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hollande - Page 9

  • Isräel Quérido poète et guide

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    Henri Barbusse

    préfacier et thuriféraire

     

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    I. Querido, Le Jordaan, Paris, Rieder, 1932

     

     

    Parmi la vingtaine d’ouvrages préfacés par l’auteur engagé Henri Barbusse (1873-1935) se trouve la traduction française d’un roman néerlandais : Le Jordaan, premier tome d’une « épopée amstellodamoise » que l’on doit à Israël Querido (1872-1932). Ce juif d’origine portugaise, dont le frère Emmanuel* a fondé les éditions Querido qui existent toujours, naît dans un milieu relativement modeste. Il abandonne assez tôt l’école et suit une formation d’horloger avant de travailler dans l’industrie du diamant. Sa vocation de joailler sera de courte durée. Devenu journaliste, il étend sa culture livresque. Dès 1893, il publie son premier recueil de vers tout en s’affichant déjà dans des groupes de réflexion qui réunissent de jeunes ouvriers. Son échec en tant que poète le conduit à se diriger vers la critique littéraire en s’inspirant de Lodewijk van Deyssel et Remy de Gourmont ; en Hollande, c’est le francophile et sarcastique Conrad Busken Huet (La Haye 1826 – Paris 1886) qui avait donné ses lettres de noblesse à ce genre, mais en le fondant sur des exigences purement esthétiques. En 1897, Is. Querido réunit certaines de ses chroniques dans Meditaties over literatuur en leven, volume que mentionne H. Barbusse. Sous des pseudonymes, le jeune juif donne des articles à Le Rêve et l’Idée, la revue (rebaptisée Documents sur le naturisme, puis La Revue naturiste.) de Saint-Georges de Bouhélier et de Maurice Le Blond (futur gendre de Zola), dont Andries de Rosa – cotraducteur de De Jordaan – était le critique musical et dont certains numéros connurent une édition néerlandaise. À propos de l’engouement de ces deux jeunes Amstellodamois pour le fantasque Bouhélier, citons les considérations truculentes d’un contemporain : « De la dernière ‘‘manifestation d’art’’ de M. de Bouhélier nous n’en dirons rien sinon qu’elle est proprement stupide.

    Is. Querido

    israël querido,henri barbusse,jordaan,littérature,pays-bas,hollande,traduction,roman,saint-georges de bouhélier,zola« Parlons de l’homme, puisqu’aussi bien l’Odéon a rallumé cette veilleuse que d’aucuns prirent un moment pour une étoile. Il y a douze ou treize ans, Saint-Georges tenait ses assises au sous-sol du Clou, puis au Chat Noir, deux lugubres repaires de crétins infatués, de calicots jobards et aussi de très jeunes et naïfs potaches dont quelques-uns n’ont pas mal tourné. Saint-Georges était déjà le chef du naturisme. Un ‘‘manifeste’’ signé de lui avait paru en première page du Figaro. Le premier baiser de la gloire !

    « Ses disciples étaient alors deux Hollandais dont l’un, Andriès de Rosa, est, dit-on, permanent des diamantaires à la Bourse du travail ; Clément Rochel, quelques années plus tard directeur de la Culotte rouge (pour une fin !...), Eugène Montfort et – fidus achates – Maurice Leblond. […] Quelques-uns de ces naïfs se sont vite ressaisis : Gide entre autres qui, dans la Revue blanche, assomma le petit bon Dieu d’un article terrible, sans appel. Gide relevait toutes les incohérences, erreurs, cocasseries, fautes de syntaxe et d’orthographe, tous les non-sens, tous les termes impropres dont la prose de Bouhélier est émaillée. Gide terminait par cette apostrophe : ‘‘On me dira que je cherche des puces sur un lion. Non je cherche un lion sous des puces.’’ » (Flax, Les Hommes du jour, 30/01/1909, p. 6)

    En 1897 également, Israël Querido devient membre du jeune SDAP (Parti social-démocrate des ouvriers). Lui qui, à 18 ans, avait tenté d’écrire un premier roman dans la veine de Gustave Aimardse lance dans l’écriture de fresques naturalistes. Plus d’un critique relèvera ce qu’il doit à Zola, par exemple Dirk Coster (1887-1956), dans la chronique « Littérature néerlandaise » de L’Art libre (mai 1921, p. 20) : « dans ses descriptions de la vie sauvage du peuple », il atteint « une grandeur à la Zola, – qui serait adoucie par une humanité plus généreuse ». Levensgang (1901) évoque un milieu qu’il connaît bien, celui des diamantaires de la capitale batave. Pour écrire Menschenwee (1903), il applique de même la méthode zolienne en résidant dans une région de bulbiculteurs. Quant à Zegepraal (1904) et Kunstenaarsleven (1906), ils présentent une teneur plus autobiographique. Toutefois, sa prose le couvre de dettes bien plus que de succès. Dans un ouvrage postérieur – Misleide majesteit (1926) –, Is. Querido règle ses comptes avec ses ennemis et son frère, lequel s’en était pris à lui dans une de ses propres publications. En 1927, il fonde le périodique littéraire socialiste Nu (Maintenant) qui accueillera des plumes prestigieuses et se lance dans un nouveau israël querido,henri barbusse,jordaan,littérature,pays-bas,hollande,traduction,roman,saint-georges de bouhélier,zolacycle romanesque : Het volk God's, grâce auquel il espérait restituer l’histoire des juifs d’Amsterdam. Mais hospitalisé pour une névrite, il meurt d’un arrêt cardiaque. On considère aujourd’hui que son étude « Remy de Gourmont, Balzac et Sainte-Beuve » fait partie de ce qu’il a écrit de mieux alors qu’une bonne part de l’œuvre a mal vieilli. Son essai fouillé sur Napoléon (1913) a été salué en son temps par la critique.

    Napoleon, éd. 1913

    israël querido,henri barbusse,jordaan,littérature,pays-bas,hollande,traduction,roman,saint-georges de bouhélier,zolaLa première partie de son cycle De Jordaan a donné lieu à quelques commentaires dans la presse de langue française. Écoutons un critique de la Bibliothèque universelle et Revue suisse (« Chronique hollandaise. Dernière œuvre d’Israël Quérido », septembre 1912, p. 630-632) qui, dès la parution du volume en néerlandais, soit vingt ans avant sa traduction en français, s’enthousiasmait : « Ce serait manquer à notre devoir de chroniqueur, si, à côté de ces manifestations diverses de la vie publique, nous ne signalions pas l’événement littéraire du jour, l’apparition du dernier livre d’Israël Quérido. Non pas que Quérido soit un nouveau venu ou un inconnu dans le monde des lettres hollandais. Il est sorti des rangs du prolétariat d’Amsterdam. Son père le mit en apprentissage chez un horloger, mais il n’y resta pas longtemps et devint ouvrier diamantaire. Un peu plus tard, il se fit joaillier. Il avait dix-neuf ans, il se maria, ses affaires périclitèrent et il connut la misère noire, le dénuement absolu. Au milieu de ces terribles épreuves, il ne s’abandonna point ; il se rejeta avec d’autant plus d’ardeur vers les lettres qui avaient été la passion de sa jeunesse et qui lui apparaissaient comme un gagne-pain. Autodidacte dans toute la force du terme, il étendit ses connaissances, s’assimila les langues étrangères et publia des études critiques et des romans. Balzac et Zola sont ses auteurs de prédilection, Balzac surtout, dont il admire la puissance créatrice. Son roman de début, Levensgang (Le Cours de la vie) est consacré au monde diamantaire qu’il avait traversé et dont il n’essaie pas de dissimuler les vices et les tares ; dans l’ouvrier Holtz, une âme ardente, agitée, généreuse, inquiète, on a voulu que Quérido se soit peint lui-même, anarchiste enflammé, puis désabusé, s’arrêtant au socialisme. À ce livre succéda Menschenwee (Douleur humaine), le roman de la terre, qui se divise en quatre parties, les saisons : Hiver, Printemps, Été, Automne. Son troisième volume,israël querido,henri barbusse,jordaan,littérature,pays-bas,hollande,traduction,roman,saint-georges de bouhélier,zola  Zegepraal (Le Triomphe), à l’allure lyrique, obtint moins de succès ; le quatrième, Kunstenaarsleven (Vie d’artiste), plus psychologique, fut plus favorablement apprécié, mais sans ajouter grandement à sa réputation. Puis ce furent des essais critiques et on se demandait si l’écrivain original qu’on attendait n’était point épuisé et si l’épopée qu’il avait annoncée sur Amsterdam paraîtrait jamais. Ces craintes étaient vaines. Quérido s’était réfugié, comme autrefois Rembrandt, dans le quartier juif d’Amsterdam, le Jourdain, ainsi qu’on l’appelle ; il a vécu de la vie de ce quartier, étudiant ses passions, ses désirs, ses amours, ses haines, et il en revient avec un volume, Le Jourdain, qui a obtenu tout de suite un succès de librairie sans précédent. Édité par la Société de la bonne lecture, il a été vendu en quelques mois à 18 000 exemplaires ; l’ancien directeur du grand journal d’Amsterdam, le Handelsblad, M. Ch. Boissevain, qui n’est pourtant pas un fanatique de la nouvelle école littéraire, compare l’auteur aux plus grands classiques et le met à côté des maîtres de l’épopée. Non pas que l’affabulation présente rien d’extraordinaire ; ceux qui attendraient des événements dramatiques seraient déçus mais, comme un voyant, Quérido nous révèle la vie intense des enfants du vieux peuple, ainsi que les désignait le peintre Israël, avec leurs petitesses, leurs misères, leurs faiblesses, leurs grandeurs. Que de figures inoubliables, depuis le beau Karel, le Don Juan du quartier, jusqu’à la rude Neeltje, la femme de Burk, si bonne et si tendre pour ses enfants, jusqu’à la douce Lien, l’amoureuse de Barend qui, dans la joie de se donner, oublie tout ce qu’elle a vu dans sa maison, la famille manquant souvent de pain et sa mère à moitié assommée régulièrement par son ivrogne de père ! Ces portraits sont si saisissants qu’ils vous restent devant les yeux et qu’on passe par-dessus les expressions d’argot dont l’auteur a fait un si copieux usage qu’il a dû mettre à la fin de chaque chapitre un vocabulaire pour les expliquer. »

    Eugène de Bock

    israël querido,henri barbusse,jordaan,littérature,pays-bas,hollande,traduction,roman,saint-georges de bouhélier,zolaPlus de dix ans après ces lignes, l’auteur et éditeur flamand Eugène de Bock (1889-1981) livre son avis sur les trois premiers volumes du roman de Querido qu’il prénomme Isidoor (« Chronique néerlandaise. Isidoor Querido », Europe,15 juillet 1923, p. 241-244) : « Les ancêtres d’Isidoor Querido, comme ceux de Spinoza, demandèrent il y a quelques siècles l’hospitalité de ce pays libre et accueillant. La coloration violente de sa vision trahit, d’ailleurs, ses origines. Prenez, dans son œuvre, une description de marché hollandais : vous y verrez de la pourpre et de l’or flamboyant ; et ceci est très loin des nuances et des subtilités assourdies de la peinture locale. Il sait souligner la parole de ses héros par la fièvre ou l’emportement du geste. II est d’une éloquence surprenante dans un pays dont le héros national s’appelle ‘‘le Taciturne’’. […] il a tout lu et tout étudié. Il a écrit sur la technique du billard et sur celle du piano. Il a abordé tous les sujets, non sans montrer une prédilection pour la musique, qui arrache de son cœur comme une pluie, comme un feu d’artifice de mots clairs et joyeux. Car le défaut de sa prose est de briller parfois d’un éclat trop vif, qui ne laisse rien dans la mémoire.

    « Ses œuvres, pourtant, ne manquent pas de fond, et je n’en veux d’autre preuve que celle dont je parlerai aujourd’hui, son gigantesque Jordaan, dont trois volumes de cinq cents grandes pages chacun, ont déjà paru.

    « Jordaan. Epopée des bas-fonds d’Amsterdam, qu’il serait intéressant de comparer aux Mystères de Paris d’Eugène Sue. Querido connaît les habitants de ce quartier du Jordaan comme il connaîtrait ses frères et sœurs, car il a longtemps vécu parmi eux. Créatures sans Dieu, héroïques dans la misère, esclaves de leurs passions, n’ayant d’autre force que leur fougue, la fougue arbitraire et égoïste de leur vie sensuelle. Les héros de ce monde sont des bêtes magnifiques : Corry et le beau Karel. Il faut attendre le troisième volume pour voir le philosophe bossu Manus Peet passer au premier plan.

    israël querido,henri barbusse,jordaan,littérature,pays-bas,hollande,traduction,roman,saint-georges de bouhélier,zola« Le Jordaan de Querido est d’une observation chaotique dans sa plénitude. L’auteur ne se contente pas de nous décrire un ménage, il nous en décrit douze, dont chacun fournirait la matière d’un roman. Parce qu’il anime son sujet, parce qu’il vit dans son roman, Querido va à l’encontre des peintures modernes pour qui l’art est tout entier ordonnance et discipline. Mais souvent, par le romantisme de sa vision, par le lyrisme de ses sensations, il atteint au sublime. Je pense à la scène des danseurs dans la rue, à la nuit sur le Zuiderzee, à l’asile de Frans Leerlap, à la ‘‘Turksche Wacht’’, cet antique guet-apens qui dépasse Rembrandt parce que le mouvement de la parole vivante vient s’ajouter au terrifiant clair-obscur de la description : Querido, ici, déploie les qualités des grands romantiques, et l’on ne peut que déplorer qu’il n’ait pas voulu introduire un peu de romantisme aussi dans la trame de son histoire, – qui reste moins une narration suivie qu’une série de descriptions et d’études de mœurs. L’amour trop exclusif de la ‘‘stemming’’, – de l’état d'âme – pèse encore sur la littérature hollandaise, et la prive d’audace et d’indépendance.

    « Mais qu’elle est étonnante de vie et de vérité, cette Corry qui traverse les trois volumes comme une déesse cruelle ! Que nous la connaissons jusqu’au fond d’elle-même ! Manus Peet, à ses côtés, est le porte-parole de l’auteur. Je ne cacherai pas qu’il m’est plus sympathique au premier et au deuxième volumes qu’au dernier : au début, il est le sceptique, le philosophe infirme, vivant en marge d’un monde d’entremetteuses, de filles et de souteneurs ; puis son amour exaspéré pour Corry le pousse dans la solitude, et il découvre en lui un mystique, disciple de Ruysbroeck, de Böhme, d’Eckhart et surtout de l’Imitation de Jésus-Christ. Et alors, que de digressions ! Dissertations sur l’amour et le prolétariat prennent une place énorme, et il y a toutes sortes de remarques sur les chefs du socialisme hollandais qui sont, certes, très sensées et très profondes, mais qui sont aussi d’un intérêt trop local pour équilibrer des chapitres purement humains, et par là, très supérieurs au régionalisme hollandais. Toutes ces digressions finissent par masquer le thème principal : le sceptique Manus Peet retrouvant le chemin des hommes à travers son douloureux amour pour Corry. […] »

    israël querido,henri barbusse,jordaan,littérature,pays-bas,hollande,traduction,roman,saint-georges de bouhélier,zolaLors de la parution de la traduction française - qui devait connaître semble-t-il plusieurs tirages -, les journaux partageant les idées révolutionnaires de Henri Barbusse firent l’éloge et de lauteur et du roman : « Israël Querido est mort l’été dernier presque à la veille du jour où l’on devait fêter son soixantième anniversaire en Hollande. Sa disparition a pris dans son pays les proportions d’un deuil national.

    « Comment se fait-il qu’un écrivain de cette importance, si significatif du génie de son pays, et dont l’œuvre est une sorte d’épopée de la vie populaire à Amsterdam, soit encore inconnu en France ? Les difficultés de traduction, car une bonne partie du cycle de quatre gros volumes auquel appartient Le Jordaan est écrite en argot amstellodamois, l’expliquent dans une certaine mesure, mais il faut y voir une de ces lacunes inexplicables qui dans chaque pays se vérifient toujours en matière de traductions.

    « L’effort de MM. Andriès de Rosa et Georges Rageot nous permet maintenant de juger à sa valeur le roman de Querido. Je ne dirai pas que la traduction soit de celles qui égalent parfois l’œuvre ou nous donnent l’impression de n’être plus des versions, comme Fabulet et d’Hummières l’avaient réussi pour Kipling. Mais le texte de MM. de Rosa et Rageot nous restitue tout le mouvement de la prose de Querido. Je n’ai pas besoin de savoir le hollandais pour sentir la verve, la truculence, le lyrisme gras et optimiste de l’auteur du Jordaan, et tout l’amour qu’il porte à son vieux port d’Amsterdam, sa familiarité avec la population spéciale qui y vit, son humanité, sa bonté. On ne saurait classer Querido parmi les naturalistes. Le sujet ici ne détermine pas le genre. Point de finasseries psychologiques, certes. Mais la simplicité, pour ne pas dire la trivialité des mœurs, est relevée par la poésie qu’Israël Querido met dans le décor, par ses descriptions de l’atmosphère, de l’air si spécial d’Amsterdam à toute heure du jour. Au fond, souvent les pages de ce romancier donnent l’idée d’une peinture. Et l’on songe à Rubens.

    Bragua, par G. Aubert

    israël querido,henri barbusse,jordaan,littérature,pays-bas,hollande,traduction,roman,saint-georges de bouhélier,zola« M. Henri Barbusse, dans l’excellente préface qu’il consacre à l’ouvrage, évoque d’autres noms de peintres, et plus grands peut-être : ‘‘La sarabande tragi-comique de la vie du quartier se déroule ainsi, documentaire comme du Téniers, pathétique comme du Breughel, poussée par masses comme de la fresque. » C’est assez dire la lignée spécifiquement flamande dans laquelle s’insère ce livre. À un autre moment M. Barbusse écrit, à propos de Querido : « Son rayonnement doit dépasser le cadre d’une littérature nationale et le dépassera dans la mise au point des temps, car son œuvre s’est dessinée une place visible dans l’histoire du réalisme. J’y souscris sans peine. » (Dominique Bragua, Europe, n° 123, 15/03/1933, p. 446-447.)

    Même engouement dans Le Populaire. Organe du Parti Socialiste (S.F.I.O.) : « Le grand écrivain naturaliste qu’était Israël Quérido devait passer de la peinture objective des misères humaines à la bataille contre ces misères. L’artiste devait se muer en partisan. ‘‘Il nous faut – écrivait-il à la fin de sa vie – des écrivains qui formulent notre idéal socialiste. Nous avons besoin d’héroïsme et d’enthousiasme profond et passionné. Il ne nous faut pas seulement le tableau de l’esclavage ouvrier, il nous faut aussi des ouvriers en révolte qui veulent détruire l’ordre existant.’’ Quand Quérido écrivit le livre dont Andriès de Rosa et Georges Rageot nous donnent aujourd’hui une version française, il n’était encore que l’observateur minutieux et attentif de la pauvreté et des vices qu’elle engendre. Mais il n’est pas difficile de démêler déjà, dans les tableaux qu’il trace de la peine des hommes, les traits annonciateurs de ses sentiments de protestation et de révolte. Le Jordaan, c’est le plus misérable des quartiers d’Amsterdam. Ruelles sordides, boutiques puantes, taudis empestés où s’entassent les familles nombreuses des travailleurs. Maladies, saleté, promiscuité, ivrognerie, violences, tout ce que les remous d’une société où le travail est exploité peuvent créer d’écume. Au milieu de quoi on étouffe, en attendant de s’indigner. Et l’on songe avec inquiétude tout ce qu’il faudra de propreté, de bonheur, de sécurité et de lumière pour que l’humanité puisse oublier un jour le long calvaire que le capitalisme lui a fait gravir. » (J.D. S., « Carnet du lecteur », 1er décembre 1932, p. 4.)

    Pierre Lorson

    israël querido,henri barbusse,jordaan,littérature,pays-bas,hollande,traduction,roman,saint-georges de bouhélier,zolaEn revanche, les Études, revue catholique d’intérêt général, par la voix du jésuite Pierre Lorson (1897-1954), font entendre un autre son de cloche : «  Ce livre touffu veut être une fresque aux couleurs criardes, mais fidèles, représentant un quartier crasseux d’Amsterdam. Le travail et les plaisirs d’une population pauvre de pêcheurs, marins, ouvriers, petits com- merçants y sont évoqués sous le seul aspect extérieur et collectif et, de préférence, le plus sordide. C’est une galerie de marionnettes en haillons, maniées assez prestigieusement, malgré leur nombre, mais en qui, grâce à Dieu, les Hollandais d’Amsterdam ne se reconnaîtraient pas, malgré les prétention ‘‘documentaires’’ de l’auteur et de l’école dont il se réclame. M. Barbusse, qui a écrit une Préface enthousiaste à ce livre, le rapproche de Zola. C’est assez dire que c’est un livre morne, pesant, long, partial. » (01/1933, p. 508-509).

    Relevons au passage que, dans le Mercure de France du 15 décembre 1919, Jan L. Walch a consacré quelques pages à Is. Querido à l’occasion de la parution du roman De oude waereld I: Het land van Zarathustra (1918).

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    Les traducteurs de De Jordaan, en particulier le Néerlandais Andriès de Rosa, feront l’objet d’un prochain développement. La préface de Barbusse qui suit, accompagnée de quelques notes, présente un contenu en grande partie similaire à celui de l’article que l’écrivain communiste donna le 15 octobre 1932 – soit l’époque de la parution de Le Jordaan – aux pages 1 et 6 des Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, l’hebdomadaire commettant dailleurs une petite erreur sur le prénom de lécrivain (labréviation Is. sétant transformée en Isaac au lieu dIsraël).

    (D .C.)

      

     

    * À l’occasion du centenaire de la fondation de cette maison paraîtra en 2015 une biographie d’Emmanuel Querido de la main de l’écrivain Willem van Toorn. Cet ouvrage accordera une place aux relations conflictuelles entre l’éditeur et son frère écrivain.

     

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    NOTES

    p. V : Van Dayssel : il s’agit en réalité de Lodewijk van Deyssel (1864-1952), figure majeure du Mouvement des années 1880, fils de l’homme de lettres J. A. Alberdingk Thijm ; sur Willem Kloos : ici.

    p. VI : Sur Saint-Georges de Bouhélier, voir le petit livre rédigé en langue française que lui a consacré Andries de Rosa, cotraducteur de De Jordaan : Saint-Georges de Bouhélier et le naturisme,1910.

    Les Meditaties over literatuur en leven (Méditations sur la littérature et la vie) datent de 1897, De jeugd van Beethoven (La Jeunesse de Beethoven) de 1919, Saul en David (Saül et David) de 1914, Aron Laguna de 1917, Levensgang (Cours de la vie) de 1901 et Menschenwee de 1903.

    Sur le dramaturge Herman Heijermans : ici et ici.

    Israël Querido

    israël querido,henri barbusse,jordaan,littérature,pays-bas,hollande,traduction,roman,saint-georges de bouhélier,zolap. VII : De oude waereld I: Het land van Zarathustra. Koningen (Le Vieux monde, I : Le pays de Zarathoustra. Rois) date de 1926, Het volk Gods (Le Peuple de Dieu) de 1932. Les volumes de la tétralogie De Jordaan: Amsterdamsche epos (Le Jourdain : Épopée amstellodamoise) ont paru respectivement en 1912, 1914, 1922 et 1924.

    p. XIII : Stijn Streuvels (1871-1969), un des plus grands romanciers flamands dont certaines œuvres sont traduites en français.

    p. XIV : Herman Gorter (1864-1927) : poète et militant communiste. On pourra lire certains de ses poèmes dans l’Anthologie Poètes néerlandais de la modernité.

    p. XV : Jef Last (1898-1972), connu en France pour avoir été l’ami d’André Gide. Ce dernier a signé la préface et contribué à la traduction de Zuyderzée, premier roman néerlandais paru en langue française aux éditions Gallimard (1938).

    Jan Willem Jacobs (1895-1967), poète socialiste aujourd’hui oublié.

    Martin Beversluis (1894-1966), poète et romancier. Socialiste puis communiste, il a adhéré pendant la guerre au mouvement national-socialiste hollandais (NSB).

    Piet Schuhmacher : sans doute l’activiste et journaliste, fondateur et rédacteur de De Nieuwe Stem (1918-1919).

    Garmt Stuiveling (1907-1985) : universitaire et homme de lettres, figure importante de la social-démocratie.

    Marie Vos (1897-1994) et Margot Vos (1891-1985) : poètes et auteurs pour la jeunesse, aujourd’hui oubliées.

    Abraham van Collem (1858-1933) : poète socialiste.

    Henriette Roland Holst (1869-1952) : poète et grande figure du socialisme néerlandais, tante du poète Adriaan Roland Holst (1888-1976) dont les recueils Voorbij de wegen et Een winter aan zée ont été traduits en français.

     

     

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     Is. Querido, caricature de Theo van Doesburg, 1910

     

     

     

  • Le poète Guillaume van der Graft

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    Parler à l’eau lente

     

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    Guillaume van der Graft (pseudonyme de Willem Barnard, Rotterdam 1920 – Utrecht 2010) est un poète et prosateur néerlandais. Auteur d’une bonne trentaine de recueils, il a réuni, au crépuscule de son existence, environ 300 de ses poèmes dans Praten tegen langzaam water. Gedichten 1942-2007. Een keuze (Parler à l’eau lente. Poèmes 1942-2007. Un choix, éd. de Prom, 2007, avec CD). De même, il a opéré une sélection parmi les milliers de pages de son Journal : Een dubbeltje op zijn kant. Dagboeken 1945-1978 (2005) et Anno Domini. Dagboeken 1978-1992 (2004), puis, en 2009 : Een zon diep in de nacht. De Verzamelde Dagboeken 1945-2005 (Un soleil tout au fond de la nuit. Journaux 1945-2005). Issu d’un milieu modeste, il a fait des études de littérature et de théologie. Pasteur de l’Église réformée néerlandaise (Nederlandse Hervormde Kerk) jusqu’en 1975, il a contribué à l’établissement de l’édition du Liedboek voor de Kerken (1973) et publié des études relevant de son ministère et plus largement de sa soif de saisir l'indicible.

    guillaume van der graft,willem barnard,poésie,pays-bas,néerlandais,protestantisme,hollande,littérature,traductionParallèlement, il n’a cessé d’édifier son œuvre littéraire, collaborant à diverses revues, publiant quelques pièces de théâtre ou encore le compte rendu de ses voyages en Angleterre, pays qu'il ché- rissait particulièrement: Papier als reisgenoot (Papier, compagnon de route, 1975). La théologie et la mythologie occupent une place prépondérante dans sa production poétique de même, d’ailleurs, que la sensualité ou encore le thème de l’écriture. Le volume Verzameld vertoog (1989) rassemble une bonne part de ses études et réflexions. Des ouvrages comme Stille omgang (1992), qui propose une méditation très personnelle sur la Bible, et Orthodox of niks (Orthodoxe ou rien, 2008), ainsi que divers essais sur la poésie, concilient fibre artistique et curiosité de l’homme religieux après que Willem Barnard fut devenu membre de l’Église vieille-catholique.

    Guillaume van der Graft était le père de l’écrivain Benno Barnard.

     

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    Dit schrijf ik onderweg

    gaandeweg onderweg naar een ergens

    zo elders dat het ook wel nergens wordt genoemd

     

    uitersten gaan elkaar vinden,

    zenit en nadir, noord nadert zuid

    en de voorraad wereld vermindert

     

    ik heb niet geschreven wat ik weet

    wat ik niet wist heb ik geschreven.

     

     

    Ceci je l’écris chemin faisant

    peu à peu en chemin vers un quelque part

    tellement autre part qu’on l’appelle parfois nulle part

     

    les extrêmes vont se toucher,

    zénith et nadir, nord et sud

    et la réserve en monde diminue

     

    je n’ai pas écrit ce que je sais

    ce que je ne savais pas je l’ai écrit.

     

     

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    Praten tegen langzaam water

     

    Praten zoals regenwater

    praat tegen langzamer water,

     

    transfiguratie van drift:

    een minnende mond, een beminde,

     

    samenzijn, namen verbinden

    met namen, in spiegelschrift

     

    weten hoe anderen heten,

    gaan tot de wieg van het licht.

      

     

    Parler à l’eau lente

     

    Parler comme l’eau de pluie

    parle à l’eau plus lente

     

    transfiguration de l’instinct :

    une bouche aimante, une bien-aimée,

     

    être ensemble, unir des nommés

    entre eux, savoir en écriture

     

    spéculaire le nom des autres,

    gagner le berceau de la lumière.

     

    (trad. D. Cunin) 

     

     

    Entretien (en néerlandais) avec Guillaume van der Graft

    ICI

    autre entretien vidéo : ICI

     

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     Teruggezongen, in memoriam Guillaume van der Graft, Baarn, Atlanta Pers, 2013 (hommage par 13  poètes)

     

    Dix poèmes de Guillaume van der Graft ont paru en traduction française dans Deshima, n° 7, p. 257-266.

     

     

     

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    André Troost, Dichter bij het Geheim: leven en werk van Willem Barnard/Guillaume van der Graft, 1998 (l'un des ouvrages consacrés au poète)

     

     

     

  • Tête à crack

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    La nouvelle Afrique du Sud

    selon Adriaan van Dis

     

     

    L'écrivain et voyageur néerlandais Adriaan van Dis cultive depuis de nombreuses années des liens singuliers avec l'Afrique du Sud (voir ici). Ancien militant anti-aparthheid, il porte aujourd'hui, à travers son alter ego Mulder, un regard ironique et désabusé sur ce grand pays. Son roman Tête à crack (Tikkop en langue originale), qui vient de paraître chez Actes Sud, est en quelque sorte l'histoire d'un idéal déçu.

     

    couvTêteàCrack.png

     

     

    LE MOT DE L'ÉDITEUR

     

    Quand Mulder revient passer quelque temps en Afrique du Sud à l’invitation de son ami Donald, il découvre avec stupeur que la fin de l’apartheid n’a nullement apaisé les relations entre Blancs et Noirs. Barricadés dans leur villa sur les hauteurs protégées d’un village de pêcheurs aux quartiers d’une extrême pauvreté, les voisins de Mulder tentent dans un premier temps de lui faire part des règles de prudence à respecter pour demeurer en paix.
    Mais Mulder, qui est – tout comme Donald d’ailleurs – un ancien activiste d’un mouvement d’extrême gauche ayant combattu l’apartheid dans les années soixante-dix, refuse d’évoluer dans un tel climat de méfiance, de se murer ainsi dans l’oubli des luttes et des amours passés.
    Quand il croise le chemin de Hendrik, un jeune métis complètement shooté au crack, Mulder semble touché par sa situation. Un sentiment que partage Donald. Mais leurs tentatives de “rééducation” de ce gosse perdu n’aboutiront qu’à réveiller d’anciens conflits, d’invincibles contradictions.
     
    AdriaanVanDisPortrait.jpgGrâce à de subtils éclairages, Adriaan van Dis esquisse le portrait d’une Afrique du Sud qu’il connaît parfai- tement. Il explore avec générosité l’ambivalence des Afrikaners bien qu’ayant lui-même pris part à la lutte anti-apartheid. Il compose ainsi un roman à la fois politique et d’une grande élégance esthétique, où se glisse l’autofiction tout en abîmes et rigueur mêlées.

     

     

    le début du roman : ici

     

     

    Adriaan van Dis parle (en anglais) de Tête à crack et de ses idéaux en compagnie d'Amos Oz

     

     

     

  • Sadi de Gorter en images

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     « La vie en hollande au XVIIe siècle »

     

    Sadi de Gorter, exposition, Hollande, Pays-Bas, Institut néerlandais, Septentrion

    Roger Stéphane préside à Amsterdam

    une table ronde sur André Gide

    à la Maison Descartes en 1969.

    À sa gauche, Victor E. van Vriesland,

    Sadi de Gorter, Jef Last*

     

     

    Poète d’expression française, traducteur, rebelle puis diplomate, directeur de l’Institut néerlandais, Sadi de Gorter (Amsterdam, 1912 - Paris, 1994) a joué un rôle majeur dans les relations culturelles franco-néerlandaises, laissant des milliers de chroniques sur « ses » deux pays. L’historien Yves Cazaux lui a consacré un livre et quelques articles, le professeur André Seggelen un hommage posthume (« Sadi de Gorter ou la passion des cultures », Septentrion, n° 4, 1995).

     

    catalogue, introduction Paul Zumthor

    Sadi de Gorter, exposition, Hollande, Pays-Bas, Institut néerlandais, SeptentrionLa vidéo ci-dessous montre d’abord un Kees van Dongen âgé de 90 ans, bien plus sombre et amer que quelques années plus tôt. À partir de la quatrième minute, il est question de l’exposition « La vie en hollande au XVIIe siècle » organisée par l’Institut néerlandais du 11 janvier au 20 mars 1967 au Musée des Arts Décoratifs de Paris. Le micro et la caméra se tournent alors vers Sadi de Gorter (jusqu’à 8’39).

     

     

     

     

    Quelques textes de Sadi de Gorter

     

    « Au fil des canaux, sur les pas de Camus, flâneur professionnel », Les Nouvelles Littéraires, n° 1, décembre 1985.

    « Vincent van Gogh ou le devoir d’espérance », Septentrion, n° 1, 1972.

    « Le monde insolite et fascinant de Maurits Cornelis Escher », Septentrion, n° 2, 1973.

    « Les Van Velde ou l’itinéraire des pourquoi », Septentrion, n° 1, 1982.

    « Marsman à la recherche de la France », Septentrion, n° 1, 1979.

     

    Dans l’ouvrage qu’il a consacré à l’histoire de l’Institut néerlandais, Pieter van den Blink revient à de nombreuses reprises sur le rôle joué par Sadi de Gorter au sein de cette institution : 121 rue de Lille – Nederland aan de Seine, Balans, 2007.

     

    Sadi de Gorter, exposition, Hollande, Pays-Bas, Institut néerlandais, Septentrion

     

     * la photo figure dans la chronique de Sadi de Gorter

    publiée  dans Septentrion, n° 4, 1990

     

  • L’autre Van Dongen

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    Jean van Dongen,

    sculpteur et céramiste

     

     

     

    1 famille Van Dongen.jpg

     

     

    Statue en plâtre, coll. part., © xdl-Vieux Marly 2011 

    JeanvanDongen-StatuePlâtre.pngDans une étude récente – publiée dans le cadre des célébrations nationales commémorant le 150e anniversaire de la naissance d’Aristide Maillol –, Anne Lajoix s’est penchée non sur le célèbre Kees van Dongen, mais sur un frère de ce dernier, Jan, dit Jean (1). L’historienne de l’art a exhumé quelques éléments biographiques relatifs à cet artiste qui, après avoir rejoint son aîné à Paris en 1904, passa une grande partie de sa vie à Marly-le-Roi. Appuyant son propos sur de magnifiques illustrations de créations peu connues, elle expose les deux facettes du talent de Jean : son œuvre de céramiste d’une part, son travail de praticien auprès de Maillol d’autre part : « C’est en 1922 qu’Aristide Maillol (1861-1944) fait la connaissance du sculpteur et céramiste Jean van Dongen, avec lequel il tisse des liens amicaux et dont il fait son principal praticien ‘‘taillant le marbre et cuisant les céramiques de ce dernier (Maillol) dans le four de son atelier situé à Marly-BustedeMaillol-JeanvanDongen.pngle-Roi, près de celui de Maillol’’. Selon Dina Vierny, Maillol, véritable solitaire qui ne choisissait que des praticiens sculpteur de métier, comme Rodin, a travaillé ‘‘très longtemps’’ avec lui. Il se peut aussi que les essais de Maillol en céramique aient créé une connivence avec Jean van Dongen. » (2)

    Buste de Maillol, par J. van Dongen

     

     

    AmazoneVanDongen.png

    C’est semble-t-il entre les années 1925 et 1935 que Jean van Dongen va acquérir un début de renommée. Ainsi, à l’occasion d’une exposition abritée par la galerie René Drouet, l’auteur Ernest Tisserand écrit dans L’Européen du 17 juillet 1929 : « Et c’est un véritable plaisir de trouver à côté de cette œuvre riche, colorée, pénétrante [celle de Herbo], les pièces céramiques de Jean Van Dongen. Grand monsieur, Jean Van Dongen ! Sculpteur savant, technicien instruit de tous les arts du feu, il est du Nord lui aussi – et il n’en est pas. Car son inspiration reste toute méditerranéenne. En regardant les chiens qu’il a sculptés, et exécutés lui-même dans les terres réfractaires qu’il affectionne, nous pensons au chacal Anubis […]. Les ressouvenirs ne sont chez lui que tradition, enseignement, formation. Il y a quelque chose de tout à fait jeune dans sa facture, bien plus, quelque chose qui, sans emprunt direct, n’oublie pas cependant ce que ce siècle doit à cinquante ans de rénovation céramique. Car, sculpteur ou potier, Jean van Dongen est avant tout un céramiste. Il sculpte en fonction du feu. Il tourne ses modèles en fonction de ce qui fait la vie moderne. Décorateur né, il veut que son décor, pour discret qu’il soit, éclate nettement sur la douce matière de sa terre. Et nous mettons très haut certains plats aux poissons, certains vases très calmes où quelques filets d’un noir métallique CoupeCachePotAuMasqueVanDongen.pngconfèrent une vie réellement palpitante à la belle matière vitrifiée par le feu. Aussi bien, son amazone est célèbre, ses biches, ses serpents, sa tortue, ses paons. Mais recherchez ses pots et ses plats, où se conjuguent les plus méritants efforts, les plus louables réussites. »

    Coupe cache-pot au masque© coll. part.

      

    NRC, 5 mai 1927 (PDF)

    JanvanDongenTeParijs-NRC.pngTant en France qu’aux Pays-Bas, la presse s’intéresse en effet un tout petit peu aux travaux de ce frère qui restera néanmoins toujours dans l’ombre de Kees et que ce dernier ne semble pas avoir particulièrement mis en avant – si ce n’est parfois à travers ses propres œuvres, en l’invitant à occuper une modeste place à ses côtés (3) ou sans doute en l’introduisant dans les cénacles mondains. On trouve par exemple trace de Jean dans l’Algemeen Handelsblad à l’occasion de la « fermeture » de l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes (1925) ; évoquant les travaux qu’entraîne la fin de cette manifestation réussie, le correspondant néerlandais du quotidien revient sur les difficultés financières que rencontre le couturier Paul Poiret, difficultés d’autant plus criantes que ses trois péniches ont été boudées par le public : « le beau chien berger de Jo (sic) van JeanvanDongenVase.pngDongen (le frère de Kees, dont les céramiques originales étaient utilisées sur les péniches ; il les cuit lui-même dans un four qu’il a installé quelque part dans la banlieue ouest de Paris) à l’entrée de la péniche Amours n’avait plus rien à surveiller depuis un moment déjà puisqu’on avait arrêté prématurément l’exploitation de l’embarcation » (4).

     

    JeanvanDongen-Sumatra.png

    De Sumatra Post, 9 juin 1927

     

    Vase cornet à décor d'un bois ombragé

    où s'amusent des personnages

    VanDongenVaseCornet.pngAu printemps 1927, Jean van Dongen expose des céramiques à La Crémaillère, ce dont le De Sumatra Post (« Jan van Dongen », 9 juin 1927), Le Petit Parisien (Vanderpyl, « Salons et expositions », 3 mai 1927) ou encore le NRC (« Jan van Dongen te Parijs », 5 mai 1927) se font l’écho : si le correspondant de ce dernier journal émet quelques réserves relativement à l’inspiration de l’artiste – Fritz-René Vanderpyl parle lui de « l’élégant et ingénieux Jean van Dongen » –, les visiteurs ont tout de même pu admirer une tortue, un serpent (lampe en forme de vase), un paon (lampe), des oies (vide poche ; différents exemplaires), diverses pièces de vaisselle ainsi que des sculptures dont La Biche.

    AH, 27 décembre 1928 (PDF)

    JanvanDongen-AH-27121928.png« Werk van Guus en Jan van Dongen [Œuvres de Guus et Jan van Dongen] » titre de son côté l’Algemeen Handelsblad le 27 décembre 1928 : à la galerie Margouliès et Schotte, 27 rue Saint-Georges, Guus, l’épouse de Kees expose des toiles (que le journaliste n’apprécie guère), et Jean certaines de ses œuvres « séduisantes et particulièrement réussies » : faon délicat, cheval robuste, chat se prélassant et des vases dont un grand figurant des caravelles de l’époque des croisades. En 1929, La Semaine Parisienne mentionne son nom comme exposant ; de même Le Petit Parisien du 26 mars 1931, à propos d’une exposition de poteries chez Javal et Bourdeaux. En novembre 1932, le mensuel Ons Eigen Tijdschrift lui consacre quelques pages (p. 21-23) sous la plume d’un certain Van den Eeckhout : « Jan van Dongen, pottebakker » [Jean van Dongen, céramiste]. Anne Lajoix mentionne encore : « Bij den broer van Kees Van Dongen [Chez le frère de Kees van Dongen] », article paru dans De Telegraaf du 24 décembre 1933.

     

    DongenBroer1933.png

     

    Jarre aux poissons, coll. part.

    9.jpg« Puis, nous dit l’historienne, c’est le grand silence : plus d’articles, plus de traces. La seule chose que nous sachions est, qu’après la Seconde guerre, il a donné des dessins ou des projets pour un décor de service en porcelaine chez Bernardaud à Limoges. Jean van Dongen rencontrait un vif succès auprès des amateurs américains. Aujourd’hui ses œuvres figurent au Musée promenade de Marly, au musée national de Céramique de Sèvres, au Musée national Picasso, à Paris, et dans quelques collections privées. De temps à autre, ses céramiques et ses sculptures apparaissent sur le marché de l’art, comme cet autoportrait en plâtre d’une hauteur de 52 cm, aux États-Unis le 2 février 2008 ou bien à l’Hôtel des ventes de Paris. Les quelques pièces que nous connaissons portent la marque d’une inspiration puisée aux répertoires des arts exhumés par l’archéologie à l’époque, même certains thèmes comme son Amazone exposée en 1929. Si les formes des plats, des coupes ou des vases, sont relativement traditionnelles, les décors peints toujours stylisés (lignes ondées, enroulements, damiers ou hachures) irradient de modernité par les couleurs d’un grand raffinement, des bruns, des noirs, des jaunes et des bleus. En revanche, certaines interprétations du règne animal sont parfois surprenantes hormis quelques belles réussites comme sa boîte cobra. »

     

    VanDongenVagues.png

    Plat au décor de poissons et vagues, coll. Musée-promenade

    de Marly-le-Roi/ Louveciennes, © MPML-Brejat Harry

     

    Un grand silence, une existence passée dans la discrétion. L’entretien qu’a eu en 1968 la journaliste Jo Manassen (1918-2004) avec Dolly, la fille de Kees, nous apprend peu de choses si ce n’est que Jean van Dongen entretient de très bonnes relations avec sa nièce – elle possède certaines de ses œuvres chez elle, des statuettes –, laquelle l’aime beaucoup et lui JeanvanDongen-Vase.pngrend souvent visite à Marly. Dolly regrette de ne plus voir son père. Elle raconte que c’est Jean qui a été steward sur un bateau naviguant vers l’Amérique, et non pas Kees comme le veut la légende (5).

    L’époque est loin où la petite Dolly posait pour son père et où Jan était « chez lui » chez son frère.

    Vase cornet en céramique polychrome à décor de motifs géométriques

     

    La presse hollandaise, qui ne semble pas même avoir signalé la disparition de Jan van Dongen en 1970, nous livre malgré tout de temps à autre quelques données fragmentaires. En 1975, une partie de la collection de J. Heijberg, ancien professeur à l’académie de Rotterdam où Kees a suivi des cours, est vendue : des dessins et des aquarelles de l’aîné, mais aussi une photographie représentant celui-ci – tenant un chat – avec son frère et Guus (6).

    PèredesVanDongen.pngEn 1976, le musée De Dubbele Palmboom de Delfshaven a hérité d’un portrait en bronze de 1917 représentant Johan van Dongen, réalisé par son fils Jean. Il appartenait à Mme A. Dahme qui en a fait don au musée. Le père de Mme Dahme a suivi des cours aux Beaux-Arts avec Kees van Dongen. Les deux familles étaient liées. Mme Dahme a très bien connu Jean : « Certes bien moins célèbre que son frère, il n’en était pas moins un grand artiste. » (7)

    Dolly van Dongen, 1987

    DollyvanDongen1987.pngLe 1er juin 1987, le journal Het Vrije Volk redonne la parole à Dolly. Sous le titre « Kees van Dongen, de allergrootste [Kees van Dongen, le plus grand de tous] », Joris Boddaert relate en effet sa rencontre avec Antonia van Dongen alors que celle-ci effectue un bref séjour à Rotterdam à l’occasion de l’inauguration d’une stèle représentant son père, réalisée par Willem Verbon (1921-2003). Ce sculpteur en profite pour préciser au journaliste : « D’ailleurs, saviez-vous que son frère Jan était lui aussi un immense artiste, certes dans un autre domaine ? Ce Jan a commencé comme céramiste. KeesvanDongenParVerbon.pngKees l’a fait venir à Paris où il a travaillé au service du marchand d’art Vollard. Une chose que presque personne ne sait : il a ‘‘agrandi’’ les sculptures de personne de moins que Maillol, le continuateur de Rodin. Les jardins du Louvre en regorgent. Cet ‘‘agrandissement’’, c’est une technique particulière que peu d’artistes maîtrisent. Jan est au moins aussi intéressant que son frère. »

    D. Cunin

     

    Kees van Dongen, par W. Verbon, relief, détail 

     

     

     

    JvanDongen-PlatauPoisson-Sèvres.png

     Plat au poisson, Sèvres, Musée national de Céramique

     

    (1) « Jean van Dongen (1883-1970) praticien d’Aristide Maillol et céramiste », Le Vieux Marly, 2011, p. 78-103.

    (2) Anne Lajoix, art. cit., p. 80.

    J. van Dongen, Plat creux

    PlatCreuxVanDongen.png(3) Dans le quotidien néerlandais De Telegraaf (31/10/1907), le critique et peintre Conrad Kickert commente une exposition qui a lieu au Cercle artistique de Rotterdam. Il relève quelques noms dont celui de Cees (sic) van Dongen qui expose entre autres un portrait luministe de Jan van Dongen tendant à rendre le caractère de la personne dans une gamme de bleus. L’année suivante, le publiciste Alexandre Cohen mentionne Jean – qui présente un buste de son frère « méritoire et très expressif » – à l’occasion d’une grande exposition (90 œuvres environ) chez Bernheim, à Paris : « Kees van Dongen 1892-1908 » (De Telegraaf, 6 décembre 1908). Anne Lajoix mentionne que Jean a également « exposé au côté de son frère Kees, chez Bernheim », en 1913.

    (4) « De tentonstelling gesloten », Algemeen Handelsblad, 13 novembre 1925.

    Nuenbronze-VanDongen.png(5) Jo Manassen, « Kees van Dongen in de ogen van zijn dochter », Het Vrije Volk, 4 mai 1968.

    (6) « Herinneringen aan Parijse Kees », De Telegraaf, 24 avril 1975.

    (7) « Dubbele Palmboom : ‘‘Van Dongen’’ », Het Vrije Volk, 6 avril 1976.

     

    Nu, bronze