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En 2010, une exposition rehaussée d’une publication d’un format original (1) a permis de redécouvrir le peintre Thomas Cool (1851-1904). Cet homme né en Frise a fait assez tardivement le choix de la vie artistique. Il a placé la Rome ancienne au cœur d’une œuvre à laquelle le Stedelijk Museum d’Amsterdam a consacré une rétrospective posthume en janvier-février 1916.
Th. Cool a laissé quelques traces dans la littérature néerlandaise. On pense que le personnage Duco van der Staal du roman Langs lijnen van geleidelijkheid(2) de Louis Couperus est en partie basé sur la figure de ce Hollandais qui affirmait « ne jamais peindre ce qu’il voyait, mais ce qui transportait ses yeux vers une vie plus élevée ». De son côté, Maurits Wagenvoort (1859-1944) a brossé un portrait du talentueux artiste (sous les traits du peintre Terhaer) et de ses proches dans son roman anarcho-parisien De droomers (Les Rêveurs, 1900). Cet écrivain, contemplant à nouveau des œuvres de son défunt ami en 1930 à l’occasion d’une exposition organisée à La Haye, réitère son admiration en parlant « d’une facette géniale de son inspiration ».
Forum Romanum, pastel
Mais c’est essentiellement grâce à Tine, l’une de ses filles, que les lecteurs ont mieux fait connaissance avec Thomas Cool. En 1928, la jeune femme publiait Wij met ons vijven in Rome dont une traduction anglaise a vu le jour récemment grâce à l’initiative d’un homonyme et arrière-petit-fils du peintre (3). Certes, l’ouvrage, qui a connu un réel succès, s’adressait à un jeune lectorat ; mais pour nous, il offre un témoignage sur une famille qui, de 1892 à 1896, a vécu dans le cadre privilégié de la Villa Strohl-Fern. L’Alsacien Alfred Wilhelm Strohl l’avait acquise en 1879 ; il l’aménagea pour en faire un point de chute pour des artistes. Ainsi, Rilke y a séjourné au début du XXe siècle. Légué au gouvernement français, le lieu a abrité à partir de la fin des années cinquante le Lycée Chateaubriand. En 2012, une exposition a remis en mémoire ce passé glorieux où la Villa accueillait nombre de personnages de renom.
Interieur du Dôme de Milan
À l’époque où Th. Cool travaille à Rome, le critique d’art allemand Albert Zacher lui rend visite. Cette rencontre a inspiré à ce dernier une belle page publiée dans le Franfürter Zeitung du 9 juin 1895. Il est permis de penser que les hommes de lettres Gabriele D’Annunzio et René Doumic sont eux aussi passés par l’atelier du Frison. Dans la Ville Éternelle, la colonie hollandaise, que Couperus et Wagenvoort fréquentaient, comptait alors au moins deux autres artistes en vue : le sculpteur Piet Pander (1864-1919) et le paysagiste Romolo Koelman (1847-1920).
D. Cunin
(1) Willem Winters, Thomas Cool. Een Friesch schilder. 1851-1904, Leeuwarden, Perio, 2010.
(2) On peut en lire la traduction récente en anglais de la main de Paul Vincent : Inevitable.
(3) C.A. (Tine) Cool,The five of us in Rome. An artist’s family in Villa Strohl-Fern in Rome 1892-1896, traduit dunéerlandais par Th. Cool, La Haye, 2011.
Quelques images de l’exposition « Artisti a Villa Strohl-Fern » (2012)
The five of us in Rome
QUATRIÈME DE COUVERTURE
The Five of us in Romeis the delightful story told by a young girl who arrives in Rome in 1892 almost 5 years old and who leaves in 1896 as a 9-year old. Her father is an art painter who rents an atelier with family living quarters in the Villa Strohl-Fern, a mansion full with other artists, situated in a lush park close to Villa Borghese and the Academies of Art - in this period still on the outskirts of Rome. The story received the prize of the best book for girls in 1928 in Holland.
Given the amassed artistic talent at the Villa Strohl-Fern and its particular role in art history Tine’s book has become a remarkable historical document as well. It relates about life at the Villa in its early years, and the family story connects with historical figures from this special place and period. This first translation in English includes many historical links that do not appear in the 1928 Dutch original.
Thomas Cool
Around 1895 countries had kings and emperors, people rode in horse drawn carriages and steam trains, the telephone was only an invention. Nations had the Prix de Rome for their best young art talents to study in the Eternal City. Many of them later made a name. The painter from Holland is older and comes with his wife and three children, all paid for by his father, a manufacturer. He has his aim in art: “Rembrandt opened our eyes by painting directly what the world offers. He taught us his effects of light and dark. Above all, according to me, he embodies the phenomena in nature and the dramatic sentiment by which I experience the world.” When his daughter Dientje gets ill with malaria perniciosa he has to choose between his family and his desire of artistic fulfillment in Italy. All the while Tine’s eye and heart record how it is to be a young girl in a foreign land and in that garden between artists.
Tine’s style in Dutch is lofty and tinges on the formal. This English translation is more fluid but the lofty Father and Mother have been retained. This edition is not intended as a children’s book but is for readers with an interest in cultural history and the joy in life.
Tine Cool (1887-1944) was a garden architect and writer.
UN EXTRAIT
«The Pantheon », p. 111-114
Panthéon, Rome, huile
Th. Cool, Messe à Saint-Pierre
Cornelis Veth, « Architectuurschilder van beteekenis »
« Et il y a les traductions. Ah, si on ne traduisait que les œuvres vraiment représentatives et dignes de rendre témoignage ! Mais vous savez trop bien que cela n’est pas et qu’ici comme ailleurs le scandale fait prime. On est en train de traduire le Voyage au bout de la Nuit de Céline. Voulez-vous mon avis ? On peut aimer ce livre d’une probité certaine, mais plutôt faisandé et relevé d’un haut-goût un peu particulier. Il est certain cependant que la traduction de ce livre n’ajoutera rien à la gloire de la France. Ce Voyage n’est pas, ne devrait pas être un article d’exportation. »
« Probité littéraire », Escher Tageblatt, 2 septembre 1933
Dans un supplément de l’Atlantic Monthly, consacré principalement à la littérature de la Belgique et des Pays-Bas, l’écrivain néerlandais Adriaan van der Veen raconte que, peu avant la guerre, son compatriote, le grand essayiste Menno ter Braak, participait à Paris à un congrès international d’écrivains. De nombreux orateurs avaient pris la parole avant lui et l’audience était passablement fatiguée, lorsqu’il lui fut donné d’intervenir à son tour dans le débat. La soif avait fait émigrer vers le bar la quasi-totalité des hommes de lettres. Tandis que Ter Braak exposait ses vues pertinentes la salle continuait de se vider. Bientôt, il ne resta plus de l’auditoire que l’écrivain Heinrich Mann et le président du Congrès. L’auteur de Professor Unrat se pencha vers le président et lui glissa dans l’oreille une phrase qu’entendit Ter Braak : « Mon Dieu, qui cela peut-il bien être ? » Et le président de répondre : « Réellement, je n’en sais rien. »
Cette anecdote, Adriaan van der Veen la tient du regretté Ed. du Perron, l’un des écrivains contem- porains néerlandais qui fait honneur à la littérature universelle, et il rapporte la morale que Du Perron tirait de cette histoire : « C’est une chose terrible que d’écrire dans un langage secret. »
Langage secret, langue confidentielle, le néerlandais n’a pas l’audience auquel il a droit de par le caractère des œuvres littéraires qui paraissent aux Pays-Bas.
Certes, on n’ignore pas entièrement la prose néerlandaise à l’étranger. Des écrivains comme Antoon Coolen, Den Doolaard, Fabricius, Jan de Hartog, J. W. Hofstra, Arthur van Schendel ont été traduits en français, pour ne citer que quelques romanciers au fil de l’alphabet. Mais on ne peut prétendre que la littérature des Pays-Bas est « illustrée » en Europe grâce aux œuvres de ces écrivains. À de rares exceptions près, les romans traduits l’ont été en fonction d’un critère régionaliste. C’est ainsi que le roman Bartje – d’inspiration et d’exécution essentiellement régionalistes – à été traduit en vingt-deux langues, et que Hilde, également de la main d’Anne de Vries, n’est pas loin du compte.
Avec amertume, Adriaan van der Veen constate que ce serait un stimulant non négligeable pour les écrivains néerlandais les plus doués si le petit groupe international des éditeurs consacrait un peu plus d’intérêt à la véritable littérature hollandaise qui, assurément, comporte quel- ques-unes des beautés qu’on admire dans la peinture de ce pays.
Or, qu’entend retirer le lecteur étranger d’un livre traduit d’une « langue confidentielle » ? Bien souvent, avant tout, le secret d’une mentalité qui n’est pas la sienne, une vision qui lui permette d’accéder à l’âme d’un peuple inconnu, aussi, une certaine « couleur locale ». C’est en fonction de ce critérium qu’ont été traduites les œuvres néerlandaises qui passent à tort pour représentatives de la littérature des bas pays. Dans cette nation de vieille culture, l’élément anecdotique régional fait la plupart du temps défaut. Le roman néerlandais – pour ne parler que de lui – est axé principalement sur des conceptions de vie universelles, sur des instants humains immuables, que la barrière des langues ni même la géographie ne transforment dans leur essence. C’est ce qui oblige Mme A. Romein-Verschoor, dans un essai sur la littérature hollandaise contemporaine (1), à se demander s’il y a vraiment un esprit hollandais. Il y en a un, déclare-t-elle, et il est d’une nature peut-être plus personnelle que tout autre esprit national, et aux racines plus profondes. « Il n’est pas moins déterminé par l’histoire que par le climat et le paysage et il ne s’apparente guère visiblement aux sabots ni aux moulins. Un de ses caractères réside précisément dans la faculté d’adaptation qu’un petit pays de commerçants a acquise au cours des siècles par la fréquentation assidue des nations environnantes et, comme conséquence, dans un nationalisme plutôt faible ou du moins critique. L’écrivain hollandais d’aujourd'hui est Hollandais parce qu’il ne peut faire autrement, mais le but conscient qu’il poursuit est plutôt d’atteindre un niveau européen que d’exprimer l’âme nationale. Il se rend parfaitement compte que la prérogative d’exprimer de façon consciente l’âme nationale est l’apanage des grands peuples culturels, mais que si un petit peuple s’y aventure, il tombe aisément dans un chauvinisme creux. Et il y a peu de choses qu’il craigne davantage. Mais cela conduit d’autre part à un isolement étroit, à une conversation littéraire sans partenaire, qui nous accable d’autant plus que nous sortons de cinq années de solitude absolument complète. »
Ces considérations n’enlè- vent rien à l’urgence du problème de la traduction d’œuvres parues dans une langue de peu de rayon- nement. En prenant comme base l’année 1952, l’on constate qu’aux États-Unis un seul livre néerlandais a pu atteindre le grand public : le Journal d’Anne Frank, paru comme pocket-book. Deux romans néerlandais ont eu une édition courante : The Great Ordeal, de Fabricius, et Joachim, de l’auteur flamand Marnix Gijsen. En Angleterre, au cours de la même année, a paru un livre de Jan de Hartog ; en France, un De Hartog également (Jan Wandelaar), et un Albert Helman. Ce n’est qu’en Allemagne qu’une vingtaine de romans néerlandais ont paru en traduction, dont six livres de Simon Vestdijk. Cette situation, plus satisfaisante ici qu’ailleurs, ne peut cependant être considérée comme la preuve d’un réel succès de la littérature néerlandaise dans ce pays, du fait qu’il ne s’agit que d’un très faible pourcentage d’œuvres traduites du néerlandais dans la masse de livres étrangers parus en Allemagne (30% de la production totale).
Ces chiffres, empruntés à une étude de G. Söteman sur le problème des traductions (2), donnent peut-être une image trop sombre de la situation. L’auteur lui-même indique d’ailleurs que la littérature néerlandaise est loin d’être absente dans le monde. En effet, un écrivain important comme Louis Couperus a été traduit soixante-dix fois ; Arthur van Schendel, vingt fois ; Frederik van Eeden, quarante fois ; Johan Fabricius, cinquante fois ; Madelon Székely-Lulofs, trente fois ; Antoon Coolen, trente fois, etc.
Il n’en demeure pas moins vrai que l’importante contri- bution littéraire d’un Slauerhoff, d’une Clare Lennart, d’un Belcampo, d’une Carry van Bruggen, d’un Bordewijk, d’une Top Naeff, d’un Artur van Schendel ou d’un Simon Vestdijk, pour nous borner à quelques écrivains contem- porains « établis », mérite d’être enfin connue de l'étranger.
N. H., « La littérature néerlandaise, un monde à explorer », d’Letzeburger Land, 16 juillet 1954, pp. 9 et 11
(1) Alluvions et Nuages, éd. Querido, Amsterdam, 1947.
Amstellodamois né en 1962, Guido van Driel a fait des études d’histoire. Artiste autodidacte, il est illustrateur, bédéiste et cinéaste. Réalisés pour la plupart à l’acrylique sur papier noir, ses romans graphiques sont édités par la maison Oog & Blik.
Basé sur l’album Om mekaar in Dokkum (2004), son premier film De wederopstanding van een klootzak (La résurrection d’un connard) a été retenu en 2013 pour ouvrir le Festival international de Rotterdam. Depuis, Guido van Driel travaille à une adaptation de Toen we van de Duitsers verloren (Le jour où les Allemands nous ont battus), album dans lequel il est question d’une mort dramatique et de football. Des thèmes que l’on retrouvedans son dernier roman graphique Gasten (2012), qui vient de paraître en français aux éditions L’agrume, sous le titre Les visiteurs. Le personnage central en est la ville d’Amsterdam.
format : 22 x 30 cm
144 pages couleur
traduction : D. Cunin
20 euros
ISBN : 979-10-90743-26-7
entretiens (en néerlandais) avec Guido van Driel
LE MOT DE L’ÉDITEUR
Syd et Roger, deux supporters de l’équipe d’Angleterre de foot arrivent à la gare d’Amsterdam. À la différence des autres touristes, ils ne se rendent pas tout de suite au centre de la ville mais empruntent le bac pour gagner un autre quartier. Après une première canette de bière sur les rives de l’IJ, Syd dit à son ami : « C’est là qu’ils ont retrouvé son cadavre. » Il parle de son frère jumeau, mort noyé mystérieusement quelques mois plus tôt. Syd et Roger regagnent ensuite le centre de la ville pour une balade hallucinée et interlope, entre prostituées, champignons hallucinogènes et supporters de foot. Chemin faisant, Syd marche sur les pas de son frère décédé pour tenter de donner un sens à sa mort.
Une sorte de quête existentielle qui restera vaine, et où, tous les événements que les personnages essaient de comprendre, semblent le fait du hasard…
Fondée en 2002, la revue Nunc consacre, sous la direction de Marie-Hélène du Parc Locmaria, le dossier de sa dernière livraison à la Néerlandaise Etty Hillesum, née voici un siècle et dont les écrits connaissent un vif succès dans le monde francophone. Comme les précédents, ce numéro 34 se double d’une édition de luxe, un tirage limité proposant une œuvre originale de l’artiste invité, dans le cas pré- sent François-Xavier de Boissoudy.
Sur la base de quelques documents qui n’étaient pas encore accessibles en français, Philippe Noble – qui a donné les traductions Une vie bouleversée (1985) et Lettres de Westerbork (1988) avant de s’adjoindre la collaboration d’Isabelle Rosselin pour transposer en 2008 l’intégralité des Écrits d’Etty Hillesum – revient sur les dernières semaines des membres de la famille Hillesum.
Ce dossier, précise l’introduction, « tire son unité d’un fil conducteur : comment Etty Hillesum donne-t-elle la parole à d’autres ? Le premier article tentera une réflexion sur l’engendrement et l’enfantement par la parole, ainsi que les raisons de l’audience d’Etty Hillesum. […] Dans sa contribution, Ingmar Granstedt […] raconte dans toutes ses nuances la conversion accomplie par Etty Hillesum dans ses relations aux autres. La lecture des œuvres de C. G. Jung a joué dans ce parcours un rôle important, comme l’explique Nadia Neri.
« La spiritualité d’Etty Hillesum est avant tout un chemin intérieur qui se prête à des lectures multiples. Aucune n’épuise l’œuvre, mais leur faisceau nous aide à l’ouvrir en nous. Monique-Lise Cohen nous révèle le terreau juif et hassidique des écrits d’Etty Hillesum. Karima Berger nous offre une méditation sur la découverte de l’intériorité et du nom de Dieu par la jeune femme. François Marxer revient sur ce qui rapproche et ce qui sépare Etty Hillesum de R. M. Rilke qu’elle a tant aimé lire et leur façon de parler de Dieu. Un dernier article offre une lecture du parcours de la Néerlandaise à l’aune de la sentence de saint Augustin : ‘‘aime et fais ce que tu veux’’. »
Mischa Hillesum
Pour notre part, il nous a semblé utile de proposer, au sein de cet ensemble, un sobre compte rendu d’un ouvrage dont aucune traduction n’est annoncée dans les pays voisins de la Hollande : Jan Willem Regenhardt, Mischa’s spel en de ondergang van de familie Hillesum (Le Jeu de Mischa et la fin de la famille Hillesum), suivi d’une postface sur l’œuvre musical de Mischa Hillesum par Leo Samama, Amsterdam, Balans, 2012. Ce sont ces quelques paragraphes purement informatifs que nous reproduisons ci-dessous.
M.-H. du Parc Locmaria, « Introduction », p. 25-27.
Philippe Noble, « La fin de la famille Hillesum : Westerbork et après », p. 28-32.
Daniel Cunin, « Au sujet de Mischa », p. 33-34.
Laurence Brisset, « Un tout petit mot à dire », p. 35-36.
M.-H. du Parc Locmaria, « Le souffle d’une écriture ou l’Engendrement par la parole. Etty Hillesum : pourquoi une telle audience ? », p. 37-43.
Ingmar Granstedt, « Des relations sans fin », p. 44-52.
Nadia Neri, « Etty Hillesum et C. G. Jung », p. 54-56 (traduit de l’italien par Anne Thielen).
Monique-Lise Cohen, « Etty Hillesum. Chemin de prière et d’écriture (la voix et la patience) », p. 58-71.
François Marxer, « Etty Hillesum, lectrice de Rainer Maria Rilkeou les amours d’une belle infidèle », p. 80-91.
M.-H. du Parc Locmaria, « La loi de l’amour », p. 92-96.
Marianne Boer joue les deux préludes de Mischa Hillesum, ses seules oeuvres
Vie de Mischa et fin des Hillesum
Le livre Le Jeu de Mischa et la fin de la famille Hillesum narre l’existence du benjamin de la famille Hillesum, Mischa, né en 1920, musicien prodige qui dès l’âge de six ans stupéfie son monde en interprétant des morceaux très difficiles au piano. L’auteur a mené des recherches sur les personnes que mentionne Etty dans son Journal ; le résultat de ce travail a été intégré dans les notes de l’édition définitive des écrits de la jeune femme. Il avait toutefois conservé de nombreux documents sur Mischa. La découverte récente de partitions du garçon l’a incité à replonger dans ses archives et à écrire cet ouvrage. On a entre les mains une biographie du musicien en herbe en même temps que le tableau de toute une famille. Ces pages viennent éclairer dans une certaine mesure celles laissées par Etty.
Le titre renvoie à un récit célèbre de l’un des écrivains majeurs des Pays-Bas, Gerard Reve (1923-2006) : De ondergang van de familie Boslowits (La Fin des Boslowits, 1946). Cette œuvre décrit avec une grande sobriété les dernières années d’une famille juive hollandaise durant l’occupation nazie. On assiste à leur « crépuscule » à travers les yeux d’un enfant dont les parents sont liés aux Boslowits (1).
Utilisant entre autres les données qu’il a pu recueillir il y a un certain nombre d’années, dont de nombreux témoignages de personnes ayant connu les Hillesum, Jan Willem Regenhardt insère dans son propos, qui suit une trame chronologique assez souple, tout ce que l’on sait sur chacun des cinq membres de la famille, des origines des parents et de leur rencontre à leur déportation (lieu et époque probables de leur mort respective). La personnalité singulière du jeune Mischa – sans doute l’un des plus grands talents pianistiques de l’Europe du XXe siècle – permet de donner corps à cette histoire. Comme les autres membres de la famille, le garçon se distinguait par un côté génial et une grande fragilité. La « folie » des cinq Hillesum constitue ainsi un fil rouge passionnant à suivre. Très cultivés, les enfants n’ont reçu de leurs parents si dissemblables l’affection ni l’attention qui auraient pu leur fournir un réel équilibre.
Beaucoup de témoignages viennent étayer ce qu’Etty avance sur sa mère Rebecca (Riva), une femme à la fois distinguée et séduisante, mais par ailleurs incapable d’exploiter ses talents en raison d’une personnalité instable. Homme effacé, Louis, le père, est un érudit et mélomane qui se réfugie dans ses ouvrages sur l’Antiquité après avoir renoncé à une carrière de rabbin et s’être détourné de la tradition ; à la tête du lycée classique de Deventer, ce petit homme laid et timide, féru de philosophie stoïcienne, compense son manque d’assurance par le recours à une discipline de fer. Jaap, le cadet, passionné lui aussi de musique (les compositeurs les plus modernes, le jazz), semble doué pour la poésie ; il fait des études de médecine plutôt brillantes mais sombre dans des crises de schizophrénie. Pour ce qui est d’Etty, Le Jeu de Mischa revient sur ses aspirations, ses premières tentatives d’écriture, ses premières amours, les milieux politiques (sionistes et autres) qu’elle fréquente ainsi que sur ses troubles psychiques ; bien entendu, l’auteur ne se prive pas de citer des passages du Journal.
À l’âge de 11 ans, Mischa quitte Deventer et ses parents ; il est placé dans une famille juive d’Amsterdam, ville où il peut suivre une formation musicale correspondant mieux à ses dons. Mais en six ans, il ne connaîtra aucune stabilité : adresses et familles d’accueil se succèdent. Grand interprète de Chopin, il apprécie aussi beaucoup Stravinsky, Ravel et Kurt Weill, compositeurs encore peu goûtés et absents de l’enseignement au conservatoire. Le garçon écrase alors par son talent Alex Zwaap qui deviendra pourtant l’un des compositeurs hollandais les plus joués. Il fréquente un collège d’élite où il se sent bien et obtient de très bons résultats. Mais comme son frère et son père, il est lui aussi placé par périodes dans une institution psychiatrique. L’adolescent au visage d’enfant suit les cours de piano du jeune George van Renesse, reconnu comme l’un des plus grands pianistes néerlandais. Pour une raison administrative, Mischa abandonne toutefois sa scolarité. Son père souhaite le voir se consacrer plus pleinement encore au piano ; pour le reste, il entend qu’il suive des cours privés.
Mischa & Etty au piano, 1935
George van Renesse et Mischa deviennent très proches l’un de l’autre, mais le professeur ne peut guère apprendre grand-chose à son élève tant ce dernier est doué. À peine âgé de 14 ans, le benjamin des Hillesum donne son premier grand concert : son talent est reconnu par les plus grands spécialistes et des compositeurs renommés. Quand, un jour de 1938, il se produit à Amsterdam, son jeu impressionne une nouvelle fois l’assistance, mais tout le public a pu remarquer qu’il était totalement perdu dans son monde : on est obligé de l’asseoir devant le piano car, totalement désorienté, il ne sait pas ce qu’il fait sur la scène. Depuis son départ du collège, il ne connaît aucune stabilité. À peine sorti de l’enfance, il a probablement été troublé par l’affection que lui a portée une femme bien plus âgée que lui et qui l’a déniaisé. Malgré le succès que le beau garçon recueille auprès de la gent féminine, il restera toujours attaché à cette « protectrice » chez qui il demeure. Peu après le concert de 1938, Mischa est interné dans un hôpital psychiatrique juif qui accueille alors 900 patients, un véritable village où la thérapie par le travail et la religion prévaut – pour l’adolescent une première expérience dans un cadre dominé par la tradition juive.
encre de F.-X. de Boissoudy
Si Etty a pu garder un certain contrôle sur ses défaillances psychiques, il n’en est pas allé de même de ses frères. Mischa ne faisait qu’un avec son piano, il perdait tout contact avec la réalité, en particulier lorsqu’il se produisait dans un cadre solennel. Raison pour laquelle il n’obtiendra pas de bourse pour étudier à l’école Normale de Musique de Paris fondée en 1919 par Cortot alors même qu’aucun concurrent ne lui arrivait à la cheville. Mischa passe une année dans le service psychiatrique, subissant un traitement lourd car il a souvent un comportement imprévisible ; il se dit lui-même schizophrène. Il retourne ensuite vivre à Deventer chez ses parents où l’harmonie est loin de régner.
Pendant l’occupation du pays par les nazis, Louis Hillesum perd les fonctions qu’il occupait. Plusieurs personnes tentent de le convaincre de se cacher, mais il refuse. Cet homme qui n’a rien d’un Don Juan a alors une liaison passionnée avec une femme beaucoup plus jeune que lui, une de ses anciennes collègues. Fin 1942, les Allemands forcent la famille à quitter le domicile de Deventer ; comme la plupart des juifs de province, on leur attribue bientôt une adresse à Amsterdam. Là, Mischa et sa sœur, par exemple à l’occasion de concerts privés clandestins, côtoient de nombreux artistes juifs qui ont fui l’Allemagne. En juin 1943, Louis, Riva et Mischa font partie d’une grande rafle et sont conduits à Westerbork où Etty travaille. Malgré d’ultimes tentatives, ils n’échapperont pas à la déportation. Certains ont essayé d’obtenir la libération de Mischa (et de ses proches) en mettant en avant son talent hors du commun. Mais il semble que les démarches entreprises par sa mère aient fortement déplu à des militaires allemands de haut rang. Jaap est pour sa part arrêté quelques semaines plus tard. L’auteur décrit la fin probable que chacun a connue. Peu après son arrivée à Auschwitz, Mischa a été transporté à Varsovie pour aider à déblayer les ruines du ghetto. C’est là qu’il meurt.
Ce récit bien écrit est suivi (p. 273-284) d’un essai du compositeur Leo Samana sur les œuvres laissées par Mischa (dont un enregistrement) qui font l’objet du CD qui accompagne le livre.
L’ouvrage se referme sur des remerciements, les notes (p. 287-315), la mention des sources (p. 316-320) et un index des noms (p. 321-326).
Daniel Cunin
(1) Il existe une traduction française de ce texte : Gerard Reve, « La fin des Boslowits », traduction de Liliane Wouters, in Nouvelles néerlandaises des Flandres et des Pays-Bas, préface de Victor E. van Vriesland, Paris, Seghers, 1965, p. 258-277.
documentaire (en néerlandais) sur Mischa Hillesum
avec la participation de son biographe
Etty Hillesum : Le Journal d'une âme, de Claire Jeanteur