. Vermeylen
« … Celui qui recevait une instruction élémentaire ou supérieure désapprenait le flamand, sans toutefois arriver jusqu’à une connaissance profonde de la langue française, les plus grands esprits de notre race – pensez aux meilleurs de nos écrivains soi-disant belges – demeurent sans contact avec la vie multiforme qui vibre autour d’eux. Le viol le plus honteux de tout ce qui nous est propre, de tout ce qui fait notre unité spirituelle est appelé légitime ; et l’on prétend encore, que chez nous le seul moyen de civilisation est d’étendre, de plus en plus, l’usage du français. Croit-on donc que le peuple pourrait nier ou oublier sa langue ? Elle est dans son corps et n’en sort pas facilement… »
Malheureusement de cris pareils sont rares. Les poètes flamands se résoudront-ils à faire chanter l’âme de leur race dans une langue adéquate ? Laisseront-ils leur langue nationale devenir un patois informe, tandis qu’en usant du français, ils ne peuvent intégralement exprimer leur sensation, sont mal à l’aise et sont réduits à ne convenir à aucun des deux peuples qu’ils voudraient subjuguer ?
Andriès de Rosa
Dans le premier fascicule de la nouvelle série de la revue Van nu en Straks, M. A. Vermeylen continue vaillamment la lutte pour les droits de sa langue. Dans ce même numéro, il y a de très jolis vers de M. Prosper Van Langendonck.