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flandres-hollande - Page 39

  • Un homme par ouï-dire

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    Cent pages de l’au-delà

     

     

     

    Après La Mort sur le vif aux éditions Gallimard (2007), l’écrivain néerlandais Willem Jan Otten revient avec un court roman dont le narrateur nous parle depuis l’au-delà.

     

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    W.J. Otten, Un homme par ouï-dire, trad. D. Cunin, Les Allusifs, 2014

     

     

    LE MOT DE L’ÉDITEUR

     

    Pianiste au jeu sensuel, Gérard Legrand a succombé à un accident de la circulation. Depuis dix ans, il mène cependant une vie posthume grâce à ses proches : chaque fois que l’un d’eux pense à lui, sa conscience se ranime. À vrai dire, cela n’arrive plus si souvent, étant donné qu’il ne leur a pas laissé un souvenir impérissable : il avait quitté sa femme pour une jeune violoniste au cœur fuyant ; ses deux fils l’ont peu connu… Le seul à encore penser régulièrement à lui, c’est le chauffeur du camion que Gérard a percuté alors qu’il était à vélo.

    À l’occasion de l’anniversaire de sa disparition qui est aussi celui de sa naissance, un repas familial est organisé en sa mémoire. Dans l’esprit de certains, il se sent soudain « revivre », non sans que cela les déconcerte.

    Avec un naturel bouleversant, Willem Jan Otten nous fait séjourner dans l’au-delà singulier d’un musicien défunt. Que reste-t-il de soi chez les autres, une fois l’existence consommée ? Quels liens ceux-ci tissent-ils encore avec nous ? Ménageant d’intimes coups de théâtre, débusquant avec une douce ironie des petits riens comiques ou déchirants du passé, il instrumente entre ces vivants et l’absent une vertigineuse partition émotionnelle…

     

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    Jan Mankes (1889-1920), Paysage en fleurs

     

     

    UN EXTRAIT

     

    Pour tous mes proches, hormis ma mère qui vit encore, j’ai été le premier mort. Y compris pour Olga. Elle a passé une partie de la guerre cachée pour échapper à la déportation ; de mon vivant, je me figurais qu’elle avait eu l’occasion, comment dire, de se frotter à l’effroi. Gisant  sous les glaïeuls placés sur mon cercueil et pointant vers mon nez, j’ai suscité en elle une stupeur bien supérieure à celle qu’aurait dû en principe provoquer mon simple décès.

    Moi, son premier amour et son premier mort, je lui ai offert de voir ce qui, par un pur hasard, lui avait échappé pendant la guerre mais qui n’avait pas moins dû être manifeste dans son imagination. Cela a sans doute abstrait ma présence dans son esprit – les premiers jours qui ont suivi ma disparition inopinée, j’étais bien plus la mort et l’effroi qu’inspire notre finitude, que Legrand. Bien entendu, mon image se confondait avec celle de son père qui, à défaut d’être mort, continuait et continue de vivre en elle sous la forme tenace, figée, du « disparu », le père jamais enterré dont l’unique souvenir qu’elle garde est qu’il n’est jamais revenu et dont elle a pu enfin, grâce à ma mort, faire le deuil.


    JanMankesBrieven.pngBeaucoup de monde a assisté à mes obsèques. Pour bien décrire la foire d’empoigne dans laquelle on se retrouve le lendemain de sa propre mort, il faudrait la mémoire d’un dieu ou l’imagination d’un dément. Il s’agit certes là d’un poncif : la vie qui suit la mort commence comme la vie a commencé, autrement dit dans un flot d’impressions trop considérable pour que l’esprit parvienne à l’appréhender. On comprend dès lors que, pas plus que notre propre naissance, le passage du présent à l’au-delà ne nous laisse un quelconque souvenir. Il y a eu le tourbillon d’images qui a précédé le vlang ! lorsque, à l’embranchement de Durgerdam, j’ai, sur mon vélo de course neuf, percuté le semi-remorque (dont j’ai tout de même mémorisé le numéro d’immatriculation : FB – 19 – 74), puis il y a, des mois plus tard, la première réminiscence d’Olga, ramenée à mon enterrement par la lecture d’un avis de décès. Entre ces deux dates, ma conscience posthume a sans conteste pris forme, selon une logique tout aussi mystérieuse que celle de notre conscience au cours de notre vie – une lente accumulation de souvenirs dont personne ne se souviendra, de souvenirs de souvenirs, et de souvenirs qui s’étiolent, se dissolvent, s’aplanissent. À cette différence près que tous proviennent de la mémoire d’autres personnes : j’existe par la grâce de traces que j’ai laissées de mon vivant. La sensation de liberté qui rend la vie un tant soit peu supportable (y compris lorsqu’on ne croit pas au libre arbitre : un scepticisme que l’on finit, quand l’heure est grave, par vivre comme un choix), cette sensation fait défaut. La liberté et même l’illusion de la liberté – auxquelles la mort, plus encore une mort comme la mienne, met fin.

     

     

    SUR L’AUTEUR


    4èmeOttenEenmanvanhorenzeggen.pngL’œuvre de Willem Jan Otten (né à Amsterdam en 1951) révèle une précocité et une multiplicité de talents rares. Jeune critique apprécié, il publie un premier recueil de poésie avant de s’affirmer comme auteur et metteur en scène de théâtre. Quarante ans plus tard, sa production variée a reçu les plus grandes récompenses, en particulier le prix Constantin Huygens (dès 1999 pour l’ensemble de l’œuvre) et le prix P.C. Hooft 2014 (pour l’œuvre essayistique). Au fil d’une écriture dense teintée d’ironie, Willem Jan Otten explore l’énigme que chaque être est à ses propres yeux. À travers des perspectives narratives très originales, le prosaïque côtoie chez lui l’exigence,  et le ludique, ce qui nous fonde. Désir, doutes du créateur, culpabilité, filiation, sujets de société, libre arbitre, tensions entre savoir et ignorance, choix et contrainte, entre vouloir et devoir, sont quelques-uns des thèmes qu’il sonde dans des poèmes, des essais ou des récits ingénieux. Créé par sa création, cet écrivain dévoile le mystère de l’homme pour mieux l’amplifier.

     

    Illustrations

    Jan Mankes, Een kunstenaarsleven in brieven 1910-1920, éd. Jan de Lange, Zwolle, Waanders Uitgevers, 2013 (correspondance du peintre Jan Mankes dont un portrait joue un rôle important dans Un homme par ouï-dire)

    quatrième de couverture de la réédition néerlandaise (1992) d’Un homme par-ouï-dire (Een man van horen zeggen, Amsterdam, Van Oorschot, 1984)

     

    entretiens récents (vidéos en néerlandais)

    avec Willem Jan Otten : ici & ici

     

     

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    Le Monde des Livres, 16 octobre 2014

     

     

  • Phraséologie euro-batave

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    Élections en Hollande

     

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    Aux Pays-Bas, ancien bastion calviniste, on ne vote pas le dimanche. Les élections européennes ont eu lieu ce jeudi 22 mai. Des isoloirs ont fleuri çà et là, par exemple dans les halls de gare. Ainsi, à la gare centrale de La Haye, le quidam pouvait poser les yeux, non sur des margoulettes  décrochées par un franc sourire, mais sur la liste des listes en course. Un échantillon :

     

    6. Groenlinks (Gauche verte)

    7. SP (Parti socialiste)

    8. ChristenUnie-SGP (UnionChétienne-Parti réformé orthodoxe)

    9. Artikel50 (Article50, sous-entendu l’article 50 du traité sur l’Union européenne)

    10. IQ, de Rechten-Plichten-Partij (Quotient intellectuel, le Parti des Droits et des Devoirs)

    11. Piratenpartij (Parti des Pirates)

    12. 50PLUS (Les Plus de 50 ans)

    13. De Groenen (Les Verts)

    14. Anti EU(ro) Partij (Parti anti-EU(ro))

    15. Liberaal Democratische Partij (Parti démocratique libéral)

    16. JEZUS LEEFT (Jésus vit)

    17. ikkiesvooreerlijk (jechoisisl’honnêteté)

    18. Partij voor de Dieren (Parti en faveur des Animaux)

    19. Aandacht en Eenvoud (Vigilance et Simplicité)

     

    Les bureaux de vote sont fermés.

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  • Le Traducteur amoureux (3)

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    Parole à la traduction

     

     

     

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    Georges de La Tour, Saint Jérôme lisant, vers 1622, Hampton Court Palace

     

    Sous le titre « Le traducteur amoureux », deux premières séries d’entretiens et de conférences sont proposées sur ce blog : ici & ici. En voici une troisième. D’autres causeries avec des traducteurs figurent dans la rubrique Entretiens.

     

     

    Jean-François Ménard, traducteur de Harry Potter

     

    André Markowicz et La Mouette de Tchekhov

     

    Philippe Postel, la traduction du roman sentimental chinois



    Michèle Gendreau-Massaloux - La traduction : problème de la méditerranée


     

    Frédéric Joly sur traduction des aphorismes de Walter Benjamin dans Sens unique


    Jean-Paul Lefebvre : Les deux trois voix du traducteur

     

    Bart Vonck & Françoise Wuilmart

     

    Olive Senior : Traduire la Caraïbe

     

    Edgard Sienaert, traducteur de Marcel Jousse

     

    Yves Chevrel : Histoire des traductions, histoire culturelle


    Lecture bilingue : Lisa Robertson & Pascal Poyet

     

    Marilyn Hacker, poète et traductrice entre deux pays (en anglais)

     

     

    Une série de conférences sur le droit de la traduction et la traduction du droit : ici

    Lire et traduire à la lumière des instances énonçantes, par Jean-Claude Coquet : ici

    La traduction au cœur des nouvelles pratiques éditoriales : ici

     


     

     

  • L’Art de Félix Timmermans

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    Félix Timmermans

    selon Camille Melloy

     

     

    Pensez à la langue de Ramuz ou d’Henri Pourrat : celle de Timmermans a au moins autant de santé, d’originalité et de saveur.

    C. Melloy

      

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    F. Timmermans, photo publiée dans Triptyque de Noël, 1931

     

     


    félix timmermans,camille melloy,littérature,flandre,belgique,catholicisme,traduction,françois d'assiseJouissant d’une certaine renommée de son vivant, Camille Melloy (1891-1941), Flamand ayant écrit la plupart de ses œuvres en français, a joué un rôle non négligeable dans la diffusion de celles d’écrivains d’expression néerlandaise. Ainsi, il a donné une traduction de quelques livres de Félix Timmermans
    , artiste avec lequel il a entretenu une profonde amitié (1). Prêtre dans une Belgique encore à dominante catholique et rurale, Melloy a choisi d’adapter en français des textes qu’il estimait dignes d’être lus par le public le moins averti. Comme d’autres membres du clergé de son temps, il mettait le lecteur en garde contre la moindre séduction et la littérature trop « réaliste ». Dans son essai Le Beau Réveil (1922), il estime par exemple l’œuvre d’un Villiers de L’Isle-Adam (ou celle d’un Barbey d’Aurevilly) « dangereuse » car elle « fleure plutôt l’odeur de soufre de l’Enfer et des Péchés capitaux que l’encens du Ciel et des vertus » ; il ajoute, au sujet du « pauvre grand Verlaine »,
    que sil a, par son recueil Sagesse, poussé un « beau cri de repentir et d’amour », c’était « pour retourner bientôt à son vomissement et rimer les sadiques refrains de Jadis et naguère ».

    Félix Timmermans, Camille Melloy, littérature, Flandre, Belgique, catholicisme, traduction, François d'AssiseMalgré l’aspect désuet de la plupart des ouvrages que ce prêtre-poète a traduits, l’un au moins continue d’être réédité de nos jours : le roman La Harpe de saint François, une des créations les plus connues à l’étranger de Félix Timmermans, publiée en France grâce à l’intervention de Henri Ghéon et de Jacques Maritain. Du fondateur de l’ordre des frères mineurs, C. Melloy disait : « Sans doute Poverello était déjà mon saint préféré ; depuis ce jour de mon adolescence ou je découvris les Fioretti, je n’avais plus cessé l’admirer, d’écouter ses leçons, sans oser adapter sa logique si terriblement rigoureuse qu’elle passe pour encore sublime, une folie… »

    Les deux textes qui suivent présentent, sous la plume du traducteur Melloy, Félix Timmermans, romancier populaire des Flandres, ainsi que son Triptyque de Noël. Ces pages figurent en guise d’introduction à la version française de Driekoningentriptiek (1923), un conte qui vit toujours sur les planches aujourd’hui. (2)

     


    félix timmermans,camille melloy,littérature,flandre,belgique,catholicisme,traduction,françois d'assise(1) Sur l’amitié entre les deux hommes, on se reportera à De Gonde, n° 5, 1997. On doit à Camille Melloy, outre ce Triptyque de Noël et La Harpe de saint François, un Timmermans raconte… choix de contes et de nouvelles (1941), volume qui contient douze contes (dont « Les Très Belles Heures de Sœur Symphorosa, béguine » - texte dont il existe également une traduction en afrikaans de la main de Karel Schoeman, Le Cap, Rubicon-Pers, 1984 : Die seer skone ure van Juffrou Symforosa, Begyntjie - photo ci-contre) et qui reproduit le Triptyque. Quant à Timmermans, il a illustré un recueil de poèmes du prêtre : Louange des saints populaires (1933).

     Page de titre, rééd. de la traduction de M. Gevers, 1951

    félix timmermans,camille melloy,littérature,flandre,belgique,catholicisme,traduction,françois d'assise(2) La romancière belge Marie Gevers a elle aussi donné une traduction de cette œuvre et de certains contes de Timmermans ainsi que de la pièce En waar de ster bleef stille staan (Et où l’étoile s’arrêta), qui reprend l’histoire du Driekoningen- triptiek.

     

     

     

     

    Félix Timmermans, Camille Melloy, littérature, Flandre, Belgique, catholicisme, traduction, François d'Assise

     Camille Melloy

     

     

     

    L’Art de Félix Timmermans

     

     

    Félix Timmermans est, à l’heure présente, l’écrivain le plus représentatif de la Flandre. Il en est, après le bon Henri Conscience, le plus connu à l’étranger. Presque toutes ses œuvres ont été traduites en allemand, plusieurs en français, en anglais ; quelques-unes en suédois, en tchèque, en italien.

    Les Très belles heures de mademoiselle Symphorose, béguine, trad. Roger Kervyn de Marcke ten Driessche, Rex, 1931

    félix timmermans,camille melloy,littérature,flandre,belgique,catholicisme,traduction,françois d'assiseLa gloire est venue à Timmermans en coup de foudre, par son Pallieter. Ce roman d’un jeune éclata, en plein pessimisme du temps de guerre, comme une joyeuse pétarade de joie débordante, comme un hennissement de poulain ivre d’air. On comprend la surprise. À la Hollande, guindée et roide comme si elle portait encore la fraise espagnole de ses ancêtres calvinistes, se présentait un luron un peu débraillé, le cou libre, les yeux bien ouverts, et qui hurlait à gorge déployée sa joie de vivre, en faisant des cabrioles et des cumulets. La nature, tout à coup, en face de la culture ! Nous dirons tout à l’heure ce qu’il faut penser de cette œuvre, la première qui marque dans la carrière, depuis lors glorieuse, de Félix Timmermans. Ici, nous n’en constatons que la nouveauté. Le succès fut tel que le héros du livre, Pallieter, et son auteur, Timmermans, s’identifièrent dans l’esprit des lecteurs ; et que ce nom de Pallieter, qui ne signifie rien, devint rapidement un nom commun, dont naquit le verbe pallieteren qui signifie désormais mener une vie joyeuse et bruyante dans un pays où coulent la bière et le vin.

    ***

    Les traits essentiels de l’âme flamande, on les retrouve tous dans cet écrivain issu du peuple et demeuré en contact avec lui. Dans la coquette ville de Lierre, bâtie, entre Anvers et Malines, au bord de la Nèthe, Félix Timmermans vécut son enfance, fit quelques études, se découvrit poète, fonda son foyer, écrivit ses livres ; là encore il accueille les hommages des Flandres et des Pays-Bas, toujours avec la même joviale simplicité, avec la même philosophie superficielle et sereine. Vieilles maisons à pignons dentelés, ruelles cocasses du béguinage, clochers et carillons, remparts ombragés, rivière capricieuse et belles campagnes fécondes, Lierre est pour Timmermans l’univers, et d’abord la Flandre.

    La Vie passionnée de Pieter Bruegel, trad. Nelly Weinstein, rééd. 1956 

    félix timmermans,camille melloy,littérature,flandre,belgique,catholicisme,traduction,françois d'assiseLa Flandre est toute en contrastes. Rubens et Metsys, Verhaeren et Gezelle. Chaque artiste la voyant à travers son tempérament, elle paraît chez l’un sensuelle et truculente, chez l’autre rêveuse et mystique. Timmermans, étant à la fois un poète aux antennes les plus fines, et un peintre à la palette la plus grasse, a su rendre, en le forçant quelquefois, le double aspect de ce vieux pays, où l’hiver est si désolé, l’été si glorieux, ce pays de béguinages et de foires, de pèlerinages et de kermesses, de goinfres et de pénitents. Vie plantureuse et gloutonne, rêve grave et secret, humour et pittoresque, hantise de la mort : tout cela, tour à tour ou à la fois, est la matière dont Timmermans édifie son œuvre.

    Son premier livre, Schemeringen van de Dood (Lueurs de la Mort), n’annonçait guère le grand artiste que serait un jour le jeune Lierrois ; mais il révélait déjà une préoccupation qui a reparu plusieurs fois dans la suite, notamment dans certains contes étrangement poignants : le mystère de la mort. Timmermans est, par bien des côtés, un homme du Moyen Âge : frère de ceux qui ont peint ou rimé les danses macabres, sculpté les monstres des cathédrales, conté ces mille histoires de démons et de revenants dont chaque village de Flandre garde encore l’une ou l’autre variante. Il se sent chez lui avec Breughel l’Enfer et Jérôme Bosch. Les ciels bas et les horizons noirs des hivers flamands accueillent et favorisent ces songeries funèbres, et les drapent dans une sombre poésie appropriée.

    Pallieter, trad. Bob Claessens, Rieder, 1923

    félix timmermans,camille melloy,littérature,flandre,belgique,catholicisme,traduction,françois d'assiseC’est pour secouer une tristesse persistante et réagir contre la neurasthénie que le jeune Timmermans a créé son type principal, ce Pallieter joyeux et débridé, l’homme « qu’il aurait voulu être ». De cette réaction volontaire est né un roman à l’intrigue mince, à la psychologie peu fouillée, mais d’un lyrisme débordant et d’une richesse descriptive inouïe.

    À Lierre, non loin du béguinage, avec Charlotte, sa dévote et plantureuse sœur, Pallieter vit au jour le jour, loin des conventions et des contraintes, la vie de la nature. Ses plaisirs, ses travaux, ses amours, tout est libre, au gré de ses mille désirs, sans contrôle social ni moral*. Narines ouvertes, c’est un jeune centaure qui s’ébroue et se vautre et se roule dans la splendeur féconde de la terre, qui « trait les jours », selon son expression, maître de l’eau, du vent et de l’air, vidant goulûment la corne d’abondance en chantant les vieilles chansons du terroir. Bon œil, bon estomac, – bon cœur aussi, – le joyeux drille, qui s’identifie avec la végétation sylvestre comme un faune robuste, sait aussi goûter les plaisirs pittoresques de sa petite ville : processions, kermesses, dîner de famille et veillées où l’on boit et mange comme les dieux d’Homère. Perversité ? Non pas. Santé, mais santé païenne. Il croit en Dieu, le « Maître de là-haut » (l’expression flamande, ici, est plus familière et quelque peu irrévérencieuse), et il Le remercie « de l’avoir soufflé sur la terre » où il fait si bon vivre ; il suit le Saint-Sacrement, mêlé à la foule et portant un cierge ; il goûte la douceur de l’église au crépuscule : « j’ai senti Dieu », dit-il en la quittant. « Mais, – ajoute-t-il aussitôt, – je reste homme » ; il l’est surtout par un corps qui écoute et satisfait tous ses sens. – « Non, murmure-t-il après une journée de libre liesse, non, le grand Pan n’est pas mort : je viens de voir une de ses petites cornes. »

    Un bateau du ciel, trad. Jean Fugère, Les 400 coups, 2000

    félix timmermans,camille melloy,littérature,flandre,belgique,catholicisme,traduction,françois d'assiseCe poème d’exaltation dionysiaque, vous pensez bien qu’on ne peut l’admettre sans de graves réserves, non seulement à cause des touches sensuelles, – qui entachent aussi par endroits d’autres œuvres du jeune maître, son Anna-Marie par exemple, –  mais surtout à cause du rêve naturaliste qui le remplit et le soutient. C’est grand dommage, après tout : il est plein de descriptions brillantes et fraîches, d’intérieurs et de natures mortes aux teintes chaudes, de réalisme familier, et d’un humour populaire, un peu grossier, mais généralement sain et bon enfant**. 

    ***

    Anne-Marie, trad. Mme Cludts, La Sixaine, 1946

    félix timmermans,camille melloy,littérature,flandre,belgique,catholicisme,traduction,françois d'assiseCe que le peuple aime en Timmermans, c’est le « bon vivant », le peintre des ripailles breughéliennes, l’humoriste aux facéties innombrables, le conteur de la vie populaire, si colorée et si bruyante en Flandre. Est-ce là le vrai, le meilleur Timmermans ? Je ne le pense pas. Il reste pour moi le poète des intimités, le chantre des mystiques béguinages et des âmes candides, le conteur de dévots noëls et d’émouvantes histoires d’amour. Cet autre aspect de son talent, on le saisira le mieux dans trois livres – parmi lesquels il faudra sans doute choisir son chef-d’œuvre, et où son style s’affirme plus pur, plus sûr, plus affiné. C’est trois livres sont :

    Les Très Belles Heures de Sœur Symphorosa, béguine, – une nouvelle en teintes très tendres, où l’on respire un parfum de roses et de fruits mûrs parmi les relents d’encens du béguinage ;

    L’Enfant Jésus en Flandre, évangile naïf et pittoresque, transposition littéraire des « nativités » des vieux maîtres flamands, légende où le réalisme anachronique et la poésie familière se mêlent avec un tact rarement en défaut ;

    Le Curé de la Vigne en fleur, un touchant et simple roman d’amour, d’un optimisme chrétien plein de poésie, et où le sourire alterne délicieusement avec les larmes.

    Le Curé de la Vigne en fleur, trad. Joseph Maenhaut, rééd. 1943

    félix timmermans,camille melloy,littérature,flandre,belgique,catholicisme,traduction,françois d'assiseBien qu’il ait depuis long- temps renoncé au vers (1), Timmermans pourrait bien être, à l’heure actuelle, le plus authentique poète de la Flandre. Tous ses livres, ceux dont j’ai parlé et aussi bien les autres, que la place restreinte dont je dispose m’empêche d’analyser ici, c’est une sève secrète de lyrisme qui leur donne leur grâce ou leur force. Qu’il raconte Breughel ou François d’Assise, qu’il regarde un moulin à vent ou une fresque de Fra Angelico, Timmermans est une âme qui s’émerveille et qui chante. L’atmosphère du béguinage, dans Schoon  Lier (La belle ville de Lierre), l’Annonciation, la nuit des bergers à Bethléem, et l’adoration des Mages, dans L’Enfant Jésus en Flandre, la scène des Madones dans sa pièce de théâtre Et où l’étoile s’arrêta, tant et tant d’autres pages éparses dans ses livres sont les créations poétiques les plus gracieuses, parfois les plus somptueuses, qui se puisse rêver.

    Philinte, « Choses de Belgique », Escher Tageblatt, 7 septembre 1935

    félix timmermans,camille melloy,littérature,flandre,belgique,catholicisme,traduction,françois d'assiseEnfin, – mais ceci, on ne peut guère le contrôler sur une traduction – Timmermans est un admirable artiste. Il a cette chance inouïe de disposer d’une langue abondante, savoureuse, toute en termes concrets, d’une langue proche du peuple, non encore anémiée par d’austères régimes syntaxiques, d’une langue non encore filtrée, qui charrie des images et des tours populaires, qui a la saveur et l’odeur de la terre, des plantes, de la vie. Le néerlandais officiel, langue littéraire de la Flandre et des Pays-Bas, est trop raffiné déjà, trop académique ; bien que depuis longtemps langue écrite et littéraire, le flamand a encore tous les privilèges des idiomes régionaux. Pensez à la langue de Ramuz ou d’Henri Pourrat : celle de Timmermans a au moins autant de santé, d’originalité et de saveur.

    illustration de Timmermans, Triptyque de Noël, 1931

    félix timmermans,camille melloy,littérature,flandre,belgique,catholicisme,traduction,françois d'assiseAjoutez à cela le don de la métaphore, du trait caractéristique, du mot évocateur – n’oubliez pas que Timmermans est aussi peintre, et qu’il illustre lui-même ses livres de dessins naïfs très amusants –, et une manière, qui n’est qu’à lui, de s’attendrir furtivement, en hâte, par parenthèse, entre deux facéties ; de s’élever sans en avoir l’air, d’être lyrique en demeurant près de nous.

    ***

    Que nous donnera encore Félix Timmermans ? C’est un homme jeune et un talent gonflé de promesses. Je crois savoir qu’il travaille à un nouveau recueil de contes, et nous attendons bientôt de lui une vie de saint François d’Assise, son saint préféré.

    Il est populaire. Le restera-t-il longtemps ? Il est toujours imprudent de prédire. Et la faveur publique est capricieuse. Mais on ne peut se tromper en le classant, dès aujourd’hui, parmi les maîtres de la littérature néerlandaise, parmi les quelques grands, dignes de rester, dignes aussi d’être connus au-delà des étroites frontières de leur pays.

     

    Camille Melloy

     

    L'Enfant Jésus en Flandre, trad. Neel Doff, Rieder, 1925

    félix timmermans,camille melloy,littérature,flandre,belgique,catholicisme,traduction,françois d'assise* Il va sans dire que ce roman, réaliste par le style et les procédés, ne dépeint pas la réalité. Le lecteur qui se figurerait les bourgeois, les curés, les jeunes filles de Flandre semblables aux personnages du Pallieter se tromperait totalement. À part quelques tableaux épisodiques (la procession, la veillée, le pèlerinage) et des descriptions de la nature, tout est grossi, parfois jusqu’à la charge la plus invraisemblable, comme dans Rabelais.

    ** La religion de F. Timmermans s’est précisée et assainie depuis. À l’heure présente, on peut le ranger parmi nos bons écrivains catholiques, ce qui ne veut point dire que tous ses livres conviennent indifféremment à tous lecteurs.

    (1) Relevons quun choix de ses poèmes a paru en français : Adagio, trad. Albert Sechehaye, La Renaissance du Livre, 1973. 

     

     

     

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    Triptyque de Noël, trad. C. Melloy, Rex, 1931, illustrations de F. Timmermans 

     

     

    Le Triptyque de Noël

      

     

    Ex-libris, F. Timmermans, Triptyque de Noël, éd. 1951

    félix timmermans,camille melloy,littérature,flandre,belgique,catholicisme,traduction,françois d'assiseLe Triptyque de Noël ou « des Trois Rois »* n’est pas l’œuvre la plus caractéristique de Félix Timmermans. On n’y retrouve ni la verdeur truculente de Pallieter, ni la luxuriance d’images neuves du Curé de la Vigne en fleur, richesses qui, dans un conte, eussent été déplacées. Mais il s’en dégage un charme que, nous osons l’espérer, notre traduction, quelque imparfaite qu’elle soit, n’aura pas complètement dissipé. En outre, par le fait même que l’auteur y a usé de ses dons les plus puissants avec une discrétion et une sobriété qui marquent une grande maîtrise de soi et un goût exigeant, cette œuvrette nous paraît un morceau tout classique. Un heureux dosage de réalisme dru et d’exquise poésie ; une émotion qui naît des situations ; un humour qui se montre rarement mais qu’on devine tout près de se montrer ; des décors et une atmosphère qui nous enveloppent comme une réalité, tout cela fait valoir le sujet à la fois très original et conforme aux mœurs et à l’esprit de la Flandre.

    Félix Timmermans, Camille Melloy, littérature, Flandre, Belgique, catholicisme, traduction, François d'AssiseLe lecteur admirera dans ce brelan de contes la couleur locale, la justesse psychologique, le sens profondément chrétien.

    C’est bien la Flandre qui vit ici, avec ses truands et ses bons pauvres, ses ripailles et ses dévotions populaires, sa hantise du mystère et la tendre familiarité dont elle assaisonne sa belle foi naïve. La Flandre avec ses plaines de neige, si impressionnantes, ses moulins à vent, ses fermes et ses chaumières, ses calvaires et ses chapelles, ses églises toujours très fréquentées et ses auberges qui ont aussi leurs dévots.

    Les « Trois Rois » en guenilles sont dessinés avec un relief amusant. Ce sont trois « variétés » de la famille des va-nu-pieds. Les caractères se soutiennent à merveille. On ne s’étonne pas que le Triptyque de Noël soit devenu plus tard, grâce à la collaboration de Félix Timmermans et d’Édouard Veterman, ce joli « mystère » que le Vlaamsche Volkstooneel a joué avec tant de succès : En waar de ster bleef stille staan… (Et où l’étoile s’arrêta…) Les personnages du conte sont déjà tout prêts pour la scène.

    G. Durnez, Félix Timmermans, une biographie, Lannoo, 2000

    félix timmermans,camille melloy,littérature,flandre,belgique,catholicisme,traduction,françois d'assiseCe qui rend leur psychologie particulièrement captivante, c’est l’intervention – capitale – de l’élément surnaturel. Ces trois âmes diversement disposées reçoivent la grâce, ou se débattent contre elle, chacune conformément à ses dispositions. Tout le pathétique du petit drame naît du conflit entre la nature et la grâce. Timmermans n’a peut-être jamais mieux exprimé cette idée qui le hante, qui est la substance spirituelle des meilleures œuvres de sa maturité : à savoir le duel, dans l’homme, de l’ombre et de la lumière, de la chair et de l’esprit, de l’humain et du divin. Ici, sous l’affabulation de légende, c’est bien l’explication catholique qui est donnée. Quelle gracieuse illustration d’évangile ! Dieu ne veut point laisser l’aumône sans récompense ; avec les pécheurs qui refusent d’accepter la grâce (qu’ils trouvent gênante), il ruse pour la leur offrir encore ; il les guette, et les poursuit de sa bonté. Et la Vierge, évidemment, intercède pour obtenir leur salut. Deux « Rois » meurent sauvés, l’un dans l’amour, l’autre dans le repentir ; le troisième vit, converti, mais – et c’est encore un trait de vérité humaine – il ne lâche pas son péché mignon, qui est de chaparder quand l’occasion l’y invite.

    illustration de Timmermans, Triptyque de Noël, 1931

    félix timmermans,camille melloy,littérature,flandre,belgique,catholicisme,traduction,françois d'assiseSur les aventures de cette humanité plus faible que méchante, Félix Timmermans verse la chaude lumière de sa sympathie amusée, de son indulgence, de sa compassion. Et cela encore est très chrétien. Chez nous, le ciel n’est jamais loin de la terre, et la bonté nous semble le sentiment qui nous en rapproche le plus. Soyez-en assurés : dans ses mendiants, qui lui plaisent déjà tant par le pittoresque de leur vie et de leur langage, Félix Timmermans aime tous les pauvres, que dis-je, tous les hommes, – à tous il étend sa bonté, car en tous se joue, d’une façon ou d’une autre, le drame spirituel de la misère humaine et des sollicitations divines.

     

    Camille Melloy

     

     

    Psaume paysan, trad. Betty Collin, Maréchal, 1943
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    * Le titre flamand : Driekoningentriptiek, pourrait se traduire : Triptyque d’Épiphanie. Comme il n’est pas question, dans le conte, de la fête de l’Épiphanie, mais des trois mendiants travestis en Rois Mages qui font le tour des fermes la nuit de Noël, nous avons pensé que Triptyque de Noël serait la version la plus juste.

     

     

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     Voilà, 6 juin 1941

     

     

     

  • Un poème, un livre – Pierre Jean Jouve

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    Un extrait de poème contre le grand crime (1916)

     

     

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    Belgique

     

     

    … Je suis né à proximité de ces canaux et ces nuages,

    De ces bourgs aux rues parfaitement peintes ;

    Je porte dans mon cœur rues, blés mouvants et dunes.

    J’ai l’esprit conforme à ces plaines sans défaut ;

    - Rien que des toits éclatants, çà et là, un vent fort,

    Une pensée raisonneuse pour la terre infinie.

    J’éprouve le désir des arbres vers la mer,

    J’ai le doute et le scrupule des canaux,

    Mon affection n’a de repos que sur le clair horizon.

    Je suis ton enfant – Flandre étale et grasse.

    Ne m’oublie pas, car désormais je demeure tourné vers toi –

    Et toi, Verhaeren, chanteur et vieil homme,

    Dont la force de Flamand et la pensée d’Européen

    Fraternellement sont blessées jusqu’à la mort,

    Je te fais signe et comme un de tes enfants,

    Je me range à tes côtés sans en dire davantage.

     

    P. J. Jouve 

     


    Pierre Jean Jouve, Jacques Darras, poésie, Arfuyen, Flandre, Verhaeren, Guerre 1914-1918, Suisse, GenèvePierre Jean Jouve
    (Arras 1887 – Paris 1876), a renié la première partie de son œuvre, y compris poème contre le grand crime paru à Genève en 1916 (éditions de la revue Demain) et dont seuls des passages ont été re- produits depuis. L’extrait cité ci-dessus figure, à côté d’autres (publiés avec l
    autorisation de Cathe- rine Jouve), dans la magnifique fresque poético-autobiographique de Jacques Darras, Je sors enfin du Bois de la Gruerie, Arfuyen, 2014, p. 81. 

    Le recueil pacifiste de Jouve contient quatre poèmes : « Au soldat tué », « À la Belgique », « Chant de l’Hôpital », « Tolstoy », et présente sur le titre une grande composition macabre du peintre et verrier  Edmond Bille (1878-1959), reprise en couverture. Retourné en Suisse pour raison de santé – il s’était engagé en 1914 pour servir comme infirmier à l’hôpital de Poitiers où l’on soignait des soldats atteints de maladies infectieuses –, Jouve s’affirme comme pacifiste. Poème contre le grand crime poursuit cet engagement amorcé avec Vous êtes des Hommes (1915). « Jouve s’insère dans la communauté des militants pacifistes installés en Suisse et dont Romain Rolland est considéré comme l’âme. Pendant toute la guerre, Jouve va être très actif, à la fois comme écrivain, comme journaliste et comme militant. Jouve et Romain Rolland deviennent réellement amis. Jouve continue à lire Tolstoï. Comme à Poitiers, il s’engage en tant qu’infirmier volontaire à l’hôpital pierre jean jouve,jacques darras,poésie,arfuyen,flandre,verhaeren,guerre 1914-1918,suisse,genèvemilitaire de Montana. Il est très apprécié des soldats malades pour son dévouement. Mais son activité de militant pacifiste est connue et il est interdit de présence à l’hôpital par la hiérarchie militaire. » (source).  C’est au sein de ces cercles pacifistes qu’il côtoiera le Flamand Frans Masereel, lequel illustrera plusieurs de ses livres.

    P. J. Jouve, portrait gravé par F. Masereel pour Prière, 1924

     

    Dans Romain Rolland vivant 1914-1919 (1920), Pierre Jean Jouve évoque à nouveau la Belgique et Verhaeren : « Il est à peu près établi pour lui [Romain Rolland] que le gouvernement allemand, aux premières heures de la guerre, joua le plus mauvais rôle. Le crime de la Belgique violée par le Haut Commandement et diffamée ensuite par la diplomatie, ne peut se justifier en aucun temps. Il se retourna d’ailleurs contre son auteur ; car il détermina toute une série de réalités et de fictions tendant à désigner l’Allemagne comme l’agresseur unique et le peuple criminel. Mais les crimes les plus certains et les responsabilités effectives de l’Allemagne n’innocentent pas ses adversaires. […] Quand l’Académie Suédoise laisse entrevoir (à la fin de 1915), son intention de décerner le Prix Nobel de Littérature à Romain Rolland, écrivain français, c’est un tollé dans la presse parisienne ; les injures remontent d’un ton ; on ne craint même pas de jouer du noble et bon Verhaeren, qui n’a pas cessé d’aimer et d’estimer Romain Rolland, d’injurier Rolland à l’aide de Verhaeren. On parle de ‘‘Judas et les trente deniers’’. Ce qui était, remarquons-le, aussi infamant à l’endroit de l’Académie Suédoise qu’abject à l’égard d’un des écrivains les plus désintéressés de notre littérature. La distribution du prix est différée. Mais l’année suivante (novembre 1916) le prix est réellement pierre jean jouve,jacques darras,poésie,arfuyen,flandre,verhaeren,guerre 1914-1918,suisse,genève,belgiqueoffert à Romain Rolland, et à la France la meilleure qu’il représente. Il se fait un demi-silence, par ordre ; le système de l’étouffement officiel et du boycottage commercial commence, avec des actions plus souterraines. » (p. 101 et 240-241)

     Jacques Marx, Verhaeren, biographie d’une œuvre, ARLLFB, 1996