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flandres-hollande - Page 34

  • Un Hollandais chez Francis Jammes

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    VISAGES DE FRANCIS JAMMES

    À PROPOS DES CAHIERS FRANCIS JAMMES  n° 2-3

     

     

    À la fin de l’été 1920, un auteur donnant sa prose à un grand quotidien néerlandais voyage dans les Pyrénées. Il en profite pour rendre visite à Francis Jammes. Traduire son témoignage – traduction qui vient de paraître dans les Cahiers Francis Jammes n° 2-3 (octobre 2014, p. 112-116), accompagnée de documents relatifs au poète et à la Flandre –, nous a incité à effectuer un petit tour d’horizon de la réception de l’œuvre de ce dernier dans les terres néerlandophones. Voici ce défrichage tel qu’on peut le lire aux pages 105-111 du même double numéro consacré au Béarnais (voir sommaire ci-dessous ou ici).

     

     

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    Un Hollandais chez Francis Jammes

     

     

    Été 1920. Effectuant un voyage dans les Pyrénées, le correspondant parisien de Het Vaderland – quotidien haguenois qui a existé de 1869 à 1982 et a joui d’une belle réputation dans les milieux cultivés grâce à la collaboration de grandes plumes – fait, plusieurs semaines de suite, le récit de ses pérégrinations. Le 3 septembre (édition du soir, p. 5), dans la deuxième de ses six livraisons (« Pyreneesche reis. II. In Orthez bij Francis Jammes »), il revient sur la visite qu’il vient de rendre à Francis Jammes – près d’un an donc avant le témoignage laissé par Marcel Provence dans la Revue universelle du 15 août 1921.

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    Les divers documents – archives d’associations de journalistes et autres – auxquels nous avons pu avoir accès ne nous ont pas permis de mettre un nom sur l’auteur de cet article, aucune contribution du correspondant parisien n’étant signée à l’époque en question. Il est tentant de songer à Jan Walch (1879-1946), homme de lettres féru de théâtre, sensible à la littérature d’inspiration religieuse, amené à se rendre à Paris dans son rôle de critique dramatique et littéraire de Het Vaderland de 1909 à 1916 ; ce francophile, qui occupait en 1920 des fonctions universitaires à Leyde, disposait sans doute de suffisamment de temps pour sillonner la France, mais on imagine mal la rédaction cachant son identité. Johannes van der Elst (1888-1948) – attaché à la dimension spirituelle des œuvres littéraires ainsi qu’en témoigne son volume Écrivains protestants français d’aujourd’hui (1922) –, Johannes Tielrooy (1886-1953), romaniste lui aussi, mais plus enclin à s’enthousiasmer pour des écrivains comme Voltaire, Barrès, Valéry ou Renan que de l’auteur des Géorgiques chrétiennes, n’ont pas, à notre connaissance, collaboré de façon suivie à un quotidien néerlandais. Reste alors Charles Snabilié (1856-1927) qui a, pour sa part, vécu plus d’un quart de siècle à Paris en tenant des rubriques dans Het Nieuws van den Dag ainsi que dans Het Vaderland. Toutefois, la facture et la teneur de ce « Voyage dans les Pyrénées. II. À Orthez chez Francis Jammes » ne corroborent guère pareille attribution. Si Snabilié s’est adonné aux belles-lettres – il a laissé un roman à clef sur le Paris de la fin de siècle dont certains personnages ne sont pas sans rappeler Catulle Mendès, Rachilde, Kees van Dongen, Saint-Georges de Bouhélier, etc. –, ses comptes rendus de voyage, ses goûts et son âge ne concordent pas avec le présent texte.

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    Quoi qu’il en soit, un peu plus tôt, le 18 février de cette année 1920, alors qu’il séjourne sur la Côte d’Azur, le même correspondant écrit, depuis Nice où il vient d’arriver après avoir voyagé de nuit en troisième classe : « Je ne trouve jamais le temps de lire si ce n’est dans le train. Il faut dire que j’étais en compagnie du nouveau volume de Francis Jammes : Le Poète rustique. Je n’ai jamais été plus heureux, même dans mon malheur, que lorsque j’ai découvert les premiers vers et contes de ce poète. J’ai retrouvé dans le présent livre bien des thèmes des œuvres anciennes ainsi que, çà et là, des choses qui m’ont de nouveau ému [1]. » C’est probablement cet homme très au fait des lettres françaises de l’époque, qui déplore, dans une chronique parisienne consacrée à l’actualité théâtrale, ne pas trouver chez Henri Ghéon « l’étincelle sacrée du génie » présente chez un Jammes ou un Claudel [2]. Les 23 juillet et 31 décembre 1921, une fois les éloges renouvelés, le journaliste émet cependant des réserves sur les derniers écrits du Béarnais, en particulier à propos du Tombeau de Jean de La Fontaine ; il regrette le « jeune Jammes » – tout de même en partie présent dans les Poèmes mesurés –, celui dont « le sentiment de la nature n’était pas encore rogné par les pratiques d’une brave dévotion ». L’enchantement est de retour dans Het Vaderland du jeudi 27 avril 1922 (« Literaire Notities ») à propos de la parution, dans La Revue universelle, de L’Amour, les Muses et la Chasse : « Avec une rare délicatesse et une rare mesure, le poète évoque ses années de lycée à Bordeaux, son amitié avec Lacoste, les plaisirs que lui procure la botanique, – et plus encore, parallèlement à la création des premiers poèmes, la découverte de ses premières et tendres muses que l’on retrouvera, immortalisées, dans les magnifiques recueils De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir et Élégies. » Le critique de terminer en tronquant une phrase du deuxième volume des Mémoires : « Avec la noblesse et la simplicité que Lacoste met à faire ses toiles, il entend lui-même composer ses vers : ‘‘Ce qui est primordial, c’est le sacrifice qui rend plus haute la pensée, plus nette l’image.’’ »

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésieS’il est question, dans l’article paru le 3 septembre 1920, d’un cercle d’admirateurs de Jammes toujours plus large aux Pays-Bas, il faudra cependant attendre la fin de la deuxième guerre mondiale pour que quelques œuvres significatives du Français voient le jour en néerlandais. Au total, quatre traductions seulement ont paru dans cette langue :

    Korte levensschets van Guido de Fontgalland (La Vie de Guy de Fontgalland), adapté et augmenté d’une neuvaine par W. de Voort, La Haye, Cedo Nulli, 1931, 28 p.

    Kerk in bladergroen (L’Église habillée de feuilles), trad. et introduction Anton van Duinkerken, Utrecht, Spectrum, 1945, 56 p.

    Het crucifix van den dichter (Le Crucifix du poète), trad. Jos Nyst, illus. A. P. Stokhof de Jong, Heiloo, Kinheim, 1947, 85 p.

    De roman van de haas (Le Roman du lièvre), trad. Jean Duprés, Amsterdam, Van Oorschot, 1949, 51 p.

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésieUne traduction du Rosaire au soleil (Rozenkrans in het zonnelicht) a été réalisée sans jamais trouver d’éditeur. On relève par ailleurs diverses publications qui contiennent un ou deux poèmes, voire de courts passages de l’œuvre en prose en version néerlandaise. Ainsi, sous le titre « Le sacrifice de Francis Jammes », la romancière Marie Koenen (1879-1959) propose sur plus de deux colonnes des extraits d’une lettre du père qui a confié son fils au supérieur de l’abbaye Saint-Wandrille (« Het offer van Francis Jammes », De Tijd, 13 janvier 1933). Dans sa préface à la traduction de L’Église habillée de feuilles, Anton van Duinkerken (1903-1968), figure en vue de l’intelligentsia catholique de la Hollande du XXe siècle, reprend pour sa part une page que Jammes a consacrée à sa conversion dans la Revue de la Jeunesse (25 octobre 1913). Ce poète et essayiste, qui a renoncé à la prêtrise pour privilégier sa vocation littéraire, raconte dans ses Brabantse herinneringen (Souvenirs brabançons, 1964) que c’est un de ses professeurs du séminaire qui lui a fait connaître, dès 1916, les œuvres de Péguy, Claudel et Jammes. Ces poètes annonçaient, selon Van Duinkerken – lequel a par ailleurs, dans son rôle de critique littéraire, consacré trois articles à Jammes dont un « In memoriam » –, le temps où « la foi chrétienne, si longtemps évincée des sommets de la culture, allait de nouveau remplir sa mission vivifiante ». À ce sujet, il ne faut pas oublier qu’en Hollande, les catholiques, longtemps considérés comme des citoyens de second plan, ont dû attendre le milieu du XIXe siècle pour recouvrer la possibilité d’accéder à de hautes fonctions dans la société ; de fait, ce n’est qu’au cours de l’entre-deux-guerres qu’on a assisté à un renouveau de cette spritualité dans les arts, sous l’influence d’un Jan Toorop, d’un Frederik van Eeden ou d’un Pieter van der Meer de Walcheren, filleul de Léon Bloy. Les écrits de ce dernier ont d’ailleurs recueilli aux Pays-Bas un plus large écho que ceux de Francis Jammes. 

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésieToutefois, l’auteur du Deuil des primevères y comptait effectivement des admirateurs de premier rang. J. C. Bloem (1887-1966), poète majeur, a composé vers mai 1910 un poème qui s’intitule « Francis Jammes ». Le patronyme réapparaît dans son « Ode » datée du 3 décembre 1914. À ses yeux, le Français est l’un des rares contemporains, avec Yeats et le Hollandais Jacob Israël de Haan (1881-1924), à avoir accompli la tâche par excellence du poète : écrire un poème débarrassé de toute rhétorique – en particulier de la rhétorique « moderne », la pire qui soit –, et qui, dans sa « nudité », s’approche de très près de la prose tout en conservant quelque chose d’indéfinissable qui fait qu’il est et reste un poème. Un essai dédié à ce même J. C. Bloem par Simon Vestdijk (1898-1971), impressionnant essayiste et romancier « qui écrivait plus vite que Dieu ne peut lire », athée déclaré, célèbre de belle façon le Béarnais en estimant que celui-ci à touché à la perfection dans ses quatrains [3]. Moins réputé que J. C. Bloem, mais néanmoins talentueux, A. Marja (1917-1964) a lui aussi composé un poème en l’honneur de l’Orthézien, dans une veine toute jammiste : « De dichter bidt » (Le Poète prie). L’œuvre de Francis Jammes a par ailleurs exercé un réel ascendant sur Pierre Kemp (1886-1967), écrivain de Maastricht, qui le plaçait sur le pinacle, en compagnie de Verlaine et de Mallarmé. Son frère, Mathias Kemp (1890-1964), a laissé un roman – De bonte Storm (1929) – dans lequel il est question d’une femme qui adore « la poésie et le théâtre français. Sully Prudhomme, Rostand et Jammes étaient ses auteurs préférés ». Autre auteur recourant à un personnage qui vénère Jammes : Louis de Bourbon (1908-1975), arrière-petit-fils du célèbre Naundorff. Dans sa nouvelle Eric van Veen’s angstige leven (1936), le narrateur lit à son ami Eric le poème Un jeune homme qui a beaucoup souffert… Quant à J. W. F. Werumeus Buning (1891-1958), il a rendu hommage au rustique Pyrénéen en composant une ballade sur un âne (« Kleine ballade van de schreeuwende ezel »). On pourrait citer d’autres noms, par exemple Herman van den Bergh (1897-1967), P. N. van Eyck (1887-1954) ou bien le catholique Henri Bruning (1900-1983), lequel a retenu un vers de « La Grande nuit [4] » (« Jérusalem pour Toi fut pleine de sanglots ») en exergue à son poème « Jean-Baptiste-Marie Vianney ». Toujours en ce qui concerne les Pays-Bas, et sans faire état des nombreux articles nécrologiques, mentionnons encore quelques références : du spécialiste de Vondel, C. R. de Klerk, un essai en cinq parties sur les Géorgiques chrétiennes dans la revue Van onzen tijd (1916-1917) ; sous la plume de l’essayiste Bernard Verhoeven, un « Francis Jammes » consacré en particulier au Poète rustique [5] ; du romaniste Martin Permys, « Francis Jammes’ gedenk- schriften [6] », une critique sévère de De l’Âge divin à l’Âge ingrat ; de l’ancien anarchiste Alexandre Cohen un témoignage sur La Brebis égarée au Théâtre de l’Œuvre (« Toneel te Parijs », De Telegraaf, 24 avril 1913, édition du soir, p. 5) ; enfin, dans l’Algemeen Handelsblad du 11 janvier 1923, un compte rendu également assez détaillé de la conférence tenue la veille à Amsterdam, à l’invitation de l’Alliance française, par Joseph Delpech sur « Francis Jammes et le Béarn ».

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    l'article d'Alexandre Cohen sur F. Jammes

     

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésieDu côté des Flamands d’expression néerlandaise, certains ont également placé une de leurs œuvres sous l’égide de l’auteur de Pomme d’Anis. On songe en parti- culier au fascinant Maurice Gilliams (1900-1982) : le « premier cahier » de son roman Elias of het gevecht met de nachtegalen (1936, traduit par Saint-Rémy en 1968 sous le titre Élias, ou le Combat contre les rossignols) porte en épigraphe : « La poésie que j’ai rêvée gâta toute ma vie. Ah ! Qui donc m’aimera ? », extraite du Triomphe de la vie, qui résume à la perfection le dilemme habitant le personnage central : le désir de se rapprocher d’un autre être, contrarié par l’incapacité à concilier imaginaire et réalité. Un autre natif d’Anvers, Jan van Nijlen (1884-1965), a lié son nom à celui de Francis Jammes. Après lui avoir consacré un essai en 1912 puis une monographie (Francis Jammes, Leyde, A. W. Sijthoff, 1918), il l’a mentionné régulièrement dans les critiques qu’il a pu écrire.

    Lettre de Jammes à Van Nijlen, 28/08/1919

    (coll° AMVC-Letterenhuis)

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésieSi Van Nijlen est considéré comme l’un des poètes majeurs du XXe siècle flamand, Paul van Ostaijen (1896-1928) occupe pour sa part, aux yeux de beaucoup, la toute première place. Dans son recueil Het sienjaal (1918), on trouve, juste après « Marcel Schwob », un poème intitulé « Francis Jammes » dont Maurice Carême a donné une traduction (Les Étoiles de la poésie de Flandre. Guido Gezelle, Karel van de Woestijne, Jan van Nijlen, Paul van Ostaijen, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1973, p. 183). Autre figure de premier plan, Karel van de Woestijne (1878-1929) est tombé sous le charme du chantre d’Orthez ; on a pu dire que ce poète était un « Jammes virgilien ». Lui-même a bien souvent évoqué le Béarnais dans la chronique littéraire qu’il tenait pour le quotidien hollandais Het Nieuwe Rotterdamsche Courant (par exemple « Francis Jammes : Monsieur le Curé d’Ozéron », 23 mars 1919). Des écrivains moins prestigieux ont également reconnu l’originalité de l’œuvre de Jammes. Ainsi, le prêtre Cyriel Verschaeve (1874-1949), figure incontournable du Mouvement flamand, écrit-t-il dans une lettre rédigée en français : « J’ai toujours aimé la France, pas son gouvernement, mais sa pensée, son noble caractère, ses grands écrivains : Pascal, Molière…, jusqu’à Verlaine, Jammes et Claudel mêmes. » Une empreinte jammiste est visible dans un recueil comme De Avondgaarde (1903) de Victor de Meyere (1873-1938) ou de nombreux poèmes d’August van Cauwelaert (1885-1945). Notons encore que l’Anversois Armand Willem Grauls (1889-1968), poète aujourd’hui oublié, a salué Jammes dans In den tuin (Dans le jardin), évocation candide du fragile bonheur familial.

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésieLes quelques auteurs mentionnés ci-dessus – auxquels il conviendrait sans doute d’ajouter les noms de certains artistes, par exemple les Flamands Camille Melloy, poète et traducteur qui privilégia la langue française – il a consacré 40 pages à Jammes dans son recueil d’essais Le Beau réveil (1922) –, et Alfons Stout, compositeur qui, en 1946, mit en musique « Souhait » (« Comme l’oiseau endormi… ») –, montrent que l’œuvre de Jammes a marqué bien des esprits en Hollande comme en Flandre, et pas uniquement dans les milieux catholiques, même si les revues et la presse confessionnelles lui ont bien entendu accordé une attention plus soutenue que les autres journaux et périodiques [7]. Nous parlons d’une époque où la grande majorité des écrivains d’expression néerlandaise lisaient le français dans le texte ; cette connaissance de notre langue, la simplicité apparente de la prosodie jammiste, mais aussi, dans une certaine mesure, la dimension religieuse de l’œuvre, expliquent certainement le peu d’empressement que l’on a montré à la traduire. Les cercles cléricaux ont préféré faire passer en néerlandais des dizaines de livres d’Henri Ghéon. Aujourd’hui, quelques textes de l’auteur des Clairières dans le ciel résonnent encore à l’occasion dans ces contrées septentrionales. Deux pièces de ce recueil ont par exemple été diffusées le 13 avril 2007 sur Radio 4 (l’équivalent hollandais de France Musique) dans le cadre d’une série d’émissions consacrées à Lili Boulanger – en 1939, les deux artistes avaient fait l’objet d’un article signé par le compositeur Wouter Paap (1908-1981) [8]. En juin 2009, on a lu, dans les deux langues, quelques poèmes de Jammes à la Maison Descartes d’Amsterdam. Relevons encore, pour ce qui est de la présence du Béarnais dans ces terres, que le célèbre éditeur de Maastricht A. A. M. Stols a publié deux volumes de sa correspondance [9]. 

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    F. Melchers, Avril

    (recueil L'An de Th. Braun)

     

    Quelques mots, pour finir, sur l’article de 1920. Il y est bien entendu question du voyage que Francis Jammes a effectué en Flandre et en Hollande vingt ans plus tôt. Parmi les amis que le poète mentionne apparaît le nom de Melchers. Il s’agit de Franz M. Melchers, artiste tombé dans l’oubli et absent de la plupart des encyclopédies des peintres, bien qu’on l’évoque encore en tant qu’illustrateur du recueil L’An (1897) de Thomas Braun. Ce Hollandais frêle et de petite taille, cigarette toujours collée aux lèvres, avait des ancêtres français, néerlandais, javanais et de Bohême. Né le 16 avril 1868 à Münster, neveu d’un cardinal célèbre, il a passé ses jeunes années en Allemagne et dans les Indes néerlandaises, a vécu et travaillé à Bruxelles (jusqu’en 1891 puis vers 1907-1908) – où il a fait ses gammes à l’Académie en 1889 avant d’acquérir seul la technique à force de travail –, à Londres (1891), à Oudenburg en Flandre-Occidentale (1892), à Veere sur l’île zélandaise de Walcheren (jusqu’en 1895 puis, à plusieurs époques de sa vie, dans d’autres localités des Pays-Bas : Delft, Volendam, Baarn, La Haye…), à Paris, à Nice, à Vienne, en Espagne et enfin, à partir de 1939, à Anvers où il s’est éteint le 18 mars 1944.

    F. Melchers

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésiePaysagiste et portraitiste apprécié, il a malgré tout connu plusieurs traversées du désert. Au tournant du siècle, Maurice Maeterlinck ainsi que son ami le romancier flamand Cyriel Buysse, peu habitués pourtant à écrire sur la peinture, lui ont chacun consacré une petite étude. F. Melchers, alors lié avec d’autres artistes flamands, était un familier de la Libre Esthétique. À l’occasion de la septième exposition organisée à Bruxelles (1er-30 mars 1900) par ce Cercle, il faisait partie des peintres exposés tandis que Jammes était l’un des conférenciers invités. Sans doute ont-ils pu à cette occasion converser longuement – en compagnie de leur ami commun Thomas Braun –, d’autant que le Néerlandais avait illustré quelques années plus tôt le poème « On dit qu’à Noël » (œuvre reproduite dans Le Spectateur catholique, décembre 1897).

    Daniel Cunin

     

     

    reproductions non légendées

    La biographie de l’écrivain Pierre Kemp : Wiel Kusters, Pierre Kemp. Een leven, Nimègue, Van Tilt, 2010.

    La biographie du poète et essayiste Jan van Nijlen : Stefan van den Bossche, Jan van Nijlen. De wereld is zoo schoon waarvan wij droomen, Tielt/Amsterdam, Lannoo/Atlas, 2005.

    La photo de la Place de la Poustelle est reproduite dans la monographie que Jan van Nijlen a consacrée à Francis Jammes.

     

    F. Jammes, photo dans  le livre de J. van Nijlen de 1918 

    francis jammes,jan van nijlen,karel van den oever,hollande,flandre,littérature,poésie[1] « Frankrijk. Naar de Riviera », Het Vaderland, 26 février 1920, édition du soir.

    [2] « Parijsch Tonneel », Het Vaderland, 6 mars 1921.

    [3] « Francis Jammes en zijn kwatrijnen », étude publiée en octobre 1936 dans le périodique Groot Nederland.

    [4] « La Grande Nuit », Les Géorgiques Chrétiennes, Paris, Mercure de France, 1912, chant III, p. 72-77.

    [5] Het Centrum, 17 décembre 1921.

    [6] Den Gulden Winkel, 1922.

    [7] Le quotidien Het Vaderland relevait, sur le plan idéologique, de la libre pensée et en rien d’une mouvance chrétienne.

    [8] « Francis Jammes en Lili Boulanger », Elsevier’s Geïllustreerd Maandschrift, p. 67-69.

    [9] Dialogue. Stéphane Mallarmé – Francis Jammes. 1893-1897, introduction et notes de G. Jean-Aubry, La Haye, 1940, et Francis Jammes et Valery Larbaud, lettres inédites, introduction et notes de G. Jean-Aubry, Paris/La Haye, 1947.

     

     

     Cahiers Francis Jammes n° 2-3 (octobre 2014)

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  • Le plus jeune frère d’Etty Hillesum

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    NUNC

    n° 34

    dossier Etty Hillesum

     

     

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    Fondée en 2002, la revue Nunc consacre, sous la direction de Marie-Hélène du Parc Locmaria, le dossier de sa dernière livraison à la Néerlandaise Etty Hillesum, née voici un siècle et dont les écrits connaissent un vif succès dans le monde francophone. Comme les précédents, ce numéro 34 se double d’une édition de luxe, un tirage limité proposant une œuvre originale de l’artiste invité, dans le cas pré- sent François-Xavier de Boissoudy.

    etty hillesum,musique,pays-bas,mischa hillesum,revue nuncSur la base de quelques documents qui n’étaient pas encore accessibles en français, Philippe Noble – qui a donné les traductions Une vie bouleversée (1985) et Lettres de Westerbork (1988) avant de s’adjoindre la collaboration d’Isabelle Rosselin pour transposer en 2008 l’intégralité des Écrits d’Etty Hillesum – revient sur les dernières semaines des membres de la famille Hillesum.

    Ce dossier, précise l’introduction, « tire son unité d’un fil conducteur : comment Etty Hillesum donne-t-elle la parole à d’autres ? Le premier article tentera une réflexion sur l’engendrement et l’enfantement par la parole, ainsi que les raisons de l’audience d’Etty Hillesum. […] Dans sa contribution, Ingmar Granstedt […] raconte dans toutes ses nuances la conversion accomplie par Etty Hillesum dans ses relations aux autres. La lecture des œuvres de C. G. Jung a joué dans ce parcours un rôle important, comme l’explique Nadia Neri.

    « La spiritualité d’Etty Hillesum est avant tout un chemin intérieur qui se prête à des lectures multiples. Aucune n’épuise l’œuvre, mais leur faisceau nous aide à l’ouvrir en nous. Monique-Lise Cohen nous révèle le terreau juif et hassidique des écrits d’Etty Hillesum. Karima Berger nous offre une méditation sur la découverte de l’intériorité et du nom de Dieu par la jeune femme. François Marxer revient sur ce qui rapproche et ce qui sépare Etty Hillesum de R. M. Rilke qu’elle a tant aimé lire et leur façon de parler de Dieu. Un dernier article offre une lecture du parcours de la Néerlandaise à l’aune de la sentence de saint Augustin : ‘‘aime et fais ce que tu veux’’. »

    Mischa Hillesum

    etty hillesum,musique,pays-bas,mischa hillesum,revue nunc, Marie-Hélène du Parc Locmaria, François-Xavier de BoissoudyPour notre part, il nous a semblé utile de proposer, au sein de cet ensemble, un sobre compte rendu d’un ouvrage dont aucune traduction n’est annoncée dans les pays voisins de la Hollande : Jan Willem Regenhardt, Mischa’s spel en de ondergang van de familie Hillesum (Le Jeu de Mischa et la fin de la famille Hillesum), suivi d’une postface sur l’œuvre musical de Mischa Hillesum par Leo Samama, Amsterdam, Balans, 2012. Ce sont ces quelques paragraphes purement informatifs que nous reproduisons ci-dessous.

     

    M.-H. du Parc Locmaria, « Introduction », p. 25-27.

    Philippe Noble, « La fin de la famille Hillesum : Westerbork et après », p. 28-32.

    Daniel Cunin, « Au sujet de Mischa », p. 33-34.

    Laurence Brisset, « Un tout petit mot à dire », p. 35-36.

    M.-H. du Parc Locmaria, « Le souffle d’une écriture ou l’Engendrement par la parole. Etty Hillesum : pourquoi une telle audience ? », p. 37-43.

    Ingmar Granstedt, « Des relations sans fin », p. 44-52.

    Nadia Neri, « Etty Hillesum et C. G. Jung », p. 54-56 (traduit de l’italien par Anne Thielen).

    Monique-Lise Cohen, « Etty Hillesum. Chemin de prière et d’écriture (la voix et la patience) », p. 58-71.

    Karima Berger, « Intérieurs – Hineinhorchen. Fîhî mâ Fîhî », p. 73-78.

    François Marxer, « Etty Hillesum, lectrice de Rainer Maria Rilke ou les amours d’une belle infidèle », p. 80-91. 

    M.-H. du Parc Locmaria, « La loi de l’amour », p. 92-96.

     

     

    Marianne Boer joue les deux préludes de Mischa Hillesum, ses seules oeuvres

     

     

     

    Vie de Mischa et fin des Hillesum

     

     

    Etty Hillesum, musique, pays-bas, mischa hillesum, revue nunc, Le livre Le Jeu de Mischa et la fin de la famille Hillesum narre l’existence du benjamin de la famille Hillesum, Mischa, né en 1920, musicien prodige qui dès l’âge de six ans stupéfie son monde en interprétant des morceaux très difficiles au piano. L’auteur a mené des recherches sur les personnes que mentionne Etty dans son Journal ; le résultat de ce travail a été intégré dans les notes de l’édition définitive des écrits de la jeune femme. Il avait toutefois conservé de nombreux documents sur Mischa. La découverte récente de partitions du garçon l’a incité à replonger dans ses archives et à écrire cet ouvrage. On a entre les mains une biographie du musicien en herbe en même temps que le tableau de toute une famille. Ces pages viennent éclairer dans une certaine mesure celles laissées par Etty.

    Le titre renvoie à un récit célèbre de l’un des écrivains majeurs des Pays-Bas, Gerard Reve (1923-2006) : De ondergang van de familie Boslowits (La Fin des Boslowits, 1946). Cette œuvre décrit avec une grande sobriété les dernières années d’une famille juive hollandaise durant l’occupation nazie. On assiste à leur « crépuscule » à travers les yeux d’un enfant dont les parents sont liés aux Boslowits (1).

    Les Écrits d’Etty Hillesum, Le Seuil, 2008

    etty hillesum,musique,pays-bas,mischa hillesum,revue nuncUtilisant entre autres les données qu’il a pu recueillir il y a un certain nombre d’années, dont de nombreux témoignages de personnes ayant connu les Hillesum, Jan Willem Regenhardt insère dans son propos, qui suit une trame chronologique assez souple, tout ce que l’on sait sur chacun des cinq membres de la famille, des origines des parents et de leur rencontre à leur déportation (lieu et époque probables de leur mort respective). La personnalité singulière du jeune Mischa – sans doute l’un des plus grands talents pianistiques de l’Europe du XXe siècle – permet de donner corps à cette histoire. Comme les autres membres de la famille, le garçon se distinguait par un côté génial et une grande fragilité. La « folie » des cinq Hillesum constitue ainsi un fil rouge passionnant à suivre. Très cultivés, les enfants n’ont reçu de leurs parents si dissemblables l’affection ni l’attention qui auraient pu leur fournir un réel équilibre.

    Beaucoup de témoignages viennent étayer ce qu’Etty avance sur sa mère Rebecca (Riva), une femme à la fois distinguée et séduisante, mais par ailleurs incapable d’exploiter ses talents en raison d’une personnalité instable. Homme effacé, Louis, le père, est un érudit et mélomane qui se réfugie dans ses ouvrages sur l’Antiquité après avoir renoncé à une carrière de rabbin et s’être détourné de la tradition ; à la tête du lycée classique de Deventer, ce petit homme laid et timide, féru de philosophie stoïcienne, compense son manque d’assurance par le recours à une discipline de fer. Jaap, le cadet, passionné lui aussi de musique (les compositeurs les plus modernes, le jazz), semble doué pour la poésie ; il fait des études de médecine plutôt brillantes mais sombre dans des crises de schizophrénie. Pour ce qui est d’Etty, Le Jeu de Mischa revient sur ses aspirations, ses premières tentatives d’écriture, ses premières amours, les milieux politiques (sionistes et autres) qu’elle fréquente ainsi que sur ses troubles psychiques ; bien entendu, l’auteur ne se prive pas de citer des passages du Journal.

    etty hillesum,musique,pays-bas,mischa hillesum,revue nuncÀ l’âge de 11 ans, Mischa quitte Deventer et ses parents ; il est placé dans une famille juive d’Amsterdam, ville où il peut suivre une formation musicale correspondant mieux à ses dons. Mais en six ans, il ne connaîtra aucune stabilité : adresses et familles d’accueil se succèdent. Grand interprète de Chopin, il apprécie aussi beaucoup Stravinsky, Ravel et Kurt Weill, compositeurs encore peu goûtés et absents de l’enseignement au conservatoire. Le garçon écrase alors par son talent Alex Zwaap qui deviendra pourtant l’un des compositeurs hollandais les plus joués. Il fréquente un collège d’élite où il se sent bien et obtient de très bons résultats. Mais comme son frère et son père, il est lui aussi placé par périodes dans une institution psychiatrique. L’adolescent au visage d’enfant suit les cours de piano du jeune George van Renesse, reconnu comme l’un des plus grands pianistes néerlandais. Pour une raison administrative, Mischa abandonne toutefois sa scolarité. Son père souhaite le voir se consacrer plus pleinement encore au piano ; pour le reste, il entend qu’il suive des cours privés.

    Mischa & Etty au piano, 1935

    etty hillesum,musique,pays-bas,mischa hillesum,revue nuncGeorge van Renesse et Mischa deviennent très proches l’un de l’autre, mais le professeur ne peut guère apprendre grand-chose à son élève tant ce dernier est doué. À peine âgé de 14 ans, le benjamin des Hillesum donne son premier grand concert : son talent est reconnu par les plus grands spécialistes et des compositeurs renommés. Quand, un jour de 1938, il se produit à Amsterdam, son jeu impressionne une nouvelle fois l’assistance, mais tout le public a pu remarquer qu’il était totalement perdu dans son monde : on est obligé de l’asseoir devant le piano car, totalement désorienté, il ne sait pas ce qu’il fait sur la scène. Depuis son départ du collège, il ne connaît aucune stabilité. À peine sorti de l’enfance, il a probablement été troublé par l’affection que lui a portée une femme bien plus âgée que lui et qui l’a déniaisé. Malgré le succès que le beau garçon recueille auprès de la gent féminine, il restera toujours attaché à cette « protectrice » chez qui il demeure. Peu après le concert de 1938, Mischa est interné dans un hôpital psychiatrique juif qui accueille alors 900 patients, un véritable village où la thérapie par le travail et la religion prévaut – pour l’adolescent une première expérience dans un cadre dominé par la tradition juive.

    encre de F.-X. de Boissoudy

    etty hillesum,musique,pays-bas,mischa hillesum,revue nuncSi Etty a pu garder un certain contrôle sur ses défaillances psychiques, il n’en est pas allé de même de ses frères. Mischa ne faisait qu’un avec son piano, il perdait tout contact avec la réalité, en particulier lorsqu’il se produisait dans un cadre solennel. Raison pour laquelle il n’obtiendra pas de bourse pour étudier à l’école Normale de Musique de Paris fondée en 1919 par Cortot alors même qu’aucun concurrent ne lui arrivait à la cheville. Mischa passe une année dans le service psychiatrique, subissant un traitement lourd car il a souvent un comportement imprévisible ; il se dit lui-même schizophrène. Il retourne ensuite vivre à Deventer chez ses parents où l’harmonie est loin de régner.

    Etty Hillesum, musique, pays-bas, mischa hillesum, revue nunc, Pendant l’occupation du pays par les nazis, Louis Hillesum perd les fonctions qu’il occupait. Plusieurs personnes tentent de le convaincre de se cacher, mais il refuse. Cet homme qui n’a rien d’un Don Juan a alors une liaison passionnée avec une femme beaucoup plus jeune que lui, une de ses anciennes collègues. Fin 1942, les Allemands forcent la famille à quitter le domicile de Deventer ; comme la plupart des juifs de province, on leur attribue bientôt une adresse à Amsterdam. Là, Mischa et sa sœur, par exemple à l’occasion de concerts privés clandestins, côtoient de nombreux artistes juifs qui ont fui l’Allemagne. En juin 1943, Louis, Riva et Mischa font partie d’une grande rafle et sont conduits à Westerbork où Etty travaille. Malgré d’ultimes tentatives, ils n’échapperont pas à la déportation. Certains ont essayé d’obtenir la libération de Mischa (et de ses proches) en mettant en avant son talent hors du commun. Mais il semble que les démarches entreprises par sa mère aient fortement déplu à des militaires allemands de haut rang. Jaap est pour sa part arrêté quelques semaines plus tard. L’auteur décrit la fin probable que chacun a connue. Peu après son arrivée à Auschwitz, Mischa a été transporté à Varsovie pour aider à déblayer les ruines du ghetto. C’est là qu’il meurt.

    Ce récit bien écrit est suivi (p. 273-284) d’un essai du compositeur Leo Samana sur les œuvres laissées par Mischa (dont un enregistrement) qui font l’objet du CD qui accompagne le livre.

    L’ouvrage se referme sur des remerciements, les notes (p. 287-315), la mention des sources (p. 316-320) et un index des noms (p. 321-326).

     

    Daniel Cunin

     

     

    (1) Il existe une traduction française de ce texte : Gerard Reve, « La fin des Boslowits », traduction de Liliane Wouters, in Nouvelles néerlandaises des Flandres et des Pays-Bas, préface de Victor E. van Vriesland, Paris, Seghers, 1965, p. 258-277.

     

     

    documentaire (en néerlandais) sur Mischa Hillesum

    avec la participation de son biographe

     


    Etty Hillesum : Le Journal d'une âme, de Claire Jeanteur

      

     

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    autre documentaire

    L'amour comme seule solution. Etty Hillesum

     

     

  • Les jumelles de théâtre

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    Une nouvelle de Louis Couperus

    ou La Walkyrie à l’Opéra de Dresde

     

     

    (parution dans Deshima, n° 2, 2010, p 175-182)

     

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     Le Semperoper, Dresde, vers 1900

     

     

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  • Traductions de la Bible (1)

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    Quelques considérations sur la traduction ou les traductions de la Bible ou des Bibles

    ou quand la traduction fonde et précède l’original

    (vidéos et exposés disponibles en ligne)

     

     

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     Bible d'Olivétan

     

     

    traduire le sacré


    podcast

    Du Targoum aux manuscrits de Qumrân

    Marc-Alain Ouaknin (Les mystères du mot Targoum. Traduction et lapidation), Marc de Launay (Genèse I, quel texte traduire ?), Stéphanie Anthonioz (La traduction des manuscrits de Qumrân)

     


    podcast

    De lapproche juive à lamphibologie

    Francine Kaufmann (L’approche juive de la traduction des sources sacrées), Cyril Aslanov (Quand la traduction se languit de l’original), David Banon (Traduction et/ou herméneutique : à propos des thèses de Henri Meschonnic), Marc-Alain Ouaknin (La question de lamphibologie au cœur de la traduction)

     

     

     

     

    nouvelle traduction liturgique officielle de la Bible

     

    1/6 Pourquoi une nouvelle traduction de la Bible ?

     

    2/6 Une nouvelle traduction du Notre Père: "Ne nous laisse pas entrer en tentation"

     

    3/6 L'approbation (Recognitio) de la traduction liturgique

     

    4/6 - Les apports de la nouvelle traduction. La traduction intégrale de l'Ancien Testament

     

    5/6 - Une traduction liturgique et scientifique

     

    6/6 Editer la nouvelle traduction liturgique de la Bible

     

    La Bible liturgique (KTO, 17/11/2013) 

     

     

    La Tora et sa traduction (1/2)

    podcast

    par Francine Kaufmann 

     

    La Tora et sa traduction (2/2)

    podcast

    par Francine Kaufmann

     

    Premier traducteur juif du Tana'h 

    podcast

    par Francine Kaufmann 

     

    L'univers d'Henri Meschonnic

    podcast
     

     

     Lefèvre d’Étaples

    lien vidéo 

    Jacques Lefèvre d’Étaples (vers 1460-1536)

    d’Aristote à la Bible

     

    La Bible de Lefèvre dÉtaples Par Paul Lienhard

     

     


     

    The King James Bible (documentaire BBC, 2013) 

     

    le chanoine Osty parle de sa traduction de la Bible

     

     


    Les lundis de l'histoire

    avec Thomas Römer & Florian Michel

     

     

    Comparaison de passages de la Statenvertaling (1637)

    et de la Herziene Statenvertaling (2010)

     



     

     

  • Ode à Personne

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    Benno Barnard

    à propos de Schwarze Flocken d’Anselm Kiefer

     

     

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    ODE À PERSONNE

     

     

     

     

    Schwarze Flocken

     

     

    Schnee ist gefallen, lichtlos. Ein Mond

    ist es schon oder zwei, dass der Herbst unter mönchischer Kutte

    Botschaft brachte auch mir, ein Blatt aus ukrainischen Halden:

     

    ‘Denk, dass es wintert auch hier, zum tausendstenmal nun

    im Land, wo der breiteste Strom fliesst:

    Jaakobs himmlisches Blut, benedeiet von Äxten…

    O Eis von unirdischer Röte – es watet ihr Hetman mit allem

    Tross in die finsternden Sonnen… Kind, ach ein Tuch,

    mich zu hüllen darein, wenn es blinket von Helmen,

    wenn die Scholle, die rosige, birst, wenn schneeig stäubt das Gebein

    deines Vaters, unter den Hufen zerknirscht

    das Lied von der Zeder…

    Ein Tuch, ein Tüchlein nur schmal, dass ich wahre

    nun, da zu weinen du lernst, mir zur Seite

    die Enge der Welt, die nie grünt, mein Kind, deinem Kinde!’

     

    Blutete, Mutter, der Herbst mir hinweg, brannte der Schnee mich:

    sucht ich mein Herz, dass es weine, fand ich den Hauch, ach des Sommers,

    war er wie du. 

    Kam mir die Träne. Webt ich das Tüchlein.

     

    Paul Celan

     

     

     

     

     

    Flocons noirs

     

     

    La neige est tombée, éteinte. Voici une lune,

    voire deux, que l’automne dans sa bure de moine

    m’a apporté à moi aussi un message, une feuille des terrils d’Ukraine :

     

    « Songe qu’ici aussi il fait hiver, pour la millième fois

    dans le pays où coule le plus large des fleuves :

    sang céleste de Jacob, béni par des haches…

    Ô glace d’un rouge étranger à ce monde – son hetman le passe à gué avec toute sa

    troupe vers des soleils qui s’enténèbrent… Enfant, ah ! un linge

    dans lequel me draper quand les casques rutilent,

    quand le bloc de glace, rosissant, se fend, quand les os de ton père

    poudroient comme neige, se repent sous les sabots

    le chant du cèdre…

    Un linge, rien qu’un mouchoir, afin que j’y garde,

    maintenant que tu apprends à pleurer, près de moi

    l’exiguïté du monde qui jamais ne verdoie, mon enfant, pour ton enfant ! »

     

    Que n’a-t-il saigné, mère, l’automne en filant entre mes mains, que ne m’a-t-elle brûlé la neige :

    que n’ai-je cherché mon cœur, pour qu’il pleure, que n’ai-je trouvé le souffle, ah ! celui de l’été,

    il était comme toi.

    M’est venue la larme. Ai tissé le linge.

     

     

    benno barnard,paul celan,anselm kiefer,poésie,peinture,littérature,pays-bas,traductionDifficile d’écrire un poème plus allemand que celui-ci, tant pour ce qui relève des thèmes (la guerre, le mas- sacre des juifs, la mémoire) que de la forme, laquelle propose maintes inversions à la manière de poètes du XIXe siècle tels Hölderlin et Trakl. Un poème noir – noir comme la neige, noir, eh oui, comme le lait…

    Il faut dire qu’il a été composé par le poète de l’Holocauste, Paul Celan (1920-1970), un juif originaire de Czernowitz, aujourd’hui Tchernivtsi en Ukraine. Avant la guerre, la ville appartenait à la Roumanie, et avant encore à l’Empire austro-hongrois. Ce centre disparu de la culture juive d’expression allemande jouit de nos jours d’un statut mythique : une cité où les cochers, perchés sur le siège de leur fiacre, sifflotaient des arias, où l’on comptait plus de librairies que de boulangeries, où linge de table en lin et expériences modernistes offraient un contraste du meilleur goût.

    Je suis tombé sur ce poème au Musée des Beaux-Arts d’Anvers où il figurait sur une toile d’Anselm Kiefer. Ce peintre allemand est né la même année que l’Allemagne démocratique : 1945. Une coïncidence à laquelle je me permets de conférer une certaine signification, comme Kiefer lui-même d’ailleurs.

    Les toiles de Kiefer sont d’un format plus qu’imposant – vingt-deux d’entre elles remplissaient le rez-de-chaussée. Elles revêtent une part d’atrocité, à la fois sinistre, spectrale et funèbre. Devant cette débauche d’expressionnisme tonitruant, j’ai senti un léger frisson me parcourir. Difficile de peindre des toiles plus allemandes que celles-ci.

    À l’entrée, on remettait au visiteur une masse de papier regorgeant d’informations sur les œuvres exposées. Étrange de se dire qu’il n’est plus possible d’aborder l’art de notre temps par le simple regard ! D’aucuns avancent qu’au Moyen Âge, les gens comprenaient sans peine la symbolique toute silencieuse des peintures – la rose, l’oiseau en cage, la clé, le livre – et cela valait peut-être pour les plus instruits ; il en va bien autrement pour ce qui est de l’art contemporain, du moins pour ce qui est de Kiefer, en tout cas en ce qui me concerne quand bien même j’appartiens à la haute bohème. Les codes qu’il s’agit de maîtriser sont des noisettes récalcitrantes nécessitant le recours à un casse-noisettes.

    benno barnard,paul celan,anselm kiefer,poésie,peinture,littérature,pays-bas,traductionToutefois, j’ai compris d’em- blée – à supposer que « com- prendre » soit le terme requis – au moins un des tableaux : le bouleversant Schwarze Flocken (Flocons noirs), peint à partir du poème éponyme de Paul Celan. Dans ma main, la brochure me chuchotait de façon obligeante : « Un livre de plomb au milieu de la désolation d’un paysage enneigé. Un livre au contenu accablant : de ses pages s’échappent des phrases du poème ‘‘Flocons noirs’’ […] ».

    Le poème le plus célèbre de Celan sur l’Holocauste s’intitule « Fugue de mort ». Il s’ouvre par ces mots : « Schwarze Milch der Frühe wir trinken sie abends ». Le lait noir de l’aurore nous le buvons le soir… Le début de ce vers relève des métaphores modernistes qui, pareil à un chat, erraient dans les rues de Czernowitz. On la retrouve dans un poème d’une concitoyenne de Celan, Rose Ausländer. J’ai dit moderniste ? Trois siècles plus tôt, le poète néerlandais Constantijn Huygens (1596-1687) inventait une contradictio in adjecto similaire : « suie blanche » (wit roet) pour désigner la neige. Tel aurait d’ailleurs pu être le titre du poème comme celui du tableau.

    Sur ce dernier, les vers sont peints dans la neige, vers le point de fuite, au pied de « ceps de vigne abîmés », d’ « interminables rangées de signes commémoratifs dans des cimetières militaires »,  de «  runes », ou encore de ce que tout un chacun souhaite s’imaginer – les trois, il me semble. De longues rangées de vignes funèbres, et au centre le lourd livre qui contient le poème de Celan. Je l’ai reconnu, et bien qu’il ne figure pas dans son intégralité sur la toile, la perspective suggère qu’il en est tout de même ainsi.

    Je suis resté là à regarder ce tableau jusqu’à ce que les yeux me brûlent. Cette œuvre accrochée au mur : une gifle en pleine figure, une scène de crucifixion sans corps, une ode à Personne.

    La mère réclame ein Tuch, un drap, un linge, un mouchoir, une toile. Ce mot aurait-il incité Anselm Kiefer à réaliser sa propre toile ? Paul Celan – hanté par ses souvenirs, il devait se suicider à Paris vingt-cinq ans après la fin de la guerre –, aurait-il amené le peintre allemand, par l’équivoque de ce terme, à tisser une toile pour sa mère disparue ?

    Les parents de Celan sont morts en 1942 dans le camp d’internement de Michailovka en Transnistrie (actuelle Ukraine).

    M’est venue la larme.

      

    Benno Barnard

     

     

    traduction du poème et du texte : Daniel Cunin

     

     

     

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    Benno Barnard est l’auteur de : Le Naufragé, recueil de poèmes traduit du néerlandais par Marnix Vincent,  Le Castor astral, 2003 (édition bilingue) ; Fragments d’un siècle. Une auto- biographie généalogique, traduit du néerlandais par Monique Nagielkopf, Le Castor Astral, 2005 ; La Créature : monologue (théâtre), traduit du néerlan- dais par Marnix Vincent, Le Castor astral, 2007.

    Le texte original néerlandais a paru le 20 février 2011 dans l’hebdomadaire Knack, la version française dans la série « Cris et chuchotements » du mensuel Pastoralia (octobre 2014). Merci à Anne-Françoise pour la relecture de la version française du poème.