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flandres-hollande - Page 66

  • Lucas Cranach l'Ancien en poésie

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    Un poème d’Astrid Lampe

     

     

    CranachExpo.pngÀ l’occasion de l’exposition The World of Lucas Cranach au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, les visiteurs peuvent découvrir des peintures parlantes : « Au XVIe  siècle, le tableau vivant était considéré comme un genre “littéraire” dans les cercles de rhéteurs. Dans l’exposition de Cranach, ce n’est plus l’homme qui est considéré comme une sculpture humaine mais les tableaux qui sont “anthropomorphisés”, au propre comme au figuré. Ce concept est un clin d’œil au peintre anversois Jan Cox qui avait un jour déclaré qu’il fallait savoir écouter ses peintures pour en saisir le sens. Cinq poètes de renom, issus de Belgique et des Pays-Bas se sont chacun inspirés d’une peinture de Cranach pour lui insuffler vie sous la forme d’un poème. Ils ont ainsi donné le jour à cinq poèmes audio uniques qui donnent la parole à la peinture. Les cinq poètes ont tous des atomes crochus avec le monde de Cranach. Certains ont préféré laisser libre cours au personnage du tableau, d’autres ont choisi de donner vie à la peinture elle-même. »

    Les poètes en question sont Stefan Hertmans (Belgique), Astrid Lampe (Pays-Bas), Lucienne Stassaert (Belgique), Gwenaëlle Stubbe (Belgique) et Han Van der Vegt (Pays-Bas). On peut entendre les poèmes en 3 langues : traductions de Piet Joostens pour le néerlandais, Daniel Cunin pour le français, Cole Swensen et Willem Groenewegen pour l’anglais.

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    Lucas Cranach l’Ancien, Lucrèce, vers 1510-1513, collection particulière © www.humanbios.com, Human Bios GmbH, Suisse 

     

     

    Le poème d’Astrid Lampe inspiré du tableau Lucrèce

     

     

    weer valt mijn vacht op dezelfde plek open

    kan het blote oog bloter: neem bezit van mijn wit

    neem bezit van dit wit, sla het op sla me open

    room me af met je blik voel je vingers

    weer lopen: niets verzinnen manmijn

    de wol die ik spon tot jij mij weer liet spinnen

    was de wol die ik kaarde o en wit was die wol

    o en witter mijn tint nu, de teint die ik trouw met de room voor je

    spaarde: uit! nu die droom, vals de dag

     

    weer valt de nacht op dezelfde plek open

    kon het boze oog bozer

    al het zwart kruipt zo naar boterzwaar in me op

    kan je blote oog bloter kón ik maar blozen liefste o en dolk

    stoot me rozen al bleef ik dood in zijn grafkou, nog trekt de slaap

    het halve werk van die lafaard nu simpel voltooien

    open en bloot rond me af neem bezit van dit wit o

    en hart noem me diertje jouw Lucretia totaal ( )

    blind leid ik je staal stoot o en stoot nog éénmaal

     

     

     

    encore même endroit encore ma fourrure s’entrouvre

    l’œil nu peut-il se faire plus nu

    prends ma blancheur prends

    possession de ma peau blanche peau

    couve-la des yeux allaite-toi

    ouvre-moi de tes doigts cours et parcours – sans minauder

    la laine que j’ai filée pour filer doux

    entre tes doigts, laine ô combien blanche

    ô combien plus blanc mon teint

    teinte et lait que j’ai gardés fidèlement

    pour toi : fini ! d’abord le rêve, faux jour

     

    encore même endroit encore la nuit s’entrouvre

    le mauvais œil peut-il se faire plus mauvais

    tout le noir grimpe caillé en moi

    ton œil nu peut-il se faire plus nu

    et moi rougir ô tendre et dague

    poignarde-moi de roses même si je gis

    dans le froid de sa tombe le sommeil attire

    histoire de finir le boulot bâclé de ce couard

    ouverte et nue achève-moi prends possession de cette blancheur ô

    cœur appelle-moi biche ta Lucrèce toute (  )

     aveugle je guide ton acier frappe oh poignarde et frappe encore 

     

     

    traduit du néerlandais par Daniel Cunin

     

    CranachLucrèce.png

    Lucas Cranach l'Ancien, Le Suicide de Lucrèce, 1538, Bamberg, Neue Residenz 


  • Artiste fin de siècle

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    Carel de Nerée

     

     

     

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    Autoportrait

     

     La Jeune mariée (détail)

    denerée16bis.pngChez lui, pas de vaches, pas de canaux, pas de watergangs, pas de marines, pas de femme au pot de lait, pas de ciels immenses dominant une bataille navale, pas de moulins se reflétant dans l’eau, aucun intérieur d’église, aucune maison proprette, pas d’horizontales et de verticales noires, pas de tournesols, mais des visages de fées, de sorcières, des faunes, des fleurs vénéneuses et des fleurs de givre, des violets et des ors, des flexuosités noires, des tétins turgescents. Autodidacte et dandy, le peintre et des- sinateur Christophe Karel Henri (Carel) de Nerée tot Babberich (1880-1909) est en effet un des rares représentants néerlandais du décadentisme. Élevé dans une famille noble de la Gueldre fondée par un « ministre de la parole de Dieu » ayant fui la France vers 1600 (1), il suit des études à Anvers puis se destine à la diplomatie. Parallèlement, il caresse l’espoir de faire une carrière littéraire avant de donner la priorité à l’art pictural, en particulier au dessin (à partir de 1898), même s’il ne se sent pas à vrai dire une vocation d’artiste. Nommé Secrétaire du Consulat des Pays-Bas à Madrid, il s’établit brièvement dans cette ville où les premiers symptômes de la tuberculose ne tardent pas à se manifester. Près de trente ans plus tard, l’écrivain Henri van Booven (1877-1964) est revenu sur cette période de la vie de son ami cultivé, pétillant, plein d’esprit et doué d’une mémoire exceptionnelle (2), dans un roman à clé : Een liefde in Spanje (Un amour en Espagne, 1928). Joris van Ree y apparaît comme l’alter ego du défunt cependant que l’auteur narre les semaines riches en aventures qu’ils passèrent ensemble dans ce pays en faisant leur le denerée24.pngprécepte flaubertien : Il faut vivre en bourgeois et penser en artiste. On suit en particulier les principaux personnages dans une maison close de Madrid où ils dînent et passent certaines nuits, chacun avec sa demoiselle attitrée. Plutôt médiocre et décousu, ce roman présente tout de même quelques pages en rapport avec l’univers cher à Carel de Nérée (par exemple des descriptions de cauchemars). (3)

    Judith

    denerée9.png

    Si la manière de Carel de Nerée restitue un univers qui n’est pas sans rappeler celui d’un Baudelaire, d’un Verlaine, d’un Pierre Louÿs, d’un D’Annunzio ou encore d’un Camille Mauclair, et traduit l’influence d’Aubrey Beardsley et des peintres Goya et Jan Toorop – on a pu aussi relever une parenté entre quelques-unes de ses œuvres et certaines de Toulouse Lautrec, d’Odilon Redon ou de Gustave Moreau –, l’artiste affirmera dans les dernières années de sa vie un talent et un coloris propres dans une veine voluptueuse et décadente qu’il qualifiera lui-même de « cérébro-sensuelle ». On estime qu’il a réalisé de 300 à 400 œuvres – dont beaucoup suggèrent une impression trompeuse d’inachevé – qui n’ont jamais été exposées de son vivant. Carel de Nerée a laissé des créations directement inspirées de romans comme Extase de Louis Couperus ou Le Jardin des supplices d’Octave Mirbeau, et de poèmes de Mallarmé ou de Tristan Corbière. On a aussi de lui une aquarelle représentant la célèbre Yvette Guilbert. 

     

    C. de Nerée

    denerée4.pngPlusieurs expositions lui ont été consacrées en Hollande – la première en 1910 a suscité l’enthousiasme et l’admiration de plus d’un critique, et il en ira de même dans les décennies suivantes, par exemple en 1926 (voir article de Just Havelaar dans Het Vaderland du 27/10/1926) ou en 1934 (voir l’article de W. Jos de Ruyter dans Het Vaderland du 29/11/1934) –, ainsi qu’en Allemagne et en Italie, mais pas encore semble-t-il en France ni en Belgique.

    Sérénité (détail)

    DeNerée17.pngDans la magnifique revue d’art et de culture Elsevier’s Geïllustreerd Maandschrift (numéro 42, 1911, p. 6-18), Henri van Booven a rendu hommage à son ami dont il s’était toutefois éloigné après la période espagnole. Les deux dandys ont été très liés pendant trois ans avant que Carel n’effectue de nombreux séjours à l’étranger pour se soigner et qu’un différend ne vienne troubler leur belle entente. C’est peut-être par l’intermédiaire du romancier que La Revue de Hollande – à laquelle celui-ci avait donné la nouvelle Império en décembre 1915 – est entrée en contact avec l’un des frères du dessinateur et a publié deux poèmes du disparu ainsi qu’un autoportrait (n° 7, janvier 1916, cahier de 2 pages entre les pages 853 et 854). En juin 1916, Nandor de Solpray présentait Carel de Nerée aux lecteurs français (4), des pages en partie inspirées par le texte de Van Booven. Ce sont ces documents édités par le périodique franco-hollandais qu’on pourra lire ci-dessous, rehaussés de reproductions d’œuvres du décadent néerlandais.

     

     Etude d'une Sulamite (détail)

    denerée18bis.png(1) Richard Jean de Nerée (1579-1628), traducteur des actes du synode de Dordrecht et auteur du poème Avant-panegyrie ou Trophees rares de son Excellence Monseigneur le Prince d’Orange (1619).

    (2) Il récitait ainsi à son ami Van Booven des poèmes de Verlaine après les avoir lus une seule fois.

    (3) Ce livre dont l’action se déroule entre la Hollande, l’Espagne et la France et qui mélange extraits de lettres, du journal intime du narrateur et relation du séjour de ce dernier auprès de son ami qui ne tarde pas à tomber malade, comporte plusieurs pages sur la région d’Auxerre où l’alter ego de Van Booven se retire afin d’y peindre et de recouvrer une certaine sérénité. 

    (4) Ces pages 1442-1447 sont placées juste après une étude étoffée de Francis de Miomandre sur Oscar Venceslas de Lubicz-Milosz : « O.-W. Milosz » (p. 1413-1441).

     

     

     

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    « Ramina, mooie ramina ! »* 

    Dans le silence de la petite rue hollandaise la voix traînante du marchand s’élève, nostalgique. Le silence ? Sans doute, malgré qu’au loin, par-delà les jardins et les maisons de briques, la mer du Nord poursuive sa plainte sans fin. 

    Les passants attardés de La Haye, ceux qui promènent quelque rêve et ceux qui digèrent, en levant les yeux, voient une fenêtre qui reste, longtemps dans la nuit, éclairée. 

    Une lampe, couverte d’un abat-jour jaune, projette son or léger sur les murs de la chambre où courent d’étranges décorations vert or et vert noir. Les rayons d’une bibliothèque portent des livres aux riches reliures. La Belle Inconnue de l’École florentine regarde dans la nuit, en souriant de son éternel sourire de marbre. Les tapis, d’un violet sombre, donnent à la pièce on ne sait quel air de « décadence ».

    « Ramina, mooie ramina… » 

    C’est dans cette demeure qu’il voulut étrange, qu’a rêvé, c’est là qu’a souffert durant sa trop courte existence, Karel de Nerée tot Babberich, peintre et poète.

     

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    Clownerie (1904) 

     

    Feuilletons les livres qu’il aimait. Baudelaire et Verlaine, Poe et Wilde, Maeterlinck et Rodenbach nous révèlent un cœur amoureux des rares émotions et des longues tristesses. Les vers de Herman Gorter, poète hollandais et ceux de Hugo von Hofmannsthal ont souvent empli le crépuscule attardé. De Nerée lisait ces poètes à voix haute et nous aimons à penser que les strophes de la Tristesse de la Lune se sont mariées, dans le soir bleuâtre et tiède, au bruit monotone de la mer.

    Nous voudrions esquisser, sans nulle prétention à la « critique d’art », la silhouette de ce peintre dont l’œuvre reste encore énigmatique et troublante dans sa forme, précise ; nous voudrions le montrer tel qu’il aimait à être vu, modeste avec hauteur, impitoyable aux sots, aimant les fêtes et les femmes, très peu deftig**, mais doué d’un tel pouvoir de séduction, qu’en ce pays de Hollande où il est si dangereux de rompre avec certaines traditions, il fut pourtant aimé, fêté, recherché.

    Ceux qui l’ont connu nous l’ont dépeint, svelte dans les costumes qu’il dessinait lui-même et parlant des choses qu’il aimait, en tenant levées, pour que le sang ne les alourdît point, ses mains petites, blanches et belles merveilleusement. Il abondait en comparaisons hardies et se laissait emporter très loin par son sujet, oubliant même ses interlocuteurs.

    De Nerée avait-il le pressentiment de sa fin rapide ? Il semble avoir cherché en des voyages fréquents cette abondance d’im- pressions qu’apporte la vue des paysages chaque jour différents et des visages toujours nouveaux. Son état de santé l’obligeait d’ailleurs à de fréquents séjours en Suisse, mais il goûtait pourtant la vie un peu factice des désœuvrés que les couchers de soleil sur la montagne reposent des crépuscules vénitiens et que la mélancolie du Campo-Santo de Pise berce après le carnaval romain.

    S’il nous avait été permis d’entrer dans l’intimité d’un mort que tant de proches pleurent encore, nous aurions sans doute évoqué la belle existence d’aventures qu’il mena. Il savait le charme des petites villes italiennes et Marietta, la Pisane, le retint de longs jours. L’histoire qui paraît détachée des Mémoires de Jacques Casanova finit tristement : la Marietta – délaissée peut-être ? – s’empoisonna.

     

    DeNérée7.jpg 

    La Belle image

     

    Nous ne pouvons adopter, pour Karel de Nerée, le cadre d’un article tel qu’il se présenterait à nous s’il s’agissait d’un autre artiste. De Nerée fut un « peintre maudit ». Il a été l’évocateur de nos rêves inavoués.

    C’est à Baudelaire, Verlaine et Mallarmé qu’il doit d’avoir couru, encore adolescent, aux limites extrêmes de la sensation ; d’avoir osé sonder certains abîmes ; d’avoir respiré les plus dangereux parfums.

    Il leur doit cette éducation de la sensibilité qui lui a permis d’exprimer, dans des images d’une forme nouvelle, les rêves qui nous hantent par les soirs mauvais. Nous sommes d’autant plus heureux de pouvoir noter quelques-unes des impressions que nous a laissé l’œuvre de Karel de Nerée, que cet artiste paraît subir, momentanément, le sort injuste dévolu à ceux qui n’ont pas reculé devant les ténèbres d’un monde qu’il est périlleux de vouloir explorer.

    Nous avons dit que de Nerée fut un voyageur passionné, mais combien plus beaux sont les voyages qu’il a entrepris dans les palais de mystère qui sont plus proches de la maison Usher que des châteaux de fées ! Nous imaginons que son regard intérieur a visité tous les jardins de Bagdad, qu’il a suivi les couloirs des palais égyptiens et s’est arrêté sur toutes les fleurs d’Asie. Karel de Nerée est le peintre des crépuscules et du mystère, mais, avant tout, il a été obsédé par ce qu’il y a de moins matériel dans le corps humain : les yeux (1). 

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    signature de l'artiste

     

    Les personnages de Karel de Nerée nous regardent, si l’on peut dire, par tout leur corps. Ils sont brûlés de regards, étoilés de pupilles ; les seins dressés d’une longue courtisane portent à leurs extrémités deux yeux ; dans les broderies de ses bas, des prunelles nous guettent, et ses ongles, étroits et pointus, ont des yeux enchâssés.

    Dans les yeux des visages, chez ce peintre, frissonnent mille paysages, comme en ces lacs qui reflètent le ciel et les arbres et semblent dessiner la forme du vent qui ride leur eau.

    Nous avons lu autrefois, dans un livre très beau, mais que nul ne connaît, la merveilleuse histoire d’un amant qui vit un jour dans les yeux de la bien-aimée, tous les pays qu’elle avait visités, tous les ciels qui l’avaient baignée de lumière, toutes les fleurs qui la charmèrent… Tour à tour triste et joyeux, il la vit passer, dans l’aube mouillée et le soir vaporeux, au bras d’un autre cavalier, il vit ses robes d’autrefois et les abandons et les perfidies… De Nerée projette ainsi dans les yeux qu’il dessine les rayons d’un esprit sensible et riche. Il fait naître une prunelle de chaque paillette de jupe, des pierres des bagues, et l’améthyste, crépusculaire, regarde et rêve du passé. 

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    catalogue exposition 1975, Clèves

     

    Nous tâchons de nous rapprocher le plus possible de l’artiste dont l’œuvre nous a séduit et nous nous défions de la forme « pontifiante » de certaines critiques autant que des sèches énumérations et des comparaisons dangereuses. Mais s’il est un nom que nous puissions prononcer en même temps que celui de de Nerée, c’est celui de l’étrange et subtil Aubrey Beardsley.

    On nous assure cependant que le dessinateur hollandais ne connut guère que dans les dernières années de sa vie les figures troublantes de Beardsley. Il avait déjà créé – ou rêvé – son univers, parcouru tous les parcs crépusculaires où jouent des violons invisibles et senti peser sur lui le regard humain qui l’a tant obsédé.

    L’idée de la mort domine l’œuvre de de Nerée. Ce voluptueux triste voit toujours le squelette à travers les jeunes corps qu’il dessine. Certaines de ses illustrations laissent une impression de gêne. Il a souvent exprimé ce « qu’il ne fallait pas dire ».

    Sur des fonds crépusculaires il a fait surgir les princesses barbares de ses rêves. Ces sœurs des Damnées de Baudelaire, sont vêtues de robes brodées et surbrodées. Elles sont parfois nues.

     

    La très chère était nue et connaissant mon cœur,

    Elle n’avait gardé que ses bijoux sonores… 

     

    Ces femmes, certains jours, s’habillent comme des Rôdeuses et la magnificence de leur corps éclate pourtant parmi leurs haillons.

    « Il avait le don merveilleux de voir plus loin que l’apparence extérieure, il voyait au-delà de l’expression des visages, et derrière les formes fallacieuses, l’âme humaine… » nous écrit son frère, le peintre François de Nerée qui, avec piété, garde le souvenir du disparu. 

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    Carel de Nerée

     

    Parmi les œuvres les plus importantes et les plus caractéristiques que laisse Karel de Nerée, il faut citer quelques séries d’illus- trations pour les éditions de luxe de certains livres. Ses premiers dessins de ce genre étaient destinés à illustrer la Dernière Incarnation, de Henri Borel (2).

    Il existe aussi quelques dessins pour Extase, une des œuvres les plus connues de Louis Couperus. Le Johannes Viator de Frederik van Eeden avait aussi tenté l’imagination de de Nerée et il a exécuté des dessins qui conviendraient à une édition de ce beau livre.

    De la même époque datent Sérénité et la belle Annunciata (dessin au crayon). Ce sont deux yeux, surnaturellement beaux, qui regardent dans le lointain. L’une des toiles les plus importantes de l’artiste, Le Cloître, paraît avoir été peinte dans ce temps. 

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    Extase

     

    Il fit quelques dessins sur soie que sa mère broda, et des illustrations de Verlaine.

    La Bénédiction, dessin sur soie, peut être compté parmi ses œuvres les plus remarquables. C’est une symphonie en argent bleu pâle et rose tendre.

    Vers 1904, Karel de Nerée fit des illustrations pour la Salomé d’Oscar Wilde, L’Après-midi d’un faune de Mallarmé et un frontispice destiné aux Amours Jaunes de Tristan Corbière.

    Nous connaissons de de Nerée une étude de nu au crayon, aux lignes souples et tendres qui semblent être sculptées dans le marbre.

    Six mois avant sa mort, Karel fit un dessin qu’il intitulait Tantris le Harlequin. C’est Tristan, habillé en Arlequin, qui joue tristement du violoncelle. Son dernier dessin, Finis (La Fin) représente une tête de Faune qui regarde du haut d’un piédestal. Nous sommes sensibles à cet adieu « verlainien » de l’artiste. 

     

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    poème publiée dans La Revue de Hollande 

     

     

    Nous avons intitulé ces notes : Karel de Nerée peintre et poète. De Nerée a laissé le début d’un roman intitulé Burgerdom (La Bourgeoisie) (3). Il fut, avant d’être dessinateur, poète et poète d’expression française. La Revue de Hollande a déjà publié*** deux de ses poèmes. Comme dans ses dessins, l’influence de certains écrivains français est notable. La langue poétique de de Nerée n’est pas très riche, mais sa sensibilité trouve à s’épancher malgré la médiocrité apparente des moyens d’expression.

     

    mausolé

     

    Vous me verrez peut-être un jour dans un suaire.

    J’aurai l’air de la mort.

    Mais je naîtrai alors.

    Ce ne sera pas loin, pas si loin qu’on le pense :

    Mes mains sont maigres

    Mes doigts sont pâles et ma bouche flétrie, hélas.

    La mort, je le sais, est proche. 

     

     

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    La Musique (1904)

     

     

    Karel de Nerée est mort à Todtmoos (Grand Duché de Bade) le 19 octobre 1909, dans sa vingt-neuvième année. Il laisse une œuvre qui n’est guère connue en dehors des frontières hollandaises. Sa première exposition, au Kunstkring de La Haye, en 1910, fut un évènement, car en dehors de quelques amis et des membres de sa famille, nul ne connaissait ses dessins.

    Il est à souhaiter que l’œuvre de Karel de Nerée soit exposée à Paris. La peinture hollandaise ne s’arrête pas à Rembrandt, comme on pourrait le croire : il sera bon, il sera juste, que les Toorop, les de Nerée, les Van der Hem (4) affrontent, après la guerre, la lumière d’un Paris pacifique et glorieux.

     

    Nandor de Solpray

     

     

    * « Radis noirs, les beaux radis noirs ! »

    ** « Comme il faut. »

    *** n° 7, janvier 1916. Poèmes et portrait.

     

    catalogue exposition fin 1974- début 1975, Laren 

    denerée21.png(1) Henri van Booven insiste sur ce point dans son article de 1911.

    (2) Cette nouvelle de Henri Borel a paru sous la forme d’une « adaptation » française de Léon Paschal dans le n° 3 de La Revue de Hollande, septembre 1915, p. 325-335. 

    (3) La légende veut qu’il ait écrit et brûlé ce roman.

    (4) Piet van der Hem (1885-1961), peintre qui voyagea beaucoup et séjourna à Paris en 1907-1908. Il a aussi laissé une œuvre de dessinateur (politique). À ne pas confondre avec le des- sinateur du XVIIe siècle Herman van der Hem établi et mort à Bordeaux.

     

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    poème publié dans La Revue de Hollande

     

     

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  • Intermède Kees van Dongen

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    Van Dongen

    par Anita Hopmans

     

     

    Anita Hopmans, qui a consacré plusieurs ouvrages au peintre néerlandais, retrace le parcours de ce dernier à travers des images d'archives (version néerlandaise sous-titrée en anglais) à l'occasion de l'exposition All eyes on Kees van Dongen (Musée Boijmans Van Beuningen, 18 septembre 2010 – 23 janvier 2011). 

     


     

     

     

     

  • La fidélité, ça suffit !

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    Roman-feuilleton

    des poètes-traducteurs

     

     

    « L’intraduisible n’est pas une donnée empirique,

    c’est un effet de théorie. »

     

    Henri Meschonnic, Poétique du traduire 

     

     

    Prologue

     

    Sarah2.pngTout a commencé à cause d’une femme. Une américaine maladive qui a cru bon d’écrire un cycle intitulé « In a Hospital » inséré dans le recueil Flame and Shadow. Le plus stupide dans cette histoire, c’est que cette Sarah Teasdale étant morte depuis déjà trois décennies, on aurait pu la laisser tranquille. On aurait pu faire comme si elle n’avait jamais existé, comme si elle avait toujours été invisible, invue, non vue, inaperçue… Mais Robert Goffin, poète lui aussi – qui a d’ailleurs eu les honneurs de la collection « Poètes d’Aujourd’hui » de Seghers – a cru bon d’exhumer un poème de cette suicidée dans une étude « consciencieuse » (1) que tout le monde pourra lire dans le Bulletin de l’Académie de Langue et de Littérature Françaises (traduction : de Langue française et de Littérature belge d’expression française). Dans les pages en question, R. Goffin formule un point de vue peu original sur la traduction de la poésie : « sa pensée maîtresse revient à ceci : que, face aux secrets d’une langue, il y a ce qui s’avère aisément traduisible (le jeu des images, la pensée ou l’atmosphère poétique) et ce qui reste rétif à tout effort (le génie même des mots: leur richesse de sens, leur musique). » (2) Autrement dit, le traducteur en est Sarah16.pngsouvent réduit à des adaptations plutôt ap- proximatives quand elles ne sont pas trompeuses. Et ce passionné de jazz d’étayer sa thèse sur plusieurs exemples, c’est-à-dire des poèmes dans la langue originale et des transpositions assez littérales, dont le poème hospitalier de Sarah Teasdale The Unseen :

     

     

    the unseen

     

     

    Death went up the hall

    Unseen by every one,

    Trailing twilight robes

    Past the nurse and the nun.

     

    He paused at every door

    And listened to the breath

    Of those who did not know

    How near they were to Death.

     

    Death went up the hall

    Unseen by nurse and nun;

    He passed by many a door -

    But he entered one. 

     

     

     

    Premier épisode : tastatsat

     

    Marcel Hennart

    Sarah7.pngDans la chronique qu’il tient pour la revue Le Thyrse, le poète belge Marcel Hennart (né en France peu avant la fin de la Grande Guerre), traducteur lui aussi, s’intéresse au travail de son confrère wallon. Avec courtoisie, il salue l’extrême soin avec lequel Robert Goffin situe le problème tout en reprochant une certaine rugosité à la traduction qu’il propose de The Unseen. « Scrupuleusement, Robert Goffin n’a même pas osé traduire le titre ; en effet, il hésitait entre le trop littéral et inacceptable L’Invue (ou La non vue) et L’Invisible, qui apporte une nuance (de plus, il eût aimé employer le masculin, Death étant ce genre en anglais). » (3) Le choix opéré pour restituer nurse et nun ne le satisfait pas non plus. En effet, on est en droit d’émettre bien des réserves au sujet de cette tastatsat (Traduction / Adaptation / Substitution / Transposition / Acclimatation / Transformation / Soumission / Appropriation / Trahison) poétique :

     

    La mort monta dans le hall

    Sans être vue de personne

    Traînant ses robes de couchant

    Au delà de la nurse et de la nonne

     

    Elle s’arrêta à chaque porte

    Surveillant la respiration

    De tous ceux qui ne connaissaient pas

    La proximité de la mort

     

    La Mort monta dans le hall

    Sans être vue par l’infirmière et la nonne

    Elle passa le long de nombreuses portes

    Mais elle en ouvrit une.

     

     

    Ne se doutant en rien de l'avalanche de traductions qu’il va déclencher, Marcel Hennart y va lui aussi de la sienne :

     

     

    l’inaperçue

    (ce mot ajoute-il tellement ?)

     

    La Mort monta dans la grande salle

    nul ne l’a vue

    traînant ses robes de couchant

    outre l’infirmière et la religieuse

     

    Elle s’arrêta devant chaque porte

    elle écouta le souffle

    de tous ceux qui ne savaient pas

    combien ils étaient près de la mort

     

    La Mort monta dans la grande sallei

    inaperçue de l’infirmière et de la religieuse

    Elle passa devant bien des portes

     

    et en ouvrit une seule. 

      

     

    Deuxième épisode : du tac au tac

     

    Sarah8.pngLe temps passe. Sarah se rendort dans son linceul. Le Thyrse publie un numéro double consacré à O.V. de L. Milosz à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de sa disparition : « Il m’accompagne ainsi, je pense qu’il m’ensemence à mon insu, sans que je le visite bien souvent, comme un arbre pour lequel je serais un biotope favorable. Ils étaient quelques-uns de ce caractère dans mon verger privé, pas du tout de la même espèce. Et si l’on me demande pourquoi, je réponds comme Montaigne : Parce que c’est moi, parce que c’est eux. » (Patrice de La Tour du Pin). Paraît alors le numéro du mois de mai 1964 de la « revue d’art et de littérature » bruxelloise. Entre autres : deux pages consacrées à Quintes, premier roman de Marcel Moreau, un poème vraiment de circonstance intitulé Créer l’invisible, et les nouvelles munitions que sort Robert Goffin. Dans « L’éternel problème de la fidélité (suite) », il estime « la traduction du poème de Sarah Teasdale par Hennart […] meilleure que la [s]ienne » ; malgré tout, il en propose deux nouvelles. La première lui a été remise par le poète ardennais Elie Willaime :

     

    celle qu’on ne voit pas

     

    La Mort longea le couloir

    Inaperçue de tous

    Traînant des voiles crépusculaires

    Plus loin que la nurse et la nonne

     

    Elle hésita devant chaque porte

    À l’écoute de la respiration

    De ceux qui ne savaient pas

    Comme de la Mort ils étaient proches

     

    La Mort avança dans le couloir

    Invisible à la nurse et à la nonne

    Elle dépassa plus d’une porte

    Hormis celle par où elle entra.

     

     

    Sarah4.pngLa seconde est de sa propre main : « Les traductions de Hennart et de Willaime sont bonnes, mais, à mon humble sens, elles ne laissent pas l’impression d’un poème original et n’apportent pas de solution aux subtilités de la métrique et des rimes, qui me paraissent pourtant importantes, c’est-à-dire que la traduction devrait atteindre la perfection d’un poème original dont plus un mot ne peut-être changé » (4).

     

    l’inaperçue

     

    La mort monta dans le couloir

    Sans être observée par personne

    Traînant ses parures de soie

    Par delà la nurse et la nonne

     

    À chaque chambre elle écouta

    La respiration d’abord

    De ceux qui ne connaissaient pas

    La proximité de la mort

     

    Puis la mort au long du couloir

    Toujours invisible à chacune

    Longea plus d’une porte car,

    Pour finir, elle en ouvrir une.

     

     

    Sarah19.pngMais le traducteur d’immédiatement s’exclamer : « Hélas ! ce n’est pas parfait ! » Il n’est satisfait ni de l’emploi de nurse, ni du recours à certaines rimes - mais pourquoi chercher à tout prix des rimes ? - ni de la présence de mots su- perflus (car, puis, pour finir). « Cela prouve, comme mon article tendait à le démontrer, qu’une traduction parfaite est impossible. Ma traduction peut-elle laisser l’impression d’un poème non traduit ? C’est-à-dire, oserais-je publier cette traduction à côté d’un des poèmes de mon prochain livre ? » Serait-on moins doué en Belgique qu’aux Pays-Bas où quelques-uns des plus grands poètes du XXe siècle ont incorporé dans leurs Œuvres complètes nombre de traductions, à commencer par Martinus Nijhoff qui a donné son nom au prix le plus prestigieux récompensant les traducteurs ? En désespoir de cause, Robert Goffin – soutenu en cela par la rédaction de la revue – lance un appel aux lecteurs du Thyrse afin qu’ils donnent leur avis et éventuellement améliorent la version française du poème de la séduisante défunte. Était-ce bien sage ?

     

     

    Troisième épisode : taratata

     
    Sarah15.pngLes lecteurs ne s’étant pas fait prier, Le Thryse publie le mois suivant quelques réactions. Mais d’abord, Marcel Hennart tient à donner son avis. Une nouvelle fois, il souligne poliment la qualité de la réflexion de Robert Goffin avant de s’empresser de reconnaître les limites de sa seconde version : « l’apparence même d’échec de sa tentative confirme l’excellence de son étude pénétrante et bien pensée ». Que les choses sont bien dites en bien peu de mots ! Pour le chroniqueur, on est devant un problème insoluble en raison des géométries, des couleurs, des sonorités différentes des langues. On ne peut réussir « la quadrature du cercle ». Seule solution pour le traducteur : « présenter le mieux possible un travail épineux qu’il sait condamné d’avance à l’imperfection. Il peut rejoindre en cela l’angoisse du vrai créateur » (5). Imperfection, angoisse, créateur postiche : excusez du peu.

    C’est ensuite au chantre de Bruxelles, Louis Quiévreux, « diplômé de Cambridge, professeur d’anglais et d’espagnol », ainsi qu’il le rappelle lui-même, de s’exprimer sur le sujet. À la différence des autres, il se refuse à donner une traduction du poème. Les traductions, il n’y croit plus : « ne perdons pas nos efforts et notre temps à essayer de changer les couleurs, les sons, les pensées. Étudions les langues et lisons dans le texte ! » (6). On est sauvé : plus d’imperfection, plus d’angoisse, plus que des vrais créateurs. Son argumentation repose sur la catégorisation tainienne des langues (l’anglais étant celle de la poésie, le français celle de la prose, le papiamento celle de... de quoi au juste ?) ou encore sur le fait que les accents toniques « tombent, en français, immanquablement sur la dernière syllabe sonore ».

    Heureusement pour notre feuilleton, d’autres vont se montrer moins radicaux. L’auteur Raymond Deschamps est le premier à proposer un début d’analyse relativement à la thématique de l’invisibilité et à l’élément charnière constitué par unseen et nurse and nun : « Le poème est basée idéologiquement sur un rapport verbal interne ; il importe donc de maintenir ce rapport étroit d’expression à l’intérieur du poème traduit, mais faut-il absolument le laisser subsister dans les traductions entre les mêmes termes, alors que nurse and nun, même traduits par infirmière et religieuse, n’a pas en français la portée, la force de frappe et d’évocation poétique, qu’il a en anglais. » (7) En conséquence, il suggère de retenir comme mots-clés invisible et porte et se propose de rester fidèle à l’esprit du poème en privilégiant « l’idée de souveraineté de la Mort due à son invisibilité » et en maintenant le symbole essentiel même si ce n’est plus la vigilance de la nurse et de la nonne qui est trompée, mais celle, matérielle, de la porte. On a fait un pas en avant. Raymond Deschamps est aussi le premier à dire que Sarah20.pngla question de la fidélité est mal posée, mais il ne pousse pas sa réflexion assez loin : « le problème de la traduction du poème est bien un problème de fidélité, mais de fidélité à quoi ? à qui ? […] la fidélité au poète compte plus que la fidélité au poème ». (8)

    Sarah de profil

    Voici sa traduction, la cinquième de la confrérie de nos poètes-traducteurs :

     

    l’invisible

     

    La Mort invisible de tous

    Monta dans le couloir

    Traînant ses voiles de crépuscule

    Outre l’infirmière et la religieuse

     

    S’arrêta devant chaque porte

    Pour entendre respirer

    Ceux qui ne savaient pas

    Que la Mort était à leur porte

     

    Invisible et de porte en porte

    La Mort rôda dans le couloir

    Pour ouvrir enfin sans qu’on l’aperçut

    La porte choisie.

     

     

    Sarah12.jpgLa dernière voix qui s’élève dans cette livraison du Thyrse est celle du poète qu’abhorre le plus Amélie Nothomb, à savoir Maurice Carême. Mais peut-être la Métaphysique des tubes aura-t-elle fait long feu qu’on lira encore papi Maurice dans les écoles. Carême fait partie des rares écrivains belges d’expression française qui ont pris la peine de traduire certains de leurs confrères flamands. En la matière, son crédo a toujours été semble-t-il de restituer « le chant, l’enchantement, le mystère qui sont à la base de toute poésie valable » ; il estime qu’une « traduction littérale n’est jamais qu’une mauvaise prose ». Il préfère d’ailleurs réserver le terme de traduction à la prose et retient celui d’adaptation pour la poésie. Plutôt que de proposer à son tour une traduction de The Unseen, il donne une adaptation du ’t er viel ’ne keer (9), poème de Guido Gezelle, en guise d’illustration de sa méthode de travail :

     

    il tomba une fois

     

    Un jour, une feuille tomba

    sur l’eau.

    Un jour, il y eut une feuille

    sur l’eau.

    Et sur cette feuille, cette eau

    glissa.

    Et sur la feuille, cette eau-là

    glissa.

    La feuille se mit à tourner

    dans l’eau.

    La feuille était toute semblable

    à l’eau,

    Aussi souple et aussi pliable

    que l’eau,

    Aussi gaie, aussi indolente

    que l’eau,

    Aussi rapide, aussi mouvante

    que l’eau,

    Aussi ridée, aussi courante

    que l’eau.

    Ainsi, cette feuille gisait

    sur l’eau.

    Et l’on eût dit que cette feuille

    et l’eau

    N’étaient plus l’une, cette feuille

    et l’autre,

    l’eau, mais que la feuille était l’eau

    et l’eau,

    La feuille qui tomba un jour

    sur l’eau.

    Quand l’eau courait, la feuille aussi

    courait.

    Si l’eau stagnait, la feuille aussi

    stagnait ;

    Quand l’eau montait, la feuille aussi

    montait

    Et descendait quand descendait

    cette eau

    Et s’arrêtait quand s’arrêtait

    cette eau.

    Ainsi, sur l’eau, tomba un jour

    la feuille.

    Et le ciel était bleu et bleue,

    cette eau

    et blanche et verte et bleue était

    cette eau,

    Et la feuille riait quand l’eau

    riait,

    Mais l’eau était devenue comme

    la feuille

    Et la feuille était devenue comme

    de l’eau.

    Mon âme était cette feuille et

    cette eau,

    Tintant comme deux harpes (10), et

    sur l’eau

    Sur le bleu brillant et tranquille

    de l’eau,

    Je flottais comme dans un ciel

    bleu d’eau,

    Le bleu du ciel joyeux, du ciel

    de l’eau.

    Un jour, une feuille tomba

    sur l’eau,

    Il y eut, un jour, une feuille

    sur l’eau. (11)

     

     

    Quatrième épisode : Tacatacatac !

     

    Sarah17.pngC’est l’été. Après la lecture des essais « Montesquieu, Sylla et la dictature » et « Angoisse et liberté » (sur Kafka et Kierkegaard) ou encore d’une page de Pol Vandromme sur le dramaturge Michel de Ghelderode, les abonnés du Thyrse retrouvent Marcel Hennart et une nouvelle équipe de fleurettistes. La rédaction a dû opérer un choix parmi le nombreux courrier reçu. Elle retient cinq tastatsat accompagnées des commentaires de leurs auteurs. L’homme de lettres Ernest Degrange ouvre les hostilités : « Je crois être d’autant plus indiqué pour traduire The Unseen que je ne connais pas l’anglais, – ou si peu, […] je ne cours pas le risque d’être rivé scolairement, si je puis dire, au texte original ». Le Wallon a tout de même l’honnêteté de préciser que son épouse, qui « possède fort bien la langue des sœurs Brontë » l’a assisté. Refusant le mot à mot, « le superfétatoire alignement prosodique », il nous propose la version suivante du « lugubre » poème :

     

    l’inaperçue

     

    Inaperçue de tous, et dépassant la nurse et la nonne, la Mort, traînant ses atours crépusculaires, gagne le grand couloir.

    Elle s’arrêta devant chaque porte, prêtant l’oreille à la respiration de ceux qui ne se doutaient pas que la Mort fût aussi près d’eux.

    Inaperçue de la nurse et de la nonne, la Mort a gagné le grand couloir. Elle est passée devant bien des portes, – à l’exception d’une seule, par laquelle elle entra.

     

    La palette s’enrichit donc d’une version « en prose ». Un autre poète, le biblio- thécaire Roger Brucher va tenter pour sa part de préserver « l’accent, l’incantation et l’étroitesse de tracé du poème original » tout en flamandisant celui-ci avec sa « béguine » :

     

    l’insue

     

    La Mort glissa par le couloir

    sans que quiconque la devine

    tirant à soi ses draps de soir

    en négligeant nurse et béguine.

     

    Elle fit le guet à chaque porte,

    prêtant l’oreille au souffle court

    de ceux-là ignorant toujours

    cette très imminente voisine.

     

    La Mort glissa par le couloir,

    sans déranger nurse et béguine.

    Elle laissa là plus d’une porte,

    mais finit pourtant par en franchir une.

     

    Le traducteur défend le néologisme pour le titre « dans la mesure où la Mort n’est pas seulement inaperçue, mais insoupçonnée, non devinée ». Puis il explique brièvement quelques-uns de ses choix :

    Sarah6.png 

    Vient alors le tour d’un certain Jean Guimaud. Ne croyant guère aux notions de « fidélité » et d’« infidélité », il se contente, avance-t-il, de proposer de simples équivalences qui ne prétendent « à autre chose qu’à m’avoir un instant amusé ». La rengaine du traducteur plein de modestie. Peut-être le lecteur a-t-il lui aussi de quoi s’amuser entre ombre en rase-mottes et jolie fée :

     

    l’inaperçue

     

    Entre les femmes

    qui, soignant l’âme,

    veillent aux corps,

    rôde la mort.

     

    Emmitouflée

    de voiles noirs,

    elle est montée

    dans le couloir.

     

    Elle y écoute,

    s’y faufilant

    sans qu’on s’en doute,

    battre le temps.

     

    De porte en porte,

    son ombre basse,

    en rase-mottes,

    passe et repasse.

     

    Par l’une d’elles,

    elle est entrée

    furtive et belle

    comme une fée.

     

    Qui la craignait,

    l’aurait-il vue ?

    qui l’espérait,

    l’aurait-il eue ?

     

    Entre les femmes

    qui veillant l’âme,

    soignent les corps,

    rôde la Mort.

     

    Sarah au chapeau

    Sarah21.png

     

    G. Van der Straeten, traducteur, va s’efforcer pour sa part « de trouver un équivalent à l’allitération “nurse” et “nun” » :

     

     

    l’invisible

     

    Invisible pour tous

    En ses robes de crépuscule

    Glissant derrière la bonne et la nonne

    La Mort remonta le hall

     

    À chaque porte elle s’arrêta

    Écoutant le souffle

    De ceux qui ne savaient pas

    Combien près d’eux était la Mort

     

    Invisible à la bonne et la nonne

    La Mort remonta le hall

    Dont elle dépassa plus d’une porte.

    Mais par l’une d’elles elle entra. 

     

     

    Enfin, pour conclure la série, une dame, Marie Nohant. S’en sort-elle mieux ?

     

    l’inaperçue

     

    En longs voiles couleur de soir

    Sans être vue de personne,

    La Mort monta dans le couloir,

    Dépassa la nurse et la nonne.

     

    Aux portes, elle s’arrêta,

    De tous les souffles, à l’écoute.

    Derrière, nul ne soupçonna

    La Mort si proche sur sa route.

     

    Cachée à la nurse, à la nonne,

    La Mort arpenta le couloir,

    Choisit une porte – la bonne ! –

    Et l’ouvrit sans bruit dans le noir… 

     

     

     Épilogue

     

    Sarah18.png« Je serais heureux si plusieurs lecteurs […] s’essayaient eux-mêmes à ce petit jeu si difficile, pouvaient améliorer ce que nous avons fait à plusieurs et dire ce qu’ ils en pensent. » (12) À moins qu’il n’existe dans une anthologie ou un recueil une traduction de The Unseen de la main d’une personne qui n’a cure de la fidélité. « La fidélité a les meilleurs intentions du monde. Mais elle est elle-même la première dupe involontaire de son application et de sa bonne conscience. Rien de ce qu’elle entreprend ne saurait lui réussir. Elle pense étreindre un texte, et n’embrasse qu’un énoncé. » (13) Remplacez-nous les nonnes par de belles mignonnes.

     

     

     

    (1) Une version revue et corrigée de cette étude a semble-t-il paru dans Fil d’Ariane pour la poésie, Paris, Nizet, 1964.

    (2) Marcel Hennart, « L’éternel problème de la fidélité », Le Thyrse, n° 1, 1964, p. 27.

     (3) Ibid., p. 28.

    (4) « L’éternel problème de la fidélité (suite) », Le Thyrse, n° 5, 1964, p. 232.

    (5) « L’éternel problème de la fidélité (suite) », Le Thyrse, n° 6, 1964, p. 290.

    (6) Ibid., p. 291.

    (7) Ibid.

    (8) Ibid., p. 291-292.

    (9) Guido Gezelle, Dichtwerken, vol. 10, Amsterdam, L.J. Veen, 1951, p. 16-17. Il s’agit de la onzième édition revue des Laatste Verzen (Derniers poèmes). Le poème, ainsi que l’indique le sous-titre entre parenthèse, se veut une manière de souvenir du septuor de Beethoven ; il date de 1859.

    (10) Dans son anthologie Les Étoiles de la Flandre. Guido Gezelle, Karel van de Woestijne, Jan van Nijlen, Paul van Ostaijen, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1973, Maurice Carême a remplacé ces mots par : « deux accords se répondant ».

    (11) En voici la version originale :

    Sarah13.png

    Sarah14.png

    (12) Robert Goffin, Le Thyrse, n° 5, 1964, p. 232.

    (13) Henri Meschonnic, Poétique du traduire, Lagrasse, Verdier, 1999, p. 26.

     

     

  • Félix Timmermans (1886-1947)

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    « Il nous pousse des sens nouveaux »

     

     

     

     photo de l'auteur : AMVC-Letterenhuis

    Timmermans2.pngProsateur très populaire de son vivant, F. Timmermans, après avoir écrit quelques œuvres d’une teneur pessimiste, a mis en avant une vision idéalisante de la vie rurale ainsi qu’un catholicisme enjoué ; certains de ses romans annoncent le vitalisme. Il devint « célèbre avec son roman Pallieter (1916), série de tableaux de mœurs flamandes qui ont pour héros un jeune et joyeux meunier, paillard et farceur, plein d’entrain et de couleurs, suivi, en 1918, d’une nouvelle naïve et raffinée Les Très belles heures de mademoiselle Symphorose, béguine, composée dans la tradition des conteurs médiévaux. Il écrivit encore une vingtaine d’ouvrages débordant de vitalité et d’humour et tout imprégnés de la Flandre dont il recrée aussi bien les mentalités que l’atmosphère pittoresque des petites villes, notamment Psaume paysan (1935) ». (source). Comme d’autres artistes, il passa quelques années aux Pays-Bas suite à l’activisme dont il avait fait preuve durant la Grande Guerre ; il y vécut de sa plume, mais aussi de ses dessins et de ses toiles. Nombreuses sont ses œuvres qui ont été adaptées au théâtre et à l’écran ou qui ont été traduites en français, en anglais et plus encore en allemand. Son style prolixe fait de lui l’antipode d’un Willem Elsschot, ainsi que le souligne Bart Van Loo dans son récent ouvrage consacré à l’auteur du roman parisien Villa des roses* ; mais, ainsi quil le dit et en témoigne, rien n’empêche de goûter l’un et l’autre. Pour évoquer cette figure du siècle passé originaire de Lierre – dont le récit La Harpe de saint François (Le Seuil) et l’album Un bateau du ciel (Les 400 coups) ont été réédités en France et au Québec depuis l’an 2000 –, nous avons retenu la chronique « Félix Timmermans » que lui a consacrée le poète et traducteur Gommaire Van Looy dans Le Thyrse du 15 mai 1925, en nous contentant d’y adjoindre quelques notes explicatives.

     

    * Elsschot, Antwerpen & Coralie, Anvers/Amsterdam, Houtekiet/Atlas, 2010 (photos d'Alain Giebens). 


    Trailer (sous-titres français) du film

    Little Baby Jesus of Flandr…

    de Gust Van den Berghe,

    adaptation du roman de Felix Timmermans

    Het Kindeken Jezus in Vlaanderen

    (1917, trad. LEnfant Jésus en Flandre, 1925).

    Les personnages principaux sont interprétés

    par des handicapés mentaux.

    (la première adaptation date de 1928) 

     

     

     

     

    Timmermans8.png

     

     

     

    Les histoires contées par Timmermans, les atmosphères qu’il établit, les images qu’il combine, sont à ce point unes avec la langue flamande qu’il n’est presque pas possible de les vivre autrement que par le texte flamand.

    Bob Claessens (1) a traduit Pallieter, Neel Doff (2) a traduit L’Enfant Jésus en Flandre. Je suis tenté de dire qu’il eût mieux valu ne pas les traduire. Quelle que soit la virtuosité du traducteur, jamais il ne parviendra à rendre en français les expressions juteuses que l’on rencontre ligne par ligne dans ces œuvres fleuries. Timmermans3.pngEn traduction littérale : « op heur zeven gemakken » devient « sur ses sept aises », mais cette expression en français ne suggère rien, est peut-être même ridicule (3). Tandis que le flamand « op heur zeven gemakken » donne immédiatement l’atmosphère populaire, colorée, moqueuse un peu, joyeuse et saine. Une telle expression a toute la valeur d’un fruit mûr que l’on caresse de la main. Il est difficile et dangereux de traduire un poème, et les œuvres de Timmermans, prosateur, sont des poèmes.

     

    *

    **

     

    Timmermans, qui unit plus intimement que jamais ces caractères depuis des siècles propres au peuple flamand : mysticisme contemplatif et plaisir de se sentir vivre, pourrait à ses œuvres adjoindre ce sous-titre : « les sens en liberté ». Au point que le professeur Vermeylen (4), dans une conférence qu’il donna à la Lanterne Sourde, déplia cette phrase: « Il semble que quand nous lisons Timmermans, il nous pousse des sens nouveaux. »

    Timmermans5.pngIl en est de lui comme des fleuristes qui, d’un toucher de doigt, font paraître une fleur plus fraîche et plus neuve : il suffit qu’il s’empare d’un objet pour que celui-ci nous paraisse transformé et comme remis à neuf. Tout est divinisé, nouvellement vu : « Des moulins tournaient et de petits hommes labouraient les champs, cueillaient les fruits des arbres et allaient avec des charrettes sur les chaussées. Et loin, très loin, où le ciel de nacre touchait la terre, il y avait, couchée dans une lame de dunes blondes, une vague de la mer. »

     

    *

    **

     

    Timmermans5bis.pngIl est un procédé, cher aux artistes depuis quelque temps, qui consiste à situer les figures de la Sainte Famille parmi les êtres et les choses d’aujourd’hui, et en particulier parmi les êtres et choses de Flandre. Jacob Smits (5) nous montre des tableaux où doucement passe Jésus, auréolé et de blanc vêtu. Je me souviens aussi de tel tableau de Van de Woestyne (6) où la Vierge à l’Enfant éclot devant une ferme flamande, au milieu d’un verger offrant ses jeunes fleurs.

     

    *

    **

     

    C’est ainsi également que procède Timmermans dans son très poétique et charmant récit: L’Enfant Jésus en Flandre. C’est d’abord, pleine de lumière douce et de simplicité, la vie de Marie, jeune paysanne orpheline, fiancée depuis l’enfance à Joseph, le charpentier, et qui se consumait « du désir féminin d’avoir des enfants, de doux, tendres enfants, avec des cheveux blonds et des figures rosées, que dans son ingénuité elle ne voyait pas grandir et qui lui seraient donnés comme la rosée descend le soir sur les prairies. Car Maria était très pure et chaste de pensée. » Et c’est l’Annonciation, parmi les champs qui s’ouvrent au printemps, sous les arbres qu’un vent léger fait vibrer. Et c’est le mariage, et Timmermans9.pngle recensement à Bethléem, village de Flandre, et c’est toute une histoire que naïvement, passionnément, nous suivons comme une légende ancienne que nous découvrons pour la première fois. Car Timmermans est un conteur ingénieux, qui n’a pas touché à la trame de l’histoire narrée, mais a repeint avec délicatesse ou avec verve tous ces décors trop connus, ce qui nécessairement entraîne une légère transformation de l’esprit des personnages et des détails de leur vie.

     

    *

    **

     

    Timmermans aime trop les peintres et, en particulier, Breughel (lors des fêtes il prononça un discours extraordinaire à la gloire du maître ancien) pour que dans ses livres on ne remarque pas les suites de cette admiration (7). Dans L’Enfant Jésus en Flandre, les tableaux où interviennent Joseph, Marie et Jésus, semblent peints à Laethem-Saint-Martin, tandis que les parties secondaires, par exemple la description de la cour d’Hérode, de l’arrivée des rois mages, forment une suite d’images d’Épinal bouffonnes, caricaturales. C’est de l’art populaire exécuté par un maître. Dessins de lignes simples et de couleurs savamment combinées, sans arabesques fantaisistes. Juxtaposition de sentiments, de caractères, de gestes, donnant un maximum d’émotion par une agréable simplicité. Que de jouissance trouvent nos cerveaux enfiévrés par les bizarreries dans ces assemblages pleins Timmermans10.pngd’art ! Voyez cette délicieuse opposition : Hérode (c’est celui que nous connaissons bien, mais légèrement transformé il est ici un roi étranger irascible et cruel régnant sur la Flandre), au physique : une tête « rouge comme un soleil éteint », un visage couvert de pustules dont les démangeaisons lui enlèvent toute joie, est dans un beau jardin à jouer aux échecs avec le sec amiral, tandis qu’un peu plus loin « un gentilhomme, avec une épée d’argent, conduisait une dame de cour en bleu vers un bassin rond où resplendissaient deux cygnes ».

     

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    Timmermans n’est pas exclusivement écrivain, mais encore dessinateur, illustrant par exemple de petites vignettes son chef-d’œuvre Pallieter, vignettes remarquables rendant exactement et délectablement l’esprit du livre. C’est presque de la miniature, c’est de l’enluminure.

     

    Gommaire Van Looy

     

     

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    une toile de Félix Timmermans

     

    (1) Flamand néerlandophone, ami de Timmermans (couverture d'une des éditions de sa traduction reproduite ci-dessus). 

    NeelDoff1.png(2) Neel Doff (1858-1942), femme néerlandaise, prostituée puis romancière d’expression française, auteur de Jours de famine et de détresse (1911), Contes farouches (1913), Keetje (1919), Keetje Trottin (1921), Angelinette (1923), Campine (1926), Elva suivi de Dans nos bruyères (1929), Une fourmi ouvrière (1935) et les récits et souvenirs Quitter tout cela ! suivi de Au jour le jour (1937).

    (3) Le critique a certes raison de relever le peu de saveur d’une tournure comme « sur ses sept aises » qui est un calque de la locution « op heur zeven gemakken » (elle figure dans la traduction de Neel Doff). Mais au-delà d’un simple exemple, le problème essentiel de ces traductions réside dans un manque de fluidité : le texte français souffre d’une absence de cohérence organique, il ne fait pas ce que fait l’original. Traduire Timmermans demande de restituer un univers lexical et syntaxique que l’on pourrait comparer à celui d’un Giono. Camille Melloy (1891-1941), poète d’expression française, s’en est sans doute mieux tiré dans sa transposition de la vie du fondateur de l’ordre des frères mineurs : La Harpe de saint François. 

    (4) Sur August Vermeylen, voir : ICI et ICI.

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    enseigne d'un café anversois (début 2010)

     

    (5) Jacob Smits (1856-1928), peintre hollandais. « Elève des académies de Rotterdam, Bruxelles et Munich, il s’installe à Amsterdam en 1881 comme peintre décorateur puis devient professeur et directeur de l’école industrielle et de décoration de Haarlem. En 1889, il se fixe définitivement à Mol dans la Campine belge. Peintre solitaire, en marge des mouvements qui l’ont formé, il va créer une sorte de symbolisme pré-expressionniste où la lumière prend une importance démesurée et à laquelle il attache une signification presque mystique. Il recherche ses modèles chez les paysans, dans le folklore et l’art populaire. Les scènes de la Bible ont fortement inspiré le peintre de Rotterdam non pas pour leur message religieux mais plutôt pour leur correspondance avec les expériences de la vie. Dans un travail où la pâte est onctueuse, où le clair-obscur exprime le mystère de la foi, Smits se considère comme un exclu. » (source : Musée Charlier)

    (6) Gustave Van de Woestyne (1881-1947), peintre majeur flamand, frère du grand poète symboliste Karel Van de Woestijne.

    Timmermans6.png(7) Félix Timmermans a écrit un ouvrage sur Bruegel traduit en français : La Vie passionnée de Pieter Bruegel, traduit du néerlandais par Nelly Weinstein, Paris/Verviers, L’Intercontinentale du Livre/Gérard, 1956. Texte de la jaquette : « De nombreux ouvrages ont déjà paru sur l’œuvre de Bruegel. Presque aucun d’eux ne parle de la vie du grand peintre, si ce n’est incidemment. Cette lacune s’explique par le fait qu’on retrouve fort peu de relations de la vie de l’artiste. Les seuls récits dignes de foi, se puisent dans la chronique de Van Maander, peintre lui-même, mais plus connu comme chroniqueur des peintres flamands. Il était donc fort intéressant de reconstituer cette vie tourmentée, dont chaque œuvre reflète un épisode. Pour le faire, il s’est trouvé le plus grand et le plus humain des romanciers flamands, Félix Timmermans, qui, lui aussi est peintre, et qui plus est, vit dans le cadre qui a vu naître et se développer son illustre compatriote. Grâce à grand talent, Timmermans a merveilleusement réussi à dépeindre la vie pathétique de l’artiste, en empruntant à la chronique de Van Maander, mais en puisant surtout dans l’œuvre de Bruegel. Pieter Bruegel, tel que je te devine en contemplant ton œuvre est le titre flamand de l’ouvrage, qui fait comprendre et aimer l’œuvre du peintre, bien mieux que n’importe quel ouvrage critique ou didactique. »

     


    Trailer du film Boerenpsalm du réalisateur Roland Verhavert,

    d’après le roman de Félix Timmermans de 1935

    (trad. : Psaume paysan, Betty Collin, diverses éditions).