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traduction - Page 8

  • Poème de saison

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    Antoon Van den Braembussche, poésie, Corona, Flandre, Belgique, traductionPhilosophe et poète, Antoon Van den Braembussche marie son intérêt pour l’esthétique et les phénomènes récents de l’expression artistique (la culture numérique et l’art contemporain) à une quête littéraire débutée voici une quarantaine d’années. L’universitaire qu’il a été a signé, en langue anglaise, les essais Intercultural Aesthetics. A Worldview Perspective (2008, en collaboration avec Heinz Kimmerle et Nicole Note) et Thinking Art. An introduction to Philosophy of Art (2009). En 2016, il a publié en néerlandais un ouvrage beaucoup plus personnel : De stilte en het onuitsprekelijke. Over beeldcultuur, kunst en mystiek (Le silence et l’indicible. De la culture visuelle, de l’art et de la mystique), une méditation exprimant le désir de vivre une « expérience sublime » en se déconnectant de la pensée, à la fois plongée dans nos dimensions existentielle et spirituelle et tentative de saisir l’ineffable en explorant les zones où (philosophie de l’) art et mystique, religion et athéisme, philosophie occidentale et sagesses orientales se rejoignent.

    Certains de ces élans et aspirations se retrouvent, mais dans une formulation différente, extrêmement claire pour ne pas dire transparente, dans son septième et plus récent recueil : Alles komt terug. Over ‘de eeuwige terugkeer van het gelijke’ (Tout revient toujours. Ou de l’éternel retour du même, Éditions P., Louvain, 2018). Un titre qui bien entendu renvoie à Nietzsche. « L’auteur observe le monde, nous dit l’éditeur, à travers les yeux de Friedrich Nietzsche. Il examine et considère le minuscule comme le gigantesque, le nouveau comme l’ancien, le concret comme l’abstrait, tout cela comme autant de parties d’un même tout : un tout qui revient toujours. Cet éternel retour est rendu dans une langue sobre, mais d’une redoutable précision, et qui pour autant ne craint pas quelques nuances sublimes ou surréalistes. » Mais au fond, ce recueil ne serait-il pas avant tout une suite amoureuse ?

     

    À présent, je chante la danse de la terre.

    Il n’y a pas que le séjour multiple

    entre tes reins, tes mains, dans ta chevelure,

     

    sous tes aisselles. Il y a aussi l’intemporel

    havre en ton immortel sourire.

     

    En ce printemps pas comme les autres, Antoon Van den Braembussche, comme d’autres poètes, a consacré des strophes au virus qui est sur toutes les lèvres. La version originale est en ligne sur un literair e-zine. Nous en proposons la traduction française ci-dessous.

     

    Antoon Van den Braembussche, poésie, Corona, Flandre, Belgique, traduction

     

     

    CORONA

     

     

    +

     

    Le temps nous a rattrapés.

     

    Inouï.

    Invisible.

     

    Dans les remous de la brume.

    Infimes particules contagieuses.

     

    Corona.

    Pneumonia.

     

    Fuite de la marte devant la contamination.

    Sous une inquiétude sans précédent,

    des gestes de stockeur.

     

    Peur sous-cutanée.

     

    +

     

     « Le pire est à venir »,

    prophétise le virologue.

     

    Et nous de fixer

    d’un regard hébété

    des courbes exponentielles.

     

    Dans nos foyers, nos cocons

    habités de la phobie des microbes.

     

    Notre œil se dissout dans un flot de sang,

    le tabou de l’attouchement.

    Le monde au point mort.

    Sur la bouche, le masque du jamais vu.

     

    +

     

    Dans des hôpitaux surpeuplés

    dans des lits à gorge déployée

    la mort tâtonne à la ronde.

     

    Impitoyable.

    Au plus près du poumon.

     

    Les plus faibles errent.

    Tandis que les jours refluent

    dans l’infinie solitude.

     

    Car quiconque a été seul

    glisse bientôt dans un inaccessible mutisme.

     

    Pétrifié comme le virus.

    Condamné.

     

    +

     

    Corona.

    Utopia.

     

    L’air se purifie

    dans les artères de la ville.

     

    Jamais encore le numérique n’a été

    lieu de pareille compassion.

     

    Jamais encore n’ont régné

    dans les rues et sur les places

    pareil silence pareil ineffable.

     

    À croire que plus que par le passé

    le point mort nous apprend une chose inoubliable :

     

    respirer de soulagement dans l’instant.

     

    Antoon Van den Braembussche

    Mardi 24 mars 2020

     

     

    poème traduit du néerlandais par Daniel Cunin

     

     


    Le poète et quelques artistes lors de la parution de son recueil Het uur van de wolf

    (Entre chien et loup, 2014).

     

     

  • Francis Jammes à la hollandaise (2)

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    Je m'embête ou je m'ennuie à mourir...

     

     

    Jammes-TweedeRonde-1981.png

     

    Une fois encore, Francis Jammes... dans une traduction néerlandaise, celle-ci publiée sous le titre (traduit mot à mot) : « Je m’ennuie à mourir ». Elle remonte à l’été 1981 et a paru dans la revue De Tweede Ronde éditée à Amsterdam par la maison renommée Bert Bakker, et placée sous la houlette du slaviste et traducteur Marko Fondse (1932-1999) et de Peter Verstegen, autre traducteur réputé. La couverture de ce numéro de la deuxième année d’existence de ce célèbre périodique littéraire représente Paul Verlaine, Marcel Proust et Louis-Ferdinand Céline, dessinés par Bob Tenge (1934-2018). Des figures qui annoncent une guirlande d’écrivains français transposés dans la langue locale, essentiellement à travers des poèmes. Guillaume Apollinaire, suivi de la « Vénus callipyge » de Georges Brassens ; plus loin, Jean Richepin puis un passage en traduction de D’un château l’autre (par Frans van Woerden), Proust, Voltaire, Larbaud, Mallarmé, Benjamin Péret, Queneau, Albert Samain, Verlaine et un Baudelaire accompagné de nombre de dessins.

    Du Jammes tiré donc cette fois de De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir par Wiebe Hogendoorn, historien du théâtre né à La Haye en 1936. Cet auteur est aussi connu pour avoir publié nombre de traductions dont Les Tristes d’Ovide. Pour la revue De Tweede Ronde, il a par exemple transposé du français la callipyge de Georges Brassens, deux poèmes d’Albertine Sarrazin, quatre de Jean Pérol et deux du Belge William Cliff.

     

    Jammes-Angelus.jpg

     

     

    IK VERVEEL ME DOOD

     

     

    Ik verveel me dood; pluk meisjes voor mij,

    voeg er blauwe lissen uit het berkenlaantje bij,

    waar blauwe vlinders dansen in de zonnegloed.

         Want ik verveel me dood.

    Ik wil ongedierte zien knagen, rood

    op kolen, appels (ook wel appelen), bitterzoet -

         ik verveel me dood.

     

    Die versjes die ik schrijf vervelen me ook dood

    en de blik van mijn hond is totaal idioot

         als hij luistert naar de pendule

    die hem verveelt zoals ik mij verveel.

    Die jachthond met drie oogharen, dat rotsecreet

         van een rotpoëet,

             is echt een ridicule.

     

    Kon ik maar schilderen. Ik schilderde beslist

    een blauwe weide die vol kampernoelies was,

    waar naakte deernen dansten in het gras

    om een oude wanhopige botanist,

    zo'n strohoedmeneer met een trommel (groen)

    en een gróót groen net om vlinders in te

         doen.

     

    Want ik ben dol op jonge deernen

    en op grotesk gekleurde prenten

    waarop men een botanist ziet drentelen,

    oud en afgemat,

    een bergbeek langs, op pad

         naar de taveerne.

     

    Jammes-Ronde.png

    Quatrième de couverture du numéro de De Tweede Ronde

     

     

    JE M’EMBÊTE…

     

     

    Je m’embête ; cueillez-moi des jeunes filles

    et des iris bleus à l'ombre des charmilles

    où les papillons bleus dansent à midi,

         parce que je m’embête

    et que je veux voir de petites bêtes

    rouges sur les choux, les ails (on dit aulx), les lys.

         Je m’embête.

     

    Ces vers que je fais m’embêtent aussi,

    et mon chien se met à loucher, assis,

         en écoutant la pendule

    qui l’embête comme je m’embête.

    Vraiment ces trois cils de ce chien de chasse,

         de ce chien de poète,

             sont cocasses.

     

    Je voudrais savoir peindre. Je peindrais

    une prairie bleue, avec des mousserons,

    où des jeunes filles nues danseraient en rond

    autour d’un vieux botaniste désespéré,

    porteur d’un panama et d’une boîte verte

    et d’un énorme filet à papillons

         vert.

     

    Car j’apprécie les jeunes filles

    et les gravures excessivement coloriées

    où l’on voit un vieux botaniste éreinté

    qui longe un torrent et se dirige

         vers l’auberge.

     

     


    le poème lu par Yvon Jean

     

     

  • Francis Jammes à la hollandaise (1)

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    « Prière pour aller au paradis avec les ânes »

    et la revue Ad Interim

     

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    Voici quelques années, nous avons donné une ébauche de la réception de Francis Jammes dans les terres néerlandophones ainsi que la traduction d’une série d’articles consacrée au poète par un chroniqueur d’expression néerlandaise. Pour ajouter une petite page à ce petit tableau - après la traduction, signée par un certain Berten Fonteyne, de « La Vie », poème qui clôt le recueil Ma fille Bernadette -, voici celle de l’un des poèmes emblématiques du Béarnais : « Prière pour aller au paradis avec les ânes ».

    Elle a paru dans Ad interim, n° 1, 1946, périodique publié à Utrecht par les éditions A.W. Bruna & Zoon, qui accordait une belle place à la poésie. Aidé par les circonstances, Ad Interim, revue puis mensuel, compte sans doute dans l’histoire des lettres des Plats Pays parmi les rares organes littéraires à avoir réuni un éventail incomparable d’écrivains de tous horizons politiques et confessionnels.

    Au numéro en question ont collaboré quelques-unes des plus grandes plumes des Pays-Bas de l’après-guerre : Adriaan Morriën, Gerrit Achterberg, Godfried Bomans, Pierre Kemp, Hendrik de Vries, Simon Vestdijk… D’autres noms tout aussi parlant pour le lecteur néerlandophone ont été liés à cette publication* qui a vu le jour clandestinement en avril 1944 (la Hollande n’a été libérée qu’en mai 1945) avant d’être absorbée, six ans plus tard, par le plus ancien périodique du pays, à savoir De Gids. Le plus grand poète de l’époque, l’assassin Gerrit Achterberg, a donné des dizaines de poèmes à cette revue.


    francis jammes,ad intérim,traduction,poésie,hollandeCôté lettres d’expression française – en quelque sorte un avant-dernier soubresaut de la culture française en Hollande –, on relève, en traduction et essentiellement dans le numéro double 8/9 paru en 1949, du Mallarmé (« L’Après-midi d’un faune »), du Nerval, du Musset, du Baudelaire, du Tristan Corbière, du Verlaine, du Rimbaud, du Moréas, de l’Albert Samain, des rondeaux de Charles d’Orléans, la « Ballade du pendu » de Villon, du Vigny (« La Mort du loup »),  du Hugo (entre autres « Booz endormi »), du Paul Valéry, de l’Anna de Noailles, du Guillaume Apollinaire, du Jules Supervielle, du Paul Éluard, du Tristan Tzara, du Louis Aragon, du Henri Michaux, du Édouard Jaguer (poète « surréaliste » qui sera lié peu après au mouvement CoBrA), mais aussi le poème « Jean Giono » de Gerrit Achterberg, un article sur Pierre Emmanuel – signé par le francophile Martin J. Premsela qui propose une traduction du poème « Les Dents Serrées ». Du même chroniqueur, on relève une page sur Histoire d’un été de Michel Davet, une autre sur Lysiane Bernhardt (pour son livre Sarah Bernhardt, ma grand’mère), une autre encore sur Le Jardin délivré, premier recueil de Lucienne Desnoues, des articles sur l’auteur et politicien Jean-Richard Bloch, sur Ernest Florian Parmentier. On recense aussi un essai sur Lautréamont (de Koos Schuur), un autre sur Les Heures claires de Verhaeren, diverses chroniques cinématographiques (par exemple sur La Belle et la Bête de Cocteau) ou sur la peinture (Pierre Bonnard au Stedelijk Museum, Chagall…), de la prose et des poèmes d’Henk Breuker, l’ami de Joseph Delteil, Christian Dedet et Frédéric Jacques Temple (entre autres une traduction du texte « Blaise Cendras » de Temple, un texte sur La Putain respectueuse de Sartre ; un autre sur Mon village a l’heure Allemande de Jean-Louis Bory). Par ailleurs, Ad Interim présente une poignée de poèmes dans un drôle de français de Riet Prager, une Néerlandaise qui, nous dit-on, aurait longtemps vécu en France : « Les neiges et les demi-volontés », « Atone qui me hante » et « Célébration précipitée ».

    On doit la traduction du poème de Francis Jammes, qui provient du recueil Le Deuil des Primevères (1898-1900), à Hein de Bruijn (1899-1947), représentant peut-être le plus talentueux de la mouvance liée à Opwaartsche Wegen, revue protestante en vue durant l’entre-deux-guerres, dont il fut l’un des rédacteurs. Né dans une bourgade frisonne, il s’est semble-t-il fait tout seul, échappant par ses efforts à sa modeste condition. Il est l’auteur de recueils de poésie, d’un drame lyrique, d’une réécriture du livre de Job, de traductions de John Donne et de Shelley, ainsi que de proses (quelques nouvelles et deux romans dont l’un resté inachevé). Écartelé entre le milieu auquel il s’était arraché, un travail abrutissant et un milieu artistique où il éprouvait des difficultés à trouver sa place, il décida de rejoindre, après plusieurs dépressions, le paradis des ânes.

     


    Georges Brassens parle de Francis Jammes 

     

     

     

    GEBED, MET DE EZELS, OM HET HEMELRIJK TE MOGEN BINNENGAAN

     

    Wanneer Gij eenmaal, God, mij roept tot U te gaan,

    zo moog’ het zomerland rondom te glanzen staan.

    Ik wil, gelijk ik zulks gewoon was op de aarde,

    m’een pad verkiezen om in vrede naar de

    hemel toe te wandelen, waar daags de sterren schijnen.

    Ik neem mijn stok, om barvoets langs de heirbaan te verdwijnen,

    en tot de ezels, vrienden van mij, is het dat ik zeg:

    zie, hier komt Francis Jammes, naar ’t Paradijs op weg,

    naar ’t lieflijk land van God, daar is geen hellevuur,

    komt mee, zachtaard’ge vrienden, minnaars van ’t klaar azuur,

    mijn arme, lieve dieren, die, als uw oren flappen,

    de vliegen opjaagt, de bijen van u drijft en weert de klappen.

    Dan wil ik mij temidden dezer dieren voor U buigen,

    het hoofd genegen, nederig als deze mij betuigen,

    die, hun kleine hoeven naast elkander, altijd blijven staan

    met zoveel verootmoediging, dat ’k mij voel aangedaan.

    Zo stel ’k mij voor Uw aangezicht, waar duizend oren wenden,

    met zulken, wien de korvenvracht gesnoerd werd om de lenden,

    of eenmaal in een dartlend wagenspan gevangen,

    of opgetuigd voor koetsjes, met verguldsel en gepluimde spangen,

    en zulken, met gebutste kannen dravend, voortgedreven,

    en opgeblazen dracht’ge ezelinnen, die telkens struikelend ’t bijna begeven,

    met, hier en daar verspreid, een enkeling op sokken,

    hem ter bescherming tegen bloedbeluste vliegen aangetrokken,

    waar anders zo’n blauw, etterend open builtje overblijft.

    Laat mij, mijn God, met deze ezels U gemoeten,

    en moge ’t zijn geleid door dichte engelstoeten

    tot bij de beek in ’t lover, waar wind en kersen kozen, 

    in een luister als wanneer de jonge meisjes blozen,

    en geef, dat ik in ’t scheemrend rijk der zielen

    gelijk de ezels aan Uw wateren mag knielen,

    wier ootmoed, waar op aarde hun tred in wiegelt,

    zich dan in ’t klare wellen van de eeuwige Liefde spiegelt.

     

     


    Le poème lu par Gilles-Claude Thériault

     

     

     

    PRIERE POUR ALLER AU PARADIS AVEC LES ÂNES

     

    Lorsqu’il faudra aller vers vous, ô mon Dieu, faites

    que ce soit par un jour où la campagne en fête

    poudroiera. Je désire, ainsi que je fis ici-bas,

    choisir un chemin pour aller, comme il me plaira,

    au Paradis, où sont en plein jour les étoiles.

    Je prendrai mon bâton et sur la grande route

    j’irai, et je dirai aux ânes, mes amis :

    Je suis Francis Jammes et je vais au Paradis,

    car il n’y a pas d’enfer au pays du Bon Dieu.

    Je leur dirai : « Venez, doux amis du ciel bleu,

    pauvres bêtes chéries qui, d’un brusque mouvement d’oreille,

    chassez les mouches plates, les coups et les abeilles. »

    Que je Vous apparaisse au milieu de ces bêtes

    que j’aime tant parce qu’elles baissent la tête

    doucement, et s’arrêtent en joignant leurs petits pieds

    d’une façon bien douce et qui vous fait pitié.

    J’arriverai suivi de leurs milliers d’oreilles,

    suivi de ceux qui portent au flanc des corbeilles,

    de ceux traînant des voitures de saltimbanques

    ou des voitures de plumeaux et de fer-blanc,

    de ceux qui ont au dos des bidons bossués,

    des ânesses pleines comme des outres, aux pas cassés,

    de ceux à qui l’on met de petits pantalons

    à cause des plaies bleues et suintantes que font

    les mouches entêtées qui s’y groupent en ronds.

    Mon Dieu, faites qu’avec ces ânes je Vous vienne.

    Faites que, dans la paix, des anges nous conduisent

    vers des ruisseaux touffus où tremblent des cerises

    lisses comme la chair qui rit des jeunes filles,

    et faites que, penché dans ce séjour des âmes,

    sur vos divines eaux, je sois pareil aux ânes

    qui mireront leur humble et douce pauvreté

    à la limpidité de l’amour éternel.

     

     Francis Jammes

     

     

     Gerrit Achterberg a 19 ans

    francis jammes,ad intérim,traduction,poésie,hollande* Citons les les autres auteurs les plus connus qui ont donné au moins un texte à Ad Interim : Jan Arends, Anna Blaman, J.C. Bloem, Louis de Bourbon, Gerard den Brabander, C. Buddingh’, Frans Coenen, C.C.S. Crone, Cola Debrot, Lodewijk van Deyssel, Mary Dorna, Anton van Duinkerken, Jan G. Elburg, Jan Engelman, le compositeur Rudolf Escher, Robert Franquinet, Jac. van Hattum, Albert Helman, W.F. Hermans, Ed. Hoonik, Alfred Kossmann, Gerrit Kouwenaar, Jef Last, L.Th. Lehmann, Clare Lennart, Vincent Mahieu, A. Marja, Hanny Michaelis, Emiel van Moerkerken, P.H. van Moerkerken, Maurits Mok, Max Nord, Michel van der Plas, A. Roland Holst, Henriëtte Roland Holst, Jeanne van Schaik-Willing, Garmt Stuiveling, Charles B. Timmer, M. Vasalis, Bernard Verhoeven, Simon Vinkenoog, Bert Voeten, Hendrik de Vries, Theun de Vries, Victor E. van Vriesland, Hans Warren, Constant van Wessem… Une palette extrêmement hétérogène (à laquelle il faut ajouter les défunts Multatuli et Willem Paap) réunie par une rédaction de coloration plutôt catholique : Bertus Aafjes, Gerrit Kamphuis, C.J. Kelk, Jaap Romijn et Gabriël Smit ; il s’agissait pour eux d’éditer, uniquement sur une base esthétique, des écrivains privés de support, pour ne pas dire interdits de publications en ces années de conflit. La guerre finie, Ad Interim entendit poursuivre sur sa voie non sectaire et en s’ouvrant à des écrivains flamands et sud-africains. Ainsi voit-on apparaître les noms de Hubert van Herreweghen, Johan Daisne ou encore Karel Jonckheere.

     

     

  • Francis Jammes à la flamande

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    Voici quelques années, nous avons donné une ébauche de la réception de Francis Jammes dans les terres néerlandophones ainsi que la traduction d’une série d’articles consacrée au poète par un chroniqueur d’expression néerlandaise (voir Cahiers Francis Jammes, n° 2-3). Pour ajouter une page à ce petit tableau, voici la traduction libre, signée par un certain Berten Fonteyne, de « La Vie », poème qui clôt le recueil Ma fille Bernadette (poème d’octobre 1909, publié initialement dans la NRF, 1910, n° 12, p. 440-442). Cette traduction a été publiée dans Pogen. Maandschrift der jonge gedachte in Vlaanderen (Tenter. Mensuel de la jeune pensée flamande), novembre 1923, n° 8, p. 248. Les pages suivantes de ce numéro sont consacrées aux Lettres à sa fiancée de Léon Bloy, sous la plume du journaliste Jan Boon. Éditée à Gand, cette revue confidentielle réunissant des auteurs flamands et néerlandais d’obédience catholique – dont des religieux – a cessé d’exister après le deuxième numéro de 1925 ; neuf avaient paru la première année – en 1923 – et douze en 1924. Nous ne disposons d’aucune information sur le traducteur. (D .C)

     


     

    « Une Vie, une Œuvre » par Paule Chavasse, 13 novembre 2008, France Culture 

     

     

    VAN HET HUIZEKE

     

    Het leven is net ’n heel klein huizeke

    dat staat langs den weg, mijn Bernadetje!

    ’n heel simpel huizeke met grove muren,

    vervuld van eerlijkheid,

    en in welks hof we druivekes plukken

    en hazelnootjes.

    Daarna gaan we heen.

     

    Bekijk ’ns goed dat kleine huizeke

    met zijn miniatuur-pui;

    het is er zoals wij er zijn

    en erover heen schuift haastig het getij.

     

    Wat blijft er wel zo al van dat alles

    als de laatste stonde heeft ingeluid,

    die stonde waarin gelijk een waterstriem

    een geknielde schaduw weent?

    God.

     

    Enkel God blijft dan nog

    God! ’t is te zeggen:

    het grote huis waaruit we nooit zullen heengaan.

    Het huis waar, op de pui,

    de biddende engel, de ogen sluit.

     

    Maar, Bernadetje, terwijl jij in dat leven bent,

    leer het goed hoe dat leven is. -

    Ken het lijk je een les kent die je aandachtig

    tot het einde hebt gevolgd,

    en die je geboeid heeft tot het laatste woord.

     

    En als dan je zacht, gewelfd voorhoofdje

    op zal staren van dat grote boek

    waarin je spelde van het brood dat uit het koren groeit

    en van de wijn die uit de druiven druipt,

     

    dan zul je best begrijpen

    hoe innig lief dat huizeke is;

    dat huizeke langs den weg waarin niets bizonders is

    maar waar er vier hartjes wonen

    je vader, je moeder, je meetje

    en jij.

     

    En kijk ’ns! in onzen ochtend

    welven de hemelen over onze daking

    heel gulden als maagdehonig

     

     


     Georges Brassens chante « La Prière » de Francis Jammes, 1965

     

     

    LA VIE

      

    La vie est comme une petite maison bâtie sur le bord d’un sentier, ô ma Bernadette !

    une maison toute simple aux gros murs honnêtes

    dans le jardin de laquelle on cueille du chasselas et des noisettes.

    Puis l’on s’en va.

     

    Vois la petite maison

    avec son perron.

    Elle est là comme nous sommes là, et la saison avance à grands pas.

     

    Qu’est-ce qui demeure

    de tout cela quand a sonné la dernière heure, celle où comme un filet d’eau une ombre à genoux pleure ?

    Dieu.

     

    Il reste Dieu, c’est à dire la maison

    d’où jamais nous ne sortirons,

    la maison où l’ange en prière sur le perron ferme les yeux.

     

    Mais apprends bien, ô Bernadette, pendant que tu es dans la vie,

    comment elle est, cette vie : sache-la comme une leçon qu’on a suivie

    du bout du doigt et qui t’aura ravie

    jusqu’à la fin.

     

    Et quand ton front si doux et bosselé

    se relèvera du grand livre où tu auras épelé

    le pain qui naît du blé

    et le vin du raisin,

     

    tu comprendras combien la petite maison est chère,

    la maison sur le sentier dans laquelle il n’y a rien d’extraordinaire,

    mais où vivent quatre cœurs : ton père, ta mère, ta grand’mère et toi.

     

    Et voici que le ciel

    doré comme le miel

    après notre réveil

    s’élève sur le toit.

     

    Francis Jammes

     

     

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  • Archaïques les animaux

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    Hester Knibbe aux éditions Unes

     

     

    Couv-Knibbe.jpg

     

     

    Je prends la cervelle la langue et les joues,

    disait l’un, mais le cœur, je le jette.

     

    Interdits nous ne soufflions mot, inventoriant

    le reste du corps sans nous répandre

     

    davantage. Gravîmes la montagne le lendemain

    en quête de nourriture : rien que de l’immangeable.

     

    Aussi avons-nous abattu une innocence.

    Laissant cerveau langue et joues

    intacts, prenant le cœur.

     

     

    Depuis 1982, Hester Knibbe (1951) a publié une douzaine de recueils. D’une certaine façon, ses poèmes donnent l’impression d’avoir toujours existé. Le lecteur peut découvrir depuis ce printemps, en traduction française, l’une des œuvres les plus récentes de cette figure majeure de la poésie des Pays-Bas : Archaïques les animaux (éditions Unes). Quant à la revue Nunc, elle a publié dans son n° 47 « Bouche », cycle qui ouvre le dernier recueil de la Néerlandaise : As, vuur (Cendre, feu, 2017, éditions De Arbeiderspers). Dans Archaïques les animaux, Hester Knibbe parvient à sublimer deux de ses points forts : un usage original, actuel de la pensée et des mythes de l’Antiquité et de l’Ancien Testament, ainsi qu’une forte psychologie identificatoire. Par ailleurs, elle fait se rejoindre avec subtilité le passé et l’avenir.

     

     

    Le mot de l’éditeur

     

    photo : Anna V.

    HesterKnibbe-MdlP-2019.jpgC’est un poème en forme de long voyage. C’est un poème des origines, de la sortie de la nuit et de la naissance des langages et des idées : entre culpabilité et maternité, comment a-t-on appris à être humains, et que faire de ceux que l’on met au monde ? L’écriture de Hester Knibbe est d’une sècheresse qui prend feu, brûle par les deux bouts, infiltre sa violence froide dans les tissus de l’homme, dans son histoire. Elle vient couper la parole. C’est un panorama de l’espèce, de notre sédentarité. Plus qu’un panorama, un témoignage du long voyage humain — nous ne sommes pas tous revenus, beaucoup se sont dissous dans la violence. Nous cherchons à comprendre « les lois de l’animal qui habite en nous » : férocité, voracité, et notre honte de vivre, dans l’appréhension du monde, des mythes et des meurtres. Nous qui errons dans les murs effrités de la cité, cherchant à échapper à notre précarité, nous passons par les détails, ce qu’il nous reste à bâtir pour ne pas oublier. Nous continuons à chercher « une maison où accoucher en paix d’une vie qui chante et qui rugit », dans la pesanteur de nos gestes, qui assure notre continuité, le rite, le foyer. Et le silence, et le secret. Nous habitons ici, rejetés, nous avons atterri ici, avec nos corps dispersés dans ce monde qui a trop grandi. Notre archaïsme, c’est notre permanence, notre incapacité à dépasser la mort. C’est notre solitude familière à laquelle on ne s’habitude jamais complètement. Hester Knibbe cherche notre assise humaine, notre trace, notre amour en forme de lumière sur la terre et notre possibilité à renouveler notre avenir : « qu’est-ce qui nous rêve jusqu’au bout ? »

     

    exemplaire sur Vélin d'Arches contenant une œuvre originale de Stéphanie Ferrat

    TiargedeTETE-HESTER KNIBBE.jpg

     

     

    Et ils ont dit que

     

    bénir signifie aider, mais il y avait cette nuit-là

    tant de blessures sur terre que mes yeux

    et jambes se sont pétrifiés. Et j’avais

     

    peur peur du sang sur mes mains et

    qu’alors sur mes visage ventre et

    bras j’en. Voilà pourquoi j’ai crié

     

    bénis-moi bénis-moi – le craintif.

     

     

    Hester Knibbe, Archaïques les animaux, traduit du néerlandais par Kim Andringa & Daniel Cunin, imprimé en typographie, vignette de Stéphanie Ferrat, Nice, éditions Unes, 2019, 80 p., 16 euros.

     

     

    Hester Knibbe lit le poème « Oui »

     

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