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Traductions-Traducteurs - Page 8

  • derrière la piscine

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    Un poème de Lieke Marsman

     

     

     

    En 2016, Lieke Marsman disait le poème « Poésie » dans le cadre du programme DichterBij. Puis elle poursuivait par « Que des devenirs ».

    Le premier poème à écouter sur cette vidéo et à lire en français ci-dessous, le second à écouter avant de le lire en cliquant sur le lien.

     

     

     

     

     

    Poésie

     

     

    Sur le moment, ouais, j’ai un peu

    l’impression de me retrouver une fois

    de plus derrière la piscine à chercher

    une cachette, un lieu humide

    où se détacheraient devant mes yeux

    barquettes à frites et verdure.

    Tout au loin quelque chose ronge

    un chemin en moi, ça pourrait être

    un sentiment de sécurité ;

    en réalité, je me sens toujours un peu

    comme si je venais de jouir,

    ne percevant plus que l’odeur de renfermé

    de la couette. Toute la journée,

    j’ai essayé de retrouver le nom

    « Biscuits de Bastogne » ;

    y étant enfin parvenue, je suis

    tout bêtement restée assise

    sur mon lit. Aujourd’hui, la poésie

    me semble un pays pour lequel

    on ne m’a pas accordé de ticket,

    un vieil amour dont je n’ose

    toujours pas effacer le numéro

    de mon téléphone, une île lointaine

    peuplée de pingouins.

     

     

    traduit du néerlandais par Daniel Cunin

     

    le poème a paru dans l’anthologie bilingue

    Poésie néerlandaise contemporaine, Le Castor Astral, 2019

     

     

    Lieke6.png

     

     

     

  • Le retour de J. Slauerhoff en France

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    Le phrasé des mers 

     

     

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    Pure coïncidence sans doute. L’année de la mort de Jan Jacob Slauerhoff (1898-1936) paraissait un roman de Georges Simenon dont le personnage central rappelle par bien des aspects, ainsi que le relève le biographe Wim Hazeu*, ce poète néerlandais : le huis clos « africain » 45o à l’ombre met en effet en scène Donadieu, un médecin de marine qui « ne se mêlait de rien, restait calme et serein, avec un soupçon de raideur qu’on attribuait aux origines protestantes de sa famille […]. C’était sa manie […] de s’occuper des autres, non pour intervenir dans leur existence, non pour se donner de l’importance, mais parce qu’il ne pouvait rester indifférent aux êtres qui défilaient devant lui, qui vivaient sous ses yeux, glissant vers une joie ou une catastrophe ». De même que le protagoniste issu de l’esprit de Simenon, Slauerhoff a servi à bord de bâtiments qui reliaient l’Europe à l’Afrique de l’Ouest ou effectuaient la ligne Java-Chine-Japon, montrant une réelle empathie pour son prochain, en particulier les passagers les moins bien lotis, tout en sachant garder slauerhoff,éditions circé,france,hollande,roman,chine,mexique,traduction,voyage,marin,écrivainavec la plupart d’entre eux une saine distance. Autre similitude : un usage maîtrisé de l’opium (« On savait qu’il fumait, lui, modérément d’ailleurs, deux ou trois pipes chaque jour. Peut-être l’opium était-il à la base de son flegme ? »). De constitution fragile, souffrant d’asthme depuis sa plus tendre enfance, le Néerlandais dégingandé – 1, 84 m pour guère plus de 65 kg – a souvent cherché une forme de soulagement dans les drogues jusqu’à ce que la tuberculose le terrasse. Et comment ne pas penser non plus à Slauerhoff en lisant la dernière phrase de 45o à l’ombre : « Quant à Donadieu, il faisait de nouveau les Indes, repérait les passagères en mal d’émotions et les initiait à l’opium, certains soirs, dans sa cabine. Mais le bruit courait qu’il n’en profitait jamais. » Grand séducteur, errant en permanence entre plusieurs maîtresses et amies – son mariage en 1930 avec la ravissante danseuse Darja Collin (photo ci-dessus) se traduira par une rapide désillusion –, il lui arrivait de se défiler alors que la femme à laquelle il s’intéressait n’opposait plus aucune résistance ou se montrait trop entreprenante.

    slauerhoff,éditions circé,france,hollande,roman,chine,mexique,traduction,voyage,marin,écrivainAuteur de trois romans, de vingt-cinq nouvelles, d’une pièce de théâtre consacrée à la grande figure de l’histoire coloniale batave Jan Pietersz. Coen (1587-1629), de critiques et d’essais - dans lesquels il se dévoile souvent et dont une part non négligeable porte sur des auteurs français du XIXe siècle et du début XXe –, de récits de voyage et de traductions, J. Slauerhoff demeure sans doute avant tout aux Pays-Bas un grand nom de la poésie de l’entre-deux-guerres : une œuvre qui regroupe environ cinq cents poèmes, une poignée ayant été écrits en français (voir le recueil Fleurs de marécage, 1929), quelques autres transposés dans cette même langue pour diverses revues ou anthologies, la dernière en date étant Poètes néerlandais de la modernité.

    Toutefois, c’est bien dans ses romans et certaines de ses nouvelles que ce fils de petits commerçants frisons a déployé toute sa force créatrice, laissé le plus librement cours à son imaginaire déroutant : par endroits hallucinée, sa prose charrie thématiques et motifs déjà omniprésents dans la poésie des premières années (l’errance, l’exil, la mer, la mélancolie, le démoniaque et la lutte face au démon, la fascination pour les mondes disparus et la décadence des civilisations, les âmes mortes, l’amour des îles, le statut de solitaire face à la masse, le désespoir amoureux, l’intemporalité…), fait une belle place aux mythes, à la veine fantastique, occulte et onirique. Slauerhoff, qui avait plusieurs ancêtres marins, nourrit ses pages d’images, de descriptions et de sensations récoltées aux quatre coins du monde, dans des villes portuaires, l’arrière-pays, et bien entendu en pleine mer. Son Journal, sa correspondance et ses impressions de voyage regorgent, sous forme embryonnaire, voire plus ou moins aboutie, de passages de ses futures œuvres en prose. Les fruits de ces expériences vécues loin du pays natal, l’homme tourmenté qu’il était les fond dans le creuset de ses multiples contradictions (personnalité tour à tour affable et insupportable, amant à la fois très jaloux et compréhensif) et de sa vaste érudition (la conférence qu’il donne à l’âge de dix-sept ans sur les lettres slauerhoff,éditions circé,france,hollande,roman,chine,mexique,traduction,voyage,marin,écrivainrusses subjugue ses camarades lycéens). Il suffit d’ouvrir son premier roman, Le Royaume interdit, pour saisir la singularité de sa perception du monde et de son art : sous sa plume, la Chine, Macao, Lisbonne, l’histoire coloniale du Portugal, la figure de Camões prennent un relief insoupçonné. La connaissance qu’il a accumulée sur ces divers lieux, cultures et sujets – pour s’être rendu sur place, pour avoir puisé aux meilleures sources : il suit l’enseignement de Robert van Gulik (sinologue, diplomate et écrivain), se lie d’amitié avec quelques érudits portugais, lit les ouvrages anglais, français, allemands les plus documentés… – ne bride pas son imagination, n’étouffe pas son talent, bien au contraire. Lui qui ne cesse de naviguer dans l’indécision – repartir en mer ou adopter un mode de vie bourgeois ; s’établir en Chine, à Tanger (ce qu’il fera un temps), au Costa Rica ou revenir aux Pays-Bas ; quitter tout territoire ou se réfugier sur l’île de Vlieland (île des Wadden) ; fuir les cercles littéraires ou côtoyer les amis écrivains ; s’engager à l’égard d’une femme ou succomber à celles que le hasard place sur sa route… – parvient, dans une sorte d’envoûtement, une fièvre visionnaire et un effort de concentration qui le laisse hâve, à délivrer une prose témoignant de convictions esthétiques affirmées. « Luxueux bon à rien », « négligé », « brouillon », « désordonné » : certains de ces qualificatifs, dont on a usé à juste titre envers Slauerhoff, par exemple en raison de l’illisibilité de ses manuscrits, et qui peuvent d’ailleurs se lire dans l’étymologie même de son patronyme, ne sauraient être de mise à propos de ses romans. Le flou, le flottement dans lesquels ils semblent baigner ne doivent rien à la nonchalance, écrire étant en quelque sorte pour le Frison d’origine vivre une expérience jusqu’au bout et revenir dessus en pensée.

     

    Slauerhoff et les femmes

     

     

    Soixante-quinze ans plus tard

     

    slauerhoff,éditions circé,france,hollande,roman,chine,mexique,traduction,voyage,marin,écrivainDepuis quelques années, les éditions Circé, basées à la fois dans les Vosges et à Berlin, font un effort pour que le lecteur français découvre, en format de poche, les romans et nouvelles de l’écrivain néerlandais. En 2008 paraissait, avec une postface de Cees Nooteboom, le roman posthume La Révolte de Guadalajara, l’année suivante le premier des trois romans du natif de Leeuwarden : Le Royaume interdit et, en 2010, une réédition légèrement revue du recueil de nouvelles Écume et Cendre, la première version donnée par les Éditions universitaires en 1975 étant devenue introuvable. Het leven op aarde, le dernier roman encore inédit en français et qui s’inscrit dans le prolongement du Royaume interdit, devrait paraître dans une année ou deux**, toujours par les soins de Claude Lutz – lequel, sensible au courant moderniste, a découvert l’écrivain grâce aux traductions allemandes –, sous le titre La Vie sur terre. Ne resteront dès lors inédites en français qu’une petite vingtaine de nouvelles, celles des recueils Het lente-eiland en andere verhalen (L’Île printanière et autres histoires, 1933) et Verwonderd saam te zijn (Étonnés de se trouver ensemble, 1987).

    Les trois titres offerts coup sur coup par les éditions Circé n’ont eu à l’heure qu’il est qu’un assez faible écho auprès de la critique. Seul Mathieu Lindon s’est, dans le quotidien Libération, arrêté sur chacun d’entre eux, intrigué par « l’œuvre étrange de cet étrange médecin et marin néerlandais » et « le nomadisme on ne peut plus déstabilisant » de ses personnages. Il écrit par exemple : « Le ton de Jan Jacob Slauerhoff est étonnamment clinique et, de fait, il ausculte un mysticisme sans véritable croyance et une révolution sans idéologie, privés de tout fondement théorique. Il a ce même lien de sèche lucidité à l’égard de sa propre intrigue, pourtant riche. Les événements surviennent comme des saisons sans que leurs acteurs aient conscience ni de ce qu’ils sont ni de ce qu’ils font. »

    slauerhoff,éditions circé,france,hollande,roman,chine,mexique,traduction,voyage,marin,écrivainDans un papier trop vite écrit, Camille Decisier (« La Révolte de Guadalajara », dans Le Matricule des anges, n° 98, novembre-décembre 2008) passe pour sa part à côté de l’essentiel, autrement dit la poétique de Slauerhoff, pour retenir sa supposée « réflexion sociopolitique » et s’emberlificoter les pinceaux dans des clichés (« une langue aussi nébuleuse que le hollandais »). La politique n’occupe en réalité qu’une place très secondaire dans l’œuvre du médecin-écrivain. Il est rapidement revenu de son enthousiasme du tout début des années 1920 – manifeste dans certains poèmes – pour la révolution bolchévique, estimant qu’il n’avait que trop « flirté avec la révolution ». Très vite, il a perçu la catastrophe que représentaient pour l’homme et le communisme et l’hitlérisme : « Hitler n’est pas une montagne qui accouche d’une souris. C’est une souris qui va accoucher d’une montagne, une montagne de malheurs », concluait-il par exemple dans un article de décembre… 1931.

    Soixante-quinze ans après le dernier passage de Slauerhoff en France, pays où il s’est rendu à maintes reprises et dont il a beaucoup pratiqué les femmes et la littérature, il est heureux qu’il y fasse enfin son retour, cette fois à travers ses œuvres les plus marquantes.

     

    Daniel Cunin

     

     

    La Chine et Macao

     

     

    * Wim Hazeu, Slauerhoff. Een biografie, De Arbeiderspers, Amsterdam, 1995.

    ** Malheureusement, malgré la volonté de l’éditeur, ce projet n’a pu se concrétiser.

     

    Article paru à l’origine dans Septentrion, n° 4, 2012, p. 15-18.

     

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    la revue De parelduiker, n° 4, 2018 

     

     

  • LA MEUSE

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    UN CHANT DE FRANS BUDÉ

     

    Le 30 mai 2015, à l’initiative de MaterMosa, dans chaque commune située le long de la Meuse, des cœurs ont chanté, certains en français, d’autres en néerlandais, le poème de Frans Budé « Lied van de Maas » mis en musique par Jesse Passenier. La version française du texte suit la version originale chantée a capella.

     

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    Frans Budé

     

    Chant de la Meuse

     

     

    Meuse qui pétille, Meuse qui exulte, fière Meuse.

    Se ride l’eau toute lisse, s’émerveille le pêcheur,

    le gai batelier répond au salut des cyclistes.

    Des poissons gambillent, des oiseaux plongent libres et joyeux,

    rangs de rameurs musclés qui embellissent le ballet.

    S’installe le soyeux son du silence, proche le paradis,

    tournoie autour du passé, du rêve d’avenir des quais.

     

    meuse,frans budé,jesse passenier,daniel cunin,chant,musiqueRythme du fleuve, plus vraiment en bride,

    rythme de la Meuse, eau tonitruante,

    berge qui se laisse bercer, caresser,

    là où bruit le vent, la lumière s’assemble,

    l’autre rive séduit – pour plus tard le pont.

     

    Meuse qui sautille, Meuse qui chavire, ivre Meuse,

    l’hiver tu cognes à la porte arborant une grimace.

    Tu largues quantité de flots, déferles hors de ton lit,

    boue sale, eau fangeuse, merci pour la gêne occasionnée.

    Mais te retrouves-tu que tu te soucies de nous,

    la lumière scintille autour de toi qui débordes de joie,

    après le méandre se disperse, tourbillonne sur les digues.

     


    meuse,frans budé,jesse passenier,daniel cunin,chant,musiqueRythme du fleuve, plus vraiment en bride,

    rythme de la Meuse, eau tonitruante,

    berge qui se laisse bercer, caresser,

    là où bruit le vent, la lumière s’assemble,

    l’autre rive séduit – pour plus tard le pont.

     

    Meuse qui resplendit, Meuse voluptueuse, douce Meuse.

    Spectacle splendide, sur la trace de son estuaire,

    avec charme elle gambade de ville en ville, se faufile

    de coude en coude dévorée du désir vif de la mer.

    Sur le pont arrière flotte un pavillon dans l’attente

    de la lune, la voilà qui prend sa place, soudain paraît,

    se balance comme une barque, danse à la cadence de l’eau.

     

    meuse,frans budé,jesse passenier,daniel cunin,chant,musiqueRythme du fleuve, plus vraiment en bride,

    rythme de la Meuse, eau tonitruante,

    berge qui se laisse bercer, caresser,

    là où bruit le vent, la lumière s’assemble,

    l’autre rive séduit – pour plus tard le pont.

     

     

     

    traduit du néerlandais par Daniel Cunin

     

     

     

    D’autres « chants » de Frans Budé ont été mis en musique et chanté en français, ainsi de « Rochers de Frênes ».

     

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    Frans Budé (photo : Riet Budé-Dolders)

     

     

     

  • JEAN GIONO

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    Un poème de Gerrit Achterberg (1905-1962)

     

    Achterberg-19 ans.jpg

    Gerrit Achterberg à lâge de 19 ans 

     

     

     

    Jean Giono

     

     

    Quand je lis Jean Giono, la vie s’arroge

    une nouvelle place en moi, mon corps s’emplit

    de véloces poissons ; sans avoir à décider

    de rien, me voici tout entier offert aux rivières.

     

    La pluie et le soleil sont d’énormes tamis

    à travers lesquels je tombe ; l’iris des marais

    aiguise ses doux couteaux aux membranes

    qui m’élèvent à d’insoupçonnées hauteurs.

     

    Les saumons se blottissent contre mon dos.

    Je suis le gobie de cette contrée, Lubéron,

    un étang à canards, qui préserve le pâle

     

    clair de lune sous le pont arrondi des feuillées,

    des heures durant, jusqu’à la Méditerranée.

    Ici, tous les singes font l’ascension avec nous.

     

     

    GIONO.pngSans doute composé en 1948, ce poème a paru dans le recueil Hoonte (1949). En 1937, Gerrit Achterberg avait apprécié la traduction néerlandaise du Chant du monde. « Lis Giono, goûte-le, écrit-il, depuis sa cellule de prison, à la femme dont il est tombé amoureux peu avant. Tout est bon, page après page, si je ne me trompe. » Notons au passage que l’on doit à Jean Giono la traduction d’une œuvre du dramaturge hollandais Vondel (1587-1679) : Joseph à Dothan, pièce jouée au théâtre d’Orange en 1952. Il a par ailleurs préfacé la traduction française d’un roman de son confère Antoon Coolen : Le Bon assassin, réédité en 1995 sous le titre La Faute de Jeanne Le Coq.

    Un choix de la poésie de Gerrit Achterberg paraîtra bientôt en langue française sous le titre L’ovaire noir de la poésie.

     

     

    Chez l’auteur de Que ma joie demeure, à propos de la nouvelle... vague

     

     

     

  • UN MONUMENT

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    Poésies de Hans Faverey

     

     

    Hans Faverey was the purest poetic intelligence of his generation, the author of poems of lapidary beauty that echo in the mind long after the book is closed.

    J.M. Coetzee

     

     

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    L’année 2019 a vu la parution de la traduction de l’un des monuments de la littérature néerlandaise, à savoir l’œuvre poétique de Hans Faverey (1933-1990). Après quelques tentatives, en particulier : Contre l’oubli en 1991 – une petite anthologie traduite par les auteurs néerlandais Joke J. Hermsen et Henk van der Waal – et Poèmes en 2012 – résultat cette fois de la collaboration du duo franco-hollandais Éric Suchère et Erik Lindner, avec la complicité bilingue de Kim Andringa –, ce sont ces trois derniers que l’on retrouve aux manettes pour les 650 pages de Poésies, magnifique objet relié édité à Bruxelles par Vies Parallèles. Une quatrième tout aussi sobre que le titre, niellée en noir à même la toile jaune du volume : La beauté toutefois / est la certitude des choses / qu’on ne voit pas. Un dépouillement visuel qui rejoint celui auquel l’auteur était attaché pour ses publications en néerlandais.

    hans faverey,erik lindner,eric suchère,kim andringa,éditions vies parallèles,traduction,poésie,hollande,pays-bas,andré du bouchetÀ l’écart des écoles, Faverey a composé, en plus ou moins trois décennies, ce qui reste l’une des créations poétiques majeures de la Hollande du XXe siècle, à côté de celles de Gerrit Achterberg – lui aussi poète au langage clos sur lui-même et poète et rien que poète –, Martinus NijhoffLeo Vroman et Lucebert, celles de deux ou trois autres aussi sans doute, Ida Gerhardt par exemple.

    Cet homme au patronyme d’origine française semble-t-il, né dans la capitale du Suriname, qui vint travailler à Leyde comme psychologue dans une clinique rattachée à l’Université, se montre extrêmement précautionneux dans l’emploi des mots et groupes de mots, comme si chacun était un objet fragile, un frêle chaînon qui risque à tout moment de se rompre – une caractéristique qu’il partage avec son ami Gerrit Kouwenaar même si ce dernier se concentre certainement plus sur le vocable isolé. Écoutons Hans Faverey lire un poème sans titre du cycle « La tortue » (vidéo de 1983) :


     

    La tortue :

     

    comment fait la tortue ;

    et pourquoi la tortue fait-elle

    ainsi. Pour ne pas être lièvre

    ni hérisson, rit le pic-vert ;

     

    en ne rêvant pas

    de sauterelles

    qui marchent sur Troie.

     

    En tant que lièvre la tortue

    n’a rien à perdre hormis une forme

    de rapidité, qui fait tellement

    rire la tortue, que même

    sa flèche la rattrape, après s’être

     

    d’abord écrasée sans but.

     

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    Le poète et son épouse Lela

     

    Le temps est à l’arrêt, on fait une place précaire à la vie dans le poème et dans les blancs du poème, sans pour autant qu’il soit question d’une aliénation : la langue ne nous devient pas totalement étrangère. Un couple de mots, une signification, « la négation du mouvement », « l’incantation rétive », la rareté de la métaphore, tout cela se déroule en des bribes, des séries, des séquences de trois, cinq ou dix pages. Ainsi celles qui portent le nom d’un artiste : « Hommage à François Couperin », « Adriaen Coorte », « Girolamo Cavazzoni, disparu en contexte » ou encore « Hommage à Hercule Seghers », cet Hercule Seghers que Faverey admirait tout cautant que cet autre ami, André du Bouchet, l'un de. Dans l’hommage au peintre et graveur du XVIIe siècle, l’hiver se fait, qui sait, écho de celui de Gerrit Achterberg : Voici l’hiver tassé en son silence. / Nous sommes sans principes. Légendaires, / villages et étangs se blottissent les uns / contre les autres. Hercules Seghers.

    Une identification à l’hiver qu’on trouve, non au début, mais en fin de poème chez Faverey :

      

    Vidant la tête

     

    la main sur le cœur.

    Me tapant la tête

    pour vider le cœur.

    Tout ce temps le lointain attirant,

     

    comme le lointain doit

    l’être : attirant.

     

    Pour que je garde au moins une

     

    longueur de nez d’avance

    sur celui que je deviens,

    avant que je ne sois hiver

    et qu’on m’éteigne.

     

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    Dans Poésies, on relève maints autres exemples de cet approfondissement d’un « vide » plus ou moins énoncé, de cette « logique répétitive qui conduit davantage à faire différer l’élément repris qu’à mécaniquement le reproduire » dont parle Emmanuel Laugier – « un jeu très sérieux de langage, une façon d’interroger les mots, les syntagmes, jusqu’à créer une écriture parataxique rare – et puissante ».

    Parmi ces « fragments d’inconscient qui mordent la conscience, composition quasi musicale de ces fragments… » (Lucien Noullez), les plus connus aux Pays-Bas sont sans doute « Man & Dolphin / Homme & dauphin » ainsi que ceux réunis dans les recueils chrysanten, roeiers (Chrysanthèmes, rameurs) et Tegen het vergeten (Contre l’oubli). Dans son liminaire, Erik Lindner apporte de précieux éléments sur ces « poèmes partiels » ainsi que sur la biographie du poète et quelques-unes des influences qu’il a pu absorber au fil du temps (poésie chinoise, Gertrude Stein, Wallace Stevens, ouvrages scientifiques…).

    hans faverey,erik lindner,eric suchère,kim andringa,éditions vies parallèles,traduction,poésie,hollande,pays-bas,andré du bouchetSous la main d’un homme familier du clavecin, l’écriture nous invite à collaborer en quelque sorte de l’intérieur même à son processus créateur, un processus qui pouvait prendre des années de repentirs, de biffages, d’effacements.

    Dans les années cinquante, au cours d’un voyage en Yougoslavie, Hans Faverey rencontre sa future épouse, Lela Zečković (1936-2018). Traductrice et elle-même poète – Belvédère, son recueil de 1981 écrit en néerlandais sera remarqué –, elle se charge, après la disparition de son mari, de mettre au point une édition de poèmes posthumes. Plus tard encore, en 2010, l’universitaire Marita Mathijssen édite les œuvres complètes (poèmes inédits, posthumes, etc.) de Faverey. L’édition dont on dispose à présent en français regroupe tous les poèmes qui ont paru du vivant de ce dernier. Il a pu tenir en main son dernier recueil, Het ontbrokene (Le décomplété) – néologisme basé sur le participe passé du verbe « manquer », de « faire défaut » –, deux jours avant de mourir.

    Écoutons encore une fois Hans Faverey : il lit « Man & Dolphin / Homme et dauphin » lors de Poetry International 1977, poème inspiré par les dauphins qu’il a vus, enfant, sur le bateau qui l’amenait en Europe, et plus encore d’un article de John C. Lilly sur les vocalises de ces cétacés. Les cinq brefs volets du poème/cycle reposent sur la simple répétition des mots « dauphin », « balle », « tu », « dis », « dois », « une fois », « hé ». Autrement dit, le poème insiste toujours plus pour que le dauphin prononce au moins une fois le mot « balle ». L’assistance va-t-elle se substituer à l’animal ?

     

    Daniel Cunin