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Poètes & Poèmes - Page 4

  • Poème à l’Ambassade

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    « réunion de la journée »

    de Lieke Marsman

     

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    À l’occasion du Jour du Roi, fête nationale des Pays-Bas célébrée le 27 avril, jour de l’anniversaire de Willem Alexander, la « Poète nationale », Lieke Marsman, a composé un poème à la demande de l’Ambassade du Royaume des Pays-Bas à Paris. L’écrivain Adriaan van Dis en a lu la traduction française. Le passage musical est un très court extrait du Canto ostinato (1973-1976), œuvre culte en Hollande que l’on doit à Simeon ten Holt (1923-2012), revisitée par Kees Wieringa (avec voix).

     


     

    Canto ostinato, Kees Wieringa & Gerard Bouwhuis (piano),

    Mondriaan String Quartet

    Lotte Bovi (chant)

     

     

     

    Lieke Marsman

     

    vergadering van de dag 

     

     

    over 200 jaar zal een archivaris
    de balans opmaken van een dwalende tijd

    al wat geweest is, is in steen gebeiteld

    óók en vooral het op schrift gestelde

     

    in het park is het een komen

    en gaan van hondjes, leest hij
    op de stoffige tabletten en gebarsten tablets

    passanten zwerven in bakerdoeken

    van tussenruimte tot ze rustig genoeg zijn
    voor een laatste vergadering van de dag 

     

    kleine cécile van de buren is met wierook in de weer

    op straat hangen exotische zwemen

    geuren kleven wie bruut werd afgesneden

    weer vast aan het geheel van de mensheid

    als bij een knutselwerkje dat een armpje verloor

     

    iemand heeft er iets onder geschreven:
    we mogen nooit de kans op een wonder vergeten

     

    het wonder is eindelijk ontwaken

    uit een droom die je maandenlang vasthield
    ontwaken en weten: het wonder
    is altijd de kans op een wonder

     


     

     

    réunion de la journée

     

     

    dans deux cents ans, un archiviste

    dressera le bilan d’une époque en errance

    tout ce qui a été est ciselé dans la pierre

    y compris et surtout le consigné par écrit

     

    dans le parc on assiste à un va-

    et-vient de petits chiens, lit-il

    sur les tablettes, tant les poussiéreuses que les fissurées

    par intervalle vadrouillent des passants vêtus

    d’un nid d’ange jusqu’à recouvrer le calme propice

    à une dernière réunion de la journée

     

    petite cécile des voisins brandit et brandille l’encens

    dans la rue flottent des traînées exotiques

    ceux brutalement coupés, des parfums les recollent

    à l’ensemble de l’humanité comme dans le cas

    d’une figurine d’argile au bras cassé

     

    au bas, quelqu’un a écrit ces mots :

    n’oublions jamais la possibilité d’un miracle

     

    le miracle s’est enfin réveillé

    d’un rêve qui vous a tenu des mois durant

    réveillé en sachant : à chaque fois

    le miracle est possibilité d’un miracle

     

     

    traduit du néerlandais par Daniel Cunin

     

     


     

     

  • Galerie Baudelaire

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    De quelques poètes et traducteurs

    et d’une Note de bas de page

     

     

    charles baudelaire,les fleurs du mal,le spleen de paris,bert decorte

    Léditrice Anneke Pijnappel rend visite à Charles Baudelaire 

     

     

     

    charles baudelaire,les fleurs du mal,le spleen de paris,bert decorteEn 1892, avant ses débuts en littérature et bien avant de devenir une figure majeure du socialisme de son pays, Henriëtte van der Schalk (1869-1959) – qui se voulait poète avant d’être femme – a traduit « La Mort des pauvres ». Toutefois, dans les terres néerlandophones, ce sont des hommes de lettres qui vont peu à peu se mesurer à l’œuvre baudelairienne. Ainsi, en 1909, P.N. van Eyck (1887-1954) publie une traduction du « Poète et la muse », son confrère P.C. Boutens (1870-1943) en donnant une, trois ans plus tard, de « La Beauté ». À la même époque, Jules Schürmann (1873-1927) transpose quelques « poèmes en prose » pour la revue Kunst en Letteren, puis Albert Verwey (1865-1937, couverture ci-dessus de la biographie que lui a consacré Madelon de Keizer, 2017) une ou deux poignées de sonnets quelques années plus tard (1) – ceci, d’une certaine façon, dans le sillage de son ami Stefan George et de ses Blumen des Bösen (1891 puis 1901). D’autres poètes, parmi les plus réputés, y sont allés à leur tour de leurs adaptations versifiées, en particulier J. Slauerhoff (1898-1936), J.C. Bloem (1887-1966) et Martinus Nijhoff (1894-1953), petit-fils de cet autre Martinus, le fondateur de la célèbre maison d’édition de La Haye.

    Cependant, dans l’aire néerlandophone, le besoin de traduire Baudelaire ne s’est fait réellement sentir que par la suite. Dans les Plats Pays de l’avant-guerre, la plupart le lisaient encore dans le texte. Même si on a pu la minimiser, même si elle est demeurée peu explicite pour la génération de 1880, l’influence du Parisien sur les auteurs septentrionaux de l’époque est incontestable, tant en Flandre qu’en Hollande (2).

    charles baudelaire,les fleurs du mal,le spleen de paris,bert decorteEn 1945, l’ami d’André Gide, la Haguenois Jef Last (1898-1972) publie quelques transpositions dans la plaquette Les poètes maudits : Baudelaire, Verlaine, Rimbaud (3). Mais c’est en Flandre que voit le jour, l’année suivante, la première transposition intégrale des Fleurs du mal, une prouesse accomplie pour l’essentiel dès avant le conflit mondial par le poète en herbe Bert Decorte (1915-2009) : « Publiée en 1946, la traduction De bloemen van den booze date de la seconde moitié des années trente et accompagne les débuts du jeune poète. La traduction se révèle remarquable par le travail sur la forme (mètre et rime) et le rythme. L’importance accordée au mètre induit des stratégies de traduction modulées en fonction des contraintes métriques. » (4)

    charles baudelaire,les fleurs du mal,le spleen de paris,bert decorteCes dernières décennies, chaque nouvelle traduction (d’un choix) des Fleurs du mal fait couler pas mal d’encre. Deux d’entre elles au moins connaissent d’ailleurs une nouvelle existence en cette année du « bicentenaire » : celle de Petrus Hoosemans, aux éditions Historische Uitgeverij de Groningue, et celle, partielle, de Menno Wigman (1966-2018), le poète probablement le plus « baudelairien » des lettres néerlandaises, lui qui a voué sa vie à la poésie et « à la recherche désespérée de l’ineffable bonheur ». Kiki Coumans, à qui l’on doit cette réédition qu’elle accompagne d’une postface (5), vient par ailleurs de donner un choix de la correspondance de Baudelaire en néerlandais, Mijn hoofd is een zieke vulkaan (Ma tête est un volcan malade). Rehaussé d’un cahier photo, ce volume est le 314e de la prestigieuse collection « Privé-Domein » des éditions De Arbeiderspers.

    charles baudelaire,les fleurs du mal,le spleen de paris,bert decorteÀ n’en pas douter, Paul Léautaud aurait regimbé devant une telle initiative. Le 25 décembre 1906, ce dernier écrit : « J’ai oublié de noter ma déplorable impression des lettres de Baudelaire, qu’on vient de publier au Mercure. Absolument rien, dans ces lettres. Pas un mot piquant, spirituel et spontané, un trait ému, quelque chose qui touche et fait rêver. […] Ah ! que nous sommes loin de la Correspondance d’un Stendhal, même de la Correspondance d’un Flaubert, pourtant souvent si vulgaire, cette dernière. » (Journal littéraire, I, 1954, p. 362). Cela n’a pour autant pas dissuadé Kiki Coumans d’en donner près de 300 pages qui couvrent les années 1832-1867. Sa riche et suggestive préface prouve que cette correspondance, si elle n’a pas les finesses de celles des deux grands prosateurs mentionnés par Léautaud, est un passage obligé pour mieux cerner les paradoxes du dandy hashischin. La traductrice limbourgeoise souligne entre autres : « Les lettres de Baudelaire révèlent clairement cette tenace aspiration, vivre pour la poésie, en même temps que les tourments d’ordre psychiques et sociaux qui accompagnent ses créations. À la différence de celle de son ami Flaubert, par exemple, il ne s’agit pas d’une correspondance purement ‘‘littéraire’’ dans laquelle il exposerait avec éloquence sa poétique. Dans ses missives, nous voyons un poète qui, en plus de sa vocation, est travaillé par un nombre impressionnant de soucis pratiques : il est en permanence à court d’argent, déménage plus de trente fois au cours de sa vie d’adulte et lutte pour réduire le fossé qui sépare son ambition et un manque de discipline remontant à ses jeunes années. »

     

    charles baudelaire,les fleurs du mal,le spleen de paris,bert decorte

    couverture de Het Spleen van Parijs, 2021

     

    Du côté d’Amsterdam, Le Spleen de Paris, lui non plus, n’est pas oublié. La maison Querido annonce pour 2022 Het Parijse spleen, rehaussé d’œuvres de Marlene Dumas, dans une version de Hafid Bouzza, romancier virtuose, connu par ailleurs pour ses traductions/adaptations de William Shakespeare et de poésies arabes érotico-bachiques. En attendant ce « spleen parisien », l’amateur peut à loisir se plonger dans Het Spleen van Parijs qui a vu le jour ce 9 avril aux éditions hollandaises Voetnoot, sises à Anvers depuis 1996. Il s’agit d’une transposition de Jacob Groot – révisée de bout en bout avec la complicité de l’éditrice Anneke Pijnappel, du poète Jan Kuijper et de Rokus Hofstede – remontant à 1980. Jacob Groot y a ajouté une postface d’une haute tenue (6).

    charles baudelaire,les fleurs du mal,le spleen de paris,bert decorteLes éditions Voetnoot (= Note de bas de page) et Baudelaire, c’est une longue et belle histoire. On pourrait même dire que le poète a tenu cette maison sur les fonts baptismaux. Mariant leurs talents, Anneke Pijnappel et Henrik Barends se sont lancés dans cette aventure voici plus de trente-cinq ans, la première traduisant le Salon de 1859 pour le second qui était désireux de lire ce texte. Depuis, la maison a publié des dizaines de titres couvrant les domaines suivants : littérature, critique d’art, poésie, photographie, arts plastiques et design. Chaque livre porte l’immuable marque du graphiste Barends, déjà présente dans le milieu éditorial des années quatre-vingt du siècle passé, par exemple à travers les recueils d’un Pieter Boskma (éditions In de Knipscheer) ou Maximaal, un choix de la poésie de 11 jeunes poètes (1988).

    charles baudelaire,les fleurs du mal,le spleen de paris,bert decorteLa collection « Perlouses » offre en néerlandais un essaim d’écrivains français, de Vivant Denon à Yves Pagès en passant par Kundera. « Belgica » mêle auteurs flamands et auteurs belges d’expression française, tandis que « Moldaviet » présente des prosateurs tchèques. Trois collections dans un format et un prix de poche. Au fil des ans, quant à Baudelaire, le fonds de la maison s’est enrichi, grâce à une poignée de brillants traducteurs, des Salons de 1845 et 1846, de l’Exposition universelle de 1855, de Richard Wagner et Tannhäuser à Paris, du Peintre de la vie moderne ainsi que de Fusées, Mon cœur mis à nu, Hygiène et La Belgique déshabillée réunis en un volume (voir la dernière photo des Notes de bas de page). Et dans une adaptation de Menno Wigman, évoqué plus haut, on retrouve un titre : Wees altijd dronken ! (Il faut être toujours ivre), soit quelques-uns des « poèmes en prose » réunis avec divers écrits fin-de-siècle (Rimbaud, Verlaine, Mallarmé, Laforgue, Huysmans, Remy de Gourmont, Léon Bloy, Lautréamont).

    Page de titre de Het Spleen van Parijs

    charles baudelaire,les fleurs du mal,le spleen de paris,bert decorteChez Voetnoot, l’importance du papier, du format, de la dimension visuelle, tant dans les thématiques traitées que dans la conception des ouvrages, se manifeste par l’existence, dans les locaux de la maison, de la « Galerie Baudelaire » où se tiennent des expositions de photographies. On retrouve la patte de Henrik Barends jusqu’à la devanture de Marché-Couverts et sur la carte de ce restaurant français d’Anvers (cuisine du Sud-Ouest). Le titre lancé par Voetnoot ce 9 avril, Het Spleen van Parijs, offre un bel exemple du souci d’une typographie caractéristique et d’une iconographie souvent facétieuse. Cette fois, on doit celle-ci à Miro Švolík, artiste tchèque déjà à l’honneur à plusieurs reprises chez l’éditeur. En guise d’illustration suivent ci-dessous deux courts Petits poèmes en prose, dans les deux langues et dans les nuages, dans « de grands palais de nuages qui déambulent et où il fait bon habiter » (René Guy Cadou).

     

     

    « L’Étranger »

     

    — Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ?

    — Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.

    — Tes amis ?

    — Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu.

    — Ta patrie ?

    — J’ignore sous quelle latitude elle est située.

    — La beauté ?

    — Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle.

    — L’or ?

    — Je le hais comme vous haïssez Dieu.

    — Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?

    — J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages !

     

    « L’Étranger » lu par Serge Reggiani

     

     

    charles baudelaire,les fleurs du mal,le spleen de paris,bert decorte

    traduction de Jacob Groot

     

    charles baudelaire,les fleurs du mal,le spleen de paris,bert decorte

    illustration de Miro Švolík

     

     

    « La Soupe et les Nuages » 

     

    Ma petite folle bien-aimée me donnait à dîner, et par la fenêtre ouverte de la salle à manger je contemplais les mouvantes architectures que Dieu fait avec les vapeurs, les merveilleuses constructions de l’impalpable. Et je me disais, à travers ma contemplation : « — Toutes ces fantasmagories sont presque aussi belles que les yeux de ma belle bien-aimée, la petite folle monstrueuse aux yeux verts. »

    Et tout à coup je reçus un violent coup de poing dans le dos, et j’entendis une voix rauque et charmante, une voix hystérique et comme enrouée par l’eau-de-vie, la voix de ma chère petite bien-aimée, qui disait : « — Allez-vous bientôt manger votre soupe, sacré bordel de marchand de nuages ? »

     

    « La Soupe et les Nuages », lu par Michel Piccoli

     

     

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    traduction de Jacob Groot

     

    charles baudelaire,les fleurs du mal,le spleen de paris,bert decorte

    illustration de Miro Švolík

     

    Va-t-on, vers le 12 décembre de cette année, connaître semblable revival de Flaubert, voir resurgir Salammbô ou Bouvard et Pécuchet du côté de la ceinture des canaux amstellodamois ou du côté d’Anvers ?

     

    Daniel Cunin

     

     

    Documentaire d’Evelyn Jansen (trailer) consacré à Voetnoot

     

     

     

    (1) Poèmes transposés en un court laps de temps (9-17 janvier 1918) et publiés dans la revue De Beweging que Verwey dirigeait alors avec l’architecte Berlage : « La Beauté » et « Élévation » (en 1914), puis, « L’Albatros », « L’Homme et la mer », « Le Coucher de soleil romantique », « La Muse malade », « La Prière d’un païen », « Tableau parisien », « Bohémiens en voyage », « La Cloche fêlée », « La Voix », « L’Amour et le crâne », « La Mort des pauvres », « Châtiment et orgueil », « Semper eadem », « Les Yeux de Berthe », « La Rançon », « Les Aveugles », « Le Voyage (1) », « Le Voyage (2) » et une version revue de « La Beauté » et d’« Élévation ». Voir Martin Hietbrink, « In de schaduw van Stefan George » [Dans l’ombre de Stefan George], Tijdschrift Tijdschrift voor Nederlandse Taal- en Letterkunde, 1999, p. 218-235.

    charles baudelaire,les fleurs du mal,le spleen de paris,bert decorte(2) Paul Claes – traducteur de 50 poèmes des Fleurs du Mal sous le titre Zwarte Venus [Vénus noire], Amsterdam, Athenaeum/Polak & Van Gennep, 2016 – le rappelait encore voici peu dans « Je te hais autant que je t’aime », De Standaard der Letteren, 3 avril 2021, p. 10-11. À propos de l’influence de Baudelaire sur les Tachtigers (poètes néerlandais de la fin-de-siècle qui ont, certes, bien moins pratiqué leurs confrères français que les Anglais), sur Karel van Woestijne et M. Nijhoff, on se reportera entre autres à des essais publiés dans le volume : Maarten van Buuren (réd.), Jullie gaven mij modder, ik heb er goud van gemaakt [Vous m’avez donné de la boue et j’en ai fait de l’or], Historische Uitgeverij, Groningue, 1995. Dès 1934, Paul De Smaele publiait à Bruxelles Baudelaire. Het Baudelairisme. Hun nawerking in de Nederlandsche Letterkunde [Baudelaire. Le baudelairisme. Leurs répercussions sur les lettres néerlandaises], étude dans laquelle l’accent est mis sur la réception de l’œuvre du français dans les plats pays (tout comme dans le cas de Paul Claudel, l’érudit W.G.C. Byvanck va se montrer un précurseur, auprès du lectorat hollandais, dans la prise de conscience de l’importance de Baudelaire, sans oublier la contribution du francophile Frans Erens) et son influence sur quelques poètes d’expression néerlandaise.

    (3) Sur cet auteur, voyageur et polyglotte qui a traduit bien d’autres écrivains (Gide, Ronsard, des Russes, des Allemands, des Chinois, des Japonais…) vient de paraître une imposante biographie : Rudi Wester, Bestaat er een raarder leven dan het mijne ? [Y a-t-il vie plus bizarre que la mienne ?], Amsterdam, Prometheus, 2021.

    charles baudelaire,les fleurs du mal,le spleen de paris,bert decorte(4) Charles Baudelaire, De bloemen van het kwaad, préface, commentaires et traduction de Menno Wigman, postface de Kiki Coumans, Amsterdam, Prometheus, 2021. De Menno Wigman, on peut lire en français : L’Affliction des copyrettes, traduction de Jan H. Mysjkin et Pierre Gallissaires, Chambon-sur-Lignon, Cheyne, 2010 ainsi que quelques poèmes dans la revue L’Intranquille, n° 16, 2019. De Kiki Koumans, on pourra lire l’article « Dansen in een gipsen pak » [Danser dans un costume de plâtre], Awater, 2017, p. 42-46, qui propose, entre autres, une comparaison entre cinq traductions de « À une passante », dont celle, non rimée, de Jan Pieter van der Sterre parue dans l’édition bilingue De mooiste van Charles Baudelaire [Les plus beaux poèmes de Charles Baudelaire], Thielt/Amsterdam, Lanno/Atlas, 2010. Voici un quart de siècle, également publiées sous le titre De bloemen van het kwaad, la traduction de Petrus Hoosemans (Historische Uitgeverij) et celle de Peter Verstegen (éditions Van Oorschot) ont donné lieu à de vifs débats et même à une querelle entre les deux hommes. Le premier estimant qu’on entend dans celle du second des veaux qui toussent : « Outre du prozac, elle a nécessité le recours à du clenbutérol. » Ce dernier répliquant qu’il n’a rien à envier, bien au contraire, à son détracteur trop imbu de sa personne. Dans l’essai qu’il a consacré à cette polémique et à la qualité des deux versions (« Baudelaire driemaal vertaald », Filter, n° 2, 1995, p. 32-46), le traductologue Raymond van den Broeck (1935-2018) avance que l’homme de théâtre Joris Diels (1903-1992) a donné une magnifique traduction de huit poèmes des Fleurs du mal. Relevons encore qu’il existe une traduction jamais éditée de l’œuvre majeure de Baudelaire, réalisée par le professeur de lettres classiques Abraham Rutgers van der Loeff (1876-1962) dont le tapuscript se trouve à la Bibliothèque Royale de La Haye.

    (4) Spiros Macris, « Un Baudelaire flamand : la traduction des Fleurs du mal par Bert Decorte (1946) », Meta, n° 3, 2017, p. 565–584. L’auteur souligne le fait qu’une telle traduction a pris place, en Flandre, dans le cadre d’une reconquête d’une langue littéraire face à la domination culturelle française.

    charles baudelaire,les fleurs du mal,le spleen de paris,bert decorte(6) Charles Baudelaire, Het Spleen van Parijs, traduction et postface de Jacob Groot, illustrations de Miro Švolík, Amsterdam/Anvers, Voetnoot, 9 avril 2021. Sans compter l’un ou l’autre des poèmes en prose paru ici ou là, il existe au moins deux autres versions néerlandaises du recueil : Parijse weemoed (2015) de Nannie Nieland-Weits et De melancholie van Parijs : kleine gedichten in proza (1995) du duo Thérèse Fisscher et Kees Diekstra. Soit autant de titres différents pour la même œuvre. Le poème « À une passante » ne donne-t-il pas lieu, lui aussi, à une grande variété de titres en néerlandais : « Aan een voorbijgangster », « Aan een passante », « In het voorbijgaan », « Voor een voorbijganster »…? Autant de passantes qui nous invitent à flâner dans la compagnie de Baudelaire...

     

     

     « Recueillement », d’Alphons Diepenbrock sur le poème de Baudelaire


     

     

  • Dans les pas de Paul Celan

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    Un cycle de poèmes

    d’Antoon Van den Braembussche

     

     

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    Le dernier numéro de la revue lorraine Traversées s’ouvre par la version bilingue du cycle « In het spoor van Paul Celan / Dans les pas de Paul Celan » signé Antoon Van den Braembussche.

    En voici le premier poème.

     

     

     

    I

     

    Het ongedachte in duizend gedachten.

    Het onzichtbare in duizend gedachten.

     

    Liederen zingen aan gene zijde

    Van de mensen.

    Aan gene zijde van het waarheen,

    Waartoe en waarom.

     

    Geluidsduistere

    Oerschreeuw

    In geestesblinde uithoeken

    Van wat ooit het bestaan was:

     

    De geluidloze versperring.

    De prikkeldraad rond het kamp,

    Het raster in de eigen,

    Ogenloze terugblik:

    Blinde herinnering.

      

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    Antoon Van den Braembussche, dessin de Marcel Douwe Dekker, 1998

     

     

    I

     

    L’impensé en mille pensées.

    L’invisible en mille pensées.

     

    Murmurer des chansons au-delà

    Des gens.

    Au-delà de l’où,

    De l’à quoi et du pourquoi.

     

    Cri primal

    Son ténébreux

    En des recoins ignorants  

    De ce qu’un jour fut la vie :

     

    La clôture muette.

    Les barbelés tout autour,

    La grille dans les rétines détruites,

    Regard en arrière :

    Souvenir aveugle.

     

     

     

    Antoon Van den Braembussche, « In het spoor van Paul Celan /

    Dans les pas de Paul Celan », traduction de Daniel Cunin,

    Traversées, n° 97, 2021, p. 3-14.

     

    Sommaire du numéro 97

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  • TRIBUNE LIBRE

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    Chantons avec ces gens-là

    ou la traduction

    comme l’une des voix / voies de l’exotisme

     


    Marieke Lucas Rijneveld, poésie à la ferme 

     

     

    Traducteur de poèmes de Marieke Lucas Rijneveld et de son tout premier roman – Qui sème le vent, éditions Buchet/Chastel, dont la version anglaise The Discomfort of Evening a remporté en 2020 l’International Booker Prize –, je prends la plume en raison du tohu-bohu auquel on assiste depuis que d’aucuns ont dénoncé le fait que la Néerlandaise avait été choisie, par les éditions amstellodamoises Meulenhoff – naguère prestigieuses –, pour traduire des vers de la jeune Américaine Amanda Gorman, autrement dit un recueil devant être préfacé, semble-t-il, par Oprah Winfrey.

    Depuis, Marieke Lucas Rijneveld a renoncé à ce projet. Je me sens d’autant plus poussé à jeter mon grain de sel dans la cohue que la plupart des médias francophones parlent à son égard de « poste de traductrice » sans être à même de citer correctement le titre de son roman récompensé.

    Traduisant le titre anglais, ils nous parlent d’Inconfort du soir, d’Inconfort nocturne ou encore du Déconfort du soir alors qu’une recherche primaire et élémentaire sur internet leur aurait permis de trouver les mots justes, et tout simplement l’édition française sur le site de l’éditeur*. Bien que vieilli, le mot « déconfort » existe certes, mais il signifie : état d’une personne qui a perdu courage, faute de secours. Peut-être est-ce, après tout, le cas de Parka, le personnage central du livre de Rijneveld. Dans ma grande générosité, je viens cependant un peu au secours de ces innombrables déconfortés ainsi que des démineurs éditoriaux.

    couv MLR.jpgJe ne m’offusquerai pas du fait que les agences de presse, et, dans leur foulée, la quasi-totalité des perroquetants médias francophones, mentionnent – à propos de cette affaire qui concerne deux dames sous le feu des projecteurs –, la traductrice noire d’une poète noire tandis qu’aucun, pour ainsi dire, ne nomme le traducteur blanc – naguère filasse – d’une poète et romancière blanche et blonde comme les blés. L’information transmise par ces personnes touche au ridicule quand on sait qu’il existe déjà, depuis des semaines, deux traductions néerlandaises du poème The Hill we climb d’Amanda Gorman. L’une, que l’on doit à Katelijne De Vuyst, est en ligne sur le site du quotidien flamand De Standaard. Cette traductrice blanche – qui a, comble de l’horreur, traduit une kyrielle d’auteurs mâles africains –, va-t-elle devoir poser rétroactivement un genou à terre devant Mme Deul ? Et que dire de l’autre traduction, celle de la main du blêmo-batave poète Menno van der Beek**, laquelle a paru dans un quotidien d’obédience… chrétienne, autrement dit, en hollandais courant, protestante. La Noire universelle (καθολικός) traduite par un Blanc schismatique ! Mme Deul & Cie ont-elles un tant soit peu connaissance de l’universalité de la personne de Mlle Gorman et de son poème ? Étonnant de voir les médias européens anticatholiques par confession et profession porter aux nues le catholique Biden et son coryphée féminin…

    Voici donc ma transposition franco-brelienne de cet inepte méli-mélo que Reiser eût intitulé, non pas, Un soir d’inconfort lamentable, mais On vit une époque formidable !

     

    Chez ces gens-là, on estime que Marieke Lucas Rijneveld, jeune et blonde poète blanche et romancière blond et blanc*** des Pays-Bas est trop pâlotte ou pas assez noiraud – du moins dans ses fibres et neurones – pour traduire des vers de la poète ou du poétesse Amanda Gorman à qui il aura suffi de prendre la parole durant quelques minutes lors de l’investiture du pâlichon Joe Biden pour devenir mondialement connu.e… en Chine, au Qatar, aux Philippines, en Birmanie, en Namibie, en J’en-Oublie. Il lui aura suffi de prendre quelques minutes la parole pour que des maisons d’édition, sises sur cette face-ci du globe, se jettent sur son œuvre à peine écrite afin d’en acheter les droits. Histoire de ne pas gaiement tailler dans le lard, je laisse de côté les considérations trébuchonnantes qui président à pareille décision. De même, je laisse de côté l’inexpérience de Marieke Lucas Rijneveld en tant que traducteur.trice soulignée par la presse néerlandophone. Tout ceci a bien peu de rapport avec la littérature et encore moins avec l’acceptation de l’autre en soi qui commence par l’acceptation de soi-même au cœur de soi, réalité première que quelques esprits, qui se sont autrefois exprimés sur le parchemin ou le sable, nous ont transmise… sans le secours de Meulenhoff ni d’ailleurs de la moindre maison d’édition.

    Ces gens-là n’pensent pas, Mademoiselle, ces gens-là crient.

     

    MLR - Plats Pays 3.jpgChez ces gens-là, on ne lit pas grand-chose, on n’a jamais lu De avond is ongemak, ni The Discomfort of Evening, ni Nelagoda večeri, ni Was man sät, non plus qu’Il disagio della sera, autrement dit, le premier roman de Marieke Lucas Rijneveld publié en français sous le titre Qui sème le vent. Ces gens-là qui se plaisent à interdire à tout-va omettent de relever que la censure a commencé son travail avant même la parution anglaise de ce livre, version couronnée, comme on le sait, par l’International Booker Prize : à l’initiative de quelque rédacteur ou éditeur londonien bégueule, et non pas de la traductrice Michele Hutchison, la version en langue anglaise a en effet caviardé plusieurs passages, autant d’allusions drôles, grinçantes et cyniques, soit à la sexualité, soit à Hitler.

    Ces gens-là n’lisent pas, Mademoiselle, ces gens-là trichent.

     

    Chez ces gens-là, Mademoiselle, on intime aux Africains et aux Surinamiens de ne jamais chanter le moindre air de Monteverdi ou de Purcell : selon eux, ils seraient incapables de se déplacer dans l’âme et dans la chair des compositeurs et des librettistes tout aussi blancs que des cachets d’azithromycine. Chez ces gens-là, on m’intime de ne plus traduire d’écrivains qui, à l’instar de Marieke Lucas Rijneveld, sont d’éducation calviniste, d’un autre sexe que moi ou d’une absence ou duplicité de sexe, ou bien qui ont une connaissance avérée des bovidés. Ayant grandi dans une ferme, Marieke Lucas Rijneveld continue, entre deux poèmes, deux chapitres d’un livre ou deux pages d’une traduction en chantier, de prendre soin de quelques vaches. Or, je ne suis pas censé – guère plus, sans doute, que les traducteur.rices de langue albanaise, arabe, bosniaque, azéri, bulgare, chinoise, japonaise, danoise, estonienne, géorgienne, grecque, hongroise, coréenne, croate, lituanienne ou macédonienne (autant d’idiomes dans lesquels une traduction du roman couronné est annoncée) – être familier du non-binarisme, des arcanes de la Bible non plus que des pis et autres bouses encore fumantes et odorantes. Il se trouve qu’avant même la naissance de Marieke Lucas Rijneveld, j’apprenais à traire les vaches de mes petits doigts de gamin puisque, dans ma famille, à défaut de Bible, de théories quelconques alors insoupçonnées, et du moindre livre, on « possédait » en tout et pour tout une poignée de vaches, quelques poules et lapins ainsi que, tout au plus, un ou deux cochons. Ces gens-là, Mademoiselle, vont m’accuser de zoophilie pour avoir, à six ou sept ans, manipulé et caressé des trayons, m’accuser de maltraitance animale pour avoir, vers le même âge, tenu un seau ou une grosse poêle sous le cou du cochon qu’on égorgeait, ou encore, à dix ou douze ans, aidé, à renfort d’un bout de bois et de cordelettes, une vache à vêler au milieu de la nuit… Être étranger.ère, pendant l’enfance, aux théories universitaires, à la Bible des États, à la littérature, condamne ainsi, selon ces gens-là, toute personne à ne pouvoir jamais traduire la moindre phrase ataviquement batave, à ne jamais pouvoir se glisser dans la peau d’une personne qui écrit dans une quelconque autre langue que la sienne.

    Ces gens-là n’causent pas, Mad’moiselle, ils décrètent.

     

    MLR Kalf.jpgChez ces gens-là, on dit qu’elles sont bien trop belles pour moi – pour que je sois admis à les transposer dans ma langue maternelle, langue que j’ai apprise dans les livres, en particulier dans le meilleur dictionnaire qui soit, Le Dictionnaire des idées reçues, et plus encore dans son liminaire, Bouvard et Pécuchet, puisqu’on parlait, dans mes enneigées montagnes natales, un français très approximatif et assez patoisant –, qu’elles sont mille fois trop belles pour moi les œuvres de tel écrivain d’expression néerlandaise d’origine maghrébine qui n’aime guère l’islam ; celles de tel autre, lui aussi d’origine sémite, qui apprécie peu ses cousins juifs ; celles d’un chrétien qui goûte la tradition hébraïque mais un poil moins l’islam ; celles d’un romancier, pour sa part juif, qui écrit ses livres dans le bureau où Marilyn venait s’allonger pour confier ses secrets à son psy ; celles d’un poète converti au catholicisme vilipendé par la plupart de ses pairs ; celles d’une femme devenue, entre le début et la fin de la traduction de l’un de ses essais à laquelle je me consacrais, homme ; celles de cette fière Brabançonne ayant décliné d’un grand sourire l’invitation de Brodsky à passer une nuit avec lui ; celles de cet incomparable romancier blanc qui ne s’endort jamais dans sa chambre noire avec sa femme aussi noire qu’Obama ; celles d’une dame, bien éduquée sous tous rapports, qui voyage vers l’enfant ; celle d’un poète assassin ; celles d’insulaires athées couleur ébène ou de continentales agnostiques couleur cuivre – ou je ne sais en réalité celles de qui, de que, de quoi au juste, celles de ces êtres humains qui ont, plus ou moins, à un moment donné, à l’instar d’un Segalen, plongé leur plume dans l’encre de l’exotisme, altérité la plus radicale…

    En attendant que je comprenne ces gens-là, Mad’moisel’, y’a celle qui est belle comme un poème, et qui m’aimait pareil que moi je l’aime, et que j’ai pas le droit, selon ces gens-là, de traduire, parce qu’elle est noire, d’un noir d’encre jusqu’au bout des ongles, jusqu’au tréfonds de la moelle et des entrailles – si ce n’est qu’elle pose de sa plume, de sa langue, de tout son corps, de ses gémissements, un point blanc tout au bout de son poème, Mad’moisel’, tout à l’extrémité jouissive et jouissante du poème de sa vie, du dernier vers de sa vie… un p’tit point blanc, tout p’tit, tout blanc, son point blanc : son clitoris excisé.

     

    Mais i’ se fait tard, Mad’moisel’, faut que j’rentre chez moi au milieu des vaches, des dicos, des dildos et des cochons. Comme vous devez vous en douter, i’ m’reste quelques chats à…

     

    Daniel Cunin

     

     

    MLR avond.jpg* On peut regretter que l’une des rares voix qui aurait pu corriger le tir et redorer le blason journalistique ne soit plus correspondant d’un quotidien français, Libération pour ne pas le nommer. Sylvain Ephimenco, qui a adopté le néerlandais comme langue d’expression, est depuis une trentaine d’années chroniqueur du quotidien national hollandais issu de la Résistance Trouw : au sujet de cette affaire, il est l’une des voix à oser nommer, aux Pays-Bas, les choses par leur nom. Je souligne que je n’ai jamais rencontré ni échangé le moindre mot avec ce compatriote. Quant à Anthony Bellanger, que je ne connais pas non plus, il nous mène en bateau, sur franceinter.fr, donc avec l’argent du contribuable, en faisant son petit savant, mélangeant des pans d’histoire batave, sous un titre burlesque, et avec des anachronismes dignes d’un élève de maternelle : « Pour ma part je voudrais que nos auditeurs comprennent qu’il s’agit, de la part de Marieke Lucas Rijneveld, d’une renonciation douloureuse mais généreuse et très néerlandaise et certainement pas d’une défaite : au fond, elle renonce pour laisser au ‘‘pilier’’ noir néerlandais une chance de s’exprimer et donc de s’intégrer plus vite. » Ce qui revient, selon l’un des écrivains hollandais encore capable de lire le français, à « expliquer que l’élite parisienne agresse sexuellement des mineurs parce qu’il existe une tradition française de pénétration anale à grand renfort de baguettes ».

    ** Heureusement pour lui, cet auteur s’appelle Menno van der Beek (Menno du Ruisseau) et non pas Menno van der Bleek (Menno de la Pâleur / de la Blêmitude).

    *** Je tiens à préciser que je découvre, tout en écrivant ces lignes, que mon logiciel s’est semble-t-il mis à l’air du temps puisqu’il ne corrige pas les accords féminins/masculins, par exemple dans : « jeune et blonde poète blanche et romancière blond et blanc », « est trop pâlotte ou pas assez noiraud », « de la poète ou du poétesse ». Dans le même temps, il continue de refuser l’écriture inclusive. Cela dit, ce sont là des questions qui ne se posent guère en néerlandais, les accords et différences en question ne se faisant pas. De là, la difficulté, par exemple, de traduire un.e auteur.trice qui ne se définit pas sexuellement ou qui tend à l’hermaphrodisme, un défi littéraire bien supérieur à toute question de couleur de peau, de passé colonial ou esclavagiste… Notons qu’aux Pays-Bas, une directrice est encore et toujours un directeur, une enculeuse de mouches toujours un enculeur de mouches (kommaneuker = enculeur de virgules), le féminin ayant, quant aux professions, plus de mal, dans la langue que dans les hôpitaux, à changer de sexe - ceci pour des raisons tout à fait autres que celles d’ordre idéologique.

     

    Pour le reste, je renvoie à un entretien publié dans Le Point : Valérie Marin La Meslée interroge René de Ceccaty ou encore à un billet d’humeur de deux autres de mes renommés confrères, à savoir André Markowicz : « Les affaires hollandaises, notes d'un traducteur » et Jean-Yves Masson (en bas de cette page). Et bien entendu à la réponse formulée par Marieke Lucas Rijneveld sous la forme du poème « Tout habitable ».

    Ce billet d’humeur a paru à l’origine

    sur le site profession-spectacle.com.

     

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  • La plus belle tour de Belgique

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    Un texte du poète Paul Bogaert

     

    La plus belle tour de Belgique

    À PROPOS DE LA TOUR DES POMPIERS DE TUBIZE

     

     

    Paul Bogaert, Willem De Geyndt, Tubize, pompiers, architecture, daniel cuninVoici treize ans, à Tubize, je suis tombé amoureux. Amoureux d’une tour au béton dégradé. Dans quel état peut-elle bien se trouver à présent ? Afin de dresser un état des lieux, je retourne dans cette ville wallonne.

    J’y découvre des traînées d’algues ainsi que des canards dynamiques. Incroyable quand l’on sait que la Senne était biologiquement morte ici il y a quinze ans. Au début des années quatre-vingt-dix, plus en aval, la rivière était tellement polluée que l’eau prit feu, un jour, après qu’un promeneur avait jeté dedans sa cigarette.

     

    MANCHES D’INCENDIE

    Ici, à Tubize, dans le Brabant wallon, on serait rapidement venu à bout de telles flammes : la caserne des pompiers ne se trouve-t-elle pas sur les bords de la Senne ? À côté se dresse une magnifique tour moderne, élevée naguère pour y laisser s’égoutter les manches d’incendie. Mais on ne l’a jamais utilisée à cet effet. Deux des parois de la tour sont percées d’innombrables fenêtres. Que voit-on à travers ? Un escalier métallique qui occupe une bonne partie de l’espace.

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     Tour des pompiers de Tubize – Rue Ferrer 91 – Situation en 2020

     

     

    PANORAMA

    À Tubize, s’il y a un lieu où il faut aller, c’est bien là. Je désire vivement que la ville entreprenne bientôt la rénovation de cet édifice ainsi que celle de la caserne délabrée. Et que l’Office du Tourisme et du Patrimoine ouvre ensuite au public « La plus belle tour de Belgique ». Car de là-haut, on jouit sans doute d’un panorama fantastique.

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    Vue aérienne de la Senne et de la caserne des pompiers de Tubize

    Photo Google Maps

     

    Depuis le sommet de la tour, on doit avoir une vue imprenable sur des lignes voluptueuses, tant la rivière décrit de méandres. Venant de l’ouest, un ruban brillant sinue à travers les prairies. Plus en aval, longeant des jardins, l’eau se glisse comme un serpent dans la verdure. À la dérobée, elle se faufile sous la chaussée et suit sagement les anciens terrains de Fabelta (Fabriques belges de textiles artificiels). C’est alors qu’elle oblique vers le canal Bruxelles-Charleroi, veine à ciel ouvert ponctuée d’écluses, de vannes et de feux rouges devant lesquels les péniches s’arrêtent.

    Qui a comparé un jour rivière et érotisme, canal et pornographie ? Une comparaison exacte, sinuosité et naturel de la première s’opposant au rectiligne et à l’artificiel du second. Sans compter les nombreux buissons touffus et les arbres sur les rives, alors qu’un canal est dépourvu, en tout cas en grande partie, de poils pubiens.

     

    L’ANCIEN PAYS DES MERVEILLES INDUSTRIELLES

    Paul Bogaert, Willem De Geyndt, Tubize, pompiers, architecture, daniel cuninVoici dix ans, au bord du canal, on voyait encore les vestiges des Forges de Clabecq, gloire déchue de l’industrie sidérurgique. Ancien pays des merveilles industrielles, imposant agglomérat de constructions rouillées, de tuyaux, de sortes de pipe-lines, d’Y sur la tête, de cheminées et de hauts-fourneaux d’un gris terne. Après la faillite de l’entreprise en 1996, le site est tombé sous l’emprise du puissant groupe Silence avant de passer aux mains lestes de promoteurs.

    La vidéo ci-dessous montre comment on a jeté à bas la construction emblématique de Clabecq en 2012. Le moment où l’horizon de Tubize et le reflet dans le canal ont changé à jamais.

     

    UN BAISER

    Le grand canal, je disais donc, semble vouloir embrasser la Senne, mais ne voilà-t-il pas que la petite rivière, se ravisant, vient se cacher dans la verdure à côté de la voie ferrée, puis, après avoir pris son élan à travers champ, se fore un chemin pour franchir la frontière linguistique en direction de Hal, jusqu’à Bruxelles. C’est là ce qu’on pourrait voir à Tubize, du haut de cette magnifique tour de guet !

    Paul Bogaert, Willem De Geyndt, Tubize, pompiers, architecture, daniel cunin

     

     

    Paul Bogaert

    traduit du néerlandais par Daniel Cunin

    Foto’s: Willem De Geyndt @widegey