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Poètes & Poèmes - Page 8

  • Un peintre, deux poètes

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    Hommage à Karel Dierickx

     

     

     

    K. Dierickx, Autoportrait, fusain, 2010

    karel dierickx,inge braekman,roland jooris,poésie,peinture,traduction,katelijne de vuystAu cours de son itinéraire artistique, le peintre gantois Karel Dierickx (1940-2014) – auquel le LWL Museum für Kunst und Kultur de Münster consacre une exposition (voir vidéo) – a eu souvent l’occasion de collaborer avec des poètes flamands : Leonard Nolens pour Negen slapeloze gedichten (2007) ; Stefan Hertmans pour Vuurwerk zei ze (2002) et Giotto’s hemel (2012) ; Roland Jooris pour vlakgom (2004) et la plaquette eigenzinnig (2011) ou encore Chris(tiane) Yperman pour had ik een groene hagedis (2004). Certains poètes ont d’ailleurs exprimé leur admiration en lui dédiant un poème. Ainsi d’Inge Braeckman et de Roland Jooris dont nous reproduisons ci-dessous les originaux en même temps que la transposition française.

     

     


    Rétrospective Karel Dierickx, printemps 2020 (en allemand) 

     

     

     

     

    Voor Karel Dierickx

     

     

    Kwetsbaar gekrast in lijnen op papier en doek

    wordt het stilleven een aquatint, schildert

    de werkelijkheid zich dicht. Terwijl je tast

     

    brokkelt de textuur van je geheugen af, maar

    blijft een partituur en kompas. Voor hen die je

    bezoeken. Met toets en taal maak je zichtbaar wat

     

    onzichtbaar is. Een proces van een lange, enige

    adem. Marrakech Night en Omsloten situatie.

    Het model gaat in het landschap op. Even pasteus.

     

    Als een cascade. Een brief. Een bootje in een fles.

    Je hoort de zee, herhaalt de zomer zonder omhaal.

     

     

    Inge Braeckman (Venus’ vonken, PoëzieCentrum, 2018)

     

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    Pour Karel Dierickx

     

     

    Aux lignes fragiles mordant papier et toile
    la nature morte se fait aquatinte, la réalité
    se peint en épaisseur. Pendant que tu tâtonnes

     

    la texture de ta mémoire s’effrite, n’en reste

    pas moins partition et boussole. Pour tes

    visiteurs. Touches et tournures te donnent

     

    de rendre visible l’invisible. Processus de longue
    et unique haleine. Marrakech Night et Situation refermée.

    Le modèle se fond dans le paysage. Un rien pâteux.

     

    Tel une cascade. Une lettre. Un bateau dans une bouteille.

    Tu entends la mer, répète l’été sans faire de façons.

     

     

    traduction Daniel Cunin (paru dans Traversées, n° 90, 2019)

     

    COUV-TRAVERSEES-90.jpeg

     

     

     

    Eigenzinnig

     

    voor Karel Dierickx

      

     

    De nacht dwingt

      

    de nacht is

    vermetel een mengsel van

    dronken tinten in de grondeloze

    aarde van je slaap

    de nacht woekert en woelt

    zich in het landschap los

      

    de nacht zakt

    als een vlak achter

    de struiken, als een vermoeden

    dat klotst en aanspoelt

    in het raam

      

    de nacht legt de roes

    van zijn rumoer

    belegen in de koelte

    van zijn kelders

    vast

     

     

    Roland Jooris (eigenzinnig, Uitgeverij Cultura, 2011)

     

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    Qu’à sa tête

     

    pour Karel Dierickx

     

     

    La nuit astreint

     

    la nuit est

    téméraire un mélange d’ivres

    teintes dans la terre

    abyssale de ton sommeil

    la nuit fouit et fourmille

    à se libérer des draps du paysage

     

    la nuit sombre

    tel un à-plat derrière

    les broussailles, tel un soupçon

    qui en ressac s’échoue

    dans la fenêtre

     

    la nuit amarre

    la griserie

    de sa rumeur

    dans la fraîcheur

    de ses caves

     

    traduction Daniel Cunin

     

     

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    Roland Jooris, Sculptures

    recueil traduit par Katelijne De Vuyst, Tétras Lyre, 2019

     

     


    Stefan Hertmans parle de son ami Karel Dierickx (en allemand)

    nombreuses prises de vue de lexposition

     

     

  • La tétine de notre degré de culture…

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    … ou à chaque braguette son pantalon

     

     


    la maison Van Doesburg à Drachten (Frise) 

     

     


    On sait que l’architecte et théoricien de l’avant-garde Theo van Doesburg (1883-1931), né Christian Emil Marie Küpper, a écrit des poèmes dadaïstes sous le nom I.K. Bonset. Principale figure de la mouvance Dada en Hollande, il a été, entre autres, à l’origine de la revue De Stijl ou encore rédacteur de la publication Mécano à laquelle ont pu thoe van doesburg,dada,hollande,de stijl,traduction,poésiecollaborer Arp, Schwitters, Picabia et Tzara. On lui doit l’Aubette (Strasbourg), une demeure qui porte son nom à Meudon… ou encore certaines chaises de cafés alsaciens. Quelques-uns de ses écrits « français » sont disponibles en ligne.

    Il n’est pas inutile de mentionner au passage la toute première publication de Theo van Doesburg, passée longtemps inaperçue, y compris des plus grands connaisseurs de l’œuvre : De maskers af (Bas les masques !, 1910), qui réunit 20 caricatures de sa main, précédées d'une introduction et accompagnées de commentaires.

     

     

    Le poème qui suit est tiré de : I.K. Bonset, Het andere gezicht van I.K. Bonset, Meulenhoff, Amsterdam, 1983, p. 73.

     

    Thoe van Doesburg, Dada, Hollande, De Stijl, traduction, poésie

     

     

    9 x B

    1          De bomen zijn de benen van het landschap.   B.

    2          De mens is goed, wanneer hij er geen belang bij heeft slecht te zijn. Hij is slecht wanneer het niet in zijn belang is goed te zijn.      B.

    3          De antimakassar is de graadmeter onzer cultuur, het sentimentalisme, de speen.       B.

    4          Ziet ge?            B.

    5          Ten einde raad bracht ik het paradijs naar de lommerd. Ik ontving daarvoor juist genoeg om mij een brood, een kaars en een fles inkt te kopen.            B.

    6          Bij elke gulp behoort een pantalon.    B.

    7          Ernst is gevaarlijker dan syfilis.           B.

    8          De mens heeft hersenen ten einde niet te denken.      B.

    9          Schoonheid is de parodie der werkelijkheid.   B.

     

     

    Thoe van Doesburg, Dada, Hollande, De Stijl, traduction, poésie

     

     

    9 x B

     

    1          Les arbres sont les jambes du paysage.            B.

    2          L’homme est bon quand il n’a aucun intérêt à être mauvais. Il est mauvais quand il n’est pas dans son intérêt d’être bon.    B.

    3          La têtière en guipure d’un fauteuil est la jauge de notre degré de culture, le sentimentalisme en est la tétine. B.

    4          Vous voyez ?   B.

    5          En désespoir de cause, j’ai apporté le paradis au prêteur sur gages. Lequel m’a remis en échange juste de quoi m’acheter une miche de pain, une bougie et une bouteille d’encre.          B.

    6          À chaque braguette son pantalon.       B.

    7          La gravité est plus dangereuse que Syphilis.    B.

    8          L’homme a un cerveau de sorte à ne pas penser.        B.

    9          La beauté est la parodie de la réalité.   B.

     

    traduction : D. Cunin

     

     

     

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  • La Hollande dans une boîte à chaussures

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    Bienvenue dans la poésie kaléidoscopique des kijkdozen

     

     

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    Tout petit Hollandais plonge un jour ou l’autre dans une boîte à chaussures. Il y passe des heures, voire des jours, et n’en ressort que lorsqu’il a créé une kijkdoos. Une kijkdoos ? kijken signifie « regarder » et doos « boîte ». Plusieurs traductions sont possibles, même si aucune n’est pleinement satisfaisante : « boîte d’optique », « boîte à regarder », « boîte à merveilles », « boîte à images ». Ce type de boîtes existe aussi en Allemagne sous le nom de Guckkasten, mais elles ne constituent en rien un phénomène national.

    kijkdoos,pays-bas,hollande,thomas beaufils,willem van toorn poésieDans quelques essais récents, l’ethnologue français Thomas Beaufils a tenté d’expliquer d’où vient un tel engouement aux Pays-Bas. Il estime que cette « passion » relève – ainsi que l’exprime le titre des essais en question : « Les fenêtres hollandaises. Voyeurisme, surveillance et contrôle social aux Pays-Bas » (Deshima, n° 7, 2013, p. 39-56) et « Un dispositif de dressage des yeux ? Les ‘‘boîtes à merveilles’’ aux Pays-Bas » (Deshima, n° 13, 2019, p. 173-193) – du voyeurisme tout en présentant une corrélation avec le contrôle social. Et éventuellement aussi avec le proverbial sens du commerce et des affaires du Batave.

    La kijkdoos apparaît bien entendu dans nombre d’œuvres littéraires, en particulier des poèmes. C’est d’ailleurs le titre d’un recueil de Willem van Toorn et de l’un de ses poèmes :

     

     

    Boîte à images

     

    Tout ici est dessiné

    avec une minutie d’horloger :

    de vraies planches pour la porte

    de la mairie, matérialisées

    par des bandes. Là un enfant

    se meut à la manière d’une fourmi.

    Le cadran du clocher indique l’heure

    en parfait accord avec le ciel.

     

    D’ingénieux nuages dériventkijkdoos,pays-bas,hollande,thomas beaufils,willem van toorn poésie

    chaque jour, gages de réconfort.

    On ne distingue pas plus les lignes

    ténues qui les meuvent

    que celles qui animent les oiseaux.

    Enfin, les habitants des lieux,

    ils regardent de leurs petits yeux

    au poli d’un précis inexplicable.

     

    La possible main gigantesque

    qui rafistole le mécanisme

    derrière le firmament mis en place

    sur le mur avec dévouement,

    au matin flotte et, inerte, se

    pose sur nous tous, une aile

    d’amour et de peur, et meurt

    quand la boîte part en fumée.

     

    (Willem van Toorn, Une cage à la recherche d’un oiseau, trad. Daniel Cunin, Bruxelles, L’Arbre de Diane, 2016)

     

     

    Après sa Hollande dans la collection « Idées reçues », Thomas Beaufils a publié en 2018 une Histoire des Pays-Bas. Des origines à nos jours aux éditions Tallandier, ouvrage dans lequel on peut lire une autre réflexion sur le regard, plus axée sur Spinoza. Écoutons-le nous parler en amoureux des kijkdozen puis lisons une page ou deux de son exposé.

     


     

     

    Le principe de fabrication de la kijkdoos est plutôt simple : il suffit de se munir d’une boîte à chaussures, d’enlever le couvercle, d’y percer un trou sur la largeur, de fabriquer avec du papier ou du carton des personnages et/ou des animaux, – tout ce qui nous passe par la tête pour les y placer en respectant un effet de perspective et en gardant un espace suffisant entre les figures –, de coller sur les parois intérieures des dessins ou des photographies de paysages selon notre fantaisie et notre imagination. Enfin, on découpe un rectangle dans le couvercle pour coller sur cette ouverture du papier translucide coloré – en général, du rouge, du rose ou du jaune – qui laisse passer la lumière, laquelle crée un effet captivant et enchanteur lorsque l’on regarde par le trou. Si chaque élément est choisi avec soin, le concepteur peut s’arranger avec les moyens du bord, ce qui donne un aspect enfantin et artisanal à l’ensemble. Composé de bric et de broc, l’objet ne coûte rien. Fragiles, ces boîtes sont d’ailleurs le plus souvent jetées après leur utilisation souvent temporaire.

    kijkdoos,pays-bas,hollande,thomas beaufils,willem van toorn poésieMalgré ce côté rudimentaire, il faut du temps pour juxtaposer les matériaux de manière harmonieuse et parvenir à un effet tridimensionnel. La difficulté vient du fait que l’on part de son propre stock de souvenirs visuels. Il s’agit de créer une abstraction à partir d’images mises côte à côte que l’on engendre à partir de « soi-même » tout en ayant bien conscience qu’il est indispensable d’inventer une spatialité qui plongera le spectateur en pleine illusion. Les gestes se doivent d’être minutieux pour ne pas risquer de rater l’effet désiré. Le créateur de kijkdoos adopte le même état d’esprit que le bricoleur décrit par Claude Lévi-Strauss dans la Pensée sauvage :

    Regardons-le à l’œuvre : excité par son projet, sa première démarche pratique est pourtant rétrospective : il doit se retourner vers un ensemble déjà constitué, formé d’outils et de matériaux ; en faire, ou en refaire, l’inventaire ; enfin et surtout, engager avec lui une sorte de dialogue, pour répertorier, avant de choisir entre elles, les réponses possibles que l’ensemble peut offrir au problème qu’il lui pose. Tous ces objets hétéroclites qui constituent son trésor, il les interroge pour comprendre ce que chacun pourrait « signifier », contribuant ainsi à définir un ensemble à réaliser, mais qui ne différera finalement de l’ensemble instrumental que par la disposition interne des parties.


    Aucune étude quantitative ni statistique n’atteste la généralisation du phénomène à l’échelle nationale. Cependant, les études qualitatives indiquent une nette tendance : nombreux sont les Néerlandais à avoir été mis en présence de cette boîte au moins une fois dans leur vie, le plus souvent à l’école vers l’âge de six ans, mais pas systématiquement comme me l’ont affirmé plusieurs professeurs des écoles, cette activité ne faisant pas partie des apprentissages fondamentaux du primaire. Quant aux parents néerlandais, parmi ceux que j’ai interrogés, nombreux sont ceux qui proposent à leurs enfants de fabriquer une kijkdoos pour les occuper pendant les vacances ou le week-end. La mère ou le père aide alors sa progéniture à découper et colorier les différents composants de la boîte, assurant ainsi la transmission d’un savoir-faire ancien et la continuité d’un geste qu’ils ont eux-mêmes expérimenté et appris en famille dans leur enfance.

    kijkdoos,pays-bas,hollande,thomas beaufils,willem van toorn poésieIl n’est pas rare non plus que des magazines néerlandais contiennent des patrons imprimés à découper et à coller pour réaliser des boîtes. Ces modèles prêts à l’emploi sont également régulièrement distribués sur des présentoirs à la sortie de supermarchés, par exemple dans les Albert Heijn au cours de l’année 2014 ou dans des musées comme à Hindeloopen, ce petit village frison connu dans le monde entier pour les intérieurs et meubles peints de ses maisons. Sur son site, le musée Van Gogh d’Amsterdam met quant à lui à la disposition des enfants un jeu qui consiste à placer des éléments des toiles du peintre dans une kijkdoos virtuelle. Pediforma, une marque néerlandaise de souliers orthopédiques, vendait, quant à elle, dans les années soixante-dix du siècle passé, des chaussures dont l’emballage pouvait être transformé en une kijkdoos dans laquelle prenaient place des figurines de cirque en papier. La marque Nivea a également offert dans les années soixante à ses clients des « dioramas » dans lesquels les enfants pouvaient observer des mondes sous-marins par un trou. Autre preuve de cet engouement extraordinaire pour ces boîtes, en tapant le mot kijkdoos dans un moteur de recherche sur internet, le nombre d’occurrences néerlandaises (images de boîtes, patrons, vidéos) qui ressort est vertigineux.

    Pour ce qui est du contenu, il ne semble pas exister de typologies particulières. Les scènes représentées varient d’un créateur à l’autre. Chacun place et présente dans l’espace clos de la boîte un moment de sa vie ou un trait de son caractère. Les illustrations forment systématiquement des « petites images », à la fois par la taille et pas leur côté banal. Certains thèmes sont un peu plus courants que d’autres, en particulier les tableaux champêtres composés d’arbres, d’un paysage automnal, de montagnes, d’animaux ou d’une maison à laquelle on accède par un chemin. Les plus chevronnés placent un dispositif qui permet de manipuler et d’animer mécaniquement avec une petite manivelle les figures afin de créer un effet cinétique. Parmi les nombreuses vidéos proposées sur internet, mentionnons celle d’une jeune artiste, Anne Rietmeijer, réalisatrice d’un film de cinq minutes (visionner ci-dessous) dans lequel un garçon fabrique des dizaines et des dizaines de boîtes jusqu’à ce que celles-ci envahissent totalement sa chambre. Par les trous, une jeune femme blonde habillée en robe rouge apparaît, sans doute l’objet de son fantasme, et lui fait signe jusqu’à ce que l’enfant s’aperçoive qu’il est lui-même dans une boîte et que cette jeune femme le regarde également par un trou.


     

    Voilà pour le dispositif général qui n’est pas sans rappeler toutes ces boîtes promenées dans la rue par des forains itinérants ou appréciées des aristocrates aux XVIIe-XIXe siècles. Les gens payaient pour regarder dedans et y admirer des scénettes rehaussées par des effets de relief et de profondeur. Ces dispositifs, véritables objets d’art, peuvent désormais être admirés dans les musées, par exemple au celui du cinéma de Turin ou encore à la cinémathèque française. Ces attractions portatives et illustrées aux vertus pédagogiques et récréatives ont pris différents noms et différentes formes au cours du temps : la boîte d’optique, la lanterne magique, le théâtre d’Engelbrecht, la boîte anamorphique. Dans la même veine, le peintre Samuel van Hoogstraten (1627-1678) fut l’auteur d’une boîte d’optique en trois dimensions que l’on peut contempler à la National Gallery de Londres : elle représente l’intérieur d’une maison néerlandaise que l’on peut observer de face ou par un orifice situé sur le côté vers lequel pointe le doigt d’un ange. Samuel van Hoogstraten a conçu une autre boîte d’optique en 1663 qui est présentée à l’Institute of Arts de Détroit. Le Musée Bredius de La Haye possède lui aussi une perspectiefkast ou kijkkast du XVIIe siècle. Mais ces boîtes furent détrônées par des machines plus élaborées et plus spectaculaires : le diorama (on songe à l’exposition au Palais de Tokyo en 2017), le polyorama, le stéréoscope, le cosmorama, le diorama de Daguerre et Bouton jusqu’à l’avènement de la photographie et du cinéma. L’engouement pour les vues d’optique s’est ensuite progressivement émoussé, sauf aux Pays-Bas où les boîtes ont curieusement poursuivi leur existence sous d’autres formes, grâce à l’invention et à la généralisation de la boîte à chaussures à la fin du XIXe siècle. Les Néerlandais les ont détournées de leur fonction initiale pour leur donner une nouvelle vie sous la forme de la kijkdoos actuelle. Les raisons pour lesquelles cet engouement ne s’est pas éteint aux Pays-Bas reste cependant un vrai mystère.

     

    Thomas Beaufils

     

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  • Palliatif

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    Un poème de Steven Van Der Heyden 

     

     

    Né à Gand en 1974, Steven Van Der Heyden, infirmier à domicile en soins palliatifs, cherche à lire le monde par le moyen du langage – son origine et sa destination. Ses poèmes ont paru dans différentes revues, il a participé au Steven Van Der Heyden, poésie, Flandre, Belgique, néerlandais, traductionFestival international des arts de Watou. Ces dernières années marquent ses véritables débuts : certains de ses poèmes ont illustré l’ouvrage Breath de l’artiste Katrin Dekoninck puis, début 2020, la maison d’édition de Louvain P. a publié Tot ze koud is (Jusqu’à ce qu’elle soit froide), un recueil à deux voix qu’il a composé avec Luc C. Martens. Chaque auteur y développe sa poétique en s’attachant à chanter diverses amours, jeunes, frivoles, défuntes, dépravées… Deux univers qui se font écho et se renforcent mutuellement.

    « Pour la plupart, mes poèmes sont des rêveries philosophiques dans lesquelles j’essaie d’évoluer consciemment sans prendre les choses pour acquises. Autant de parcours en quête de simplicité, d’équilibre et d’authenticité au cours desquels je me laisse toucher par ce qui semble ‘‘banal’’ et tente d’épurer la beauté. Dans le flux de réalités en constant changement, ma poésie entrouvre la porte sur un échange et un ancrage. Elle me permet de modeler ma traversée vers la silencieuse sérénité et l’harmonie. » Une traversée que Steven Van Der Heyden prolonge en peignant et en travaillant le verre et l’argile.

     

    Steven Van Der Heyden, poésie, Flandre, Belgique, néerlandais, traduction

     

     

    « Le jeu des voix, tant dans l’art que dans le monde en général, ne manque pas de nous intriguer. Il existe des exemples célèbres de polyphonie dans des compositions musicales et dans des œuvres lyriques ». Le recueil Tot ze koud is opte pour un duetto au sein duquel les voix interagissent et s’enrichissent au fil d’un dialogue sur la relation du je à la femme et sur les méandres et rebondissements (im)prévisibles de l’amour. »

    YVES T’SJOEN

     

     

    « Il se passe quelque chose de merveilleux dans ce recueil : les poèmes musicaux et sensuels de Luc C. Martens se fondent sans peine dans ceux, spirituels et sinistres, de Steven Van Der Heyden. Steven, revers sombre de Luc. Ou Luc, version plus frivole de Steven. Ce qui n’empêche en rien de les lire en alternance. Des images fortes et capricieuses, une langue captivante dépourvue de clichés. Deux poètes prometteurs ont ainsi mis au point une composition remarquable, originale et d’une rare puissance. »

    DELPHINE LECOMPTE

     

     

    En attendant la parution en revue de la traduction d’un cycle de ce recueil, Steven Van Der Heyden propose un poème qui fait allusion à sa profession.

     

     

     

    Palliatif

     

     

     

    Ils changent le temps de place, enfoncent les mains

    dans leurs poches, posture qui ne sied pas vraiment

     

    Figurants à la recherche des premiers signes

    d’une tristesse qui affamée les attend

     

    Ils fléchissent à travers leur sourire

    se réfugient dans l’incrédulité et de froides couleurs

     

    L’odeur du caoutchouc du métal les maintient

    ensemble peu à peu pénètre leur chair

     

    Les souvenirs rendent la chambre habitable

    confèrent du poids aux années

     

    Qu’en sera-t-il s’ils se trompent de jour ?

     

     

    traduction du néerlandais : Daniel Cunin

     

     

    Steven Van Der Heyden, poésie, Flandre, Belgique, néerlandais, traduction

    Le poète (photo : Carmen De Vos)

     

     

  • Poème de saison

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    Antoon Van den Braembussche, poésie, Corona, Flandre, Belgique, traductionPhilosophe et poète, Antoon Van den Braembussche marie son intérêt pour l’esthétique et les phénomènes récents de l’expression artistique (la culture numérique et l’art contemporain) à une quête littéraire débutée voici une quarantaine d’années. L’universitaire qu’il a été a signé, en langue anglaise, les essais Intercultural Aesthetics. A Worldview Perspective (2008, en collaboration avec Heinz Kimmerle et Nicole Note) et Thinking Art. An introduction to Philosophy of Art (2009). En 2016, il a publié en néerlandais un ouvrage beaucoup plus personnel : De stilte en het onuitsprekelijke. Over beeldcultuur, kunst en mystiek (Le silence et l’indicible. De la culture visuelle, de l’art et de la mystique), une méditation exprimant le désir de vivre une « expérience sublime » en se déconnectant de la pensée, à la fois plongée dans nos dimensions existentielle et spirituelle et tentative de saisir l’ineffable en explorant les zones où (philosophie de l’) art et mystique, religion et athéisme, philosophie occidentale et sagesses orientales se rejoignent.

    Certains de ces élans et aspirations se retrouvent, mais dans une formulation différente, extrêmement claire pour ne pas dire transparente, dans son septième et plus récent recueil : Alles komt terug. Over ‘de eeuwige terugkeer van het gelijke’ (Tout revient toujours. Ou de l’éternel retour du même, Éditions P., Louvain, 2018). Un titre qui bien entendu renvoie à Nietzsche. « L’auteur observe le monde, nous dit l’éditeur, à travers les yeux de Friedrich Nietzsche. Il examine et considère le minuscule comme le gigantesque, le nouveau comme l’ancien, le concret comme l’abstrait, tout cela comme autant de parties d’un même tout : un tout qui revient toujours. Cet éternel retour est rendu dans une langue sobre, mais d’une redoutable précision, et qui pour autant ne craint pas quelques nuances sublimes ou surréalistes. » Mais au fond, ce recueil ne serait-il pas avant tout une suite amoureuse ?

     

    À présent, je chante la danse de la terre.

    Il n’y a pas que le séjour multiple

    entre tes reins, tes mains, dans ta chevelure,

     

    sous tes aisselles. Il y a aussi l’intemporel

    havre en ton immortel sourire.

     

    En ce printemps pas comme les autres, Antoon Van den Braembussche, comme d’autres poètes, a consacré des strophes au virus qui est sur toutes les lèvres. La version originale est en ligne sur un literair e-zine. Nous en proposons la traduction française ci-dessous.

     

    Antoon Van den Braembussche, poésie, Corona, Flandre, Belgique, traduction

     

     

    CORONA

     

     

    +

     

    Le temps nous a rattrapés.

     

    Inouï.

    Invisible.

     

    Dans les remous de la brume.

    Infimes particules contagieuses.

     

    Corona.

    Pneumonia.

     

    Fuite de la marte devant la contamination.

    Sous une inquiétude sans précédent,

    des gestes de stockeur.

     

    Peur sous-cutanée.

     

    +

     

     « Le pire est à venir »,

    prophétise le virologue.

     

    Et nous de fixer

    d’un regard hébété

    des courbes exponentielles.

     

    Dans nos foyers, nos cocons

    habités de la phobie des microbes.

     

    Notre œil se dissout dans un flot de sang,

    le tabou de l’attouchement.

    Le monde au point mort.

    Sur la bouche, le masque du jamais vu.

     

    +

     

    Dans des hôpitaux surpeuplés

    dans des lits à gorge déployée

    la mort tâtonne à la ronde.

     

    Impitoyable.

    Au plus près du poumon.

     

    Les plus faibles errent.

    Tandis que les jours refluent

    dans l’infinie solitude.

     

    Car quiconque a été seul

    glisse bientôt dans un inaccessible mutisme.

     

    Pétrifié comme le virus.

    Condamné.

     

    +

     

    Corona.

    Utopia.

     

    L’air se purifie

    dans les artères de la ville.

     

    Jamais encore le numérique n’a été

    lieu de pareille compassion.

     

    Jamais encore n’ont régné

    dans les rues et sur les places

    pareil silence pareil ineffable.

     

    À croire que plus que par le passé

    le point mort nous apprend une chose inoubliable :

     

    respirer de soulagement dans l’instant.

     

    Antoon Van den Braembussche

    Mardi 24 mars 2020

     

     

    poème traduit du néerlandais par Daniel Cunin

     

     


    Le poète et quelques artistes lors de la parution de son recueil Het uur van de wolf

    (Entre chien et loup, 2014).