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Voici deux ans, à travers l’exposition « Une passion royale pour l’art », les villes de Saint-Pétersbourg, Dordrecht et Luxembourg ont rendu hommage à l’un des plus grands couples de collectionneurs d’art du XIXe siècle, le roi Guillaume II (1792-1849) des Pays-Bas et son épouse, fille et sœur de tsars, Anna Pavlovna (1795-1865). Ce roi, le traducteur et poète Auguste Clavareau – présenté ailleurs sur flandres-hollande, mais absent semble-t-il de l’Histoire des traductions en langue française. XIXe siècle (Verdier, 2012) – l’a célébré lors de sa disparition. Bien que né à Luxembourg et de confession catholique, il s’est rallié à la famille royale de son pays d’adoption. Le poème ci-dessous est l’une des nombreuses œuvres de circonstance témoignant de son attachement à la Maison d’Orange-Nassau.
Une passion royale pour l’art
Guillaume II des Pays-Bas et Anna Pavlovna
catalogue de l’exposition à la la Villa Vauban (12/07/14 - 12/10/14)
sous la direction de Sander Paarlberg et Henk Slechte
Zwolle, WBOOKS, 2014.
GUILLAUME II,
AU TOMBEAU ROYAL DE DELFT
Cessez vos chants de deuil, Peuples, faites silence !
Qu’on n’entende en ces lieux que le bruit des sanglots.
Le funèbre convoi vers la tombe s’avance :
La Néerlande a perdu son père, son héros !
Guillaume-Deux n’est plus !... Cette tête si chère,
Qui n’a pu de la mort conjurer les rigueurs,
Va reposer auprès de son illustre père,
Et Delft ouvre ses murs à l’objet de nos pleurs.
Le voilà ce Monarque aimé d’un peuple brave !
Sous le linceul, il dort du suprême sommeil !
Le voilà l’héritier du grand nom de Batave,
Qui de la liberté nous rendit le soleil !
Suivons, pleins de respect, le char des funérailles ;
Que nos pleurs recueillis montent vers l’Éternel !
À ces restes sacrés, échappés des batailles,
Dans nos cœurs ulcérés dressons tous un autel.
À genoux, Néerlandais, devant l’Être des Êtres !
Prions ! au Roi des Rois offrons notre douleur ;
Prions, pour que le sol fécondé par nos ancêtres
Prospère encore en gloire, en vertus, en grandeur !
Prions, un nouveau règne en ce moment commence.
Au milieu des États qui s’écroulent partout,
La Néerlande est en paix et maintient sa puissance ;
En face des écueils la Néerlande est debout.
Dans ces jours orageux qui fut l’appui du trône ?
Qui lui donna la force et défendit ses droits ?
C’est l’amour pour le front qui portait la couronne.
L’attachement du peuple est la garde des Rois.
Son fils nous l’a promis, il suivra son exemple ;
Car le sang des Nassau fait palpiter son cœur.
Sur son trône affermi l’univers le contemple
Et sur lui la Patrie a placé son bonheur.
Entends-nous, ô grand Dieu ! daigne, dans ta sagesse,
En protégeant le Sceptre exaucer notre espoir ;
C’est à toi qu’aujourd’hui notre douleur s’adresse ;
Que nos vœux accomplis signalent ton pouvoir !
Giillaume-Deux n’est plus ; mais que son ombre amie,
Dans de rudes travaux aide et guide son fils ;
Qu’elle éclaire ses pas ; et, comme un bon génie,
Qu’elle veille des Cieux sur notre heureux pays !
Et Vous, ô noble Reine, ô veuve inconsolable,
Qui pleurez un époux arraché de vos bras,
Vous n’auriez pas subi le coup qui vous accable
Si nos cœurs avaient pu le sauver du trépas ! !...
Silence ! De nos Rois s’ouvre la tombe auguste !
Adieu, Guillaume, adieu, pour la dernière fois,
Dors près de tes Aïeux ; dors du sommeil du juste !...
« S’élever dans l’échelle sociale, monter en grade… À ces désirs très humains, le christianisme oppose un renversement radical, au sens fort du terme. De sa forêt de Groenendael, près de Bruxelles, où il mena une vie de recueillement et de prière monastique vers la fin du Moyen Âge, Jean Ruysbroeck (1293-1381) nous envoie sous forme de mode d'emploi ce petit traité spirituel qui n'a pas pris une ride. S’y déploie en sept chapitres – les sept degrés – le paradoxe même de la vie spirituelle : le chemin de la montée est d’abord descente. » (1) Cette progression spirituelle qui est en même temps « descente », Claude-Henri Rocquet l’expose en ces termes : « Les sept degrés de l’échelle intérieure ne se succèdent pas selon la simple progression arithmétique : ils forment un édifice. D’une part, les quatre premiers : ils traitent des vertus extérieures. De l’autre, les deux derniers : consacrés à la vie contemplative, dans son commencement et dans sa perfection. Entre les vertus du dehors et l’expérience intérieure, le cinquième degré – qui occupe plus de la moitié du livre – forme un traité spirituel qui s’inscrit dans le traité d’ensemble. Et l’on retrouve, en ce degré, les trois degrés de la vie spirituelle selon Ruysbroeck et bien d’autres mystiques : l'union à Dieu par les œuvres, l’union à Dieu avec intermédiaire, l'union à Dieu sans intermédiaire.
« Cette manière d’intégrer la gradation des trois modes de vie intérieure aux degrés de l’échelle ascétique et mystique est admirable et subtile. On pourrait dire plus exactement que les trois représentations de la vie spirituelle – monter vers le sommet, descendre dans l’abîme insondable de l’humilité, atteindre le centre – s’harmonisent et se réunissent. Ce qui est au plus haut et au plus humble, au cœur de tout, unique, insondable, évident, à jamais inaccessible et toujours présent et donné en abondance, c'est l’amour. L’unique et multiple amour. »
l’édition de référence : moyen néerlandais / latin / anglais
Jan van Ruusbroec, Van seven trappen. Opera Omnia 9,
De l’échelle que Jacob vit en songe jusqu’à la montée du Carmel évoquée par saint Jean de la Croix, la vie spirituelle a souvent été perçue comme élévation, ascension, progression de l’âme vers Dieu. Pour Jean Ruysbroeck (1293-1381), mystique flamand, précurseur de la devotio moderna, cette montée à « l’échelle d’amour » invite à l’abaissement. S’épanouir en Dieu, c’est participer à l’humilité du Christ.
Ce livre de Ruysbroeck est une lettre de conseils adressée à une moniale maîtresse de chœur de son couvent. Il peut, certes, se lire et se méditer dans le silence et la solitude. Mais mieux vaudrait sans doute le dire, l’entendre, le chanter : des poèmes, jaillis parfois du sein de la prose, le suggèrent.
Distribué en plusieurs voix, jalonné de chants et de musique, de silences, de pauses méditatives, ce livre apparaîtrait ainsi moins proche de l’épître, de l’homélie, du traité, que de l’office et de la célébration liturgique.
Par-là se révélerait pleinement la beauté des Sept degrés de l’échelle d’amour spirituel.
Vie et œuvre de Ruysbroeck (en anglais) par Rob Faesen
première édition, 2000
Ces Sept degrés sont en réalité une édition revue et augmentée de celle parue voici déjà quinze ans. Le traducteur et préfacier s’explique sur l’origine de ce grand livre au format poche (6,50 €) : « J’avais publié une Petite vie de Ruysbroeck chez Desclée de Brouwer et Marc Leboucher, son éditeur, m’a demandé de traduire et de présenter une œuvre de Ruysbroeck dans Les Carnets. Pour respecter le format de cette collection, j’ai choisi l’un de ses livres les plus brefs et j’en ai résumé une partie. L’ouvrage étant épuisé, Bruno Nougayrède (directeur d’Artège qui a repris DDB) a souhaité rééditer Les sept degrés de l’échelle d’amour spirituel, mais de façon intégrale. Cette réédition m’a permis d’étoffer la présentation (un extrait ici) et ma réflexion sur le travail du traducteur. »
Cette nouvelle exploration du texte de Jan van Ruusbroec (orthographe néerlandaise) conduit Claude-Henri Rocquet à en proposer une lecture à haute voix ; on pourrait même en chanter certains passages en les accompagnant de musique. Quant à son travail de préfacier, il le met sous l’égide de Julien Green : « L’ordre véritable est fondé sur la prière, tout le reste n’est que désordre (plus ou moins bien camouflé). Le Moyen Âge était un immense édifice dont les assises étaient le Pater, l’Ave, le Credo et le Confiteor. Tout ce qui est édifié sur autre chose ne peut que s’effondrer tôt ou tard dans la boue sanglante. » (Journal, 30 juillet 1940)
Par ailleurs, reprenant et révisant sa transposition des Sept degrés (Van VII trappen), œuvre composée vers 1360, C.-H. Rocquet, venu au prieur de Groenendael par les peintres Bosch et Bruegel – auquel il a consacré une véritable somme en deux volets –, nous livre en guise de postface diverses considérations rassemblées sous l’intitulé « Traduire » (p. 121-134). À propos de sa traduction, relisons les propos d’Yves Roullière : « Claude-Henri Rocquet, auteur d’une biographie sur l’ermite de Groenendael, hérite de toute une tradition d’écrivains galvanisés par l’écriture ruusbrochienne Sa manière de traduire, fort élégante, contraste avec celle de dom Louf, plus rugueuse. Il est vrai que Les sept degrés de l’échelle d'amour spirituel se prête à merveille à l’adaptation littéraire, puisque ce traité est aussi un long poème à la gloire de l’Esprit Saint, véritable orchestrateur de chants multiples que le monde n’en finit pas d'entonner. » (2)
Tout comme Michael Edwards dans son récent Bible et poésie (Éditions de Fallois, 2016), le biographe de Ruusbroec insiste à plusieurs reprises sur ce qui lie intimement la poésie et le texte fondateur du monde chrétien, poésie et écrits mystiques : « Le sens, jamais, ne se réduit à la lettre, au littéral. Il n’est pas seulement ‘‘signification’’, mais ‘‘orientation’’, ‘‘direction’’. Et plus un écrit est d’ordre poétique, ou mystique, plus grande et vive la place et la présence de la musique, du chant, dans la parole. […] Le livre est parole, souffle imprimé en signes, pensée changée en écriture, mais cette parole, il ne suffit pas qu’elle soit lue, entendue, il faut qu’elle s’incorpore, qu’elle s’incarne, devienne vivante vie comme le grain se multiplie en épi et comme le blé, récolté, moulu, pétri, cuit, mâché, devient corps et sang, force d’agir et d’œuvrer, de labourer, semer, moissonner et de changer le blé en pain, travail et chemin vers l’esprit, le mystère. » Présence de la musique dans la parole, invitation du texte à se faire corps : voici ce qu’offre le bienheureux Ruysbroeck un siècle après Hadewijch et deux avant saint Jean de la Croix.
Daniel Cunin
(1) Extrait d’un article saluant la parution de la première édition des Sept degrés de l’échelle d’amour spirituel : Isabelle de Gaulmyn, « Un livre », La Croix, 27 mai 2000.
(2) Yves Roullière, « Lectures spirituelles. Écrits IV & Les sept degrés de l’échelle d’amour spirituel », Christus, n° 189, janvier 2001.
On pourra lire le bel entretien accordé par Claude-Henri Rocquet à Charles-Henri d’Andigné : « Ruysbroeck, maître spirituel pour temps troublés », Famille chrétienne, n° 1974 du 14 au 20 novembre 2015, p. 32-35 (extrait) :
photo : Paul Claudel, en 1955, lors d'un entretien filmé avec Julien Bertheau
à propos de L'Annonce faite à Marie
Claudel traducteur
par Pascale Alexandre-Bergues
Comme Mallarmé traducteur de Poe ou Gide traducteur de Shakespeare, Claudel s’adonna à ce qu’il considérait comme un « bel art ». Il commença par s’attaquer à la tragédie grecque en proposant une version très personnelle de l’Orestie eschyléenne. De façon plus ponctuelle, il traduisit quelques poètes de langue anglaise. Il consacra les années de la maturité et de la vieillesse au latin de la Vulgate.
Claudel est avant tout le traducteur de la trilogie qu’Eschyle fit représenter à Athènes en 458 avant Jésus-Christ. Conjuguant à la fois littéralité et travail de création, l’Orestie fait partie intégrante de l’œuvre dramatique claudélienne.
C’est à l’orée de sa carrière que Claudel entreprit de traduire le premier volet de la trilogie antique, l’Agamemnon. Commencée à la fin de 1892 ou au début de 1893 sur le conseil de son ami Schwob, lui-même traducteur – entre autres – d’Hamlet, la traduction fut achevée en 1895. Elle occupa Claudel pendant son premier séjour aux États-Unis, où il fit ses débuts dans la carrière diplomatique, à New York puis à Boston. Au dépaysement géographique auquel aspirait le lecteur de Rimbaud répondit l’expérience de décentrement culturel et esthétique que constituait pour lui cette plongée dans l’univers archaïque d’Eschyle. C’est en effet au miroir du tragique grec que se chercha et se forgea la poétique dramatique de Claudel. Il y trouva aussi la formation prosodique qu’il cherchait. Nombreuses sont les résonances entre l’Agamemnon et les textes dramatiques auxquels travailla alors le traducteur : Tête d’Or, La Ville, L’Échange. La traduction claudélienne de l’Agamemnon fut publiée en 1896, en Chine, où Claudel venait d’arriver comme gérant du consulat de Fou Tchéou. Un exemplaire en fut envoyé à Mallarmé à titre d’hommage. [lire la suite]
Consulter
Pierre Brunel, « Claudel, Valery Larbaud et les problèmes de la traduction », Valery Larbaud. La Prose du monde, éd. Jean Bessière, Paris, PUF, 1981, p. 163-175.
Pascale Alexandre, Traduction et création chez Paul Claudel. L'Orestie, Paris, Honoré Champion, 1997.
Les éditions liégeoises Tétras Lyre lancent une nouvelle collection de poésie dédiée aux auteurs d’expression néerlandaise, en particulier aux Flamands. Objectif affirmé : « lancer, en Fédération Wallonie-Bruxelles, un pont de passage et de dialogue entre deux communautés associées dans un même État fédéral ».
En attendant une anthologie de l’œuvre de Charles Ducal, deux premiers recueils viennent de paraître : Chants d’un cheval qui chavire d’Els Moors et le Slalom soft de Paul Bogaert, dans une maquette de Mona Habibizadeh.
Pour mettre la collection « De Flandre » sur de bons rails, Primaëlle Vertenœil et Gérald Purnelle se sont entourés de quelques connaisseurs en poésie flamande, à savoir Elke De Rijcke, Katelijne De Vuyst, Bart Vonck et Carl De Strycker.
Els Moors, Chants d’un cheval qui chavire,
traduction Kim Andringa, postface Anneleen De Coux
La petite reine règne toute l’année sur les terres septentrionales. La littérature néerlandaise reflète cette passion. En témoignent par exemple les romans De renner (Le Coureur, annoncé en traduction française) de Tim Krabbé, Mont Ventoux de Bert Wagendorp (adapté ce printemps au cinéma) et De beklimming van de Mont Ventoux (L’Ascension du Mont Ventoux) de Jos Vandeloo. Depuis qu’il a pris sa retraite sportive, Peter Winnen, double vainqueur à l’Alpe d’Huez, a enfourché la plume et publié plusieurs ouvrages sur le vélo. Les poètes ne sont pas en reste. Plusieurs anthologies regroupent les vers dédiés à la bicyclette par des poètes flamands et néerlandais plus ou moins renommés.
À l’occasion du départ de l’édition 2015 du Tour, les éditions Magonia publient un recueil de 13 poèmes qui correspondent aux 13 kilomètres du prologue. Treize poètes d’Utrecht ont collaboré à cette édition trilingue (néerlandais, anglais, français). C’est Ingmar Heytze qui lance la course en se présentant sur la ligne de départ :
Vers le départ
Allez, je l’enfourche encore une fois.
Je fiche ma fourche dans la terre,
avale une gorgée de vin du cru
et gagne tranquillement le départ.
S’entraîner : tout aussi peu sportif
que les dérailleurs. Moi, je m’appuie
sur mes seules jambes. Je mesure
les forces en présence, ni moins,
ni plus. Une course contre
les éléments, rues semées de tessons,
pédaler de nuit et des barricades,
non pas des calculs scientifiques
et aérospatiaux de tarabiscotos.
Je prends le départ un bon siècle trop tard.
Ingmar Heytze
Peloton fantôme (traduction de Schaduwpeloton), Utrecht, Magonia, 2015 (recueil trilingue publié à l’occasion du départ du Tour de France 2015 donné à Utrecht - 13 poèmes de Ruben van Gogh, Els van Stalborch, Alexis de Roode, Ingmar Heytze, Mark Boog, Fred Penninga, Peter Knipmeijer, Baban Kirkuki, Peter Drehmanns, Onno Kosters, Nanne Nauta, Vrouwkje Tuinman et Jan van der Haar, traduction anglaise : Michele Hutchison, traduction française : Daniel Cunin).
La Houppa - On Tourne Autour du Tour (1938)
Dries Roelvink - De Tour de France
Georges Gosset (chant) & Jo Privat (accordéon) - Tour de France (1949)