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flandres-hollande - Page 48

  • L’Énéide, roman d’heroic fantaisy

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    Paul Veyne

    parle de sa traduction de L’Énéide

     

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    Virgile, L’Énéide, trad. Paul Veyne, notes Hélène Monsacré, Paris, Albin Michel / Les Belles Lettres, 2012

     

     

    Un entretien vidéo savoureux avec Paul Veyne

    à l’occasion de la parution de sa traduction de L’Énéide,

    une édition Les Belles Lettres / Albin Michel

     

    « J’avoue avoir entrepris une nouvelle traduction de ce texte en raison de l’évolution de la langue. Toutes les traductions ont besoin d'être revues une ou deux fois par siècle. Il y a eu deux traductions de l’Énéide aux Belles Lettres. La première avait un style académique du début du XXe siècle ; elle était le fait d’un académicien et elle n’est plus lisible aujourd’hui, même si elle reste encore très bonne. Il y en existe une autre dont je préfère ne pas parler… 
Alors qu’un grand nombre de chefs-d’œuvre du passé ont eu en leur temps un succès incroyable, ils sont devenus aujourd’hui illisibles. Je vous donnerai quatre exemples : le Don Quichotte en version intégrale, qui est à mourir d’ennui, Le Paradis perdu de Milton dont les Anglais eux-mêmes avouent que la lecture n’est pas passionnante, La Nouvelle Héloïse qui frôle le ridicule et Werther que Napoléon avait lu alors même qu’il ne lisait pas beaucoup ! Je suis parti de la conviction que l’Énéide faisait partie de ces œuvres dont le succès a été bimillénaire. Et de surcroît, il ne faut pas oublier que Virgile reste le grand poète de Baudelaire ! Cela m’a conduit à faire le pari que cette œuvre était encore intéressante à lire aujourd’hui. Je verrai si c’est vrai ou pas ! 
Elle est en effet intéressante à lire pour son aspect romanesque, ce côté film d’action très rapide. N’oublions pas ces scènes de bataille digne du Far West ! Et la fin de l’Énéide est un véritable péplum… Il faut également relever l’extraordinaire qualité de cette écriture qui est un genre à part, ce n’est plus de la prose. Des épreuves personnelles m’ont conduit à m’interroger sur un grand nombre de choses, et bien entendu la mort, et j’avoue qu’entreprendre une telle traduction a occupé suffisamment mon esprit pendant cette période… » (source)

     

    Paul Veyne et Hélène Monsacré à la librairie Guillaume Budé (22/11/2012) 

     

     

    une page de la préface

     

    Hélas, à moins d’avoir du génie, le traducteur en est réduit, comme je l’ai fait, à traduire en prose. Notre traduction, toutefois, a tenté de passer entre deux écueils : la tradition humaniste, ou plutôt scolaire, et le charabia. Gemere ne veut pas dire « gémir » (le verbe latin se dit des lions en colère), les « membres » (membra) d’une jeune beauté sont souvent son corps tout entier, ses « flancs » (latera) sont ses hanches et ses « tempes » (tempora) ne sont autres que son front, souvent ceint d’une couronne. Et puis chaque langue diffère d’une autre, n’a pas la même « structure », si bien que traduire fidèlement, c’est trahir. Or le latin a une particularité très étrangère à la langue française (et à bien d’autres) : l’ordre des mots y est libre. On peut mettre le verbe, le sujet, le complément où l’on veut, au début, au milieu, à la fin ; on peut mettre le complément avant ou après le complété, ou à plusieurs mots de distance du complété.

    Bellone (détail), Rembrandt, 1633

    l'Énéide,paul veyne,hélène monsacré,traduction,guillaume budé,albin michel,les belles lettresLe latin en effet est une langue « à déclinaison », où les noms changent de désinence selon leur fonction grammaticale ; on pouvait donc, sans risquer de confusion, écrire indifféremment « Pierre tue Paul » et « Paul tue Pierre », car Paul se disait Paulus s’il était l’assassin, et Paulum s’il était la victime. Cet ordre est rarement significatif d’une intention de l’auteur ; il facilitait la tâche des versificateurs. Si donc, par excès de vertu ou par esthétisme maniériste, on s’acharne inutilement, dans une traduction française, à suivre l’ordre des mots latins, on écrira (on a écrit plus d’une fois) un charabia, en trahissant ainsi son auteur, qui, s’il n’est autre que Virgile, est, dans sa langue, d’une exquise limpidité qui fait le tourment du traducteur.

    N’oublions jamais qu’il faut bien distinguer entre la langue et le style, entre ce qui s’impose à tout locuteur ou écrivain et ce qui relève de son libre choix. Ce qui est dans une langue une façon banale de s’exprimer doit être traduit par ce qui est banal dans l’autre langue, même si le mot à mot ou l’ordre des mots sont très différents. (p. 15-16)

     

    à lire, une Énéide revisitée : ici

     

     

     

  • Francis Jammes à Anvers et Amsterdam

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    Cahiers Francis Jammes 1

     

     

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    Pour saluer la parution du magnifique premier Cahier Francis Jammes – qui explore entre autres les liens entre Georges Rodenbach et Francis Jammes (article de Jean-Louis Meunier) –, nous reproduisons ci-dessous quelques pages que le poète d’Orthez a consacrées, dans ses Mémoires (Les Caprices du poète), à sa visite chez Max Elskamp et à la ville d’Amsterdam d’où il a ramené un célèbre poème. Effectuant entre fin mars et début avril 1900 l’un de ses rares voyages à l’étranger, le jeune homme prend plusieurs fois la parole devant une assistance bien garnie. Son séjour à Bruges est en partie gâché par des bambocheurs qui l’empêchent de dormir. Il aura toutefois le plaisir de s’entretenir avec plusieurs confrères belges, dont Camille Lemonnier et Thomas Braun, lequel l’a accueilli chez lui à Bruxelles. Jammes croise aussi sans doute dans cette même ville Frantz Melchers, peintre néerlandais injustement oublié, qui avait illustré le poème On dit qu’à Noël quelques années plus tôt.

     

    Francis Jammes chez Thomas Braun à Maissin (Belgique) 

     

     

    couvJammesRomanvandeHaas.pngMax Elskamp ! J’ai dit quelle place je lui réserve dans la poésie et dans mon cœur. Ce fut si singulier, cette visite ! J’arrive devant une riche maison, ni belle ni laide, qui portait le numéro 138 du boulevard Léopold. On ne pouvait rien induire de sa façade, sinon, et c’est la vérité, qu’elle figurait l’ordre, le confort, l’honnêteté d’un intérieur commercial… Commercial, dans ce grand sens antique où les imposants vaisseaux ouvraient leurs ailes vers les Indes. Le père de Max Elskamp était, en effet, négociant. C’est lui qui me reçut avec une affabilité parfaite, me fit monter par de somptueux appartements jusqu’au troisième étage, m’introduisit dans la cellule de son fils. Aussitôt, avec un sourire plein de grave bonté, il se retira. J’avais devant moi un jeune homme que je savais me comprendre et m’aimer à travers mes poèmes, comme à travers les siens je l’aimais et le comprenais. Mais ce jeune homme, de cinq ans plus âgé que moi, venait d’ailleurs ; je veux dire :de terres inconnues à ma race. Cette figure géométrique, aux yeux bridés, ce corps anguleux et fin, ces pieds rejoints ainsi que des nageoires caudales, je ne les avais jusque-là observés que dans les gravures représentant ces peuplades vêtues d’épaisses toisons et vivant parmi les eiders et les phoques sur la banquise. Elskamp parlait fort bien notre langue, à voix basse. La pièce exiguë où il travaillait s’ornait de quelques palmes desséchées, de quelques armes exotiques lui rappelant les longs voyages qu’il avait accomplis sur mer, par goût, sur de périlleux voiliers, où tel le dernier des matelots, il manœuvrait, mangeait mal, couchait aufrancis jammes,anvers,amsterdam,max elskamp,poésie,traduction,georges rodenbach hamac. Du brumeux Anvers, il avait gagné la Sicile aux vins d’or, et de là passant les détroits, il avait rayonné sur d’étranges contrées dont il contait les mœurs. Auprès de ces panoplies étaient piquées au mur de nombreuses cartes célestes, et des tables toutes remplies de signes utiles à cette astronomie qui était sa passion, et dont il s’occupait, non en amateur, mais en savant. À côté de la presse à bras, qu’il avait établie lui-même, et où il tirait, sur de rares papiers, les chefs-d’œuvre simplifiés de ses dessins sur bois et de sa typographie, brillait, oblique et mystérieux, son télescope.

    « De même, Jammes, me disait-il, que vous affectionnez les fleurs que vous voyez revenir à des époques fixes, j’aime les étoiles dont j’attends le retour durant que le cycle de ma vie n’est point encore refermé. Celle que vous pouvez observer là, sur ce plan sidéral, ma sœur et moi la croiserons sans doute encore, ma pauvre sœur malade, mais il est écrit que mon père ne l’apercevra plus, même s’il devenait centenaire. Elle s’effacera, ce soir, à notre horizon, telle qu’une renoncule qui cesse de briller. »

    JammesKerkTitre.png[] Le peu que je visitai de la Hollande me donna un sentiment bien autre de grandeur que la Belgique, si j’excepte Anvers le merveilleux. Amsterdam me prit tout à fait. J’ai exprimé sa majesté dans un poème du Deuil des primevères. De même que Marseille est la porte de l’Orient, Amsterdam est la porte du Septentrion, mais ces deux villes se comprennent l’une l’autre. Amsterdam reluit comme un coffre d’ancien navigateur où seraient contenus les trésors des Mille et une Nuits. Des aras, semblables à des tulipes géantes, perchent dans l’ombre de ses salons solennels où trônent de larges femmes rubicondes. Isaac Laquedem passe dans la rue, se multiplie comme la Mère Gigogne ; de son manteau rouge et bleu sortent mille juifs et juivillons, vêtus le plus curieusement du monde, qui fourmillent sur le marché au bric-à-brac. Bonnets de loutre, képis, gibus, bonnets de coton, sarraus, tabliers, tuniques, plastrons d’escrimeur, dolmans de hussard, culottes de zouave, bottes marines, guêtres de laine, sabots, caoutchoucs, tout leur est bon pour se vêtir. Mais on ne peut qu’être ému par de vieilles faces où les rides s’inscrivent comme les caractères du Vieux Testament, ces paupières rouges, ces cheveux et ces barbes pareils aux toiles d’araignée du grenier de Pharaon, ces enfants dont les yeux brillent ainsi que des deniers, ces femmes superbes et calmes comme des vases patinés par le temps.

     

    Francis Jammes

     

     

    Francis Jammes en langue néerlandaise

     

    Korte levensschets van Guido de Fontgalland (La Vie de Guy de Fontgalland), adapté et augmenté d’une neuvaine par W. de Voort, La Haye, Cedo Nulli, 1931, 28 p.

    Kerk in bladergroen (L’Église habillée de feuilles), trad. et introduction Anton van Duinkerken, Utrecht, Spectrum, 1945, 56 p.

    Het crucifix van den dichter (Le Crucifix du poète), trad. Jos Nyst, illus. A.P. Stokhof de Jong, Heiloo, Kinheim, 1947, 85 p.

    De roman van de haas (Le Roman du lièvre), trad. Jean Duprés, Amsterdam, Van Oorschot, 1949, 51 p. 

    JammesDialogueMallarméTitre.pngUne traduction du Rosaire au soleil (Rozenkrans in het zonnelicht) a été réalisée sans jamais trouver déditeur. Par ailleurs, diverses publications contiennent un ou deux poèmes ou de courts passages de l’œuvre en prose en version néerlandaise.

     

    Le célèbre éditeur de Maastricht A.A.M. Stols a publié deux volumes de la correspondance de F. Jammes :

    Dialogue. Stéphane Mallarmé - Francis Jammes. 1893-1897, introduction et notes de G. Jean-Aubry, La Haye, Stols, 1940.

    Francis Jammes et Valery Larbaud, lettres inédites, introduction et notes de G. Jean-Aubry, Paris/La Haye, Stols, 1947.

     

     

    FrancisJammesFrieseKoerier1968.png

    article publié dans le Friese Koerier du 03/07/1968,

    année du centenaire de la naissace du poète

     

    Association Francis Jammes

     blog de Mikaël Lugan,

    directeur de publication des Cahiers Francis Jammes  

     

     

     

  • Je n’ai jamais

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    Un poème de Gerrit Kouwenaar

     

     

    CouvKouwenaarPlumes.pngGerrit Kouwenaar, dont on fêtera cette année le quatre-vingt-dixième anniversaire, a aimé sonder dans sa poésie ce qui l’entoure, gardant une certaine distance, travaillant sans perdre de vue le caractère langagier de la poésie : « Le langage appartient aux oiseaux / je suis trop homme pour voler ». Après la guerre, il est progressivement parvenu, sans cesser de traduire – par exemple Brecht et Sartre – et d’écrire des critiques, à se faire une place parmi les poètes majeurs de son pays. En 2002 il a publié son plus récent recueil intitulé Totaal witte kamer (Chambre totalement blanche) : des vers toujours aussi acérés et pénétrants. Il exerce une influence énorme, c’est un auteur incontournable. Cela n’est pas allé sans susciter chez certains du ressentiment ou se traduire, dans les années 1970-1980, par l’apparition d’épigones.

    Ses poèmes montrent qu’ils sont faits de main d’homme ; cela donne des assemblages froids, taillés à même la langue. Toutefois, ils échappent à la superficialité, à la sécheresse et révèlent une grande richesse ainsi qu’une conscience émue des choses : « l’homme s’abrite dans les mots ». Cette œuvre est charnelle, ancrée dans le monde, dénuée de sentimentalisme. Kouwenaar  prend soin d’éviter toute affectation et recourt à un registre polysémique difficile à rendre dans une autre langue. Pour lui, un poème, c’est « comme une chose ». Arrêté pendant l’Occupation pour avoir diffusé des journaux interdits, il est détenu pendant six mois dans les geôles allemandes. Après avoir passé le reste de la guerre dans la clandestinité, il publie de beaux romans. Mais reconnaissant la supériorité du grand auteur Willem Frederik Hermans dans la capacité à démasquer l’héroïsme de la Résistance (La Chambre noire de Damoclès), il décide de se consacrer à la poésie. Tout dans son œuvre est matière, chaque mot se fait substance.*

    couverture : Une odeur de plumes brûlées, trad. Jan H. Mysjkin & Pierre Gallissaires, Chambéry, Comp’Act, 2003.

     

     

     

    IK HEB NOOIT

      

    Ik heb nooit naar iets anders getracht dan dit:

    het zacht maken van stenen

    het vuur maken uit water

    het regen maken uit dorst

     

    ondertussen beet de kou mij

    was de zon een dag vol wespen

    was het brood zout of zoet

    en de nacht zwart naar behoren

    of wit van onwetendheid

     

    soms verwarde ik mij met mijn schaduw

    zoals men het woord met het woord kan verwarren

    het karkas met het lichaam

    vaak waren de dag en de nacht eender gekleurd

    en zonder tranen, en doof

     

    maar nooit iets anders dan dit:

    het zacht maken van stenen

    het vuur maken uit water

    het regen maken uit dorst

     

    het regent ik drink ik heb dorst.

     

    Gerrit Kouwenaar, Gedichten 1948-1978, Amsterdam, Querido, 1982, p. 113.

     

     

     

    JE N’AI JAMAIS

     

    Je n’ai jamais rien tenté d’autre que :

    tirer des pierres la douceur

    tirer de l’eau le feu

    tirer de la soif la pluie

     

    cependant le froid me mordait

    le pain était salé ou sucré

    le soleil un jour vibrant de guêpes

    et blanche d’ignorance la nuit

    ou noire comme il se doit

     

    parfois, je me confondais avec mon ombre

    comme on confond le mot avec le verbe

    le squelette avec le corps

    jour et nuit étaient souvent de même couleur

    sans larmes et sourds

     

    mais jamais rien d’autre que :

    tirer des pierres la douceur

    tirer de l’eau le feu

    tirer de la soif la pluie

     

    il pleut je bois j’ai soif.

     

     

    traduction Lena Westerink, Yvonne Pétrequin, Ellen Le Lardic, Brigitte Zwerver-Berret, Vincent Folliet, Daniel Cunin

     

    * Ces lignes sont en partie empruntées à la préface d’Erik Lindner : Poètes néerlandais de la modernité. Anthologie, Le Temps des Cerises, Paris, 2011.

     

     

  • Rimbaud à Java

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    Les « aventures épastrouillantes »

    d’un déserteur

     

     

    À propos des sources hollandaises

    du livre de Jamie James

     

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    L’édition française de Rimbaud in Java. The Lost Voyage a été non sans raison remarquée par la critique (1). On a salué cet essai alerte et « réjouissant » d’un Américain établi en Indonésie, parti sur les traces du poète incorporé dans les troupes bataves sous le matricule 71814. Comme on pouvait s’y attendre, sa quête n’a rien appris de bien nouveau aux spécialistes dont une trentaine élabore actuellement le Dictionnaire Rimbaud (Bouquins / Robert Laffont, annoncé pour 2013). Mais l’intérêt de ces 170 pages, lestement traduites par Anne-Sylvie Homassel, réside ailleurs, en particulier dans les horizons de lecture qu’elles ouvrent.

    arthur rimbaud,jamie james,java,indonésie,alexander cohen,louis couperus,m.t.h. perelaer« On perd un peu sa trace », écrivait Verlaine à propos de son ancien amant qui avait renoncé peu avant à la poésie. Entre deux escapades et maintes errances, Rim- baud signe, à l’âge de 21 ans, un engagement de six ans dans l’armée coloniale néerlandaise, qui va le conduire dans son voyage le plus lointain. Cette armée avait constamment besoin de recrues, plus encore depuis 1873 et le début de la guerre d’Atjeh, à la pointe nord de l’île de Sumatra. La plupart des soldats mouraient en réalité loin des combats, certains entre la Hollande et l’Insulinde, en raison d’un manque de salubrité sur les bateaux, beaucoup des suites d’une maladie tropicale dans l’archipel. Les années 1875 et 1876 – celle où Rimbaud s’engagea, sans doute attiré par le montant de la prime revu à la hausse peu avant – se distinguent par le nombre élevé de candidats à la vie de mercenaire : sur environ 3800 qui embarquèrent en 1876 pour cette destination lointaine, 1300 étaient belges, plus ou moins 1100 français, les autres venaient essentiellement d’Allemagne, de Norvège, de Suisse, d’Italie ou du Portugal – les jeunes Néerlandais ne montraient pour leur part guère d’enthousiasme.

    arthur rimbaud,jamie james,java,indonésie,alexander cohen,louis couperus,m.t.h. perelaerL’essentiel de ce que l’on sait sur le passage de Rimbaud à la caserne de Harderwijk et de ses semaines sous l’uniforme des troupes coloniales avant sa désertion – « l’épisode le plus obscur de son existence », selon J. James –, Martin Bossenbroek l’a réuni voici un quart de siècle dans son article « Arthur Rimbaud poète armé », soulignant que la décision du jeune Français – passionné d’armes, attiré par l’uniforme –, de se faire mercenaire ne résultait en rien d’un coup de tête. Quant à celle de déserter dès le 14 ou 15 août 1876, elle pouvait en partie s’expliquer par les aspects peu réjouissants du quotidien du mercenaire (2). De toute façon, il est pour ainsi dire certain, ainsi que l’assure le biographe Jean-Jacques Lefrère, qu’il avait l’intention de jeter l’uniforme aux orties avant même de signer sa feuille d’engagement. Peu après son arrivée sur l’archipel, en s’évanouissant dans la nature avec quelques rudiments de hollandais et sans doute son fusil, le natif de Charleville a laissé un blanc de quelques semaines, blanc sur lequel la végétation indonésienne ou la population de la ville de Samarang s’est refermée. Puis le jeune homme a embarqué, sans doute sur le Wandering-Chief,  pour ne réapparaître qu’à la fin de l’année au sein de sa famille.

    arthur rimbaud,jamie james,java,indonésie,alexander cohen,louis couperus,m.t.h. perelaerPour mieux cerner et dépeindre le cadre javanais et « les pays brûlants de ses souhaits » que Rimbaud a décou- verts lorsque le Prins van Oranje a jeté l’ancre à Batavia le 23 juillet 1876, le critique d’art James s’appuie sur maintes sources dont des ou- vrages de trois auteurs néerlandais. Grâce à un ami, il a appris l’existence des mémoires d’Alexander Cohen (1864 Leeuwarden – 1961 Toulon). Il s’agit de In opstand (En révolte, 1932), premier tome des souvenirs de ce publiciste qui a laissé son nom dans l’histoire de l’anarchisme. Le livre est uniquement disponible en langue originale, mais l’universitaire hollandais naturalisé américain E.M. Beekman (1939-2008) en a traduit des pages dans Fugitive Dreams: An Anthology of Dutch Colonial Literature tout en offrant un exposé détaillé de la vie du juif frison (3).

    arthur rimbaud,jamie james,java,indonésie,alexander cohen,louis couperus,m.t.h. perelaerEn quelques endroits de son récit, J. James base son propos sur des passages de cet ouvrage : « Nous sommes à jamais privés […], écrit-il, de ce que nous aurions tant aimé lire : Java par le regard du poète, à moins que l’on ne retrouve par hasard les journaux per- dus de son voyage. Nous reste une expérience intellectuelle qui n’est pas sans intérêt : chercher quelque Européen à la sensibilité développée qui ait vécu à cette même époque sur cette même île et dont la vision puisse se rapprocher plus ou moins de celle du poète. Et pourquoi pas Alexander Cohen, comme Rimbaud rebelle attentif aux langues exotiques ? Cohen décrit ainsi la jungle, peu après son arrivée à Sumatra en 1882 (4) : ‘‘Jour après jour, me voilé submergé de nouveau par la fascination inlassable de l’aube nacrée, lorsque le soleil émerge d’une mince couche de brume rose, accueilli par les roucoulements languides des colombes ; par celle du crépuscule mélancolique qui s’abat presque immédiatement sur la terre et fond toutes les couleurs, toutes les nuances, en un violet obscur ; et par celle de l’imposant silence de la nuit, que rendent plus profond encore le bourdonnement d’une myriade d’insectes et des sonnements de gong des crapauds géants. Je médite, je rêve, je suis heureux. Je succombe à une foi panthéiste.’’ Superbe écriture teintée de romantisme tardif, gorgée jusqu’à saturation d’une profonde empathie pour la beauté vibrante de la forêt tropicale vue par les yeux d’un homme du Nord. Et cependant, en dépit de l’emphase panthéiste, cela n’a rien à voir avec ce que Rimbaud écrivit après les chants de toute de sa toute première jeunesse » (5).

     

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    gravure sur bois de Georges Rohner

     

    Jamie James appelle aussi à la rescousse A. Cohen et son « précieux témoignage » sur les prisons militaires de Java afin d’exposer les risques qu’encourait Rimbaud en désertant du camp de Salatiga – tout au plus quelques mois de trou en réalité et en aucun cas la peine de mort (6). Entre son arrivée en Insulinde à l’automne 1883 et son départ le 2 janvier 1887 – années qui font l’objet des chapitres VI à IX de In opstand –, le futur propagandiste anarchiste a, il faut dire, passé le plus clair de son temps à écoper de peines corporelles ou privatives de liberté (7). « Il décrit dans son autobiographie une punition que Rimbaud eût pu subir s’il était tombé aux mains de la police militaire : ‘‘La ‘chaine et le boulet’ signifiaient ceci pour le prisonnier puni : un jour durant – ou deux, ou dix, ou trente, ou durant une ‘période indéfinie’ –, il se trouvait contre son gré affublé d’une chaine d’environ un mètre cinquante attachée à une boule de fer de huit kilogrammes, chaîne qui devait être fixée à sa cheville droite ou gauche, suivant son désir, par le moyen d’un anneau de fer de huit centimètres de large, muni d’une solide serrure. Pour être tout à fait honnête, cette babiole, qu’il fallait continuer de porter la nuit, me procura pour commencer des sensations plutôt désagréables. Mais l’on se fait à tout, même au plus déplaisant, pour peu que l’on soit déterminé à ne pas céder.’’ » (8) Alexandre Cohen retournera en Indonésie en 1904-1905, mais cette fois en tant qu’honorable journaliste, à la demande de ministères français pour comparer dans certains domaines les systèmes coloniaux français et néerlandais.

    arthur rimbaud,jamie james,java,indonésie,alexander cohen,louis couperus,m.t.h. perelaerC’est un écrivain hol- landais beaucoup plus policé qui retient ailleurs l’attention de l’auteur de Rimbaud à Java, à savoir Louis Couperus. Un des romans les plus célèbres du dandy haguenois a pour cadre les Indes Orientales Néerlandaises, contrée où il passa une partie de son enfance avant d’y effectuer deux séjours à l’âge adulte. Du premier, il a ramené De stille kracht (1900), où la colonisation hollandaise joue un rôle central à travers le personnage principal Théo van Oudijck. Ce sont les phénomènes occultes qui amènent Jamie James à parler de ce livre, disponible en anglais (The Hidden force) (9) et traduit en français sous le titre La Force des ténèbres : « En 1876, l’on aurait trouvé peu de lieux à la surface du monde où la magie jouait un rôle plus important qu’à Java. Les malédictions et les charmes amoureux, tels que le goona-goona, étaient monnaie courante – c’est encore le cas aujourd’hui. Quelques années plus tard, en 1900, l’écrivain Louis Couperus publia le seul roman des Indes néerlandaises qui puisse rivaliser avec ceux de Joseph Conrad, De Stille Kracht (La Force des ténèbres), grand classique de la littérature néerlandaise moderne, est la chronique gothique d’une famille de colons saisis par une décadence quasi faulknérienne. Le vrai sujet de Couperus est cependant ‘‘la mystique des choses concrètes sur cette île de mystère qu’est Java’’. Théo van Oudijck, le résident hollandais de la ville fictive de Labuwangi, est entraîné malgré lui dans un conflit avec le régent, un membre de la famille royale javanaise manipulé par l’administration coloniale. Les phénomènes surnaturels les plus variés l’assaillent : des pierres se mettent à pleuvoir sur sa majestueuse demeure néoclassique ; sa seconde épouse (qui couche avec son fils) est enduite de jus de bétel dans son bain et des bouches invisibles lui crachent dessus ; les âmes d’enfants morts gémissent et sanglotent dans les branches d’un banian.

    arthur rimbaud,jamie james,java,indonésie,alexander cohen,louis couperus,m.t.h. perelaer« Couperus donne de ces manifestations une inter- prétation sociale : elles sont, dit-il, l’expression de l’âme de l’île. ‘‘Sous toute cette apparence de choses tangibles, l’essence de ce mysticisme silencieux me- nace, comme un brasier sous la terre, comme la haine et le mystère dans le cœur.’’ » (10) Préfacier de l’édition française Philippe Noble précise : « Les manifestations de l’étrange que l’on découvre dans ce roman : apparitions fantomatiques d’un hadji […], pluies de pierres ou inexplicables giclées de sirih, ce liquide rouge provenant de la mastication de feuilles de bétel, ne doivent rien à l’imagination de l’auteur. On les retrouve dans de nombreux témoignages, y compris de très officiels rapports de fonctionnaires coloniaux. » (11)

    Une scène marquante de La Force des ténèbres nous plonge au cœur de ces envoûtements. Léonie van Oudijck gagne la salle de bains, un peu à l’écart de la demeure ; Urip, sa bonne, reste dehors, accroupie devant la porte. À la lumière d’une petite lampe en nickel, la femme européenne contemple son corps dans le miroir. Puis elle s’enduit le corps de savon et verse de l’eau sur son corps. « De longues coulées glissèrent, denses, de ses flancs, et elle brilla comme du marbre, les épaules, la poitrine et les hanches polies par le reflet de la petite lampe. Elle voulait se hâter davantage, levant les yeux vers la fenêtre pour voir si les chauves-souris n’allaient pas entrer… Oui, dorénavant elle ferait mieux de se baigner plus tôt. Dehors la nuit était déjà tombée. Elle se sécha rapidement avec une serviette assez rugueuse. Elle s’enduisit vite de la crème blanche qu’Urip lui préparait, sa pommade magique faite pour lui conserver sa jeunesse, sa souplesse, sa ferme blancheur. À ce moment elle aperçut sur sa cuisse une petite éclaboussure. Elle n’y prit pas garde, l’attribuant à quelque impureté flottant dans l’eau, feuille morte ou insecte. Elle l’enleva en frottant. Mais, ce faisant, elle en vit deux, trois plus grandes, d’un vermillon sombre, sur sa poitrine. Elle se sentit soudain transie : elle ne savait pas, elle ne comprenait pas. À nouveau elle se frotta ; elle prit la serviette déjà maculée d’une sorte de sang épais. Un frisson  la parcourut des pieds à la tête. Et soudain elle vit : des angles de la salle de bains, mais sans qu’elle pût voir comment et par où, arrivaient les éclaboussures, d’abord petites, puis plus grandes, comme crachées par une bouche baveuse pleine de bétel. » (12) Cette dimension occulte mais aussi les scènes sensuelles de La Force des ténèbres ont amené le réalisateur Paul Verhoeven, qui en prépare une adaptation cinématographique, à choisir la Thaïlande plutôt que l’Indonésie – où règne un climat politico-religieux peu propice – pour tourner son film. Dans la série en trois épisodes basée sur le roman (1974), Pleuni Touw joue le rôle de Léonie – il s’agit, dit-on, de la première apparition d’une actrice néerlandaise nue à la télévision :

     

     

    M.T.H. Perelaer

    arthur rimbaud,jamie james,java,indonésie,alexander cohen,louis couperus,m.t.h. perelaerJamie James cite abon- damment un troisième Hollandais : M.T.H. Pere- laer (Maastricht 1831 – La Haye 1901), auquel E.M. Beekman a consacré quelques lignes à la fin de son exposé sur A. Cohen. Deux de ses ouvrages sont disponibles en anglais (I & II). Écrivain aujourd’hui oublié de tous sauf de rares historiens et ethno- logues, Michel Théophile Hubert Perelaer, après avoir renoncé à la prêtrise, se rend à la ville de garnison de Harderwijk en 1854 – de 1815 à 1909, toutes les recrues de l’armée coloniale ont été formées dans la caserne de cette localité – et arrive à Batavia l’année suivante ; là, il grimpe les échelons et devient officier ; ayant atteint le grade de colonel de l’infanterie (majoor) en 1877, il prend sa retraite en 1879. Bien que libre d’esprit et sensible aux thèses très critiques du système colonial que défend Multatuli dans son Max Havelaar, il a servi du mieux possible – montrant à plusieurs reprises sa bravoure au combat et faisant sienne une phrase d’Alfred de Vigny (Servitude et grandeur militaires) : « L’abnégation du guerrier est une croix plus lourde que celle du martyr » – et a dirigé un hebdomadaire qui visait à défendre les intérêts de la Patrie et des colonies. Au cours de sa carrière militaire, Perelaer a aussi reconnu de nombreuses régions (en particulier le centre de Java), réunissant maints documents sur lesquels il basera ses écrits. Il met ainsi à profit quelques-unes des vingt dernières années de sa vie pour partager son savoir. arthur rimbaud,jamie james,java,indonésie,alexander cohen,louis couperus,m.t.h. perelaerDes études et des romans ethnographi- ques voient le jour, dont l’un en partie autobio- graphique (quatre volu- mes), essentiellement dans une visée didac- tique, même si le Hollandais cherche pro- gressivement à s’affirmer comme véritable écri- vain. Alors qu’il s’est fait un nom, sa carrière littéraire connaît presque un coup d’arrêt : la presse l’accuse d’avoir plagié « La fête à Coqueville » de Zola dans Noordwest en Zuidoost (1892) ; Perelaer est obligé de se défendre, ce coup l’affectera beaucoup même s’il n’abandonnera pas tout à fait la plume (13). Dans Rimbaud à Java, le Hollandais est cité abondamment. À travers Bornéo.  Aventures de quatre déserteurs de l’armée indo-néelandaise  récit ébouriffant qui contient « des détails plein d’intérêt sur les Daykas cannibales », ainsi que l’expose un chroniqueur de l’époque – offre, selon J. James, « une version romancée du périple rimbaldien » (14), tant pour ce qui a trait au recrutement de volontaires pour l’armée des Indes néerlandaises que pour la désertion. Quant à Baboe Dalima. Opium roman (1886), traduit en anglais dès 1888 (Baboe Dalima, or The opium Fiend), qui dénonce les méfaits et les ravages du stupéfiant, il s’agit, toujours d’après l’auteur américain, d’ « un roman sur le commerce de l’opium aussi mauvais qu’interminable », « si mélodramatique qu’il en devient ridicule » (15). C’était d’ailleurs déjà l’avis de commentateurs de l’époque, par exemple un certain Werner qui, dans le Soerabaiasch Handelsblad du 16 novembre 1886, affirme que, par manque de talent et abus de digressions, Perelaer a échoué dans son but ; la romancière Beb Vuyk (1905-1991), qui vécut arthur rimbaud,jamie james,java,indonésie,alexander cohen,louis couperus,m.t.h. perelaertrente ans dans l’archipel, et Eddy du Perron (1899-1940) ne diront pas le contraire : à vouloir trop prouver, on ne prouve rien. Accordant malgré tout une certaine valeur à quelques descrip- tions de Perelaer, Jamie James reproduit un long passage sur la visite d’une fumerie d’opium.

    Sous la plume du critique d’art, « le voyage perdu » de Rimbaud est devenu une pérégrination à travers textes et paysages d’un passé plus ou moins lointain, à travers les toiles de Raden Saleh, ce peintre javanais qui séjourna de nombreuses années en Europe et devint « peintre du roi de Hollande ». Ici, le lecteur goûte au mythe de l’upas – autre sujet cher à E.M. Beekman – lancé par le docteur hollandais N.P. Foersch dans son article « Beschryving van den vergif-boom, bohon-upas, op het eiland Java », là il entrevoit, à Samarang, ville où Rimbaud fit escale, le quartier « réservé aux vétérans africains de l’armée coloniale néerlandaise » (16), ces soldats dont l’histoire a été relatée récemment en français (17). Élégante incursion dans la vie et l’œuvre du poète, Rimbaud à Java est aussi un jeu de piste qui invite chaque lecteur à prolonger à sa guise les sentiers frayés par Jamie James.

    D.Cunin

     

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    Exorcisme pour guérir un malade chez les Dayaks-Danoms

    (M.T.H. Perelaer, À travers Bornéo, 1891)

     

    (1) Voir : Jamie James, Rimbaud à Java. Le voyage perdu, traduction de Anne-Sylvie Homassel, Paris, Les Éditions du Sonneur, 2011.

    (2) Martin Bossenbroek, « Arthur Rimbaud poète armé », Het oog in ’t zeil, février 1988, p. 1-10. Auteur d’études de référence sur le recrutement et le transport des troupes coloniales hollandaises, M. Bossenbroek apporte, à la suite de quelques-uns de ses compatriotes, des renseignements sur ces mois de la vie du poète. Ils permettent de corriger et compléter certaines données factuelles avancées par maints biographes ainsi, nous semble-t-il, que des points de détail figurant dans De Charleville à Java. Arthur Rimbaud soldat et déserteur de l'armée coloniale des Indes Néerlandaises (Jean Degives & Frans Suasso, préface d’Alain Borer, Hilversum, Radio Nederland Wereldomroep, 1991), texte reproduisant un programme radiophonique de 1982. La biographie Arthur Rimbaud de Jean-Jacques Lefrère (Fayard, 2001), se révèle précise sur le passage du poète en Hollande (voir le chapitre « Le voyageur toqué », p. 747-753). À propos des mercenaires européens qui ont laissé la vie en Insulinde, M. Bossenbroek précise que, pour l’année 1876, moins de 80 d’entre eux sont morts au combat, environ 1400 d’une maladie à type de dysenterie ; plus de 2300 hommes, soit 15% des forces, se trouvaient hospitalisés au même moment.

    arthur rimbaud,jamie james,java,indonésie,alexander cohen,louis couperus,m.t.h. perelaer(3) E. M. Beekman, Fugitive Dreams: An Anthology of Dutch Colonial Literature, University of Massachusetts Press, 1988 (p. 184-209 pour la partie biographique – Cohen est mort en 1961 et non en 1963 – et p. 209-228 pour les passages traduits qui portent sur les années d’A. Cohen en Indonésie, alors qu’il servait à sa façon dans l’armée néerlandaise.).

    (4) Il s’agit en réalité de l’année 1883. Arrivé à Batavia le matin du 15 octobre 1882 à bord du Prinses Wilhemina, A. Cohen, après avoir brièvement servi dans deux quartiers de la capitale (Tandjong Priok et Weltevreden) et avoir été évacué à Sindang-Laya puis à Kampong Makassar où il passe plusieurs mois à se remettre d’une maladie, est envoyé en 1883 dans la garnison de Lahat (sud de Sumatra).

    (5) Rimbaud à Java, op. cit., p. 99-71. Texte original de Cohen : In opstand, chap. 7, p. 82.

    (6) Martin Bossenbroek, « Arthur Rimbaud poète armé », Het oog in ’t zeil, février 1988, p. 6.

    (7) Voir : ici.

    (8) Rimbaud à Java, op. cit., p. 78-79. Texte original de Cohen : In Opstand, chap. VIII, p. 106.

    (9) Il en existe en anglais plusieurs éditions : la traduction d’Alexander Teixeira de Mattos (1921), cette même traduction revue, annotée et présentée par E.M. Beekman (The University of Massachusetts Press, 1985) – celle à laquelle se réfère Jamie James –, enfin une nouvelle traduction récente par Paul Vincent : The hidden force, Pushkin Press, 2012, éditeur qui a dans son fonds plusieurs romans de Couperus.

    (10) Rimbaud à Java, op. cit., p. 130-131.

    (11) Philippe Noble,  « Préface », La Force des ténèbres, traduit du néerlandais par Selinde Margueron, Paris, Éditions du Sorbier, 1986, p. III.

    (12) La Force des ténèbres, op. cit., p. 229-230.

    arthur rimbaud,jamie james,java,indonésie,alexander cohen,louis couperus,m.t.h. perelaer(13) Sources: Rob Nieuwen- huys, Oost-Indische spiegel. Wat Nederlandse schrijvers en dichters over Indonesië hebben geschreven vanaf de eerste jaren der Compagnie tot op heden, Amsterdam, Querido, 1978, p. 197-201; Nieuw Nederlandsch Biogra- fisch Woordenboek, V, A.W. Sijthoff, Leyde, 1921, p. 465-466; la presse de l’époque, par exemple une lettre de M.T.H. Perelaer publiée le 25 décembre 1881 (Nieuwe Amsterdamsche Courant) dans laquelle il se fait le porte-parole de Multatuli afin que les jeunes générations procèdent à une réforme du système colonial. En français : Colonel M. T. H. Perelaer, À travers Bornéo. Aventures de quatre déserteurs de l’armée indo-néelandaisetraduction libre du comte Meyners d’Estrey, Paris, Hachette, 1891, gravures hors texte.

    (14) Rimbaud à Java, op. cit., p. 54-55.

    (15) Ibid., p. 112 et p. 117.

    (16) Ibid., p. 74.

    (17) Claudia Huisman, « Soldats africains dans les Indes orientales néerlandaises. Belanda Hitam », Deshima, 2011, p. 81-96.

     

     

    arthur rimbaud,jamie james,java,indonésie,alexander cohen,louis couperus,m.t.h. perelaer

     

     

     

  • Prix du Livre Européen pour Luuk van Middelaar

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    Le Prix du Livre européen 2012 vient d’être attribué, dans la catégorie « Essai », au Passage à l’Europe du Néerlandais Luuk van Middelaar. Après les différentes phases de sélection, deux autres titres restaient en course : La Constitution de l’Europe de Jürgen Habermas (Allemagne) et Par la haute mer ouverte d’Eugenio Scalfari (Italie). Les trois ouvrages ont été publiés en traduction française dans différentes collections des éditions Gallimard. Quant au roman couronné, il s'agit du Jour où la Vierge a marché sur la Lune de Rolf Bauerdick (traduit de l'allemand par Odile Demange, Le Nil).

    Le Passage à l’Europe a également remporté en France le prix Louis Marin 2012, décerné par l’Académie des Sciences morales et politiques pour récompenser une œuvre de sciences humaines.

     

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    Gallimard, « Bibliothèque des Idées », 475 p., janvier 2012

    traduction Daniel Cunin & Olivier Vanwersch-Cot

     

     

    « Le Passage à l’Europe raconte comment un ensemble d’États européens s’efforce de devenir l’expression politique du continent, comment ce corps politique en évolution est né, comment il change de forme, remplit un certain espace, se cherche une voix et souffre d’un manque d’oxygène public. J’emploie le mot ‘‘passage’’ pour trois raisons. Pour évoquer un mouvement dans le temps et dans une certaine direction, pour éviter les inconvénients des termes habituels (‘‘intégration’’, ‘‘construction’’), et enfin pour souligner une analogie entre les métamorphoses de ce corps politique et les ‘‘rites de passage’’. Ces rites, ces pratiques cérémonielles qui assurent une continuité symbolique dans les moments de rupture d’une vie individuelle (naissance, baptême, mariage, couronnement…), Arnold Van Gennep les a analysés il y a un siècle en aiguisant notre regard à propos des formes intermédiaires à même de lier un stade à un autre. D’où le rôle de premier plan que jouent dans notre Passage les entre-deux que sont le seuil, la porte ou le pont, symboles figurant d’ailleurs sur les billets en euros ; d’où l’importance — qui se révèle capitale — qu’il y a à distinguer entre un pas et un saut ; d’où l’attention qu’il convient de porter aux noms et au fait de rebaptiser instances et institutions.

    « Histoire d’un commencement : ce livre l’est parce qu’il scrute une genèse lente, poussée par les événements, sans chercher à fournir le dernier mot. L’Europe ne se réduit pas à quelques kilomètres carrés de bâtiments à Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg. L’Europe est à un passage. Et nous avec elle. » (Avant-propos, extrait)

     

    QUATRIÈME DE COUVERTURE


    CouvLuukvanMiddelaar.jpg
    Ce livre raconte un événement lent et majeur : la genèse d’un ordre politique européen. 

    Il évite le jargon et les poncifs des manuels ; ceux-ci cachent bien plus les enjeux du pouvoir qu’ils ne les éclairent. Il ne spécule pas une quelconque finalité. Il n’est pas « pour » ou « contre » l’Europe – peut-on l’être d’ailleurs ?

    Le Passage à l’Europe distingue trois sphères européennes. La sphère externe, celle du continent et de l’ancien « concert des nations » ; la sphère interne des institutions et du Traité, source de grandes attentes ; enfin, imprévue et non perçue, une sphère intermédiaire, celle où les États membres, rassemblés autour d’une même table, se découvrent peu à peu coresponsables d’une entreprise commune, parfois malgré eux. Cette sphère intermédiaire, dont le Conseil européen des chefs d’État ou de gouvernement est devenu l’expression institutionnelle, est le théâtre des tensions entre l’un et le multiple. Tensions qui font la force et la faiblesse de l’Union comme en témoigne la crise de l’euro. 

    Livre d’histoire, en ce qu’il prend au sérieux l’expérience des hommes politiques qui ont façonné l’Europe depuis soixante ans : l’importance des mots, la soif des applaudissements, l’implacable pression des événements.

    Livre de philosophie, en ce qu’il veut savoir ce qu’est la politique avant de trancher sur l’existence d’un corps politique européen : qu’en est-il, en Europe, de la capacité à prendre des décisions contraignantes, à agir dans le flux du temps, à établir un lien avec les gens ?

    L’un et l’autre, en ce que l’auteur considère que la vérité de la politique ne se comprend que dans le temps.

     

    couvpoliticide.pngNé en 1973, Luuk van Middelaar, philosophe et historien, ancien chroniqueur au quotidien NRC Handels- blad, est lauteur de Politicide. La Mise à mort du politique dans la philosophie fran- çaise (1999). Après avoir travaillé tant à Bruxelles, au sein du cabinet d’un commissaire européen, qu’au Parlement néerlandais, il est depuis 2010 la plume du premier Président du Conseil européen, Herman Van RompuyLe Passage à l’Europe a remporté le prix Socrate 2010 récompensant le meilleur livre de philosophie écrit en néerlandais.