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Fils d’un écrivain résistant mort en déportation, auteur depuis toujours de la maison d’édition De Bezige Bij née en 1943 dans la clandestinité, Remco Campert est l’auteur d’une œuvre imposante. De Bezige Bij a retenu quelques-uns de ses vers – lesquels figurent d’ailleurs sur l’une des façades du siège de la maison d’édition – pour les faire traduire en 14 langues pour protester contre la guerre qui touche l’Ukraine.
Résistance
La résistance s’amorce non par de grands discours
mais par de minimes actes
de même que la tempête par un bruissement dans le jardin
Parmi les nombreux artistes que Fritz Vanderpyl a côtoyé au cours des premières décennies du XXe siècle, il y eut ceux de l’entourage de Guillaume Apollinaire, par exemple Max Jacob. Le 23 décembre 1908, le Hollandais note dans son journal intime : « Chez Apollinaire : Blum [?], Halpert, Salmon, Max Jacob, Cremnitz, Stein et sa sœur, une autre dame, Mme Picasso, Picasso. » La compagnie se retrouvait aussi assez souvent chez le père Azon : « Je retrouvais Derain dans un petit restaurant, en haut de la rue de Ravignan, se souvient Maurice de Vlaminck dans Tournant dangereux. C’était un petit bistrot pour cochers ou maçons qui se trouvait en face de l’atelier où habitaient Picasso et Van Dongen. Venaient prendre leurs repas dans cet endroit beaucoup de camarades connus ou morts à l’heure actuelle : Picasso et Max Jacob qui ne se quittaient pas, Apollinaire et Derain, Braque et Ollin l’acteur, Dupuis, capitaine de frégate ès lettres, Fritz Vanderpyl, André Salmon. Tous étaient pauvres mais pleins d’enthousiasme, de jeunesse. Le patron faisait crédit, jouait ses portions sur l’avenir de ses clients. Pauvre Azon ! Comme il n’avait pas les fonds nécessaires pour attendre bien longtemps, une faillite banale vint fermer son établissement. À deux heures du matin, l’air de la salle était irrespirable. La fumée épaisse des pipes et des cigarettes, l’alcool et le vin blanc, l’énervement général rendaient délirants les esprits surchauffés. C'est dans cette salle que naquit le cubisme. »
Outre les repas et les conversations, on partage des lectures : « 7 août 1914 – Je viens de voir le peintre Halpert chez lui, Bd Saint-Jacques. Il me prête le livre de poèmes bretons de Max Jacob et me montre une carte postale venue de Fontarabie, sur laquelle Delaunay l’engage à passer en Espagne, où l’on peut attendre les événements sans crainte. » (Cf. « Pages du journal inédit de Vanderpyl », présentées par Henri Certigny, Que vlo-ve, janvier-mars 1993). On est alors au tout début de la guerre. À l’instar d’un Blaise Cendrars, Fritz ne va pas tarder à s’engager dans les rangs de la Légion étrangère. Ce que Max Jacob apprend. Dans une lettre du 22 septembre à Daniel-Henry Kahnweiler, il transmet au marchand des nouvelles de leurs amis communs : « Guillaume Apollinaire est (à Orléans) à la Légion Étrangère avec Serge et Galanis. Ils y souffrent de voisinages peu agréables. Vanderpyl y est aussi et, je crois, Canudo. Aucune nouvelle de Salmon ; Mac Orlan blessé au pied est revenu puis reparti. » (Béatrice Mousli, Max Jacob, 2005, p. 154).
Relevons au passage que le premier livre que Kahnweiler publiera une fois le conflit terminé, dans sa nouvelle série aux éditions de la Galerie Simon, sera le recueil Voyages de Fritz rehaussé de dix-huit gravures sur bois de Maurice de Vlaminck. Il s’agit d’ailleurs du premier volume illustré par ce dernier. « L’ingénuité et la violence de Vanderpyl, l’auteur des poèmes, s’accordent à merveille avec le tempérament de Vlaminck », estime Claude Roger-Max (« Vlaminck illustrateur », in Plaisir de bibliophilie, 1927, p. 79).
En quelques occasions, Max et Fritz publient dans la même revue. Leurs noms sont ainsi réunis sur la couverture de Nord-Sud n° 6-7 (août-septembre 1917) à côté de ceux de Soupault, Apollinaire, Reverdy, Breton, etc. Dans le n° 4 d’Action. Cahiers individualistes de philosophie et d’art (juillet 1920 p. 4), Jacob publie un poème en prose intitulé « Jamais plus ! ». À compter de 1924, cette page relèvera des Visions infernales, recueil paru aux éditions Gallimard, que l’auteur lui-même regardait comme un « Cornet à dés chrétien ». Il s’agit d’une « traversée du démoniaque dans une confusion entre rêve, vision et réalité ; une ‘‘ethnographie du démon’’, comme il le précise dans le poème liminaire. L’atmosphère onirique est résolument placée sous le signe du cauchemar qui envahit l’individu laissé sans défense dans la nuit. » (Antonio Rodriguez, in Max Jacob, Œuvres, Quarto, 2012, p. 641)
Le visage du démon (portrait de F. Vanderpyl par Jean Marchand)
Dans la deuxième partie du poème, Fritz René apparaît : un démon ricanant qui lui ressemble invite Max Jacob tourner le dos à Dieu et à ses anges pour sombrer dans la nuit éternelle qui n’offre plus aucun accès ni à la Terre ni au Ciel. Faut-il voir dans ces lignes une provocation à l’égard de l’ancien légionnaire ? une goguenardise ? une forme de représailles ? Il faut dire que Vanderpyl ne prenait pas toujours des gants : « Sa franchise d’accent bien connue, sa verve parfois un peu rude et qui n’hésite pas à bousculer au besoin ses amis eux-mêmes, nous incitent à le suivre. » (R.C., « Chronique. Bibliographie », Art et décoration, janvier 1931, p. VII). La pique se fonde-t-elle sur le « rire, insolemment dionysiaque » de Fritz ? Sur le diable qui s’emparait de lui et « le précipitait dans les abîmes de la fureur », ainsi que l’évoque son ami André Salmon dans Souvenirs sans fin (1903-1940) ?
Ce qui est certain, c’est que la physionomie et la corpulence de Vanderpyl, sa barbe en bataille et sa pipe, ont marqué ses contemporains tout autant que sa faconde, sa jovialité, sa générosité ou encore ses emportements. Certains de ses amis l’affublaient du surnom Ratapouf. Un journaliste de La Petite République voyait en lui « un réjouissant Hollandais-méridional que tout le quartier Latin a connu. Le gros Fritz, comme on l’appelait familièrement, fut célèbre de la Closerie des Lilas aux Deux Magots. Il doit être même naturalisé petit Parisien. Ce qui lui donnerait du poids. » Le célèbre critique Louis Vauxcelles le décrit comme le « meilleur des garçons avec ses airs de sanglier » (« Souvenirs d’un vieux critique. Joachim Gasquet et le dîner des Tourelles », Beaux-Arts, 28 avril 1939, p. 5).
Le 7 janvier 1933, un journaliste, descendant en flammes dans L’Œil de Paris le portrait de Fritz peint par Charles Blanc, souligne le contraste entre bonhomie et disgrâce physique chez Vanderpyl, « le plus charmant des hommes, [qui ] n’a rien d’un Apollon. Il est coquettement obèse et son visage est de ceux dont les artistes disent poliment qu’il a du ‘‘caractère’’ ». Un autre commentateur défend le même tableau en recourant à un qualificatif pas forcément très flatteur pour l’intéressé : « Le Vanderpyl de Charles Blanc mérite une mention particulière par sa ressemblance frappante. La lèvre, les yeux, le nez sont ceux d’un bourru, du bourru bienveillant qu’est le poète gastronome. » (H.F., « Une visite au Salon d’Automne. La contribution des artistes algériens », L’Écho d’Alger, 9 novembre 1933, p. 2.) De même, toujours à propos de cette toile, L. Vauxcelles relève les manières rudes de son confrère qu’il connaissait bien : « Son Vanderpyl est beau de vie intérieure et de vérité. Le caractère intime de notre confrère, cette douloureuse tendresse qui se cache sous les éclats de la brusquerie, est ici senti et restitué. » (« Les salons d’automne », Excelsior, 1er novembre 1933, p. 6.)
F. Vanderpyl, par F. Desnos
En une autre occasion, le même auteur livre l'un des portraits les plus précis de son confrère : « J’aime Vanderpyl parce qu’il est un des très rares artistes de notre corporation encombrée de cuistres ; artiste qui sent et s’exprime avec une libre violence ; personnel en ses opinions, injuste parfois, passionné, sectaire, mais artiste jusqu’aux moelles. Vanderpyl – célèbre par ailleurs en tant que gastronome et critique érudit des choses de gueule ; Vanderpyl avec qui l’on aime faire un bon repas, parce qu’il sait l’arôme des bourgognes et la saveur des daubes, chérit la peinture comme il aime les bons plats : j’entends sensuellement, en gourmet ; et c’est ainsi – non en théoricien – qu’on doit goûter les arts plastiques ; Gasquet aimait la peinture de cette manière, qui est la vraie. Vanderpyl adore les tempéraments généreux, un Segonzac, un Dufresne, un Vlaminck ; il est, ne l’oublions pas, de souche hollandaise ; le truculent, la matière onctueuse, la belle coulée des pâtes, voilà son affaire ; ne lui parlez pas des doctes cubistes hyper-constipés : son rire, insolemment dionysiaque, éclaterait et sa voix rauque (‘‘ma voix de vieille mouette’’ écrit-il en ses délicieuses Gouttes dans l’eau) s’enflerait jusqu’à l’imprécation. Vanderpyl est un être malaisé à pénétrer, pour qui l’aborde ; on ne le comprend – on ne le devine – que si on l’a un peu pratiqué. Vous le jugeriez, à la première rencontre, paysan du Danube, ours mal léché, infumable ; sa tête ronde enfoncée en de costaudes épaules, son allure de vieux marin, ce je ne sais quoi d’abrupt, de rugueux, déconcerte, éloigne le raseur aimable. Mais que de finesse en ce regard triste ! Et quelle tendresse, qu’elle ferveur mêlées, dont il semble avoir honte ! Quel affectueux enthousiasme Vanderpyl dépense lorsqu’il est nécessaire de défendre les artistes qu’il apprécie, le poète Guy Charles Cros, le peintre Jean Marchand – décoré le même jour que lui – le céramiste catalan Durrio, des jeunes, tel Demeurisse… Ah ! le personnage étrange et paradoxal ! Il est lourd d’aspect, tangue en déambulant : or, Vanderpyl est un dandy (monocle, bagues, cravates amusantes) ; il affecte un langage haut en couleurs, dru, cynique, débraillé ; or, il est délicat, voire précieux ; grossier à l’occasion, coléreux en diable – et c’est un tendre… Il sera furieux, notez-le, que j’essaie de montrer au public le vrai Vanderpyl ; il me décochera un petit bleu d’engueulade : ‘‘Pourquoi dis-tu ça ? D’abord ce n’est pas vrai... Et puis, ça ne les regarde pas, etc…’’ » (« Le Carnet des ateliers », Le Carnet de la semaine, 18 septembre 1927, p. 16.)
Louis Vauxcelles, par Pierre Choumoff (INHA)
La présence de Fritz dans le poème en prose de Max Jacob a été relevée par un critique des Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques (11 décembre 1926) qui compose avec humour sur le recueil du Haguenois Des gouttes dans l’eau : « Et je sais tous les sons, et j’ignore les mots. Nous voici avertis : ces gouttes dans l’eau sont des notes de musique. Aucune ne se perd, toutes sont pour le moins curieuses, quelques-unes très pures. En marge de ce petit livre, des mots indiquent et expliquent la façon de lire qui lui convient : alerte, digne, avec force, explicatif joyeusement, avec passion, très lentement. Pour l’acteur des soirées poétiques de l’Odéon ou de la Comédie-Française, très bien. Vanderpyl a inventé le poème - coquetail (selon l’orthographe de M. Eugène Marsan.) Quelques mots d’italien, deux ou trois vers en hollandais, deux strophes en anglais, un peu d’allemand, secouez fort et avalez d’un trait. La poésie vous monte à la tête. Ce qu’il faut dire aussi c’est que M. Vanderpyl n’est pas qu’un poète particulièrement original, c’est aussi un gourmet. Il sait cuisiner et le prouve, même, avec des gouttes d’eau. D’ailleurs Max Jacob a écrit que Vanderpyl, qui se révolte contre tant de choses, ressemblait au diable et c’est tout dire. »
D. Cunin
JAMAIS PLUS !
Tu as vécu en face de l’Église, dans des salles bien cirées où de chers vieillards t’enseignent la vertu sans lunettes et par l’exemple. Tu as vécu sous l’Arc de Triomphe avec des échelles et des jeunes gens blonds.
Tu as vécu dans les hôtels meublés où les plantes des jardins sont artificielles et où tout sent le moisi même les conversations nocturnes.
Tu as bu des nuits entières dans d’autres hôtels, avec des compagnies et des divans.
Et tu n’as pas songé que ton Père Céleste te regardait, que tes frères célestes qui sont les anges te regardaient.
Maintenant tu crois que la vie terrestre continue parce qu’un démon qui ressemble au poète Fritz Vanderpyl t’invite, t’a invité : il ouvre une soupente pour toi en ricanant et là, tu es dans une nuit sans lucarne et sans espoir. Serait-ce… ? Horreur ! quoi mon Dieu, mes larmes ne vous toucheront-elles pas ?
Il est trop tard ! ma tête heurtera le toit et le mur et cela sera la nuit toujours. La terre, la chère terre, le soleil, le cher soleil, jamais plus !
Max Jacob
Action. Cahiers individualistes de philosophie et d’art,