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Poètes & Poèmes - Page 16

  • Le poète Guillaume van der Graft

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    Parler à l’eau lente

     

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    Guillaume van der Graft (pseudonyme de Willem Barnard, Rotterdam 1920 – Utrecht 2010) est un poète et prosateur néerlandais. Auteur d’une bonne trentaine de recueils, il a réuni, au crépuscule de son existence, environ 300 de ses poèmes dans Praten tegen langzaam water. Gedichten 1942-2007. Een keuze (Parler à l’eau lente. Poèmes 1942-2007. Un choix, éd. de Prom, 2007, avec CD). De même, il a opéré une sélection parmi les milliers de pages de son Journal : Een dubbeltje op zijn kant. Dagboeken 1945-1978 (2005) et Anno Domini. Dagboeken 1978-1992 (2004), puis, en 2009 : Een zon diep in de nacht. De Verzamelde Dagboeken 1945-2005 (Un soleil tout au fond de la nuit. Journaux 1945-2005). Issu d’un milieu modeste, il a fait des études de littérature et de théologie. Pasteur de l’Église réformée néerlandaise (Nederlandse Hervormde Kerk) jusqu’en 1975, il a contribué à l’établissement de l’édition du Liedboek voor de Kerken (1973) et publié des études relevant de son ministère et plus largement de sa soif de saisir l'indicible.

    guillaume van der graft,willem barnard,poésie,pays-bas,néerlandais,protestantisme,hollande,littérature,traductionParallèlement, il n’a cessé d’édifier son œuvre littéraire, collaborant à diverses revues, publiant quelques pièces de théâtre ou encore le compte rendu de ses voyages en Angleterre, pays qu'il ché- rissait particulièrement: Papier als reisgenoot (Papier, compagnon de route, 1975). La théologie et la mythologie occupent une place prépondérante dans sa production poétique de même, d’ailleurs, que la sensualité ou encore le thème de l’écriture. Le volume Verzameld vertoog (1989) rassemble une bonne part de ses études et réflexions. Des ouvrages comme Stille omgang (1992), qui propose une méditation très personnelle sur la Bible, et Orthodox of niks (Orthodoxe ou rien, 2008), ainsi que divers essais sur la poésie, concilient fibre artistique et curiosité de l’homme religieux après que Willem Barnard fut devenu membre de l’Église vieille-catholique.

    Guillaume van der Graft était le père de l’écrivain Benno Barnard.

     

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    Dit schrijf ik onderweg

    gaandeweg onderweg naar een ergens

    zo elders dat het ook wel nergens wordt genoemd

     

    uitersten gaan elkaar vinden,

    zenit en nadir, noord nadert zuid

    en de voorraad wereld vermindert

     

    ik heb niet geschreven wat ik weet

    wat ik niet wist heb ik geschreven.

     

     

    Ceci je l’écris chemin faisant

    peu à peu en chemin vers un quelque part

    tellement autre part qu’on l’appelle parfois nulle part

     

    les extrêmes vont se toucher,

    zénith et nadir, nord et sud

    et la réserve en monde diminue

     

    je n’ai pas écrit ce que je sais

    ce que je ne savais pas je l’ai écrit.

     

     

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    Praten tegen langzaam water

     

    Praten zoals regenwater

    praat tegen langzamer water,

     

    transfiguratie van drift:

    een minnende mond, een beminde,

     

    samenzijn, namen verbinden

    met namen, in spiegelschrift

     

    weten hoe anderen heten,

    gaan tot de wieg van het licht.

      

     

    Parler à l’eau lente

     

    Parler comme l’eau de pluie

    parle à l’eau plus lente

     

    transfiguration de l’instinct :

    une bouche aimante, une bien-aimée,

     

    être ensemble, unir des nommés

    entre eux, savoir en écriture

     

    spéculaire le nom des autres,

    gagner le berceau de la lumière.

     

    (trad. D. Cunin) 

     

     

    Entretien (en néerlandais) avec Guillaume van der Graft

    ICI

    autre entretien vidéo : ICI

     

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     Teruggezongen, in memoriam Guillaume van der Graft, Baarn, Atlanta Pers, 2013 (hommage par 13  poètes)

     

    Dix poèmes de Guillaume van der Graft ont paru en traduction française dans Deshima, n° 7, p. 257-266.

     

     

     

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    André Troost, Dichter bij het Geheim: leven en werk van Willem Barnard/Guillaume van der Graft, 1998 (l'un des ouvrages consacrés au poète)

     

     

     

  • Entre Psaumes et Lucifer

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    « C’est le plus fécond et un des meilleurs poètes de notre terroir, une pittoresque et originale figure, un homme de grand cœur et de caractère magnanime, qui vient de nous être ravi avec Emmanuel Hiel. »

    Georges Eekhoud

     

     

    Hiel - Benoit.png

     Les frères siamois : Peter Benoit & Em. Hiel

     

     

    Emanuel Hiel (1834-1899)

     

     

    Dans Les Écrivains francs-maçons de Belgique (1) – vaste sujet dans ce pays où un Ghelderode s’exclamait : « Ne prononcez pas mon nom, qui terrorise et les Maçons et les Jésuites et les bureaucrates théâtraux du “National” qui n’ose pas alléguer son nom vrai : chiotte, pissoir ou poubelle ! » (2)Paul Delsemme consacre une page au poète et traducteur Em(m)anuel Hiel, célèbre en son temps, aujourd’hui oublié et qui, bien qu’il se soit souvent abandonné « à l’emphase qui sonne creux, à la facilité qui se contente du premier jet », mériterait « que la postérité lui manifestât quelques égards ».

    E. Hiel (coll. AMVC-Letterenhuis)

    emanuel hiel,georges eekhoud,poésie,peter benoit,musique flamande,franc-maçonnerie,histoire littétraireIssu d’un milieu très modeste, ce flamingant emporté est parvenu à se mêler aux cercles intellectuels de sa contrée, se liant par exemple d’amitié avec le compositeur Peter Benoit. « Obligé, pour survivre, de pratiquer d’obscurs métiers, il se donna, à force de persévérance, la vaste culture qui lui permit de faire œuvre d’écrivain et de traduire en sa langue Goethe et Schiller, Heine et Uhland, Shakespeare et Shelley, Charles d’Orléans et Victor Hugo… Cette irrésistible ascension d’un homme du peuple tenait du conte de fées. Emmanuel Hiel entra vivant dans la légende, une légende que, à dire vrai, son passé exemplaire n’eût pas suffi à créer s’il n’avait été aussi un personnage haut en couleur, un orateur breughélien, un prophète d’estaminet. » À sa production de traducteur, il convient d’ajouter une transposition des Psaumes parue en 1870. Si ses œuvres complètes (6 volumes publiés dans les années 1930) n’attirent plus guère de lecteurs, son nom reste attaché à trois oratorios mis en musique par Peter Benoit : Lucifer, Prometheus, De Schelde. À propos de Lucifer, Charles De Coster, s’enthousiasmait tout en regrettant que ce Lucifer-là ne correspondît point à sa propre conception maçonnique : « Le poème de M. Emmanuel Hiel est écrit dans ce grand style lyrique flamand dont l’harmonie, la sonorité, l’ampleur du rythme, peuvent rivaliser avec ce que l’Allemagne a produit de plus beau sous ce rapport. […] A-t-il oublié que l’homme, avec ses qualités primordiales de virilité, de combinaison, de libre arbitre, d’orgueil même, de curiosité, d’avidité de savoir, de lutte contre le pouvoir qui s’impose et les éléments qu’il veut dompter ; oublie-t-il que cet homme n’est que le symbole vivant de la splendide figure de Lucifer, nommé l’esprit du mal, parce qu’il ne se soumit pas en aveugle, Lucifer qui représente si bien la résistance odieuse aux despotes, Lucifer, l’ange découronné, l’éternel Vaincu, l’infatigable lutteur debout et fier malgré ses blessures, et qui doit finir par triompher du mensonge et de l’hypocrisie agitant en vain leurs antiques épouvantails. » C’est qu’à l’époque, Em. Hiel n’était pas encore Frère : « Initié aux ‘‘Amis Philanthropes’’ en 1868, il fut un bon Maçon. Il écrivit la cantate qui fut chantée, sur une musique du Frère Gustave Huberti, lors de la consécration du temple des ‘‘Amis du Commerce et de la Persévérance réunis’’ à l’Orient d’Anvers, en 1883. Nestor Cuvelliez signale qu’il apporta pareille collaboration à la loge montoise ‘‘La Parfaite Union’’, en 1890. »

    emanuel hiel,georges eekhoud,poésie,peter benoit,musique flamande,franc-maçonnerie,histoire littétraireGrand champion de la Flandre, Emanuel Hiel a tout de même collaboré à plusieurs périodiques francophones, par exemple L’Art universel ; L’Art libre a de son côté publié certains de ses vers en langue néerlandaise. Des écrivains d’expression française ont pu lui dédier un poème (Henri Liesse) ou le prendre à partie dans leurs vers (poème anonyme ci-contre).

    Défenseur du petit peuple, progressiste inconditionnel, Hiel affichait en même temps, à l’instar d’ailleurs de nombre de ses amis (3), un nationalisme sans faille. Les lignes qui suivent, publiées dans la Revue trimestrielle (1864, n° 3), témoignent des grands axes de sa pensée : « Il est un fait digne de l’attention du philosophe, de l’historien, c’est que partout où le peuple a le sentiment, la conscience de son existence physique et morale, soit qu’il ait la liberté, soit qu’il la désire, partout aussi il lutte pour la réhabilitation, le maintien et le développe­ment de sa langue.

    « Les lois de la philologie, conçues de nos jours dans un sens plus universel, avec un amour plus profond et plus vrai de la vie réelle, démontrent clairement que toutes les langues ont le même droit, que pas une seule ne peut et ne doit être dédaignée. En attaquant la langue d’un peuple, on attaque ce peuple dans sa vie intime, on lui déclare une guerre injuste et cruelle, qui a souvent des conséquences plus terribles que des guerres à coups de canon. C’est, qu’en effet, la langue d’un peuple est la construction esthétique de son esprit, la révélation géné­rique de son génie, l’affirmation de son existence, la sauvegarde la plus sûre, la plus fidèle de son indépendance, de ses droits, de sa liberté, et disons même de la moralité et de la famille.

    « Dès qu’un peuple abdique sa langue, il renie son passé, s’efface dans le présent et s’annihile pour l’avenir. Les despotes et les conquérants ont toujours compris qu’un peuple peut réparer une bataille perdue, sortir triomphant d’une lutte à main armée, mais qu’il se courbe à jamais, qu’il abdique et oublie sa personnalité quand il succombe à l’envahissement d’une langue étran­gère.

    « […] Le pays que l’homme aime par-dessus tout, c’est la patrie. La langue qu’il doit aimer par-dessus tout, c’est sa langue maternelle. Elle seule a été la mère, la nourrice de son esprit, et elle sera tou­jours l’unique lien spirituel qui l’attache à ses parents, à ses concitoyens, à sa patrie.

    L'Art universel, 01/05/1874

    emanuel hiel,georges eekhoud,poésie,peter benoit,musique flamande,franc-maçonnerie,histoire littétraire« […] Vint le mouvement flamand qui créa un grand nombre de journaux, de revues littéraires et scientifiques, et d’autres écrits périodiques. Des auteurs jeunes et pleins d’enthousiasme apparurent de tous côtés. L’histoire, la poésie, le théâtre, le roman, tous les genres qui composent une littérature complète trouvèrent des représen­tants. Sciences, arts, philosophie, religion, tout fut traité dans la langue maternelle, avec plus ou moins de succès. Et la Belgique, qui, depuis deux siècles, n’avait été citée nulle part pour ses belles-lettres, vit refleurir sur son sol une littérature féconde et puissante, sut conquérir l’admiration de l’Allemagne savante et produisit plusieurs œuvres traduites dans presque toutes les langues de l’Eu­rope. Le mouvement flamand exhuma aussi nos vieux auteurs : Van Maerlant, Jan van Heelu, Jan van Rusbroec, Zevecote, Anna Byns, etc. ; il nous rendit notre Reinaert de Vos et tant d’autres trésors légués par nos pères ; il attira notre attention sur la Goedroensage et les Nibe­lungen, ces grandes épopées nationales d’autrefois. Il nous fit fraterniser de nouveau avec la Hollande, nous en rapporta notre bon Cats, nous fit goûter les beautés imm­ortelles de Hooft, Vondel, Coornhert, Huygens et Spiegel, nous familiarisa avec les modernes : Bilderdijk, Bellamy, Helmers, Feith, Vander Palm, Tollens, da Costa et tant d’autres. En France même, ce mouvement eut de l’écho. Un comité flamand se fonda à Dunkerque et MM. de Coussemaker, de Baecker, l’abbé Carnel et beaucoup d’autres s’y occupent sérieusement de la culture et de l’enseignement de la langue néerlandaise dans la par­tie flamingante de la Flandre française. En 1850, le mouvement flamand réveilla le mouvement littéraire des bas-Allemands. Des poëtes éminents, comme Claus Groth, Fooken, Hoissen Müller, chantèrent dans la langue du peuple. Des savants remarquables, comme Raabe, Kosegarten, Köne, Woeste, Burgwardt, défendirent la langue maternelle par leurs travaux linguistiques et leurs ouvrages élémentaires et populaires. Le mouvement fla­mand fut donc cause que vingt et un millions de Flamands, Hollandais et bas-Allemands parlent encore cette bonne vieille langue, dont Jean Ier, duc de Brabant, et Jacques van Artevelde avaient voulu former le lien politique entre toutes les nations de la race thioise. Oui, cette bonne vieille langue de la Hanse est encore une des trois langues maritimes, elle se parle encore sur les côtes de la mer du Nord à la Baltique, au nord de la Flandre française, dans une grande partie de la Belgique, dans toute la Hollande, dans le Bas-Rhin, sur l’Elbe, sur l’Oder et jusqu’en Livonie. »

    G. Eekhoud

    emanuel hiel,georges eekhoud,poésie,peter benoit,musique flamande,franc-maçonnerie,histoire littétraireGeorges Eekhoud a rendu un hommage à Em. Hiel, cette figure marquante de la seconde moitié du XIXe siècle flamand, hommage en partie repris dans la nécrologie reproduite ci-dessous, tirée d’un journal d’Ostende. (4)

     

    (1) Bruxelles, Bibliothèques de l’Université libre de Bruxelles, 2004 (p. 459-460).

    (2) Lettre du 2 décembre 1960 au poète français Emmanuel Looten, citée par Roland Beyen, « Michel de Ghelderode entre deux chaises », Romaneske, n° 2, juin 2008.

    (3) Peter Benoit, « possédé du démon du Nationalisme », selon un critique, écrit par exemple : « Sans l’idée absolue de la nationalité, le monde ne doit s’attendre qu’à une dissolution lente et implacable. » (« Réflexion sur l’art national », L’Art universel, 15 juin 1873, p. 85. Dans cet essai, le compositeur cite les propos de son ami publiés en 1864 et que nous reprenons).

    emanuel hiel,georges eekhoud,poésie,peter benoit,musique flamande,franc-maçonnerie,histoire littétraire(4) L’érudit Léonard Willems a lui aussi consacré des pages en français au défunt : « Emmanuel Hiel », Revue de Belgique, 15 novembre 1899, p. 193-206. Une étude récente revient sur la place que Hiel a occupée en politique, dans la franc-maçonnerie et au sein du flamingantisme : Dempsig Alistair, Emanuel Hiel. Essay over de emancipatie van de Vlamingen te Brussel (Emanuel Hiel. Essai sur l’émancipation des Flamands de Bruxelles), préface de Lydia De Veen-De Pauw, Willemsfonds Schaarbeek-Evere/Liberaal Archief, Bruxelles/Gand, 2011. Elle complète l’ouvrage de référence sur le poète : Emiel Willikens, Emanuel Hiel (1834-1899), dichter en flamingant tussen Dender en Zenne, Willemsfonds Brussels Hoofdstedelijk Gewest, 1984. La même année, une exposition (accompagnée d’un catalogue : Emanuel Hiel 1834-1899: tentoonstelling 13 tot 23 oktober 1984 [in het] stadhuis) lui était consacrée à l’hôtel de ville de Dendermonde.  Relevons encore, à propos de Hiel, que son rôle s’est étendu jusqu’en Allemagne : il y a attiré l’attention de cercles lettrés et éditoriaux sur les lettres néerlandaises, en particulier sur le mouvement littéraire flamand (voir article de 1874 ci-dessus).

     


    De Schelde (L'Escaut, 1867), oratorio de Peter Benoit sur un texte d'E. Hiel

     

     

    Emmanuel Hiel

     

    La mort du poète flamand Emmanuel Hiel creuse un vide dans les rangs déjà clairsemés des littérateurs flamands ou, plutôt, néerlandais de Belgique.

    Emmanuel Hiel était en effet le prototype de la littérature contemporaine flamande du pays.

    Chef du flamingantisme, Emmanuel Hiel en était l'irréductible apôtre et, à toutes occasions, avec la véhémence et la conviction sincère qui étaient chez lui les qualités d'une foi profonde, il exposait et développait les théories de ce parti, de «son» parti, dont la principale faiblesse réside dans l'exagération irraisonnée et voulue de ces théories mêmes.

    Né à St Gilles-lez-Termonde le 30mai 1834, Emmanuel Hiel fut d’abord employé puis contremaître et enfin directeur d’une filature. Il abandonna cette situation pour entrer à l’octroi, puis au ministère de l’Intérieur.

    Emanuel Hiel - Photo.pngEn 1867, il entra au conservatoire royal de Bruxelles en qualité de professeur de déclamation flamande et deux ans après, en 1869, il était nommé bibliothécaire au Musée Royal de l’Industrie, puis à l’École Industrielle de la ville.

    Dans un magistral article qu’il publie dans La Réforme de Bruxelles le prestigieux artiste Georges Eekhoud ajoute : « Lors de la création de l’académie flamande à Gand il fut un des premiers appelés ''dans son sein''. J’ajouterai qu’il était chevalier de l’ordre de Léopold.

    Voilà pour sa carrière d’homme public, sa vie officielle. Mais il mena une vie bien autrement mouvementée et intensive que ne le feraient croire ces quelques points de repère biographiques.

    Tout jeune il s’était déjà mis à rimer. En 1855, donc à vingt et un ans, il compose sous le pseudonyme de G. Hendrikzone une pièce de vers en l’honneur d’un brave ouvrier de la filature dans laquelle il était employé à l’occasion de la décoration que le gouvernement venait d’octroyer à ce travailleur, après vingt années de probe labeur. Le jeune poète lut lui-même son œuvre au vénérable jubilaire et l’embrassa ensuite avec effusion, aux applaudissements de tous leurs camarades d’atelier.

    L’année suivante il publia sa première ode flamingante pour affirmer les droits méconnus de sa race ; ode énergique et virulente qui devait être suivie de tant d’autres !

    Ces deux œuvres de début caractérisent toute l’œuvre d’Emmanuel Hiel : il fut un poète essentiellement flamand et populaire ; il lutta pour les parias politiques comme pour les parias sociaux.

    À partir de ce moment il publia poème sur poème. Le 21 avril 1862 le bourgmestre de Termonde prit l’initiative, en plein Conseil communal, d’une souscription afin de permettre au poète peu fortuné de publier un premier volume de vers illustré par Jan Verhas, le peintre, son concitoyen. Ce livre parut à Bruxelles en 1863.

    P. Benoit par J. van Beers jr

    emanuel hiel,georges eekhoud,poésie,peter benoit,musique flamande,franc-maçonnerie,histoire littétraireQuelques mois après, Emmanuel Hiel composa le poème d'une cantate, De Wind (le Vent) qui fut couronné et dont M. J. Van den Eeden fit la musique.

    Entretemps il s’était mis aussi à écrire pour la scène. Hedwige, son premier essai dans ce genre, est une comédie imitée de l'allemand.

    Le succès du Wind fit rechercher sa collaboration par les musiciens. En 1865, il fournit des poésies à Émile Mathieu et à Peter Benoit.

    Il devait surtout servir admirablement le génie de celui-ci. Ainsi, en 1866, il écrivit ce fameux Lucifer sur lequel Peter Benoit édifia un de ses oratorios immortels dans le Panthéon flamand. Puis ce fut le Schelde, un autre magnifique oratorio, et Isa, un drame lyrique, auquel collabora Benoit pour la partie musicale. »

    C’est, résumée, toute la vie de ce beau poète. La place nous fait défaut pour analyser son œuvre magistrale suffisamment connue d'ailleurs.

    Abattu depuis deux mois surtout par une maladie d’estomac et par un affaiblissement nerveux qui minaient sa robuste constitution, Emmanuel Hiel s’est éteint doucement dans les bras de son fils Wilhem, après une agonie de plusieurs heures durant laquelle il n’a pas paru souffrir. Il avait reçu le jour même la visite de son ami Peter Benoit le grand musicien flamand auquel il avait dit ses suprêmes paroles «Ik ben niet wel ! » (Je ne suis pas bien).

    Et sans doute cette dernière rencontre des deux artistes de même race et de même envergure dans des domaines différents, a-t-elleadouci pour le moribond les minutes dernières d’une vie qu’il avait de toute son âme et de tout son cœur consacrée à l’art flandrien.

     

    Émile De Linge, Le Carillon, 29 août 1899

     

     

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    Revue encyclopédique, 1899, p. 821

     

     

    De man die Hiel wou zijn

    hommage humoristique au poète, devant et dans sa maison

     

     

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    Ik droomde (Je rêvais), poème de Hiel

    traduit par Louis Jorez, musique de Peter Benoit

    Illustration : Paul Lauters

      

     

     

  • Un poème de Bredero (1585-1618)

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    Un sonnet en français

      

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    Seul portrait connu de G.A. Bredero

    (gravure de Hessel Gerritsz., 1619)

     

     

    Fils d’un cordonnier relativement aisé d’Amsterdam, Gerbrand Adriaensz. Bredero a été surtout connu de son vivant comme auteur de théâtre. Sa comédie Spaanschen Brabander (Le Brabançon espagnol, 1617) est particulièrement savoureuse : « la pièce vaut par son réalisme intense. Adaptés ou inventés, les personnages sont pétillants de vie : petits vieux à l’esprit caustique, fossoyeur, fileuses babillardes, exempts à la main lourde… Chacun parle le langage qui convient […] Le comique revêt des aspects très variés, depuis la gaudriole jusqu’à l’humour le plus fin* ». « Il veut peindre le vice avec assez de relief pour le faire détester », a-t-on pu écrire à son sujet. Ce qui est sûr, c’est que l’Amstellodamois n’avait aucun rival dans le genre de la farce.

    Même s’il disait ne posséder que quelques rudiments de français : « een slechte Amstelredammer (die maar een weynich kints-School-frans in 't hoofd rammelde) », ceux-ci lui ont permis d’adapter en néerlandais la tragicomédie Lucelle de Louis Le Jars (1576), de traduire de la poésie, de s’inspirer d’une traduction française de L’Eunuque de Térence pour composer une de ses meilleures comédies : Moortje (La Petite Négresse, 1615) ou encore d’écrire le sonnet – certes pas forcément irréprochable – que nous reproduisons ci-dessous (extrait du volume posthume Groot Lied-Boeck).

     

    * Pierre Brachin, La Littérature néerlandaise, Armand Colin, 1962, p. 43-44.

     

    Bredero, poème, théâtre, Amsterdam, Pays-Bas, comédie

    Journal des Arts, des Sciences et de Littérature, 15 Messidor an 13

     

     

    SONNET

     

    Orsus Adieu Amour, adieu Espoir & Crainte,

    Vous troubleras non plus mon Ame ni mon Cœur.

    Alors, je prie toy mon Dieu & mon Sauveur !

    Allumez mon Esprit d’Amour devot & Saincte :

     

    L’Amour du Monde n’est que tromperie & fainte

    Leger & inconstant, vollant, & sans valeur,

    Sans rayson, sans Conseil, accompagnie de peur,

    En amitie faus, contrefaict par contrainte.

     

    Mays l’Amour de vertu est seulement fondée

    A l’unique de la Divine Trinitée,

    Qui gouverne le Ciel, qui gouverne la Terre !

     

    O Pere eternel scrivez avecq tes doicts

    Au millieu de mon Cœur, tes belles bonnes Loys,

    Que je t'en puis servir d’un amour volontaire.

     

     

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    page de titre d'un ouvrage posthume de Bredero (1621)

     

     

     

  • « Francis Jammes » de Paul van Ostaijen

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    « Jammes est riche comme est riche un coquelicot »

     P.v.O.

     

     

    En 1918, l’Anversois Paul van Ostaijen (1896-1928) retient dans son recueil Het sienjaal (Le Signal) un poème intitulé « Francis Jammes ». Maurice Carême en a donné une traduction dans son anthologie Les Étoiles de la poésie de Flandre. Guido Gezelle, Karel van de Woestijne, Jan van Nijlen, Paul van Ostaijen (Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1973, p. 183). On remarque que le Wallon a recherché la rime, absente de l’original. Ce qui l’amène à renoncer à certains mots (gelukkig = heureux, vers 1 ; nieuwe = nouveau, vers 5…), mais aussi à garder deux fois le « tu » du premier vers (le gij flamand) là où Van Ostaijen parle de Jammes à la troisième personne.

    Dans la bibliothèque du poète avant-gardiste mort de tuberculose, on a retrouvé deux recueils du Béarnais : De l’Angélus de l’aube à l’Angelus du soir (sixième édition, Mercure de France, Paris, 1911) et Feuilles dans le vent (Mercure de France, Paris, 1913).

     

    couvCarêmeEtoiles.png

     

     

     

      

    FRANCIS JAMMES

     

     

    Zo goed zijt gij als Jozef, gelukkig om het voedstervaderschap;

    toen schiepen de eenvoudigste liederen stemmen hen te zingen.

      

    D’Assisen ging tot de vogelen, d’eenvoudigste wijze van geloof.

    Dauw van de helderste morgen was hun beider kinderlijke woord.

     

    Jammes heeft een dorp gemaakt met nieuwe burgers:

    de steen, de ezel en de hond van den kantonnier. Dit is het dorp van Francis Jammes.

     

    In zijn lichte woning is hij een huis met veel meer licht;

    de helderheid van de beek en de diepte van de leeuwerikwijs.

     

    De avond is de eenvoud van een gelukkige glimworm,

    de avond van Francis Jammes; gemme, warm juweel van God.

     

     

      

     

    FRANCIS JAMMES

     

     

    Tu es aussi bon que l’était Joseph, le nourricier ;

    lors, les plus simples chants créaient des voix pour les chanter.

     

    Saint François allait aux oiseaux, simple façon de croire.

    La rosée du matin était pour eux mot ingénu à boire.

     

    Jammes, tu fis un village avec d’étranges habitants –

    la pierre, l’âne, le chien du cantonnier – un village étonnant.

     

    Dans ta maison, tu es comme une maison de lumière,

    tu es la ferveur de l’alouette, le ciel de la rivière.

     

    Le soir a la simplicité d’un ver luisant heureux,

    le soir de Francis Jammes, pierre précieuse de Dieu.

     

    trad. Maurice Carême

     

     

     

    Francis Jammes, Paul van Ostaijen, poésie, Flandre, traduction, Maurice Carême

    F. Jammes, Mémoires, préf. Monique Parent, Orthez, Gascogne, 2003

     

     

     

  • Je n’ai jamais

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    Un poème de Gerrit Kouwenaar

     

     

    CouvKouwenaarPlumes.pngGerrit Kouwenaar, dont on fêtera cette année le quatre-vingt-dixième anniversaire, a aimé sonder dans sa poésie ce qui l’entoure, gardant une certaine distance, travaillant sans perdre de vue le caractère langagier de la poésie : « Le langage appartient aux oiseaux / je suis trop homme pour voler ». Après la guerre, il est progressivement parvenu, sans cesser de traduire – par exemple Brecht et Sartre – et d’écrire des critiques, à se faire une place parmi les poètes majeurs de son pays. En 2002 il a publié son plus récent recueil intitulé Totaal witte kamer (Chambre totalement blanche) : des vers toujours aussi acérés et pénétrants. Il exerce une influence énorme, c’est un auteur incontournable. Cela n’est pas allé sans susciter chez certains du ressentiment ou se traduire, dans les années 1970-1980, par l’apparition d’épigones.

    Ses poèmes montrent qu’ils sont faits de main d’homme ; cela donne des assemblages froids, taillés à même la langue. Toutefois, ils échappent à la superficialité, à la sécheresse et révèlent une grande richesse ainsi qu’une conscience émue des choses : « l’homme s’abrite dans les mots ». Cette œuvre est charnelle, ancrée dans le monde, dénuée de sentimentalisme. Kouwenaar  prend soin d’éviter toute affectation et recourt à un registre polysémique difficile à rendre dans une autre langue. Pour lui, un poème, c’est « comme une chose ». Arrêté pendant l’Occupation pour avoir diffusé des journaux interdits, il est détenu pendant six mois dans les geôles allemandes. Après avoir passé le reste de la guerre dans la clandestinité, il publie de beaux romans. Mais reconnaissant la supériorité du grand auteur Willem Frederik Hermans dans la capacité à démasquer l’héroïsme de la Résistance (La Chambre noire de Damoclès), il décide de se consacrer à la poésie. Tout dans son œuvre est matière, chaque mot se fait substance.*

    couverture : Une odeur de plumes brûlées, trad. Jan H. Mysjkin & Pierre Gallissaires, Chambéry, Comp’Act, 2003.

     

     

     

    IK HEB NOOIT

      

    Ik heb nooit naar iets anders getracht dan dit:

    het zacht maken van stenen

    het vuur maken uit water

    het regen maken uit dorst

     

    ondertussen beet de kou mij

    was de zon een dag vol wespen

    was het brood zout of zoet

    en de nacht zwart naar behoren

    of wit van onwetendheid

     

    soms verwarde ik mij met mijn schaduw

    zoals men het woord met het woord kan verwarren

    het karkas met het lichaam

    vaak waren de dag en de nacht eender gekleurd

    en zonder tranen, en doof

     

    maar nooit iets anders dan dit:

    het zacht maken van stenen

    het vuur maken uit water

    het regen maken uit dorst

     

    het regent ik drink ik heb dorst.

     

    Gerrit Kouwenaar, Gedichten 1948-1978, Amsterdam, Querido, 1982, p. 113.

     

     

     

    JE N’AI JAMAIS

     

    Je n’ai jamais rien tenté d’autre que :

    tirer des pierres la douceur

    tirer de l’eau le feu

    tirer de la soif la pluie

     

    cependant le froid me mordait

    le pain était salé ou sucré

    le soleil un jour vibrant de guêpes

    et blanche d’ignorance la nuit

    ou noire comme il se doit

     

    parfois, je me confondais avec mon ombre

    comme on confond le mot avec le verbe

    le squelette avec le corps

    jour et nuit étaient souvent de même couleur

    sans larmes et sourds

     

    mais jamais rien d’autre que :

    tirer des pierres la douceur

    tirer de l’eau le feu

    tirer de la soif la pluie

     

    il pleut je bois j’ai soif.

     

     

    traduction Lena Westerink, Yvonne Pétrequin, Ellen Le Lardic, Brigitte Zwerver-Berret, Vincent Folliet, Daniel Cunin

     

    * Ces lignes sont en partie empruntées à la préface d’Erik Lindner : Poètes néerlandais de la modernité. Anthologie, Le Temps des Cerises, Paris, 2011.