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Entre plusieurs pérégrinations dans le Grand Nord, le n° 14 de Deshima propose plusieurs haltes en Hollande : pour commencer chez l’auteur et libraire-éditeur Simon de Vries, ensuite à Marken, mais aussi dans un roman de Christiaan Weijts ou encore dans l’univers de la tradition de tolérance. Détour enfin par le Viêt Nam à travers une nouvelle d’un autre écrivain néerlandais, Rob Verschuren, avant de terminer le voyage à Meudon, chez Théo & Nelly van Doesburg.
Géographies et imaginaires
L’imaginaire et la construction culturelle de l’espace sont au centre des intérêts de Deshima, avec une attention spécifique pour les « Nords » et les stéréotypes associés. Un pluriel délibéré, dans la conviction qu’il faut envisager des géographies et des imaginaires en évolution permanente. Explorer ces images permet de mieux les connaître et de comprendre qu’elles sont le reflet de lieux réels mais aussi de fantasmes individuels ou collectifs. Dans ce nouveau numéro aussi, donc, nous partons de l’espace concret pour arriver à l’espace construit, détruit et reconstruit.
Au cœur de cette exploration se trouve le concept de « mythème ». Repris de l’ethnologie, il a été adapté par Th. Mohnike, dont nous accueillons une contribution théorique, à l’histoire culturelle et littéraire. Les contributions à ce numéro sont étroitement liées à ces réflexions qu’elles appliquent à des sujets variés, scandinaves aussi bien que néerlandais.
Des « Savants mélanges » et des avant-premières littéraires et artistiques complètent le numéro, en explorant des imaginaires non-spatiaux, mais néanmoins déterminants pour l’identité nationale des pays concernés.
En route pour Marken (vers 1930)
SOMMAIRE
Roberto Dagnino, Cyrille François — Présentation
Thomas Mohnike — Narrating the North. Towards a theory of mythemes of social knowledge in cultural circulation
Hans Beelen — The Wondrous Northern World of Dutch Bookseller and Polygraph Simon de Vries
Margot Damiens — Les récits de voyage sur l’île de Rügen autour de 1800
Francesca Fabbri — Adele Schopenhauer. La communauté danoise à Rome et les paysages du Nord
Jean-François Laplénie — Petite cartographie d’un lieu qui n’existe pas. Vineta entre archéologie, mythe et littérarisation
Yohann Guffroy — Reconstituer un paysage sonore par la littérature ? Étude du son dans des récits de voyages français en Laponie (1840-1900)
Alexandre Simon-Ekeland — La plaque commémorative du « Latham 47 » à Tromsø. Pratiques touristiques et journalistiques
Thomas Beaufils — Les costumes traditionnels de Marken. Un assemblage de pièces de tissu d’origines géographiques variées
Maria Hansson — Rêve du Nord et désir d’émancipation. En sommarsaga d’Anne Charlotte Leffler
Anders Löjdström — Espace géographique et espace de poésie. Le territoire de l’écriture dans Baltiques de Tomas Tranströmer
Albert Gielen — The Architect as Creator of the Cité in Christiaan Weijts’s Euforie
Davide Finco — Acting as a Never Visited Country’s Promoter, Friend, Patient, Competitor. Erlend Loe’s Fakta om Finland (2001)
Laurent Di Filippo — Retrouver le Nord dans le multivers. Des récits médiévaux scandinaves à la cosmologie de Dungeons and Dragons
Savants mélanges
Christian VII enfant (1749-1808)
Pierre-Brice Stahl — Entre recherche du savoir et joute d’énigme. Les motivations d’Óðinn dans le Vafþrúðnismál
Manfred Oberlechner — The Dutch Tradition of Tolerance and Enlightenment in the Context of Critical Theory
Christian Bank Pedersen — Exécutions. Les corps de Christian VII dans la politique danoise, 1749-1808
La jeunesse de Leo Vroman et Tineke, par Mirjam van Hengel
Né le 10 avril 1915 à Gouda dans une famille d’enseignants, mort au Texas le 22 mars 2014, soit peu avant son 99eanniversaire, Leo Vroman fait partie de ces poètes qui plient naturellement le langage à leur volonté. Néologismes, jeux de mots, effets synesthétiques, mots composés, agglutinations de mots, mots d’une longueur inouïe – certains occupent une page entière ! –, prédilection pour une rime capricieuse : autant de caractéristiques bien ancrées dans son idiome. De ce fait, son néerlandais, qui puise souvent dans une veine ludique et humoristique, frappe par son autonomie et son authenticité : on ne saurait le confondre avec celui de l’un quelconque de ses confrères flamands ou hollandais. Traduire Vroman suppose donc de faire en quelque sorte du « vromanien » dans une autre langue.
Sous sa plume, le substantif waakzaamheid (vigilance) devient wraakzaamheid (vengilance – wraak signifiant vengeance) ; à spijsvertering (aliment + assimilation = digestion), il ajoute deux lettres pour obtenir spijsvertedering (aliment + attendrissement) ; dans le participe présent voortslangelend, qu’il crée de toutes pièces, il part du radical slang (serpent) pour évoquer un mouvement de reptation qui se prolonge à n’en plus finir (même au-delà de la mort de la créature qui bouge). Ou, pour mentionner quelques exemples plus extrêmes, dans le recueil Dierbare ondeelbaarheid (Bien-aimée indivisibilité, 1989), approfondissant ses études sur la façon dont les protéines du sang se forment et se comportent, il imagine des « mots-protéines sinueux à l’ouïe aveugle et d’une longueur introuvable » (onvindbaar lange blindgehoorde kronkelende proteïnewoorden), par exemple : uitgewoontehuisvestingwallen (mot à mot : dehors-habituel-hospice-remparts, ou bien : exclu-habitude-maison-murs-de-la-ville) et duikbotemelkaartehuizevallen (plongeon-os-lait-carte-maison-tomber, mais aussi : sous-marin-lait-caillé-château-de-carte-écrouler). À ces fantaisies s’ajoute un recours fréquent à des verbes commençant par le préfixe ver-, lequel indique un processus, un changement graduel, pour évoquer l’entropie, les fractales ou encore les propriétés chimiques du sang.
Car, on l’aura compris, en plus d’être poète, Leo Vroman était un scientifique, plus précisément un biologiste et hématologue qui a mené des recherches à New Brunswick (New Jersey) avant de les poursuivre à New York jusqu’à l’âge de 81 ans. Mais ce n’est pas tout : dès l’enfance, il consacra beaucoup de son temps à une autre de ses passions, à savoir le dessin (livre ci-contre : Leo Vroman, dessinateur, 2017). Ses œuvres – il a pour ainsi dire touché à toutes les formes graphiques : collage, gravure sur bois, aquarelle, peinture, décors, fresque, illustration de livres, bande dessinée… – qui ont été occasionnellement exposées d’un côté comme de l’autre de l’océan à partir des années cinquante, montrent des similitudes avec ses vers : de même qu’il aime briser et torturer les mots, il « ampute » dans ses dessins le sujet ou l’objet représenté. Souvent aussi, l’autoportrait et l’humour sont présents (n’allonge-t-il pas à souhait son nez dans cet esprit qui l’incitait à faire des canulars en public ou à glisser des boutades dans ses vers ?). Beaucoup, notamment des critiques d’art du New York Times et du New York Herald Tribune, ont rapproché du surréalisme son travail relevant de la plastique. Il est vrai qu’étudiant à Utrecht dans les années trente du siècle passé, il aurait pu subir une certaine influence de ce mouvement dont la ville universitaire était pour ainsi dire le seul foyer aux Pays-Bas. En réalité, rien ne le prouve. Le seul mouvement auquel le Néerlandais se rattachait, c’était lui-même, ainsi qu’il le formule dans la dernière strophe du poème « Ik ook » (Moi aussi) :
Et alors, et alors, je suis quoi ?
réaliste ? surréaliste ?
Tu te mets dans l’œil le doigt :
je suis Vromaniste.
Leo étudiant (1933, photo dr. Schuurmans Stekhoven)
En mai 1940, l’étudiant juif Leo Vroman fuit Utrecht et la Hollande dès les premiers jours de l’invasion nazie. En mer, sur une embarcation de fortune, il aperçoit au loin les flammes qui dévorent Rotterdam, ville bombardée le jour même par l’aviation ennemie. Après avoir gagné l’Angleterre puis l’Afrique du Sud, il se retrouve aux Indes néerlandaises, l’actuelle Indonésie, où il peut terminer ses études. On trouve des traces de ce séjour, et plus particulièrement de la nature javanaise, dans le poème « Sumber Brantas », titre emprunté au nom d’une localité de l’archipel :
Baignant dans le vert aqueux, vers le ciel
la forêt agite des lianes – liens évanouis
avec d’anciens mondes d’en haut où lisses et d’or
les oiseaux, poissons sans mains,
croisent en silence leurs trajectoires
sous le toit crépusculaire ;
les feuilles qui bruissent comme des ruisseaux
sertissent cette trouée muette.
L’enfant plongeur abandonné remue les pieds
pour éviter de remonter, bouchon de liège, entre les troncs
de rencontrer dégrisé la lumière du soleil
sur des lointains brûlants, des crêtes crépues,
trace à gué dans la haute alang-alang
un sillage turbulent au fébrile murmure –
des syllabes frémissent effrayées encore
alors que l’enfant s’immobilise
à l’écoute.
Dans cette immense colonie, la guerre finit malgré tout par rattraper le jeune homme. Mobilisé au sein de l’armée royale, il est fait prisonnier de guerre par l’envahisseur japonais et interné dans plusieurs camps, y compris, les derniers temps, au Japon même où, malade, il frôle la mort. C’est d’ailleurs à Osaka qu’il écrit, sur du papier toilette, sa première véritable œuvre en prose. Pendant toutes ces années d’exil forcé et d’épreuves, être éloigné de Tineke Sanders, sa fiancée hollandaise, l’attriste et le fait souffrir plus encore que le reste. Certes, il va la retrouver, mais pas avant septembre 1947, aux États-Unis, où il a été accueilli par un oncle. Peu avant sa mort, Leo revint sur cette longue séparation dans le poème « De grote troost » (La grande consolation) :
La vie nous a sept ans
durant séparés l’un de l’autre.
À son tour la mort va s’y mettre
le manque durera moins longtemps.
Ce en quoi il ne s’est pas trompé puisque Tineke, née en 1921, le suit dans la mort à la fin 2015. Après leurs retrouvailles new-yorkaises et leur mariage célébré dès le lendemain, près de sept décennies s’écoulent au cours desquelles ils nourrissent leur amour tout aussi improbable que durable. Son épouse, anthropologue de la santé, devient l’un des thèmes majeurs de son œuvre poétique. L’histoire de cette fidélité et de cette complicité fécondes, on peut la lire dans Hoe mooi alles. Een liefde in oorlogstijd (Que tout est beau. Un amour en temps de guerre, Querido, 2014), récit que Mirjam van Hengel a signé après avoir rendu maintes visites au couple.
Leo & Tineke (entretien en anglais, partie 1, 2009)
Aux États-Unis, malgré une ambition peu démesurée – pendant des décennies, en compagnie de son ellipsomètre qu’il aime comme on aime un humain et bientôt aidé de son Apple II, Leo se contente de faire des recherches dans un petit laboratoire avec une poignée d’assistants, recherches relatives à l’adsorption des protéines sanguines sur les surfaces, d’une grande portée pour la conception d’organes artificiels et d’implants. Jouissant bientôt d’une réelle réputation en tant que scientifique, il est le lauréat de plusieurs distinctions prestigieuses, sans compter que l’effet Vroman, un processus que l’on observe dans la coagulation sanguine – la capacité du sang ou du plasma à déposer un type de protéine sur une surface (par exemple du verre ou du métal oxydé) avant de le remplacer par un autre type de protéine, et ainsi de suite – porte son nom*. Parallèlement, en Hollande, il est un poète prolifique parmi les plus reconnus, récompensé par maints prix littéraires. C’est dans son pays natal qu’ont paru en 1941 ses premiers vers (si l’on fait abstraction de ceux publiés dans des journaux estudiantins) ; les tout derniers, il les a écrits peu avant de mourir. L’écriture était sa respiration, l’amour son oxygène. Entre science et poésie, entre vie professionnelle et vie familiale, il effectuait pour ainsi dire instinctivement au quotidien un trajet entre le grand monde et le monde moléculaire.
C’est à juste titre que le professeur H. C. (Coen) Hemker a souligné l’influence de la recherche scientifique sur sa poésie. Ce confrère écrit non seulement que, dans ses vers, Vroman déshabille la nature et fait l’amour avec elle, mais qu’il « réfute de façon convaincante l’opinion généralement admise selon laquelle la vision biologique et médicale de la nature vivante serait éminemment prosaïque ». L’effet Vroman dans la poésie, c’est la capacité du poète à transmettre l’émotion qu’il éprouve devant chaque nouvelle parcelle de nudité qu’il découvre au quotidien, avec ou sans recours au microscope. En cela, pour ce qui relève de l’inspiration, écriture poétique et recherche scientifique se rejoignent. Établir une comparaison entre mots et protéines, rien qui ne va d’ailleurs plus de soi pour Leo Vroman : « Une protéine est une chaîne de maillons, que l’on appelle acides aminés ; il est possible d’en utiliser différents, environ une vingtaine, pour ‘‘épeler’’ une protéine. Les protéines ressemblent donc à des mots, généralement des mots composés de plusieurs centaines de lettres. Une simple boucle d’une telle protéine montre à travers des modèles à quel point la chaîne se modifie. La ‘‘signification du mot’’ dépend de la façon dont il se recroqueville : souvent une signification absurde quand le mot est au repos ; quand on l’étire pour les besoins de notre analyse, la véritable signification (l’activité) de la molécule de protéine ne devient lisible que dans certaines circonstances, à la surface recroquevillée et pour d’autres molécules. J’ai calculé que pour lire, à une vitesse de lecture supérieure à la normale, toutes les molécules de protéine dans leurs interrelations, il nous faudrait environ dix millions d’années (sans qu’on ait la garantie de rien comprendre) pour une seule seconde de notre vie : cela supposerait de commencer à l’âge de pierre ! De surcroît, les protéines ayant tendance à adhérer aux surfaces, elles se modifient et réagissent dans certains cas les unes aux autres – de même que des mots qui aspirent à être écrits et dont le sens dépend de la cohérence du texte. Ainsi, toute notre vie est-elle une sorte de livre dont les mots relient les pages ensemble, de sorte que la cohérence et le sens se trouvent rompus dès lors qu’on l’ouvre. »
Ce petit exposé – tiré d’un texte qu’il a prononcé à Jakarta en 1987, « Kunst, wetenschap, literatuur, Indonesia, Amerika, Holland en ik » (Art, science, littérature, Indonésie, États-Unis, Hollande et moi) –, Vroman le précise en disant qu’il essaie de « traduire en poèmes » son travail scientifique, avant de passer, par l’intermédiaire des mathématiques, à l’art graphique : « Dans quelques poèmes, je décris la distance entre la partie et le tout en nous, la comparant par endroits à l’agrandissement d’une photographie tirée d’un journal : ce qui au niveau habituel revêt la beauté d’un être humain, revêt au niveau microscopique la beauté de l’ordre mathématique. Les mathématiques sont peut-être le langage le plus international (plus encore que la musique ?), et c’est avec les mathématiques qu’il m’arrive dorénavant de jouer. Cela a commencé alors que je tentais de créer un modèle correspondant à la façon dont les molécules de protéines du sang se remplacent les unes les autres sur des surfaces. Mais ce faisant, je n’ai pu bien entendu résister à l’envie de concevoir toutes sortes de règles mathématiques pour générer, sur mon ordinateur, de l’art informatique. »
L’art, la science, la littérature : « De ce fait, je travaille avec au moins trois têtes, la scientifique n’exprimant que rarement une critique à même de détruire ce qu’élaborent les deux autres. Au contraire, la plupart du temps résultent de leur coopération plus de fruits que de chacune prise individuellement ; une individualité qui n’existe pas en réalité, pas plus entre mes façons de penser qu’entre les mondes hollandais, indonésien et américain qui sont connectés en moi – ou plutôt en Tineke + moi. » L’écrivain approfondit cette réflexion dans l’essai « Resting on Doubt » (1994) en la rattachant à son inassouvissable aspiration au bonheur. Les trois champs – science, littérature, arts plastiques – sont « des domaines d’expérimentation étroitement liés, qui répondent à des questions telles que : si je fais ceci, comprendrez-vous mieux le monde et serez-vous plus heureux de l’habiter ? Procéderez-vous comme moi pour rendre les autres plus heureux ? Et aurons-nous alors apporté ensemble quelque chose d’utile à l’univers, chose qui perdurera même après la destruction de la Terre ? »
Pour relier ces trois domaines, notre homo ludens a donc eu recours à l’ordinateur. Il a ainsi pu aborder la théorie du chaos dans sa poésie en même temps que dans des « travaux issus de programmes informatiques donnant naissance à de l’art ». À ses yeux, l’« abondance de formes et de splendeurs / qui nous habitent » constituent le point de départ d’une œuvre littéraire, laquelle tend à se rapprocher de la complexité du réel. Dans son recueil Fractaal (1986), il joue avec l’hypothèse du mathématicien Benoît Mandelbrot relative à l’évolution ordonnée des processus chaotiques. La teneur scientifique est également manifeste dans un recueil qui se compose d’un seul et long poème (d’amour) didactique : Liefde, sterk vergroot (1981) ; ces dizaines de pages rimées qui comprennent une leçon d’anatomie, s’enfoncent toujours plus avant dans les entrailles humaines en offrant une description détaillée de maints processus physiologiques liés à la digestion avant de se poursuivre par une excursion sur le terrain favori de l’auteur, à savoir le sang. Dans la traduction anglaise qu’il en a lui-même proposée sous le titre Love, greatly enlarged (1992), on peut lire, sous la plume de la préfacière Claire Nicolas White : « Pour Leo Vroman, la biologie est la base d’une vision holistique de la vie. Chaque chose est liée à une autre. Il est possible de découvrir, dans le plus grand chaos, une forme d’ordre, l’amour fonctionnant comme des polyépoxydes. » Une vision des choses que l’auteur prolonge dans, entre autres, « Vlucht 800 » (Vol 800), poème en prose remplissant une page du quotidien Trouw le 12 avril 1997, pour évoquer la transformation physiologique des 230 personnes ayant succombé, neuf mois plus tôt, au crash de l’avion en question qui venait de décoller de New York à destination de Paris. Dans un entretien de 1989, le poète envisage le chaos comme « un modèle mathématique abstrait, plus étroitement lié à la réalité que tout autre modèle que je connaisse. Le chaos nous dit qu’on ne saurait jamais rien prévoir parce que chaque situation dépend de celle qui la précède ». Vroman n’a ainsi cessé d’exposer et de peaufiner sa poétique, y compris dans ses poèmes, par exemple dès 1959 dans « Over de dichtkunst » (De l’art poétique) qui ne compte pas moins de 844 vers. Il en va de même dans son épais volume Warm, Rood, Nat & Lief (Chaud, Rouge, Mouillé & Charmant, 1994), un véritable ovni littéraire : 18 chapitres autobiographiques illustrés de ses dessins, écrits dans une prose vive et drôle sur ses recherches, sa relation au sang, sa famille, son œuvre en général, précédés du poème « Bloedingstijd » (Âge du sang / Durée que le sang d’une plaie met à s’arrêter de couler) et se clôturant par un second « Bloedsomloop » (Circulation sanguine). Quel chercheur, quel poète a écrit pareil livre ? Dans ces mêmes années, l’auteur s’amuse, en langage Basic il écrit :
fork = 3 to 4 step .01
x = .02
for n = 1 to 100
x = x*k*(i-x)
plot 50*k,x:next:next
« Eh bien, nous dit-il, c’est ce que j’appelle un vrai poème : un point de départ en apparence compréhensible et extrêmement simple aux conséquences d’une complexité insoupçonnée. »
Sa longue vie durant, Vroman est demeuré un individualiste qui n’a rallié aucun mouvement ni courant dans sa propre aire linguistique. Il est resté un solitaire doté d’un esprit extrêmement original, d’une curiosité exceptionnelle tant pour la vie que pour la mort. Lui, que le destin a en quelque sorte coupé en deux, d’un côté et de l’autre de l’Atlantique, aura vécu, d’une certaine façon, sur une planète parallèle, à la manière d’un chercheur chevronné qui vit dans son monde de même qu’un écrivain talentueux vit parmi les personnages qu’il met en scène. Malgré ses écartèlements, il n’a jamais renoncé à une quête de l’harmonie qu’il envisageait déjà à l’âge de 20 ans : « L’artiste et le savant trouvent leur consolation dans la foi en une harmonie. » Une part de son être, en dehors même de la fidélité à sa langue maternelle et malgré la distance géographique – il a passé plus de dix-huit ans sans remettre les pieds aux Pays-Bas ! –, est restée viscéralement hollandaise. Dans ses écrits, il ne parle qu’en son nom, y compris quand il dénonce les pires crimes et exactions, quand il prône le pacifisme. On apprend à bien le connaître tout simplement en le lisant. Il prend son lecteur à témoin et lui parle le plus souvent de sa propre personne, de son vécu et de sa vision de la vie. Outre les plaquettes sanguines et les suites mathématiques qui le fascinaient, il évoque la pelouse de son enfance, à Gouda ; l’haleine enveloppante de sa Tineke ; la douleur provoquée par l’absence de l’aimée alors qu’il était lui-même détenu dans les camps japonais ; les viscères ; les chambres de ses deux filles ; l’actualité ; les tremblements de terre ; les meurtres et la violence, par exemple dans « Allerlei doden » (Toutes sortes de morts) :
Par gentillesse, il arrive souvent
que des cadavres hachés d’enfants
viennent me dévisager. Moi de les
questionner : « Qu’est-ce que l’équité ? »
C’est moins leurs bouches que des
tranchures de machette qui m’assurent :
rien pour attendre vous ne perdez,
vous aussi serez réduits en lambeaux de nature.
Comme dans ses dessins, le poète met aussi en scène ses membres vieillissants ; ses mains aux veines bleues ; ses doigts qui caressent encore Tineke ; ses intestins et sa vessie ; l’immense intérêt que suscite en lui la camarde ; ses tentatives de capturer Dieu dans le vocable « Système » – en particulier au fil de plusieurs séries de « Psalmen » (Psaumes). Si la question de son travail scientifique revient dans bien des vers, une fois à la retraite, il s’est proposé, dans « Stap voor stap » (Pas à pas), d’oublier tout ce qu’il avait appris depuis qu’il disposait d’un cerveau, à commencer par son savoir d’hématologue :
Ces recherches sur les protéines de plasma
avec lesquelles encore je fais corps
– n’ai-je pas grâce à elles gagné notre pain ? –
se séparent les premières de moi
effilochure après effilochure.
L’ironie, voire une pointe de sarcasme, ne sont aucunement absentes de son œuvre. En témoignent ses poèmes en forme de fables qui se referment sur une « morale », ainsi d’« Espace et temps » :
Au Temps s’adresse l’Espace :
« En moi, tu peux tout remiser.
- Par quoi devrais-je commencer ?
- Par toi, j’ai bien assez de place. »
Tous deux tergiversent ainsi
mais jamais ne s’accouplent.
morale
Si le Temps n’en est pas capable,
qui donc, cher lecteur, qui ?
C’est une évidence : sous des dehors facétieux, la poésie de Vroman demeure autobiographie. Il tient à ce qu’elle soit partie intégrante du quotidien et pas uniquement pure cérébralité. Il entend marier choses courantes et idées subtiles. Il aurait pu faire sienne cette phrase de William Carlos Williams : « I’ve always wanted to fit poetry into the life around us, because I love poetry. » La dimension autobiographique vaut tout autant pour son œuvre graphique : combien d’autoportrait n’a-t-il pas dessinés, gravés ? combien de figuration de sa femme, de leurs filles ? combien de représentations des phénomènes qu’il observait au microscope ? Dans un poème des années quarante, « Voor wie dit leest » (À vous qui lisez ce qui suit), il s’offre déjà en personne au visage qui le lit et se l’assimile. En plus d’écrire des poèmes, il est ses poèmes : à chaque fois / que tu lis ceci / je suis de retour, note-t-il encore vers la fin de sa vie. Sa poésie est si ardemment personnelle qu’il a vécu chaque poème comme une partie de lui-même. À la manière dont chacune de nos cellules fait partie de notre corps. Il aimait d’ailleurs se voir avant tout comme un « bonhomme de science », un petit homme de la vérité. Cela n’empêche pas ses émotions de s’infiltrer dans ses strophes, telles des larmes tombées sur le papier, ainsi qu’il a pu le formuler, lui qui n’en avait plus versées depuis ses années estudiantines. Mais on relève aussi, dans des dizaines de passages de son œuvre, une teneur macabre (l’auteur se réveille dans la tombe d’autrui), sans doute les remugles qui remontaient des années d’horreur qu’il a connues sous le joug nippon. Asticots et autres vermines se faufilent dans ses vers. Mais bien d’autres animaux de toutes sortes et bien moins repoussants les peuplent, témoignant d’une réelle affection pour la nature. Vroman n’a-t-il pas, enfant, embrassé un ver de terre, ce que sa mère lui déconseillait pourtant fortement ? Son intérêt pour la flore et la faune remonte à ses plus jeunes années. L’un de ses amis, Kees Snoek, écrit : « Il fait tomber les frontières entre l’humain et l’animal, entre l’animé et l’inanimé, entre le jour et la nuit, entre le dedans et le dehors et, finalement, entre lui-même et ce monde qu’il cherche à saisir dans son étreinte amoureuse. Des éléments de l’une de ces catégories s’infiltrent dans l’autre, transformant la réalité en un univers fantasmagorique. » N’y a-t-il pas d’ailleurs une dimension panthéiste dans sa vision de la mort ? Lui qui était carnivore imagine que ses cendres nourriront des animaux. Dans « Ik Joods ? » (Juif, moi ?), il est aussi d’avis
que tout est sacré.
De même que me sont chers les viscères
où aucune cellule, aucune respiration n’est à l’abri,
de même je chéris les liens charnels.
Dans certaines pages, le poète se laisse submerger par la beauté ou l’injustice, l’amour ou la haine, la tendresse ou la cruauté. Parmi ses poèmes les plus connus en Hollande, on relève « Vrede » (Paix) qui se termine par cette strophe émouvante :
Viens ce soir me raconter des histoires
sur la façon dont la guerre a disparu ;
répète-les moi encore et encore :
à chaque fois je verserai des pleurs.
Autoportrait
Leo Vroman s’est éteint à Fort Worth, localité du Texas, où il habitait avec Tineke – après avoir passé les dernières années de sa vie à écrire toujours plus, à tout publier en une sorte de « journal poétique » sans vouloir faire le moindre tri. Des poèmes qu’il baptise « enfants couchés », c’est-à-dire des enfants « plats », « unidimensionnels ». Des vers délicats sur l’amour, sur la fin proche qu’il incorpore parfois de façon vertigineuse à l’existence. De plus en plus souvent, dirait-on, le monde onirique semble se substituer à la vraie vie. L’auteur se représente lui-même rêvant : dans son rêve, des choses étranges surviennent qui dissolvent peu à peu toutes les dimensions naturelles. Ou, pour ne citer que la première strophe de « Mogelijk niets » (Possiblement rien) :
Le rêve le plus renversant ?
Celui où survient sans relâche
le plus vraisemblable néant.
Pareil rêve nuit après nuit
depuis avant-hier me poursuit.
Gourmand de vie, virtuose, homme tendre et perspicace, drôle aussi (dans l’un des « Psaumes », il fait éclater Jésus de rire) : voilà qui était Leo Vroman et voilà ce qu’est son œuvre. Ce Hollandais se caractérise par une grande appétence pour le vivant et pour ce qui disparaît, ainsi que par une passion inaltérable pour le langage en même temps que pour l’œuvre de nombre de ses confrères, en particulier ceux d’expression néerlandaise. Ajoutons que, dès 1949-1950, juste avant d’obtenir la citoyenneté américaine, il a commencé à publier, en revue, de la poésie en langue anglaise ; quelques recueils ont ensuite vu le jour (Poems in English, 1953 ; Just One More World, 1976 – dont les strophes sont conçues à partir de photographies de protéines prises au microscope) ; comme mentionné plus haut, il a lui-même traduit, ou plutôt réécrit, certains de ses poèmes dans cette langue (ainsi de Love, Greatly Enlarged, 1992). Il lui est aussi arrivé de mêler néerlandais et anglais dans de longs poèmes narratifs dialogués. Son œuvre comprend par ailleurs des ouvrages très hétérogènes en prose : essais, souvenirs, chroniques, lettres ouvertes, journal intime, nouvelles, pièces de théâtre, livres pour enfants, un roman scientifique autobiographique de science-fiction… sans compter les multiples bandes dessinées qu’il a publiées en feuilletons, dans la presse, dès les années trente ainsi que des poèmes en forme de B.D., et les quelques livres qu’il a écrit en duo avec son épouse.
Daniel Cunin
En remerciant Mirjam van Hengel, aux écrits de laquelle plusieurs passages de cet article sont redevables, ainsi que Kees Snoek pour son témoignage
* On peut lire en anglais The Vroman Effect. Festschrift in honor of the 75th Birthday of Dr. Leo Vroman, Utrecht, VSP, 1992.
Après ma mort
Pose ce livre ouvert devant la fenêtre ouverte
vois-en les feuilles se tourner alors que je cherche
Avant de côtoyer des écrivains à Paris au printemps 1921, W.G.C. Byvanck (1848-1925), avait rendu visite, trente ans plus tôt, à son ami Marcel Schwob, un séjour qu’il lui avait permis de nouer d’autres lien, par exemple avec Paul Claudel, Léon Daudet ou encore Jules Renard, un épisode de la vie de cet érudit dont on peut lire le compte rendu dans Un Hollandais à Paris en 1891. Homme de lettres tout aussi précoce que Schwob – alors qu’il entame ses études universitaires à l’âge de 16 ans, Goethe et Shakespeare n’ont déjà plus guère de secrets pour lui –, il montre à maintes reprises un réel talent à sonder la singularité d’une œuvre, ce que peu de ses compatriotes surent reconnaître : « Jamais un homme possédant un tel savoir et autant de qualités n’aura exercé une aussi faible influence sur son peuple » (Frans Drion).
L’ouvrage Claudel et la Hollande (textes réunis par Marie-Victoire Nantet, Poussière d’Or, 2009) rend un hommage plus que mérité au critique qu’il a été : dès 1892, le Hollandais a, chez « le génie effervescent » de l’auteur de Tête d’or, « saisit l’esprit de son œuvre, prêtant l’oreille à ce qu’elle veut dire et apportant une réponse qui ne réside ‘‘pas tant peut-être dans l’âme de celui qui parle que dans celle de celui qui écoute’’ ».
Malgré sa boulimie de lecture et de savoir, le premier commentateur de l’œuvre de l’illustre inconnu qu’était encore Paul Claudel ne passait cependant pas tout son temps dans les livres. Une vision plus prosaïque de ce père de famille épicurien nous est par exemple donnée par le polytechnicien et romancier Édouard Estaunié, dans ses Souvenirs : « C’est un gros homme bon vivant, déclarant qu’au-delà d’un rayon de 150 kilomètres, la fidélité conjugale est une convention dénuée de sens, buvant sec, parlant haut, la dent souvent cruelle, mais au demeurant sympathique et fort agréable. […] Et je revois tout à coup cette soirée extraordinaire [les deux auteurs se retrouvent rue Vanneau devant des ortolans] avec un Byvanck plus éloquent que jamais, ivre délicieusement grâce au Bourgogne et poursuivant jusqu’à 2h. ½ du matin son discours dont les idées allaient s’épaississant ».
En 1921, peu avant de quitter ses fonctions à la tête de la Bibliothèque Royale des Pays-Bas, qui, de son propre aveu, lui ont coûté maints efforts sans pour autant le combler, Byvanck séjourne plusieurs mois à Paris en vue, confie-t-il à quelques-uns de ses interlocuteurs, de rédiger Trente ans après, un nouveau livre sur les hommes de lettres. Comme ses occupations et la guerre l’ont tenu éloigné de la capitale française, il entend prendre le pouls de la jeune génération. Il retrouve quelques survivants de l’ancien temps et recueille les propos de plus ou moins jeunes comme Max Jacob, Henri Massis, Albert Thibaudet, André Salmon… Le volume envisagé ne verra jamais le jour. Cependant, le préretraité en a élaboré au moins une partie afin d’en faire paraître des pages dans sa chronique « Les contemporains » de l’Amsterdammer, hebdomadaire politico-culturel hollandais de premier plan alors ouvert aux plumes les plus antagonistes. Ainsi, le 25 mars 1922, W.G.C. Byvanck invita ses lecteurs à revivre, sous le titre « Guillaume Apollinaire », un peu des heures qu’il a passées avec André Salmon et Max Jacob dans l’évocation de l’auteur de L’Hérésiarque & Cie et de la nouvelle école de poésie ; Salmon se souvient de la mort de son grand ami poète, mais aussi de leur première rencontre. Le 8 avril 1922, Byvanck donna la première partie d’une étude sur ce même Salmon avec lequel il avait passé beaucoup de temps l’année précédente à parler, rire et flâner. Le courant était tout de suite passé entre les deux hommes… André Salmon évoque leur rencontre dans sa correspondance avec Max Jacob ou encore dans ses Souvenirs sans fin. Ce dernier volume comprend par ailleurs une lettre en vers, de retour de Hollande, d’Apollinaire à Salmon :
Mon cher André. Je suis revenu de Hollande.
De mes œuvres je crois Wilhelmine la grande
Grosse comme on ne l’est plus qu’aux Pays-Bas attend
Le Prince qui rendra le Batave content.
Veux-tu venir me voir ; il paraît que comique
Ton roman t’entraînant par l’Europe et l’Afrique
Sur ce grand chariot que Thespsis éprouva
Tu régiras l’hyène et le fakir Deva.
Viens me conter enfin du Mollet l’épopée
Et comment en cyclope il se forge une épée.
Manolo m’assura que vêtu de velours
Et d’amples pantalons se traînant à pas lourds
Le compagnon Mollet dans les forges s’embauche.
On m’a dit que Dupuy défendit Moréas
À qui la Montparno disait comme Calchas
« Trop de prose » et Dupuy n’obtint pas son pardon ;
Sa Jeannette est l’abeille aujourd’hui de Bourdon.
Viens déjeuner… des huîtres… tu sas… mois en erre,
Nous avons dîné ensemble puis notre conversation s’est prolongée bien longtemps encore. En fin de compte, André Salmon m’a raccompagné ; nous avons emprunté les quais de Seine. Cet après-midi, je le retrouve sur le boulevard Saint-Germain.
« Hier soir, je lui dis, je n’ai pu m’empêcher de songer aux promenades nocturnes que j’ai effectuées avec Marcel Schwob le long de la Seine.
- Apollinaire soutenait qu’il n’y a pas de promenade plus belle et plus intéressante au monde, mais il faut dire qu’il avait une prédilection pour les vieux livres : les savoir en vente au bord de l’eau l’attirait. Vous savez que nous approchons ici d’une terre sacrée. C’est dans ce quartier qu’il a vécu. »
Bientôt, Salmon pointe sa canne en direction d’un sixième étage à l’angle du boulevard et de la rue de Saint-Guillaume.
« Combien de fois sommes-nous restés chez lui par de chaudes soirées ! Et je l’y ai vu pour la dernière fois sur son lit de mort, quand il a succombé à la grippe espagnole, la peste, lui, dernière victime de la guerre, relevé de ses blessures. C’est depuis cet immeuble que nous l’avons conduit à sa dernière demeure pendant que la ville, qui célébrait l’armistice, était en liesse. Personne n’a ressenti, n’a pu ressentir cette perte, mais nous, ses amis, savons ce que nous avons perdu. »
Il n’est pas dans mon intention d’alimenter la conversation sur ce sujet ; cela touche une corde sensible de Salmon. Il appartenait aux intimes de Guillaume Apollinaire. En cet homme reposaient ses espoirs : le héros allait mener les poètes de la jeune école à la victoire. Si la mort a fait des ravages au sein des jeunes générations, elle s’est plu de surcroît, semble-t-il, à choisir les meilleurs comme proies. En prenant Apollinaire, elle les a amputées de leur maréchal.
« À son sujet, je ne peux dire autre chose que ceci, reprend Salmon : c’était le chef. »
A. Salmon parle d’Apollinaire
Dans le domaine des lettres, son pays reste la nation militaire du passé et de tous les temps. Les Français comprennent ce que signifie marcher sous la houlette d’un porte-drapeau. Il ne faudrait pas que les forces de l’esprit se trouvent à leur tour morcelées : à quoi bon en effet accumuler les plaquettes de poèmes, chacun en ayant une à son nom ? On aspire à un ordonnancement : là où il y a élan et mouvement, on réclame orientation et gouverne. Mais obtenir une certaine prise sur la masse des faits, répartir les gens en ligne de combat, c’est là une question de concertation peu commune.
Quiconque relève le défi d’enquêter sur la vie de l’esprit de ses contemporains ne tarde pas à constater qu’il se trouve devant un mur. Un mur symbolique, s’entend. Si seulement encore c’était un vrai mur ! on aurait au moins quelque chose à quoi se raccrocher. On a la tête qui tourne, on s’emmêle les pinceaux ; on a l’impression d’être un aveugle dans un espace indéfini : le mur est en nous.
Certes un peu naïve, la question que je pose pour qu’on m’éclaire sur le sujet : Que savez-vous de la jeune école poétique ? qui l’a préfigurée ? comment les poètes en question se sont-ils trouvés ? –, témoigne au moins de ma bonne volonté.
L’entendant voici quelques jours, Max Jacob a raidi le torse ; et avec le plus grand sérieux, il a proclamé : « La nouvelle école remonte à l’automne de 1903. Elle est née de la rencontre de Guillaume Apollinaire et d’André Salmon dans un café à l’angle du quai Saint-Michel. (Max Jacob est l’une des célébrités du groupe des jeunes, alors qu’il était déjà trentenaire à l’époque). Si les anecdotes et les détails les plus singuliers vous intéressent, le mieux est que vous vous rendiez sur le boulevard, chez les mercantis de tableaux. »
Lorsque Salmon est passé me voir peu après cette conversation, je l’ai questionné sur le sens de cet oracle.
« Max est un polisson, il imite Apollinaire qui avait ce tic de tout voir en grand. Voici la vérité : nous avions tous deux – Wilhelm et moi, car il se prénommait Wilhelm – roulé notre bosse ; pour ma part, je revenais de Russie ; quant aux pérégrinations de mon ami, personne n’aurait pu en suivre l’itinéraire. Découvrir que nous avions les mêmes goûts nous a d’autant plus frappés que c’est le hasard qui venait de nous mettre en présence l’un de l’autre. La vie littéraire nous semblait fade, engourdie. Les revues dont nous attendions beaucoup n’étaient pas à la hauteur ; de notre point de vue, il n’y avait plus rien d’original. Ce qui passait pour artistique avait, à la longue, revêtu la forme d’une convention, la forme d’une pose. Une perception sans doute similaire à celle qu’ont pu avoir les personnes ayant assisté au déclin final du romantisme. Tout nous paraissait bien piètre et bien peu abouti. Nous avons ainsi argumenté jusqu’au matin. Je ne me risquerai pas à dire que la table est restée toute la nuit sur ses pieds ; ce qui est certain, c’est que, chancelants, nous sommes parvenus à sortir, bien décidés à fissurer l’infinité et à ne plus reconnaître la moindre langue à moins qu’elle n’eût été, au préalable, renouvelée en nous et par nous. Et fi de tous les préjugés et des verres cassés ! »
Apollinaire s’est adressé à son ami lors du banquet de mariage de ce dernier :
Nous nous sommes rencontrés dans un caveau maudit
Au temps de notre jeunesse
Fumant tous deux et mal vêtus attendant l’aube
Épris épris des mêmes paroles dont il faudra changer le sens
Trompés trompés pauvres petits et ne sachant pas encore rire
La table et les deux verres devinrent un mourant qui nous jeta le dernier regard d’Orphée
Les verres tombèrent se brisèrent
Et nous apprîmes à rire
Nous partîmes alors pèlerins de la perdition
À travers les rues à travers les contrées à travers la raison
Des vers qui commémorent cette première rencontre.
« Hawthorne, l’humoriste américain, je glisse pendant la digression de Salmon, Hawthorne relève que trois bâtiments sont caractéristiques de l’origine de chaque ville des États-Unis : l’église, le café et la prison. En comparaison, à Paris, toute nouvelle école de poésie se montre plus modeste dans ses exigences. Tout ce qu’elle veut, c’est le café, le bistrot !
- Apollinaire vous aurait donné raison. Mais notre ami ne laissait pas distraire son inspiration par des conversations de comptoir, il continuait, impassible, oui, il tressait dans ses vers des bribes qu’il captait autour de lui. N’allez cependant pas croire que nous en étions déjà là au début du siècle. Si un bistrot peut servir de symbole de l’origine d’une école poétique, on ne saurait placer la création de celle-ci sous un quelconque toit tant que la fondation d’une revue ne l’a pas couronnée. En 1903, nous étions loin d’en être là. Nous savions ce que nous devions renverser… mais quant aux contributions que nous y substituerions, nous n’en avions encore qu’une vague préscience… »
La conversation se poursuit. Comment cela se passe-t-il ? Nous arrivons rarement à une conclusion. Notre attention une fois distraite, des domaines très différents émergent. Mais invariablement, Apollinaire est évoqué. Il avait ce charme qui consiste à rendre vivantes les choses qui l’occupaient et le préoccupaient : les gens se mettaient à parler, le paysage révélait son caractère, les nuages se faisaient tragiques ou nageaient au loin en une jouissance onirique. Lui-même vivait les métamorphoses en question.
Il s’entendait à se rendre mystérieux, racontait que, natif de Rome, il était le bâtard d’un cardinal : il passait alors pour un jeune homme disposant d’une grande fortune, avant de devoir se satisfaire une énième fois d’un humble poste de commis de banque pour gagner sa vie. Ce n’est que dans la dernière année de son existence, sa solde d’officier en étant devenue l’assise, qu’il s’est senti délesté des soucis du quotidien. À côté de sa folie des grandeurs et de son sentiment de toute-puissance, il demeurait, au fond de son cœur, un enfant, un adorable enfant.
Parmi ses poèmes, « Un fantôme de nuées » aurait pu s’intituler « Les saltimbanques ». Nous sommes à la veille du 14 juillet. Le poète sort pour assister aux préparatifs de la fête. Les baladins se sont installés sur une place, mais peu de badauds montrent une réelle curiosité. Malgré tout, la représentation va commencer. De dessous un orgue apparaît un petit bonhomme habillé de rose anémié. Ça se déroule avec grâce :
Une jambe en arrière prête à la génuflexion
Il salua ainsi aux quatre points cardinaux
Et quand il marcha sur une boule
Son corps mince devint une musique si délicate que nul parmi les spectateurs n’y fut insensible
Un petit esprit sans aucune humanité
Pensa chacun
Et cette musique des formes
Détruisit celle de l’orgue mécanique
Que moulait l’homme au visage couvert d’ancêtres
Le petit saltimbanque fit la roue
Avec tant d’harmonie
Que l’orgue cessa de jouer
Et que l’organiste se cacha le visage dans les mains
Aux doigts semblables aux descendants de son destin
Fœtus minuscules qui lui sortaient de la barbe
Nouveaux cris de Peau-Rouge
Musique angélique des arbres
Disparition de l’enfant
Les saltimbanques soulevèrent les gros haltères à bout de bras
Ils jonglèrent avec les poids
Mais chaque spectateur cherchait en soi l’enfant miraculeux
Ce sont là les surprises que nous réserve Guillaume Apollinaire.
Auteur d’une quinzaine de titres, Koen Peeters, entre un périple par les capitales européennes (Grand roman européen, 2007) et une aventure à la découverte de la cité d’Ensor– qui voit naître une amitié entre un artiste peintre touche-à-tout plutôt déprimé et un écrivain venant à sa rescousse (Une chambre à Ostende, 2017) –, non sans passer par l’histoire d’un facteur aussi inspiré que Ferdinand Cheval, histoire de surcroît jumelée à celle du politicien congolais Patrice Lumumba, Koen Peeters s’est semble-t-il tourné pour de bon vers l’Afrique. Mêlant roman et données autobiographiques, il nous a d’abord entraînés au Rwanda (Mille collines, 2012) puis, avec tout autant de brio, invités, dans De mensengenezer (Le Guérisseur d’hommes, 2017), à passer d’un coin reculé de sa Flandre natale aux mystères du Congo. Début mars, la traduction allemande de cette quête de forces invisibles, entre esprit, génie et daïmôn, verra le jour. En néerlandais, une suite paraît cet automne aux éditions De Bezige Bij : De minzamen (Les Affables).
En attendant, faisons une promenade à Kinshasa dans les pas de Gérard et de… Koen grâce à une nouvelle de ce dernier. En 2019, ce texte a fait l’objet d’un atelier de traduction organisé par Passa Porta.
« La meilleure marque, à peine cinq ans, fait le chauffeur de taxi. »
En réalité, il veut dire que sa voiture n’est au Congo que depuis cinq ans. « Une occasion d’Europe, ma propriété », ajoute-t-il fièrement.
Le dimanche matin, il va à la messe avec sa famille ; l’après-midi, il bichonne sa voiture à renfort d’éponges, d’huile et de bougies neuves. Occupations qu’il considère comme une réussite personnelle, un bonheur suprême. Peints sur le pare-brise, des mots en lingala : Dieu fera tout.
Il fait chaud à crever, à Kinshasa.
Gérard et moi sommes à bord de la Toyota Corolla, une épave rouge. Tous deux à l’avant à côté du taxi, derrière nous cinq autres passagers. La cuisse de Gérard collée contre ma fesse. On est en sueur. Jésuite de 81 ans, Gérard est un prêtre à la retraite. Il montre du doigt les trous dans la chaussée, les égouts à ciel ouvert. Commente : « Quand l’eau monte, les gosses tombent dedans. »
À Rome, sur les pas de Koen Peeters
On emprunte le boulevard du Trente-Juin, au-delà du vaste terrain de golf. Conçu jadis par le colonisateur belge comme un no man’s land entre La Ville où résidaient des fonctionnaires vêtus d’uniformes d’un blanc immaculé, coiffés d’un casque tropical, et La Cité où vivaient les Congolais. Tous les matins, au lever du soleil, une vague continue d’indigènes affluait depuis La Cité pour, tous les soirs, au coucher du soleil, refluer de La Ville. Essentiellement des hommes, pieds nus. Aujourd’hui, près de soixante ans plus tard, les Congolais déambulent partout et à tout moment, innombrables et dans toutes les directions, y compris bien sûr des femmes et des enfants.
Le père Gérard est le fils d’un paysan de Beveren-Waas, l’aîné d’une fratrie de six. Lettres classiques à Saint-Nicolas, élève le plus sociable à défaut d’être le plus intelligent, observe-t-il en faisant un retour sur le passé. Puis professeur d’anglais, prêtre et supérieur à divers endroits de la province du Kwango et dans celle du Bas-Congo.
« Des postes importants, on dirait.
- Oh non, me répond-il, juste régler les questions pratiques de la mission. Et vous ?
- Je suis écrivain.
- Un écrivain ? Alors, si je visite Kinshasa avec vous, je vais devenir le personnage de l’un de vos livres ?
- D’un livre, d’une nouvelle, d’un récit, je ne sais pas encore.
- Et qu’est-ce que voulez voir à Kin ? La gare, le ferry pour Brazza, le Parc de la Révolution ? Autre chose ? »
À chacune de ses propositions, j’acquiesce.
Il se demande d’emblée dans quelle mesure je serai exhaustif : « Qu’allez-vous utiliser ? Et qu’allez-vous laisser de côté ? »
Mille collines
Le boulevard du Trente-Juin se compose de deux fois quatre voies très fréquentées. Le trajet en direction du centre-ville ressemble à ce genre de course dans n’importe quelle métropole, à ceci près qu’on est plus secoués et qu’on bouffe plus de poussière qu’ailleurs. Les taxis-fourgonnettes bleu et jaune, des véhicules tout-terrain bath, des SUV noirs à la clim mugissante ainsi que des charrettes qui avancent au pas sur des roues de voitures, laborieusement poussées par des hommes à peine vêtus.
Un vent chaud s’engouffre dans la Toyota. Le soleil tropical est brûlant. Nous passons devant le bâtiment de la poste des années cinquante. Autrefois, un pays aussi immense réclamait un bureau de poste grandiose. L’architecture coloniale de l’époque était moderne, prometteuse, industrielle à l’américaine pour ainsi dire. Les édifices constituaient des déclarations de principe fortes, autant de moteurs qui stimulaient le progrès.
Aujourd’hui, le bâtiment est vide. À l’arrière, dans une pièce sombre, un seul guichet est ouvert. Un petit bureau de Western Union permettant d’envoyer de l’argent à l’étranger ou d’en recevoir. Principalement cette seconde option.
Le taxi nous dépose avenue du Commerce, à deux pas de l’hôtel Memling. Sur le trottoir, des vendeurs à la sauvette. Des hommes jeunes qui attirent l’attention des passants sur les marchandises qu’on trouve dans les boutiques : épais rouleaux de tissu, sous-vêtements, jeans, chemises. Des fruits que je n’ai encore jamais vus de ma vie, sans compter des estomacs de vache et des jouets en plastique made in China. Entre les magasins, de longs passages donnent accès à d’autres boutiques. Tout le monde a quelque chose à vendre, bien peu de passants achètent. Inlassablement, ces jeunes Congolais s’adressent à moi : Vous cherchez ? Sur leurs bras jamais las, ils tiennent des chapelets de montres, de ceintures ou de cravates. De l’or aussi, du moins quelque chose qui scintille dans leurs mains noires.
Gérard et moi visitons la place du marché, entièrement bricolée avec des planches. Au-dessus, un treillage léger couvert de tissu et de plastique. Toutes les bouches chuchotent mundele mundele – en effet, nous sommes des Blancs.
Nous nous laissons entraîner par le mouvement de la foule. À un étal où des cahiers d’écolier se mêlent à de la viande charbonnée, Gérard achète une boîte de cirage. Il s’entretient en français avec le marchand. Puis se tourne vers moi. Il m’imagine en train de nous décrire, lui et moi, à cet endroit. Il tente de lire dans ma tête le récit que je n’ai pas encore écrit.
Le Grand roman européen
Sourire aux lèvres, je le mets en garde : « Oui, j’utilise de vraies personnes pour les transformer en personnages.
- Dois-je comprendre que nous sommes à présent l’un et l’autre des personnages ? »
Je hoche la tête de bas en haut.
Il me demande : « Puis-je garder mon prénom ? »
Une question sensée. Nous longeons le jardin botanique. Dans le temps, il s’appelait Parc De Bock, aujourd’hui Parc de la Révolution. Quand Kinshasa s’appelait encore Léopoldville, c’était un lieu connu pour ses danses folkloriques et ses expositions d’art. Gérard mentionne d’autres noms que portaient autrefois rues, hôtels, magasins… S’il conserve une mémoire vive du passé de ces endroits, il prend garde à ne pas émettre de jugement. Il se contente de constater que le temps est impitoyable. Tout ce qu’il me montre recèle une mélancolie, un sentiment d’étrangeté suscités par le tragique passage des années. Tout comme sa fébrilité. Il hausse les épaules, explique qu’il a le cœur fragile.
« Intéressant, ajoute-t-il. Dans votre histoire, il y aura aussi un ‘‘clou’’ ? du suspense poussé à son paroxysme ? Le héros, c’est vous ou moi ?
- Non, ça ne se passe pas comme ça. Je n’ai pas encore couché un seul mot sur le papier. Pour l’instant, on se promène.
- Mais vous avez quelque chose à faire passer ? Un message ? »
L’avenir le dira.
Durant mes premiers jours à Kinshasa, l’après-midi, j’ai évité la chaleur tropicale entêtante en me reposant quelques heures dans ma chambre, sous le ventilateur. Mais aujourd’hui, je suis en plein four. Je goûte cette température démentielle. Les gouttes de sueur ne cessent de couler de mon front pour gagner mon dos.
Je suis assailli par tout ce que la ville a en propre : le boucan, le spectacle des rues, cette multitude d’hommes, de femmes et d’enfants en mouvement. À pas lents, on avance dans la poussière et le brouhaha, jusqu’au ferry de Beach Ngobila, avant de faire demi-tour. Il y des voitures au bord de la chaussée ; sans hâte, un gendarme s’avance vers elles. Pour leur coller une prune ? Non, pour réclamer un pourboire.
« On gagne presque plus en mendiant qu’en travaillant », explique Gérard, attristé.
Partout dans les quartiers les plus populeux de la ville, des gendarmes glandouillent. Ils esquissent un salut d’un geste de la main, adressent de temps à autre un signe de prévenance que personne ne remarque. Des balayeurs portant un lourd uniforme et un masque buccal récoltent la poussière de sable avec des ramassettes bien trop petites. Ici aussi, des vendeurs de boissons et de pain, de T-shirts et de sachets en plastique remplis d’eau.
Les fleurs, roman familial (2009)
Pendant un moment, on déambule dans les rues parallèles avant de reprendre la direction de Gombe. Nous évoluons dans une vieille carte postale d’une époque moderne oubliée. Tout est délabré, démoli, reconstruit, redémoli, disparaît par endroits derrière un immense arbre tropical. Mes yeux suivent ceux de Gérard. Il me montre Kinshasa, mais ouvre à peine la bouche. Il attire mon attention sur certaines choses. « Regardez, typique d’ici », dit-il à plusieurs reprises.
Une moitié de miroir accrochée à un mur, une chaise placée juste dessous : un salon de coiffure.
Quelques vieux pneus sur le trottoir : un garage.
Un peu comme s’il soulignait au crayon certains mots du livre que je suis en train de lire. Cependant, je ne comprends pas toujours pourquoi il trouve ceci ou cela tellement frappant.
Je regarde, mais ce sont surtout les Congolais qui nous regardent. Nous, les deux Blancs. Les seuls non-Noirs que je vois au cours de notre promenade, ce sont un albinos, un Libanais et quelques chinois farouches. Puis, avenue Colonel-Lukosa, un Blanc qui porte des lunettes de soleil bleu pétrole. Il a de longs cheveux blonds un peu clairsemés, une fine moustache. Quand on le croise, il détourne les yeux, mal à l’aise. À croire qu’on vient, Gérard et moi, de le prendre en flagrant délit, à moins que ce ne soit lui qui vient de nous prendre en flagrant délit ? Nous, voyeurs au regard blanc, nous dévisageons.
Gérard voit cette ville comme une suite de diapositives du passé et du présent, qui ne cessent de se superposer. Il se sent fils de paysan dans un paysage tropical, me dit-il. « Je me vois en train de vieillir dans ce cadre, même si je ne change pas. Toutefois, dans ma tête, il y a toujours les anciens bâtiments, les anciens noms des rues, des lieux. Je suis chez moi dans ce pays, mais voilà, le temps m’a dépassé. »
Gérard a du mal à avancer la jambe gauche. À chaque fois, je le soutiens pour monter sur le trottoir.
Au bord du Fleuve, Gérard et moi buvons une bière sur le toit en terrasse d’une ancienne demeure belge. Assis à d’autres tables, des hommes solitaires boivent la leur, lisant, faisant aller et venir l’index sur l’écran de leur téléphone portable. Des écolières pomponnées marchent sur l’herbe de la rive. Cartables impeccables, manuels scolaires réunis par une ficelle. Les jacinthes dérivent sur l’eau en boules denses. Sur la rive opposée du courant indolent s’étend Brazzaville : des bâtiments blancs et gris, cette autre métropole.
Gérard me montre des oiseaux, des jaunes et des bleus. Me dit que les moineaux congolais pépient de la même façon que les nôtres. Est-ce que je le savais ?
Il soupire sans toutefois se plaindre : la promenade s’avère plus pénible que prévu. Il revient à la charge : il veut savoir pourquoi j’écris.
Apprends-moi à nager (nouvelle, 2020)
Alors que nous longeons le fleuve Congo, j’expose les choses, pressentant, dès les premiers mots, l’effort que cela va exiger de ma part. Il existe deux genres d’écrivains, j’argumente, ceux qui inventent et ceux qui témoignent. « Je me compte parmi ces derniers, lui dis-je sur un ton plutôt assertif. À mes yeux, ce qu’on invente, ça n’engage pas à grand-chose ; de toute façon, je n’ai guère d’imagination. Ce qui m’anime, c’est la curiosité, vivre de nouvelles expériences. Une vision particulière des choses s’impose à moi ou, au contraire, pas la moindre ; parfois je me sens indigné. Tout cela doit trouver sa forme dans une nouvelle, un récit ou un roman. Et sur un mode assez pathétique, j’ajoute : Tout ou presque dans mes romans est vrai, j’invente tout au plus les détails. »
Il toussote. Puis ferme les yeux. « Continuez, dit-il.
- La lecture, je poursuis, est une petite forme de méditation, du moins je l’espère. Le regard calme du lecteur, fixé sur le blanc des pages, qui fait que tout ce qui l’entoure disparaît comme dans une hypnose. Par une fenêtre qui nous aspire, nous contemplons un monde qui nous réfléchit, dans lequel nous faisons connaissance avec nous-mêmes, avec tous nos moi possibles sous la forme de personnages. Le lecteur s’absorbe en lui-même. »
Gérard trouve ça dingue. « En lisant votre histoire, je vais me retrouver absorbé en moi-même ? C’est surtout ce que vous allez faire de moi qui va retenir mon attention, je crois. »
Je ne sais quoi lui répondre sur le moment. C’est enquiquinant quand un de vos personnages se fait lecteur.
« Venez, on rentre, dit-il. Je suis fatigué. Puis il me demande : Vous me la donnerez à lire au préalable, votre histoire ?
- Oui, bien entendu. »
En réalité, pour être honnête, je pressens que ma réponse ne va pas de soi. Ça se termine ainsi avec les hommes âgés : ils disparaissent avant qu’on ait pu crier ouf.
« Je suis votre futur lecteur, reprend-t-il. Faites-moi ce plaisir, trouvez quelqu’un pour la traduire, comme ça, mes confrères congolais pourront eux aussi la lire. »
Je lui en fait la promesse.
Gérard tient encore à faire un petit tour sur le terrain de l’école de Boboto. L’établissement a porté différents noms : Collège Saint-Albert, Collège Albert-Ier, plus tard Boboto. Ce qui signifie « Paix ». Il a été édifié dans le pur style entre-deux-guerres des années trente. De grands palais en béton, aux petites fenêtres rondes semblables à des hublots. Autant de bastions de la civilisation belge. À l’origine, l’école a été construite pour les enfants des colons.
Le facteur (roman, 1993)
Nous passons devant les fenêtres des classes, regardons à l’intérieur. Un instituteur assis à son bureau. Tous les élèves travaillent en silence.
« Un instituteur ne doit jamais s’asseoir dans sa classe, me chuchote Gérard. Combien de fois j’ai pu le marteler ! »
Des garçons de l’internat, presque des adultes, jouent au basket. La balle claque sur le sol, s’envole vers le cerceau. La sueur dégouline sur les corps noirs des athlètes. Certains d’entre eux viennent saluer respectueusement Gérard, des membres du personnel ou, pour la plupart, des jeunes qu’il a eu comme élèves. Gérard se montre agréablement surpris. Il regrette de ne pas avoir appris à l’époque le lingala.
Pourquoi ?
« En tant que surveillant, me répond Gérard, j’ai toujours mis un point d’honneur à ce qu’ils parlent français. Donc, je n’avais pas besoin du lingala. J’en connais quelques mots, quelques expressions. Par exemple, quand on raconte une histoire au Congo, on commence toujours par ‘‘il y avait une fois’’, ce à quoi l’assistance répond Bu wakoonda ukala : il n’a jamais été ici. Autrement dit, dès le début, on annonce que l’histoire n’est pas vraie, que les personnages sont fictifs. À la fin, le narrateur conclut en disant Yitsimbwa kisukaa ko : l’histoire qui ne s’est jamais arrêtée. Ce à quoi l’assistance répond : Kisukidi. Ce qui signifie : l’histoire s’arrête ici. »
Je comprends ce qu’il veut dire : une histoire et tout l’imaginaire qu’elle suppose ne sauraient se prolonger sans fin, la fiction a ses limites.
Il me remercie pour la promenade. Il souhaite cirer ses chaussures avant le dîner, me confie-t-il, mais tient d’abord à me montrer les arbres qu’il a plantés sur le terrain de l’école. Le vaste jardin se révèle être une petite encyclopédie des essences forestières et fruitières. Il me les montre : le bananier, l’oranger, le mangoustanier, on dirait un poème.
Une chambre à Ostende
Juste derrière l’établissement se dressent plusieurs palmiers, plus grands qu’il n’eût pu jamais se les figurer. Il y a aussi un arbre de parfum aux fleurs jaunes en forme d’étoile ainsi qu’un arbre imposant de Kikwit, peuplé de perroquets. Le quercus congolensis ou chêne congolais, différentes euphorbes, et, au milieu de la cour, les vestiges d’une jungle tropicale. Gérard les caresse tous avec amour. Le tronc, les branches, les feuilles. Il se rappelle l’année exacte à laquelle il a planté chacun d’eux. Il en mentionne le nom : comme s’il s’agissait de ses anciens élèves, peut-être même d’amis proches.
« Kisukidi », dit-il.
L’histoire s’arrête ici.
Je tiens à tout prix à ajouter ceci : j’ai effectué une promenade à Kinshasa avec Gérard Verbraeken le 29 janvier 2015. Il était prêtre, membre de la Province jésuite d’Afrique centrale. Né à Beveren-Waas le 10 juillet 1933, décédé à Louvain le 24 octobre 2015. Peu avant de quitter pour la dernière fois Servico pour se rendre en Belgique, quatre semaines avant sa mort, Gérard a fait creuser quelques trous dans le jardin de la communauté. Il a planté lui-même des avocatiers qu’il avait pris soin de sélectionner.
Qui peut dire, dès lors, que ce que j’écris n’est pas vrai ?
traduit du néerlandais par Daniel Cunin
L'auteur s'entretient avec l’éditeur Harold Polis au sujet du roman Mille collines
Jan Sluijters, autoportrait, 1924 (coll. Stedelijk Museum Amsterdam)
Essayiste et critique d’art belge d’expression néerlandaise, Eric Min a signé de nombreux essais (sur les arts plastiques, la photographie et la littérature) ainsi que plusieurs riches biographies : James Ensor. Een biografie (Amsterdam/Anvers, Meulenhoff/Manteau, 2008), Rik Wouters. Een biografie (Amsterdam/Anvers, De Bezige Bij Antwerpen, 2011), De eeuw van Brussel. Biografie van een wereldstad 1850-1914 (Le Siècle de Bruxelles. Biographie d’une métropole 1850-1914, Amsterdam/Anvers, De Bezige Bij Antwerpen, 2013), Een schilder in Parijs. Henri Evenepoel [1872-1899] (Un peintre à Paris. Henri Evenepoel [1872-1899], Amsterdam, De Bezige Bij, 2016). Enfin, avec la complicité de Gerrit Valckenaers, il a donné une histoire culturelle de Venise (Anvers, Polis, 2019).
En cette année 2021 paraît de sa main Gare du Nord, un ouvrage consacré à des écrivains et artistes belges ou néerlandais ayant vécu à Paris dans la seconde moitié du XIXe siècle ou dans la première du XXe, certains très connus (Jongkind, Simenon, Rops, Verhaeren, Van Dongen, Masereel…), d’autres beaucoup moins. C’est un passage de ce livre que nous proposons ci-dessous avec l’aimable autorisation des éditions anversoises Pelckmans.
Le style radical du Kees van Dongen (1877-1968) des années 1905-1906 a inspiré plus d’un de ses confrères. Son premier héritier direct n’est autre que son compatriote Jan Sluijters, originaire de Bois-le-Duc. En 1906 justement, celui-ci visite le Salon des Indépendants ; les œuvres que son aîné y expose l’impressionnent. À 24 ans, Sluijters rentre d’Espagne où il a effectué un voyage d’étude grâce à la bourse annuelle qu’il perçoit en tant que lauréat du prix de Rome (1904), prix institué aux Pays-Bas un siècle plus tôt par Louis Bonaparte, roi de Hollande. Encore engoncé dans les styles académiques, le jeune artiste se permet tout au plus quelques excursions dans le symbolisme de Burne-Jones ou les lignes gracieuses des affiches de Chéret[1]. Un Prix de Rome ne peut se permettre de se défouler à sa guise, il continue de s’inscrire dans la tradition. Deux ans plus tard, le peintre revient sur ses débuts : « Un tel voyage est inestimable. On y apprend ce qu’on n’a pas le droit d’apprendre et on désapprend ce qu’on a appris. Magnifique[2] ! »
J. Sluijters, Portrait de Bertha Langerhorst (1903)
Plonger sans transition dans un Salon dont tout le monde parle constitue un tout autre apprentissage. Bien qu’il ait déjà réalisé un petit nombre de travaux modernistes, Jan vit les Indépendants comme une véritable révélation. Il constate que les fauves vont un peu plus loin que les membres de leur génération : sous leurs pinceaux, il relève un emploi sans retenue de couleurs vives ainsi que des formes familières fortement déformées – il n’est plus besoin de représenter les figures de manière réaliste, rien n’empêche de gros grumeaux de vermillon ou d’azur d’éclabousser la toile. La ville où il contemple ces expérimentations a elle aussi son importance. Sur le chemin qui l’a conduit au prix de Rome, Sluijters a eu l’occasion de se rendre à quelques reprises à Paris : tel l’aimant, la capitale l’attire. Début 1904, il écrivait à Bertha Langerhorst (1882-1955), sa bien-aimée qu’il portraiturera maintes fois, que Paris est une fête. Un soir, lui et son ami Leo Gestel descendent quatre bouteilles de vin : « À Paris, une bouteille de vin que l’on boit sur l’un des plus grands boulevards coûte la somme de 1 franc et 50 centimes – inutile de t’en dire plus. À Paris, tout est grandiose, vraiment. C’est extraordinaire…[3] »
En plus de se saouler dans les bistrots et brasseries, les peintres se grisent d’inspiration. Sur les boulevards et dans les cafés-concerts, Jan déniche les motifs qui font la différence et qu’on ne trouve ni au Louvre, ni au Prado. Aussi a-t-il hâte de retourner dans la Ville lumière ; cependant, la commission qui gère l’argent du prix de Rome l’envoie en Espagne pour y copier des toiles dans les musées. Sur place, le Néerlandais s’empresse de boucler son programme imposé de façon à arriver dans la métropole française juste avant la fermeture du Salon des Indépendants. En ce début d’année, cette exposition qui fait souvent scandale accueille des innovateurs tels Henri Matisse, Albert Marquet et Henri Manguin – tous viennent d’ailleurs de l’atelier de Gustave Moreau, symboliste qui ne témoigne pas moins d’une grande ouverture d’esprit, atelier où Henri Evenepoel[4] a vécu ses plus beaux jours. Ces trois artistes, avec lesquels Van Dongen noue des liens, forment le noyau dur des fauves.
Cependant, ces derniers ne s’approprient qu’une place relativement modeste au sein d’une manifestation où plus de cinq mille œuvres et plus de huit cents artistes se disputent l’attention des visiteurs. Avec six peintures et deux aquarelles, Kees van Dongen n’occupe certes qu’un espace restreint, mais pour Jan Sluijters, les créations en question constituent un vrai choc, en particulier Le Moulin de la Galette (photo). Cette scène de bal aux chatoiements électriques éblouissants et à « la foule des danseurs qui se démène dans les profondeurs de la salle », ainsi que l’écrit le quotidien Het Nieuws van den Dag, représente une pièce de résistance sur laquelle visiteurs et critiques se cassent les dents – à moins qu’elle ne suscite leurs gros rires : après tout, une sortie aux Indépendants, c’est un peu effectuer un voyage de distraction. Une sortie au zoo.
Jan Sluijters, Vue de Paris
En mai 1906, Sluijters est donc de retour, et cette fois-ci, Bertha, qu’il a entre-temps épousée, l’accompagne – autrement dit, Paris est plus que jamais pour le peintre un rêve devenu réalité. Jusqu’à la mi-octobre, le couple loue une chambre crasseuse de l’hôtel Chaptal, rue de la Rochefoucauld, entre la Nouvelle Athènes et Pigalle – base idéale pour partir à la découverte des réjouissances qui se déroulent dans le triangle d’or que forment le Bal Tabarin, le café du Rat-Mort et le Moulin Rouge[5]. Le peintre ne se soucie guère de l’état de délabrement de l’hôtel, étant donné qu’il a pour dessein « de réaliser des études de la vie des boulevards, des cafés et des quartiers intéressants de la ville[6] ». Ce à quoi il s’adonne avec empressement. De la fenêtre de sa chambre, il peint le tumulte de la rue ainsi que les toits plantés de cheminées – pour quiconque pose des yeux gourmands sur l’existence, chaque motif vaut la peine d’être retenu. On peut être sûr que les membres du Comité du prix de Rome, en lisant son programme, ont été à deux doigts de s’étouffer : si leur protégé se propose de peindre des vues de la capitale (le pont Alexandre-III construit en 1900), il entend aussi s’atteler à des scènes dans une brasserie du boulevard des Italiens ainsi que dans un bistrot des Halles où les maraîchers se retrouvent la nuit. Au café du Rat-Mort, Sluijters croque au pastel et à l’aquarelle un soldat qu’une prostituée est en train d’appâter (photo tout en bas, coll. particulière). Dans ses travaux, on voit ainsi défiler pour ainsi dire tous les styles : un impressionnisme tardif ensoleillé, quelques touches pointillistes, une facture à la Van Gogh et – finalement – un prudent fauvisme. Sous l’impitoyable soleil de juillet, il peint un coin de Montmartre : « Les maisons d’un blanc jaunâtre cuisent sous les vibrations d’un ciel d’un bleu violet, parsemé de petits nuages orange ; sur le sol, les ombres offrent un fort contraste avec les pavés d’un jaune lumineux[7]. »
Mais c’est au milieu des kermesses et dans les cafés à la nuit tombée que l’artiste brille au sens littéral du terme, tel un épigone virtuose de son concitoyen Van Dongen. La légende veut qu’il ait mis en scène, sur place, au Bal Tabarin, les personnages du tableau Café de Nuit, lancés dans une danse frénétique ; certes, pourquoi ne pas l’imaginer, retiré dans un coin de l’établissement, brossant au minimum une ébauche préparatoire sur les 30 x 40 cm de la toile ? Le blanc et le jaune éclatant des lampes se répercutent sur le bleu du fond. Le frou-frou des robes suggère le mouvement. Dans le monumental Bal Tabarin (photo) que l’artiste mettra en forme l’année suivante, une foule en fête danse avec enthousiasme sous une cascade de lumière, les lampes paraissant des guirlandes de feu – il suffit d’entrer « Bal Tabarin » dans un moteur de recherche pour voir surgir et tourbillonner d’innombrables reproductions de cette œuvre. Bientôt, les futuristes italiens prendront le relais des fauves en avançant des notions telles que simultanéité et synesthésie. Tout comme dans les créations parisiennes de Jan, les leurs retentiront des bruits de la rue et de la musique des bals. Où les peintres modernes auraient-ils pu rencontrer l’effervescence de la fête à son comble si ce n’est au Tabarin, là où les femmes étaient peu farouches et où de vrais Noirs écumaient la piste de danse ? En cette même année bénie de 1906, le peintre italien Gino Severini[8] échoue à Montmartre où il va élaborer sa toile révolutionnaire Hiéroglyphe dynamique au Bal Tabarin ; entre-temps, le virus du futurisme l’a contaminé.
Le Paris de Sluijters, c’est une ville dans la nuit éclairée par une lumière artificielle. Près de la Porte Maillot, il surprend des fêtards en pleine kermesse – sur les manèges, les lampes clignotent, s’allument et s’éteignent (photo). Dans ses études pour le portrait d’une danseuse espagnole qu’il entend réaliser pour le Comité du prix de Rome, il se lâche, capturant des formes dynamiques dans des boucles et de grands à-plats. Pourquoi les bras de cette femme ne seraient-ils pas verts, sa poitrine jaune et ses cuisses bleu clair ? N’est-ce pas ce qu’ont fait Gauguin et Matisse ? Ce qu’il voit début octobre, au Salon d’Automne, ne fait que renforcer son intuition. Plus tard, rentré aux Pays-Bas, il exploitera ses esquisses pour en tirer des œuvres abouties. Après son tableau « scandaleux » Deux femmes s’embrassant, le jury du prix de Rome décide de ne pas lui renouveler sa bourse. Autrement dit, l’homme qui aime tant mettre dans sa bouche l’expression : « Le beau, c’est le laid » s’est trop tôt précipité sur la voie de la modernité.
Tout au long de sa carrière, l’artiste va vivre sur ce qu’il a vu et expérimenté à Paris. Il retourne quelques fois dans la capitale française pour y retrouver la nuit qui lui manque tant à Amsterdam et pour découvrir du côté de Montparnasse, pas à pas, le cubisme. C’est ainsi que l’art moderne cherche et se fraie un chemin : à force de contempler, de regarder en arrière, de trouver, d’oublier, de se souvenir et de répéter. Tout cela non sans des variations, des changements de rythme, des succès et des échecs. Où, selon la formulation propre à Jan Sluijters : « Je ne peins pas des objets, je peins mon émotion, la sensation des objets. […] Si le musicien est à même de trouver des sons qui restituent une image pure de son émotion, pourquoi pareille émotion ne pourrait-elle pas être traduite par des couleurs et des formes ? Et pourquoi le peintre se tromperait-il dans son dessin et ses couleurs lorsqu’il donne une représentation de couleurs et de lignes qui soulignent la forme cristallisée de cette abstraction ou qui s’écartent de la réalité photographique[9] ? »
traduit du néerlandais par Daniel Cunin
Jan Sluijters parisien, luministe puis cubiste
[1] Edward Burne-Jones (1833-1898), peintre anglais appartenant aux « préraphaélites ». Jules Chéret (1836-1932), peintre et dessinateur français, surtout connu pour ses affiches ; Jan Sluijters en dessinera lui aussi.
[2] Anita Hopmans, Helewise Berger, Karlijn de Jong & Wietse Coppes, Jan Sluijters. De wilde jaren, WBooks, Zwolle, 2018, p. 7.
[3]Ibid, p. 12. Leo Gestel (1881-1941), peintre néerlandais.
[4] Henri Evenepoel, peintre, dessinateur et graveur belge, né à Nice le 2 octobre 1872 et mort à Paris le 27 décembre 1899. En 2016, Eric Min lui a consacré une biographie : Een schilder in Parijs – Henri Evenepoel (1872-1899).
[5] Le Bal Tabarin était situé au 36, rue Victor-Massé, le café du Rat-Mort à l’angle de la place Pigalle et de la rue Frochot. Quant au Moulin Rouge, il trône toujours sur la place Blanche.
[6] Lettre de Jan Sluijters à Jérôme Alexander Sillem, 22 mai 1906 (Archives de Hollande septentrionale, Haarlem).
[7] Lettre de Jan Sluijters à Vincent Cleerdin, 2 décembre 1906 (Bibliothèque universitaire, Leyde).
[8] Gino Severini (1883-1966), peintre futuriste italien. Dans son sillage, l’Anversois Jules Schmalzigaug a réalisé en 1913 et 1914 de nombreuses « expressions dynamiques du mouvement » de danseuses, d’intérieurs de cafés et de salles de bal baignés de lumière électrique.
[9] Jan Sluijters, « Nieuwe schilderkunst », lettre envoyée à la rédaction de l’hebdomadaire politico-culturel De Amsterdammer, publiée dans la livraison du 17 mai 1914 (citée par ailleurs dans Jan Sluijters. De wilde jaren, p. 124).