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Poètes & Poèmes - Page 20

  • Piqûres

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    Poème & vidéo de Paul Bogaert

     

     

    PIQÛRES from Paul Bogaert on Vimeo.

     

     

     

     

    Piqûres

     

    Nous voyons ici l’éclat de l’espoir

    d’une chance, qui s’est accroché à ce jour,

    à ces façades, cette expérience.

     

    Question de quelques minutes.

     

    L’odeur de tapis neufs, une exhalaison de liqueur.

     

    On a bossé jusqu’au milieu de la nuit.

    Le contraste est énorme.

     

    Quand au lever du soleil le dernier bleu de travail a disparu,

    le site s’est mis à chauffer :

    • l’œuvre du cocktail de fatigue et d’attentes

    qui déclenche des émotions, ternit peau et cheveux ;

    • l’œuvre de personnes qui, dévouées et récalcitrantes,

    des semaines durant, phrase à phase,

    jusqu’à ce que…

     

    L’ambiance est bonne.

     

    Finalement…

     

    - D’abord celle des parents, douce mais claire. Dans sa figure.

     

    - Oiseau moderne ?

     

    - Oui.

     

    - C’est un oiseau moderne dans ta tête,

    qui t’importune en trois langues !

     

    - Ça s’est bien passé.

     

    - Celle de ses enfants à elle. On peut y aller franchement.

     

    - Test 1 - 2 !

     

    - Parfait.

     

    - Dans ton cerveau, y a pas assez de place.

    Alors libère cet oiseau.

     

    - C’est presque fini.

     

    - Et maintenant ?

    - Phrase 3 du mari et des amis.

    - En une fois ?

    - En une fois.

     

    - À cause du feedback dans ses ailes

    l’oiseau se retrouve empêtré dans des lacets Larsen.

    Après quoi il s’étrangle dans son commentaire en live.

     

    - Nous sommes prêtes.

    - Bien joué.

    - Signe ici.

     

    Question de quelques minutes.

     

     

    traduit du néerlandais par Daniel Cunin

     

     

     

    Paul Bogaert en français : ici & ici

     

     

  • Lucas Cranach l'Ancien en poésie

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    Un poème d’Astrid Lampe

     

     

    CranachExpo.pngÀ l’occasion de l’exposition The World of Lucas Cranach au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, les visiteurs peuvent découvrir des peintures parlantes : « Au XVIe  siècle, le tableau vivant était considéré comme un genre “littéraire” dans les cercles de rhéteurs. Dans l’exposition de Cranach, ce n’est plus l’homme qui est considéré comme une sculpture humaine mais les tableaux qui sont “anthropomorphisés”, au propre comme au figuré. Ce concept est un clin d’œil au peintre anversois Jan Cox qui avait un jour déclaré qu’il fallait savoir écouter ses peintures pour en saisir le sens. Cinq poètes de renom, issus de Belgique et des Pays-Bas se sont chacun inspirés d’une peinture de Cranach pour lui insuffler vie sous la forme d’un poème. Ils ont ainsi donné le jour à cinq poèmes audio uniques qui donnent la parole à la peinture. Les cinq poètes ont tous des atomes crochus avec le monde de Cranach. Certains ont préféré laisser libre cours au personnage du tableau, d’autres ont choisi de donner vie à la peinture elle-même. »

    Les poètes en question sont Stefan Hertmans (Belgique), Astrid Lampe (Pays-Bas), Lucienne Stassaert (Belgique), Gwenaëlle Stubbe (Belgique) et Han Van der Vegt (Pays-Bas). On peut entendre les poèmes en 3 langues : traductions de Piet Joostens pour le néerlandais, Daniel Cunin pour le français, Cole Swensen et Willem Groenewegen pour l’anglais.

    CranachLAncienLucrèce.png

    Lucas Cranach l’Ancien, Lucrèce, vers 1510-1513, collection particulière © www.humanbios.com, Human Bios GmbH, Suisse 

     

     

    Le poème d’Astrid Lampe inspiré du tableau Lucrèce

     

     

    weer valt mijn vacht op dezelfde plek open

    kan het blote oog bloter: neem bezit van mijn wit

    neem bezit van dit wit, sla het op sla me open

    room me af met je blik voel je vingers

    weer lopen: niets verzinnen manmijn

    de wol die ik spon tot jij mij weer liet spinnen

    was de wol die ik kaarde o en wit was die wol

    o en witter mijn tint nu, de teint die ik trouw met de room voor je

    spaarde: uit! nu die droom, vals de dag

     

    weer valt de nacht op dezelfde plek open

    kon het boze oog bozer

    al het zwart kruipt zo naar boterzwaar in me op

    kan je blote oog bloter kón ik maar blozen liefste o en dolk

    stoot me rozen al bleef ik dood in zijn grafkou, nog trekt de slaap

    het halve werk van die lafaard nu simpel voltooien

    open en bloot rond me af neem bezit van dit wit o

    en hart noem me diertje jouw Lucretia totaal ( )

    blind leid ik je staal stoot o en stoot nog éénmaal

     

     

     

    encore même endroit encore ma fourrure s’entrouvre

    l’œil nu peut-il se faire plus nu

    prends ma blancheur prends

    possession de ma peau blanche peau

    couve-la des yeux allaite-toi

    ouvre-moi de tes doigts cours et parcours – sans minauder

    la laine que j’ai filée pour filer doux

    entre tes doigts, laine ô combien blanche

    ô combien plus blanc mon teint

    teinte et lait que j’ai gardés fidèlement

    pour toi : fini ! d’abord le rêve, faux jour

     

    encore même endroit encore la nuit s’entrouvre

    le mauvais œil peut-il se faire plus mauvais

    tout le noir grimpe caillé en moi

    ton œil nu peut-il se faire plus nu

    et moi rougir ô tendre et dague

    poignarde-moi de roses même si je gis

    dans le froid de sa tombe le sommeil attire

    histoire de finir le boulot bâclé de ce couard

    ouverte et nue achève-moi prends possession de cette blancheur ô

    cœur appelle-moi biche ta Lucrèce toute (  )

     aveugle je guide ton acier frappe oh poignarde et frappe encore 

     

     

    traduit du néerlandais par Daniel Cunin

     

    CranachLucrèce.png

    Lucas Cranach l'Ancien, Le Suicide de Lucrèce, 1538, Bamberg, Neue Residenz 


  • Artiste fin de siècle

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    Carel de Nerée

     

     

     

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    Autoportrait

     

     La Jeune mariée (détail)

    denerée16bis.pngChez lui, pas de vaches, pas de canaux, pas de watergangs, pas de marines, pas de femme au pot de lait, pas de ciels immenses dominant une bataille navale, pas de moulins se reflétant dans l’eau, aucun intérieur d’église, aucune maison proprette, pas d’horizontales et de verticales noires, pas de tournesols, mais des visages de fées, de sorcières, des faunes, des fleurs vénéneuses et des fleurs de givre, des violets et des ors, des flexuosités noires, des tétins turgescents. Autodidacte et dandy, le peintre et des- sinateur Christophe Karel Henri (Carel) de Nerée tot Babberich (1880-1909) est en effet un des rares représentants néerlandais du décadentisme. Élevé dans une famille noble de la Gueldre fondée par un « ministre de la parole de Dieu » ayant fui la France vers 1600 (1), il suit des études à Anvers puis se destine à la diplomatie. Parallèlement, il caresse l’espoir de faire une carrière littéraire avant de donner la priorité à l’art pictural, en particulier au dessin (à partir de 1898), même s’il ne se sent pas à vrai dire une vocation d’artiste. Nommé Secrétaire du Consulat des Pays-Bas à Madrid, il s’établit brièvement dans cette ville où les premiers symptômes de la tuberculose ne tardent pas à se manifester. Près de trente ans plus tard, l’écrivain Henri van Booven (1877-1964) est revenu sur cette période de la vie de son ami cultivé, pétillant, plein d’esprit et doué d’une mémoire exceptionnelle (2), dans un roman à clé : Een liefde in Spanje (Un amour en Espagne, 1928). Joris van Ree y apparaît comme l’alter ego du défunt cependant que l’auteur narre les semaines riches en aventures qu’ils passèrent ensemble dans ce pays en faisant leur le denerée24.pngprécepte flaubertien : Il faut vivre en bourgeois et penser en artiste. On suit en particulier les principaux personnages dans une maison close de Madrid où ils dînent et passent certaines nuits, chacun avec sa demoiselle attitrée. Plutôt médiocre et décousu, ce roman présente tout de même quelques pages en rapport avec l’univers cher à Carel de Nérée (par exemple des descriptions de cauchemars). (3)

    Judith

    denerée9.png

    Si la manière de Carel de Nerée restitue un univers qui n’est pas sans rappeler celui d’un Baudelaire, d’un Verlaine, d’un Pierre Louÿs, d’un D’Annunzio ou encore d’un Camille Mauclair, et traduit l’influence d’Aubrey Beardsley et des peintres Goya et Jan Toorop – on a pu aussi relever une parenté entre quelques-unes de ses œuvres et certaines de Toulouse Lautrec, d’Odilon Redon ou de Gustave Moreau –, l’artiste affirmera dans les dernières années de sa vie un talent et un coloris propres dans une veine voluptueuse et décadente qu’il qualifiera lui-même de « cérébro-sensuelle ». On estime qu’il a réalisé de 300 à 400 œuvres – dont beaucoup suggèrent une impression trompeuse d’inachevé – qui n’ont jamais été exposées de son vivant. Carel de Nerée a laissé des créations directement inspirées de romans comme Extase de Louis Couperus ou Le Jardin des supplices d’Octave Mirbeau, et de poèmes de Mallarmé ou de Tristan Corbière. On a aussi de lui une aquarelle représentant la célèbre Yvette Guilbert. 

     

    C. de Nerée

    denerée4.pngPlusieurs expositions lui ont été consacrées en Hollande – la première en 1910 a suscité l’enthousiasme et l’admiration de plus d’un critique, et il en ira de même dans les décennies suivantes, par exemple en 1926 (voir article de Just Havelaar dans Het Vaderland du 27/10/1926) ou en 1934 (voir l’article de W. Jos de Ruyter dans Het Vaderland du 29/11/1934) –, ainsi qu’en Allemagne et en Italie, mais pas encore semble-t-il en France ni en Belgique.

    Sérénité (détail)

    DeNerée17.pngDans la magnifique revue d’art et de culture Elsevier’s Geïllustreerd Maandschrift (numéro 42, 1911, p. 6-18), Henri van Booven a rendu hommage à son ami dont il s’était toutefois éloigné après la période espagnole. Les deux dandys ont été très liés pendant trois ans avant que Carel n’effectue de nombreux séjours à l’étranger pour se soigner et qu’un différend ne vienne troubler leur belle entente. C’est peut-être par l’intermédiaire du romancier que La Revue de Hollande – à laquelle celui-ci avait donné la nouvelle Império en décembre 1915 – est entrée en contact avec l’un des frères du dessinateur et a publié deux poèmes du disparu ainsi qu’un autoportrait (n° 7, janvier 1916, cahier de 2 pages entre les pages 853 et 854). En juin 1916, Nandor de Solpray présentait Carel de Nerée aux lecteurs français (4), des pages en partie inspirées par le texte de Van Booven. Ce sont ces documents édités par le périodique franco-hollandais qu’on pourra lire ci-dessous, rehaussés de reproductions d’œuvres du décadent néerlandais.

     

     Etude d'une Sulamite (détail)

    denerée18bis.png(1) Richard Jean de Nerée (1579-1628), traducteur des actes du synode de Dordrecht et auteur du poème Avant-panegyrie ou Trophees rares de son Excellence Monseigneur le Prince d’Orange (1619).

    (2) Il récitait ainsi à son ami Van Booven des poèmes de Verlaine après les avoir lus une seule fois.

    (3) Ce livre dont l’action se déroule entre la Hollande, l’Espagne et la France et qui mélange extraits de lettres, du journal intime du narrateur et relation du séjour de ce dernier auprès de son ami qui ne tarde pas à tomber malade, comporte plusieurs pages sur la région d’Auxerre où l’alter ego de Van Booven se retire afin d’y peindre et de recouvrer une certaine sérénité. 

    (4) Ces pages 1442-1447 sont placées juste après une étude étoffée de Francis de Miomandre sur Oscar Venceslas de Lubicz-Milosz : « O.-W. Milosz » (p. 1413-1441).

     

     

     

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    « Ramina, mooie ramina ! »* 

    Dans le silence de la petite rue hollandaise la voix traînante du marchand s’élève, nostalgique. Le silence ? Sans doute, malgré qu’au loin, par-delà les jardins et les maisons de briques, la mer du Nord poursuive sa plainte sans fin. 

    Les passants attardés de La Haye, ceux qui promènent quelque rêve et ceux qui digèrent, en levant les yeux, voient une fenêtre qui reste, longtemps dans la nuit, éclairée. 

    Une lampe, couverte d’un abat-jour jaune, projette son or léger sur les murs de la chambre où courent d’étranges décorations vert or et vert noir. Les rayons d’une bibliothèque portent des livres aux riches reliures. La Belle Inconnue de l’École florentine regarde dans la nuit, en souriant de son éternel sourire de marbre. Les tapis, d’un violet sombre, donnent à la pièce on ne sait quel air de « décadence ».

    « Ramina, mooie ramina… » 

    C’est dans cette demeure qu’il voulut étrange, qu’a rêvé, c’est là qu’a souffert durant sa trop courte existence, Karel de Nerée tot Babberich, peintre et poète.

     

    DeNérée8.jpg

    Clownerie (1904) 

     

    Feuilletons les livres qu’il aimait. Baudelaire et Verlaine, Poe et Wilde, Maeterlinck et Rodenbach nous révèlent un cœur amoureux des rares émotions et des longues tristesses. Les vers de Herman Gorter, poète hollandais et ceux de Hugo von Hofmannsthal ont souvent empli le crépuscule attardé. De Nerée lisait ces poètes à voix haute et nous aimons à penser que les strophes de la Tristesse de la Lune se sont mariées, dans le soir bleuâtre et tiède, au bruit monotone de la mer.

    Nous voudrions esquisser, sans nulle prétention à la « critique d’art », la silhouette de ce peintre dont l’œuvre reste encore énigmatique et troublante dans sa forme, précise ; nous voudrions le montrer tel qu’il aimait à être vu, modeste avec hauteur, impitoyable aux sots, aimant les fêtes et les femmes, très peu deftig**, mais doué d’un tel pouvoir de séduction, qu’en ce pays de Hollande où il est si dangereux de rompre avec certaines traditions, il fut pourtant aimé, fêté, recherché.

    Ceux qui l’ont connu nous l’ont dépeint, svelte dans les costumes qu’il dessinait lui-même et parlant des choses qu’il aimait, en tenant levées, pour que le sang ne les alourdît point, ses mains petites, blanches et belles merveilleusement. Il abondait en comparaisons hardies et se laissait emporter très loin par son sujet, oubliant même ses interlocuteurs.

    De Nerée avait-il le pressentiment de sa fin rapide ? Il semble avoir cherché en des voyages fréquents cette abondance d’im- pressions qu’apporte la vue des paysages chaque jour différents et des visages toujours nouveaux. Son état de santé l’obligeait d’ailleurs à de fréquents séjours en Suisse, mais il goûtait pourtant la vie un peu factice des désœuvrés que les couchers de soleil sur la montagne reposent des crépuscules vénitiens et que la mélancolie du Campo-Santo de Pise berce après le carnaval romain.

    S’il nous avait été permis d’entrer dans l’intimité d’un mort que tant de proches pleurent encore, nous aurions sans doute évoqué la belle existence d’aventures qu’il mena. Il savait le charme des petites villes italiennes et Marietta, la Pisane, le retint de longs jours. L’histoire qui paraît détachée des Mémoires de Jacques Casanova finit tristement : la Marietta – délaissée peut-être ? – s’empoisonna.

     

    DeNérée7.jpg 

    La Belle image

     

    Nous ne pouvons adopter, pour Karel de Nerée, le cadre d’un article tel qu’il se présenterait à nous s’il s’agissait d’un autre artiste. De Nerée fut un « peintre maudit ». Il a été l’évocateur de nos rêves inavoués.

    C’est à Baudelaire, Verlaine et Mallarmé qu’il doit d’avoir couru, encore adolescent, aux limites extrêmes de la sensation ; d’avoir osé sonder certains abîmes ; d’avoir respiré les plus dangereux parfums.

    Il leur doit cette éducation de la sensibilité qui lui a permis d’exprimer, dans des images d’une forme nouvelle, les rêves qui nous hantent par les soirs mauvais. Nous sommes d’autant plus heureux de pouvoir noter quelques-unes des impressions que nous a laissé l’œuvre de Karel de Nerée, que cet artiste paraît subir, momentanément, le sort injuste dévolu à ceux qui n’ont pas reculé devant les ténèbres d’un monde qu’il est périlleux de vouloir explorer.

    Nous avons dit que de Nerée fut un voyageur passionné, mais combien plus beaux sont les voyages qu’il a entrepris dans les palais de mystère qui sont plus proches de la maison Usher que des châteaux de fées ! Nous imaginons que son regard intérieur a visité tous les jardins de Bagdad, qu’il a suivi les couloirs des palais égyptiens et s’est arrêté sur toutes les fleurs d’Asie. Karel de Nerée est le peintre des crépuscules et du mystère, mais, avant tout, il a été obsédé par ce qu’il y a de moins matériel dans le corps humain : les yeux (1). 

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    signature de l'artiste

     

    Les personnages de Karel de Nerée nous regardent, si l’on peut dire, par tout leur corps. Ils sont brûlés de regards, étoilés de pupilles ; les seins dressés d’une longue courtisane portent à leurs extrémités deux yeux ; dans les broderies de ses bas, des prunelles nous guettent, et ses ongles, étroits et pointus, ont des yeux enchâssés.

    Dans les yeux des visages, chez ce peintre, frissonnent mille paysages, comme en ces lacs qui reflètent le ciel et les arbres et semblent dessiner la forme du vent qui ride leur eau.

    Nous avons lu autrefois, dans un livre très beau, mais que nul ne connaît, la merveilleuse histoire d’un amant qui vit un jour dans les yeux de la bien-aimée, tous les pays qu’elle avait visités, tous les ciels qui l’avaient baignée de lumière, toutes les fleurs qui la charmèrent… Tour à tour triste et joyeux, il la vit passer, dans l’aube mouillée et le soir vaporeux, au bras d’un autre cavalier, il vit ses robes d’autrefois et les abandons et les perfidies… De Nerée projette ainsi dans les yeux qu’il dessine les rayons d’un esprit sensible et riche. Il fait naître une prunelle de chaque paillette de jupe, des pierres des bagues, et l’améthyste, crépusculaire, regarde et rêve du passé. 

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    catalogue exposition 1975, Clèves

     

    Nous tâchons de nous rapprocher le plus possible de l’artiste dont l’œuvre nous a séduit et nous nous défions de la forme « pontifiante » de certaines critiques autant que des sèches énumérations et des comparaisons dangereuses. Mais s’il est un nom que nous puissions prononcer en même temps que celui de de Nerée, c’est celui de l’étrange et subtil Aubrey Beardsley.

    On nous assure cependant que le dessinateur hollandais ne connut guère que dans les dernières années de sa vie les figures troublantes de Beardsley. Il avait déjà créé – ou rêvé – son univers, parcouru tous les parcs crépusculaires où jouent des violons invisibles et senti peser sur lui le regard humain qui l’a tant obsédé.

    L’idée de la mort domine l’œuvre de de Nerée. Ce voluptueux triste voit toujours le squelette à travers les jeunes corps qu’il dessine. Certaines de ses illustrations laissent une impression de gêne. Il a souvent exprimé ce « qu’il ne fallait pas dire ».

    Sur des fonds crépusculaires il a fait surgir les princesses barbares de ses rêves. Ces sœurs des Damnées de Baudelaire, sont vêtues de robes brodées et surbrodées. Elles sont parfois nues.

     

    La très chère était nue et connaissant mon cœur,

    Elle n’avait gardé que ses bijoux sonores… 

     

    Ces femmes, certains jours, s’habillent comme des Rôdeuses et la magnificence de leur corps éclate pourtant parmi leurs haillons.

    « Il avait le don merveilleux de voir plus loin que l’apparence extérieure, il voyait au-delà de l’expression des visages, et derrière les formes fallacieuses, l’âme humaine… » nous écrit son frère, le peintre François de Nerée qui, avec piété, garde le souvenir du disparu. 

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    Carel de Nerée

     

    Parmi les œuvres les plus importantes et les plus caractéristiques que laisse Karel de Nerée, il faut citer quelques séries d’illus- trations pour les éditions de luxe de certains livres. Ses premiers dessins de ce genre étaient destinés à illustrer la Dernière Incarnation, de Henri Borel (2).

    Il existe aussi quelques dessins pour Extase, une des œuvres les plus connues de Louis Couperus. Le Johannes Viator de Frederik van Eeden avait aussi tenté l’imagination de de Nerée et il a exécuté des dessins qui conviendraient à une édition de ce beau livre.

    De la même époque datent Sérénité et la belle Annunciata (dessin au crayon). Ce sont deux yeux, surnaturellement beaux, qui regardent dans le lointain. L’une des toiles les plus importantes de l’artiste, Le Cloître, paraît avoir été peinte dans ce temps. 

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    Extase

     

    Il fit quelques dessins sur soie que sa mère broda, et des illustrations de Verlaine.

    La Bénédiction, dessin sur soie, peut être compté parmi ses œuvres les plus remarquables. C’est une symphonie en argent bleu pâle et rose tendre.

    Vers 1904, Karel de Nerée fit des illustrations pour la Salomé d’Oscar Wilde, L’Après-midi d’un faune de Mallarmé et un frontispice destiné aux Amours Jaunes de Tristan Corbière.

    Nous connaissons de de Nerée une étude de nu au crayon, aux lignes souples et tendres qui semblent être sculptées dans le marbre.

    Six mois avant sa mort, Karel fit un dessin qu’il intitulait Tantris le Harlequin. C’est Tristan, habillé en Arlequin, qui joue tristement du violoncelle. Son dernier dessin, Finis (La Fin) représente une tête de Faune qui regarde du haut d’un piédestal. Nous sommes sensibles à cet adieu « verlainien » de l’artiste. 

     

    DeNerée12.png

    poème publiée dans La Revue de Hollande 

     

     

    Nous avons intitulé ces notes : Karel de Nerée peintre et poète. De Nerée a laissé le début d’un roman intitulé Burgerdom (La Bourgeoisie) (3). Il fut, avant d’être dessinateur, poète et poète d’expression française. La Revue de Hollande a déjà publié*** deux de ses poèmes. Comme dans ses dessins, l’influence de certains écrivains français est notable. La langue poétique de de Nerée n’est pas très riche, mais sa sensibilité trouve à s’épancher malgré la médiocrité apparente des moyens d’expression.

     

    mausolé

     

    Vous me verrez peut-être un jour dans un suaire.

    J’aurai l’air de la mort.

    Mais je naîtrai alors.

    Ce ne sera pas loin, pas si loin qu’on le pense :

    Mes mains sont maigres

    Mes doigts sont pâles et ma bouche flétrie, hélas.

    La mort, je le sais, est proche. 

     

     

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    La Musique (1904)

     

     

    Karel de Nerée est mort à Todtmoos (Grand Duché de Bade) le 19 octobre 1909, dans sa vingt-neuvième année. Il laisse une œuvre qui n’est guère connue en dehors des frontières hollandaises. Sa première exposition, au Kunstkring de La Haye, en 1910, fut un évènement, car en dehors de quelques amis et des membres de sa famille, nul ne connaissait ses dessins.

    Il est à souhaiter que l’œuvre de Karel de Nerée soit exposée à Paris. La peinture hollandaise ne s’arrête pas à Rembrandt, comme on pourrait le croire : il sera bon, il sera juste, que les Toorop, les de Nerée, les Van der Hem (4) affrontent, après la guerre, la lumière d’un Paris pacifique et glorieux.

     

    Nandor de Solpray

     

     

    * « Radis noirs, les beaux radis noirs ! »

    ** « Comme il faut. »

    *** n° 7, janvier 1916. Poèmes et portrait.

     

    catalogue exposition fin 1974- début 1975, Laren 

    denerée21.png(1) Henri van Booven insiste sur ce point dans son article de 1911.

    (2) Cette nouvelle de Henri Borel a paru sous la forme d’une « adaptation » française de Léon Paschal dans le n° 3 de La Revue de Hollande, septembre 1915, p. 325-335. 

    (3) La légende veut qu’il ait écrit et brûlé ce roman.

    (4) Piet van der Hem (1885-1961), peintre qui voyagea beaucoup et séjourna à Paris en 1907-1908. Il a aussi laissé une œuvre de dessinateur (politique). À ne pas confondre avec le des- sinateur du XVIIe siècle Herman van der Hem établi et mort à Bordeaux.

     

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    poème publié dans La Revue de Hollande

     

     

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  • Le Voyage de Hollande

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    La lumière de Delft est sur nous comme un linge dernier

     Aragon, Le Voyage de Hollande

     

     

    Poèmes d’Aragon*

     

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    Hollande et poésie : L’Invitation au voyage vient tout de suite à l’esprit. Mais ce pays, ses villes, ses paysages ou encore ses peintres – voire ses écrivains – ont inspiré bien d’autres poètes que Baudelaire au cours des derniers siècles. Dans un billet précédent, nous avons mentionné « Hollande » (1) du voyageur Xavier Marmier, vingt alexandrins plutôt mièvres répartis en cinq strophes. 
    Plus mièvre encore le poème carte postale portant le même titre de l’écrivain belge Marcel Loumaye (1889-1956) : « Hollande, avec ses grands moulins au bord de l’eau / Ses petites maisons et ses sombres bateaux ! » (Le Thyrse, avril 1909, p. 230). Un autre écrivain tombé dans l’oubli, Émille Dodillon (2), a pour sa part ramené d’un séjour aux Pays-Bas des vers composés dans une veine parnassienne. On pourrait énumérer des noms plus connus, poser nos lèvres sur celles de Rosemonde. Satisfaisons-nous pour cette fois d’un recueil de Louis Aragon, qui demeure dans l’ombre alors qu’ « il existe pourtant peu d’exemple » dans son œuvre « d’une aussi parfaite maîtrise de la langue et de la prosodie » (3). Le Voyage de Hollande a paru le 12 février 1964 chez Seghers, vingt-quatre ans exactement après que cet éditeur eut publié un premier texte de l’écrivain communiste. Cette édition de luxe tirée à 2025 exemplaires est ornée d’un dessin de Jongkind. À ce jour, ce recueil a été réédité à trois reprises (1965, 1981, 2005), mais à chaque fois dans une version augmentée (les « Autres Poèmes » dont le cycle « La messe d’Elsa ») qui dénature un peu, ou du moins modifie, sa portée initiale. Le Voyage de Hollande proprement dit s’ouvre sur un quatrain : « Il est interdit de blasphémer » puis se décompose en six parties : « Le départ », « L’août soixante-trois », « L’été pourri », « Le labyrinthe bleu et blanc », « Eierland » et « Chants perdus ». À l’exception des deux qui constituent ce dernier volet, les poèmes ont été semble-t-il été écrits au cours des semaines qu’ont passées Aragon et Elsa Triolet aux Pays-Bas du 29 juillet au 26 août 1963, alors qu’Aragon qui, à son habitude, avait emporté du travail, aurait dû se Aragon4.pngconsacrer à préparer la nouvelle édition de son Histoire de l’URSS. On découvre dans ces pages beaucoup d’octosyllabes, mais aussi des vers beaucoup plus longs. Certains laissent trans- paraître le souvenir de séjours antérieurs : près de quarante ans plus tôt, le poète s’était en effet rendu en Hollande avec sa maîtresse Nancy Cunard. Le Roman inachevé (1956), son « autobiographie » en vers, comprend d’ailleurs un poème amstellodamois : « Les martins-pêcheurs au ciel jaune et rose » :

     

    Les martins-pêcheurs au ciel jaune et rose

    Cousent le printemps au-dessus des toits

    Où leur vol léger en passant se pose

    Aux créneaux neigés que les vents nettoient

     

    La Tour des Harengs de l’hiver se lave

    Maisons à l’envers leur front mauve est pris

    Dans les lourdes eaux d’un rêve batave

    Que les bateaux gris lentement charrient

     

    Les bateliers blonds au bleu de leur pipe

    Ont les yeux noyés par l’Indonésie

    Tandis que les marchandes de tulipes

    Pour les étrangers déjà s’égosient

     

    Ce calme c’est le calme du commerce

    Ce silence est fait de soie et d’étain

    Les grands bassins de mât en mât y bercent

    Le soir safran qui sur les quais déteint

     

    Le jour déclinant les digues cyclables

    Dans un Ruisdael sombre aux rouges falots

    Portent de la ville au loin par les sables

    Le pédalement de mille vélos

     

    Mais dans l’échoppe est assise une dame

    Comme un bijou qui dort en son écrin

    Car c’est ici le ghetto d’Amsterdam

    Où des bras blancs entourent les marins

     

    On dit amour pour nommer cette chose

    Qui peut durer juste le temps qu’il faut

    Petit palais de la métempsychose

    Pour avoir l’œil rond comme l’ont là-haut

     

    Les martins-pêcheurs au ciel jaune et rose

     

    Le Voyage de Hollande

    Compositeur : Edouard Senny, sur des textes de Louis Aragon

    Baryton : André Vandebosch - Piano : Colette Orloff

     

     

    Aragon6.pngL’amour ou du moins la question de l’amour se glisse une fois de plus dans le poème. L’impossibilité de l’exprimer (de le vivre ?), mariée à une anxiété pour ainsi dire innée, constitue d’ailleurs le thème essentiel  du Voyage de Hollande qui est tout autre chose qu’un voyage en Hollande. Il est vain de voyager annonce d’entrée une épigraphe de Maurice Scève. « L’été pourri » nous en dit sans doute plus sur le couple Louis-Elsa que sur le temps : en 1963, c’est l’hiver qui a été calamiteux, l’un des plus froids de l’histoire des Pays-Bas ; et si en été les températures étaient relativement fraîches, les deux écrivains n’ont pas dû voir, en un mois, beaucoup de pluie. C’est la grenouille batave qui le dit. Un été pourri sans pluie ? « Le Roi-Pluie » qui fait des siennes sur les toits d'Amsterdam est sorti de l’imagination du sexagénaire qui porte « une pierre au cou ». « Wassenaar » est à la fois une réécriture de l’Invitation au Voyage et, d’un bout à l’autre, un poème d’amour. Poème d’amour aussi « À quoi rêverais-tu si l’on », écrit le 14 août près d’Utrecht, à Hoge Vuursche. Peignant un décor typiquement batave, « Intérieurs » bascule à mi-parcours dans l’introspection et dans la vénération de l’aimée. Pareillement d’« Eierland », dont on jurerait la première strophe, tout entière dédiée à la nature de l’île de Texel, sortie du clavier d’un poète néerlandais.

    Si « Meinert Hobbema » échappe à l’obsession du fou d’Elsa – certes le poème se termine par : « Pour aimer d’amour » –, c’est sans doute parce que le poète y reprend la description du tableau Le Moulin à eau , qui figure dans les Entretiens sur le musée de Dresde (1957), ouvrage écrit avec Cocteau. Pour le reste, quand il s’écarte de sa thématique de prédilection, Aragon émet des critiques sur les Hollandais en général : « Et nous parmi ces êtres de laitage / Le genou gras la rousseur des oignons / À tous les pas à qui nous nous cognons » (dans « Reconnais-tu la vieille mélodie », poème ayant pour cadre Rotterdam) (4) ou sur les capitalistes qui Aragon1.pngvivent dans les « Petits palais de la banlieue ». Même dans les endroits les plus isolés d’ « Amsterdam », l’amoureux ne trouve ni calme ni paix – « Ainsi la ville avec ses toits / Ses yeux-fenêtres d’elle-même / Comme défaite pour qu’on l’aime / Tragiquement parle de toi » –, mais le reflet d’un suicide. Citons le poème (sans titre) le plus emblématique du recueil :

     

     

    Nous appellerons Hollande

    Ce pays de contrebande

    Entre la pluie et le vent

    Comme un moment de césure

    Dans la voix et la mesure

    Entre l’après et l’avant

     

    Ce royaume de semblances

    Qui fait égale balance

    Entre la terre et les eaux

    Entre le mourir et l’être

    Qui bat comme à la fenêtre

    Un volet troué d’oiseaux

     

    Voici l’heure et le voyage

    Où le jour n’est que langage

    Comme sont dés hasardeux

    Et le point qu’on y amène

    Toujours sonne être l’amen

    De cette vie à nous deux

     

    Où toute chose suppose

    Obscurément faire pause

    Avant cette nuit de nous

    Une halte du calvaire

    Cette indulgence à genoux

    Aux condamnés à genoux

     

    Ô merveille d’amertume

    Et se perd et se parfume

    La vie où elle est brisée

    Comme l’une l’autre tremblent

    Au miracle d’être ensemble

    Les lèvres sur le baiser

     

    Le grand reproche que l’on peut faire à Aragon – qui est dans la droite ligne de Hugo dont il partage les qualités et les défauts – tient à la teneur de bien des poèmes : elle est sensiblement inférieure à la virtuosité de l’écriture. Une espèce de naïveté - de juvénilité ? - omniprésente finit par lasser le lecteur. Aragon égrène un peu trop ses vers de vieil amoureux anxieux comme une bondieusarde son chapelet. Mais relire quelques pages de ce Voyage émerveille.

     

    Daniel C.

     

    Aragon7.png* Une partie des éléments de ce billet est empruntée à Michel Besnier, « Postface » au Voyage de Hollande, Paris, Seghers, 2005 ainsi qu’au tome 2 des Œuvres poétiques complètes, publié en Pléiade sous la direction d’Olivier Barbarant (2007).

    (1) Poème qu’on peut lire par exemple dans les Proses et Vers (1836-1886), Paris, A. Lahure, 1890, p. 245-246. Contentons-nous d’en citer la première strophe.

    Dans les près de Hollande, au haut de la charmille,

    J’ai souvent remarqué, le long de mon sentier,

    Le chêne où la cigogne, hôte de la famille,

    Construit son nid de chaume à côté du fermier. 

    (2) On doit à cet auteur une version (la première ?) de Fais dodo Colas mon petit frère intitulée Enfantine (publiée dans le recueil Les Écolières, 1874).

    (3) Michel Besnier, « Postface », op. cit. Cet auteur ajoute : « S’il existait des écoles de poésie, Le Voyage de Hollande permettrait de montrer, surtout de faire entendre, toutes les ressources de la poésie écrite en langue française. Quelle étonnante variété de vers, de rythmes, de rimes ! C’est qu’Aragon a lu et assimilé dans son oreille interne tous les poètes, de ceux du Moyen Âge jusqu’à ses contem- porains. » (p. 156).

    (4) Les mêmes clichés sont présents dans la correspondance d’Elsa de l’époque.

     

    les deux mots en gras dans les poèmes

    figurent en italiques dans les versions originales.

     

     

  • Poètes en revue

    Pin it!

     

    Action Poétique & la poésie néerlandaise

    premier inventaire

     

     

     

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    Ruud Meijer, Parijs Verplicht
    (photo: Karel Appel & S. Vinkenoog, par Ed van der Elsken)

     

     

     


    Dans Parijs Verplicht (Paris, passage obligé, Thomas Rap, Amsterdam, 1989), livre consacré aux années parisiennes des écrivains et artistes néerlandais de l’après-guerre (1945-1970), on trouve, à égale dis- tance de la deuxième et de la troisième de couverture qui reproduisent un dessin de Hugo Claus, un cahier photos de 16 pages. La première photo proposée au lecteur, prise au début des années 1950 rue de la Tombe-Issoire - chez l’essayiste Rudy Kousbroek (1929-2010) à moins que ce ne soit chez l’écrivain sud-africain Jan Rabie (1920-2001) –, montre six personnes : Rudy Kousbroek lui-même, connu entre autres pour avoir donné une traduction des Exercices de style, le poète fantaisiste Simon Vinkenoog (1928-2009), sa compagne de l’époque (l’Américaine Rory Warschauer), le poète et prosateur expérimental Bert Schierbeek (1918-1996), la peintre deluyphoto1.pngécossaise Majorie Wallace (1925-2005) qui épousa Rabie en 1955, et un jeune homme au bouc : Henri Deluy. C’est quelque temps plus tôt, par une fin d’après-midi de 1950, dans le café Reynders de la Leidseplein d’Amsterdam que ce dernier avait fait, par l’inter- médiaire de celle qui allait devenir son épouse - Anna Maria van Soesbergen (1927-2007) - la connaissance d’un groupe d’artistes néerlandais à peine plus âgés que lui : Lucebert (1924-1994), Gerrit Kouwenaar (né en 1923), Rudy Kousbroek, Remco Campert (né en 1929), Bert Schierbeek (1918-1996), Jan G. Elburg (1929-1992)… Il deviendra l’ami de certains, reverra à l’occasion les autres, tant en Hollande qu’à Paris - le Mabillon leur servant plus ou moins de QG - où la plupart d’entre eux vivront plusieurs années, voire plusieurs dé- cennies.

    couvHolstDeluy.pngAvec sa femme néer- landaise et le franco- phile Dolf Verspoor (1917-1994), le natif de Marseille - qui a entre temps publié à La Haye une plaquette de poésie Titr’animal agrémentée de linos de Harry Dis- berg (1951) - va bientôt faire ses premières armes de traducteur : en 1954 paraît chez Seghers, dans la collection « Autour du monde », Par-delà les chemins. Le volume comprend un choix de pièces de quatre recueils : Voorbij de wegen (Par-delà les chemins, 1920), De wilde kim (L’Horizon sauvage, 1925), Een winter aan zee (Un hiver à la mer, 1937) et Onderweg (En route, 1940) de celui qui est considéré à l’époque, aux Pays-Bas, comme « le Prince des poètes », le chantre de la solitude : Adriaan Roland Holst (1888-1976), membre majeur de la génération de 1910 aux côtés de J.C. Bloem, P.N. van Eyck et Geerten Gossaert, autant de talents qui se sont épanouis sous le patronage de l’une des grandes figures du « Mouvement de 1880 », Albert Verwey, un fidèle de Stefan George. Ami de tous les poètes, Roland Holst «reste à l’écart des disputes littéraires, élaborant une œuvre où se fondent les plus hautes tendances de la sensibilité néerlandaise», précise le texte de présentation. Les traducteurs ajoutent qu’ils auront atteint leur but si leur travail «contribue à attirer l’attention sur la poésie néer- landaise tellement ignorée en France». Ils entre- prennent d’ailleurs d’autres efforts en ce sens.

     

    Les 80 ans d'Adriaan Roland Holst


    La même année, en effet, Henri et Anna Maria col- laborent à une petite anthologie trilingue, La Hollande lyrique, publiée sous les hospices du Comité Central du Centre P.E.N. des Pays-Bas qui présente quelques auteurs rangés parmi les Vijftigers (Paul Rodenko, Gerrit Kouwenaar, Hans Lodeizen et Remco Campert - tous traduits par Henri Deluy), mais aussi l’inclassable Gerrit Achterberg (4 poèmes traduits par Deluy). Toujours en 1954, le n° 4 (1ère série) ronéotypé d’Action poétique propose un éventail plus large. On y retrouve, après une présentation de la main du Marseillais, les noms de Roland Holst, Gerrit Achterberg, Paul Rodenko et Hans Lodeizen, mais aussi ceux des Flamand Hugo Claus (1929-2008) et Paul van Ostaijen (1896-1928), des maîtres défunts Herman Gorter (1864-1927), H. Marsman (1899-1940), M. Nijhoff (1894-1953) et J.J. Slauerhoff (1898-1936) ainsi que ceux des jeunes Lucebert et Simon Vinkenoog. Une partie de ces poèmes seront repris dans des numéros ultérieurs de la revue.

    couvAP20.jpgPar la suite, et jusqu’à aujourd’hui d’ailleurs, c’est surtout la poésie de la génération des Vijftigers (poètes des années 1950), qui retiendra l’attention de Henri Deluy - à l’ex- ception de celle du Flamand Hugo Claus (traduite par d’autres assez tôt), lequel a lui aussi évolué dans les années cinquante au sein de «la colonie hol- landaise» de Paris, époque à laquelle il se réclamait d’Antonin Ar- taud. Avec son épou- se, Deluy donne ainsi 3 poèmes du Zélandais Jan G. Elburg dans le n° 18 d’Action poétique (1962) : «courte autobiographie», «vouloir», «aubade pour normes morales». Puis, en avril 1963, le n° 20 de la revue présente sept poètes expérimentaux des Pays-Bas dont la plupart avaient fait partie du « Experimentele Groep Holland » aux côtés de Karel Appel, Corneille, Asger Jorn… : Lucebert, Kouwenaar, Campert, Schierbeek, Elburg, Vinkenoog et un nouveau venu, Hans Andreus (1926-1977). Ami de longue date de Lucebert, ce dernier, ainsi que l’a révélé son biographe, avait combattu sur le front de l’Est au sein de la légion des volontaires dans la Waffen-SS. Dans ce numéro, Deluy rappelle le parcours de ces poètes «expérimentaux» hollandais dont les premières manifestations remontent à 1945, ainsi que les liens étroits qu’ils ont entretenus avec le groupe CoBrA né fin 1948 au café Notre-Dame. Ils représentent « la cassure avec les formes reçues de la poésie néerlandaise. Tout l’apport moderne en poésie, Dada et le surréalisme, l’expressionisme allemand et Maïakovski, le marxisme et la psychanalyse, faisant irruption dans ce domaine clos qui semblait n’avoir pas été touché, pour l’essentiel, par les boule- versements de la poésie mondiale après la guerre de 1914-18 ». Le passeur en profite pour redonner quelques traductions de poètes qui lui sont chers et qui sont chers à cette génération des années 1950 – alors encore très peu lue en Hollande –, à savoir le sensitiviste et marxiste Herman Gorter, le patient psychiatrique et meurtrier Gerrit Achterberg, le leucémique Hans Lodeizen. Pour six de ces poètes expérimentaux, Deluy a sélectionné deux poèmes ; Lucebert tient son rang d’ « Empereur des Vijftigers » avec cinq poèmes.

     

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    Action poétique, n° 91, printemps 1983

     

    Pendant un quart de siècle, Deluy poète, traducteur et éditeur va parcourir et visiter d’autres contrées. En août 1974, il offre tout de même sa collaboration à une petite anthologie dans le cadre de la Biennale Internationale de Poésie de… Knokke-Heist : Deux générations de poètes Néerlandais 1950-1970 (on y retrouve les noms de Gerrit Kouwenaar, Bert Schierbeek et Jan G. Elburg). Au printemps 1983, sous le titre « avec Cobra », il consacre la quasi intégralité du n° 91 d’Action poétique aux « Poètes Expérimentaux des Pays-Bas », s’en tenant presqu’exclusivement aux années 1948-1954. Sur le modèle de la couverture (de Frédéric Deluy) inspirée d’un dessin de Lucebert, certaines pages sont agrémentées d’illustrations et de montages d’artistes de la mouvance CoBrA (Karel Appel, Corneille, Jan Cox). Cette fois encore, il s’agit, pour ce qui est des traductions, d’un travail à quatre mains avec Anna Maria. Une place est accordée à deux poètes décédés: Jan Hanlo (1912-1969), dont l’œuvre moins en vue, moins expérimentale, se distingue par une touche romantico-humoristique, et Paul Rodenko (1920-1976), considéré comme un précurseur des Vijftigers et à qui l’on doit une anthologie de la poésie d’avant-garde (Nieuwe griffels, schone leien, 1954), laquelle a joué un grand rôle dans la reconnaissance de la nouvelle génération.

    Jan Elburg

    JanElburgphoto.jpgS’il a été proche de Jan G. Elburg et Lucebert, Deluy s’est également senti beau- coup d’affinités avec le Frison Bert Schierbeek. Dès 1954, la plaquette Het bloed stroomt door (le sang coule) publiée à Amsterdam (éd. De Bezige Bij) et illustrée par Karel Appel, proposait sa traduction française des quatre poè- mes de ce petit ensemble. Le Hollandais, qui s’était dans un premier temps af- firmé comme auteur de romans «compositionnels», sera invité au Centre littéraire de Royaumont en avril 1989 puis à la première Biennale des Poètes (novembre 1991). Ces échanges aboutiront à la parution de deux recueils en traduction : Formentera (Formentera, 1984; Luzarches, Les Cahiers de Royaumont, n° 20, 1990) et La Porte (De deur, 1972; Paris, Fourbis, 1991). Le n° 125 d’Action poétique et le recueil de la Biennale (Une autre anthologie) proposent également quelques poèmes de Schierbeek («John Akii Bua» et «Coquelicots»). Entre 1992 et 2009, un seul autre poète d’expression néerlandaise a participé à la Biennale (l’édition de novembre 1997), une femme, la dendrographe amstellodamoise Esther Jansma dont on peut lire cinq poèmes dans l’anthologie Noir sur blanc (Fourbis, 1998, trad. D. Cunin). L’an passé, ce fut au tour de Saskia de Jong d'être invitée aux manifestations de la Biennale.


    C’est vers le milieu des années 1990, suite entre autres à un séjour à Oegstgeest, près de Leyde, où il rencontre de jeunes auteurs, que l’intérêt de Henri Deluy pour la poésie néerlandaise va connaître un nouvel élan. De fait, ces dix dernières années, Action poétique a accordé une jolie place aux nouvelles générations tout en s’attachant à rappeler le rôle des dadaïstes et des expérimentaux. Cette évolution a été rendue possible grâce, entre autres, à la collaboration de quelques poètes et traducteurs et au soutien du NLPVF (rebaptisé depuis cette année Nederlands Letterenfonds), l’organisme amstello- damois qui promeut depuis une vingtaine d’années la littérature néerlandaise à l’étranger – on n’est plus en effet à l’époque où l’on pouvait, comme Edmond Jaloux, écrire : «l’ignorance générale où l’on est à l’égard de la langue néerlandaise ne lui permet pas une large diffusion : il est vrai que les pouvoirs publics n’ont jamais rien fait pour qu’elle fût connue».

     

    Un rapide survol

     

    couvAP156.jpgn° 156 (automne 1999) : hommage à Lucebert à travers le poème que Kouwenaar a dédié à son ami défunt, en regard d’un fac-similé du peintre-poète et, sous le titre «Poètes néerlandais, au- jourd’hui», un dossier de 75 pages proposant un choix de textes de douze poètes nés dans les an- nées 1950 ou 1960 dans une traduction de Pierre Gallissaires et Jan H. Mysjkin. Ce n’est pas tout: un peu plus loin, une quinzaine de pages sont consacrées à Paul van Ostaijen dans lesquelles le rédacteur en chef livre quelques-unes des traductions qu’il reprendra en 2001 dans une anthologie de l’œuvre de ce poète expressionniste majeur des Flandres : Nomenclature (Farrago). L’ensemble est présenté entre une photo de Rotterdam en couverture (par Jan H. Mysjkin), et des deuxième, troisième et quatrième de couverture reproduisant des poèmes visuels de Van Ostaijen.

    couvAP171.jpgn° 171 (mars 2003): à l’occasion du Salon du Livre 2003 qui a cette année-là deux invités d’honneur, les Pays-Bas et la Flandre belge, Henri Deluy se joint les services de Kim Andringa, Erik Lindner et Éric Suchère pour confectionner un dossier « Cinq poètes néerlandais aujourd’hui » (Martin Reints, Tonnus Oosterhoff, Jan Baeke, Frank Koenegracht et Erik Lindner). La com- plicité entre Erik le Hollandais et Éric le Français - bientôt épaulés par Kim Andringa - a d’ailleurs permis la réalisation de plusieurs projets éditoriaux. Ce n° 171 offre en quatrième de couverture la recette de l’erwtensoep, c’est-à-dire la soupe de pois cassés, plat traditionnel hollandais que l’on consomme en particulier lors du réveillon du Nouvel An.


    couvAP181.jpgn° 181 (septembre 2005) : ce numéro intitulé Dada Da accorde une place à Theo van Doesburg et Paul van Ostaijen (2 textes théoriques traduits par Kim Andringa, agrémentés de fac-similés de poèmes visuels) ainsi qu’à Lucebert (le poème «Arp» traduit par Henri Deluy). Relevons la présence d’un petit portrait du collectionneur, artiste et essayiste hollandais Paul Citroen (1896-1983), dessiné par Walter Mehring.

    couvAP182.jpgn° 182 (décembre 2005) : nouvel hommage à Luce- bert, cette fois à travers un échange de lettres d’Éric Suchère et Erik Lindner, et l’un des poèmes les plus célèbres de l’empereur des Vijftigers, «lettre d’amour à notre épouse suppliciée indonésie» (trad. Kim Andringa). Sans oublier la couverture qui reproduit un dessin du peintre-poète. Par ailleurs, toujours dans une traduction d’Andringa, on peut lire pour la pre- mière fois en français Tsead Bruinja (né en 1974) qui écrit aussi bien en frison qu’en néerlandais.

    couvAP185.pngn° 185 (septembre 2006) : ce numéro comprend un dossier sur la poésie belge réalisé par Jan Baetens et Rossano Rossi et présenté par Jean-Pierre Verheggen : «Belges et Belges» ; hormis Baetens qui écrit en français, on dénombre cinq auteurs Flamands: Peter Holvoet-Hanssen (poèmes tirés du recueil Strombolic- chio), Paul Bogaert («Dis- cours»), Jan Lauwereyns («Le moustique tigré asia- tique»), Peter Theunynck («Avis des Panamerican Airlines & C°») et Dirk van Bastelaere (choix de poèmes du recueil Plus loin en Amérique) (trad. Reine Meylaerts, Elke de Rijcke, Jan Baetens et Daniel Cunin)

    couvAP189b.pngn° 189 (septembre 2007) : on retrouve Éric Suchère et Erik Lindner ainsi que Kim An- dringa pour un dossier de 22 pages sur Hans Faverey. Né à Paramaribo en 1930, et décédé à Amsterdam en 1990, ce dernier considérait ses poèmes comme des créa- tions autonomes, des «exer- cices de détachement» nés de l’angoisse de la mort. Suchère signe un «petit récit anec- dotique d’une découverte», Lindner «32 notes» sur la vie et l’œuvre de Hans Faverey. Suivent six séries de poèmes en traduction.

    couvAP191-192.jpgn° 191 & 192 (mars-juin 2008) : dans ce numéro double, le rédacteur en chef rend hommage à celle qui lui a permis de découvrir la poésie et les poètes néerlandais, mais aussi, «au tout début des années cinquante, ce que pouvait être la lecture et l’écriture» : Anna Maria van Soesbergen, disparue peu avant. Ainsi peut-on lire trois poèmes de Lucebert («Rêve», «Sommeil», «O tempora o mores») et un poème de Paul Rodenko («Statue», dans une version différente de celle parue dans le n° 91) traduits par la Néerlandaise des décennies plus tôt.

     

     

     

    O tempora o mores

     

     

    après tant de morts rien de bon ou de mieux

    maintenant que la distance a réduit le gros tas

    en taupinière à l’horizon

    l’espoir de vivre peut à nouveau tuer le doute

     

     

    ou alors le doute redevient un luxe ou l’habitude

    fixer le soleil baisser les yeux pour voir

    le jour brûler en une courte nuit

     

     

     

    couvAP193.jpgn° 193 (septembre 2008): l’ «Ensemble Hannah Höch» de ce numéro comprend une présenta- tion de la femme de lettres néerlandaise Til Brugman (1888-1958), compagne de l’artiste allemande pendant une dizaine d’années. De cette représentante de la mou- vance Dada en Hollande, on peut découvrir cinq poèmes visuels et un autre, dédié à son amie plasticienne, dans sa ver- sion néerlandaise et deux versions françaises, la première de Saskia Deluy (fille d’Anna Maria van Soesbergen et d’Henri), la seconde de Kim Andringa, devenue pour ainsi dire incontournable (elle est par ailleurs l’une des rares à traduire de la littérature frisonne).

    couvAP198.jpgn° 198 (décembre 2009) : cette fois, un dossier «Six poètes néerlandophones». La deuxième de couver- ture annonce la couleur en reproduisant une œuvre de Hendrik Nicolaas Werkman - à qui l’on doit entre autres la revue The next call -, artiste mort sous les balles d’un peloton d’exécution alle- mand le 10 avril 1945. On retrouve ce typographe et graphiste expressionniste un peu plus loin dans l’article du poète et plasticien brugeois Renaat Ramon: «Constructivisme & dada, Van Doesburg / Werkman, De Stijl, Mécano et The Next Call : l’avant-garde aux Pays-Bas», texte rehaussé de poèmes de I.K. Bonset (pseud. de Theo van Doesburg) et d’œuvres de H.N. Werkman. Par ailleurs, sous le titre «Des craquelures dans l’émail», Erik Lindner propose un aperçu de la poésie néerlandaise des années 2000. Suit un choix de l’œuvre de six poètes dans une traduction de Henri Deluy et Kim Andringa. Hormis Erik Lindner, il s’agit d’auteurs (certains sont aussi des compositeurs) qui ont percé en Hollande et en Flandre au cours des dix dernières années : Arnoud van Adrichem, Rozalie Hirs, Saskia de Jong, Ruth Lasters, Els Moors et Samuel Vriezen. Dans ce numéro, la poésie néerlandaise ne s’arrête pas là : elle remplit la quatrième de couverture avec la dégustation du hareng nouveau et la recette du hutspot (hochepot) :

     

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    Cette attention accrue portée à la poésie batave depuis 1999 va conduire Henri Deluy à confectionner, avec une poignée de traducteurs, un mets de résistance qui devrait voir le jour sous peu : Poètes néerlandais de la modernité (1880-2010). Cette anthologie offrira un panorama de la poésie des Pays-Bas à travers près de trente poètes dont la moitié environ ont déjà figuré, à une date plus ou moins récente, dans Action poétique. En 2005, l’amour jamais démenti du Français à l’égard de l’œuvre de Lucebert avait d’ailleurs abouti à la publication d’Apocryphe (Le bleu du ciel, 2005, traduit en collaboration avec Kim Andringa) qui regroupe les premiers recueils du plus grand des Vijftigers (les œuvres complètes sont sept fois plus épaisses).

    poème de P. van Ostaijen (4e du n° 156)

    couvap156b.pngLe présent inventaire, aussi exhaustif que pos- sible, montre que le rédacteur en chef d’Action Poétique a surtout gardé le regard rivé au-delà des fleuves (Rhin, Meuse, Waal). Il l’a tout de même posé à quelques reprises sur la Flandre, en par- ticulier pour revenir sur les traces du célèbre poète et théoricien Van Ostaijen, pionnier du modernisme dans sa contrée, emporté à l’âge de 32 ans par la tuberculose. Aucune revue en France n’a accordé autant de place à cette poésie septentrionale. La poésie hollandaise - et flamande - reste encore en grande partie méconnue dans notre pays, mais un cap a sans doute été franchi ces dix dernières années, et on observe une tendance similaire pour ce qui est du genre romanesque.

    couvHoogtijlangddeseine.jpgTrès prochainement doit paraître aux Pays-Bas un ouvrage assez épais : Hoogtij langs de Seine (éditions Atlas), du peintre et baroudeur Diederik Stevens, une histoire des « Grandes heures » des écrivains et artistes néer- landais sur les bords de la Seine entre 1948 et 1968. Autrement dit, Parijs verplicht revisité et étoffé. Dommage simplement que l’auteur ait omis d’interroger l’un des témoins privilégiés de cette époque alors même que la voix de la plupart des Vijftigers s’est tue, nous laissant autant de « secondes bleues dérobées pour un plus tard ».

     

     

    Daniel Cunin

     

     

    Ce texte propose une version revue et augmentée de l'article qui a paru dans Action Poétique, n° 200, juin 2010, p. 131-136.

     


    Jeudis littéraires, par Pascale Casanova, 2 juillet 1998, France Culture

    Avec Pascal Boulanger et Liliane Giraudon