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néerlandais - Page 4

  • Aux royaumes de Slauerhoff

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    Le texte qui suit a paru

    en guise de postface au Royaume interdit

    (Belval, Circé, 2009, p. 177-185),

    traduction française du roman

    Het verboden rijk (1932)

    de J. Slauerhoff.

     

     

    Aux royaumes de Slauerhoff

     


    Slau5.pngFévrier 1927. Sur le Tjimanoek, bâtiment qui assure la liaison entre Java, la Chine et le Japon, le médecin de bord assiste Mme Cameiros da Silva qui accouche. Il a les plus grandes peines du monde à extraire le fœtus, mort dans le ventre de la mère. Celle-ci va tout de même survivre. Quelque mois plus tard, en juin, lors de son second séjour à Macao, ce même méde- cin rend visite aux époux Da Silva ; le mari, pour remercier le praticien néerlandais d’avoir sauvé sa femme, lui offre une édition des Os Lusíadas. Cinq ans après, dans les premiers numéros de Forum, revue cofondée par Eddy du Perron, voit le jour aux Pays-Bas le roman Le Royaume interdit dans lequel tant la ville de Macao que la vie en mer et l’auteur des Lusiades occupent une place primordiale.

    slau26.pngL’idée initiale de ce roman, le polyglotte Jan Jacob Slauerhoff (1898-1936) n’a pas attendu de lire (ou relire) Camões pour l’avoir. Entre septembre 1925 et septembre 1927, profitant de ce que les bateaux sur lesquels il servait mouil- laient dans différents ports chinois ou encore à Hong-Kong et Macao – à 4 heures de distance l’une de l’autre à l’époque –, il a rassemblé des éléments qui lui serviront à composer une part essentielle de son œuvre, les poèmes, nouvelles et romans « chinois ». Ainsi, dès 1928, Macao devient le titre de l’un des cycles du recueil Oost-Azië. Certains poèmes de la plaquette française, Fleurs de marécage (1929), évoquent eux aussi, non sans nostalgie, cette ville singulière au glorieux passé, en partie éteinte, que l’écrivain préférait à la moderne Hong-Kong. En feuilletant le journal que Slauerhoff a laissé, les notes qu’il a prises au cours de différents voyages, sa correspondance ou encore des esquisses de nouvelles dont certaines remontent au tout début 1927, on relève maints passages qui figurent, sous une forme plus ou moins retravaillée, dans Le Royaume interdit. Par exemple, des éléments autobiographiques sur la traversée de Hong-Kong à Macao resurgissent dans l’évocation du radio de bord, personnage sans nom, qui embarque alors qu’il est hanté par l’esprit de Camões. Il est probable toutefois que l’édition des Os Lusíadas ait aidé Slauerhoff à préciser la place à donner au poète portugais dans son histoire.

     

    Slau16.pngEn plus d’être un roman sur l’éternelle errance – c’est là, disons-le d’emblée, le thème central de toutes les œuvres de celui qu’on a pu baptiser « la catastrophe errante », ce médecin incapable de se fixer sur le continent, cet amant tou- jours en chemin vers une autre femme, vers la même femme, à l’image du marin de la nouvelle « Larrios » du recueil Écume et cendre (1930) –, Le Royaume interdit présente la singularité de déboussoler le lecteur qui se trouve dans l’impossibilité de ranger le roman dans une catégorie précise, en raison des variations permanentes de perspective qu’il offre au plan narratif comme au plan temporel et de la dimension onirique et démoniaque de nombre de ses pages. Quiconque croit, au bout de quelques-unes d’entre elles, avoir ouvert un roman d’aventures risque de rester à quai ; de même, on est loin du roman historique, du roman psychologique, voire du roman exotique pourtant prisé à l’époque. Qui est qui ? Qui parle ? Qui écrit au juste ? Comment le grand poète portugais, banni de son pays au XVIe siècle, peut-il revenir au XXe pour tenter de se glisser dans le corps d’un banni plus ou moins volontaire ? Quel est le rapport entre ce Camões désabusé, qui a laissé des mots et des vers qui ont fait le tour du monde, et le radio de bord qui envoie pour sa part des mots codés dans les airs ? Comment expliquer tous les parallèles entre ces deux existences que séparent plusieurs siècles, l’origine sociale, la langue maternelle… ? Parallèles qui par endroits rapprochent les deux solitaires misanthropiques au point de les confondre – métempsychose ? –, par exemple dans la scène ou le radio de bord se retrouve devant la célèbre église São Paulo de Macao, dont ne se dresse plus que la façade :

    slau11.pngVitraux élevés, porte fermée ; il fit un petit tas de pierres, se hissa sur le rebord d’une des fenêtres, se pencha et vit que derrière cette façade l’église était dévastée ; il regarda le vide pavé de pierres tombales. Des vautours se tenaient sur les vestiges de bancs. Il se laissa tomber, les oiseaux s’envolèrent, l’un d’eux passa tout près de lui, il trébucha sur un bloc de pierre puis s’étala dans une stalle vermoulue. Empêtré dans une masse de bois mou, il se débattit, la vermoulure lui bouchait les yeux et le nez. Étouffant, il parvint tout de même à se remettre sur ses jambes. Entre-temps, l’église s’était relevée, elle était pleine de silhouettes qui allaient et venaient, la plupart montaient sur des bancs entassés sous les fenêtres et, par ces ouvertures, déchargeaient de lourds mousquets. Devant l’une d’elles, un vieux moine était en train d’actionner un canon. Par intermittence, une balle sifflait dans l’église. Il se tenait près de l’autel. Un homme en bel uniforme, mais le crâne orné d’une couronne de cheveux argentés, lui remit, au nom de Dieu, un lourd fusil. Il gagna une fenêtre, laissa ses doigts aller et venir sur le canon et la platine rouillés. Des balles étaient posées sur le rebord de la fenêtre. Il regarda en contrebas le versant de la colline : des silhouettes tentaient de gagner l’endroit où était édifiée l’église, et il en tombait sans cesse ; il se mit à tirer machinalement dans le tas. Son épaule encaissait le recul de l’arme, mais il n’entendait pas les coups partir ; après quelques secondes, il voyait une flamme vaciller sur son lourd mousquet.

    Slau3.pngLa façon dont Slauerhoff traite la fondation de la ville de Macao et le destin des différents personnages – outre les deux protagonistes, deux belles femmes, des officiers, des ecclésiastiques, le roi du Portugal… – ont amené certains commentateurs, bien des années après la publication, à regarder Le Royaume interdit sous un nouveau jour : ils ont renoncé à affubler l’écrivain-médecin et son œuvre de l’étiquette « (néo)-romantique ». En s’écartant des modes narratifs habituels, en mettant l’accent sur une tentative de prise de conscience, en violant les schémas chronologiques et spatiaux traditionnels, en proposant aussi une fin ambiguë, le roman présente en effet une indéniable teneur expérimentale, moderniste, et, en Hollande, s’inscrit d’une certaine façon, par son aspect novateur, dans la lignée du Max Havelaar (1860) de Multatuli. Tout bien considéré, la part romantique des créations de Slauerhoff réside essentiellement dans l’importance accordée à l’occultisme.

     

    Slau13.pngUne autre question surgit lorsqu’on referme son premier roman : Qu’est au juste ce royaume interdit ? Le Portugal dont Camões est chassé ? La Chine, à la fois fascinante et exas- pérante, où ni lui ni les autres Européens ne par- viennent à se faire une place ? Le royaume britannique auquel le jeune Irlandais n’appartiendra jamais ? L’univers féminin ? Diana ? Pilar ? – femmes d’autant plus inaccessibles qu’elles ne sont pas libres de choisir leur amant, leur époux ? Les Chinoises qui se vendent ou que les Portugais épousent faute de mieux ? Le passé trop révolu ? Le présent plus que fuyant ? L’autre, cet autre que Camões assiège ? Soi-même ? ce soi-même qui échappe en permanence au personnage sans nom ? Et pourquoi ne serait-ce pas aussi, et tout simplement, le bonheur ? Bonheur insaisissable pour un être qui n’a plus aucun port d’attache…

     

    slau25.pngDu Portugal, Slauerhoff ne connaissait pas seulement la lointaine Macao. Il en lisait la littérature, il a traduit quelques œuvres portugaises. Dans la revue Forum, son roman était dédié à Albino Forjaz de Sampaio, homme de lettres qu’il connaissait et qui venait de publier, dans son História da literatura portuguesa illustrada, une photo du Hollandais près de la grotte de Camões à Macao. Lors de la sortie du Royaume interdit en volume, le nom de cet écrivain ne figure plus qu’en tête du prologue : Slauerhoff a décidé entre-temps de dédier le livre à D., la belle danseuse Darja Collin, qu’il avait épousée en 1930 et dont il divorcera peu après. Lors de ses innombrables voyages, le futur romancier a eu à plusieurs reprises l’occasion de se familiariser avec Lisbonne. C’est d’ailleurs lors de son premier séjour au Portugal (été 1922) qu’il va choisir de vivre la vie errante de médecin de bord. Autant d’éléments qui expliquent en partie le choix de mêler Portugal et Chine dans une même œuvre – Portugal duquel ne subsistent pas même les ruines de son glorieux passé, Chine avec laquelle Jan Jacob se sent beaucoup d’affinités même si certains jours, l’Extrême-Orient, comme le reste, l’exaspère. Lisant six ou sept langues, Slauerhoff va toutefois puiser à d’autres sources que l’œuvre de Camões pour élaborer Le Royaume interdit : l’Historic Macao, de C.A. Montalto de Jesus, lui offre mille données factuelles ; Das Leiden des Camoes, oder Untergang und Vollendung der portugiesischen Macht, de Reinhold Schneider, quelques éléments architectoniques importants pour structurer le récit. Zarathoustra aussi est présent. Il est passionnant de relever les emprunts que fait l’écrivain et surtout le peu de scrupule qu’il a à les tordre : il déforme les faits historiques, de même qu’il emploie des orthographes parfois fantaisistes pour les noms propres, place les événements dans un contexte et un siècle différents de ceux dans lesquels ils se sont déroulés – ces trahisons lui permettant entre autres de jouer plus facilement avec la temporalité et de se jouer de la logique à laquelle le lecteur aime se raccrocher. Au bout du compte, la teneur historique du roman présente autant d’incertitudes et de zones d’ombre que la vie de Camões.

    slau20.pngEn 1935, toujours dans la revue phare Forum, Camões et le radio de bord irlandais vont resurgir : la nouvelle « Dernière apparition de Camões », sorte de chapitre final du Royaume interdit, jette un éclairage sur les liens singuliers tissés, sous la plume de l’éternel insatisfait Slauerhoff, entre le radio de bord narrateur et le poète portugais devenu borgne : alors que le premier dit avoir cherché en vain à revoir Camões qu’il a, tour à tour, vénéré, plaint et méprisé, ce dernier, dans un triste état, lui rend visite une nuit à Kwang Tun. « Mieux vaut avoir vécu, dit le Portugais, même au milieu des catastrophes, que de passer et repasser sur la vie, à la recherche de quelque chose qui n’est pas et qui ne laisse aucune trace. Les catastrophes sont utiles en ce sens qu’elles permettent de détourner le regard de toute l’horreur qui bée derrière chaque existence. […] Laisse-moi vivre quelques instants dans ton corps et faire l’expérience de la vie terrestre que j’ai omis de vivre. » Excédé, le radio narrateur refuse de se soumettre : « Je veux m’oublier dans d’autres personnes. Or, c’est impossible tant que je t’ai devant moi ou autour de moi. » Alors qu’il parvient à ouvrir la porte pour mettre Camões dehors, apparaît sous ses yeux non pas le palier mais une vision du tremblement de terre de Lisbonne. Il rejette toutefois tout ce qui se rapporte au passé, refuse de servir une grandeur quelconque car il en connaît le caractère provisoire : « … je préfère vivre dans le vide glacial qui s’est formé autour de moi ».

    T. Corbière
    slau23.pngDerrière le Camões du Royaume interdit se cache sans doute un autre poète. Car les auteurs que Slauerhoff a le plus lus et le plus appréciés, ce sont les poètes français de la seconde moitié du XIXe siècle, en particulier les « poètes maudits ». Il cultivait un lien très étroit avec la France (Paris, Bordeaux, Nice, Marseille, Grâce, Annecy sont autant de villes où il a séjourné plus ou moins longuement), avec la langue et les lettres françaises. Lycéen, étudiant, auteur débutant, il lui est arrivé de publier des poèmes écrits en français. Il a appris notre langue dès l’école primaire – 6 heures par semaine la dernière année, plus que n’importe quelle autre matière ! –, a suivi avec passion au lycée les cours d’un Français, M. Doucet. Au fil des ans, Slauerhoff traduira des poèmes et des textes d’auteurs qu’il admire (Villon, Samain, Verlaine, Laforgue, Corbière, Jarry, Baudelaire, Segalen…) ; il consacrera à certains un poème, un article ou un essai (Samain, Laforgue, Verlaine, Jarry, Mallarmé, Rimbaud, Corbière, Henri de Régnier, Raucat…). Il s’intéressa aussi à des romans, des récits, qui portent sur la vie d’aventurier, les pirates, la vie en mer ou encore sur la Chine (Jules Verne dès l’enfance et Loti à l’adolescence, plus tard Cendras, Mac Orlan, Thomas Raucat, Kessel, Albert Gervais, Alain Gerbault…). Quand il part en mer, il laisse de l’argent à la librairie parisienne Le Divan pour se faire envoyer des ouvrages ; dans les pays lointains où il trouve une librairie, il achète nombre de livres français. Son deuxième recueil, Clair-obscur (1927), où le passé se fait déjà obsédant à travers la figure de Clotaire, l’évocation de Versailles ou encore la fin de siècle, est imprégné de la lecture de Verlaine et de Henri de Régnier. Mais le poète qui accompagnera peu ou prou Slauerhoff la seconde moitié de son existence, c’est bien Tristan Corbière, très présent dès le premier recueil, Archipel (1923 et plus encore dans la réédition de 1929). Quand une revue lui demande les six livres qu’il emmènerait sur une île déserte, il mentionne un titre de Rilke, un de Poe, deux de poètes néerlandais ainsi que la Bhagavad-Gîtâ et Les Amours jaunes. En août 1923, Slauerhoff se rend en pèlerinage à Morlaix ; s’il visite aussi Charleville, Rimbaud lui paraît intouchable (il ne traduira aucun de ses poèmes, mais écrira une longue série de quatrains inspirée du Bateau ivre). C’est avec Corbière que l’identification sera la plus forte – elle est formulée dans un des poèmes où il dit se nommer Corbière, « moi, Chevalier errant des hautes mers, moi, Don Quichotte des mers ». Slauerhoff m’a avoué, écrira Eddy du Perron, « qu’il retrouvait tant de lui-même en Corbière qu’il s’est cru un temps possédé par lui ». Au point de penser qu’il était une « incarnation » du Breton.

     

    slau17.pngDans Le Royaume interdit, entre Chine, Irlande, Portugal et immensités océaniques – et au delà de ce que sa prose doit à la littérature française –, le francophile Slauerhoff ac- corde une toute petite place à la France : Moi et dix autres survivants [du naufrage] avions été déposés à M…e…, le port le plus proche, nous raconte le radio irlandais avant d’ajouter plus loin : Le matin, j’étais à M…e… ; je passai la journée à arpenter le quai ; la nuit, je dormis derrière quelques caisses, me réveillai tout courbaturé, presque décidé à retourner à S… où je disposais au moins d’un lit, d’un feu de cheminée et du silence. Il n’est pas impossible que le port dont il est question soit une réplique de Marseille ; le S suivi de trois points pourrait alors être Sanary-sur-Mer. Dans le roman, le radio, malade, fauché, en proie à des hallucinations, séjourne dans un hôtel de S., y reçoit la visite « d’une femme d’autrefois ». Fin 1927, Slauerhoff, dont la santé commence à laisser à désirer, regagne l’Europe à bord de l’Angers, des Messageries Maritimes de Marseille. Dès son arrivée dans la cité phocéenne, il tombe malade ; il passera sa convalescence dans un hôtel de Sanary où la femme dont il est alors épris lui rendra visite et lui demandera de l’épouser.

    Autre élément français dans le roman : le dernier message qu’intercepte le radio avant d’être capturé par les pirates. Ce message, qui annonce un typhon, est envoyé par les jésuites de Chu Ka Wei ; il s’agit ici d’une allusion aux jésuites français établis alors au sud-ouest de Shanghai, qui disposaient d’une station météorologique, et auxquels Slauerhoff avait rendu visite.

     

    Slau19.pngVoir dans Le Royaume interdit une critique de la colonisation et du monde occidental comme certains tendent à le faire, c’est probablement aller un peu vite en besogne et amoindrir une fois de plus la dimension purement littéraire et intemporelle de l’œuvre. Dans « Portugal et Camões », article contemporain de la rédaction de son premier roman, Slauerhoff comprend le désir qui a animé les Portugais ou autres Hollandais voici plusieurs siècles, il se reconnaît même sans doute dans ces hommes en quête de lointains : « L’inconnu, précise-t-il à propos des navigateurs portugais, revêtait pour eux un attrait sans pareil, conformément à leur caractère national, fantastique et héroïque, peu tenace, peu énergique. » Et au sujet des colonisateurs hollandais de l’Insulinde : « Le combat mené par nos pionniers mérite aussi sans conteste le qualificatif d’héroïque ; mais jamais les grands faits et gestes qu’ils ont accomplis là-bas n’ont trouvé le moindre écho dans notre littérature, aucun poète majeur n’a pris part à ce combat. » Ce qui retient surtout l’attention du romancier, c’est le déclin ou la décadence (corruption, appât du gain…) qui frappe bientôt ces communautés habitées au départ par des valeurs nobles, et plus encore la coïncidence entre décadence du Portugal et écriture de l’épopée nationale Les Lusiades.

     


    slau15.pngÊtre l’un de ces millions qui n’auront jamais la conscience de leur être – quel bonheur ; et si cela est hors de portée, être l’un de ceux qui savent tout, un homme qui a tout abandonné derrière lui et qui, pourtant, survit.
     C’est sur ces phrases – où résonne dirait-on le vers de Corbière « Je voudrais être un point épousseté des masses » – que se referme Le Royaume interdit : l’homme sans nom a survécu, sa quête va se poursuivre dans La Vie sur terre (1934), deuxième et dernier roman publié du vivant de l’auteur, avant le posthume La Révolte de Guadalajara qui, initialement, devait être un troisième roman « chinois ». Dernières modulations d’une absence qui chante l’absence.

     

    Daniel Cunin

     

    Sur la tombe du poète
     

     


    slau18.pngOutre la biographie – Wim Hazeu, Slauerhoff. Een biografie, 1995 – et les quelques livres consacrés à Slauerhoff et la Chine – Arie Pos, Van verre havens. Het werk van Slauerhoff en de Chinese werkelijkheid, 1987 ; W. Blok & K. Lekkerkerker (éd.), Het China van Slauerhoff. Aantekeningen en ontwerpen voor de Cameron-romans, 1985 ; Eep Francken, Over Het verboden rijk van J. Slauerhoff, 1977 –, on peut lire la thèse de Louis Fessard écrite en français : Jan Jacob Slauerhoff (1898-1936). L’homme et l’œuvre, Paris, Nizet, 1964. Celle de H.G. Aalders, Van ellende edel. De criticus Slauerhoff over het dichterschap (2005), fournit de nombreux éléments sur l’importance qu’ont revêtu certains poètes français pour Slauerhoff et son écriture.

      

     

     

  • Le poète Guillaume van der Graft

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    Parler à l’eau lente

     

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    Guillaume van der Graft (pseudonyme de Willem Barnard, Rotterdam 1920 – Utrecht 2010) est un poète et prosateur néerlandais. Auteur d’une bonne trentaine de recueils, il a réuni, au crépuscule de son existence, environ 300 de ses poèmes dans Praten tegen langzaam water. Gedichten 1942-2007. Een keuze (Parler à l’eau lente. Poèmes 1942-2007. Un choix, éd. de Prom, 2007, avec CD). De même, il a opéré une sélection parmi les milliers de pages de son Journal : Een dubbeltje op zijn kant. Dagboeken 1945-1978 (2005) et Anno Domini. Dagboeken 1978-1992 (2004), puis, en 2009 : Een zon diep in de nacht. De Verzamelde Dagboeken 1945-2005 (Un soleil tout au fond de la nuit. Journaux 1945-2005). Issu d’un milieu modeste, il a fait des études de littérature et de théologie. Pasteur de l’Église réformée néerlandaise (Nederlandse Hervormde Kerk) jusqu’en 1975, il a contribué à l’établissement de l’édition du Liedboek voor de Kerken (1973) et publié des études relevant de son ministère et plus largement de sa soif de saisir l'indicible.

    guillaume van der graft,willem barnard,poésie,pays-bas,néerlandais,protestantisme,hollande,littérature,traductionParallèlement, il n’a cessé d’édifier son œuvre littéraire, collaborant à diverses revues, publiant quelques pièces de théâtre ou encore le compte rendu de ses voyages en Angleterre, pays qu'il ché- rissait particulièrement: Papier als reisgenoot (Papier, compagnon de route, 1975). La théologie et la mythologie occupent une place prépondérante dans sa production poétique de même, d’ailleurs, que la sensualité ou encore le thème de l’écriture. Le volume Verzameld vertoog (1989) rassemble une bonne part de ses études et réflexions. Des ouvrages comme Stille omgang (1992), qui propose une méditation très personnelle sur la Bible, et Orthodox of niks (Orthodoxe ou rien, 2008), ainsi que divers essais sur la poésie, concilient fibre artistique et curiosité de l’homme religieux après que Willem Barnard fut devenu membre de l’Église vieille-catholique.

    Guillaume van der Graft était le père de l’écrivain Benno Barnard.

     

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    Dit schrijf ik onderweg

    gaandeweg onderweg naar een ergens

    zo elders dat het ook wel nergens wordt genoemd

     

    uitersten gaan elkaar vinden,

    zenit en nadir, noord nadert zuid

    en de voorraad wereld vermindert

     

    ik heb niet geschreven wat ik weet

    wat ik niet wist heb ik geschreven.

     

     

    Ceci je l’écris chemin faisant

    peu à peu en chemin vers un quelque part

    tellement autre part qu’on l’appelle parfois nulle part

     

    les extrêmes vont se toucher,

    zénith et nadir, nord et sud

    et la réserve en monde diminue

     

    je n’ai pas écrit ce que je sais

    ce que je ne savais pas je l’ai écrit.

     

     

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    Praten tegen langzaam water

     

    Praten zoals regenwater

    praat tegen langzamer water,

     

    transfiguratie van drift:

    een minnende mond, een beminde,

     

    samenzijn, namen verbinden

    met namen, in spiegelschrift

     

    weten hoe anderen heten,

    gaan tot de wieg van het licht.

      

     

    Parler à l’eau lente

     

    Parler comme l’eau de pluie

    parle à l’eau plus lente

     

    transfiguration de l’instinct :

    une bouche aimante, une bien-aimée,

     

    être ensemble, unir des nommés

    entre eux, savoir en écriture

     

    spéculaire le nom des autres,

    gagner le berceau de la lumière.

     

    (trad. D. Cunin) 

     

     

    Entretien (en néerlandais) avec Guillaume van der Graft

    ICI

    autre entretien vidéo : ICI

     

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     Teruggezongen, in memoriam Guillaume van der Graft, Baarn, Atlanta Pers, 2013 (hommage par 13  poètes)

     

    Dix poèmes de Guillaume van der Graft ont paru en traduction française dans Deshima, n° 7, p. 257-266.

     

     

     

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    André Troost, Dichter bij het Geheim: leven en werk van Willem Barnard/Guillaume van der Graft, 1998 (l'un des ouvrages consacrés au poète)

     

     

     

  • Tête à crack

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    La nouvelle Afrique du Sud

    selon Adriaan van Dis

     

     

    L'écrivain et voyageur néerlandais Adriaan van Dis cultive depuis de nombreuses années des liens singuliers avec l'Afrique du Sud (voir ici). Ancien militant anti-aparthheid, il porte aujourd'hui, à travers son alter ego Mulder, un regard ironique et désabusé sur ce grand pays. Son roman Tête à crack (Tikkop en langue originale), qui vient de paraître chez Actes Sud, est en quelque sorte l'histoire d'un idéal déçu.

     

    couvTêteàCrack.png

     

     

    LE MOT DE L'ÉDITEUR

     

    Quand Mulder revient passer quelque temps en Afrique du Sud à l’invitation de son ami Donald, il découvre avec stupeur que la fin de l’apartheid n’a nullement apaisé les relations entre Blancs et Noirs. Barricadés dans leur villa sur les hauteurs protégées d’un village de pêcheurs aux quartiers d’une extrême pauvreté, les voisins de Mulder tentent dans un premier temps de lui faire part des règles de prudence à respecter pour demeurer en paix.
    Mais Mulder, qui est – tout comme Donald d’ailleurs – un ancien activiste d’un mouvement d’extrême gauche ayant combattu l’apartheid dans les années soixante-dix, refuse d’évoluer dans un tel climat de méfiance, de se murer ainsi dans l’oubli des luttes et des amours passés.
    Quand il croise le chemin de Hendrik, un jeune métis complètement shooté au crack, Mulder semble touché par sa situation. Un sentiment que partage Donald. Mais leurs tentatives de “rééducation” de ce gosse perdu n’aboutiront qu’à réveiller d’anciens conflits, d’invincibles contradictions.
     
    AdriaanVanDisPortrait.jpgGrâce à de subtils éclairages, Adriaan van Dis esquisse le portrait d’une Afrique du Sud qu’il connaît parfai- tement. Il explore avec générosité l’ambivalence des Afrikaners bien qu’ayant lui-même pris part à la lutte anti-apartheid. Il compose ainsi un roman à la fois politique et d’une grande élégance esthétique, où se glisse l’autofiction tout en abîmes et rigueur mêlées.

     

     

    le début du roman : ici

     

     

    Adriaan van Dis parle (en anglais) de Tête à crack et de ses idéaux en compagnie d'Amos Oz

     

     

     

  • Arnon Grunberg

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    ENTRETIEN : ARNON GRUNBERG ET SES TRADUCTEURS FRANÇAIS

     

    Arnon Grunberg, l’un des écrivains néerlandais les plus brillants et les plus percutants de sa génération, s'entretient en français avec trois de ses traducteurs : Isabelle Rosselin, Olivier Vanwersch-Cot et Philippe Noble.

     

    Café littéraire organisé dans le cadre de la quinzaine néerlandaise. En partenariat avec le Royaume des Pays-Bas, le Réseau Franco-Néerlandais et Actes Sud. Hall de la Bibliothèque Universitaire centrale de Lille 3. MARDI 11 FEVRIER à 12h30 à 14h (l'entretien commence à la cinquième minute : lien)

     

     

    Arnon Grunberg, né en 1971 à Amsterdam, vit à New York et voyage dans le monde entier. Son activité de journaliste et notamment de reporter de guerre nourrit la vision impitoyable du monde contemporain qu’il développe dans ses romans. Ce maître de la dérision a produit en vingt ans une œuvre théâtrale, romanesque et essayistique abondante, couronnée par de nombreux prix et traduite en vingt-six langues. Parmi ses principaux titres disponibles en français, citons : Douleur fantôme, L’Oiseau est malade, Le Messie juif, Le Bonheur attrapé par un singe, Tirza, Notre Oncle. Les œuvres d’Arnon Grunberg sont publiées en France alternativement par les éditions Héloïse d’Ormesson et Actes Sud. Arnon Grunberg a publié également plusieurs romans et essais sous le pseudonyme de Marek van der Jagt, en particulier Histoire de ma calvitie (trad. Anita Concas, Actes Sud).

     

     

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  • Poèmes de Roland Jooris

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    Poésie pour Cy Twombly

     

     

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    R. Jooris, photo T.V.d.V.

    roland jooris,poésie,traduction,cy twombly,roger raveelNé en 1936 en Flandre, Roland Jooris a publié ses premiers poèmes voici plus d’un demi-siècle. Aujourd’hui, il est reconnu comme l’un des poètes majeurs d’expression néerlandaise. Sa poésie se caractérise par une formidable force d’expression et une grande pureté des lignes et du discours. Critique d’art, il a écrit sur l’œuvre des peintres Raoul De Keyser, Gust De Smet, Eugène Leroy, Dan Van Severen et Roger Raveel. Jusqu’en 2005, il était d’ailleurs le conservateur du musée Roger Raveel à Machelen-aan-de-Leie.

    À l’occasion de l’exposition Cy Twombly. Photographs 1951-2010 organisée au musée Bozar, il a été invité à écrire un poème à partir dune photographie de l’artiste américain.

     

     

    CY TWOMBLY: studio

     

    Samenhang 
    van chaos stug
     
    gedrongen aan de kant
     

    bijeen 

    als tussen antieke voetstukken 
    van zuilen het gemompeld 
    monumentale 
    de niet te duiden stilte 
    het wazige 
    dat een opgeveegd 
    vergeten is

    in zijn donkere kamer 
    ruimen de dingen 
    voor vermoeden 
    plaats 

     

     

    CY TWOMBLY : atelier

     

    Cohérence 
    du chaos rigide
     
    tassée sur le côté
     

    tout d’un tenant 

    comme entre le piédestal antique 
    de colonnes le monumental 
    grommelant 
    l’indéterminable silence 
    le vague 
    qui est un oubli 
    poussé au balai 

    dans sa chambre noire 
    aux suppositions 
    les choses font 
    une place 

      

    traduction D. Cunin

     

     

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    Studio (Lexington, 2009)

     

     

    De Roland Jooris, on peut lire en français une évocation

    de Pierre Reverdy : « Solesmes », in Deshima, n° 4, 2010.

     

     

    Roland Jooris lit son poème Zelfportret (Autoportrait)

     

     

     

    ZELFPORTRET

     

    Wat ongeschonden

    in hem huist

    het is geen zuiverheid

     

    het is geen kind

    dat met nog stompe letters

    schrijft

     

    het is een blik

    die rauw en ongenadig

    kijkt

    het is wat tegenstrijdig

    hem ontwricht

    en dwingt

     

    het is weerbarstigheid

     

     

    roland jooris,poésie,traduction,cy twombly,roger raveelAUTOPORTRAIT

     

    Ce qui demeure

    intact en lui

    ce n’est pas de la pureté

     

    ce n’est pas l’enfant

    écrivant encore

    avec des lettres obtuses

     

    c’est un coup d’œil

    cru et sans pitié

    qui regarde

     

    c’est ce qui contradictoirement

    le disloque et

    le force

     

    c’est l’esprit réfractaire

     

     

    traduction Frans de Haes